Blyton Enid Patricia et Isabelle Changent d'école Original

July 31, 2017 | Author: jeromesbazoges | Category: Sports, Leisure
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L'édition originale a été publiée par Methuen et C° à Londres sous le titre « THE TWINS AT ST. CLARE'S » (A School Story for girls). L'éditeur anglais nous a gracieusement autorisé à reproduire l'illustration originale.

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AVIS IMPORTANT

Cet ouvrage d’Enid Blyton : ‘Patricia et Isabelle Changent d’école’ a été publié plus tardivement sous le titre de : ‘Deux jumelles en pension’ chez idéal Bibliothèque et fera partie d’une série de six volumes qui sera intitulée : Deux Jumelles. Nous retrouverons donc les six volumes qui comporteront cette série et dont nous donnons les titres suivants Série « Deux Jumelles » Deux Jumelles en pension Deux Jumelles et trois camarades Deux Jumelles et une écuyère Hourra pour les Jumelles! Claudine et les Deux Jumelles Deux Jumelles et deux somnambules Nous reproduisons ici donc : ‘Patricia et Isabelle Changent d’école’ et ensuite : ‘Deux Jumelles en pension’ , qui sont le même ouvrage traduit de l’anglais mais ayant un titre différent. Pourquoi deux reproductions pour le même ouvrage ? Pour quelle raison ? Tout simplement parce que les deux traductions sont totalement différentes, et tellement qu’elles n’ont rien à voir l’une de l’autre, ce qui parait incompréhensible pour un ouvrage traduit. Nous laissons donc libre choix à nos aimables lectrices et lecteurs pour établir leur choix de préférence. , sans prendre part, gardant une neutralité.

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Nous informons nos aimables lectrices et lecteurs que le ‘projet Enid Blyton’ a pour objectif de sauvegarder le patrimoine Enid Blyton qui a ravi et ravi toujours des millions d’enfants à travers le monde. L’objectif actuel est de scanner tous les ouvrages traduits en langue française (environ 170-180 ont été traduits en Français et ou d’autres prendront le même chemin.) et de les mettre en numérique à la disposition gratuite de tous les enfants comme l’aurait souhaité notre Grande Amie à Tous : Enid Blyton, qui a consacré sa vie à écrire pour les enfants et adolescents emplissant notre patrimoine de plus de 700 ouvrages en langue originale. Les auteurs du projet.

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PATRICIA ET ISABELE CHANGENT D'ECOLE

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ENID BLYTON

Patricia et Isabelle changent d'école TRADUIT DE L'ANGLAIS PAR

E. HUARD AVEC HUIT ILLUSTRATIONS DE

W. LINDSAY-GABLE

LIBRAIRIE SAINT-CHARLES BRUGES (Belgique)

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TABLE 1. Les jumelles prennent une décision. 2. Les jumelles arrivent à Saint Claire. 3. Un mauvais début 4. Un peu d’ennui pour les jumelles 5. Une bataille avec Mademoiselle 6. Pauvre Miss Kennedy 7. Janet fait des farces. 8. La grande fête de minuit 9. Un match de lacrosse et une devinette 10. Une élève bien embarrassée 11. Encore Miss Kennedy 12. Une vitre brisée et une punition 13. Les quatre fugitives 14. Une grande désillusion 15. Une querelle épouvantable 16. Sheila fait sa part 17. Kathleen a un secret 18. Le secret dévoilé 19. Un saisissement pour Isabelle 20. La fête 21. Le dernier jour

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CHAPITRE I.

LES JUMELLES PRENNENT UNE DECISION Par une belle journée d'été, pleine de soleil, quatre petites filles étaient assises en rond sur le gazon d'un court de tennis. Elles dégustaient une boisson fraîche, après un match des plus disputés. Leurs raquettes gisaient pêle-mêle à côté d'elles et les six balles étaient dispersées ça et là, sur le terrain. Deux des fillettes étaient sœurs jumelles. Isabelle et Patricia O’ Sullivan étaient d'une ressemblance telle que bien rares étaient les personnes qui pouvaient dire, avec certitude, « celle-ci est Pat et voilà Isabelle ». Elles avaient toutes deux de belles chevelures brun foncé, des yeux bleus profonds et rieurs, et leur petit accent irlandais était fort plaisant à entendre. Les jumelles étaient à la veille de rentrer chez elles. Elles avaient passé quinze jours de vacances chez leurs amies Mary et France Waters.

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Les quatre fillettes étaient engagées dans une conversation des plus animées et des plus sérieuses. Pat était très emballée sur un sujet qu'elles avaient, du reste, toutes quatre fort à cœur. Elle empoigna sa raquette et en battit l'herbe de son petit air combatif. — C'est atroce de penser que maman ne nous permet pas d'aller à la même école que vous, alors que nous avons quitté Redroof ensemble. Nous sommes amies depuis que nous sommes petites et voilà qu'on va nous séparer. Nous ne nous verrons plus pendant une éternité ! — C'est dommage, tout de même, qu'on n'accepte pas, à Redroof, d'élèves ayant dépassé notre âge, ajouta Isabelle. Nous aurions pu y rester toutes les quatre. Ça, au moins, c'eût été amusant. J'adorais être monitrice avec Pat et c'était fort gai pour nous d'être capitaines, elle, pour le hockey et moi, pour le tennis. Maintenant, dans ce pensionnat où on veut nous mettre, nous devrons commencer par être les cadettes, et à tout-refaire dès le début. C'est autre chose que d'être des grandes et cela nous ennuie fort. — Comme je souhaite que vous puissiez venir à Ringmere avec nous, répliqua France. Maman nous en fait un bel éloge. C'est si beau et sélect. Vous savez ce que je veux dire : fréquenté seulement par des jeunes filles de toutes bonnes familles, dont les parents sont très bien élevés et où les relations sont si choisies. Nous avons une chambre à coucher individuelle et nous nous

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habillons le soir pour le dîner, et naturellement la nourriture y est très soignée. — Et nous, nous allons à St. Clare, un pensionnat quelconque, où je crains fort qu'on accepte n'importe qui, où les dortoirs sont communs pour six ou huit élèves et sont moins bien meublés que les chambres de bonnes à la maison, gémit Pat, dégoûtée. — Je me demande encore maintenant pour quelles raisons maman s'est décidée à nous y envoyer, au lieu de nous mettre à Ringmere, soupira Isabelle. Et l'a-t-elle tout à fait décidé ? En tout cas, nous retournons à la maison demain et nous allons tout mettre en œuvre pour la faire changer d'avis. Je ne perds pas espoir d'aller avec vous à Ringmere, Mary et France. Nous vous téléphonerons et vous dirons si nous avons gagné notre cause. — Nous ferons des bonds de joie si vous avez de bonnes nouvelles, dit Mary. Après tout, quand on quitte tout ce que nous quittons d'épatant à Redroof, c'est terrible d'entrer dans un pensionnat où on n'a pas la moindre envie d'aller. - Eh bien donc, faites tout votre possible pour que vos parents changent d'avis, insista France, et maintenant, jouons encore vite une partie, avant l'heure du thé. Toutes quatre se levèrent et, après le partage des deux équipes, se mirent à jouer avec une belles ardeur. Isabelle était très bonne joueuse et avait gagné le championnat à Redroof. Elle était à vrai dire,

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assez fière de son jeu. Pat était à peu près de même force qu'elle, mais préférait le hockey. — A St. Clare, on ne joue même pas au hockey, reprit cette dernière lugubrement. On joue un jeu stupide, le lacrosse, avec des idiots de petits filets tendus entre deux bâtons, la balle doit être prise dans le filet et, enfin, il faut essayer d'attraper cette balle au lieu de la lancer et de la faire rouler devant soi. Ça, c'est encore une chose importante qu'il me faudra dire à maman, que je n'ai nulle envie de jouer au lacrosse après avoir été capitaine d'une équipe de hockey. Les petites sœurs ruminaient ainsi toutes les excellentes raisons qu'elles avaient pour ne pas aller à St. Clare. Le lendemain, dans le train qui les ramenait chez elles, elles n'eurent pas d'autres soucis. — Je dirai ceci, et tu diras cela, avait dit Pat. Après tout NOUS nous devons savoir mieux que quiconque, le genre d'école qui nous convient et St. Clare paraît trop impossible pour en parler. Ainsi donc, le soir même de leur retour, les fillettes entreprirent courageusement le sujet de leur prochain pensionnat. Pat entama la conversation et, comme tel était son petit caractère, elle attaqua ses parents de front. — Maman et papa, commença-t-elle, Isabelle et moi avons beaucoup réfléchi à l'école où nous irions prochainement et, s'il vous plaît, nous ne

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tenons pas du tout à St. Clare. Tout le monde dit que c'est une école impossible. Leur mère se mit à rire et leur père déposa son journal, tout surpris. - Ne fais pas l'enfant, Pat, répondit Mrs. O'Sullivan. St. Clare est un pensionnat splendide. - Avez-vous tout-à-fait décidé de nous y envoyer ? demanda Isabelle. - Pas tout-à-fait, répliqua leur mère, mais votre père et moi estimons que c'est exactement l'école qu'il vous faut à présent. Redroof vous a un peu gâtées. Vous savez comme moi que c'est un pensionnat très onéreux et il est temps, pensons-nous, que vous appreniez à vivre plus simplement, plus pratiquement. Les temps ont changés pour tout le monde. St. "Clare est d'ailleurs une fort bonne école et très raisonnable. J'en connais la directrice et je l'aime beaucoup. Pat grogna. — Une école raisonnable, une école raisonnable... Comme je déteste les choses raisonnables. Elles sont toujours laides, stupides et complètement horribles. Oh ! maman, s'il te plaît, envoie nous à Ringmere avec Mary et France. — Certainement pas, s'écria Mrs. O'Sullivan, élevant la voix. Ringmere est le pensionnat le plus snob que je connaisse et je ne veux, pour rien au monde, que mes petites filles deviennent des oies prétentieuses et dédaignent tout et tout le monde.

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— Oh ! maman, nous ne deviendrons jamais comme cela, répliqua Isabelle qui, depuis quelques instants déjà, essayait, par signes, de faire comprendre à Pat qu'elle ferait mieux, pour le moment, d'abandonner son plaidoyer, lequel risquait de s'envenimer sans atteindre au but. Pat se fâchait aisément, et cela ne convenait absolument pas de se fâcher en présence de papa. — Maman chérie, sois un ange, laisse-nous essayer à Ringmere pendant un trimestre ou deux, puis, si tu estimes que nous devenons des snobs, tu pourras nous mettre ailleurs. Mais laisse-nous donc essayer. On y joue au hockey et nous aimons tant cela ! Nous haïssons tout simplement l'idée que nous allons devoir abandonner le hockey pour apprendre un autre jeu que nous n'aimons pas. Mr. O'Sullivan tapa de sa pipe contre la table. — Ma chère Isabelle, ce sera excellent pour vous deux de reprendre tout au début et de faire un nouvel essai. Depuis deux ans déjà, je trouve que vous devenez bien vaniteuses et que vous vous faites une trop haute idée de vos petites personnes. Et si St. Clare peut aider à vous faire découvrir que vous n'êtes pas les merveilles que vous vous plaisez à imaginer, cela sera très bien ainsi. Les jumelles rougirent. Elles étaient fâchées, froissées et prêtes aux larmes. Mrs. O'Sullivan eut pitié d'elles. — Papa vient d'être un peu trop catégorique, mais il a parfaitement raison, mes chéries. Vous

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vous êtes bien amusées à Redroof. Vous avez eu là tout ce que vous aimiez, vous étiez monitrices et capitaines et meniez une vie de grandes dames. Le moment est venu pour que vous nous montriez de quelle étoffe vous êtes faites. Nous vous demandons de recommencer courageusement comme cadettes, dans une autre école, où les élèves des classes supérieures atteignent dix-huit ans. Vous pourrez faire vos preuves. Pat bouda ouvertement. Le petit menton d'Isabelle frémit quand elle répondit : — Nous ne serons pas heureuses du tout et nous n'essayerons pas de l'être. — Très bien, soyez malheureuses, répliqua leur père calmement. Si c'est à Redroof qu'on vous a enseigné cette sorte de sotte attitude, je regrette d'autant plus que maman et moi vous y ayons laissées si longtemps. Voilà deux ans déjà que je songe à vous changer d'école, mais vous avez tellement prié pour rester que je me suis incliné. Maintenant, ne parlons plus de tout cela. J'écrirai ce soir même à St. Clare et je vous ferai inscrire pour la prochaine rentrée. Si vous tenez à ce que je sois fier de vous, vous allez bien vite reprendre votre bonne humeur et vous résoudre gentiment à être sages et à bien travailler pour être heureuses dans votre nouvelle école. Puis, il alluma sa pipe et reprit son journal. Leur mère, elle aussi, se remit à coudre, il n'y avait donc plus rien à dire. Le sujet était épuisé et les petites sœurs, le cœur gonflé d'amertume, quittèrent ensemble la chambre des débats pour

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se réfugier au jardin, dans leur coin favori, derrière le grand massif d'ifs. Elles se jetèrent sur le gazon. Les derniers rayons du soleil dansaient autour d'elles, et leurs beaux yeux pleins de larmes cillèrent dans sa clarté. — Je n'aurais jamais pu imaginer que papa et maman seraient aussi impitoyables, gémit Isabelle, jamais ! — Après tout, c'est bien notre droit de donner notre avis, fit Pat, furieuse. Elle empoigna un bâton et l'enfonça énergiquement dans la terre molle. Je souhaite que nous puissions prendre la fuite ! -— Ne sois pas ridicule, répondit Isabelle. Tu sais bien que nous ne pouvons pas faire cela. C'est lâche de s'enfuir. Nous devrons nous résigner à aller à St Clare. Mais, comme c'est détestable ! — Nous le détesterons toutes les deux, opina Pat et, qui plus est, je vais tout dédaigner là-bas. A aucun prix je ne prétendrai me laisser mener comme un bébé venant de n'importe quelle école primaire. Je leur ferai bien vite sentir que nous étions monitrices et capitaines et n'entendons pas être traitées en cadettes. C'est horrible de la part de papa de dire que nous sommes vaniteuses. Nous ne le sommes pas le moins du monde ! Nous n'en pouvons rien si nous sommes de bonnes élèves et que nous le savons; que nous sommes jolies et tout à fait amusantes.

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- Ça semble un peu vaniteux, tout de même, ce que tu viens de dire là, répliqua Isabelle. Moi, je crois que nous ferions mieux de nous tenir tranquilles quand nous serons à St. Clare ! - Je dirai tout ce qui me passe par la tête et je compte que tu me donneras toujours raison, dit Pat. Les gens, là-bas, doivent apprendre qui nous sommes et ce que nous sommes à même de faire. Toutes les institutrices devront nous prendre en considération, aussi. Je te jure que les jumelles O'Sullivan feront valoir leurs droits. Et ne l'oublie pas, Isabelle ! Isabelle secoua alors sa jolie petite tête aux boucles brunes et soyeuses. — Je ne l'oublierai pas, va, Pat. Je te soutiendrai dans toutes les discussions et je te donne ma parole que St. Clare entendra parler de nous !

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CHAPITRE II.

LES JUMELLES ARRIVENT A ST. CLARE Les vacances touchèrent bientôt à leur fin et le jour redouté du départ pour St. Clare arriva. Mrs. O'Sullivan avait reçu une liste du trousseau que les élèves devaient emporter. Les petites sœurs examinaient cette liste sans bienveillance, avec l'esprit le plus critique. — Cette liste ne ressemble en rien à celle que nous avions à Redroof, elle est de loin moins importante. Et, comme on nous permet peu de robes ! Mary et France disent qu'elles peuvent en emporter à Ringmere autant qu'elles désirent et elles ont toutes deux de longues robes du soir, comme celles de leur maman. Elles vont nous mépriser quand elles nous reverront ! — Et regarde, des affreux filets de lacrosse au lieu de nos chers sticks de hockey ! geignit Isabelle. On pourrait au moins jouer au lacrosse et au hockey. Je ne me suis même pas retournée quand maman à fait l'achat de nos instruments de lacrosse, et toi ?

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— Et là encore, on nous donne même des instructions sur ce que nous devons prendre et ne pas prendre dans notre boîte à bonbons. Oh, là, là, et dire qu'à Redroof, nous pouvions emporter tout ce que nous aimions, soupira Pat. A propos, à quelle heure, ce train de malheur, demain ? — Dix heures, gare de Paddington, répondit Isabelle. Là déjà, nous aurons un aperçu des élèves de St. Clare. Ce sera, à n'en pas douter, un beau spectacle ! Mrs. O'Sullivan accompagna les deux rebelles à Londres ; elles gagnèrent en taxi la gare de Paddington et se mirent à la recherche du train pour St. Clare. Sur le quai, il y avait des quantités de pensionnaires s'apostrophant avec animation, criant de joyeux adieux à leurs parents ou parlant aux maîtresses. Une institutrice sobrement vêtue, vint au devant des deux petites sœurs, reconnaissant à leur manteau d'uniforme gris clair, des élèves de St. Clare. Elle sourit à Mrs. O'Sullivan, regarda une liste qu'elle tenait à la main et dit gentiment : - Ce sont, je crois, de nouvelles pensionnaires et je suis sûre que ce sont Patricia et Isabelle O'Sullivan : elles sont tellement identiques! Puis, le tournant vers les enfants : — Je suis votre nouvelle maîtresse de classe, leur annonça-t-elle. Très heureuse de vous voir.

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C'était un charmant accueil et Miss Roberts plut d'emblée aux deux fillettes. Elle était jeune et jolie, grande et souriante, mais elle avait quelque chose de très ferme dans le pli de sa bouche qui fit comprendre à Pat et Isabelle qu'elle ne devait guère tolérer de sottises dans sa classe ! — Votre compartiment est ici, avec les autres élèves de votre classe ! dit encore Miss Roberts. Faites vos adieux à votre maman et montez vite, le train part dans deux minutes. Sur ce, elle les quitta pour s'occuper d'autres arrivantes et les jumelles embrassèrent leur mère. — Au revoir, dit Mrs. O'Sullivan. Faites de votre mieux pendant ce trimestre. J'espère que vous vous plairez dans votre nouvelle école. Ecrivez-moi bien vite. Les petites filles montèrent dans le compartiment qui leur était assigné et où se trouvaient déjà installées plusieurs de leurs nouvelles compagnes. Celles-ci conversaient entre elles, et les deux petites filles, bien déterminées à être malheureuses, ne se joignirent pas au groupe joyeux. Elles regardèrent, moroses et dédaigneuses, la foule des élèves rejoignant en hâte leurs compartiments respectifs. Toutes ces fillettes étaient plus grandes et plus âgées que Pat et Isabelle. Cela les mortifiait profondément de penser que dans cette nouvelle école qu'elles détestaient tant, elles allaient être traitées en cadettes alors qu'à Redroof, tous les égards leur étaient dus, par droit d'aînesse. Comme pour aviver l'amertume de ces réflexions,

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de majestueuses aînées passaient auprès d'elles en devisant à l'aise. Certaines atteignirent le train au moment où il s'ébranlait. Le voyage fut pourtant bien amusant. Elles avaient chacune emporté un pique-nique pour le repas de midi et le steward leur servit de la bière, de la limonade et du thé. A deux heures et demi le train fit halte auprès d'une minuscule plateforme. Une grande affiche annonçait : « Descendre ici pour le pensionnat St. Clare ». Plusieurs autobus attendaient l'arrivée des c lèves qui s'y empilèrent en riant, en bavardant et en faisant mille cabrioles. Une d'entre elles se retourna vers Pat et Isabelle : — Voilà notre école, regardez, là haut sur la colline. Les jumelles virent un grand bâtiment blanc, lait de belles et larges pierres, et flanqué à chaque extrémité de jolies tourelles d'angle. L'école avait vue sur la vallée et surplombait de vastes terrains de jeux et de magnifiques jardins. - Pas de moitié aussi beau, que Redroof, murmura Pat dans l'oreille d'Isabelle. Te souviens-tu comme notre chère vieille école paraissait accueillante et douce au soleil couchant ? Son beau toit rouge flamboyait et tout semblait si chaud et bienveillant, pas froid et blanc, comme cet horrible St. Clare ! Toutes deux révèrent un bref instant à leur ancienne école et éprouvèrent une nostalgie bien compréhensible. Elles ne connaissaient personne

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A St. Clare et les joyeuses bourrades données aux anciennes compagnes leur manquaient terriblement. Elles ne parvenaient pas à se mettre à l'unisson et toutes ces bruyantes démonstrations, maintenant qu'elles en étaient exclues, leur semblaient bien vulgaires et exagérées. C'était horrible ! — En tout cas, c'est heureux que nous soyons ensemble, j'aurais détesté venir ici toute seule, répliqua encore Isabelle. Personne ne parait vouloir nous adresser un seul mot. C'était bien leur faute ! Si au moins, elles s'étaient rendues compte de l'air de supériorité qu'elles avaient adopté dès leur entrée dans le compartiment du train, elles auraient tout de suite compris pourquoi personne n'était tenté de les approcher ni de faire leur connaissance ! Les autres fillettes se murmuraient d'ailleurs déjà leurs opinions entre elles. Dès l'arrivée au pensionnat, il y eut le même remueménage et le même déballage que dans tous les pensionnats du monde. Les longs dortoirs étaient pleins d'élèves qui rangeaient gaiement leurs robes et leurs objets de toilette. Elles disposaient aussi des photos et de menues choses sur leur table de chevet. Il y avait un grand nombre de dortoirs à St. Clare. Pat et Isabelle étaient dans le dortoir N° 7, où se trouvaient rangés huit petits lits blancs semblables. Ils étaient dans une petite alcôve faite de rideaux qui pouvaient être ouverts ou fermés au gré des dormeuses. Le lit de Pat était

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voisin de celui d'Isabelle à la grande joie des deux petites sœurs. Quand les petites filles eurent rangé leurs affaires, une grande entra dans le dortoir en criant: — Y a-t-il des nouvelles, ici ? — Nous sommes nouvelles, disent Pat et Isabelle en s'avançant vers elle. — Allô, les jumelles, répliqua la grande en souriant, et les regardant alternativement l'une et l'autre. — Patricia et Isabelle O'Sullivan, l'infirmière-économe veut vous voir. Pat et Isabelle suivirent donc la grande fille à travers escaliers et couloirs jusqu'à la chambre de l'infirmièreéconome. C'était une chambre confortable garnie de bibliothèques, d'étagères et d'armoires diverses. Elle-même était une personne très imposante par sa taille et par sa corpulence et elle semblait posséder un fort bon caractère; ses yeux devaient voir pas mal de choses et devaient sûrement deviner le restant. Vous ne pourrez jamais tromper notre infirmièreéconome en aucun cas, prévint la grande, donc, restez dans ses bonnes grâces, si vous pouvez. — Vous êtes responsables de l'entretien et du raccommodage de ces objets, leur dit l'infirmière-économe en leur donnant leurs draps et leurs serviettes de toilette. — Mon Dieu, s'exclama Pat, vous ne voulez pas dire que nous devons raccommoder cela nous-même ? Mais à Redroof, d'où nous venons, des femmes étaient affectées à ce travail.

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— Il n'y a personne ici qui le fera pour vous. Donc, soignez bien vos affaires et souvenez-vous qu'elles coûtent de l'argent à vos parents. — Nos parents n'ont pas besoin de s'inquiéter de choses usées ou déchirées, renchérit Pat. Un jour, à Redroof, j'ai été prise dans des fils de fer barbelés et tous mes vêtements ont été réduits en pièces. Ils étaient tellement en lambeaux que la femme qui essaya des les remettre en état n'en sortit pas et... — Eh bien, moi, je vous aurais forcée à repriser jusqu'au moindre trou. Le regard de l'infirmière-économe commençait a devenir inquiétant. — S'il y a quelque chose que je ne pardonne pas, c'est la négligence et le manque de soins et, à ce propos, écoutez-moi bien... qu'est-ce donc, Millicent ? Une autre élève venait d'entrer avec une pile de draps et les jumelles furent soulagées de voir l'attention de l'infirmière-économe portée sur un autre sujet. Elles s'esquivèrent le plus doucement possible. — Je n'aime pas cette femme, décréta Pat. Et j'ai une furieuse envie de déchirer quelque chose pour lui apprendre à vivre. — Allons plutôt voir à quoi ressemble notre classe, répliqua Isabelle en glissant son bras sous celui de Pat. Tout ici semble tellement plus froid et plus vide qu'à Redroof. Les jumelles partirent donc en exploration, après avoir déposé leurs draps au dortoir.

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Les classes étaient, évidemment, fort pareilles à d'autres classes mais la vue, des fenêtres, était splendide et grandiose. Les jumelles inspectèrent ensuite les chambres d'étude. Dans leur ancien pensionnat, elles avaient une chambre de travail pour deux, tandis qu'ici, seules les grandes jouissaient de ce privilège. Les plus jeunes étaient réunies dans une grande salle commune, où elles disposaient d'un appareil de radio, d'un gramophone et d'une bibliothèque. Il y avait des étagères aux murs et chaque enfant y déposait ses menus objets, qu'elle devait tenir en bon ordre. En plus d'un très bon laboratoire de petites chambrettes à musique et d'une classe de dessin, il y avait une immense salle de gymnastique qui servait aux réunions et aux fêtes diverses. Les maîtresses avaient, elles aussi, deux chambres communes et chacune leur chambre à coucher et la directrice vivait dans une aile séparée. Elle avait sa chambre dans une des tourelles et un beau salon en bas. - Ce n'est pas si mal, concéda Pat, quand elles eurent exploré partout et les terrains de jeux sont beaux. Il y a même plus de courts de tennis qu'à Redroof, mais, naturellement, le pensionnat lui-même est plus important. - Je n'aime pas les grands pensionnats, répondit Isabelle. J'aime mieux de petits pension-ii.il.s où on vous connaît, où vous êtes quelqu'un,

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pas juste une petite nullité empilée parmi un tas d'autres. Elles se dirigèrent ensuite vers la chambre commune. La radio diffusait un air de danse particulièrement bruyant mais qui ne parvenait néanmoins pas à percer le vacarme des conversations. Quelques élèves virent arriver Pat et Isabelle. — Allô, les jumelles, s'écria une jolie petite fille à Ja chevelure dorée, laquelle est laquelle ? — Je suis Patricia O'Sullivan et ma sœur s'appelle Isabelle. — Soyez les bienvenues à St. Clare, dit encore la même petite fille. Je suis Hilary Ventworth et vous êtes dans le même dortoir que moi. Avez-vous déjà été en pension ? — Je crois bien, répondit Pat, nous étions à Redroof. — L'école des snobs, intervint une fillette aux cheveux noirs. Ma cousine y est allée, elle aussi, et vous auriez dû voir quels chichis elle faisait. Elle se croyait quelqu'un de tout à fait supérieur. Elle ne pouvait même pas supporter l'idée de recoudre un bouton à un soulier ! — Tais-toi, répliqua vivement Hilary, voyant que Pat rougissait. Tu parles toujours à tort et à travers, Janet. Puis se tournant vers les jumelles: — Eh bien, Patricia et Isabelle, ceci n'est pas du tout le même genre d'école que Redroof. Nous travaillons dur, nous nous entraînons dur et je vous assure qu'on nous apprend, d'une maîtresse façon, à devenir indépendantes et à endosser nos responsabilités.

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- Nous n'avions nulle envie de venir ici, dit encore Pat fièrement. Nous aurions aimé aller à Ringmere avec nos amies. Personne n'avait une haute opinion de St. Clare à Redroof. - Mon Dieu, mon Dieu, est-ce possible ? s'exclama Janet, levant à un tel point ses sourcils qu'ils se confondaient presque avec la masse de ses cheveux noirs. Eh bien, je crains fort que la question soit tout autre, il ne s'agit pas, à présent, mes très chères jumelles, de savoir ce que VOUS pensez de St. Clare, mais bien ce que St. Clare pense de vous. C'est tout l'opposé ! Et je m'empresse d'ajouter que, personnellement, je crois qu'il est vraiment dommage que vous ne soyez pas allées ailleurs, j'ai bien l'impression que vous n'êtes pas à votre place, ici. - Janet, calme-toi, implora Hilary. Ce n'est pas chic de dire de pareilles choses à des nouvelles. Laissons-les au moins s'installer. Viens, Patricia, viens Isabelle, je vais vous indiquer le bureau de la directrice. Vous devez aller la saluer avant le souper. Pat et Isabelle étaient bouillantes de rage après cette conversation avec Janet. Hilary bouscula les jumelles hors de la chambre. - N'attachez pas trop d'importance aux sorties de Janet, leur confia-t-elle. Elle dit toujours exactement ce qui lui passe par la tête, ce qui est charmant quand elle pense des gentillesses, mais ce n'est évidemment pas si amusant quand l'inverse se produit. Vous vous habituerez à elle.

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Elle est très brave. — Nous espérons au contraire ne pas devoir nous y habituer, rétorqua Pat. J'aime les bonnes manières. Cela, au moins, nous a été appris à notre ancienne école, même si on n'en à aucune idée ici. — Oh, ne sois pas entêtée, supplia Hilary. Voici le bureau de Mademoiselle la Directrice. Frappez à la porte et... employez donc vos bonnes manières pour faire sa conquête ! Les jumelles frappèrent timidement à la porte. Une voix plaisante et profonde répondit: Entrez. Pat ouvrit alors la porte et les petites jumelles entrèrent de conserve. La directrice écrivait à son bureau. Elle leva les yeux et sourit aux deux petites filles. — Je n'ai pas besoin de vous demander qui vous êtes. Vous êtes identiques. Les deux O'Sullivan. — Oui, acquiescèrent les petites, regardant leur nouvelle directrice. Elle avait les cheveux gris, une allure extrêmement digne et sérieuse, et possédait un charmant visage qui, de temps en temps se déridait pour sourire de la façon la plus exquise. Elle serra la main aux jumelles. — Je suis heureuse de vous souhaiter la bienvenue à St. Clare, leur dit-elle. J'espère qu'un jour nous serons fières de vous. Faites votre possible et nous ferons pour vous tout ce que nous pourrons. — Nous essayerons, murmura Isabelle.

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Et, après avoir prononcé ces mots, elle fut fort étonnée d'elle-même. Elle n'avait pas du tout envie d'essayer ! Elle lança un regard à Pat qui regardait droit devant elle et ne broncha pas. — Je connais fort bien votre mère, dit encore Miss Théobald. J'ai été ravie d'apprendre qu'elle voulait bien vous confier à moi. Vous devrez le lui dire quand vous lui écrirez et lui faire mes bons compliments. — Oui, Miss, répondit Pat. La directrice leur sourit gentiment, puis reprit place à son bureau. « Quelles curieuses enfants », pensa-t-elle. « On s'imaginerait volontiers qu'elles détestent être ici. Peut-être sont-elles tout bonnement timides, ou tristes d'être hors de chez elles », Mais elles n'étaient ni timides ni tristes. Elles étaient simplement deux petites filles obstinées, bien résolues à voir les choses au pire, parce qu'on ne leur avait pas permis d'aller à l'école de leur choix.

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CHAPITRE III.

UN MAUVAIS DEBUT Les jumelles découvrirent très vite que St. Clare différait totalement de leur ancien pensionnat. Jusqu'aux lits qui étaient loin d'être aussi bons, leur semblait-il. Au lieu de leur permettre de faire usage de leurs édredons et couvre-lits personnels, chaque élève devait se contenter du modèle imposé* Pat se lamentait. — Je déteste d'être ainsi pareille à toutes les autres. Mon Dieu, si au moins, on nous autorisait à avoir ici toutes nos belles choses, comme nous pourrions les épater ! — Ce que je déteste encore bien davantage, renchérit lugubrement Isabelle, c'est d'être dans les cadettes. J'ai horreur qu'on me parle comme si j'avais à peu près six ans. C'est « tire-toi de mon chemin, moustique » — « dis, toi, là-bas, va vite me chercher mon livre », etc... etc... C'est intenable ! Pourtant, à St. Clare, le degré d'études était supérieur à celui de la plupart des autres écoles et, bien que les jumelles fussent intelligentes,

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elles se rendaient compte de leur retard en beaucoup de domaines. Cela, aussi, les tracassait. Elles avaient en l'espoir d'impressionner les autres et tout concourait pour faire d'elles de petites ignorantes. La connaissance avec les élèves de leur classe avait été bientôt faite. Hilary Ventworth en était une, et la bavarde Janet Robins en était une autre. Puis, il y avait une petite fille tranquille et calme, avec de pauvres cheveux plats qu'on nommait Vera Johns et encore une autre, très hautaine, celle-là, Sheila Naylor, dont les manières étaient fort arrogantes. Nos petites sœurs ne l'aimaient pas du tout. — Je me demande pour qui elle se prend, disait Pat. C'est exact qu'elle a une très jolie maison. J'en ai vu la photo sur sa table, mais, sapristi, par contre, elle parle quelquefois comme la femme de chambre, puis, elle se ressaisit et semble se le rappeler et elle s'en va de la façon la plus sotte et la plus stupide. Il y avait ensuite Kathleen Gregory, une fillette qui paraissait avoir toujours peur de quelqu’un du de quelque chose. Elle fut la seule qui sembla vouloir fraterniser avec les jumelles pendant cette première semaine. La plupart des autres les laissait bien seules. A part quelques indispensables politesses et aussi pour leur indiquer les habitudes du pensionnat, elles avaient toutes la même opinion : les jumelles O'Sullivan étaient de « petites pestes ».

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- Kathleen est drôle, dit tout à coup Isabelle, Elle paraît tant vouloir faire de nous des amies et nous prêter ses livres et nous offrir des bonbons. Elle est à St. Clare depuis un an déjà et ne semble pas avoir fait la moindre amie. Elle me demande si je veux l'accompagner en promenade et je passe ma vie à lui répondre: « non, merci, je vais avec Pat ». — Je suis désolée pour elle, d'une façon, répondit Pat. Elle me fait un peu songer à un chien perdu qui essaie de s'accrocher à un nouveau maître. Isabelle se mit à rire ! — Oui ! c'est bien cela ! Je crois que, de toutes les élèves, c'est Hilary qui me plaît le mieux. Elle est sincère et gaie et puis, elle est très sport. Les jumelles étaient littéralement sidérées devant les aînées, qui leur faisaient l'effet d'être de grandes personnes. Celles de la classe supérieure surtout leur paraissaient encore plus dignes de respect que leurs institutrices. La monitrice, Winifred James, leur adressa un jour la parole. C'était une grande jeune fille d'apparence très cultivée qui avait de beaux yeux bleus et des cheveux comme de la soie. St. Clare était très fier d'elle ! Elle réussissait, haut la main, les examens les plus difficiles. — Vous êtes les nouvelles, n'est-ce pas ? leur dit-elle. Tâchez de vite vous habituer et faites votre possible. Venez me voir, si vous éprouvez une difficulté quelconque. Je suis la monitrice et je vous aiderai volontiers, si je puis.

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— Oh. merci, murmurèrent les petites, toute? confuses. Et Winifred continua sa route avec ses amies, tandis que les jumelles la regardaient avec admiration. — Elle est plutôt gentille, émit Isabelle. A la vérité, je trouve que la plupart des grandes sont fort chics, bien qu'horriblement sérieuses. Elles aimaient aussi leur maîtresse de classe, Miss Roberts, malgré sa sévérité. Parfois, il arrivait à .Pat de tenter avec elle une discussion et de conclure : — En tout cas, c'est ce qu'on nous a appris à notre ancienne école, et alors, Miss Roberts répondait : — Vraiment ? Eh bien, faites donc comme avant, sans tenir compte de mes remarques, mais vous n'arriverez pas a de bons résultats en agissant ainsi et tâchez toute deux de vous souvenir que ce qui convient dans une école ne convient pas dans l'autre. Enfin, si vous voulez vous obstiner, libre à vous, mais vous en paierez les conséquences. C'est votre affaire. Dans ces occasions, Pat avançait dangereusement sa lèvre inférieure, Isabelle rougissait et le reste de la classe riait sous cape. Ça les amusait toujours beaucoup quand on apprenait à vivre aux « deux petites pestes ». La maîtresse de dessin était une douce créature. Elle avait été ravie de constater que Pat et Isabelle dessinaient et peignaient fort bien. Les deux sœurs aimaient d'ailleurs l'heure de dessin. Cette-leçon-là, au moins, ressemblait assez aux

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leçons dans leur ancienne école. Il y avait plus de laisser aller que pendant les autres leçons et les élèves étaient autorisées à bavarder et à rire en travaillant. C'était, effectivement, quelquefois bien bruyant ! Mademoiselle l1) elle, n'était guère si facile ! Elle était même très sévère, déjà un peu vieille, consciencieuse et tatillonne. Elle portait une paire de pince-nez invraisemblables qui, dès qu'elle se fâchait, devenait extrêmement mobile et se trimbalait d'un bout à l'autre de son grand nez. Et elle se fâchait bien souvent ! De plus, elle avait des pieds énormes et une voix très dure, que les petites jumelles n'aimaient pas entendre. Par contre, Mademoiselle goûtait fort la plaisanterie et quand quelque chose l'amusait, elle éclatait d'un rire sonore et tonitruant, lequel mettait toute la classe en liesse. Pat et Isabelle eurent plusieurs conflits avec Mademoiselle, parce que, en dépit de leur connaissance du français — qu'elles parlaient et comprenaient fort bien —, elles ne s'étaient jamais beaucoup préoccupées de syntaxe et de grammaire. Et Mademoiselle en faisait grand cas. — Oh ! vous, Patricia et Isabelle, s'écriait-elle souvent, il ne suffit pas de parler ma langue, je vous affirme que vous l'écrivez abominablement mal. Voyez cet essai, c'est abominable, abominable ! (1) En français dans le texte original.

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« Abominable » était l'adjectif de prédilection de Mademoiselle, Elle l'employait à toutes les sauces; pour le temps qu'il faisait, pour un crayon qui se brisait, pour les élèves qui bavardaient, et pour son propre pince-nez, quand il lui glissait du nez. Pat et Isabelle l'avait surnommée entre elles «Mademoiselle Abominable» et elles étaient secrètement effrayées de cette grande, bonne et bruyante Française. L'histoire d'Angleterre était enseignée par Miss Kennedy et sa classe était un vrai champ de bataille. La pauvre institutrice était sans autorité aucune et elle ne pouvait donner cours cinq minutes sans qu'un désordre indescriptible ne régnât aussitôt. Elle était fort nerveuse et avait un souci constant de bien faire, elle était toujours extrêmement polie, écoutait avec intérêt chaque question posée par les enfants — aussi stupide fût elle — et expliquait tout avec force gestes et détails. Elle ne paraissait jamais se rendre compte que les élèves se moquaient d'elle. — Avant l'avènement de Miss Kennedy, nous avions son amie, Miss Lewis, expliqua Hilary aux jumelles. Elle était merveilleuse. Puis, elle tomba malade et, au milieu du dernier trimestre, elle pria la directrice de la faire remplacer par son amie, Miss Kennedy, jusqu'à sa guérison. La vieille Kenny a tous les diplômes et est encore bien plus savante que Miss Théobald, mais, ma parole, c'est une dinde !

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Petit à petit, les petites sœurs cataloguèrent donc les élèves et les professeurs et s'habituèrent aux us et coutumes du pensionnat, en s'y conformant tant bien que mal. Pourtant, malgré les deux semaines déjà écoulées, elles ne pouvaient se résigner à redevenir des cadettes sans prestige au lieu d'être traitées avec déférence, comme elles l'étaient dans leur école précédente. Une des choses qui les choquaient et les contrariaient le plus était cette coutume qu'on avait à St. Clare d'obliger les petites à servir les grandes. Les deux classes supérieures possédaient, pour leurs élèves, des chambres d'études individuelles, ou que deux jeunes filles se partageaient. Elles pouvaient arranger les meubles et disposer les bibelots à leur fantaisie et, en hiver, elles étaient autorisées à faire un feu ouvert et de prendre le thé entre elles au lieu de rejoindre les autres dans le hall.: Un beau jour, une messagère fit irruption dans la salle commune de première où les jumelles lisaient en compagnie. Elle interpella Janet. — Hé, Janet, Kay Longden a besoin de toi. Tu dois venir allumer son feu et faire des toasts. Janet se leva sans un mot et s'en alla. Pat et Isabelle étaient ébahies. — Mon Dieu, quel culot, cette Kay Longden d'envoyer ainsi un message à Janet. Je suis parfaitement sûre que je n'irai jamais allumer le feu de personne, moi, s'indigna Pat. — Ni moi-non plus, renchérit sa sœur. Qu'une des servantes le fasse ou Kay elle-même.

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Hilary leva les yeux de sa broderie. — Ce sera pourtant votre tour la prochaine fois, ditelle calmement. Attendez-vous a de semblables demandes pour la semaine prochaine, mes chères jumelles. Si les grandes ont des corvées à faire, elles exigent que nous les fassions pour elles. C'est l'habitude à St. Clare. Et de toute façon, cela ne nous dérange pas. Nous nous ferons servir à notre tour lorsque nous serons les aînées. — Je n'ai jamais entendu pareille sornette, clama Pat en fureur. Je n'irai certainement jamais travailler pour personne. Nos parents ne nous ont pas envoyées à St. Clare pour être les servantes des paresseuses des classes supérieures. Qu'on leur laisse donc faire leurs feux et leurs toasts elles-mêmes, Isabelle et moi ne nous en mêlerons pas. Et elles ne pourront pas nous y forcer et... — Boum ! patatras ! s'exclama Hilary, quel volcan, tu fais, éloigne-toi donc de ma modeste petite personne, Pat, tu vas prendre feu. Pat ferma violemment son livre et fonça hors de la chambre, Isabelle sur ses talons. Toutes les petites filles s'esclaffaient. — Quelles idiotes, dit encore Hilary. Qui croientelles qu'elles sont ? Pourquoi sont-elles si dépourvues de bon sens ? Elles ne seraient pas du tout si impossibles si seulement elles ne ruaient pas ainsi toujours dans les rangs. Je vote pour que nous les aidions à arrondir les angles, sinon

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Nous finirons par les prendre sérieusement en grippe ce qui ne convient évidemment pas. - Ail right, répondit Vera. Je vote. Ça va barder le jour où elles devront servir une grande. Je souhaite qu'elles tombent sur Belinda Towers. Je l'ai eue au trimestre dernier, mais sapristi, ce qu'elle m'a fait marcher ! Elle s'était mise en tête que j'étais paresseuse et je suis sûre que j'ai perdu quelques kilos à courir à gauche et à droite pour ses beaux yeux ! Les enfants riaient. Sheila Naylor prononça, avec dédain : — Le pire avec ces gens qui font tant d'histoires, c'est qu'ils ne sont généralement rien du tout. Je ne me donnerais pas la peine de reconnaître ces O'Sullivan si je les rencontrais dans le monde. — Oh, descends de ton piédestal, Sheila, répliqua Hilary. Les jumelles ne sont pas méchantes. « Ça n'empêche qu'il y a pas mal de conflits en perspective pour chacune d'elles », acheva-t-elle en pensée. En effet, les ennuis surgirent la semaine suivante.

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CHAPITRE IV.

UN PEU D'ENNUI POUR LES JUMELLES Donc un jour, vers cinq heures et demi, alors que les petites sœurs écrivaient chez elles, une grande passa la tête à la porte de la chambre commune., — Hé, là dedans, où sont les jumelles O'Sullivan. Belinda Towers a besoin de l'une d'elles. Pat et Isabelle levèrent le nez. Pat rougit violemment. — Pourquoi a-t-elle besoin de nous ? — Comment le saurai-je ? répliqua la messagère. Elle est allée se promener à la campagne cet après-midi et peutêtre est-ce pour nettoyer ses godasses. N'importe, mettez les voiles, si vous ne voulez pas vous faire attraper. La messagère disparut. Les petites filles reprirent leur correspondance. Hilary les regarda. — Allez vite, idiotes, Une au moins de vous deux doit aller voir ce que Belinda désire. Ne la faites pas attendre. Elle a un caractère aussi violent que le tien, Pat. — J'irai, dit Isabelle. Et elle se leva. Pat la repoussa brusquement sur sa chaise.

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— Non, tu n'iras pas. Je ne vais nettoyer les bottines de personne, ni toi non plus. — Ecoute, Pat, ne sois pas stupide, intervint Janet. Belinda peut avoir quelque chose à te demander. Elle veut peut-être que tu joues dans un match, elle est capitaine, tu sais. — Oh ! je ne crois jamais que c'est quelque chose de ce genre. Ni Isabelle ni moi n'avons joué au lacrosse avant de venir ici et nous nous en sommes encore très mal tirées hier. -— Et bien, allez-y tout de même, insista Hilary. Il faudra de toute façon finir par là, donc, autant le faire de bonne grâce et tout de suite. Au même instant, une deuxième jeune fille entra en trombe en criant : — Dites donc, Belinda écume. Où sont ces O'Sullivan. Elles auront chaud si elles ne se grouillent pas! — Viens donc, concéda Pat. Allons voir ce qu'elle nous veut. Mais tu ne feras pas le nettoyage de ses souliers, ni son feu, ni rien du tout, ça, c'est bien décidé, et moi non plus ! Elles se levèrent alors et quittèrent la chambre. Toute la classe se tordait. — Si du moins, je pouvais aller voir ce qui leur arrive, dit, en riant, Janet. J'adore voir Belinda fulminer. Belinda Towers était dans sa chambre d'étude avec Pamela Harrison, sa compagne de chambre. Pat ouvrit brusquement la porte. — Vous ne pouvez pas frapper ? s'écria Belinda. Quel culot, entrer comme cela !

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Et j'aimerais bien savoir pourquoi vous avez mis tout ce temps pour vous amener. Il y a un siècle que je vous ai fait appelée, lança-t-elle à Pat qui ne s'attendait pas à une telle rebuffade. Isabelle n'osait rien dire. — Et bien, n'avez-vous pas de langue par dessus le marché, pas même une pour vous deux? Ma parole, Pam, as-tu jamais contemplé une telle paire de sottes ? Enfin, puisque vous voilà toutes les deux, vous pouvez vous partager la besogne. Mes bottines doivent être nettoyées et celles de Pam également puis il faut faire mon feu et mettre ma bouilloire à bouillir. L'eau se trouve au bout du couloir. Viens, Pam, allons chercher nos bouquins et pendant ce temps, l'eau bouillera et nous ferons notre goûter. Les deux grandes s'apprêtaient à sortir quand Pat, très rouge et en colère les arrêta, —• Je ne suis pas venue à St. Clare pour être la servante des grandes, commença-t-elle, pas plus qu'Isabelle, d'ailleurs. Nous ne nettoierons donc pas vos souliers, nous ne ferons pas votre feu et nous ne mettrons pas votre eau à bouillir, Belinda s'arrêta net. Elle regarda Pat comme si elle appartenait à une espèce d'insectes particulièrement néfaste, puis, se tournant vers Pam : — As-tu entendu ça? Parle-moi d'une audace! Très bien, ma fille : promenades en ville supprimées, alors. Et souviens t'en ! Les jumelles regardèrent Belinda sombrement. En effet, on leur permettait d'aller en ville, deux à deux, une fois par semaine, pour faire leurs

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menus achats, regarder les étalages et même aller au cinéma. Sûrement, Belinda n'avait pas l'autorité voulue pour empêcher cela ! — Je crains que tu n'aies pas le droit de dire cela, répliqua Pat. Je vais aller trouver Winifred James et tout lui raconter, elle me dira ce qu'elle en pense. — Eh bien merci, dit Belinda en courroux — ses cheveux rouges semblaient lancer des flammes — vous voulez absolument créer un incident. Allez donc vite raconter vos stupidités à Winifred, je vous en prie. Et voyez ce qui s'en suivra. Pat et Isabelle de sortir avec dignité. Isabelle était très contrariée : elle aurait voulu rester et exécuter les ordres de Belinda, mais Pat était lancée dans le sentier de la guerre. Elle prit possession du bras d'Isabelle et s'en alla frapper à la porte de Winifred James. La monitrice ne partageait sa chambre avec personne. — Entrez, dit Winifred. Elle travaillait à sa table. — Qu'il y a-t-il ? je suis assez occupée. — S'il vous plaît, Winifred, implora Pat, Belinda Towers nous donna des ordres pour nettoyer ses souliers, pour faire du feu dans sa chambre et mettre de l'eau pour son thé, et quand nous lui avons dit que nous n'étions pas sa servante et que nous ne ferions rien pour elle à aucun prix, elle nous répliqua que nous n'irions plus en ville. Nous sommes venues vous demander si elle avait ce pouvoir.

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— Je pense bien, s'exclama Winifred. C'est la coutume à St. Clare que les plus jeunes rendent de menus services aux aînées. Ça ne leur fait pas de tort, allez! Et ma foi, quand on va à Rome, ne faut-il pas faire comme on fait à Rome? — Nous n'avions pas du tout envie de venir ici, donc, nous ne voulons pas non plus suivre de stupides coutumes de ce genre, s'échauffa Pat. N'est-ce pas, Isabelle ? Isabelle secoua la tête. Elle ne pouvait imaginer comment sa sœur trouvait le courage de dire tout cela. Ses genoux tremblaient. Elle n'était jamais tout à fait aussi brave que Pat. — Je crois que j’attendrais un peu avant de décréter nos coutumes comme ridicules, fit doucement Winifred. Maintenant, écoutez : savez-vous, au moins, nettoyer des bottines, savez-vous allumer un feu et mettre de l'eau à bouillir ? — On ne nous imposait pas de telles corvées à Redroof, répliqua Pat, et à la maison non plus. — Je ne crois jamais que j'en sortirais pour nettoyer de vieilles godasses pleines de boue, se lamenta Isabelle, pensant que, peut-être, si elle disait cela, Winifred les dispenserait d'une telle besogne. — Grand Ciel, s'écria alors Winifred étonnée. Penser que vous avez tantôt quinze ans et que vous ne savez pas encore rendre propres des souliers boueux ? Quelle honte ! C'est une raison de plus pour que vous appreniez tout de suite. Retournez auprès de Belinda et faites ce qu'elle vous dit. Je la connais, elle est très impulsive et

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vous ferait vilainement attraper et, en conscience, je crois que vous le mériteriez. Ayez un peu de bon sens. Winifred retourna à ses livres. Les jumelles, rouges jusqu'à la racine des cheveux, sortirent en fermant nerveusement la porte. Quand elles furent dehors, elles se regardèrent, interdites. — Je ne nettoierai pas ces bottines de malheur, même si on me tient prisonnière jusqu'à Noël, décréta Pat, très en colère. — Oh ! Pat, et moi qui voudrais tant avoir de nouvelles attaches pour mes cheveux, et du chocolat, viens, nous ferions mieux de nous soumettre. Les autres vont nous trouver stupides si nous continuons à faire des objections à propos de tout. Elles rient déjà bien assez de nous sans cela ! — Et bien, fais-le, si tu veux, moi, je ne le ferai pas, grogna Pat. Et elle prit le large, le nez en l'air, en plantant là sa petite jumelle. Isabelle réfléchit un court moment. « En supposant que je m'applique à cette besogne pour Belinda » songea-t-elle, je pourrais aller en ville et comme Pat est exactement pareille à moi, elle pourrait y aller à son tour. Il suffirait, pour cela, que nous y allions des jours différents et avec une autre compagne. Personne ne le saura jamais. Et Belinda sera attrapée de belle façon. Isabelle alla donc chez Belinda. La chambre était vide. Par terre se trouvaient les deux fameuses paires de bottines, maculées de boue. Les

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deux grandes avaient du se promener à travers champs. « Mon Dieu, comment s'y prenait-on pour rendre propres de telles horreurs ? » Elle entendit des pas dans le couloir et ouvrit la porte. Elle vit Kathleen Gregory et l'appela. — Kath, regarde les affreuses godasses, comment doit-on faire pour les nettoyer ? — Tu dois tout d'abord prendre ce petit couteau et faire tomber l'argile, ensuite, tu les cireras. Viens, je vais t'aider. Et à elles deux, elles eurent bien vite raison des deux paires de bottines. Kathleen bavarda tout le temps, racontant combien elle était gâtée chez elle et tous les cadeaux qu'elle recevait et l'argent qu'on lui envoyait pour son anniversaires Isabelle écoutait poliment, pleine de gratitude pour la gentillesse de sa compagne qui voulait bien l'aider ainsi, mais pensant tout de même qu'elle était un peu sotte. Après tout, qui ne recevait pas de cadeaux à son anniversaire et de l'argent aussi ? Quand les souliers furent rangés, elles s'attaquèrent au feu, et c'est encore Kathleen qui alla chercher l'eau pour le thé. A ce moment, Belinda et Pamela revinrent. — Ah ! tu t'es donc résignée à être raisonnable, dit Belinda. Où est ta sœur, t'a-t-elle aidée ? — Non, répondit Isabelle, sans autre commentaire. — Eh bien, dis-lui de ma part que ses sorties

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en ville sont supprimées jusqu'au jour où elle aura fait sa part. Belinda se jeta sur une chaise. — Je ne tolérerai pas que des nouvelles viennent faire la loi ici, comme si cette chère vieille maison leur appartenait. L'eau bout-elle ? Mais, sapristi, elle est encore froide! Quand donc cette bouilloire a-t-elle été mise sur le feu ? — Je viens de la mettre à l'instant. — Je suppose que l'idée ne t'est pas venue qu'il eût peut-être été malin d'allumer le feu et de mettre l'eau bouillir pendant que tu cirais les bottines ? ricana Belinda. Je me demande quelquefois à quoi des gosses comme vous, peuvent bien penser ? A votre âge j'avais infiniment plus de bon sens. Tu peux disparaître à présent et tâche d'être plus rapide une prochaine fois. Isabelle sortit. Au moment où elle refermait la porte, Belinda glapit encore : — Et ne manque surtout pas de répéter: à ton entêtée de sœur ce que j'ai dit. Si elle désobéit encore une fois, je ferai mon rapport à Miss Théobald. Isabelle s'encourut ! Elle était fâchée, contrariée et, ce qui est plus grave, se sentait fort stupide. Pourquoi, mais pourquoi donc n'avaitelle pas mis la bouilloire au feu en premier lieu ? Ce n'était pas étonnant que Belinda l'avait trouvée bornée. Isabelle s'empressa de confier à Pat ce qui lui était arrivé.

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- Et elle a encore répété que tu ne pouvais pas aller en ville avant d'avoir fait ta tâche pour une grande. Mais, écoute, tu pourras tout de même y aller, sais-tu, Pat. Personne ici ne soupçonnera si c'est toi ou si c'est moi. Je ne pense pas que quelqu'un puisse déjà nous différencier. — Ça va, admit Pat, sans la moindre manifestation de reconnaissance. Mais je dois tout de même te dire que je ne suis pas très fière de toi pour avoir cédé ainsi, Isabelle. Tu te rends compte ? Nettoyer ces sales bottines ? - Mais cela m'a plutôt amusé, répondit Isabelle. Kathleen m'a gentiment aidé. D'abord, nous... — Oh ! ferme ça, maugréa Pat méchamment. Va plutôt écrire un roman sur la façon d'être l'esclave des grandes, si tu veux, mais ne m'en rabâche pas les oreilles. Isabelle était froissée. Heureusement, Pat ne pouvait rester en brouille avec elle bien longtemps. Avant qu'une heure se fût écoulée, elle avait déjà passé son bras sous celui d'Isabelle. - Je regrette, ma vieille branche, murmura-t-elle. En réalité, ce n'est pas contre toi que j'étais lâchée, mais bien contre cette Belinda. C'est toi qui a encaissé, voilà tout. Ne t'en fais pas, je tromperai Belinda comme et quand je voudrai. Kl j'irai en ville tant que cela me chante, en me faisant passer pour toi. Pat tint bon. Elle alla sans scrupule en ville, I HT nant le nom et la place de sa sœur et personne ne s'en aperçut. Comme les jumelles riaient sous

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cape, de leur bon tour ! C'était amusant de faire la nique à Belinda ! Mais, quelque chose arriva ! Pat était sortie avec Kathleen après le thé quand une messagère entra dans la salle commune. Isabelle remontait le gramophone et sursauta en entendant crier le nom de Pat. — Patricia O* Sullivan, Belinda te demande ! Patatra ! ! — « Et bien, tant pis, je vais faire semblant d'être Pat » pensa Isabelle. « Mais pourquoi donc Belinda a-t-elle besoin de Pat ? C'est mon tour à faire la besogne pour elle maintenant. Elle sait que Pat ne la fait pas ». Elle apprit bien vite ce que la grande lui voulait. Le capitaine de sport dressait une liste quand Isabelle pénétra dans sa chambre. — Patricia O'Sullivan, tu as magnifiquement joué au lacrosse hier, à l'entraînement, je t'ai observée. Tu es une gosse stupide et obstinée, mais je ne prends pas cela en considération quand il s'agit de former une bonne équipe pour St. Clare. Je t'inscris donc pour le match de samedi. Isabelle ne savait quelle contenance prendre. Comme Pat allait être contente ! Isabelle réussit à murmurer un remerciement et se sauva, attendant avec impatience le moment où elle pourrait annoncer la bonne nouvelle à sa sœur. Quand Pat fut mise au courant, elle en resta muette d'étonnement.

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— Déjà, dans un match, s'écria-t-elle après un silence. Comme c'est chic de Belinda. Si elle avait eu de la rancune, elle aurait très bien pu m'ignorer pendant des mois avant de m'inscrire en match ! Puis, elle médita un instant et s'en alla pensivement, toute seule et soucieuse. Isabelle comprenait fort bien ce qui tracassait sa petite sœur, parce que les mêmes sentiments l'animaient. Lorsque Pat revint, elle prit Isabelle par le bras. — Je me sens terriblement coupable, maintenant. Je t'ai laissée faire toutes les corvées et je me suis baladée en ville autant que je voulais, et, en majeure partie, pour braver Belinda. Je pensais que j'étais très maligne, je ne le pense plus, à présent ! — Moi non plus. Je me juge même mesquine et malhonnête. C'est très chic de la part de Belinda de te faire jouer en match déjà samedi, alors qu'elle est en droit d'être bien en colère contre toi ! C'est nous qui n'avons pas été convenables du tout. Et, tu sais, Pat, cela ne me fait, là, vraiment rien, de chipoter un peu pour les grandes. C'est même très amusant et elles sont très gentilles. Il n'y a pas de quoi s'en faire pour une bouilloire à mettre sur un feu ou pour quelques toasts à faire rôtir. Belinda bavarde beaucoup avec moi, maintenant, et je ne te cache pas que je l'aime bien, quoique son caractère violent me fasse toujours un peu peur.

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Pat se frotta vigoureusement le bout du nez et fronça les sourcils. C'était une manie qu'elle avait quand quelque chose ne tournait pas rond. Tout d'un coup, elle se leva et se dirigea vers la porte. — Je m'en vais dire à Belinda que je l'ai trompée, décida-t-elle. Je ne veux pas jouer dans le match de samedi avec une conscience trouble.; Et elle s'en fut. Belinda ne cacha pas sa surprise de trouver devant elle cette Pat si peu commode. Elle crut donc avoir à faire à Isabelle. — Allô, Isabelle, je ne t'ai pas fait demander. — Je ne suis pas Isabelle, je suis Patricia. Je viens te parler à propos du match de samedi. — Mais je n'ai, à ce sujet rien d'autre à te dire que... — C'est justement ça. Ce n'est pas à moi que tu t'es adressée tantôt mais bien à Isabelle. Elle s'est substituée à moi, parce que j'étais allée en ville pour te braver. Nous sommes pareilles, Isabelle et moi, personne ne s'aperçoit que je vais en ville à sa place. — Plutôt un vilain truc, Pat. — Je le sais, reconnut Pat très troublée. Je le regrette beaucoup. Je suis venue te remercier pour le match, mais je ne m'attends pas à y jouer maintenant. Il va falloir me remplacer, Belinda. Je ne pouvais pas supporter que tu sois si chic avec moi alors que, de mon côté, je te trompais ainsi. Je devais te le dire et te dire aussi que, dorénavant, je compte faire mes corvées moi-même

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au lieu de les laisser faire ma sœur. J'ai été stupide, Belinda; c'est tout. — Non, ce n'est pas tout, répliqua Belinda gentiment. J'ai, moi aussi, quelque chose à te dire. Ce que tu as fait est passablement mesquin, mais tu as eu assez de courage pour t'en accuser et pour offrir de réparer. N'en parlons plus et tu joueras en match, samedi, comme convenu. Pat fonça sur Isabelle, le cœur débordant d'allégresse. Quelle chic fille, cette Belinda, comment elle, Pat, avaitelle jamais pu croire le contraire? — Et je la ferai bouillir, va, sa sacrée vieille bouilloire, et je les frotterai jusqu'à la mort, les horribles godasses, tiens, je nettoyerai même sa chambre, s'il le faut et, foi de Pat, je marquerai au moins douze goals samedi après-midi ! Elle ne marqua pas ses douze goals mais elle en réussit un, très difficile et elle entendit avec bonheur les voix combinées d'Isabelle et de Belinda qui hurlaient: Bon shot, Pat, hurrah, hurrah!

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CHAPITRE V.

UNE BATAILLE AVEC MADEMOISELLE Chaque fin de semaine, on distribuait un bulletin. Pat et Isabelle étaient habituées à être parmi les premières dans quasi toutes les branches et c'était avec autant de honte que d'étonnement qu'elles se virent classées dans les dernières à St. Clare. Hilary, bonne petite âme compatissante, s'aperçut combien elles en étaient malheureuses et les aida de son mieux en leur disant : — Vous devez penser que vous venez à peine d'arriver, alors que la plupart d'entre nous sommes déjà ici depuis un ou deux trimestres. Nous sommes habituées à la routine de St. Clare. Courage ! C'était surtout Mademoiselle Abominable qui tracassait les deux petites sœurs. Elle ne leur passait rien et quand elles élaboraient des essais ou des rédactions en dépit du bon sens, elle se mettait en colère pour tout de bon. Ce jour-là, elle avait, devant elle, la pile de cahiers de français, tous soigneusement annotés de « Très Bien », de Bien et même d'Excellent, mais

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la mention pour Pat et Isabelle était « abominable » ! — Ceci ne convient pas, tonitruait Mademoiselle et frappant de sa large main sur le tas de cahiers. C'est abominable; vous me recommencerez cet essai, sans fautes, aujourd’hui même et vous me l'apporterez après le souper. — Nous ne pouvons pas le recopier aujourd'hui, commença poliment Isabelle. Nous avons notre cours de dessin cet après-midi et, après le goûter, nous avons la permission d'aller au cinéma. Nous n'aurons donc pas le temps. Pouvons-nous le faire demain ? — Oh ! que vous êtes insupportables ! Comment osez-vous parler ainsi. Vous me soumettez un essai impossible, oui, impossible, et puis, vous projetez tranquillement 'aller au cinéma ! Vous n'irez pas au cinéma ! Vous, resterez ici et recopierez votre devoir et si, après l'avoir recopié, il reste encore une faute, vous le recommencerez encore, ça c'est certain ! — Mais... mais Mademoiselle, nous avons nos tickets. Les places devaient se prendre en location, nous... — Je ne m'inquiète pas de vos places en location, coupa Mademoiselle, perdant patience. Tout ce qui m'intéresse, c'est que vous sachiez le français, ce pourquoi je suis ici. Et vous m'apporterez vos essais corrigés et recopiés ce soi-même. Isabelle allait fondre en larmes. Pat, elle, avait plutôt envie de se fâcher aussi et sa fameuse lèvre

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inférieure était dans une bien dangereuse position. Les autres petites élèves s'amusaient et se réjouissaient secrètement de ce que les petites , pestes fussent attrapées de la sorte. Après cette algarade, aucune d'elles n'osa bouger le petit doigt et la leçon se poursuivit en silence. Pourtant, Pat, boudait ostensiblement et ne suivait le cours que de très loin. Après la leçon, les 4eux sœurs se concertèrent: — Je vais au cinéma, décida Pat. — Oh non! Pat, dit Isabelle choquée, nous ne pouvons pas faire cela. Nous serions trop fortement punies. Nous ferions mieux d'y renoncer et de recommencer notre devoir. Pour l'amour du Ciel, faisons-le ! — Je vais au cinéma, s'obstina Pat. Je recopierai bien cet idiot d'essai d'une façon ou d'une autre et toi aussi. Nous le ferons après le souper. Ça m'est bien égal si ce n'est pas bien fait. Mais, après le déjeuner, elles furent convoquées pour organiser l'itinéraire des promenades de botanique, et puis, la leçon de dessin les absorba tout l'après-midi. Isabelle commençait à s'inquiéter. Si jamais Pat avait vraiment pris la décision d'aller au cinéma, sans avoir recommencé leur devoir de français, comment, oui, comment l'en dissuader ? Et Mademoiselle, que dirait-elle ? — Laissons plutôt notre thé, proposa Isabelle en descendant les escaliers, après la leçon de dessin. Nous aurons le temps d'écrire notre essai.

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— Manquer mon thé, tu n'es pas folle ? D'ailleurs, j'ai fort faim. Je ne sais comment cela se fait, mais la leçon de dessin me donne toujours un appétit féroce. Et de plus, Janet vient de recevoir un grand pot de confiture de prunes et elle a promis une distribution générale. Je ne vais tout de même pas manquer cela ! Isabelle, en somme, avait faim aussi et elle céda. Elle savait pourtant que, si elles voulaient arriver au cinéma pour le début du film, elles n'avaient pas une minute à perdre! Et elle pensait : Je n'irai pas au cinéma. Je n'oserais jamais. Je crois que Mademoiselle Abominable se transformerait en volcan si elle l'apprenait. Mais, après le goûter, Pat l'entraîna au dortoir prendre ses vêtements de sortie. — Tu ne penses pas sérieusement que nous allons y aller, Pat, s'écria-t-elle. — Bien sûr que nous y allons, nos places sont retenues, allons, amène-toi. -— Mais Pat, nous allons nous mettre dans une situation impossible. Ça n'en vaut pas la peine. Peut-être que Mademoiselle nous donnera une heure de travail supplémentaire par jour pour Dieu sait combien de temps. Janet m'a raconté qu'elle avait dû, pendant toute une semaine, rester à l'étude après le goûter et conjuguer des verbes français. Et cela pour avoir osé répliquer une toute petite fois. Je t'assure que ce que nous allons faire nous vaudra une autre punition que celle-là. — Ne sois donc pas si lâche, Isabelle. J'ai un

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plan. Mademoiselle nous a dit que nous lui soumettions notre essai après le dîner, n'est-ce pas ? Eh bien, quand nous serons au lit, nous nous lèverons, nous descendrons travailler et nous irons porter notre essai à Mademoiselle. — Pat, tu n'oserais pas faire cela, s'écria la pauvre Isabelle à bout d'arguments. Pense donc, aller à la recherche de Mademoiselle à une heure aussi tardive. Tu dois être folle ! — Eh bien, si je suis folle, c'est à cause de Mademoiselle et de son fichu français. De toute façon, je me moque de ce qui va arriver. Tu sais, comme moi, que nous n'avions pas du tout envie d'aller à St. Clare et, si on continue à nous traiter de la sorte, nous n'y resterons pas. Je me ferai renvoyer. - Pat, tu ne peux pas dire de pareilles choses. Songe à papa et à maman, quel chagrin ils auraient. — C'est bien leur faute! Qu'avaient-ils besoin de nous envoyer ici ? — Oui, mais, pense donc, Pat, comme ce serait épouvantable si on apprenait à Redroof que nous sommes mises à la porte de St. Clare, fit Isabelle doucement. Les yeux de Pat se remplirent de larmes. — Arrive, va, je ne changerai pas d'idée pour cela. Décide-toi, si tu ne viens pas, à ton aise, reste là à être lâche toute seule. Mais Isabelle ne voulait pas rester seule ! Elle mit donc son chapeau et son manteau. Sur ces

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entrefaites, Janet fit irruption dans le dortoir au moment où les jumelles en sortaient. - Alors, s'exclama-t-elle. Vous allez au cinéma malgré tout. Quand donc avez-vous trouvé le temps de recopier votre devoir de français ? — Nous ne l'avons pas recopié, répondit Pat. Janet. fit alors entendre un de ces longs sifflements dont elle avait la spécialité et regarda les deux petites sœurs fort surprise. — J'aimerais autant ne pas être à votre place demain quand vous débiterez vos sornettes à Mademoiselle. Vous êtes, entre nous, une fameuse paire d'idiotes. Je ne parviens pas à comprendre pourquoi vous vous compliquez l'existence à ce point ! Les jumelles ne trouvèrent rien à répliquer. Elles se hâtèrent et furent bientôt en ville. Mais ni l'une ni l'autre ne s'amusa. Elles furent obligées de quitter le spectacle un peu avant la fin pour être à l'heure au dîner. Ensuite, Winifred James, la monitrice, donna une conférence où toute l'école assistait, elles ne purent y échapper. A neuf heures, sans avoir eu une minute à elles, elles montèrent au dortoir en bavardant et en riant avec leurs petites compagnes. Généralement, quand elles étaient au lit, une maîtresse montait voir si tout était bien rangé, si tout le petit monde dormait, puis éteignait les lumières. Mais, exceptionnellement, aujourd'hui, cette tâche incombait à Hilary, la monitrice du dortoir. — Miss Roberts est auprès de Miss Théobald, annonça-t-elle.

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Je suis de garde ce soir. Dépêchez-vous, toutes, les lumières doivent être éteintes dans cinq minutes. Vous devrez vous débrouiller dans l'obscurité si vous n'êtes pas prêtes. Deux élèves, Doris et Joan entreprirent un combat avec leurs oreillers en signe de réjouissance à la nouvelle que Miss Roberts ne viendrait pas. Elles s'amusaient beaucoup et riaient aux éclats. Ce ne fut plus du tout aussi gai quand un des deux oreillers céda et que les plumes voltigèrent allègrement de par le dortoir. — Mon Dieu, dit Joan consternée, regarde donc toutes ces plumes ! Hilary, je t'en supplie, n'éteins pas encore. Je dois à tout prix les rassembler. — Je regrette. Il faudra que tu fasses cela demain matin. Les lumières doivent s'éteindre à l'instant. Miss Roberts va passer dans une heure, espérons qu'elle ne découvrira pas les plumes. Elle croirait que c'est le chat qui a poursuivi les poules jusqu'ici. Les lumières s'éteignirent. Toutes les petites filles étaient au lit, sauf Joan et Doris qui battaient le rappel des plumes. Elles devaient encore se débarbouiller et se laver les dents, dans l'obscurité. Joan renversa son gobelet et Doris se cogna la cheville et grogna. Janet, elle, avait le fou rire et Kathleen Gregory rit à un tel point qu'elle en gagna le hoquet. — Tais-toi, Kathleen, gronda Hilary. Tu le fais exprès, d'avoir le hoquet. Je te connais, va !

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— Ce n'est pas vrai, dit Kathleen indignée et elle hoqueta de plus belle. Tant et tant que son lit en était tout secoué. Janet ne cessait pas de rire. Chaque fois qu'elle se calmait un peu, un nouveau hoquet de Kathleen la remettait en joie. Ça promettait de ne pas finir. Hilary se fâcha et s'assit sur son lit. — Vous n'êtes pas chics, leur lança-t-elle. Si quelqu'un arrive et entend ce tapage c'est moi qui encaisserai parce que j'ai la charge du dortoir. Allons, ferme ça, Janet et toi aussi, Kathleen et, pour l'amour du Ciel, va donc boire un peu d'eau. T'imagines-tu que nous allons pouvoir roupiller dans tout ce brouhaha ? — Je regrette, Hilary, geignit la malheureuse Kathleen hoquetant toujours. Je vais me lever et boire un peu. — Allez au lit, Joan et Doris, implora encore Hilary, qui décidément avait fort à faire, ça m'est égal que votre nettoyage ne soit pas terminé : ALLEZ AU LIT ! ! Après cinq bonnes minutes, la paix régna dans le dortoir à l'exception de quelques hoquets étouffés de Kathleen et du rire intermittent de Janet. Les petites jumelles, pendant tout cet intermède, restaient éveillées et guettaient le moment où toutes leurs petites compagnes seraient endormies. Le fait que Miss Roberts devait passer dans une heure les contrariait beaucoup, elles ne pouvaient certes pas attendre une heure entière

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avant de descendre faire leur travail. D'ailleurs, Mademoiselle serait au lit. — Isabelle, murmura Pat, je crois qu'elles sont finalement endormies, lève-toi et mets ta robe de chambre. — Mais... et Miss Roberts ? — Nous allons bourrer nos lits avec nos traversins pour leur donner la forme de nos corps, viens vite ! Elles se levèrent sans bruit et mirent leur robe de chambre. Elles poussèrent leurs traversins dans les lits souhaitant ardemment que Miss Roberts n'y vît rien d'anormal. Alors, elles se faufilèrent dehors, descendirent sans bruit l'escalier allumé d'une veilleuse et atteignirent sans encombre la chambre commune, laquelle était située sous le dortoir. Pat ferma la porte et éclaira. Les deux petites filles s'assirent et prirent leurs cahiers de français. Mademoiselle avait souligné chaque faute et elles se mirent à transcrire avec soin l'essai en question. — Le mien avait quinze fautes et j'espère que maintenant il n'en aura pas plus que cinq, dit Isabelle. Qu'elle aille au diable, Mademoiselle, j'ai tellement sommeil! Dis, Pat, oserons nous encore aller la rechercher à cette heure avancée ? Mes genoux s'entrechoquent de frousse, tu sais ! — Ne sois pas ridicule. Que peut-elle nous reprocher? Nous avons recommencé notre devoir, elle a demandé que nous le lui portions après

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Pat ouvrit la porte et les jumelles entrèrent... 60

le dîner, eh bien, c'est point par point ce que nous allons faire, n'est-ce pas ? Les essais étaient terminés. Maintenant elles devaient se mettre à la recherche de Mademoiselle, Où pouvait-elle bien être? Dans la chambre des professeurs ou dans sa propre chambre, ou bien où encore ? — Allons, viens, décida Pat enfin. Nous devons nous débrouiller. Courage, Isabelle. Les jumelles cherchèrent. La salle des maîtresses était vide et obscure, mais, en se mettant en route dans une autre direction, tout à coup, elles perçurent la voix tonitruante de Mademoiselle à travers la porte de la classe de troisième. — Quelle chance, la voilà, s'exclama Pat. Je me demande avec qui elle parle, mais ça n'a pas d'importance. Ce doit être avec la maîtresse de dessin. Miss Walkers et elle, sont assez amies. Elles frappèrent à la porte, les jumelles entrèrent et..., quelle ne fut pas leur stupeur de se trouver en présence, non seulement de Mademoiselle, mais aussi de Miss Théobald en personne ! Les pauvres gosses furent à ce point ahuries, qu'elles restèrent figées sur place, les yeux écarquillés de crainte. Mademoiselle dit : « tiens » d'une voix sonore et Miss Théobald ne dit rien du tout. Mademoiselle revint la première de sa surprise. — Qu'est-ce qui ne va pas ? Etes-vous malades, mes petites ? — Non, réussit à prononcer Pat, nous ne sommes pas malades. Nous venons simplement

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vous apporter notre essai recopié. Vous nous avez dit de vous l'apporter après le dîner et le voilà ! — Mais pourquoi si tard ? dit alors Miss Théobald de sa voix profonde et sérieuse. Vous devez savoir que Mademoiselle a certainement voulu dire « avant d'aller au lit ». — Nous n'avons pas eu un moment de libre l'aprèsmidi, répliqua Pat, se sentant devenir très ridicule. Nous sommes sorties de nos lits et sommes venues travailler dans la salle commune. — Oh, les vilaines comploteuses ! Elles sont allées au cinéma malgré ma défense et au lieu de recommencer leur devoir, s'écria Mademoiselle, déjouant leurs machinations. Ah ! Miss Théobald, ces jumelles me donnent des cheveux gris. Les devoirs qu'elles me fabriquent ! Il est incroyable qu'elles soient déjà allées à l'école avant de venir ici. C'est abominable ! — Nous sommes allées à l'école et c'était une bien bonne et belle école encore, s'indigna Pat. Beaucoup, beaucoup meilleure que St. Clare ! Il y eut un silence plein d'inquiétude, après cette profession de foi intempestive et déplacée. Miss Théobald était soucieuse. Mademoiselle ne retrouvait pas l'usage de la parole. — Je crois qu'il est plus sage de ne plus reparler de tout cela ce soir, dit enfin Miss Théobald. Il est beaucoup trop tard. Allez au lit, enfants, et venez dans mon bureau demain matin à dix heures. Demandez à Miss Roberts de vous excuser pendant un quart d'heure.

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Les jumelles bâtèrent en retraite, toutes penaudes, avec leur cahier sous le bras. Quelle malchance tout de même. Qu'allait-il se passer à présent ? Elles aimaient mieux ne pas penser à ce qui arriverait demain matin.

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CHAPITRE VI.

PAUVRE MISS KENNEDY

Hilary était éveillée quand elles se faufilèrent dans le dortoir, et elle demanda d'où elles venaient. — Miss Roberts est venue et elle a allumé. Cela m'a réveillé, raconta Hilary, J'ai alors découvert que vous aviez mis vos traversins dans vos lits, heureusement, Miss Roberts ne s'est aperçue de rien. Mais qu'est-ce qui vous a pris ? Pat fit le récit de ce qui venait de se passer. Hilary l'écoutait avec effroi. — Qu'est-ce que vous inventerez encore, vous deux ? En toute sincérité, je crois que vous êtes piquées. Personne ne croirait jamais que vous étiez monitrices dans l'autre école ; vous vous comportez comme des nouveaux-nés ! Les jumelles étaient d'autant plus contrariées qu'elles se rendaient compte qu'Hilary avait parfaitement raison. Elles grimpèrent dans leurs lits et se plongèrent dans d'amères réflexions. C'était

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très bien de tenir tête à tout le monde et d'oser répondre, mais, ensuite, ce n'était plus si drôle ! A dix heures, le lendemain, elles prièrent Miss Roberts de les excuser. Miss Roberts devait avoir été mise au courant parce qu'elle les laissa aller sans poser la moindre question. Quand elles se présentèrent devant Miss Théobald, celle-ci préparait des grandes feuilles d'horaires de cours et les pria de prendre place devant elle. Elle les maintint ainsi immobiles pendant quelques minutes. C'était, il faut bien l'avouer, passablement énervant ! Chacune d'elles était à bout de nerfs. Pat commençait à s'inquiéter sérieusement et se demandait si, tout de même, la directrice n'allait pas écrire à ses parents. Malgré toutes les bouderies et le peu d'enthousiasme qu'elle avait manifesté avant son entrée à St. Clare, il lui répugnait pourtant que Miss Théobald fit d'elle un rapport peu élogieux. Enfin, Miss Théobald s'occupa d'elles. Elle fit pirouetter sa chaise et fixa les jumelles bien en face. Elle paraissait on ne peut plus sérieuse, mais certainement pas en colère. — J'ai consulté les bulletins et les notes que votre père nous a transmis lors de votre admission ici, commença-telle, et, d'après cela, vous semblez avoir été de bonnes et consciencieuses petites élèves dans votre précédente école. Je ne puis pas imaginer que vous avez brusquement et complètement changé en quelques semaines donc, il n'entre pas dans mes intentions de vous traiter

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comme de méchantes fillettes sans conscience. Je crois qu'il doit y avoir une raison secrète à votre attitude hostile. En tout cas, vous nous avez fait une belle peur, la nuit dernière, à Mademoiselle et à moi-même quand vous êtes entrées, en peignoirs, dans cette classe. La directrice sourit alors. En voyant ce sourire, les petites filles furent libérées d'un grand poids et Pat raconta ce qui s'était passé à la leçon de français. — Le français n'est pas du tout enseigné comme dans notre ancienne école, et, ici, ce n'est même pas la peine que nous essayions de bien faire, tout est toujours mal et nous ne parvenons pas à contenter Mademoiselle. Ce n'est pas de notre faute et, hier, elle était en colère, et... Miss Théobald écouta Pat patiemment jusqu’a la fin. — Vos difficultés en langue française sont réparables, suggéra-t-elle. J'en ai parlé avec Mademoiselle et elle est d'accord pour estimer que vous parlez et comprenez fort bien, mais elle ajoute que votre grammaire et votre orthographe sont déplorables et elle s'offre très gentiment à f vous aider, pendant une demi-heure chaque jour jusqu'à ce que vous soyez au niveau des autres. C'est fort aimable de sa part, parce qu'elle est très occupée. Vos petits différends avec elle s'aplaniront si vous voulez bien nous aider un peu en vous appliquant. Et si j'ai votre promesse que vous allez faire votre possible, le dernier mot est dit sur votre stupide aventure d'hier au soir.

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Les jumelles étaient harcelées de sentiments divers et confus. Elles étaient fort soulagées de ce que l'incident d'hier fut clos, mais la perspective d'une leçon de français supplémentaire n'était guère souriante ! Quel ennui ! Et pourtant, comme c'était gentil de la part de Mademoiselle ! — Merci, Miss Théobald, fit Pat. Nous allons essayer. Quand nous aurons rattrapé les autres, nous ne nous sentirons plus honteuses d'être ainsi grondées devant toutes nos compagnes. — Mais, vous ne serez plus grondées du tout, si seulement Mademoiselle sent que vous faites un effort, déclara Miss Théobald. Maintenant, allez vous entendre avec elle pour les leçons qu'elle vous donnera en dehors des heures de classe et, s'il vous plaît, ne vous promenez plus par les couloirs aux heures que vous devriez être au lit depuis longtemps. — Non, non, Miss Théobald, dirent les petites en souriant. Tout leur sembla gai et facile à présent. Ce qu'elles avaient fait hier ne leur semblait plus un monument de désobéissance susceptible des pires sanctions mais seulement une peccadille dont elles étaient sincèrement honteuses. Elles allèrent donc dans la salle des professeurs. Mademoiselle était là, corrigeant des cahiers de français. Elle murmurait pour elle-même des appréciations diverses et variées. — « Très bien, ma petite Hilary. — « Ah ! cette terrible Joan ».

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Venez, venez donc, Patricia et Isabelle. Les petites sœurs s'approchèrent. Mademoiselle leur fit son plus large sourire en leur tapant amicalement sur l'épaule. Malgré son caractère impétueux, elle avait fort bon cœur. - Et maintenant, vous verrez comme vous allez bien vite vous mettre au courant, dit-elle : Tous les jours, vous travaillerez avec moi et nous serons bonnes camarades, n'est-ce pas ? — Merci, Mademoiselle, balbutia Pat. Nous avons été passablement stupides hier, cela n'arrivera plus. Donc, l'affaire arrangée, les leçons de français allèrent bon train, sans plus de heurts. Mademoiselle eut toute la patience voulue avec les petites sœurs et, elles, de leur côté, mettaient leur point d'honneur à faire tout leur possible. Mais, hélas, personne ne faisait son possible avec la pauvre Miss Kennedy. Janet était née moqueuse et farceuse et elle en faisait voir de toute les couleurs à l'infortunée professeur d'histoire. Janet avait, entre autres, une magnifique collection de crayons truqués. Et chaque truc, elle l'essayait au détriment de Miss Kennedy avec un succès toujours pareil. Un des crayons avait une pointe en caoutchouc et cette pointe se trimbalait dans tous les sens quand la pauvre maîtresse voulait s'en servir. Un autre avait la pointe qui disparaissait à l'intérieur du crayon aussitôt qu'on essayait d'écrire. Toutes les petites filles observaient le manège avec anxiété quand Miss Kennedy, sans

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arrière-pensée, employait ces crayons et les regardait avec étonnement quand ils se comportaient d'aussi bizarre façon. Alors, c'était, pour Janet, le moment choisi pour lui venir en aide en lui en offrant un troisième qui n'écrivait pas du tout, en dépit de sa pointe impeccable. De voir la pauvre femme appuyer de toutes ses forces pour essayer d'écrire mettait toute la classe en joie. — Enfants, enfants, s'il vous plaît, faites don' un peu moins de bruit, disait alors Miss Kennedy. Prenez vite votre livre à la page quatre-vingt-sept. Aujourd'hui, je voudrais vous enseigner comment les gens vivaient au dix-septième siècle. Comme un seul homme, toutes les élèves se mettaient à feuilleter furieusement leur livre d'histoire, faisant un bruit semblable à celui que ferait tous les arbres d'une forêt par vent d'orage. Elles tournaient, tournaient des pages en murmurant tout le temps « page quatre-vingt sept, page quatre-vingt sept... » — Quelle page disiez-vous, Miss Kennedy ? s'il vous plaît, demanda innocemment Kathleen, bien qu'elle le sût fort bien. — J'ai dit, page 87, répondit Miss Kennedy, poliment. Elle était toujours polie. Jamais brusque comme Mademoiselle, ni sarcastique comme Miss Roberts. — Oh, quatre-vingt sept, firent les élèves en chœur et, en route pour une nouvelle incursion dans le livre d'histoire. Les pages, cette fois, tournaient en sens inverse jusqu'à ce que, n'y tenant

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nant plus, le rire de Janet fusa et ce fut un signal pour toute la classe. Miss Kennedy frappa sur son pupitre : — Je vous en prie, du calme, mes enfants. Avançons donc notre leçon. — S'il vous plaît, Miss Kennedy, les gens portaientils des vêtements au dix-septième siècle ou simplement des peaux ? demanda Janet de son air le plus candide*. Miss Kennedy parut surprise. — Sûrement, Janet, tu sais qu'ils portaient des vêtements, répondit-elle. J'ai une image ici pour vous documenter à ce sujet. Tu devrais savoir qu'ils ne portaient plus de peaux depuis bien longtemps. — Pas même leur propre peau ? poursuivit Janet. Cette remarque n'était ni intelligente ni spirituelle, mais, pour lors, la classe était dans un tel état d'excitation, que tout le monde se mit à rire. — Peut-être étaient-ils sortis de leur peau et voilà pourquoi ils n'en portaient pas, enchaîna Hilary, Elles rirent toutes de plus belle; la moitié d'entre elles cependant n'avait pas même entendu la réplique d'Hilary. — Fillettes, je ne puis plus tolérer un tel vacarme. Je ne puis vraiment pas, se lamentait Miss Kennedy, il faudra bien que je fasse mon rapport. — Oh ! s'il vous plaît, s'il vous plaît, Miss Kennedy, chantonnèrent-elles toutes en chœur. Une élève fit même semblant de pleurer.

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Pauvre Miss Kennedy, Elle devait s'attendre .1 un désordre semblable à chacune de ses leçons. Les petites ne voulaient pas être cruelles ni méchantes, mais elles aimaient tant rire! Et il ne leur venait pas à l'esprit de penser à ce que devait '•prouver leur maîtresse. Elles pensaient simplement qu'elle était un peu dinde et devait supporter ce genre d'ennui. Un beau matin, alors que la classe était particulièrement bruyante, Janet imagina un plan à sa façon. Quand elle donnerait le signal : Boum ! chaque élève devait laisser choir son livre d'histoire. Donc, au signal, tous les livres tombèrent. Miss Kennedy sursauta. Soudain, la porte s'ouvrit pour donner accès à Miss Roberts. Elle enseignait dans la classe contiguë et quand le bruit, tel un coup de tonnerre, se produisit, elle décida qu'il était temps d'intervenir. — Miss Kennedy, j'ignore s'il est dans vos intentions de me communiquer le nom d'une ou de plusieurs élèves, commença-t-elle froidement, mais je serai contente de les connaître. Je suis persuadée qu'il vous est aussi désagréable qu'à moi d'enseigner dans tout ce tapage. Miss Roberts fit, du regard, le tour de la classe. Chaque petite fille était assise en silence, la plupart d'entre elles, rouges jusqu'à la naissance • les cheveux. Miss Kennedy rougit aussi. - Je regrette et je déplore tout ce bruit, Miss Roberts, vous voyez... Mais déjà Miss Roberts fermait la porte avec dignité. - Kenny ne donnera pas nos noms, murmura

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Janet à Isabelle. Si elle le fait, elle doit nous citer toutes et cela la gênerait énormément. Mjss Kennedy, en effet, ne fit aucun rapport, mais, dans la solitude de sa chambre, cette nuit-là, elle se fit beaucoup de chagrin. Elle était venue à St. Clare parce que son amie, Miss Lewis, la tenait en haute estime. Et maintenant, elle avait l'impression de ne pas être digne de cette opinion et elle se rendait compte qu'aucune élève n'avait avancé le moins du monde en histoire depuis qu'elle donnait cours. Et puis, Miss Roberts était intervenue et avait été glaciale et horrible et avait à peine fait attention à elle dans la salle des professeurs, après les heures de cours. Si elle allait se plaindre d'elle à Miss Théobald ? C'était terrible de se sentir bonne à rien et la pauvre Miss Kennedy ne trouvait aucun moyen de remonter le courant ni de donner ses leçons avec fruit. « J'ai peur des élèves, voilà le fait », se dit-elle. « Et j'ai horreur de les punir comme elles le méritent, de crainte de me faire haïr parce qu'alors, mes leçons en pâtiraient plus que jamais ». ... Et pendant ce temps, dans le dortoir, Janet faisait d'autres projets pour taquiner la malheureuse « prof » d'histoire Janet possédait en propre une paire de frères aussi singes l'un que l'autre et c'est par eux que toutes ces farces arrivaient jusqu'au pensionnat des petites filles. — Pat, Isabelle, dormez-vous ? murmura Janet. Dites, figurez-vous que mes frères vont

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m'envoyer des pétards, est-ce que vous avez déjà employé cela ? - Jamais, disent les deux sœurs, qu'est-ce que c'est ? - Et bien, il paraît que c'est des trucs qu'on met dans le feu et ça fait un chahut infernal, reprit Janet. Comme ma place est justement près du feu, quelle rigolade on va avoir à la prochaine leçon d'histoire ! Les deux petites sœurs rirent déjà à la perspective d'une nouvelle farce. Qu'est-ce que Kenny va dire quand le feu va se mettre à pétarader ! D'avance, elles se réjouissaient entre elles. Mais Hilary mit fin au conciliabule par un péremptoire: — Voulez-vous vous taire et plus vite que cela. Vous connaissez le règlement! pas ? Alors, DORMEZ !

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CHAPITRE VII

JANET FAIT DES FARCES Le colis de pétards arriva. Elle rit en le retirant de sa case à correspondance et fit un clin-d'œil aux jumelles. — Je le déballerai au dortoir, leur glissa-t-elle, Dites que vous avez oublié quelque chose et tâchez d'avoir la permission de monter avant la prière. Donc, les deux sœurs et Janet montèrent en hâte au dortoir après leur repas et, pendant cinq minutes, elles examinèrent le contenu du paquet. Il y avait une boîte dans laquelle étaient rangés cinquante petits pétards, jaunes et rouges, d'aspect inoffensif. — Mais feront-ils réellement tout le bruit que tu crois? demanda Pat en les examinant. Je crois, pour ma part, qu'ils ne feront pas plus qu'un gentil petit « boum ». — Ne t'en fais pas, j'en jetterai une bonne douzaine à la fois. Cela fera un beau spectacle, je te le promets. Avec des rires étouffés et des bourrades, les trois fillettes entrèrent dans leur classe, à temps pour la prière. Elles avaient hâte d'arriver à

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l'heure d'histoire. Elle avait lieu après la récréation du matin. Janet, pendant la classe, raconta aux autres ce qu'elle allait faire et tout le monde était sur le qui-vive. Même Miss Roberts sentit qu'il y avait quelque chose dans l'air, bien qu'elles essayassent toutes de s'appliquer pendant sa leçon. Aussi, à la fin de la classe, leur adressa-telle quelques paroles bien senties. — Après la récréation, vous allez avoir votre leçon d'histoire, comme d'habitude. Je m'attends à ce que vous travailliez aussi bien pour Miss Kennedy que pour moimême. Sinon, j'aurai quelque chose de très sérieux à vous dire. Il ne peut y avoir aucune indiscipline ce matin, ENTEN-DEZ-VOUS, JANET? Janet sursauta, se demandant pourquoi Miss Roberts s'adressait tout spécialement à elle. Elle ne se rendait pas compte qu'elle avait l'aspect d'une coupable. — Oui, Miss Roberts. Pensant à regret qu'en prononçant ce « oui », elle s'engageait virtuellement à ne pas faire éclater les pétards. Mais, pendant la récréation, toutes les petites filles se liguèrent pour la persuader à le faire, malgré tout. Elle aussi pouvait difficilement abandonner l'idée de rater cette magnifique occasion. — Ail right, acquiesça Janet à la fin. Mais, pour l'amour du ciel, ne me vendez pas à Miss Roberts et promettez-moi de ne pas rire trop

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bruyamment, parce que je crois que ça barderait si elle entendait quelque chose. — Elle ne peut mal de rien entendre cette fois-ci, interrompit Kathleen, elle a la surveillance de la sixième, j'ai entendu qu'elle le disait à Miss Walkers. Et leur classe est au bout du pensionnat, pas de risque qu'elle s'en mêle, sois tranquille. — Bon, poursuivit Janet, se sentant plus à l'aise. Eh bien, soyez sur vos gardes, vous allez entendre un beau chahut, je vous le promets ! Toute la classe était aussi sage que de petites souris quand Miss Kennedy entra. Elle n'avait pas encore oublié la dernière leçon d'histoire et était encore plus énervée que de coutume. Elle fut donc soulagée de les trouver toutes, tranquillement assises à leur place. — Bonjour, mes enfants, dit-elle en s'asseyant. — Bonjour, Miss Kennedy, chantonna la classe en chœur. Et la leçon commença. L'institutrice, à un moment donné, devait tourner le dos à la classe pour faire un plan au tableau et, instantanément, toutes les têtes se tournèrent dans la direction de Janet. Le moment était arrivé ! Janet était assise à côté du feu. La boîte de pétards était dans son pupitre. Elle prit une bonne poignée de ceuxci qu'elle jeta adroitement dans le feu. Toutes les petites oreilles étaient tendues. Au début, rien n'arriva sinon que les flammes

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« Janet, Janet, arrête ! » cria Miss Kennedy... 77

s'agrandirent et prirent de l'importance. Puis, la fête commença ! Crac, kiss, spit, crac ! La moitié des pétards éclatèrent à la fois et les flammes montèrent jusque dans la cheminée et, de plus, se propagèrent sur le plancher. Crac, ssss, crac ! ! Toute la classe regardait et écoutait. Miss Kennedy était au comble de l'étonnement et de la frayeur. — Miss Kennedy ! oh ! Miss Kennedy ! que se passet-il donc ? demanda Pat faisant semblant d'avoir peur. — Ce n'est rien, Pat. Sans doute un bloc de charbon chargé de gaz, c'est passé, à présent, mais j'ai tout de même sauté ! Crac, crac, kissss ! ! ! Une nouvelle explosion suivit et un jet de flammes jaillit hors du feu. Janet se leva d'un bond, prit le torchon humide du tableau et se mit à battre les flammes, menant ainsi un beau tapage, bien inutile» — Janet, Janet, arrête, cria Miss Kennedy, effrayée surtout à l'idée que le bruit allait s'entendre dans la classe d'à côté. Mais, cette fois, les fillettes ne purent réprimer leur joie et les rires éclatèrent de toutes parts. Quand la troisième explosion se produisit, ce fut du délire, et le désordre empira encore quand Janet prétendit battre une deuxième fois les flammes avec le sordide torchon, faisant ainsi une poussière incroyable. Miss Kennedy pâlit. Elle devina tout à coup une machination. Elle se leva, paraissant ainsi

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- de façon tout à fait inattendue — très digne en dépit des mèches qui s'échappaient de sa coiffure. — Mes petites, il n'y aura pas de leçon d'histoire ce matin. Je refuse d'enseigner une classe aussi indisciplinée. Et elle quitta la chambre, très pâle et les yeux baignés de larmes. Elle irait chez la directrice et donnerait sa démission. Elle ne pouvait pas, en toute honnêteté, accepter des appointements pour ne rien apprendre du tout à des gosses qui ne se gênaient pas pour lui faire les pires farces. Mais, elle ne voulait pas se présenter chez la directrice dans l'état déprimé dans lequel elle se trouvait, elle attendrait la fin de la matinée. Vivement elle griffonna un mot pour Miss Roberts qu'elle envoya porter par une des servantes : « Je regrette de me sentir mal et d'avoir à quitter votre classe », écrivit-elle. Miss Roberts fut fort perplexe quand elle reçut ce mot. Elle se demandait si elle allait quitter les grandes ou si elle allait laisser les petites sans surveillance. Sûrement, Miss Kennedy leur avait laissé quelque travail avant de s'absenter. Elle décida pourtant d'aller voir ce qui se passait et de planter là sa sixième avec quelques questions à résoudre. Elles seraient certainement tranquilles, tandis que ces petites ! Elle écrivit donc à la hâte quelques questions au tableau. Les petites avaient été plutôt ahuries de voir

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disparaître Miss Kennedy. Quelques unes d'entre-elles eurent le sentiment de leur culpabilité et furent mal à l'aise, mais quand le feu recommença encore une fois son exploit, elles s'en amusèrent encore et la joie dissipa leurs craintes et leurs scrupules. — Avez-vous vu la vieille Kenny quand le premier pétard a éclaté ? cria Joan, je croyais que je mourrais de me retenir de rire. J'en avais un point de côté ! — Janet, ces pétards sont de petites merveilles, dit Hilary. Mets-en encore quelques uns dans le feu ; Kenny ne reviendra tout de même pas. Tout ce que j'espère, c'est qu'elle n'aille moucharder chez Miss Théobald. — Elle ne s'est pas dirigée de ce côté-là, fit Janet. Elle est partie de l'autre côté. Bon, je vais en mettre quelques uns dans le feu, que tout le monde regarde ! Janet secoua la boîte au dessus du feu et, patatras, tout le contenu se vida d'un seul coup. Janet se mit à rire. — Sapristi, tout est dedans, quel feu d'artifice, mes amies ! Doris, comme toujours quand elles préparaient un tour à leur façon, était de faction à la porte pour jeter l'alerte en cas de danger. Tout à coup, elle poussa un cri ! — Attention, Miss Roberts s'amène, à vos places, vite ! Chaque élève courut à son banc et ouvrit son livre d'histoire. A l'arrivée de Miss Roberts, la classe

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était dans un ordre parfait; mais la vue de lotîtes ces petites têtes trop sagement penchées sur les livres d'histoire avait quelque chose de bien suspect. Miss Roberts eut donc des soupçons — généralement, les gosses levaient la tête quand elle entrait. — Vous me paraissez bien occupées, dit-elle sèchement. Miss Kennedy vous a-t-elle laissé une leçon à apprendre ? Personne ne souffla mot. Janet regardait le feu avec effroi. Ces fichus pétards qui allaient éclater sans rémission ! Comme elle souhaitait n'avoir pas tout mis ! Le feu commençait déjà à s'animer,,. Miss Roberts parla durement. — Personne ne peut me répondre ? Miss Kennedy at-elle... Mais sa phrase resta inachevée. Vingt pétards, au moins, venait d'éclater avec un bruit terrible. Il y avait des lueurs et des flammes partout. — Grand ciel, s'écria Miss Roberts, que se passe-t-il donc là ? De nouveau, personne ne dit mot. Personne non plus ne riait, cette fois-ci, tout le monde était plongé dans la terreur. Cras, sss, cras, kirss, quelques pétards éclatèrent dans la cheminée, rabattant ainsi, sur la classe sidérée, une quantité de suie, de suie chaude et mal odorante qui se répandit partout. Janet et les autres fillettes qui étaient près du poêle se mirent à tousser. — Ne reste pas près du feu. Janet, ordonna

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Miss Roberts. Ces flammèches vont mettre le feu à tes vêtements. La suie, après une autre explosion se répandit une seconde fois.. Sur les murs, sur les livres, sur les pupitres et sur les enfants. La bouche de Miss Roberts se serra en une fine ligne droite et elle fit, du regard, le tour de la classe. — Quelqu'un a mis des fusées dans le feu, constata-telle, la classe est dissoute. Je vais dans la salle des maîtresses et là, j'attendrai que la où les coupables qui inventèrent ce jeu aussi stupide que dangereux, viennent s'accuser au plus tôt ! Et elle quitta la classe, laissant les fillettes terrorisées. Faire une bonne blague à Miss Kennedy était une chose, mais en faire une à Miss Roberts en était une toute différente ! Miss Roberts avait, dans son sac, un tas de tortures épouvantables en manière de punition. — Zut, me voilà pincée, grogna Janet. Je ferais mieux d,'y aller tout de suite, et elle se dirigea d'un pas traînant vers la porte. Au moment où elle allait sortir, Pat courut la rejoindre. — Janet, attends, je vais avec toi. Je suis aussi coupable que toi, puisque je t'ai instiguée. Moi j'aurais mis les fusées dans le poêle si tu ne l'avais pas fait. — Et moi, je vais aussi, s'écria Isabelle immédiatement. — Oh ! ça c'est chic, dit Janet, prenant le bras de Pat et la main d'Isabelle. Alors, Hilary parla aussi : — Et bien, je vais aussi. Nous sommes toutes à

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blâmer. C'est vrai que c'est toi, Janet, qui avait les pétards et qui les a mis dans le feu, mais nous étions toutes bien contentes de nous en amuser, nous devons aussi encaisser ensemble. Ce ne serait pas juste si tu étais seule punie. Cela finit donc par un cortège général vers la salle des professeurs. Un cortège bien déprimé et un cortège pas fier du tout ! Miss Roberts fût stupéfaite et consternée de voir arriver toute sa classe. — Qu'est-ce que cela signifie ? — Miss Roberts, puis-je vous l'expliquer? demanda Hilary. Je suis la monitrice, n'est-ce pas? — Je veux que ce soit celle qui a fait le coup qui s'accuse. Qui l'a fait ? — Moi, dit la pauvre Janet en pâlissant. Ses genoux fléchissaient et ses yeux étaient rivés au sol : elle ne pourrait jamais soutenir le regard de Miss Roberts. — Mais nous étions toutes de connivence, enchaîna Hilary. Nous voulions que Janet le fasse et nous avons toutes trempé dans l'affaire. — Et, puis-je vous demander si Miss Kennedy a été gratifiée du même stupide spectacle ? — Oui, dit Janet à voix basse. — Cela explique tout, murmura Miss Roberts, pensant à la note reçue de Miss Kennedy. Eh bien, voilà, vous allez payer les frais de ramonage et vous passerez chacune deux heures à nettoyer à fond votre classe. Vous travaillerez par équipes de cinq, sans vous faire aider d'aucune bonne. Vous y consacrerez vos heures de liberté.

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— Oui, Miss Roberts, dirent-elles dans leurs dents. — Vous allez aussi aller faire immédiatement vos excuses à Miss Kennedy, poursuivit-elle. Et de plus, je ne vous cache pas que je suis honteuse de vous pour avoir ainsi abusé de quelqu'un qui est trop bon pour vous mater, comme je suis continuellement obligée de le faire moimême. Toute la classe s'esquiva, ne demandant pas son reste ! Miss Roberts téléphona au ramoneur et Miss Kennedy reçut les plus humbles excuses. Elles ne lui racontèrent pas que Miss Roberts avait subi la même expérience qu'elle. Elle crut que les fillettes étaient venues s'excuser spontanément et, ce jour-là, elle fut heureuse. — Je ne puis pas donner ma démission à Miss Théobald, après tout, pensa-t-elle. Si je le fais, je devrais donner une raison et je ne peux pas mettre ces petites en cause alors qu'elles se sont excusées si gentiment. Les choses en restèrent donc là pour un petit temps. Et des équipes de cinq petits singes lavèrent et frottèrent pendant tout l'après-midi et toute la soirée au lieu de jouer au lacrosse et d'aller au concert. Une bonne chose s'ensuivit: les jumelles étaient montées en flèche dans l'estime de leurs petites compagnes. — C'était rudement chic de la part de Pat et d'Isabelle d'avoir ainsi voulu partager la punition de Janet, conclut Hilary, Un bon point pour elles!

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CHAPITRE VIII.

LA GRANDE FETE DE MINUIT Miss Roberts serra sa classe de fort près pendant toute la semaine qui suivit le feu d'artifice et elle marchait droit sous son joug sévère. Pat et Isabelle souffraient plus que toute autre d'être traitées sur ce ton dédaigneux tout comme si elles existaient à peine, mais elles n'osèrent se rebiffer ni l'une ni l'autre. — C'est tout bonnement atroce d'être ici comme au jardin d'enfants, alors que nous faisions la pluie et le beau temps à Redroof,gémit Isabelle. Oh, je ne m'y habituerai jamais. - Je déteste cela aussi, grogna Pat, mais d'autre part, je ne peux pas m'empêcher d'aimer Miss Roberts, tu sais. Je la respecte énormément et on est forcé d'aimer les gens qu'on respecte. — Eh bien, je voudrais qu'elle commence aussi à nous respecter un peu, alors peut-être nous aimerait-elle et ne nous ferait-elle pas la vie impossible. Ma parole, tu te souviens, ce matin, quand j'ai oublié mon cahier de math, je croyais qu'elle allait téléphoner à la police pour me faire mettre en prison. Pat ria ! 85

— Ne sois pas idiote, et, à propos, n'oublie pas de donner ton obole pour acheter quelque chose pour l'anniversaire de Miss Théobald. Moi, j'ai donné cinquante francs. — Oh, zut, j'espère que j'ai cinquante francs! J'ai déjà donné quinze francs pour le ramoneur et vingt francs à la servante pour nettoyer ma robe d'uniforme pour que l'infirmière-économe ne me tombe pas sur le râble et nous avons du donner dix francs pour le home des nouveauxnés. Je suis dans une purée noire ! Elle alla à son étagère, dans la salle commune et prit sa bourse... elle était vide ! — Ah, ça, s'écria Isabelle abasourdie. Je suis sûre que j'avais vingt francs dans mon porte-monnaie, me les as-tu pris, Pat ? — Non, sinon je te l'aurais dit. Ils doivent être dans la poche de ton manteau, sotte. Mais les vingt francs n'étaient nulle part. Isabelle conclut qu'elle devait les avoir perdus et elle emprunta à Pat l'argent nécessaire pour le cadeau de Miss Théobald. Puis, ce fut l'anniversaire de Janet. Elles allèrent toutes en ville pour lui acheter un petit présent. Au moment de partir, Hilary découvrit que le billet de cent francs que sa grand'mère venait de lui envoyer avait disparu de sa poche. — Ah ! tout ce bel argent, se lamenta-t-elle. Dire que j'allais acheter des tas de choses. Je dois faire réparer ma canne de lacrosse et m'acheter aussi du papier à lettres, mais où donc peut-il être ?

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Joan prêta à Hilary de l'argent pour le cadeau de Janet. Le jour de son anniversaire, celle-ci fut ravie de recevoir une telle avalanche de cadeaux. Elle était très aimée malgré sa franchise et ses répliques impitoyables. Le plus beau cadeau venait de Kathleen Gregory qui lui offrit une broche en or avec son nom gravé au dos. — Vraiment, tu n'aurais pas du faire cela. Tu as du dépenser un monceau d'argent, Kathleen ! Je ne puis réellement pas accepter cela, c'est un cadeau trop important, se récria Janet. — Mais il faut que tu l'acceptes, Janet, supplia Kathleen, ton nom est écrit dessus, il ne peut servir à personne d'autre. Tout le monde admira la petite broche en or et Kathleen rayonnait de joie. Quand Janet la remercia encore et lui donna affectueusement le bras, elle devint rouge de bonheur. — C'est très généreux de la part de Kathleen, confia Janet aux jumelles en entrant en classe. Mais je ne parviens pas à comprendre pourquoi elle s'est tellement mise en frais pour moi. En général, elle fait toujours des petits cadeaux de quatre sous et ce n'est pas non plus, je présume, parce qu'elle m'aime si fort. Je me dispute bien souvent avec elle, c'est une telle oie ! De chez elle, Janet avait reçu un panier plein de bonbons et de gâteries. Toutes les choses que j'aime, s'exclama-t-elle. Regardez: un gros cake au chocolat, des sablés, des sardines aux tomates, du lait condensé et des bonbons à la menthe;

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Oh ! ils fondent dans la bouche ! - Si nous faisions une fête de minuit, suggéra Pat en veine d'inspiration. Nous avons fait cela une fois à Redroof. Je me demande pourquoi tout goûte tellement mieux quand on le mange au milieu de la nuit, mais c'est un fait. Janet, tu ne trouves pas que ce serait amusant ? — Ce serait fort amusant, mais il n'y a pas assez à manger pour nous toutes. Chaque élève devrait s'amener avec quelque chose en supplément, soit un cake, ou de la bière, ou du chocolat. Quand ferons-nous la fête ? — Demain soir, proposa Isabelle. Miss Roberts va au concert. J'ai entendu qu'elle en parlait au téléphone et elle passe la nuit chez une amie. Elle ne reviendra que le lendemain matin, à temps pour la prière. — Oh ! chic, demain soir alors, dit Janet. Allons vite le dire à tout le monde. Ainsi, en un clin-d'œil, toute la classe fut informée de la grande fête de minuit et chaque fillette promit d'apporter quelque chose. Pat acheta un cake à la confiture. Isabelle, qui devait encore s'endetter, se contenta d'offrir une barre de chocolat, Joan acheta des bougies parce que, tout de même, on ne pouvait pas se permettre d'allumer l'électricité en pleine nuit. C'était d'ailleurs défendu, à moins d'un cas sérieux et urgent. Le cadeau le plus extravagant fut encore celui de Kathleen. Elle apporta un gâteau merveilleux,

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garni de sucre glacé, d'amandes et de jolies petites choses de massepain, rosés, jaunes et vertes. Tout le monde était en extase ! - Mon Dieu, Kath, as-tu fait un héritage, demanda Janet. Ce cake a dû te coûter tout ton argent de poche pour le restant du trimestre. C'est une pure merveille. - Le plus beau gâteau que j'aie vu de ma vie, renchérit Hilary. Kathleen était rouge de plaisir, elle éprouvait un bonheur sans limite à ce que tout le monde lui sourit, à elle et à son cake ! — J'aurais voulu avoir autre chose à donner que mon misérable petit bout de chocolat, s'excusa Isabelle, mais même pour acheter cela, j'ai dû emprunter à Pat. - Et moi, je puis seulement offrir quelques biscuits que j'avais encore»dans une boîte, poursuivit Hilary. Je suis banqueroute depuis que j'ai perdu mes cent francs. — De toute façon, nous avons bien assez, dit Janet, occupée à tout cacher au plus haut d'une armoire qui se trouvait dans le corridor, en face de leur dortoir. — Pourvu qu'il ne passe pas par la tête de l'infirmière-économe de faire le grand nettoyage. Elle en ferait des yeux en découvrant tout cela. Et qui a donné ce beau pâté de porc ? Comme tout cela est merveilleux ! La classe tout entière fut au comble de l'énervement pendant toute la journée. C'était épatant d'avoir ainsi un secret qui n'était partagé par aucune autre classe. Hilary savait que la troisième avait déjà organisé une fête de nuit ce trimestre-là, et c'avait été un grand succès.

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Elle aurait tant voulu que la leur fut encore mieux réussie. Miss Roberts ne put, de toute la journée, découvrir le motif de toute cette effervescence. Quant à Mademoiselle, elle flaira l'excitation immédiatement et fut contaminée par l'ambiance. — Et bien, mes petites, qu'est-ce qui se passe aujourd'hui, s'étonna-t-elle quand une élève après l'autre se trompa dans sa version française. Qu'avez-vous dans la cervelle ? Vous complotez quelque chose, n'est-ce pas? Vite, dites moi donc quoi ! — Oh, Mademoiselle qu'est-ce qui peut vous faire croire une chose pareille ? Que pourrions-nous bien comploter ? s'indigna Janet. — Qu'en sais-je, * moi ? tout ce que je sais, c'est que vous ne faites pas du tout attention. Maintenant, encore une seule faute et je vous envoie au lit une heure avant l'heure réglementaire. Le rire de Janet fusa. Pour un peu, elle se faisait mettre à la porte. Mademoiselle ne pensait pas un mot de ce qu'elle venait de dire, mais cela amusa tout le monde quelle choisit précisément ce genre de punition alors que c'était ce qu'elles désiraient le plus: le moment d'aller coucher l Enfin, l'heure de monter sonna. Elles se déshabillèrent assez sagement. •— Qui ira retirer le festin de l'armoire ? s'enquit Pat. —- Toi et moi et Hilary et Isabelle, dicta Janet.

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Pat sortit du lit et alla secouer tout le monde... 91

Et pour l'amour du ciel, ne laissons rien tomber. Si le pâté de porc dégringole, ça fera un beau gâchis ! Tout le monde riait. Elles voulaient toutes rester éveillées, mais il fut convenu qu'elles prendraient un tour de garde. Chacune veillerait une demi-heure, après cette demi-heure, elle devait éveiller sa compagne de lit et alors, à minuit, on les éveillerait toutes et la fête commencerait. Le tour commença par Janet. Elle s'assit sur son lit et remonta ses genoux à son menton. Elle pensait à toutes les bonnes choses qu'elles allaient manger. Elle n'avait pas sommeil le moins du monde. Elle alluma sa lampe de poche pour voir l'heure. Sa demi-heure était écoulée, elle se pencha sur le lit d'à-côté et éveilla Hilary. A minuit, elles dormaient toutes avec entrain, sauf Pat qui avait la dernière garde. Quand la cloche de la tourelle sonna douze coups, Pat sortit du lit et alla secouer tout le monde. — Hilary, minuit, éveille-toi, Isabelle, Joan, la fête va commencer. Kathleen, Kathleen, il est minuit ! En un clin d'œil, le dortoir fut sur pied en peignoirs et pantoufles. Tout le pensionnat était plongé dans l'obscurité, Pat alluma deux bougies et les planta sur la table de chevet la plus centrale. Elle avait envoyé Isabelle secouer le restant de la classe, dans l'autre dortoir et, avec un minimum de bruit, toutes les petites filles se rassemblèrent.

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Elles s'assirent sur les lits les plus rapprochés des bougies et attendirent pendant que Pat et les trois autres complices allaient chercher dans le placard, toutes les bonnes choses accumulées. Pat tenait la lampe de poche pendant que les autres enlevaient les victuailles. Une boîte de lait condensé dégringola sur les planches avec un bruit de tonnerre. Elles sursautèrent toutes et restèrent figées sur place. Rien n'arriva. Pas un bruit. Aucune porte ne s'ouvrit, aucune lumière ne s'alluma ! — Idiote, murmura Pat à Isabelle. S'il te plaît, ne va pas non plus laisser tomber le cake au chocolat. Où est cette boîte de lait de malheur, maintenant ? Ah, la voilà ! Finalement, tout le festin fut transféré sur les lits et sur les petites tables et les réjouissances commencèrent. Les fillettes avaient toutes horriblement faim ! — Sapristi, du pâté de porc avec du cake au chocolat, des sardines avec du lait condensé, du chocolat avec des bonbons à la menthe, des ananas avec de la bière, parlezmoi d'une ripaille, s'écria Janet. Je parie ce que vous voulez que la fête de troisième n'était rien en comparaison. Commençons : je coupe le cake ! Moment solennel ! Bientôt, toutes les petites filles s'empiffrèrent à qui mieux, mieux, profondément convaincues que rien d'aussi succulent n'existait dans ce bas-monde. Janet empoignant un ouvre-bouteille fit, avec dextérité, sauter le bouchon d'une bouteille de

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bière et emplit quelques gobelets à dents; la seconde bouteille déborda avec une telle fougue, que Janet inonda tout le lit sur lequel elle opérait. Tout le monde ria à gorge déployée. Le bruit parut énorme dans la nuit tranquille. — Ne vous en faites pas, personne ne peut entendre cela, fit Janet. Ici, Pat, ouvre la boîte de sardines, j'ai des petites tartines et je vais faire des sandwiches. On déballa les tartines. Janet les avait escamotées à la table du goûter. — Regardez bien, il faut prendre une bouchée de pâté de porc, puis une bouchée de sandwiche aux sardines, puis un peu de lait condensé, c'est épatant, conseilla Pat. On mangea le chocolat en dernier lieu. Les fillettes n'en pouvaient plus. Elles étaient là, à sucer des bonbons, rire et à s'amuser des bêtises les plus stupides. — Naturellement, la meilleure chose de toute la fête était sans conteste, le gâteau de Kathleen, convint Hilary. Ce glacé et ces amandes étaient de pures merveilles. — Oh oui ! et moi j'ai eu une des jolies rosés en massepain, poursuivit Joan. Splendide! Combien l'as-tu payé, Kath ? C'était rudement chic ! — Oh, ce n'est rien, dit Kathleen confuse, je suis si contente que cela vous a plu. Elle paraissait, en- effet, très heureuse. Il n'y avait pas eu de gâteau pour tout le monde et Kathleen, entre autres, avait dû s'en passer. Mais cela lui était bien indifférent, elle était on ne peut

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plus heureuse à la vue des autres qui s'en régalaient. Après ce repas incongru, les petites filles insistèrent auprès de Doris pour qu'elle fasse sa danse du clown. C'était une danse apprise pendant les vacances et très drôle. Doris était la comique de la classe et avait un talent tout spécial pour faire rire. La danse du clown était ridicule parce que Doris tombait à chaque entrechat et elle accompagnait chacune de ses chutes de grimaces et de contorsions, qui mettaient toutes les petites filles en joie. — Dites, ne riez tout de même pas trop haut, cette fois-ci, leur conseilla-t-elle en se relevant; vous avez fait tant de vacarme la dernière fois, dans la salle commune que Belinda est entrée et m'a secouée d'importance. Elle recommença donc à danser sérieusement. Puis, patatras, elle tomba en s'accrochant au pied d'un lit, expressément, bien entendu, et se mit à gémir en se frottant. Ses petites compagnes se mirent à rire de plus belle et elles étaient forcées de se mettre la main sur la bouche afin d'étouffer un peu leurs rires. Doris était dans son élément, elle fit encore des pirouettes et des grimaces, puis se mit à pincer les jambes à la ronde et à chatouiller tout le monde, elle tomba encore en s'agrippant à la jambe de Pat. Elle entraîna donc Pat dans sa chute et Pat, elle, fit choir avec elle, une table de chevet. La table culbuta avec tout son contenu, cadres, brosses, peignes, gobelets, etc... Mon

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Dieu, quel chahut ! Les enfants se regardèrent, horrifiées. Le bruit leur sembla simplement terrible ! Vite, arrangeons tout et mettons nous au lit, s'écria Janet, 'Dans un instant, une bonne moitié des maîtresses va nous tomber dessus ! Les élèves appartenant à l'autre dortoir s'encoururent en une seconde. Les autres firent le vide en vitesse, mais, presqu'aussitôt, elfes entendirent le déclic des commutateurs qui s'allumaient. - Au lit, hurla Hilary. Et toutes, elles s'engouffrèrent dans leurs draps, relevant les couvertures jusqu'au dessus de leur tête, attendant les événements, le cœur battant. Hilary se souvint, avec un frisson d'épouvanté, que deux ridicules bouteilles de bière étaient restées au beau milieu du dortoir et aussi le restant du pâté de porc. Le tout, bien en vue, comme il se doit. La porte s'ouvrit et une silhouette se dessina dans l'entrée. Pat, risquant un œil, vit tout de" suite qui c'était - la vieille Kenny ! — Quelle malchance ! Si elle découvre quelque chose, elle va sûrement faire un rapport, pensez donc, après les méchancetés qu'elles venaient de lui faire en classe. Mais peut-être n'allumerait-elle pas ? Miss Kennedy resta immobile, à l'écoute. Une des petites filles ronfla doucement, mais Kathleen, hypertendue après cette journée pleine d'émotion, éclata de rire. Miss Kennedy entendit. Elle alluma !

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La première chose qui attira son regard fut, bien entendu, les deux bouteilles plantées là, au beau milieu du passage. Puis, elle vit le restant du pâté de porc et aussi, des papiers à chocolat. Elle devina immédiatement de quoi il s'agissait. Un petit sourire complice éclaira son1 visage. Quels petits singes que ces gosses de première ! Elle se souvint combien c'était gai, ces fêtes de minuit quand elle était en pension et comment, de son temps aussi, on les avait attrapées en pleine ripaille. Elle alla au lit d'Hilary et lui parla doucement. - Hilary, enfant, es-tu éveillée ? Hilary n'osa plus faire celle qui dormait. Elle répondit d'une petite voix suave : - Miss Kennedy, que se passe-t-il ? - Il m'a semblé entendre du bruit émanant de cette chambre. Je suis de garde cette nuit, comme Miss Roberts n'est pas là. Mais je puis m'être trompée. Hilary s'assit sur son lit et là, en face d'elle se prélassaient les atroces bouteilles de bière, éclatant témoignage de désordre. Elle regarda alors Miss Kennedy et découvrit une petite flamme amusée dans ses yeux. — Peut-être vous êtes-vous trompée, en effet, Miss Kennedy, peut-être, peut-être sont-ce... des souris ? - Cela se peut. Et bien... Mais je ne vois pas qu'il y ait la moindre chose à dire à Miss Roberts. Mais comme tu es la monitrice du dortoir, Hilary, lâche tout de même que tout soit bien en ordre

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pour quand l'infirmière-économe fera sa ronde demain matin. Bonne nuit, petite ! — Bonne nuit, Miss Kennedy ! Elle éteignit les lumières, ferma la porte et se retira dans sa chambre. Toutes les petites têtes se dressèrent et murmurèrent les louanges de Miss Kennedy. — Sapristi, Kenny est rudement sport. — Je te crois ! Et je t'assure qu'elle ne pouvait pas manquer de remarquer ces terribles bouteilles de malheur et vous vous rendez compte qu'elle a mis tout ce chambardement sur le compte des souris ? — Et elle a encore poussé la bonté jusqu'à me conseiller d'enlever toute trace de la fête avant demain matin. Elle a, en somme, promis de ne faire aucun rapport à Miss Roberts. — Tant mieux. Malgré que la vieille Roberts est très bonne aussi dans son genre. — Oui, mais nous sommes dans le tiroir du dessous pour le moment et une histoire comme celle-ci nous ferait encore dégringoler plus bas, dit Isabelle. Chère vieille Kenny tout de même !

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CHAPITRE IX.

UN MATCH DE LACROSSE — ET UNE DEVINETTE, Le seul résultat fâcheux de la grande fête de minuit fut, que le lendemain, Isabelle, Vera et Doris ne se sentaient pas d'aplomb. Le cœur leur tournait bizarrement et Miss Roberts les observa de très près. — Qu'avez-vous mangé ? leur demanda-t-elle. — La même chose que les autres, répondit Doris qui restait, en ce disant, dans la stricte vérité. — Allez vite chez l'infirmière-économe, elle vous fera avaler une potion, ordonna Miss .Roberts. ~"Les trois compagnes s'en allèrent, toutes dolentes. L'infirmière-économe avait tout un arsenal de bocaux à médicaments, tous au plus mauvais. Elle purgea les petites filles généreusement et elles grognèrent quand elle les obligea à lécher encore la cuiller ! Puis, Joan et Kathleen tombèrent malades et furent dépêchées chez l'infirmière-économe. — Je connais ces symptômes, leur dit-elle. Vous souffrez d'une fête de minuit. Ah! ah! vous n'avez pas besoin de prendre ces airs innocents

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avec moi. Si ça vous amuse tellement de vous empiffrer de pâté de porc, de cakes et de bonbons mélangés de bière pendant la nuit, vous devez avoir le cran de supporter une petite purge le lendemain. Les petites filles la fixèrent, abasourdies. Comment le savait-elle ? — Qui vous l'a dit ? s'enquit Joan, croyant que Miss Kennedy avait bavardé, après tout. —'Personne n'a besoin de me le dire. Je ne suis pas infirmière-économe dans ce pensionnat depuis vingt-cinq ans sans savoir quelques petites choses. J'ai purgé ta mère avant toi, Joan et ta tante aussi. Elles ne supportaient jamais de manger à minuit, pas plus que toi, il me semble. Trottez-vous, maintenant et ne me regardez pas comme cela. Je ne vendrai pas la mèche, allez. C'est d'ailleurs bien mutile de gronder pour une fête de minuit, la punition vient d'elle-même, le jour suivant. Les petites filles s'en allèrent, toutes penaudes. Joan regarda Kathleen. — Tu sais, j'adorais le pâté de porc et les sardines, mais aujourd'hui, rien que d'y penser, j'en deviens malade. Je crois que, de ma vie, je ne pourrai plus regarder une sardine en face ! Mais elles oublièrent toutes bientôt leurs maux et la fête passa dans la légende. Toute l'école eh parla ! Belinda Towers en eut des échos et s'amusa très fort de la chute de la table avec tout son matériel. C'est Kathleen qui raconta l'histoire à Belinda.

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C'était fort étrange comme Kathleen avait changé depuis quelques semaines. Elle n'était plus du tout aussi timide et effacée qu'auparavant. Elle entrait dans les rangs, joyeusement, riait comme les autres et participait à toutes les farces avec entrain et belle humeur. Elle osait même parler à la grande Belinda, sans se troubler. Elle était de corvée chez elle cette semaine-là et faisait la besogne de gaîté de cœur, toast et commission; elle ne grogna même pas quand Belinda la manda au beau milieu d'un concert. Isabelle et elle devaient jouer en match de lacrosse ce samedi. Elles étaient seules à être choisies en première, toutes les autres étaient des élèves de seconde. Au début, Pat avait été meilleure joueuse qu'Isabelle, mais cette dernière avait vite appris la façon d'attraper la balle, et elle avait devancé sa sœur. Le match se jouait contre la deuxième année d'une école des environs et les petites filles s'affairaient. - Kathleen est goal-keeper, dit Pat à Isabelle. Belinda le lui a annoncé ce matin. Dis, à propos, tu ne trouves pas que Kath a terriblement changé? Je l'aime beaucoup à présent. - Oui, et elle est si généreuse. Elle a acheté des bonbons hier et a tout partagé sans en distraire un seul pour elle-même. Elle a aussi apporté des chrysanthèmes à Vera. Ils ont du coûter une fortune. Vera était à l'infirmerie, en convalescence. Elle avait eu un gros froid.. Elle avait été très surprise

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et très touchée quand Kathleen lui avait offert six beaux chrysanthèmes jaunes. C'était un tel changement, parce que, jusqu'ici, Kathleen avait été plutôt avare. Kathleen et Isabelle s'entraînaient donc sur le terrain, l'une à défendre son goal, l'autre à shooter, à courir sur le terrain, essayant tous les coups difficiles. Elles espéraient être en bonne forme pour le match. Kathleen avait de très bons réflexes. — Si seulement je pouvais réussir quelques goals samedi, fit Isabelle, pour la vingtième fois depuis ce matinlà. Hilary en riait et Isabelle lui demanda pourquoi. — Je me moque de toi ! Qui donc dédaignait tant le lacrosse il y a quelques semaines encore? Qui disait qu'il n'y avait que le hockey qui valait la peine d'être joué ? Qui jurait et se promettait de ne jamais se donner la peine de faire des progrès au lacrosse ? Tu comprends maintenant pourquoi je ris. Je suis ici à t'écouter délirer sur ton match de samedi et à en parler à longueur de journée. Cela me change, je t'assure ! Isabelle se mit aussi à rire avec elle, mais, elle rougit quand même un peu. — Je dois te sembler passablement idiote ! — Tu es plutôt idiote, intervint Janet, se joignant à la conversation. « Les petites pestes », voilà comment nous vous surnommions. — Oh, dit Isabelle, choquée et morfondue. Elle se promit de jouer tellement bien samedi, que toute sa classe serait fière d'elle. « Les petites pestes », quel nom épouvantable !

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Pat et elle devaient absolument s'arranger pour faire oublier cet affreux surnom! Le samedi arriva. Un beau jour ensoleillé d'hiver. La classe de première toute entière était animée et s'occupait de Kathleen et d'Isabelle. . Les élèves de l'école invitée venaient pour le lunch et c'était aux petites premières à faire les honneurs. Le menu se composait de saucisses et de pommes de terre en purée, puis de pudding au sirop. Un repas que tout le monde aimait. — Maintenant, écoutez bien, Kath et Isabelle, ne mangez pas comme des goinfres, ordonna Hilary. Nous voulons que vous jouiez bien, vous êtes seules à défendre notre honneur. Nous allons bourrer les autres et nous les ferons manger jusqu'à ce qu'elles ne sachent plus dire «ouf». — Oh! dis-donc, je ne pourrai même pas me servir de deux misérables saucisses, supplia Isabelle atterrée. Et moi qui me sers toujours deux fois de ce pudding au sirop ! — Eh bien, tu te priveras aujourd'hui, décida Janet avec fermeté. Mais, si tu joues bien et que tu gagnes, toute la classe te régalera de brioches à la crème pour ton goûter, compris ? Isabelle se consola et se passa courageusement d'une seconde portion de pudding. Ce fut un lunch très amusant. Les petites invitées étaient toutes gentilles et cordiales et elles poussèrent des cris de joie en écoutant l'histoire de la grande fête de minuit.

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— Nous n'avons jamais autant de plaisir parce que nous rentrons chez nous le soir. Comment est votre équipe de lacrosse, cette année ? Bonne ? Nous vous avons battues chaque fois que nous avons joué ensemble, jusqu'à présent. — Et je parie que nous vous battrons encore cette fois-ci, ajouta le chef d'équipe avec un gentil sourire. — Des brioches à la crème, si vous gagnez la partie, vous entendez, répliqua Janet de sa voix claironnante. Et tout le monde de rire ! La première, la seconde et la troisième année, au grand complet, supportaient le match, groupées autour du terrain. La quatrième jouait, ce jour-là, un match dans une autre école, et les grandes ne se dérangeaient pas pour regarder les cadettes. Quelques élèves de cinquième vinrent pourtant et, parmi elles, Belinda Towers, qui organisait tous les matches et les équipes en sa qualité de capitaine. Elle tenait absolument à ce que St. Clare gagnât le plus de matches possibles. Les équipes prirent place. Isabelle était très nerveuse et Kathleen très calme. Le match commença. Les invitées formaient une équipe solide et très rapide. Elle s'empara de la balle dès le début et se la passa avec adresse. Mais soudain Isabelle sauta, intercepta la balle au vol et courut en flèche à travers le terrain. Une fillette essaya de lui subtiliser la balle, mais Isabelle eut le temps de la passer à une autre St. Clare, qui s'encourut

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aussitôt. Isabelle la suivit et reprit la balle une seconde fois. Mais une petite fille, rapide comme l'éclair, lui reprit encore et s'encourut vers l'autre moitié du terrain et vers le goal. Elle passa la balle à une autre qui la passa à une troisième et, celle-ci misa au but où Kathleen était de faction Avec adresse, Kathleen rabattit son filet sur la balle et la relança à Isabelle qui se trouvait à proximité. — Très bien, Kath, criaient les St. Clare attroupées. Et Kathleen rougit de plaisir. Et ainsi, le match se déroula jusqu'à la mi-temps. Pendant le repos, on offrit des quartiers de citron aux petites joueuses essoufflées. Comme c'était bon ! — Le score est de trois à un, dit l'arbitre. Trois pour St. Christophe et un pour St. Clare. — Courage, St. Clare, cria Belinda. Allez-y, allez-y; Isabelle, place un goal, si tu peux. La deuxième phase commença. Le jeu n'était plus si fougueux maintenant parce que la fatigue se faisait déjà un peu sentir, mais l'excitation alla grandissante, surtout lorsque St. Clare marqua deux goals consécutifs, dont un grâce à Isabelle. Kathleen se trémoussait quand le jeu se passait de l'autre côté du terrain, elle avait déjà arrêté sept goals. La balle allait de l'une à l'autre, avec grâce, et aisance. Kathleen se tint sur ses gardes, prévoyant une offensive de St. Christophe. La balle lui arriva en effet, dure et rapide. Elle essaya de sauver le goal, mais la balle toucha le coin intérieur du filet. Goal ! Quatre à trois et...

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plus que cinq minutes pour remonter ! Un instant plus tard, St. Clare réussissait un goal tout à fait inattendu. Egalité. — Plus qu'une minute et demie, souffla Isabelle en passant auprès d'une autre St. Clare. Pourvu que nous fassions encore un goal ! La balle lui revenant, une invitée, une grande et forte fille se rua sur elle. Isabelle chancela, la balle toujours dans son filet et elle la passa à une autre, qui la repassa à une troisième, puis Isabelle la reçut à nouveau. A ce moment, elle se rendit compte qu'elle était assez loin du but; elle en était toutefois juste en face. Oui, cela valait la peine d'essayer! Elle lança donc la balle, durement et en ligne droite, bien que le keeper fût sur ses gardes, la balle glissa dans le filet juste avant le signal de la fin. Victoire !! Quelle clameur ! Pat courrait comme une perdue. Belinda hurlait à en perdre le souffle et Hilary et Janet se donnaient de vigoureuses bourrades dans le dos sans trop savoir pourquoi. — Chère vieille Isabelle, elle a sauvé le match à la dernière minute; des brioches à la crème, des brioches à la crème ! Fatiguées et heureuses, les fillettes quittèrent le terrain pour aller se laver et être présentables pour le thé; elles amenèrent avec elles leurs petites invitées. Janet, pendant ce temps, enfourcha sa bicyclette et alla acheter des brioches à la crème. Mais, chez le pâtissier, elle s'aperçut que sa bourse, si bien garnie depuis son anniversaire, ne contenait plus que quelques menues pièces, C'était étrange!

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Elle avait encore beaucoup d'argent le matin-même et n'avait rien dépensé ! - Ah ça ! mon argent a disparu. Je ne sais vraiment pas où il peut s'être volatilisé, dit-elle, étonnée et revenant bredouille. - Bizarre, répliqua Isabelle, le mien s'est enfui de la même façon, il y a quelques jours et aussi, celui d'Hilary, et maintenant, le tien. — Ne discutons pas cela pendant que nous avons des invitées, dit Joan, mais c'est rudement dommage pour les brioches à la crème ! - Mais je les achèterai, moi, intervint Kathleen, je vais te donner l'argent, Janet. — Oh non, voyons. Nous voulions les acheter pour toi et Isabelle, pour fêter votre victoire. Cela ne convient pas que tu les achètes toi-même. - Mais oui, laisse-moi faire, tiens, prends cela, insista Kathleen. Et elle sortit de l'argent de sa poche. — C'est gentil, répondit Janet, en acceptant. Merci beaucoup. Et elle se sauva à vélo, pendant que les autres se préparaient à se mettre à table. — Bien joué, les gosses, dit Belinda en passant. Tu as arrêté quelques magnifiques goals Kathleen, et toi, 'Isabelle, tu as sauvé le match. Enfin, tout le monde a bien joué. Elles étaient rayonnantes des félicitations du capitaine. Puis, elles prirent leur thé. Une quantité impressionnante de tartines à la confiture, dé gâteaux aux Corinthe et de cakes au chocolat

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disparut comme par enchantement et en un temps record. Janet revint avec une cargaison de brioches à la crème. Toutes les petites filles l'accueillirent avec des hurlements de joie ! — Merci, Kath, tu es une vraie amie! Et Kathleen de rougir de joie et de bonheur. — Je me suis rudement bien amusée aujourd'hui, confia Isabelle à Pat, alors qu'elles s'acheminaient ensemble vers la salle commune après avoir reconduit leurs petites invitées. C'était simplement merveilleux d'un bout à l'autre. — Pas vraiment d'un bout à l'autre, répondit Pat gravement. Tu oublies l'argent de Janet ? Quelqu'un doit l'avoir volé et ça, c'est passablement embêtant, tu ne trouves pas ? Qui cela peut-il être ? — Je ne puis me l'imaginer. Personne ne pouvait se l'imaginer. Les petites fillettes en parlèrent entre elles et elles tâchaient de deviner qui avait approché du manteau de Janet. Il était accroché à un des porte-manteaux du pavillon de sport et la plupart des élèves de première et de seconde avait circulé par là aujourd'hui. Mais, sûrement, sûrement, aucune élève de St. Clare n'était capable d'un tel méfait ! — C'est du vol, du vol vulgaire, dit Hilary. Et il y a un petit temps que cela dure. Il y en a d'autres que moi, Isabelle et Janet qui ont perdu de l'argent. Belinda Towers a perdu vingt francs aussi. Elle a fait un chahut du diable, mais ne les a jamais récupérés.

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- Ce pourrait être une des servantes, suggéra Joan. — Je ne crois pas, fit Hilary. Elles sont toutes ici depuis des années. Nous devrons faire attention à notre bourse, voilà tout, et, si nous ne parvenons pas à découvrir le voleur, nous le mettrons du moins dans l'impossibilité de voler.

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CHAPITRE X.

UNE ELEVE BIEN EMBARASSEE Un après-midi, Rita George, une des grandes, envoya mander Kathleen pour lui donner des instructions concernant une excursion de botanique. Kathleen était monitrice de botanique pour sa classe. Elle pria donc Pat de continuer à dévider l'écheveau de laine qu'Isabelle tenait pour elle et se sauva. — Je serai ici en un clin d'œil, fit-elle, et elle disparut. Pat dévida la laine et jeta les boules dans la corbeille à ouvrage de Kathleen. Elle regarda sa montre. — J'espère que Kathleen ne restera plus longtemps, nous devons être à la gym dans cinq minutes. Nous ferions mieux d'aller le lui rappeler. Viens-tu, Isabelle?

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Les jumelles prirent donc ensemble le chemin de la chambre de Rita, pour voir si Kathleen s'y trouvait encore. Mais quand elles en approchèrent, elles s'arrêtèrent abasourdies. Quelqu'un pleurait et sanglotait à l'intérieur, quelqu'un qui disait, dans ses sanglots : — Oh ! s'il vous plaît, pardonnez-moi et ne le dites à personne, je vous en prie, je vous en prie. — Grands dieux, mais ce doit être Kathleen, dis! Que se passe-t-il ? Elles n'osèrent ni entrer ni s'en aller. Elles attendirent, entendant d'autres sanglots, de pauvres sanglots à fendre l'âme et puis, la voix grave mais indistincte de Rita. Finalement, la porte s'ouvrit et Kathleen sortit, les yeux rougis et les joues baignées de larmes. Elle sanglotait toujours et ne vit pas les jumelles. Elle se sauva par l'escalier qui conduisait au dortoir. Pat et Isabelle la regardèrent aller. - Ça y est, elle oublie la gym, constata Pat. Et je ne veux pas lui courir après, elle n'aimera peut-être pas que nous la voyions dans cet état. — Oh! allons la consoler, supplia Isabelle. Nous serons grondées si nous sommes en retard à la gym, mais, d'un autre côté, c'est terrible de voir quelqu'un dans le chagrin, sans chercher à y porter remède. Elles décidèrent donc d'y aller. Kathleen était sur son lit, la tête enfouie dans son oreiller. Elle sanglotait. — Kathleen, que se passe-t-il, demanda Isabelle en lui caressant l'épaule.

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Kathleen se dégagea. - Allez-vous en, dit-elle. Allez-vous en, ne venez pas m'espionner. - Nous ne t'espionnons pas, murmura Pat gentiment. Que t'est-il arrivé ? Nous sommes tes amies, tu sais. - Vous ne seriez plus mes amies si vous saviez pourquoi je pleure, sanglota-t-elle. Oh! allez-vous en. Je vais faire mes valises et quitter St. Clare. Je pars ce soirmême. — Kathleen, dis-nous ce qui c'est passé. Est-ce que Rita t'a prise en défaut ? Ne t'en fais pas tellement pour cela, va ! dit encore Isabelle. - Ce n'est pas tant le fait qu'elle m'a prise en défaut. C'est la raison de sa colère, gémit Kathleen. Elle se releva, les yeux gonflés et rougis. Eh bien, voilà. Je vais tout vous dire, et puis, vous pourrez aller le claironner par tout le pensionnat, si vous voulez. Tout le monde se moquera de moi, mais je serai partie. Et elle pleura de plus belle, mais sans plus parler. Pat et Isabelle étaient fort émues. Isabelle, plus tendre, prit la pauvrette en pleurs dans ses bras. — Très bien, dis-le nous, nous ne te vendrons pas, c'est entendu ! - Oui, vous le ferez, oui, vous le ferez. Ce que j'ai fait est d'ailleurs épouvantable, pleura Kathleen. Vous le croirez à peine. Je le crois à peine moi-même. Je suis une voleuse, oui, une voleuse !

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— Kath, que veux-tu dire ? demanda Pat. Kathleen la regarda avec franchise et s'essuya les yeux d'une main tremblante. - C'est moi qui ai pris tout l'argent qui manque. Chaque fois, c'était moi, même tes vingt francs, Isabelle. Je ne pouvais plus supporter de n'avoir pas d'argent à moi et de dire « non » chaque fois qu'il y avait une souscription et de ne jamais donner de cadeau à personne et de passer pour une compagne mesquine et égoïste. J'avais tellement envie de donner à tout le monde et de me faire aimer. Je n'aime que cela, faire plaisir et rendre mon entourage heureux. Les deux petites sœurs regardaient Kathleen et elles n'en revenaient pas. Elles pouvaient à peine croire ce qu'elle leur avouait. Elle continuait entre deux sanglots à déverser le chagrin de son pauvre petit cœur. — Je n'ai pas de maman, moi, qui m'envoie de l'argent comme à vous autres. Mon papa est aux colonies et je n'ai ici qu'une vieille tante avare qui ne me donne pas d'argent de poche. Alors, ça a commencé comme ça: j'ai trouvé dix francs et j'ai tout de suite été acheter un présent pour une petite compagne et elle était si contente et moi aussi. Vous ne savez pas combien c'est dur d'être généreuse et de paraître le contraire. — Pauvre vieille Kath, murmura Isabelle en la cajolant. Mais cela nous eut été bien égal que tu ne donnes jamais rien, si seulement tu nous avais tout raconté, nous aurions partagé avec toi ! — Oui, mais j’étais trop fière, répliqua Kathleen.., et... pourtant je ne devais pas être fière pour voler ainsi.

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Oh! je ne peux comprendre comment j'ai pu en arriver là. J'ai pris l'argent de Janet, d'Hilary et de Belinda, c'était tellement simple et maintenant, cet après-midi, je, je, je… Elle commença à pleurer si amèrement que les deux petites sœurs en furent effrayées. — Ne nous dis plus rien, si tu aimes mieux, fit Pat, compatissante,: — Oh, je vais tout vous dire, maintenant que j'ai commencé, dit la pauvre petite. C'est un soulagement de le dire à quelqu'un. Eh bien, cet après-midi, quand je suis arrivée dans la chambre de Rita, elle n'y était pas et son manteau pendait-là, avec, bien en vue, dépassant de la poche, son porte-monnaie. Je m'en emparai et l'ouvrais juste au moment où, sans se faire entendre, Rita entra et m'attrapa. Et elle .est maintenant chez Miss Théobald et tout le pensionnat le saura et je vais être chassée... Les jumelles se concertèrent du regard, ne sachant quel parti prendre. Elles se souvinrent alors de la soudaine générosité de Kathleen, de ses cadeaux, du magnifique cake avec les rosés en massepain, des chrysanthèmes de Vera et elles se rappelèrent aussi l'air heureux de Kathleen quand elles la remerciaient. — Kath, va frotter tes yeux et baigne-les. Puis, viens avec nous à la gym, décida Pat. — Je n'irai pas. Je vais rester ici et faire mes malles, s'obstina Kathleen, Je ne veux revoir personne

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avant mon départ, vous avez été bonnes pour moi toutes les deux, mais je sais qu'au fond de votre cœur, vous me méprisez. — Ce n'est pas vrai, chérie, nous sommes seulement fort tristes pour toi, et nous avons bien compris pourquoi tu as agi ainsi. Tu avais trop envie de te montrer généreuse, par n'importe quel moyen. Enfin, tu as fait une mauvaise action ' pour en accomplir une bonne et tu vois, ça tourne mal. Isabelle la consolait comme elle pouvait. — S'il vous plaît, laissez-moi à présent, implora Kathleen. Les jumelles quittèrent donc le dortoir insatisfaites et fort perplexes. A mi-chemin vers la salle de gymnastique, Isabelle s'arrêta et prit Pat pour le bras. — Pat, allons voir Rita, si nous pouvons, faisons quelque chose pour cette pauvre Kath. — Ça va, acquiesça Pat. Mais la chambre de Rita était vide. — Zut, je parie qu'elle est déjà chez Miss Théobald. — Et .bien, allons y voir ! Elles allèrent jusqu'au bureau directorial et arrivèrent au moment où Rita en sortait, avec une mine consternée et troublée. — Qu'est-ce que vous fabriquez par ici, les gosses ? demanda-t-elle en s'éloignant et sans même attendre une réponse. Pat consulta Isabelle du regard. — Elle l'a raconté à Miss Théobald. Tu crois que nous oserions aller lui en parler à notre tour?

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Je suis tout à fait convaincue que Kathleen n'est pas cette sorte de voleuse ordinaire, tu sais, et si jamais on la renvoie d'ici, elle pourrait bien le devenir pour de bon. Nous entrons, dis ? Elles frappèrent et la Directrice les pria d'entrer. Leur apparition la surprit fort. — Et bien, mes petites, quelles nouvelles ? Vous me paraissez si graves et préoccupées. Pat, qui prenait toujours la parole, ne savait cette fois comment entamer son discours. Puis, les mots arrivèrent à flots et toute l'histoire se déroula : dans quelles tristes conditions pécuniaires Kathleen se trouvait et pourquoi elle avait volé. — Et puis, Miss Théobald, jamais Kathleen n'a dépensé le moindre petit sou pour elle-même, poursuivit Pat. Tout était pour nous. Evidemment, elle a pris notre argent, mais elle nous le rendait en gâteaux et en présents. Elle n'est certes pas une voleuse ordinaire, elle est vraiment très malheureuse, oh ! ne pourriez-vous rien faire pour elle?... ne pas la renvoyer... ne pas le dire ? Je suis convaincue que Kathleen essayera de rembourser tout, franc par franc et Isabelle et moi, nous l'aiderons afin que, plus jamais cela n'arrive. — Vous comprenez, tout est arrivé à cause que Kathleen ne recevait pas d'argent de poche. C'est>terrible d'être sans argent de poche — et elle était trop fière pour l'avouer et, en plus, elle souffrait d'être prise pour une avare et une égoïste, ce qu'elle n'est pas du tout. Elle est

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bonne et généreuse, croyez-nous, Miss Théobald, insista Isabelle. Miss Théobald eut, pour les deux petites plaideuses, son plus charmant sourire. - Mes chéries, vous me racontez une histoire bien différente de celle que je viens d'entendre. Et j'en suis ravie. Naturellement, Rita considère la pauvre petite comme une vulgaire pick-pocket. Vous, vous la voyez telle qu'elle est, une malheureuse enfant dans l'embarras qui veut à tout prix, prouver qu'elle aussi a bon cœur, mais qui choisit, pour le prouver, le plus vilain des moyens. Moi, je n'avais jamais reçu cette confidence de Kathleen et j'aurais, par conséquent, écrit à sa tante pour qu'elle la reprenne. Je tremble maintenant à l'idée de ce qui serait-advenu de cette pauvre enfant si sensible. — Oh! Miss Théobald, vous voulez dire qu'elle peut rester ? s'écria Pat. — Bien sûr ! Je dois bien entendu lui parler, mais ne craignez rien, je m'arrangerai pour qu'elle me fasse des aveux complets. Maintenant, je vais savoir comment m'y prendre, ne vous inquiétez plus. Où est-elle ? — Au dortoir, elle emballe ses affaires. Miss Théobald se leva. — J'y vais, dit-elle. Et vous, rejoignez vite vos compagnes et dites à votre professeur que vous étiez avec moi. J'ajouterai pourtant encore ceci : Je suis fière de vous. Vous êtes bonnes et compréhensives; deux qualités très importantes. Rougissantes de plaisir, les deux fillettes sortirent du bureau, elles se regardèrent, avec une joie débordante.

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— Comme je suis contente que nous avons osé venir. Je crois que les affaires de Kathleen sont en bonnes mains maintenant. Elles coururent alors à la gymnastique, s'excusèrent de leur retard, mais songèrent à Kathleen aussi longtemps que dura la leçon. Elles apprirent l'arrêt de la directrice après le thé, où leur petite amie parut, les yeux encore bien rouges, mais paraissant heureuse. — Je ne m'en vais pas. Je vais rester et prouver à Miss Théobald que je puis être aussi honnête que n'importe qui, leur souffla-t-elle. Elle va écrire à ma tante pour qu'elle m'envoie une somme convenable d'argent de poche et je remettrai en place, tout l'argent que j'ai pris. Et si, pendant un petit temps encore, je ne pourrai pas me permettre d'être aussi généreuse que je le voudrais, j'attendrai patiemment jusqu'à ce que cela soit possible. - Qui, et ne sois surtout pas gênée de ne rien nous donner, si tu es à court d'argent, conseilla Pat. Personne ne t'en voudra pour cela. 3'est stupide vanité de ne pas avouer franchement qu'on ne peut pas acheter ça ou ça. Oh, K.ith, je suis si contente que tu ne t'en vas pas. Isabelle et moi étions juste en train de t'aimer si fort! - Vous avez été bien chics avec moi ! Elle serra les bras en marchant entre elles deux. Si jamais je peux vous rendre votre bonté, je le ferai, dit-elle. Vous aurez confiance en moi, au moins? Ce serait si terrible de ne pas être en confiance. Je crois que je ne pourrais jamais le supporter. — Naturellement, que nous aurons confiance, s'exclama Pat. Ne sois donc pas si bébête.

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CHAPITRE XI.

ENCORE MISS KENNEDY Les deux petites sœurs commençaient à se plaire énormément à St. Clare. On ne les appelait plus « les petites pestes ». Mademoiselle les avait bien aidées en français et elles étaient maintenant à égalité avec la bonne moyenne des autres élèves. Miss Roberts les trouvait intelligentes et les encourageait souvent, ce qui leur était fort précieux. Kathleen était devenue leur amie intime. Elle était, en réalité, une très brave enfant et, bien que maintenant, l'argent ne lui coulait plus des doigts — et pour cause — elle trouva, dans son bon petit cœur, des quantités d'autres façons de se dépenser peur les autres. Elle raccommodait les bas de Pat, elle recolla morceau par morceau, avec une patience angélique, le vase favori de « Mademoiselle », et passa son temps libre au chevet de Doris, puis d'Hilary quand on les mit à l'infirmerie, avec la grippe. Elle savait que plus

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jamais elle ne serait malhonnête et se tenait la tête droite essayant, avec succès, d'oublier les malheureuses actions qu'elle avait commises, et qui étaient réparées maintenant. Miss Kennedy avait aussi la vie plus facile, parce que, depuis la fête de minuit, toute la classe de première était beaucoup plus convenable envers elle. La classe de seconde, pourtant, ayant découvert que Miss Kennedy avait une sainte terreur des chats, de nouvelles aventures était à prévoir de ce côté. En effet, il était pour le moins étonnant de constater que tous les chats disponibles dans les environs se trouvaient toujours dans la classe de deuxième, à l'heure de la leçon d'histoire ! Il y avait dans cette classe, un grand placard ; endroit rêvé pour y cacher un chat. Un matin, Miss Roberts était fiévreuse. Elle sentait arriver la grippe et retourna au lit espérant encore pouvoir la couper. Ainsi donc, la pauvre Miss Kennedy avait à surveiller deux classes, les élèves de première ayant été réunies avec celles de seconde. Elles entrèrent en bon ordre. Miss Jenks, la maîtresse de seconde leur assigna leurs places. - Maintenant, dit-elle, attendez sagement l’arrivée de Miss Kennedy. — Et elle partit donner une leçon dans une autre classe. Aussitôt que la porte se fut refermée sur elle, un brouhaha indescriptible se produisit. Et, à l’étonnement général des élèves de première, Tessie, une élève de seconde, parut avec un

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énorme chat tout noir. Le chat était extrêmement bien élevé, il ronronnait et faisait des grâces comme seuls les chats peuvent faire. Les jumelles regardèrent le spectacle toutes ahuries. — Pourquoi un chat ? demanda Pat ? Fait-il partie de votre classe, par hasard ? — Ha ! ha ! la bonne blague! Je ne crois pas, répondit Pam, caressant le chat. — Non, c'est pour fiche la frousse à la vieille Kenny, une belle frousse, voilà tout ! Vous ne saviez pas, vous autres, qu'elle avait peur des chats ? Nous allons mettre Blackie dans notre placard et, à un moment donné, Tessie qui est près du placard, ouvrira la porte et Blackie sortira, fier comme Baptiste et deux fois plus naturel. Il s'arrangera bien pour nous faire rigoler. Vous pouvez compter sur lui. Les élèves de première commencèrent toutes à rire. Ça, c'était un truc épatant. C'était plus fort que les pétards ! — Ah, elle arrive ! cria-t-on de la porte, où quelqu'un était de garde. Tout le monde à sa place. Mets le chat dans l'armoire, vite Tessie, dépêche-toi ! Le chat fut précipité dans le placard ne comprenant rien à son sort. On ne lui donna aucune explication et on lui ferma la porte au nez. Kathleen, qui adorait les animaux, commença à soulever des objections. — Dites-donc, est-ce qu'il sait respirer, au moins, làdedans ? Ne ferions-nous pas mieux... — Ferme-la, cria Tessie. Et à ce moment, Miss Kennedy fit son entrée, sa pile de cahiers

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sous le bras. Elle sourit aux petites filles et s'assit. Elle était fort nerveuse, se demandant comment elle allait en sortir pour maintenir deux classes en bon ordre. Elle sentit immédiatement qu'il y avait de l'orage dans l'air et se méfia fort des deux ou trois petits éclats de rire vite réprimés d'ailleurs venant de la rangée du fond. Son livre tomba et, elle se baissa pour le ramasser, puis, en se baissant, sa ceinture se défit et elle se rebaissa pour la reprendre. En soi, cela n'avait rien de bien comique, mais cela amusa fort les fillettes du premier rang et elles plongèrent leur nez dans leur livre, faisant des efforts pour éviter le fou-rire. — Si une élève essaie de troubler l'ordre, elle restera debout pendant toute la leçon ! annonça-t-elle avec fermeté. Chacune était bien étonnée d'entendre la douce Miss Kennedy faire un tel acte d'autorité et la leçon commença tranquillement. Tessie devait faire sortir le chat, à peu près au milieu de la leçon, mais le chat en avait décidé autrement. II s'était mis à l'aise sur les ouvrages de mains et jouait avec des rafias de couleur que les petites filles utilisaient pour fabriquer des corbeilles. Puis, il essaya de s'en dépêtrer, mais, sans succès ! Il se leva, se tourna à gauche, puis à droite, se retourna encore, s'emmêla toujours davantage puis, tout à coup, pris de panique, il sauta d'une étagère à l'autre et de bien singuliers bruits sortirent

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tirent du placard aux ouvrages ! Au début, Miss Kennedy, non avertie, ne distingua pas d'où venait ce bruit, mais les petites filles se penchaient sur les livres, faisant mille efforts pour rester sérieuses. Le chat se fâcha! Il sauta en l'air et se cogna la tête, puis il sortit ses griffes et mordit rageusement dans le rafia. — Qu'il y a-t-il donc dans cette armoire ? dit Miss Kennedy, à la longue. — Les ouvrages de main, Miss Kennedy, répondit Tessie. — Ça, je le sais, s'impatiente Miss Kennedy, mais des ouvrages et du rafia, cela ne fait pas de bruit ! Qu'est-ce qui peut causer tout ce tapage ? Ce doivent, sans doute, être des souris ! Ce n'était certainement pas des souris! Simplement le pauvre Blackie qui devenait enragé. Il se débattait comme un beau diable contre tous les éléments du placard. Toute la classe éclata de rire. — C'est trop fort, s'écria Miss Kennedy. Elle se dirigea vers l'armoire et en ouvrit la porte. Blackie, aux anges, s'échappa avec un miaulement. Miss Kennedy poussa un cri quand elle vit bondir cet énorme animal et se sauva vers la porte. Blackie la suivit, comprenant qu'elle voulait le faire sortir. Il se frotta, tout heureux, contre ses chevilles, mais Miss Kennedy pâlit de frayeur. Elle avait vraiment très peur des chats ! Blackie et Miss Kennedy sortirent donc ensemble et se sauvèrent tous deux dans des directions opposées.

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Les petites filles étaient malades de rire, elles en avaient des points de côté et les larmes leur coulaient des yeux ! Tessie ferma la porte, de crainte qu'une maîtresse ne passât. Pendant cinq bonnes minutes, elles ne firent que rire, rire, rire ! ! — Dites-donc, avez-vous vu Blackie quand il se débina ? dit Tessie. — Ce doivent être des souris, minauda Doris en imitant la voix de Miss Kennedy. Là-dessus, nouveaux éclats de rire ! — Ah ! dit Tessie, s'essuyant les yeux, quelqu’un va nous entendre. Je me demande ce qu'il est advenu de la vieille Kenny? Elle s'est volatilisée. Croyez-vous qu'elle viendra achever sa leçon ? Miss Kennedy ne revint pas. Elle était assise dans la salle des maîtresses. Très pâle, avalant péniblement un peu d'eau pour se remettre. Elle avait aussi peur des chats que certaines personnes ont peur des abeilles ou des chauvesouris, mais ce n'était pas la seule chose qui la rendait soucieuse et malade. C'était le fait aussi que les enfants lui jouaient tous les tours pendables, sachant pourtant combien cela l'affectait. « Je ne vaux rien comme institutrice », pensait-elle. « Pour enseigner à deux ou trois enfants comme je l'ai toujours fait jusqu'à présent, j'étais très experte, mais cette besogne-ci est au dessus de ma compétence. Et dire que, l'argent que je gagne vient tellement à point, maintenant surtout

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que maman est si malade. Enfin, ce n'est pas la peine de continuer, je dois abandonner ». Elle décida de descendre en ville et de prendre le thé avec une de ses amies avec qui elle pourrait causer de tout cela et, en revenant, elle donnerait sa démission à Miss Théobald, en lui disant qu'elle ne savait ni enseigner, ni maintenir la discipline dans sa classe. Donc, à quatre heures, elle se rendit en ville, après avoir téléphoné à son amie pour lui donner rendez-vous. Les jumelles, accompagnées de Kathleen, allèrent à la même pâtisserie pour une grande réjouissance. Le salon de thé était partagé en petits compartiments séparés par des draperies rouges et les fillettes prenaient déjà leur thé quand Miss Kennedy et Miss Râper entrèrent. Elles choisirent le compartiment contigu à celui occupé par les trois petites filles. Celles-ci ne pouvaient pas voir Miss Kennedy mais elles entendaient parfaitement ce qu'elle disait et reconnurent sa voix immédiatement. — Je parie qu'elle va raconter l'histoire du chat, murmura Kathleen. Les fillettes n'avaient nullement l'intention d'écouter, mais elles entendaient malgré elles. Et, comme elles le supposaient, Kenny se mit à raconter «l'histoire du chat». Mais elle parla de bien autre chose aussi ! De sa vieille maman malade et pauvre, de l'argent qu'elle gagnait au pensionnat et qui était si bienvenu, des notes qu'elle avait à payer.

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Elle parlait avec amertume de son inaptitude à maintenir sa classe en main. — Je ne vaux rien ! avoua-t-elle à son amie. J'ai accepté des appointements pour enseigner les enfants et je ne leur apprends rien du tout, parce que je ne sais pas les manier; elles se moquent de moi et me font les pires farces. Ne crois-tu pas, en conscience, que je me dois de dire cela à la directrice, Clara ? Ce n'est vraiment pas honnête de ma part de continuer. Je quitte à tous bouts de champ ma classe, tellement ces gosses me harcèlent et me persécutent. Miss Lewis, leur professeur d'histoire, ne pourra pas reprendre sa place ce-trimestre-ci, or je ne vois pas comment je puis la remplacer jusqu'alors. — Mais tu as tellement besoin de cet argent pour aider ta mère pendant qu'elle est malade ! répliqua Miss Râper. C'est de la malchance, ma pauvre, ces gamines doivent être complètement dépourvues de cœur. Les trois petites étaient muettes d'étonnement. Elles étaient horrifiées de leurs actes. — Allons-nous en, murmura Pat, tout bas. Nous n'avions pas le droit d'entendre cela ! Elles étaient, en réalité, très malheureuses. Il était impossible qu'elles laissassent Miss Kennedy donner sa démission. Elle était si bonne et d'autre part très compétente. Et c'était bien vrai qu'elles étaient toutes sans cœur. — Oh, zut, je ne me sens pas chic du tout, commença Kathleen en s'asseyant dans la chambre commune. Je me hais, maintenant J'ai bien

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rigolé ce matin, mais une farce n'est plus un farce si quelqu'un doit en pâtir de la sorte. — Nous devons empêcher la vieille Kenny d'aller chez Miss Théobald, résolut soudain Pat. Ce serait épouvantable. Coûte que coûte, nous devons tenter quelque chose. Pensez de toutes vos forces, pour l'amour de Dieu ! Isabelle, après un moment, leva le nez, — Ecoutez, il n'y a qu'une seule chose à faire, suggéra-t-elle. Nous devons obtenir de toutes les élèves qu'elles signent une lettre, celles de première, et celles de seconde. Une lettre dans laquelle nous lui ferons nos excuses en lui jurant que nous ne lui jouerons plus de blagues. Et nous devons tenir parole. — Ce n'est pas une mauvaise idée, reconnut Pat. Kath, va toi, en seconde, elles sont réunies dans leur salle, et explique-leur ce qui s'est passé. Je vais composer la lettre et chacune de nous signera. Kathleen s'en alla. Pat prit une plume et du papier et, avec l'aide d'Isabelle composa ce qui suit : « Chère Miss Kennedy, « Nous sommes toutes honteuses de notre attitude de ce matin, et nous vous demandons bien humblement pardon. Nous n'avons jamais songé que le chat sauterait sur vous, ni que vous ouvririez vous-même le placard. S'il vous plaît, par donnez-nous. Si vous voulez bien, nous nous engageons à ne plus jamais vous faire de farces, mais de bien nous conduire et de bien travailler pour rattraper le temps perdu. 127

Nous avons d'ailleurs toujours estimé que vous aviez été très chic de ne pas nous avoir vendues le jour de vous savez bien quoi ». Bien sincèrement, vos... suivaient tous les noms, signés individuellement. La seconde défila pour signer aussi. — Qu'est-ce que c'est ce « vous savez bien quoi » ? demanda Tessie curieusement. — C'est notre grande fête de minuit. Elle savait que nous en avions une et elle n'a rien dit. Maintenant, est-ce que tout le monde a signé ? Toi encore, Lorna, signe vite. Toutes les fillettes avaient eu le même sentiment de honte lorsque Kathleen leur avait raconté l'histoire entendue au salon de thé. Tu n'aurais pas dû écouter, dit Hilary, d'un air de reproche. C'est mesquin d'écouter des confidences. - Je sais, répondit Pat. Mais nous n'en pouvions rien, Hilary. Et, en tout cas, je suis ravie que nous l'ayons fait. Nous pouvons, de cette façon, empêcher Kenny de démissionner. Cela empêcha, en effet, Miss Kennedy d'aller chez Miss Théobald quand elle rentra ce soir-là. Elle trouva la lettre sur son pupitre et l'ouvrit. En la lisant, les larmes lui vinrent aux yeux. « Quelle gentille lettre », pensa-t-elle. « Ces gosses ne sont pas sans cœur, après tout. Si seulement elles pouvaient tenir leur promesse, comme j'aimerais leur enseigner l'histoire ! »

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Elle remercia chacune des deux classes le lendemain et les assura de son pardon. Et, pour la première fois, depuis le début du trimestre, la leçon s'écoula sans heurt, comme celle des autres professeurs, parce que les petites filles avaient à cœur de ne pas manquer à leur promesse. Il y eut bien, ça et là, un petit rire qui fusait et quelques papiers qui bruissaient, mais plus aucune cabale organisée et surtout, plus de méchanceté. Kenny était heureuse. Elle enseignait fort bien, maintenant qu'elle était en paix et les élèves s'intéressaient à l'histoire et étaient avides d'en connaître davantage. — Je suis contente que nous ayons fait ce qu'il fallait, conclut Pat, un jour après une leçon d'histoire ! J'ai demandé à Miss Kennedy comment allait sa mère et elle va beaucoup mieux et sort de clinique demain. Est-ce que ce n'aurait pas été atroce si elle avait du mourir parce que Kenny avait perdu sa place. — Epouvantable ! reconnut Isabelle. Et toute la classe était d'accord.

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CHAPITRE XII.

UNE VITRE BRISEE — ET UNE PUNITION Un matin, Hilary entra très excitée, dans la salle commune. — Dites-donc, savez-vous qu'un cirque vient de planter sa tente dans les champs, juste à la sortie de la ville ? Eh bien, voilà, c'est ainsi, j'ai vu les affiches. — Sapristi, j'espère que nous aurons l'autorisation d'y aller, dit Pat, qui raffolait aller au cirque. — C'est le cirque Galliano ! poursuivit Hilary, et elle sortit une réclame de sa poche. Regardez, clowns, acrobates, chevaux dansants, chiens savants, etc... ! Si seulement Miss Théobald donnait la permission d'y aller ! Miss Théobald donna la permission. Elle dit que à tour de rôle, chaque soir, deux classes pouvaient s'y rendre, avec leurs maîtresses. La première année était aux anges. Pat, Isabelle, Kathleen et Janet descendirent en ville pour contempler les magnifiques affiches placardées un peu partout. Elles étaient très animées. Puis, elles allèrent voir les grandes tentes dressées dans les champs. Elles regardèrent les chevaux à qui on

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faisait faire l'exercice et virent cinq petits ours lourdauds qui déambulaient avec leur entraîneur. Elles regardaient toujours, quand un grand chimpanzé, habillé avec jersey et culottes, s'avança vers elles en tenant la main d'un petit garçon suivi d'un petit chien, — Mon Dieu, regardez le grand singe ! s'écria Isabelle., — Sammy n'est pas un singe, c'est un chimpanzé, dit le petit garçon en souriant. — Donne la main, Sammy. Le grand chimpanzé donna solennellement la main aux petites filles. Isabelle et Kathleen étaient trop effrayées pour lui tendre la main, mais Pat tendit la main tout de suite et Sammy la secoua avec conviction. — Est-ce que vous allez venir voir notre spectacle? demanda le petit garçon. — Je crois bien, fit Pat. Etes-vous dans la troupe du cirque ? Qu'est-ce que vous faites ? — Je suis Jimmy Brown et je montre ma fameuse petite chienne Lucky. Voilà Lucky, près de vos pieds, elle sait compter et épeler, — Oh non, les chiens ne savent pas faire cela, dit Isabelle. Jimmy rit, — Eh bien, le mien sait bien, répliqua-t-il ! Vous verrez quand vous viendrez. Et vous voyez la jeune fille làbas ? Elle monte le cheval noir. C'est Lotta. Vous la verrez aussi. Elle sait dompter le cheval le plus sauvage de la terre! Les petites regardèrent Lotta. Elle galopait sur

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Pat tendit la main et Sammy la secoua avec conviction... 132

un magnifique cheval noir. En approchant, elle se mit tout à coup debout sur le cheval et salua les fillettes abasourdies. — N'est ce pas formidable, s'émerveilla Pat ! Comme je voudrais pouvoir monter comme cela. Ne tombe-t-elle jamais ? — Naturellement pas, fit Jimmy. Et bien, il faut que je m'en aille. Viens, Sammy, nous regarderons après vous quatre quand vous viendrez au spectacle, dit-il encore aux fillettes en s'éloignant avec le chimpanzé et le petit chien. Les petites filles rentrèrent à l'école. Elles ne vivaient plus que pour le soir où elles pourraient aller au cirque avec leur classe et celle de seconde ! — Il y a deux spectacles par jour ! annonça Pat. Un de 6 h. 30 à 8 h. 30 et le second, de 8 h. 45 à 10 h. 45. Je voudrais aller au dernier : ce serait chic d'aller une fois coucher à onze heures du soir ! — Nous n'aurons pas cette chance, dit plaintivement Isabelle. Arrive, nous allons rater le goûter ! Mais une épreuve terrible attendait les élèves de première ! Le matin suivant, elles arrivèrent dans leur classe en riant et en bavardant comme de coutume et virent que le grand carreau de la fenêtre centrale était brisé. Miss Roberts assise à son pupitre, avait l'air consternée. —- Mon Dieu, comment cette vitre s'est-elle brisée, s'écria Janet surprise. — Voilà ce que je désirerais savoir, dit Miss Roberts. Quand j'étais dans la salle des maîtresses,

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j'entendis un bruit de vitres et je me précipitai pour me rendre compte des dégâts. J'entendis des pas qui s'éloignaient précipitamment, mais la coupable avait déjà tourné le coin du couloir et, quand j'entrai, je vis le carreau cassé ! — Qui l'a fait ? demanda Pat, sans réfléchir, et pour dire quelque chose. — Je l'ignore, répondit Miss Roberts. Mais voici l'arme du crime : une balle de lacrosse. Je l'ai trouvée, roulant encore sur le sol. Quelqu'un devait jouer dans la classe et la fenêtre a été atteinte. C'est contre le règlement de prendre des balles de lacrosse dans les classes. Elles doivent rester enfermées dans leurs boîtes, dans le vestiaire de sports et on ne peut les prendre que pour s'entraîner, vous le savez bien ! Tout notre petit monde écoutait en silence. Chacune se sentait plus ou. moins coupable sachant bien que les balles de lacrosse devaient rester dans leurs boîtes et qu'aucune d'elles ne respectait le règlement. A chaque instant, l'une ou l'autre allait en chiper pour jouer clandestinement à la balle. — Maintenant, déclara Miss Roberts, je désire que l'élève qui a cassé la vitre s'en accuse instantanément ou vienne me le dire pendant la récréation. Elle aurait dû, naturellement, rester et s'accuser tout de suite, mais le premier mouvement de fuite est assez normal et je le comprends. Personne ne dit mot. Chaque petite fille restait parfaitement tranquille. Miss Roberts passa dans les rangs, cherchant une petite figure coupable.

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Mais la moitié des élèves rougissaient par simple réflexe nerveux. Pratiquement, toute la classe paraissait coupable et mal à l'aise. Elles avaient toujours cette attitude collective quand quelque chose allait mal ! — Eh bien ! soupira enfin Miss Roberts, il est visible que la coupable ne tient pas à s'accuser maintenant. Il faudra pourtant qu'elle vienne me le dire pendant la récréation. Vous avez toutes un solide sens de l'honneur, je le sais, et aucune de vous n'est lâche, donc, je suis tout à fait certaine que la coupable viendra. Je serai dans la salle des maîtresses, toute seule. Personne ne souffla mot, encore une fois. Quelquesunes regardaient autour d'elles se demandant qui pouvait être la coupable. Pat et Isabelle se sourirent furtivement. Elles ne s'étaient pas quittées depuis le déjeuner donc elles étaient sûres l'une de l'autre. La première leçon commença, c'était une leçon de mathématiques. Miss Roberts n'étant pas de bonne humeur, personne ne broncha. Les petites têtes claires et foncées étaient studieusement penchées sur les livres et quand la maîtresse tapait de la règle sur son pupitre, l'ordre était obéit à la lettre. Elles savaient toutes ce qu'elles risquaient si elles se mettaient en tort lorsque Miss Roberts était sur le sentier de la guerre ! Après les math, venait la leçon de français. Mademoiselle, en entrant s'exclama à la vue de la vitre brisée.

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— Tiens, la vitre est cassée. Comment cela s'est-il produit ? — Nous l'ignorons, Mademoiselle, commença Hilary. Personne ne s'est accusé jusqu'à présent. — Mais, c'est abominable; s'écria Mademoiselle, faisant des yeux le tour de la classe. Ce n'est guère courageux ! Les enfants se turent Ce n'était, certes, pas réjouissant de penser qu'il y avait une coupable parmi elles. Enfin, elle s'accuserait peut-être à la récréation. Mais qui cela pouvaitil être ? Pat et Isabelle réfléchissaient à cela. Ce ne pouvait être ni Janet, ni Hilary, elles s'accusaient toujours immédiatement. Ce ne pouvait être Kathleen, elle était avec elles au moment de la catastrophe. Cela pouvait être Sheila, ou Vera ou Joan ou Doris. Mais non, ce ne pouvait être aucune d'elles. Elles n'étaient pas si lâches. A la récréation, toute la classe tint conseil. — Ce n'est pas nous, déclara Pat. Isabelle et moi avons été ensemble depuis la fin du déjeuner jusqu'au moment de rentrer en classe et Kathleen était avec nous ! — Eh bien, ce n'est pas moi non plus, ajouta Hilary. J'étais de corvée pour Rita. — Et ce n'est pas moi non plus, fit Janet ! je nettoyais la cage aux oiseaux avec Doris. Une après l'autre, toutes les petites filles de première dirent à leurs compagnes l'emploi de leur temps entre le déjeuner et la première leçon. Apparemment, aucune d'elles ne pouvait avoir

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brisé la vitre, bien que, en fait, l'une d'elles devait mentir ! Après la récréation, les petites filles rentrèrent-en classe et reprirent silencieusement leur place. Miss Roberts entra, la bouche en ligne droite et de la glace dans les yeux. Du regard, elle fit le tour de la classe. — Je regrette de devoir dire que personne n'est venu s'accuser, annonça-t-elle. Donc, j'ai fais mon rapport à Miss Théobald et elle est d'accord avec moi que le carreau doit être payé par toute la classe. La fenêtre est en vitaglass, ce qui coûte fort cher et il faudra deux cents francs pour la réparation. Miss Théobald a décidé qu'au lieu de vous laisser aller au cirque, ce qui vous coûterait à chacune vingt francs, elle emploierait cet argent pour... Un véritable cri de désespoir l'interrompit. Ne pas aller au cirque! C'était un coup terrible. Elles se regardèrent toutes, décontenancées. Pourquoi la classe entière devait-elle pâtir parce que l'une d'elles avait fait quelque chose de mal ? Cela paraissait tellement injuste ! — Je suis certaine que celle qui brisa la vitre ne tolérera pas que toutes ses petites compagnes soient privées à cause d'elle, continua Miss Roberts. Donc, j'espère encore qu'elle viendra s'accuser, avant le jour où notre classe doit aller au cirque — c'est à dire avant jeudi. — Et je compte que, si l'une de vous connaît la coupable, elle insistera auprès de sa compagne pour qu'elle fasse son devoir vis à vis des autres.

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- Mais, Miss Roberts, supposez que personne ne s'accuse, commença Hilary. Ne pourrions-nous pas, par exemple, payer la vitre et aller quand même au cirque ? - Non, trancha Miss Roberts, définitive. Il ne faut pas insister, Hilary. Ce que j'ai dit reste dit et ne sera pas modifié. Ouvrez vos livres page 56, s'il vous plaît. Que de conciliabules, après la leçon. Ce que les fillettes étaient intriguées et indignées ! — C'est une honte, pestait Janet. Moi, je ne l'ai pas fait, ni toi, Pat, ni Isabelle et nous le savons bigrement bien, donc, pourquoi serions-nous punies ? - Parce que c'est la mode à St. Clare de punir toute une classe pour une seule coupable qui ne s'accuse pas, répondit Hilary. Ils agissent d'ailleurs comme cela chez mon frère, mais très rarement. Je ne suis pas non plus d'accord mais enfin, c'est un fait. Si seulement je savais qui c'était ! Je la prendrais par la peau du dos et je la secouerais jusqu'à ce que mort s'ensuive. — Ecoutez, si l'une de nous s'accusait afin de permettre aux autres d'y aller, suggéra soudain, la bonne Kathleen. Ça m'est égal de m'accuser, si vous voulez, alors, vous pourrez toutes aller au cirque. : Ne sois pas idiote, fit Pat, passant son bras autour de la taille de Kathleen. Comme si nous allions te laisser faire une chose pareille. — Je suppose que ce n'est pas toi, n'est-ce pas Kath ? interrogea Sheila en riant.

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— Naturellement, ce n'est pas elle ! rétorqué Isabelle. Elle était avec Pat et moi-même. C'est bien chic de sa part de vouloir prendre la faute sur elle, mais c'est inacceptable. Si j'apprends qu'elle fait cela, je vais immédiatement chez Miss Roberts et je lui dis que ce n'est pas vrai. -— Bon, je ne dirai rien, ça va, si vous le prenez sur ce ton-là. Oh ! si seulement nous savions qui l'a fait ! Tout le mardi passa et aussi le mercredi et personne ne se démasqua. Quand arriva jeudi, Miss Roberts informa sa classe que la seconde allait au cirque et pas la première. La classe émit un grognement collectif. — Je le regrette beaucoup, dit Miss Roberts. C'est une guigne ! J'espère au moins que la coupable se sent très malheureuse. Maintenant, trêve de lamentations, prenez vos cahiers de géographie.

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CHAPITRE XIII.

LES QUATRE FUGITIVES Ce jour-là, après le goûter, quatre petites bonnes femmes de première année tenait un conseil secret dans une des chambres de musique. C'était Pat, Isabelle, Janet et Kathleen. Elles fulminaient d'être privées d'aller le soir au cirque. — Ecoutez, si on allait malgré tout, proposa Janet. Nous pouvons bien nous sauver en bicyclette sans être vues, si nous prenons le sentier qui longe le terrain de sport. Et nous pouvons revenir dans le clair de lune, et ni vu, ni connu ! — Mais on ferme les portes à dix heures, objecta Kathleen. — Je sais ça, idiote, continua Janet, mais on peut employer l'échelle. Il y en a une contre l'abri aux outils de jardinage et nous saurons facilement grimper au dortoir. — Oui, mais on verra l'échelle demain matin, dit encore Isabelle. - Sapristi, est-ce que vous êtes complètement bouchées, alors, soupira Janet. Une de nous montera à l'échelle et redescendra par l'escalier afin d'ouvrir la porte de l'office, et nous remettrons

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l'échelle en place immédiatement. Est-ce assez explicite ou dois-je vous faire un dessin ? Elles rirent toutes les quatre. Janet était si comique quand elle s'impatientait. - Je vois, fit Pat. Mais, bigre de bigre, si nous sommes pincées, je n'aime guère de penser à ce qui nous attend. — Et bien, flûte, n'y pense pas alors, conseilla Janet. Nous ne serons d'ailleurs pas attrapées. Miss Roberts n'allume jamais le soir quand elle passe au dortoir. Cela ira très bien. Nous allons devoir le dire à Hilary, pourtant. Elle ne pourra pas venir avec nous parce qu'elle est monitrice du dortoir — noblesse oblige — mais elle ne nous empêchera pas d'y aller. Hilary ne les empêcha pas. — O.K. risquez-le, si vous voulez. Je ne vous arrête pas, mais qu'est-ce que vous prendrez si ça tourne mal ! La classe de seconde alla au cirque avec Miss Jenks. La classe de première n'y alla pas et boudait à qui mieux mieux. Il n'y avait que les quatre conspiratrices qui paraissaient avoir encore en elles un atome de joie. La majorité d'entre elles connaissait le plan de Janet, mais aucune d'elles n'osait à ce point enfreindre les lois ! — Cela ne m'étonnerait pas que vous soyez renvoyées, si on vous attrape, dit Doris. — Nous ne serons pas renvoyées, ni pincées! répondit Janet avec conviction. Quand arriva le moment de s'éclipser, les quatre fugitives s'habillèrent et se sauvèrent par la

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porte de l'office. Il faisait noir, maie la nuit était claire. En revenant, il y aurait pleine lune. Elles allèrent doucement jusqu'au hangar à vélos. — Nom d'un petit bonhomme, comme ces vélos font du bruit ! murmura Janet. Descendons le sentier jusqu'au champ, venez ! Et les voilà parties ! Quand elles arrivèrent au cirque, les gens qui avaient assisté au premier spectacle s'en allaient lentement sous la lumière éblouissante des lampes à acétylène. - Cachons-nous près de la haie jusqu'à ce que tout le monde soit parti, ordonna Janet. Ce n'est pas nécessaire de tomber nez à nez avec Miss Jenks et sa progéniture. Elles se cachèrent jusqu'à ce que le calme fut complet. Elles mirent leurs bicyclettes à l'abri derrière la haie et entrèrent. Les fillettes prirent place dans l'immense enceinte, bien au fond, afin que nul ne les vit ! Elles enlevèrent, pour plus de précaution, leur chapeau d'uniforme. Le cirque était merveilleux. Elles virent Lotta, habillée de paillettes étincelantes, monter un cheval sans selle, faire le tour de la piste, se tenir debout sur son cheval, se mettre à genoux, sauter et sourire au public. Elles virent Jimmy Brown i-t sa petite chienne Lucky et s'émerveillèrent de son intelligence. Elles applaudirent les clowns absurdes et les étonnants acrobates. Elles raffolèrent de l'imposant Monsieur Galliano avec son grand fouet et ses énormes moustaches. C'était un spectacle magique et les fillettes s'amusèrent tout leur saoul.

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-— Nous ferions mieux de disparaître un peu avant la fin, murmura Janet en regardant Sammy, le chimpanzé, qui se déshabillait consciencieusement en public et s'affublait d'un pyjama ! Dites-donc, ce qu'il est comique! Oh, regardez, il grimpe dans son lit ! Juste avant la fin, les petites fugitives sortirent doucement. Tout le monde avait l'attention attirée vers les cinq ours qui faisaient debout le tour de l'arène avec leur dompteur, puis, qui tombèrent sur leurs quatre pattes, comme des gosses. — Merveilleux, dit Janet, comme elles se dirigeaient vers l'endroit où se trouvaient les vélos. Où est mon vélo ? Ah, le voilà ! Elles regrimpèrent sur les bicyclettes et, en route, au clair de lune. Le trajet s'effectua sans encombre. Elles remisèrent leurs bicyclettes le moins bruyamment possible, puis, le cœur battant, sur la pointe des pieds, elles partirent à la conquête de l'échelle. Elles étaient passablement énervées. Supposez qu'on les pinçât maintenant, ce serait terrible alors que tout avait si bien marché. Mais elles ne virent personne. Une faible lumière filtrait d'une des chambres à coucher des maîtresses dans l'aile est de l'école. Il était à peu près onze heures et toutes les élèves et même quelques maîtresses étaient déjà endormies. Elles arrivèrent près des échelles. Il y en avait deux. Une petite, facilement maniable et une beaucoup plus grande. Janet choisit la plus petite.

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— Je crois que celle-ci sera grande assez, dit-elle. Donc, s'aidant toutes les quatre, elles se dirigèrent vers la fenêtre du dortoir, elles se cachaient le plus possible dans l'ombre et allaient fort doucement. Elles appuyèrent l'échelle contre le mur, mais... hélas, elle était loin d'atteindre la fenêtre ! — Zut, s'exclama Janet. Regardez, c'est absolument trop dangereux d'essayer d'arriver jusqu’a rebord de la fenêtre, la distance est trop énorme. Et bien, amenez-vous, on va la reporter et prendre l'autre. Celle-là est assez longue pour arriver au toit, je crois. Elles reportèrent la petite échelle et la déposèrent sans bruit, mais, au moment de soulever l'autre, elles firent l'angoissante constatation que c'était bien au dessus de leurs forces. Elle était formidable, et deux et même trois jardiniers n'étaient pas de trop pour la déplacer. Les petites pouvaient à peine la mouvoir et sûrement, jamais ri les ne pourraient la dresser contre le fameux mur. - On nous découvrira demain matin, murmura Kathleen et, en attendant, nous mourrons de froid! - Ferme-la, et ne fais pas le bébé ! dit Janet furieuse. - Ce que nous pouvons encore faire, suggéra Pat, c'est jeter du gravier contre les fenêtres du dortoir. Une ou l'autre s'éveillera et viendra nous ouvrir !

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— Fameuse idée ! répondit Janet. Amenez du gravier. Elles jetèrent ainsi des poignées de gravier, mais Kathleen visa très mal et son gravier alla heurter une autre fenêtre, au-dessus des fenêtres de leur dortoir, où dormait Mademoiselle. Et Mademoiselle s'éveilla ! — Vite, dans l'ombre, cria Janet très énervée. Idiote, tu as touché la fenêtre de Mademoiselle. La grosse tête de Mademoiselle sortit hors de la fenêtre et elles l'entendirent grogner. Elles étaient serrées les unes contre les autres dans un petit recoin, n'osant plus respirer, terrifiées à l'idée que Mademoiselle pouvait les découvrir. Mais elles étaient bien cachées et Mademoiselle n'arriva pas à les voir. Intriguée et bougonne, celle-ci retourna au lit. Les fillettes restèrent encore figées sur place un petit moment puis reprirent leur conciliabule angoissé. — C'est terrible, réellement terrible. Qu'allons-nous devenir ? — Je souhaiterais que nous n'ayions pas été au cirque! — J'ai tellement, tellement froid, je claque des dents... C'est à ce moment que Pat, prenant le bras d'Isabelle ; dit — regardez, regardez, est-ce qu'il n'y a pas là quelqu'un qui regarde par la fenêtre de notre dortoir ? Elles levèrent toutes le nez et, oui, bien sûr, quelqu'un, une élève, regardait dehors.

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Pat se montra dans un rayon de lune et elle entendit la voix étouffée d'Hilary : — Pat, comme tu es tard. Où sont les autres ? — Ici, dit Pat. Les échelles ne peuvent pas servir. Ouvre la porte de l'office, s'il te plaît, Hilary, et fais-nous rentrer, vite, nous sommes frigorifiées ! Hilary disparut. Quelques minutes après, les petites fugitives entendirent la clef grincer dans la serrure, les verrous glisser, puis la porte s'ouvrit. Elles se faufilèrent dans le passage et Hilary referma derrière elles. Elles rentrèrent au dortoir comme de petites souris, avec leurs souliers en main, et s'affalèrent toutes ensemble sur le lit de Janet, avec un rire nerveux tant elles étaient surexcitées de l'aventure. Elles racontèrent leur odyssée à Hilary et Doris s'éveilla et se joignit au petit groupe. Les quatre coupables se trouvaient réconfortées maintenant qu'elles étaient en lieu sûr et racontèrent avec entrain tout ce qu'elles avaient vu. - Vos graviers sont venus se trimballer sur le plancher, dit Hilary en riant. La fenêtre était ouverte et c'est le bruit des graviers qui m'a réveillée. Pour commencer, je ne pouvais réaliser quel genre de bruit j'entendais et puis, j'ai allumé ma lampe de poche et j'ai vu les graviers. Nous devons les rejeter par la fenêtre demain matin, sans faute. Janet baîlla. — Je suis tellement fatiguée.

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Le cirque était magnifique, c'est dommage que tu n'as pas venue aussi, Hilary ! — Oui, je le regrette, fit Hilary. Encore un peu de cran et déshabillez-vous vite. Et ne faites pas trop de bruit, sinon vous éveillerez Mademoiselle qui dort au-dessus, comme vous savez. — Si nous le savons! s'exclama Pat tout amusée au souvenir de la bonne grosse tête sortant de la fenêtre en grognant. Où est ma chemise de nuit, oh, mais où est-elle ? — Tu ne la trouveras pas dans mon lit, idiote! répondit Isabelle qui était déjà déshabillée. — Tu te trompes de lit. Voilà ton lit, chère amie, et voilà ta chemise. — Oh oui, dit Pat. Mon Dieu, si seulement je pouvais dormir toute habillée ! Bien vite, le dortoir retomba dans le silence. Tout le monde dormait. Les quatre fugitives aussi dormaient en paix, se doutant peu du choc qui leur était réservé le lendemain !

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CHAPITRE XIV.

UNE GRANDE DESILLUSION Le lendemain matin, les petites fugitives étaient bien fatiguées. Elles pouvaient à peine se réveiller. Quand la cloche du réveil sonna, aucune des quatre ne bougea. — Hé, Janet, Kathleen, grouillez-vous, cria Hilary. Vous allez être en retard et regardez-moi ces infernales jumelles, elles n'ont même pas ouvert les yeux ! — Encore cinq minutes ! marmonna Pat dans ses couvertures. Mais les cinq minutes se muèrent en dix minutes et les quatre petites ne bougeaient toujours pas ! Hilary fit un clin d'œil à Doris et, à elles deux, elles découvrirent entièrement les dormeuses en tirant les draps et couvertures et en les jetant par terre. — Ouhouhou ! grelottèrent-elles, parce qu'il faisait bien froid ce matin-là ! Méchantes créatures ! — Allons, levez-vous, sinon, on va vous pincer, dit Hilary. Et finalement, à moitié endormies, elles s'habillèrent mollement, en baillant à mâchoire que veuxtu! Elles se secouèrent un peu

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quand le reste de la classe se groupa autour d'elles pour écouter leur équipée. Elles se sentirent des âmes d'héroïnes célèbres. — Je n'ai pas le moins du monde l'envie de travailler ce matin, dit Janet. Oh, mon Dieu, et ça débute par Miss Roberts avec une leçon d'algèbre, quelle guigne ! Rien n'entrera dans ma boule aujourd'hui, j'espère au moins qu'elle est de bonne humeur ! Les élèves entrèrent en classe. Janet prit son livre d'algèbre et parcourut en vitesse la leçon qu'elle devait savoir. En effet, elle n'en comprit pas le premier mot ! Mais c'était son manque de repos qui en était la cause . — Voilà Miss Roberts, hurla Doris de faction auprès de la porte. Les élèves se levèrent. Miss Roberts entra, mais... que ce passait-il donc ? Elle avait une figure toute épanouie et ses yeux brillaient d'un tel éclat qu'elle en était réellement jolie. — Asseyez-vous, fillettes, fit-elle. Les enfants s'assirent, se demandant pour quelle raison leur maîtresse avait un air si satisfait. — Mes petites, ce matin, j'ai à vous dire quelque chose qui me comble de joie, commença-t-elle. J'ai, en effet, découvert que ce n'est aucune d'entre vous qui a brisé ce malheureux carreau. Les élèves la regardèrent ahuries ! Miss Roberts sourit à la ronde. — C'est une petite de seconde, annonça-t-elle. Il paraît que la balle entra par l'extérieur, et que

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la petite coupable se précipitait ici pour la reprendre quand elle m'entendit arriver. — Mais pourquoi n'est-elle pas venue s'accuser, s'indigna Hilary. C'est scandaleux de sa part et nous avons raté notre soirée au cirque, avec tout cela ! — Attendez, poursuivit Miss Roberts. Cette petite fille est Queenie Hobart, que vous connaissez. Elle est à l'infirmerie avec une mauvaise grippe. Elle a été fort effrayée quand elle cassa la vitre et voulut venir s'accuser à la récréation. Au lieu de cela, elle est tombée très malade et fut transportée à l'infirmerie où elle a été très mal pendant ces quelques jours-ci. Aujourd'hui, elle va mieux et sa maîtresse, Miss Jenks, fut autorisée, par le docteur, de lui faire une courte visite. — S'est-elle accusée, alors, s'impatienta Janet? — Miss Jenks lui conta leur bonne soirée au cirque, et dit aussi que la première, qui devait les accompagner, n'y était pas allée, en signe de punition. Et Queenie demanda pourquoi. Quand Queenie apprit que vous aviez toutes été privées pour quelque chose que vous n'aviez pas fait, elle fut prise d'émotion et commença à pleurer. Elle raconta son aventure à Miss Jenks qui s'empressa de venir me la répéter. - Oh, que je suis contente que ce n'est aucune de nous, s'écria Hilary, je détestais l'idée qu'une d'entre nous était lâche ! - Moi, je ne pouvais pas le comprendre, ni l'admettre non plus ! dit Miss Roberts. J'ai la prétention de vous connaître toutes à peu près — et

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malgré que vous êtes souvent très stupides et de parfaites nuisances publiques — je ne pouvais pas me résigner à croire que vous étiez si peu honnêtes ! Miss Roberts faisait toutes ces remarques en souriant et toute la classe rit avec elle. Elles étaient soulagées d'un grand poids ! — Ne pourrions-nous pas aller au cirque, après tout ? demanda Hilary, il y a encore ce soir et demain soir. — Naturellement! dit vivement Miss Roberts. Vous irez demain et, Miss Théobald, pour vous dédommager de votre désappointement tellement immérité, m'a priée de vous conduire en ville avant le spectacle et de vous offrir un bon goûter. Qu'en pensez-vous ? Ce qu'elles en pensaient ! Elles dirent Ohoh et Ahaha et étaient muettes de plaisir! Un goûter, d'abord, un somptueux goûter et puis le cirque* Et le dernier soir encore. On sait que c'est toujours un magnifique spectacle, le dernier jour ! Quelle chance que Queenie s'était accusée à temps. Mais, il y avait, dans la classe, quatre petites bonnes femmes qui ne se sentaient plus bien à l'aise avec leur conscience. Elles se regardèrent et se sentaient coupables. Pourquoi donc n'avaient-elles pas attendu, comme les autres ? Elles demandèrent les conseils éclairés d'Hilary. — Hilary, crois-tu que nous puissions aller avec vous, demain ? — Et si vous n'y allez pas, quelle excuse donnerezvous ?

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Puisque vous me le demandez, je vous avouerai que vous ne le méritez guère, vous avez déjà eu votre part de plaisir, en enfreignant toutes les lois... enfin, tout le monde enfreint les lois une fois ou l'autre, donc, je ne vous blâme pas. La question est ailleurs. Je trouve que ce n'est pas sport de s'amuser une deuxième fois, sans l'avouer. Voilà ce que je ressentirais si j'étais à votre place. D'autre part, si vous allez vous accuser d'un aussi noir méfait, Dieu sait ce qui vous attend. Ce serait terrible ! — Si nous disions que nous ne nous sentons pas bien ? dit Isabelle. En réalité, je ne me sens pas dans mon assiette aujourd'hui. J'ai trop peu dormi. — Eh bien, dites cela demain, acquiesça Hilary. Mais franchement, ce n'est pas de veine de rater un aussi bon goûter, et un spectacle de samedi soir. — Je voudrais ne pas avoir été aussi impatiente ! se lamenta Kathleen. J'aurais aimé! aller avec vous toutes.' Les quatre coupables étaient fort tristes. Elles se concertèrent encore entre elles.— Allons-y de toute façon, fit Janet. Et puis, à l'instant même, elle changea d'avis. — Non, nous ne pouvons pas y aller. Nous sommes déjà assez fautives sans cela. — J'espère seulement que Miss Roberts ne nous enverra pas avaler une drogue quelconque chez l'infirmière! soupira Kathleen qui avait horreur des médicaments.

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Mais quand le samedi arriva, il n'était plus question de raconter des balivernes concernant tel ou tel vague malaise... les quatre fugitives étaient chacune en possession d'un rhume bien réel. Elles s'étaient enrhumées pour tout de bon en attendant dehors la nuit de leur escapade et elles éternuaient et toussaient sans jouer le moins du monde la comédie ! Miss Roberts en fit tout de suite la remarque. — Il vaut mieux que vous passiez un jour au lit, ditelle. Il est possible que vous ayez la grippe. Allez chez l'infirmière, qu'elle prenne votre température. Quatre en même temps ! Où donc avez-vous pris ces rhumes-là ? Elles ne pouvaient mal de lui révéler où elles avaient pris ces rhumes-là ! Elles allèrent donc chez l'infirmière, se sentant bien déprimées. — Kathleen faisait de la température et, par excès de prudence, l'infirmière les fourra toutes au lit ! Elle leur administra une de ses horribles potions et les emballa comme si elles étaient en Sibérie. — Atchoum, éternua Kathleen. Comme nous avons été idiotes de prendre la fuite jeudi soir, et comme je déteste avoir un rhume ! — Et rater ce bon délicieux goûter ! soupira Pat. Hilary qui racontait tantôt devant moi que Miss Roberts avait téléphoné à la pâtisserie pour retenir suffisamment d'éclairs au chocolat, comme nous les aimons ! — Eh bien, mes amours, ce n'est pas la peine de maugréer! fit Isabelle avec raison, nous nous sommes attirées toute cette déveine.

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C'est notre propre faute et maintenant, fermez votre honorable bec, j'ai envie de lire ! La classe de première s'en alla donc à cinq heures avec Miss Roberts pour déguster leur fameux goûter et Miss Roberts réserva quatre éclairs au chocolat pour les petites malades. - Je trouve qu'elles ont pris très stoïquement la chose, confia Miss Roberts à Hilary, je n'ai entendu aucune d'elles se plaindre de leur malchance. Hilary ne dit rien. « Miss Roberts eut été fort étonnée si elle avait connu la véritable raison des fameux rhumes et du stoïcisme des enfants», songea-t-elle. Mais Hilary ne pouvait mal de les dénoncer. Le cirque donna, ce soir-là, son plus beau spectacle. Et, après la représentation, les fillettes furent autorisées à visiter la ménagerie et à voir les animaux de près. Sammy, le chimpanzé parut charmé de leur visite et il n'en finissait pas de retirer et de remettre son chapeau pour les saluer. Jumbo, l'éléphant, souffla dans le cou d'Hilary et souleva ses jolies boucles. Lotta leur permit de caresser le cheval, Black Beauty. Bref, dans l'ensemble ce fut une soirée mémorable et les enfants revinrent au pensionnat, fatiguées et ravies. En rentrant, Miss Roberts passa à l'infirmerie voir si les quatre petites recluses étaient encore éveillées. L'infirmière les bordait pour la nuit. — Ce ne sera pas très grave, dit-elle à Miss Roberts. La température de Kathleen est redevenue normale, elles en seront quittes avec un bon

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rhume. Comme c'est demain dimanche, je les conserverai cependant encore ici. — Je leur ai apporté à chacune un éclair au chocolat qu'elles aiment tant, dit Miss Roberts, je suppose que je ne puis pas le leur donner maintenant ? — Oh ! elles peuvent certainement le manger, si elles en ont envie, répondit l'infirmière, cela ne leur fera pas de tort. Toutes les quatre, elles se dressèrent comme un seul homme (si on peut dire), quand Miss Roberts exhiba les éclairs au chocolat. Elles trouvèrent Miss Roberts infiniment gentille d'avoir pensé à elles. En dégustant leur gâteau elles écoutèrent le récit que la maîtresse leur fit de la soirée.. — Avez-vous aussi trouvé que Sammy était si comique quand il se déshabille devant le public ? demanda Kathleen, oubliant complètement que Miss Roberts ne savait pas qu'elle était allée au cirque. Miss Roberts la regarda, surprise. — Kathleen a vu les affiches en ville, dit vivement Pat, lançant un regard chargé d'orage sur l'infortunée Kathleen. — Je crois qu'il est grand temps que mes malades reposent, Miss Roberts, intervint, en rentrant l'infirmière. Miss Roberts leur souhaita la bonne nuit et les quitta aussitôt. Les petites s'enfoncèrent dans leurs draps et la lumière s'éteignit.

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-— Idiote de Kathleen, tu nous a presque mis dedans, dit Janet. — Je regrette, murmura Kathleen endormie. J'avais complètement oublié. — Défense de parler, dit encore l'infirmière en passant la tête. Encore un mot et je vous administre illico, une bonne cuillerée de ma meilleure drogue.' Après cela, le silence fut scrupuleusement observé, et pour cause !

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CHAPITRE XV.

UNE QUERELLE EPOUVANTABLE Les semaines s'ajoutaient aux semaines. Le milieu du trimestre s'écoula. La maman de Pat et d'Isabelle vint les voir et les emmena pour toute la journée. Elle fut satisfaite de les retrouver si braves et si heureuses. — Eh bien, comment allez-vous ? demanda-t-elle. J'espère que vous ne trouvez pas St. Clare aussi impossible que vous le craigniez ? Les jumelles devinrent écarlates. — Ce n'est pas une mauvaise école, marmotta Pat. — C'est tout à fait bien, ajouta Isabelle. Maman connaissait à fond ses deux petites filles et elle savait que ces quelques mots signifiaient, à n'en pas douter, qu'elles se plaisaient à St. Clare.

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Toutes les semaines, il y avait un match de lacrosse. Quelquefois joué par les cadettes, d'autres fois par les aînées. Les jumelles y prirent un goût réel et suivaient tous les matches avec acharnement. Elles trouvaient Belinda Towers merveilleuse. Elle était plus rapide que le vent et réussissait toujours les passes les plus difficiles. — Te souviens-tu comme nous étions méchantes avec elle, au début ? avoua Pat. Je me demande comment nous osions nous montrer si désagréables. — Nous étions une belle paire d'imbéciles, acquiesça Isabelle. Réellement, je me demande, moi aussi, comment les autres nous supportaient. — Il y en a tout de même une que je ne supporte pas ici, poursuivit Pat, et c'est Sheila Naylor. Qu'a-t-elle donc dans le coco ? Elle est tellement hautaine et imbue de sa personne — parlant toujours de sa merveilleuse maison, du nombre de ses domestiques, de son cheval et de ses trois autos, elle se met toujours en avant et donne son avis à tort et à travers, bien qu'il ne vaille -pas deux sous ! Toute la classe, en effet, estimait que Sheila se donnait beaucoup de mal pour impressionner les gens et pour se faire passer pour extraordinaire, alors qu'elle était quelconque et plutôt vulgaire, avec, pour comble, des manières peu raffinées. 'Ses vêtements coûtaient, bien entendu, un argent ridicule et elle achetait ce qu'il y avait de plus cher.

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Mais, par contre, ses cheveux n'étaient jamais bien brossés et quand elle pouvait se passer de se laver le cou, elle n'y manquait pas. Janet était celle d'entre elles qui avait le moins l'indulgence et de patience avec elle. Elle ne supportait pas les vaniteuses et les airs et les manières de Sheila l'exaspéraient, au delà de, toute expression. Elle n'avait aucune patience avec elle et Sheila, sachant cela, se mettait rarement sur son chemin. Cela arrivait parfois cependant. Un après-midi, avant le thé, la première s'amusait dans la chambre commune. Pat faisait marcher le même disque de phono pour la quatrième fois. Janet leva les bras au ciel. — Pat, pour, l'amour de tous les saints, apprends-tu ce disque par cœur. S'il te plaît enlève-le, si tu me le fais encore entendre, je hurle ! — Tu dois pas parler comme ça, commença Sheila d'une voix susurrante et étudiée. Janet lança son livre par terre. - Ecoutez-moi cette Sheila! Tu dois pas. Grand ciel, Sheila, où donc as-tu été élevée ? N'as-tu jamais parlé avec des gens bien élevés ? Sapristi, tu délires à longueur de journée avec tes bonniches, tes Rolls-Royce, ton canasson et ton lac et de Dieu sait quoi encore et puis, tu parles comme une ignorante. Sheila, pendant ce discours, avait pâli. Pat mit vite un autre disque. Janet reprit son livre, bouil-l.mte de rage, mais un peu gênée tout de même. Si Sheila n'avait rien répondu, tout aurait encore

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pu s'arranger. Mais, un moment après, Sheila, de sa voix de fausset, s'adressant à Janet, lui dit : - Je suis sûre que si mes parents savaient que je devais me commettre avec des gens comme toi, Janet, ils ne me laisseraient pas une minute de plus à St. Clare. Tu n'as aucune manière, tu... — Manières, tu parles de manières ? ironisa Janet, relançant son bouquin par terre. Eh bien merci ! Et les tiennes de manières, où les as-tu prises? Tu pourras parler des autres quand tu te seras lavé le cou et brossé les cheveux et que tu mangeras convenablement, toi qui prétends être trop chic pour nous ? Pouah ! Janet prit la porte. Sheila restait figée sur place. Les jumelles la regardèrent. Elle avait encore pâli. Pat mit le plus bruyant disque qu'elle découvrit. Quelle terrible dispute ! Sheila s'en alla de son côté. Pat arrêta alors le gramophone. — N'est-ce pas épouvantable? demanda-t-elle à Isabelle. Je voudrais que Janet n'ait pas dit tout cela. C'est la vérité, c'est ce que nous pensons toutes, mais, entre nous, nous pouvons bien le dire, mais pas le lui lancer à la tête comme cela. — C'est, en tout cas, en grande partie la faute de Sheila! intervint Hilary. Si elle ne nous rasait pas avec ses vantardises et si elle n'essayait pas de se faire passer pour une des sept merveilles, nous ne remarquerions pas toutes les bêtises qu’elle nous débite. Je veux dire que quand quel-' qu'un parle de ses cinq salles de bain, une rosé, une bleue, une verte, une jaune et une mauve, et puis ne se donne pas même la peine de se laver

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le cou, on ne peut tout de même pas ne pas le remarquer. — Oui, elle est fort comique avec ses salles de bain! approuva Isabelle. Elle est toujours comique. Elle est la seule dans la classe qu'on ne réussit pas à digérer. Je veux dire, on ne parvient pas à discerner si elle est généreuse ou avare, bonne ou méchante, honnête ou malhonnête, sincère ou menteuse, gaie ou sérieuse, parce qu'elle n'est pas naturelle du tout, elle se donne des airs et des attitudes, elle joue toujours des personnages. Elle peut être fort gentille pour tout ce que nous en savons. —^ Je ne crois pas, dit encore Hilary, qui était réellement fatiguée de Sheila et de ses histoires. Sincèrement, je crois qu'elle ne vaut pas grand' chose. Sheila ne parut pas au goûter. Comme elle était encore absente pour l'étude du soir, dans la classe, Miss Roberts envoya Pat à sa recherche. Pat la chercha partout et finit par la découvrir dans une petite chambre de musique déserte et glacée. - Sheila, qu'est-ce que tu fabriques là? demanda Pat avec sympathie, as-tu oublié qu'il y avait étude ce soir ? Sheila ne répondit mot, et resta parfaitement tranquille. Pat la regarda de plus près. Elle parrit malade. Tu ne te sens pas bien? demanda encore ! 'al. Je vais te conduire à l'infirmerie si tu veux. .st-ce qu'il y a, ma vieille branche ? - Rien, dit Sheila sèchement.

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— Eh bien, qu'est-ce qui te prend alors de venir t'installer ici? Ne fais pas la bête. Si tu n'es pas malade, trotte-toi à l'étude, Miss Roberts est pleine d'anxiété à ton sujet. — Je n'irai pas, trancha Sheila. Je ne veux plus me retrouver en face de vous toutes après ce que m'a dit Janet. — Enfin! peut-on attacher une telle importance aux saillies intempestives de Janet! Tu sais comme elle se fâche pour un rien avec nous toutes et dit des choses dont elle ne pense pas le quart. Elle a tout oublié depuis longtemps, va. Allons, grouille-toi ! — Elle n'a rien dit qu'elle ne pensait pas, c'est là toute la question, répliqua Sheila de la même voix égale et inquiétante. Elle a dit, au contraire, des choses qu'elle' pensait fort bien. Oh ! je la hais ! — Tu ne peux pas haïr cette vieille Janet, voyons. Elle est terriblement emportée et impatiente, mais c'est une amie solide. Elle ne voudrait jamais te faire de la peine réellement. Ecoute, je suis sûre que tu es malade. Viens avec moi à l'infirmerie. Peut-être as-tu de la température. — Laisse-moi tranquille, s'obstina Sheila. En désespoir de cause, sa petite compagne la quitta, fort perplexe. Quel dommage que cette sotte avait pris feu comme cela et dit ces choses si peu charitables. Pat se rendait compte de ce qu'elle ressentirait si quelqu'un lui disait de telles vérités en public. Elle ne savait que faire et qu'allait-elle dire à Miss Roberts ?

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Chemin faisant, elle passa devant les chambres d'études des grandes. La porte de Winifred James était entr'ouverte et Pat vit Winifred qui lisait. Il lui vint une idée/ Elle ne pouvait pas raconter à Miss Roberts cette lamentable histoire, mais elle pouvait la confier à Winifred. Il était absolument hors de question, pour elle, de planter là Sheila sans essayer de faire quelque chose. Elle frappa donc à la porte. — Entrez, dit la monitrice, et elle leva sa jolie tête sérieuse et réfléchie à l'apparition de sa petite cadette. — Hallo, quelle nouvelle, que se passe-t-il? Ne devrais-tu pas être à l'étude à cette heure-ci? — Oui, acquiesça Pat, mais Miss Roberts m'a envoyée à la recherche d'une élève et je suis très contrariée à son propos. Ce n'est pourtant pas une histoire à raconter à Miss Roberts. Puis-je te là confier, Winifred ? — Naturellement, à moins que ce ne soient des racontars, Patricia. — Pas du tout, s'indigna Pat, je ne fais jamais des cancans! Mais il m'est soudain revenu à l'esprit que cette élève et toi étiez de la même contrée et j'ai pensé que tu pourrais, peut-être me venir en aide. - Tout ceci est bien mystérieux. De quoi donc .s'agit-il et de qui ? Pat raconta toute la dispute et ce qui s'en était .suivi. - Et Sheila me semble si drôle et si malade.

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conclut-elle. Tu sais, j'ai comme l'impression, Winifred, que c'est plus qu'une stupide querelle entre compagnes. La grande écouta en silence. — Je suis ravie que tu m'en parles. Cela tombe bien car je suis probablement la seule qui pourra arranger cela, parce que je connais l'histoire de Sheila. Tu es une petite personne sensée, Pat, aussi vais-je te la dire en quelques mots. Et alors, nous trouverons, ensemble, le moyen d'aider Sheila. — Je le voudrais bien! Je ne l'aime pas beaucoup, mais, en fait, je la connais fort peu, parce qu’elle se camoufle derrière une prétention idiote qui la rend antipathique, tu comprends, Winifred? Mais, maintenant, je crois qu'elle est fort malheureuse et je n-'aime pas cela non plus. Winifred, alors, fit le récit suivant : — Les parents de Sheila ont été pauvres autrefois. Ce sont de nouveaux riches. Sa maman était la fille de notre jardinier. Son père tenait boutique au village. Il eut la chance de réaliser une grosse fortune et ils se sont élevés considérablement dans le monde. Maintenant ils ont, en effet, une belle maison — presqu'un château — Dieu sait combien de domestiques, des autos, etc... et ils ont envoyé Sheila à St. Clare dans l'espoir d'en faire une «lady». — Oh ! marmotta Pat, saisissant en un éclair un tas de choses, donc, voilà pourquoi cette pauvre Sheila se vante toujours et prend des attitudes hautaines et distantes — elle croit que c'est le

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seul moyen pour en imposer et pour que nous la prenions en considération. Elle a constamment peur d'être raillée. Comme elle se trompe ! — Oui, sa stupide prétention est une sorte d'écran derrière lequel elle cache sa petite personne sans charmes et passablement effrayée et dépaysée parmi vous, dit encore Winifred. Et voilà, tu comprends maintenant que Janet a dissipé son camouflage et mis le doigt sur toutes les choses que Sheila essayait de vous cacher, elle est comme un pauvre poisson hors de l'eau ! — Mais qu'elle est bê£e de faire tant d'histoires! Si elle nous avait simplement dit que ses parents s'étaient enrichis et que, grâce à cela, elle était heureuse de pouvoir être élevée à St. Clare, nous aurions tout de même mieux compris et nous l'aurions au moins estimée pour sa franchise. Mais, toutes ces idiotes vantardises ! Vraiment, Winifred, c'était très difficile à supporter sans sourciller. — Quand les gens se sentent inférieurs à leur milieu, ils agissent bien souvent de cette façon pour cacher leur infériorité, dit Winifred, paraissant à Pat infiniment sage et réfléchie. Il faut avoir pitié d'eux et les aider. — Mais comment pourrais-je aider Sheila? demanda Pat. Je ne sais vraiment pas. — Je vais aller la voir, résolut Winifred, en se levant. Tout ce que je vous demanderai de faire, à toi et à Isabelle, c'est d'être bien gentilles avec elle et de ne pas trop rire des choses qui pourraient la froisser. Maintenant que Janet a démoli

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le mur que Sheila s'était construit et qu'elle a mis à nu, la pauvre petite chose qu'il y avait derrière, elle a bien besoin d'un peu d'amitié et de compréhension. Si elle a un tant soit peu de bon sens, elle laissera tomber sa vanité et nous aurons une chance de découvrir une Sheila plus sincère. Mais, donnez-lui cette chance, voulez-vous ? — Naturellement, nous essayerons. Merci beaucoup, Winifred. Je cours à l'étude, maintenant. Ce que Winifred dit à Sheila, personne ne le saura jamais. La monitrice était d'une sagesse au-dessus de son âge et elle entreprit la pauvre fillette avec beaucoup de tact et de gentillesse. Sheila réapparut dans la chambre commune le même soir, pâle et nerveuse, évitant le regard de ses compagnes. Mais Pat vint immédiatement à son secours. — Sheila, tu es justement celle que j'attendais, je t'en prie, montre moi vite où j'ai fais cette faute dans mon tricot. Je me suis trompée, c'est certain, et il n'y a que toi pour suivre convenablement un patron. Regarde, est-ce là que cela ne va pas, ou là ? Sheila alla auprès de Pat avec reconnaissance et lui montra comment elle devait s'y prendre pour rectifier son erreur. Quand le tricot fut en ordre, Isabelle l'appela. — Hé, Sheila, prête-moi donc tes couleurs, dis! Je ne peux pas imaginer où j'ai laissé les miennes. — Oui, bien sûr, dit Sheila. Et elle sortit pour

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prendre ses couleurs. Janet leva le nez aussitôt qu'elle eut quitté la chambre. Pourquoi cette soudaine amitié pour notre insupportable Sheila ? demanda-t-elle. — Pour réparer un peu les horreurs que tu lui a servies répondit Pat. Donne-lui donc une chance, Janet. Tu l'as touchée à l'endroit le plus sensible et tu lui a enlevé, d'un seul coup de langue, tout son camouflage. — Une excellente méthode, ma toute belle, sourit Janet. Elle en avait rudement besoin ! — Eh bien, elle a été servie à souhait, donc, maintenant, donne lui sa chance, Janet, ne sois pas mesquine. — Je ne le suis pas. Je regrette beaucoup ce que j'ai dit, bien que cela n'en ait pas l'air. Bon, je ferai ma part, mais je ne lui dirai pas que je m'excuse, ça, non. Si je le faisais, elle pourrait se remettre en colère. Mais enfin, je veux bien lui montrer que je regrette. — Cela vaut mieux encore! fit Isabelle. La voilà ! Sheila rentra avec sa boîte de couleurs. - Merci, dit Isabelle. Sapristi, quelle chouette boîte ! Hier encore, Sheila se serait rengorgée et aurait sauté sur l'occasion de dire combien coulait cette boîte et en aurait tiré vanité. Mais elle ne dit rien. Janet la regarda et vit qu'elle avait encore bien mauvaise mine. Janet était bonne et ténébreuse, malgré sa langue pointue et amère et son caractère vif. Elle prit une boîte de toffees

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sur son étagère et en offrit à la ronde. Sheila s'attendait à être exclue de la distribution, et regarda ailleurs. -— Toffee pour toi? Sheila, vieille carcasse! dit Janet de sa voix claire et gaie. Sheila observa Janet en hésitant. Elle se sentait encore meurtrie et fâchée, mais les yeux de Janet étaient bons et doux et Sheila comprit qu'elle voulait faire la paix. Elle refoula donc son ressentiment et accepta le toffee. — Merci, Janet! murmura-t-elle d'une voix tremblante. Puis, y compris Sheila, elles se plongèrent toutes ensemble dans une importante discussion concernant la pièce qu'elles allaient mettre sur pieds pour la fête de fin d'année et, dans le feu de la conversation, Sheila oublia ses rancœurs en suçant son tof fée. Elle était beaucoup plus heureuse. Elle y repensa pourtant encore dans son lit, ce soir-là. Elle n'aurait pas dû se fâcher, mais, avec ce sentiment d'infériorité qui la poursuivait toujours et qu'elle voulait cacher à tout prix, elle était portée à exagérer sa richesse, elle le savait bien. Et dire que les autres avaient découvert ses points faibles et s'amusaient d'elle! Cette pensée lui était intolérable! Mais, si seulement elles voulaient bien être plus amicales à son égard et ne pas se moquer d'elle, cela ne lui en coûterait pas tellement d'avoir été pauvre. Elle n'avait pas été ce qu'on peut appeler une petite fille bien courageuse, ni non plus très raisonnable, mais à présent, elle était tout de même courageuse et raisonnable assez pour se rendre compte

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que l'argent, les servantes et les autos n'avaient pas la moindre importance. C'était autre chose qui comptait. « Et maintenant, j'agirai comme Winifred me l'a dit, je montrerai ce que je suis vraiment, pensa la pauvre Sheila, se tournant et se retournant dans son lit. Je ne crois pas que je sois quelqu'un de remarquable, mais enfin, cela vaudra tout de même mieux que d'être cette atroce créature bourrée de prétention que j'étais devenue depuis que je suis ici ! » Et voilà comment prirent fin les manières hautaines de Sheila. Les autres élèves suivirent l'exemple de Janet et des jumelles et furent pleines d'amitié pour elle. Elle accepta cette chance et la petite Sheila, un peu insignifiante, à figure de souris, devint autrement acceptable que la Sheila hautaine de naguère; Après un certain temps, elle pourrait devenir très bien et, comme disait Pat, alors cela vaudrait la peine de l'avoir comme amie. — Je donnerai toujours une chance à tout le monde dorénavant, décréta Pat à Isabelle, regarde Kathleen, quelle chic fille elle est devenue, et Sheila maintenant qui a déjà tellement changé. — Oui, dit la voix claironnante de Janet, qui écoutait leur conversation; vous ne risquez rien, vous deux, de donner une chance aux autres, est-ce que nous ne vous avons pas toutes donné une fameuse chance, à vous deux? Sapristi, vous étiez passablement insupportables quand vous étiez nouvelles, permettez-moi de vous le dire! Mais

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vous n'êtes plus si moches à présent, vous êtes même très.... Pat et Isabelle se saisirent, en un clin d'œil, des coussins qui leur tombèrent sous la main et se ruèrent sur Janet. Avec des rires et des cris, elle essaya de se dégager, mais elles la harcelèrent sans merci. — Nous ne te donnerions pas la moindre chance à toi, espèce de sorcière, criait Isabelle, Tu ne la mérites pas. Ah! arrête de me pincer, brute malfaisante ! — Eh bien, faites place, alors, et attendez que je prenne possession d'un coussin! Mais elles n'attendirent rien du tout, elles se précipitèrent à la gym, avec Janet à leurs trousses, bousculant tout le monde sur leur passage. — Ces élèves de première! dit Tessie dégoûtée, elles devraient être au jardin d'enfants, à voir la façon dont elles se conduisent !

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Pat et Isabelle se ruèrent sur Janet.

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CHAPITRE XVI.

SHEILA FAIT SA PART II ne restait plus que quatre semaines avant la fin du trimestre. Les petites filles étaient toutes fort occupées à apprendre des rôles, des chansons, des jeux pour la fête de clôture du trimestre. La classe de première montait une pièce historique avec Miss Kennedy et cela les amusait beaucoup. Miss Kennedy avait écrit la pièce elle-même avec l'aide des élèves et Miss Ross, la maîtresse d'ouvrage, organisait la confection des costumes. C'était très amusant! — Vous savez, la vieille Kenny est épatante, annonça Pat, qui apprenait son rôle avec acharnement; c'est curieux, je ne songe plus jamais à lui faire des farces pendant les leçons d'histoire. Je suppose que c'est parce que nous sommes toutes si intéressées par cette pièce. — Eh bien, je voudrais être aussi passionnée pour ma pièce en français, soupira Doris, de qui la détestable prononciation française conduisait Mademoiselle au bord du désespoir. Il m'est tout bonnement impossible de rouler mes « r » dans ma gorge comme vous-autres. R, r, r, r ! !

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Tout le monde riait à gorge déployée des comiques efforts faits par Doris pour acquérir l'accent français. Doris n'avait d'oreilles, ni pour la musique, ni pour les langues et faisait le désespoir aussi bien de la maîtresse de chant que de la maîtresse de français. Mais, par contre, elle dansait à ravir et son solide sens de l'humour mettait tout le monde en gaîté au moins une douzaine de fois par jour. C'était bien amusant, tous ces préparatifs. Chaque classe y prenait part et il y avait des palabres sans fin pour prendre possession de la salle de gymnastique, pour les répétitions. Miss Thomas, la maîtresse de gymnastiques lamentait de ce qu'on fît ainsi usage de son local pour tout, sauf pour la gymnastique. Pourtant, les leçons suivaient leur cours normal et Miss Roberts ne permettait pas que les répétitions troublassent le moins du monde le travail quotidien. Elle se fâcha même très fort contre Pat quand elle découvrit que celle-ci apprenait son rôle au lieu d'étudier sa grammaire. Pat avait recopié son rôle sur un papier qui s'adaptait exactement à son livre de grammaire. Elle avait un beau, magnifique rôle et voulait le connaître à fond, pour la répétition de cet après-midi. —: Je crois, Patricia, que tu n'es pas à la bonne page pour suivre la leçon de grammaire. Apporte-moi ton livre, nous, allons voir cela ensemble. Pat rougit violemment. Elle se leva, et fit tomber

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son livre afin que les pages se ferment, feignant une maladresse. Mais sa maîtresse ne fut pas dupe, ses yeux voyaient tout. — C'est bien ce que je prévoyais, fit-elle sèchement, en retirant le rôle de Pat. Quand a lieu la répétition ? — Cet après-midi, Miss Roberts. — Au lieu d'y assister, tu étudieras ta grammaire, ordonna Miss Roberts. Cela me parait juste et équitable et j'espère que tu es d'accord. Si tu apprends ton rôle pendant ma leçon, il est tout indiqué que tu étudies ma leçon pendant la répétition. Pat la regarda avec désespoir. — Oh, Miss Roberts, je vous en prie, ne m'obligez pas à manquer la répétition ! J'ai un rôle important, vous savez. — Oui, exactement comme moi j'ai des examens importants à te faire passer, répondit le professeur du tac au tac. Mais soit, je te donne une seconde chance, apprends tes règles pendant la récréation et si tu les sais à la fin de la matinée, je te tiens quitte. Retourne à ta place. La petite fille alla à la répétition, naturellement. Ce n'était franchement pas malin de sa part d'essayer des trucs comme ça pendant une leçon de leur maîtresse de classe et elle dut bloquer sa grammaire pendant que les autres jouaient afin de la savoir à la perfection à la fin de la matinée Pourtant, toutes les élèves aimaient Miss Roberts. Elle était fort exigeante, pouvait être extrêmement

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Pat fit tomber son livre, feignant une maladresse...

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sévère et sarcastique, mais elle était toujours strictement juste et ne revenait jamais sur une promesse donnée. Mademoiselle, elle, était quelquefois un peu injuste, mais son bon cœur lui faisait pardonner ses décisions impulsives. Ayant ainsi à travailler et pour les examens et pour la fête, les fillettes avaient peu de temps libre, mais elles avaient beaucoup de plaisir. Doris devait danser une danse qu'elle avait créée elle-même. Vera jouait un morceau de piano. Elle était bonne pianiste. Cinq petites filles jouaient dans une comédie en français et presque toutes, dans la pièce historique. Tout le monde avait un rôle. Toutes excepté une! Sheila n'avait rien à faire. Ceci par suite d'une pure coïncidence. Au début, Mademoiselle avait dit qu'elle tiendrait le rôle de Monsieur Toc-toc dans la comédie et, à cause de cela. Miss Kennedy ne lui avaitpas assigné de rôle dans sa pièce. — Et, par après, Mademoiselle avait changé d'avis et prit Joan à sa place. Donc Sheila n'avait pas de rôle et comme elle ne jouait pas de piano ni de violon, ne savait pas du tout déclamer et guère danser non plus, elle se sentait de trop et laissée pour compte! Elle ne dit rien, pourtant. Au début, personne ne s'aperçut qu'elle n'avait aucun rôle parce que tout cela arriva accidentellement. Puis, Isabelle vit que Sheila errait désœuvrée et lamentable et lui en demanda la cause. — Qu'est-ce qu'il y a, des mauvaises nouvelles de la maison, en quelque chose ?

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— Oh non ! dit Sheila, rien de ce genre. Isabelle n'ajouta rien, mais observa Sheila. Elle se rendit vite compte que Sheila ne faisait partie d'aucune comédie et ne jouait rien toute seule non plus. — Dis, Sheila, je crois que tu es triste de ne rien faire pour la fête ? insista-t-elle. Je croyais que tu serais dans cette comédie en français ! — J'y étais, en effet, répondit Sheila toute triste, mais alors Mademoiselle choisit quelqu'un d'autre. Je ne suis dans rien et tout le monde le constatera. Isabelle, je déteste tellement d'être la seule à ne rien faire. - Mais ça n'a pas été fait exprès, dinde que tu es, répliqua Isabelle en riant gentiment. — Moi, je sens comme si on l'avait fait exprès. Je sais que je ne suis pas bonne à grand chose, mais cela ne changera jamais si on ne me laisse même pas essayer. — Oh, je t'en prie, ne fais pas l'enfant ! Sheila conservait néanmoins son petit air obstiné. Comme beaucoup de gens faibles, elle pouvait être extrêmement têtue. — Enfin, j'en ai assez, je n'irai plus aux répétitions, ni a rien, je resterai ici toute seule. Tu pourrais tout de même, il me semble, t'intéresser à ce que fait ta classe, ma chère, même si tu ne participes pas à la représentation, s'écria Isabelle, indignée. C'est mesquin et stupide ce que tu dis-la ! - Je serai mesquine et stupide alors, répondit

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Sheila en larmes et elle s'en fut, plantant là Isabelle. Celle-ci alla aussitôt raconter l'histoire à sa sœur. — Zut, fit Pat, et cela au moment où nous nous donnions tant de mal pour la rendre plus raisonnable. Bast! ne nous en faisons pas pour elle, si elle tient tant que cela à jouer au martyre, qu'elle se débrouille ! Janet, mise au courant, elle aussi, fut plus cornpréhensive. Elle avait été très bonne pour Sheila pendant ces deux semaines et cette dernière histoire la rendait soucieuse. — Non, tâchons de ne pas démolir la bonne besogne réalisée jusqu'à présent. Pensons plutôt à ce qu'elle pourrait bien faire pour la fête. Je me souviens que, moi aussi, une fois, on m'avait laissé choir au dernier moment, pour un match où je devais jouer et je vous prie de croire que je me sentais bien malheureuse. Je me rappelle que je m'étais imaginée que toute l'école murmurait derrière mon dos et se demandait ce que je pouvais bien avoir fait pour être mise au rancart comme cela ! Les jumelles éclatèrent de rire ! Janet était si raisonnable et si insouciante qu'elle ne pouvaient pas se la figurer se faisant du mauvais sang pour une affaire de ce goût-là. — Ça va, ça va, riez à votre aise. Vous êtes jumelles et vous êtes toujours deux à supporter les coups durs, mais quand on est seule et pas très aimée comme Sheila, ce n'est pas si drôle. De petits riens prennent des proportions énormes.

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— Il me semble que tu te fais rudement son champion, plaisanta Pat. — Non, pas du tout. Tout ce que j'en dis, c'est pour que nous ne perdions avec Sheila, tout le terrain que nous avons durement gagné! fit Janet. — Eh bien, pense à quelque chose à lui faire faire alors, continua Isabelle. Moi, je ne connais rien ! Les jumelles s'en allèrent et Janet s'assit confortablement pour réfléchir. Elle était très impulsive et n'avait pas beaucoup de patience, mais une fois qu'elle s'attachait à une tâche, elle faisait l'impossible pour la mener à bien. Sheila était dans la peine, avait besoin d'aide et elle l'aiderait. — Sapristi, j'ai trouvé, se dit Janet. Nous allons la nommer souffleur. Nous avons besoin de quelqu'un qui nous souffle aux répétitions et qui nous dise le mot que nous avons oublié. Et moi, par exemple, j'oublie toujours mes répliques. Je vais aller demander à Sheila si elle veut être notre souffleur. Elle alla donc à la recherche de Sheila. Elle mit du temps à la trouver et elle entra en collision avec elle en entrant dans la classe de dessin où Sheila avait mis de l'ordre dans les armoires. — Dis-moi, Sheila, tu ne veux pas faire quelque chose pour nous ? demanda Janet, Veux tu être notre souffleur. Nous n'en sortons jamais dans nos répliques et tu nous serais si précieuse

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en suivant le texte et en nous aidant quand nous tombons en panne. — Je ne vaudrais rien pour cela non plus, fit Sheila tristement. — Oh oui, idiote, tu ferais cela mieux que n'importe qui! Tu nous viendrais tellement en aide, Sheila ! S'il te plaît, accepte. La plupart d'entre nous aurons sûrement le trac et ce serait bien réconfortant de savoir que tu es là, prête à nous aider ! — Ça va, alors, acquiesça Sheila, plutôt de mauvaise grâce. Pendant toute cette conversation, elle pensait avec amertume que si elle n'était pas bonne assez pour jouer un rôle, elle ne voyait pas pourquoi elle aiderait les autres en leur soufflant le leur. Elle finit pourtant par céder devant la gentillesse et l'insistance de Janet. Elle aussi faisait des efforts pour ne plus être mesquine. Ainsi donc, elle devint souffleur attitré et participa à toutes les répétitions avec beaucoup de zèle, le texte en main. Bientôt, elle prit son rôle très au sérieux, elle ne se plaignit pas de la modestie de sa tâche et les jumelles l'admiraient souvent et trouvaient qu'elle se comportait fort bien. — C'est bien de la part de Janet d'avoir été la repêcher ainsi, dit Pat. — Oui, et elle croyait bien que Sheila refuserait. En tout cas, je ne suis pas très sûre que je n'aurais pas dis non, à sa place, avoua Isabelle.

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— Je ne t'aurais pas laissé dire non ! conclut Pat avec autorité, Deux semaines avant la fête, un accident survint ! Vera, une petite fille très sage et très tranquille tomba à la gymnastique et se cassa le bras. Elle le cassa près du poignet et fut transportée à l'hôpital pour être radiographiée. On dut lui plâtrer l'avant-bras et ses parents jugèrent qu'il valait autant la reprendre à la maison, puisqu'-aussi bien le trimestre était à sa fin. — C'est son bras droit, donc elle ne pourrait même pas écrire ! dit sa mère à Miss Théobald. Cela vaudra mieux qu'elle soit à la maison. Donc Vera fit ses adieux en promettant bien de revenir au trimestre suivant. Et puis la consternation régna dans la classe parce que Vera avait un des rôles principaux dans la pièce historique. — Zut, qu'allons nous faire! dit Pat au désespoir. Personne ne pourra apprendre ce rôle-là en si peu de temps. Vera était en scène presque tout le temps ! Tout le monde était abattu. Celles qui n'avaient pas de rôle dans cette comédie-là ne se sentaient pas capables de prendre la place de Vera. Janet intervint : — Il y a quelqu'un qui sait parfaitement le rôle, mot à mot. Sheila, toi, tu le sais! Tu as assez aidé Vera pour en savoir autant qu'elle. Tu es la seule qui sache chaque mot. Ne saurais-tu prendre la place de Vera ? Sheila devint écarlate. Toutes les petites filles la regardèrent, pleines d'espoir.

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— Va, dis que tu veux bien! insista Pat. Tu joueras aussi bien que Vera ! - J'aimerais beaucoup ! Je suis sûre que je connais les paroles; en fait, je connais toute la pièce par cœur, chaque rôle, mais, naturellement, ce que j'aimerais au dessus de tout ce serait de prendre la place de Vera. C'est le rôle que je préfère ! - Bon ! décida Pat. C'est arrangé alors. Il nous reste à trouver un autre souffleur et tu prendras la place de Vera. Donc, à la représentation suivante, Sheila n'était plus ni souffleur, ni régisseur, ni rien de tout cela, mais bien une des vedettes! Elle connaissait parfaitement le rôle et, comme elle avait si souvent regardé faire Vera, elle le joua très bien. Tout le monde était satisfait. Elle savaient que Sheila avait été profondément morfondue d'être laissée pour compte et l'avaient admirée d'avoir si bravement accepté ce rôle de souffleur et maintenant que le destin lui réservait une si belle revanche, elles s'en réjouissaient. Mais personne, évidemment n'était plus ravie que Sheila elle-même. Elle était très heureuse de sa bonne fortune, et se trimbalait avec un air épanoui, tellement amusante et gaie que personne ne reconnaissait plus l'ancienne Sheila, Sheila écrivit à Vera pour lui dire qu'elle était triste de son accident et se souvint, dans son bonheur, combien Vera devait avoir de peine. Oui, en vérité, Sheila aussi était en voie de devenir quelqu'un.

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Elles entendirent des plaintes provenant d'un buisson...

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CHAPITRE XVII

KATHLEEN A UN SECRET Un après midi que Pat, Isabelle et Kathleen revenaient de la ville, à travers champs, elles entendirent des plaintes derrière un buisson. — Ça c'est un chien, décréta Kathleen, sans hésiter; et de courir voir. Les autres la suivirent et elles découvrirent, en effet, là, dans le fossé un jeune fox-terrier à poils durs, la poitrine et le museau en sang ! — On a tiré dessus, s'exclama Kathleen indignée, regardez, il a encore des plombs dans ses pauvres pattes. Oh ! c'est ce méchant fermier qui habite de l'autre côté de la colline. Il jure toujours de tuer les chiens qui se promènent dans ses champs. — Mais pourquoi ? demanda Pat, surprise. Les chiens vont toujours librement dans les champs ? — Oui, mais quand il y a de jeunes agneaux, les chiens leur font la chasse et les effraient ! - Eh bien, cette pauvre petite bête a été atteinte ! fit encore Pat. Qu'allons-nous en faire ?

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— Je vais la transporter à l'école avec moi et la soigner ! décida Kathleen. Elle adorait les animaux. Les jumelles firent des objections. — Tu ne seras pas autorisée à le conserver ! objecta Pat. Et, en tout cas, tu devras téléphoner à la police et le signaler. Suppose que son propriétaire le réclame ! — Eh bien, bon, je téléphonerai pour savoir si quelqu'un le réclame ! Mais si vous pensez que je vais laisser seul un pauvre petit chien ensanglanté dans un champs, vous vous trompez joliment ! — Ça va, ça va, répondit Isabelle. Mais comment vastu le transporter ; il va te couvrir de sang ! - Comme si ça me faisait quelque chose ! s'exclama Kathleen en caressant doucement le chien. Il fit entendre une nouvelle plainte mais se blottit dans les bras de Kathleen, sentant qu'elle lui voulait du bien. Elles se remirent en marche vers l'école. Elles discutaient de l'endroit où elles allaient cacher et soigner le petit chien. Ce n'était pas chose facile! ' Les élèves n'étaient pas autorisées à avoir un chien ni aucun autre animal et, si elles étaient découvertes, on chasserait sûrement leur pauvre protégé. Et Kathleen était bien résolue à lui donner ses soins jusqu'à la guérison de ses pattes. — Peut-être dans l'abri à bicyclettes ? suggéra Pat. — Pense-tu, il aurait bien trop froid ! fit Kathleen s'abritant derrière un buisson du jardin et examinant la meilleure façon d'introduire le

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chien sans être découverte. Attendez une minute, pensons bien ! Elles réfléchirent toutes les trois avec ardeur. Puis Pat poussa une exclamation : - Je sais ! Dans la réserve aux malles, en haut, près du réservoir à eau chaude. Il aura bien chaud et sera en sûreté. Personne n'y va jamais ! — Mais nous non plus, nous ne sommes pas autorisées à y aller, répliqua Isabelle. Zut, nous sommes toujours en train de faire des choses que nous ne pouvons pas ! - Mais ceci est pour guérir un petit chien qui souffre ! dit encore Kathleen. Moi je suis prête à le risquer. Pauvre chien, ne gémis pas comme cela, je te promets que tu seras bientôt mieux ! Janet s'amena à, ce moment et découvrit les conspiratrices derrière le buisson. - Qu'est-ce que vous fabriquez-la et qu'est-ce que c'est que ça ? Un chien ! Mon Dieu, mon Dieu, qu'est-ce qu'il a? — On a tiré dessus, murmura Kathleen. Nous allons le mettre dans la réserve aux malles, au grenier, jusqu'à ce qu'il aille mieux. Puisque tu vas en ville, va jusqu'à la police et demande si quelqu'un a réclamé un chien. Si oui, demande le nom et l'adresse et je téléphonerai que le chien est en bonnes mains ! — O.K., dit Janet. Mais faites attention qu'il n'aboie pas, sinon vous aurez des ennuis. Tu es complètement cinglée, toi, Kathleen, quand il s'agit d'animaux. A tantôt !

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Janet courut prendre son vélo. Kathleen dit aux petites sœurs. — Passez devant et voyez si le chemin est libre, et pensons à une litière pour cette pauvre petite bête ! —- II y a une vieille caisse dans l'abri aux outils ! dit Isabelle. Cela fera l'affaire, je vais la chercher ! Pat partit en éclaireur; elle siffla et Kathleen se précipita à l'intérieur avec son fardeau. Elles grimpèrent quatre à quatre sans rencontrer personne mais, après avoir tourné le dernier coin du dernier couloir, elles entendirent des pas venant dans leur direction et la grosse voix de Mademoiselle et celle de Miss Jenks. — Oh, funérailles ! grinça Kathleen entre ses dents, et elle fit prestement demi-tour. Pat ouvrit la porte d'un grand placard plein de brosses et y poussa Kathleen avec son chien. Elle referma la porte puis, vite, vite, se mit à genoux pour attacher un lacet symbolique. Juste à ce moment, les deux maîtresses passaient et le chien fit entendre un gémissement : Mademoiselle leva des yeux étonnés. Tiens, pourquoi pleures-tu comme un petit chien ! demanda-t-elle à Pat, et passa son chemin en pensant que, tout de même, les petites filles étaient de bien singulières créatures. Pat se mit à rire et délivra Kathleen aussitôt que les maîtresses furent hors de vue ! —- As-tu entendu ce que disait Mademoiselle? demanda-t-elle. Viens, tout va bien maintenant,

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nous allons grimper au grenier en triple vitesse ! Elles arrivèrent sans encombre. Les réserves à malles étaient de petits greniers étroits, en dessous du toit et où on se tenait droit à grand peine. On n'y allait que deux fois par trimestre, une fois, au début pour y mettre des coffres, et une fois, le dernier jour de classe, pour les redescendre aux dortoirs. Après un moment, Isabelle arriva avec la caisse et une superbe couverture qu'elle avait dénichée dans une armoire de la salle de gymnastique. Les petites filles hospitalisèrent le petit chien près de la réserve à eau chaude. Il y faisait bien chaud. Elles installèrent la caisse dans un petit recoin et y mirent la couverture. Tout était parfait. Puis Kathleen se mit à soigner son protégé. Cela prit tout un temps et le petit animal se laissait faire et léchait les mains de Kathleen qui le baignait et le pansait très dextrement — Tu es rudement bonne pour les animaux ! remarqua Pat, qui regardait faire. Et vois donc comme il t'aime. — Je veux devenir vétérinaire, quand je serai grande! fit Kathleen. Voilà, ma beauté, tout va bien maintenant. Ne te lèche pas plus qu'il ne faut, s'il te plaît, reste bien tranquille, tu iras vite beaucoup mieux. Je vais t'apporter de l'eau et à manger ! La cloche sonna pour l'étude. Les trois petites filles dégringolèrent après avoir soigneusement fermé la porte de la réserve. Elles rencontrèrent Janet qui entrait à l'étude en même temps qu'elles.

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— J'ai demandé au poste de police ! murmura-t-elle. Mais personne encore n'a réclamé un chien. J'ai du faire sa description et décliner vos noms et adresses. — Zut, quelle idiote tu es, répliqua Kathleen à son tour. Tu te rends compte du tableau si la police téléphone à Miss Théobald et qu'on demande après moi ! Vraiment, Janet ! — Mais, j'ai été forcée de le faire! répondit Janet tout bas. On ne peut tout de même pas dire « non » à la police. En tout cas, on ne le réclamera sans doute pas, donc ne te fais pas de bile ! Mais Kathleen se fit de la bile ! Quand elle entendit la sonnerie du téléphone pendant la soirée, elle fut tout à fait sûre que c'était la police. Mais ce n'était pas la police, mais bien une communication pour Miss Roberts. Elles respirèrent et allèrent vite porter de l'eau et à manger à leur chien. Il était bon comme du pain et restait sagement sur sa couche. - Il faudrait pourtant le sortir avant que nous allions au lit ! dit Kathleen anxieusement. Comment faire ? — Etendons-le dans un tas de vêtements que nous employons pour la pièce ! suggéra Pat. Si quelqu'un nous rencontre, on pensera que nous portons des costumes pour une répétition. Je vais vite en chercher. Donc, cinq minutes avant d'aller coucher, les petites filles grimpèrent encore au grenier munies d'une pile de vêtements. Le chien fut soigneusement enfoui au milieu avec à peine assez d'air pour respirer.

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Kathleen le portait et lui murmurait de rester bien tranquille. Il n'avait, hélas, pas du tout envie de rester tranquille et il se débattait, mais à part l'infirmièreéconome, elles ne rencontrèrent personne. Et, heureusement, elle paraissait fort pressée et les vit à peine. — Vous ne serez pas à temps au lit, leur lança-t-elle en s'éloignant. Les petites s'amusèrent beaucoup de cette observation inattendue et se glissèrent dans le jardin par une petite porte de côté. Elles donnèrent la liberté au petit chien dans la cour où les jardiniers cassaient du bois pour le chauffage et il se mit joyeusement à faire des cabrioles ! Puis elles le réemballèrent dans les travestis et remontèrent doucement. Cette fois-ci, cela n'alla guère aussi bien. Elles tombèrent nez à nez avec Belinda Towers. Celle-ci s'arrêta et les examina : — Ne savez-vous pas que la cloche du soir a sonné ? Que faites-vous encore par ici et que dissimulez-vous ainsi dans ces vêtements ? Le chien luttait pour un peu d'air et tout à coup, sa petite tête émergea des oripeaux. — Oh, et dire que nous avons tant risqué afin que personne ne le voie ! dit Kathleen presqu'en larmes. Belinda, on a tiré sur lui, il est... — Ne me racontez plus rien. Je ne sais rien ! fit Belinda qui adorait les chiens. — Partez vite avec ce tas de vêtements et allez au dortoir.

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— Chère vieille Belinda, s'émut Pat en montant. Parle moi de Nelson qui regardait avec son œil aveugle, elle aussi, regarda notre chien avec son œil aveugle ! — Dépêche-toi, Kath, nous allons vraiment nous faire pincer si nous sommes absentes plus longtemps ! Elles remirent donc en hâte le chien dans son panier. Il lécha leurs mains et fit entendre un petit aboiement. — Comme il est malin ! dit Kathleen en extase. Il sait même qu'il ne peut pas aboyer tout haut! — Eh bien, pour un murmure, c'était un murmure plutôt bruyant! répliqua Pat. Arrivez maintenant et espérons qu'Hilary n'est pas trop en colère. C'est bien la première fois que nous sommes en retard, en tout cas. J'espère que notre chien ne va pas se mettre à donner l'alarme et à réveiller toute la maison, cette nuit ? — Naturellement pas, dit Kathleen en refermant la porte du grenier. Il va dormir comme un bienheureux et demain matin, très tôt, je le sortirai encore. Elles s'enfuirent vers leur dortoir, pour tomber sur une Hilary exaspérée. — Où diable étiez-vous ? demanda-t-elle. Vous savez pourtant que c'est mon boulot de vous enfermer ici à neuf heures du soir ? Ce n'est pas très chic de votre part de ne pas être à l'heure, franchement ! - Nous avons été mettre coucher notre petit

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chien, dit Kathleen confidentiellement. Hilary la dévisagea, incrédule. — Quoi, mis coucher « quoi » ? — Si je le racontais à tout le monde ? demande Kathleen aux jumelles. Elles furent de suite d'accord. C'était gai d'avoir un secret, mais c'était gai aussi d'épater les autres! Donc Kathleen expliqua toute l'histoire aux élèves de leur dortoir et elles écoutèrent toutes avec passion. — Tu te rends compte, ma chère, dans la réserve à malles! s'écria Doris. Nous n'oserions jamais faire cela, nous. Supposez .que l'infirmière-économe monte là-haut, elle le découvrirait vite ! — Oui, mais, de toute façon, nous ne le conserverons qu'un jour ou deux, jusqu'à ce qu'il aille mieux ! dit Kathleen. Nous découvrirons peut-être à qui il appartient et nous le reconduirons chez lui ! Tout cela n'était guère si facile à faire qu'à dire.

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CHAPITRE XVIII.

LE SECRET EST DEVOILE Le chien ne fit aucun bruit pendant la nuit. Kathleen s'éveilla très tôt et se faufila jusqu'à la réserve pour le faire descendre dans la cour, avant que tout le pensionnat fut en branle. Il refusa obstinément d'être descendu dans ce tas de loques et Kathleen, en désespoir de cause, lui passa une ficelle autour du cou et le tira jusqu'en bas, tant bien que mal. Il fit du bruit, mais l'alarme ne fut pas donnée. La façon dont ses blessures se cicatrisaient tenait du miracle. Kathleen était enchantée. Le petit chien jouait dans ses jambes et essayait même de sauter pour lui lécher les mains. Elle le trouvait merveilleux et espérait, contre tout espoir, que personne ne le réclamerait. — Si seulement je pouvais le conserver jusqu’a la fin du trimestre et le reprendre à la maison, pensait-elle, comme ce serait agréable ! Elle le remit dans la petite caisse, et il n'était plus du tout d'accord pour rester seul, cette fois-ci. Aussitôt qu'elle eut refermé la porte, elle était sûre de l'entendre gratter à la porte et pleurer.

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Leur classe était directement en dessous des réserves à malles. Celle où se trouvait le petit chien était un peu vers la droite. Kathleen avait toujours l'oreille tendue et elle entendait le bruit des petites pattes et de légers jappements Mais le principal était que Miss Roberts ne parut s'apercevoir de rien. Quand ce fut le tour de la leçon de français Mademoiselle entendit le chien très distinctement. Ses oreilles étaient extrêmement fines, la première plainte émise par le petit chien lui fit dresser la tête, toute surprise. — Qu'est-ce que c'est que ce bruit ? fit elle. — Quel bruit, Mademoiselle, demanda Isa-^, belle, de son air le plus innocent. — Le bruit d'un chien, dit Mademoiselle impatiemment. Des plaintes et des jappements. Est-ce possible que vous n'entendiez pas, Isabelle ! Toute la classe fît semblant de tendre l'oreille. Puis les élèves secouèrent la tête. Vous devez vous tromper, Mademoiselle, dit Doris gravement, il n'y a certainement pas de chien dans l'école. Rien que les chats de la cuisine! Mademoiselle était très étonnée d'être la seule à avoir perçu des bruits aussi étranges. — Alors, c'est que mes oreilles ne sont pas en ordre, plaisanta-t-elle en secouant vigoureusement sa grosse tête. Je vais les faire seringuer par le médecin. Je ne puis admettre d'avoir des chiens aboyants dans mes oreilles et qui geignent dans ma tête.

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La classe, qui faisait depuis un moment des efforts pour éviter le fou rire, profita de cette boutade pour s'en donner à cœur joie. Mademoiselle dut les rappeler à l'ordre. - Assez de désordre. Je parle sérieusement et ne fais pas d'esprit. Prenez la dictée s'il vous plaît ! La classe poursuivit son travail tant bien que mal. Le chien, dans la réserve, passait l'inspection de son domaine et, si on devait en juger aux bruits qu'il faisait, devait déjà avoir essayé, à plusieurs reprises d'ouvrir la porte en grattant le battant. Mademoiselle semblait fort intriguée et, à plusieurs fois regarda les petites filles pour voir si, elles aussi, entendaient quelque chose. Mais elles travaillaient avec sérénité et semblaient ne rien entendre. Mademoiselle alors décida d'aller voir le docteur le jour même. Les jumelles et Kathleen passaient la majorité de leur temps libre dans la réserve à malles. Le petit chien était toujours heureux de les voir et elles se mirent à l'aimer beaucoup. La seule chose exaspérante était qu'aussitôt qu'elles le quittaient, il se mettait à aboyer et à geindre et à gratter à la porte. Elles vivaient dans l'angoisse que quelqu'un le découvrît. Mais deux jours entiers s'écoulèrent sans incident. Les petites filles le nourrissaient, lui donnaient à boire, le descendaient dans la petite cour et tout allait bien. Kathleen adorait la petite créature et c'était, en réalité, un animal intelligent et affectueux.

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— Comme personne ne le réclame, je crois que je pourrai le conserver pour moi, vous ne pensez pas ? demanda Kathleen anxieusement alors que les jumelles et elle-même le cajolait pendant un moment de liberté. Je l'aime tellement, il est si mignon. Cela me ferait bien mal au cœur de le porter à la police et de l'y laisser, parce que, si personne ne le réclame, alors on le chloroformera. — Eh bien, conserve-le, répliqua Pat. Il n'y a plus si longtemps d'ici la fin du trimestre, mais tu devras le déménager avant que les servantes viennent chercher nos malles pour les descendre au dortoir. Je me demande comment tu t'y prendras. Je me le demande vraiment. Elles ne devaient pas du tout se creuser la tête pour savoir ce qui allait se passer. Le chien décida lui-même de son propre sort. Un beau matin — quatre jours après sa découverte par les trois petites amies — il se coucha dans un rayon de soleil qui filtrait par la lucarne et cela lui donna des idées folichonnes et des envies d'escapade. Il alla renifler à la porte et sauta après la poignée. Après quelques sauts infructueux, il finit par réussir. La porte s'ouvrit devant lui et il s'en alla à l'aventure, tout heureux de l'aubaine. Tout aurait encore pu se passer sans grands dégâts si un des chats n'avait pas eu la malencontreuse idée de s'endormir sur un paillasson, sous un des radiateurs du couloir. Le chien sentit l'odeur du chat, quoi ? un chat, et, qui mieux est, un chat endormi ! Avec un vigoureux cri de

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guerre, il se mit en chasse. Ce n'était qu'un tout petit chien, mais, la valeur n'attend pas le nombre des années et il fonça courageusement sur l'ennemi héréditaire. Le chat le prit très mal ! Il s'en fut, majestueusement par le couloir, la queue en l'air, dédaignant ce quart de chien qui menait grand tapage. Le chien le poursuivit de sa démarche de jeune maladroit... et voilà comment Miss Théobald en personne fit connaissance avec le protégé de Kathleen Gregory ! Elle allait dans une des classes quand elle reçut dans les jambes le chat et le chien, et faillit perdre l'équilibre. Les chats, on en gardait dans la maison à cause des souris, mais d'où pouvait donc venir ce chien ? Le chat ne fit ni une, ni deux, pft ! il s'échappa par une fenêtre ouverte. Le petit chien, resta en extase devant l'endroit de l'évasion... Puis il lui prit la fantaisie d'aller voir ce que faisait Kathleen. Il lui semblait l'avoir flairée quand il poursuivait le chat dans le couloir. Donc, il se mit à trotter en quête de sa petite bienfaitrice et bientôt, il s'arrêta devant un nouvel obstacle: la porte de la classe de première. Il se mit sur ses pattes de derrière et gratta à la porte. Mademoiselle donnait encore une leçon de français et toute la classe corrigeait des devoirs et recopiait certains mots mal écrits et mal orthographiés. Quand le chien sauta et jappa à la porte, Mademoiselle se leva.

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- Tiens, cette fois, ce ne sont pas mes oreilles, c'est un chien en chair et en os. Le petit chien fit une entrée tumultueuse, tout à la joie de retrouver sa chère Kathleen et ne s'encombrant pas de vains scrupules. La classe entière était sidérée. D'autant plus, qu'à sa suite s'amenait Miss Théobald bien déterminée à éclaircir le mystère. Elle vit Mademoiselle qui tempêtait et Kathleen qui faisait des efforts surhumains pour calmer les effusions du petit animal ! — Qu'est ce que tout ce remue-ménage signifie ? questionna Miss Théobald de sa voix sérieuse et calme. Mademoiselle se tourna vers elle, les bras au ciel et lui raconta tout de go comment elle avait entendu des jappements et des plaintes il y avait quelques jours déjà, et comment, maintenant elle venait de découvrir, grattant à la porte, le corps du délit. — Je crois que Kathleen doit en savoir plus long que nous à ce sujet, dit Miss Théobald en voyant combien le petit chien manifestait sa joie d'être auprès d'elle et comment elle le caressait et essayait de le calmer. — Kathleen, viens avec moi, peut-être m'expliquerastu tout ce mystère ? Kathleen, toute tremblante, se leva. Elle suivit la directrice dans son bureau, le chien trottinant, tout heureux, à côté d'elle. Miss Théobald la fit asseoir. — Je ne voulais faire aucun mal, dit Kathleen

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en commençant son histoire. Mais il était si malheureux, plein de sang et blessé, Miss Théobald, et j'adore tellement les chiens, je n'en ai jamais eu pour moi toute seule, et... — Commence donc par le commencement, conseilla la directrice. Et alors, Kathleen se mit à narrer toute l'histoire. À la fin, Miss Théobald prit le téléphone, sans avoir proféré une parole. Elle demanda le poste de police. Le cœur de Kathleen cessa de battre. Qu'est-ce que Miss Théobald allait dire ? Miss Théobald s'enquit si on avait réclamé un chien. Puis elle demanda ce qui arriverait si on conservait un chien qu'on avait trouvé, blessé, sur la voie publique ? — Non, il n'avait aucune plaque d'identité quand il fut trouvé, dit-elle. Après un temps d'explication, elle remit l'appareil en place et se tourna vers Kathleen, qui, maintenant avait le petit chien sur ses genoux. — Je ne puis m'imaginer comment tu as pu cacher cet animal pendant tout ce temps! dit-elle, et je ne ferai pas d'enquête. Je sais combien tu aimes les animaux. Eh bien, il n'y a pas de raison pour que tu ne conserves pas ce chien si personne ne le réclame. Donc, tu peux, si tu veux, le garder ici jusqu'aux vacances et, si ta tante te le permet, tu pourras l'emmener chez toi. Mais il doit être mis dans l'écurie, Kathleen. Pour une fois, je lève la consigne « pas de chiens à St. Clare » et tu tiendras ton ami ici jusqu'à Noël ! Si Kathleen n'avait pas eu un si profond respect pour sa directrice, elle lui aurait, sans aucun

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doute, sauté au cou. Mais telle était son émotion • qu'elle ne sut même plus avaler sa salive ce qui lui rendait toute parole impossible. Elle réussit enfin à exprimer ses remerciements. Le chien, lui, n'avait aucun respect hiérarchique pour Miss Théobald qu'il trouvait, sans doute, très sympathique, à en juger aux efforts qu'il faisait pour lui lécher les mains, comme s'il devinait la décision inattendue et bienveillante qu'elle venait de prendre 1 — Porte-le vite aux écuries, maintenant, et demande à un des hommes de lui trouver une petite place, dit Miss Théobald. Et une autre fois, quand tu voudrais faire quelque chose d'original, Kathleen, viens d'abord examiner la question avec moi! cela nous épargnera à toutes deux des tracas superflus. Kathleen s'éclipsa, les yeux brillants, le chien sur ses talons. Avant d'aller aux écuries, la petite fille éprouva le besoin irrésistible de faire irruption dans la classe, les joues en feu et les yeux comme des étoiles. — Dites-donc, s'écria-t-elle à la porte, je peux conserver mon chien et le reprendre à la maison,, si ma tante... — Kathleen, je ne puis tolérer votre façon scandaleuse d'interrompre ma leçon ! s'écria Mademoiselle se levant de son pupitre. Kathleen la regarda en souriant et disparut. Elle alla finalement confier son trésor à un des hommes des écuries qui lui trouva vite une petite place et Kathleen le quitta toute heureuse à l'idée que, dès 196

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à présent, elle pourrait librement venir le prendre et le promener à ses moments de loisir. En rentrant en classe, elle rencontra Belinda Towers qui allait s'entraîner au lacrosse. - Belinda ! cria-t-elle, le petit chien s'échappa et vint me retrouver en classe et il courut après un chat et Miss Théobald le vit et elle permet que je le conserve .' — Ça c'est chic, dit Belinda. Maintenant prends tes jambes à ton cou. Vous autres, les gosses de première, il me semble qu'il vous arrive toujours de bien singulières aventures ! Kathleen se mit donc à courir. Elle entra très, très doucement à la leçon de français et s'assit sans bruit. Mademoiselle avait encore pas mal de choses à dire sur le chapitre des petits chiens qu'on cache clandestinement, mais ses discours glissèrent sur Kathleen comme de l'eau sur un canard. Elle rêvait béatement de son petit chéri qui était vraiment bien à elle maintenant. — Et si c'est là tout l'effet que mes remarques te font, je te ferai faire un essai de trois pages, en français, et sur les chiens encore ! entendit-elle tout à coup du fond de sa béatitude. Alors seulement, elle rassembla ses esprits. Mademoiselle la fixa, mi-fâchée, mi-amusée parce que, en réalité, la petite fille n'avait pas été présente jusqu'alors. Mais Kathleen n'avait pas le moins du monde envie d'écrire un essai de trois pages. Mon Dieu, mon Dieu, elle ne pourrait pas conduire promener son petit chien. Donc, rassemblant ses esprits

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épars, elle travailla mieux que tout le monde, pendant les vingt-cinq minutes suivantes et Mademoiselle n'eut plus aucun reproche à formuler. Et pendant la demi-heure entre les leçons du matin et le diner, quatre fillettes entourèrent un petit chien bien excité et se disputaient pour lui trouver un nom. — Il est à moi et c'est moi qui choisis, dit Kathleen définitive. Son nom est Binks. Te ne sais pas pourquoi, mais il ressemble à un Binks, pour moi. Donc, Binks il fut, et Binks il resta jusqu'au dernier jour du trimestre quand Kathleen l'emmena chez sa tante. Mais quel bons moments il passa, entretemps ! Avec des douzaines d'admiratrices qui l'emmenaient promener et lui apportaient tant de gâteries qu'il en devenait comme un petit tonneau ! Même les maîtresses l'aimaient et le caressaient quand il était en route avec Kathleen. Toutes, sauf Mademoiselle qui n'en démordait pas et continuait à prétendre qu'un pensionnat n'était pas un chenil. Il est abominable, disait-elle, ce chien et il bouscule tous les règlements établis. Mais il y avait dans ses yeux une sorte de malice en sorte que personne ne prenait cette boutade vraiment à la lettre !

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CHAPITRE XIX.

UN SAISISSEMENT POUR ISABELLE Les examens commencèrent et les deux petites sœurs étaient désireuses de faire tout leur possible et voulaient à tout prix être en tête pour une branche au moins. Elles étaient bien au niveau des autres, mais, comme la plupart des élèves étaient là depuis plus longtemps qu'elles, Miss Roberts les prévint qu'elles ne devaient pas s'attendre à être favorablement classées à ses examens-ci. Les mathématiques vinrent en premier lieu. C'était assez dur car Miss Roberts avait fort avancé ce trimestre-là et exigeait beaucoup de ses élèves. Pat et Isabelle grognèrent et soupirèrent mais firent de leur mieux. — Je sais que ma troisième, quatrième et cinquième réponse sont mauvaises ! dit Isabelle quand elles comparèrent leurs brouillons. Je crois que mes problèmes sont justes, mais je n'ai pas eu le temps de les recopier tous! - Je parie que je serai la dernière, fit Pat lugubrement. De temps en temps, il lui venait encore un vague regret d'être traitée en cadette, mais elle avait, depuis longtemps, laissé derrière elle toutes ses prétentions du début.

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Le français marcha mieux. Grâce aux leçons supplémentaires de «Mademoiselle Abominable». Ce fut la pauvre Doris qui manqua son français. Elle bégaya pour l'oral et rendit Mademoiselle complètement enragée. — Voilà trois trimestres que je t'apprends le français et tu parles encore comme un nouveau-né ! tempêta-t-elle. Voyons, répète avec moi une des poésies que je t'ai apprises. Plus Mademoiselle fulminait, plus la pauvre Doris parlait mal. Elle regarda la classe avec désespoir, puis fit un clin d'œil aux jumelles. — Ah! ah ! tu fais des clins d'yeux ! Eh bien, nous allons voir ! dit Mademoiselle se fâchant pour de bon. Je te donne zéro pour ton oral !„ Comme Doris se résignait depuis le début à être la dernière, cela ne l'impressionna guère ! Elle s'assit avec joie. Joan vint ensuite sur l'estrade, elle était bonne en français et l'orage s'apaisa. Et ainsi, tant bien que mal, les examens s'échelonnèrent jusqu'à ce qu'il ne resta plus que celui de géographie. Les jumelles examinaient les notes tous les matins et étaient fort déprimées de n'être en tête d'aucune liste. Pat réussit à être troisième en sciences naturelles et Isabelle, cinquième en histoire, mais c'était là leurs plus éclatants succès ! — Sapristi, quel déplorable bulletin ça va faire ! soupira Pat. A Redroof, nous étions toujours en tête. Papa et maman vont être ravis !

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— Ils vont sûrement s'imaginer que nous avons mis nos menaces de ne rien faire de bon, à exécution et que nous n'avons pas essayé du tout de faire notre possible ! dit Isabelle. Oh, zut, et nous avons pourtant essayé. Quel dommage que nous ayons débité toutes ces idioties avant de venir ici. Il est évident que papa va croire que nous avons saboté notre travail, il est tellement habitué à nous voir arriver avec de beaux bulletins ! — Il n'y a plus que la géographie qui reste ! Nous pourrions essayer d'arriver premières, mais j'en doute ! Je ne crois pas savoir grand' chose sur l'Afrique bien que nous ayons étudié cette maudite partie du monde pendant tout le trimestre. Dans quelle contrée sont les Zoulous ? Je ne puis jamais m'en souvenir ! — Je souhaite pourtant que nous puissions être les premières, soupira Isabelle, sortant son livre de géographie et le feuilletant. Pat, bûchons ferme pendant toute la soirée, nous arriverons tout de même à savoir quelque chose ! Elles mirent toutes deux leur petite tête folle dans leur livre de géographie et, sans rien omettre, elles lurent le texte à étudier, d'un bout à l'autre ! Elles étudièrent leurs cartes et les dessinèrent deux ou trois fois, elles firent des listes des ports et des villes, elles usèrent leur cerveau à retenir le cours des fleuves et apprirent les mœurs des peuplades et les productions du sol ! — Eh bien, je sens réellement que je sais quelque chose, maintenant, conclut Isabelle avec un

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profond soupir. Je suis surtout calée sur les productions et les fleuves ! — Et moi, je sais surtout les climats ! dit Pat. Mais tu vas voir, on ne nous demandera rien de ce genre. Les questions d'examen sont toujours sur des choses qu'on ne sait pas parce qu'on était absente, ou malade ou quelque chose comme ça ou bien pour la simple raison qu'on ne peut pas s'en souvenir ! — Moi, j'en ai assez pour ce soir! décréta sa sœur. Je voudrais finir la manche de mon pull-over. Je n'ai plus que quelques rangées à tricoter. Où donc ai-je mis le patron ? — Je n'en sais rien ! dit Pat. Tu le perds tout le temps. Ne l'as-tu pas laissé en classe cet après-midi ? — Flûte ! je crois que oui. Elle s'en alla le chercher sans se souvenir qu'on leur avait interdit l'entrée de la classe parce que tous les papiers d'examen y étaient déposés. Elle sautilla jusque là et entra. Elle prit le patron dans son pupitre, puis, en revenant vers la porte, elle ramassa un crayon appartenant à Miss Roberts et alla le remettre dans le plumier du professeur. Et là, devant elle, se prélassaient les questions de géographie prêtes, pour demain. Une belle liste écrite avec soin sur une belle feuille de papier blanc. Le cœur d'Isabelle battit la chamade ! Si elle savait les questions, elle les bloquerait à fond et serait la première au concours. Sans plus réfléchir, elle se mit à les lire : « Dites ce que vous savez du climat de l'Afrique du Sud ?

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— Que savez-vous des pygmées ? » — « Qu'est-ce que... » Bref. Isabelle lut les questions de la première à la dernière, puis s'en alla, le visage écarlate et fort émue. « Toutes ces questions, nous les avons revues ce soir, se disait-elle, je pouvais y répondre même ignorant ce papier». Pat leva le nez quand Isabelle entra dans la chambre commune. — Tu as ce patron, finalement ? demanda-t-elle. Isabelle regarda ses mains vides. Non, elle avait oublié ce patron, après tout ! — Tu ne l'as pas trouvé? demanda encore Pat, surprise. — Oui, je l'ai trouvé, dit Isabelle, et je l'ai laissé là ! — Eh bien, mais vas donc le chercher ! fit Pat de plus en plus intriguée par l'attitude de sa sœur. Isabelle hésita. Elle ne pouvait pas penser à retourner en classe une deuxième fois. — Mais qu'est-ce qui te prend, Isabelle ? questionna Pat impatiemment. Es-tu devenue sourde ou quoi ? - Pat, oh Pat, les questions de géographie étaient exposées sur le pupitre de Miss Roberts, et je les ai lues, avoua Isabelle. — C'est bel et bien de la triche ! — Je n'ai pas réfléchi si c'était tricher ou pas, répliqua Isabelle, troublée par le ton sévère de sa petite sœur. Mais, ça va bien Pat, les questions concernent tout ce que nous avons revu ce soir, donc, cela n'a pas grande importance.

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Pat fixa sévèrement sa sœur jumelle. Elle, n'osait pas la regarder. — Isabelle, je ne sais pas comment tu pourras tranquillement t'asseoir devant ta feuille d'examen avec la notion que tu sais déjà ce qu'on veut de toi, réprouva-t-elle. Je parie que tu répondras à la perfection sans avoir à réfléchir comme les autres et si quelqu'un apprend cela, tu passeras pour une tricheuse. Et ce n'est pas vrai. Tu as toujours été loyale et honorable, je ne te comprends pas ! — J'ai fait cela sans y penser, presque, soupira la pauvre Isabelle. — Tu dois le dire à Miss Roberts. — Oh, je ne pourrai jamais, répondit Isabelle horrifiée. Tu sais comme elle est sévère, non, je n'oserais jamais: — Et bien, alors, tu dois t'arranger pour saboter tes réponses. Miss Roberts se fâchera et tu pourras enfin lui avouer pourquoi tu as répondu de travers, suggéra encore sa sœur. Si elle se rend compte que tu n'as pas abusé de l'avantage que tu avais de savoir d'avance les questions, elle ne te prendra pas pour âne tricheuse. Tu dois, de toute façon, t'accuser, si ce n'est pas avant, c'est après. Vas-y maintenant, Isabelle. — Alors, je m'accuserai après, temporisa-t-elle. J'irai à l'examen et je répondrai de travers et serai la dernière. Et puis, quand Miss Roberts me grondera je lui avouerai la vérité. Oh, zut, pourquoi ai-je été si curieuse ? Cela s'est fait en un clin d'œil, tu sais !

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Et dire que j'aurais pu être la première. Je sais répondre à toutes les questions ! — Ne me les dis pas, surtout ! Je ne veux pas les savoir. Courage, Isabelle, je te connais assez pour savoir que tu ne voulais pas tricher. Tout le monde peut avoir ses moments de stupidité ! Isabelle n'était pas très heureuse ! Cette nuit-là, elle se tourna et se retourna dans son lit. Elle aurait pu faire une si belle composition de géographie, et même arriver première. Quelle idiote elle était ! L'examen de géographie avait lieu le lendemain à la première heure de classe, directement après les prières. A neuf heures, la classe de première entra donc et prit place. Isabelle vit que les questions étaient toujours à la même place, sur le pupitre. Pat les vit aussi ; de leur place, il était impossible de les déchiffrer. Miss Roberts entra. — Bonjour, enfants, dit-elle. — Bonjour, Miss Roberts, firent les fillettes en chœur. - Examen de géographie, ce matin ! Faites votre possible, s'il vous plaît. Joan, vient dicter les questions. Isabelle vit Joan atteindre la feuille fatale. Elle se sentit très malheureuse. C'était vraiment compliqué de faire mal exprès, mais il n'y avait rien d'autre à faire ! Juste au moment où Joan prenait en main la

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feuille de questions, Miss Roberts eut une exclamation et l'arrêta. — Attends, je ne crois pas que ce soient les bonnes questions. Non, ce n'est pas cette liste-là. Celles-ci sont les questions de seconde qui, elles aussi sont interrogées sur l'Afrique. Va vite les porter à Miss Jenks et demande-lui les questions que je dois avoir laissées hier dans sa classe, sur son pupitre. Joan prit le papier et disparut. Isabelle regarda furtivement Pat. Pat était aux anges. Quand Miss Roberts se tourna pour inscrire quelque chose au tableau, Pat se pencha vers Isabelle et murmura : >— Quelle chance, maintenant tu pourras faire ton possible, vieille branche. Tu as lu les mauvaises questions, hurrah ! Isabelle lui fit signe de la tête, elle était bien contente aussi ! Cela semblait trop beau pour être vrai. Miss Roberts se retourna. — Pas de bavardage. Si j'entends une élève qui papote pendant le concours, je lui enlève des points. Entendu, Pat ? — Oui, Miss Roberts ! murmura Pat toute contrite. Joan revint avec la bonne liste et donna les questions. Isabelle se rendit compte tout de suite qu'elles étaient, en effet, différentes de celles qu'elle avait lues hier. Comme c'était miraculeux! Maintenant, elle pouvait se mettre au travail et tâcher d'arriver en tête de liste. Elle ne serait

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jamais plus aussi idiote. C'était une si pénible sensation de se croire une tricheuse.: Mais, la pauvre Isabelle avait les nerfs à bout après cette expérience et cette nuit de remords et ne fit pas un examen transcendant du tout. Sa main tremblait en dessinant ses cartes et, de plus, elle fit quelques erreurs incroyables. Tant et si bien que lorsque les feuilles furent relevées et corrigées, elle était loin d'être première. Elle arriva sixième, mais Pat venait en tête. Isabelle fut aussi contente de voir le nom de Pat en tête que le sien. Elle lui pressa le bras affectueusement. — Très bien, Pat ! fit elle. Je suis rudement contente. Une de nous est la première dans une branche tout au moins ! Pat irradiait de joie. C'était splendide de contempler ainsi son propre nom, au haut d'une liste. Miss Roberts vint la féliciter. — Tu as fait une excellente composition Patricia ! Quatre-vingt trois est une belle cote, mais Isabelle m'a étonnée, comment as-tu fait ton compte, Isabelle? Isabelle ne souffla mot. Des choses étonnantes arrivaient aux examens — probablement qu'aux prochains concours ces petites O'Sullivan arriveraient premières dans bien des branches..;.

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CHAPITRE XX.

LA FETE Hilary avait la surveillance du nettoyage de la classe. C'était une vraie partie de plaisir. Tout ressortait des armoires et elles poussaient des cris de joie à chaque chose qu'elles retrouvaient, dans un coin oublié. — Oh, je m'étais fait un deuil de ce canif ! chantonna Doris sautant sur un petit canif en nacre. Où donc s'est-il caché tout ce temps ? — Grands dieux, voilà le stylo de Miss Roberts ! s'écria Hilary un peu plus tard. Regardez, emballé dans un tas de rafia. Oh, oh, je sais maintenant comment c'est arrivé. Te souviens-tu, Janet, quand tu fourras tout ce tas de rafia sur le pupitre de Miss Roberts un jour où elle était si furieuse et que tu as battu en retraite avec cette charge et tout remis pêle-mêle dans l'armoire. Eh bien, cette fois-là, je parie que tu as empoigné le réservoir avec tout le fourbi . Tu te souviens comme on a trimé en vain pour le retrouver. — Pour l'amour du ciel, ne lui rappelle surtout pas que c'est moi qui ai pu le lui égarer s'il te plaît ! dit Janet. Elle perd patience pour un oui ou pour un non, ces jours-ci. Tiens, Isabelle, reporte-lui sa fameuse plume, toi, et dis-lui simplement qu'elle était dans les ouvrages.

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Tu as été attrapée par elle ce matin pendant les math, peut-être réussiras-tu maintenant à lui extorquer un sourire. Tout arrive ! Isabelle y alla donc. Miss Roberts était ravie de retrouver son porte plume réservoir et sourit, en effet, à Isabelle. Isabelle se demanda si elle serait suffisamment de bonne humeur pour lui demander quelque chose. Elle s'y risqua... — Miss Roberts, je regrette d'avoir été si distraite pendant les math, ce matin. Si je promets de m'appliquer demain, dois-je absolument faire toute cette punition ? J'ai tellement de travail aujourd'hui ! Mais, Miss Roberts n'était pas si facile à capturer. — Ma chère Isabelle, dit-elle, je suis ravie que tu me rapportes mon porte-plume, mais je suis certaine que tu es d'accord avec moi pour trouver que ce n'est pas une raison pour supprimer une punition et pour te pardonner ton mauvais travail de ce matin. Et quand même tu me retrouverais mon meilleur chapeau qui s'envola à travers champ dimanche et s'évanouit Dieu sait où, je te dirais encore: Isabelle, recommence tes problèmes ! Miss Roberts pouvait être extrêmement sèche quand elle voulait. Quand , arriva le jour de la représentation, l'excitation fut à son comble ! Les répétitions avaient été bon train et chacune savait fort bien

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son rôle. Toutes les classes devaient se produire; et la fête durait trois grandes heures, avec un entr'acte, pendant lequel on servait une collation. Mademoiselle ayant appris une pièce en français à chaque classe, poursuivait les élèves de ses conseils afin de les corriger de leur déplorable accent britannique, lequel reprenait toujours ses droits ! La sixième jouait une comédie grecque, la cinquième, un acte burlesque intitulé: « Madame Jenkins va-t-en visite ». Elles avaient emprunté, pour leurs déguisements, toutes sortes de drôles de chapeaux et de robes à leurs maîtresses et même à la cuisinière. La quatrième jouait du jazz. C'était un très bon orchestre, en /dépit de l'avis de Mademoiselle qui disait qu'elle se passerait volontiers du tambour, qu'on entendait à travers tous les murs et aux heures les plus inattendues, encore ! La troisième jouait du Shakespeare et la seconde et la première, en plus de leurs comédies, interprétaient encore d'autres petites choses, comme la danse de Doris et les déclamations de Tessie. Sheila était très animée. Elle savait que si elle avait obtenu un rôle dans la pièce historique dès le début, son rôle n'aurait pas eu une telle importance et maintenant, grâce à l'accident de Vera, elle était devenue une vedette ! Elle répétait continuellement, y pensait jour et nuit, et étonnait tout le monde par son talent. — Elle sera très bonne en scène ! murmura Janet à Pat. Je commence à l'aimer beaucoup.

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Qui aurait pensé qu'il y avait une si bonne petite actrice, derrière toutes ces manières et toutes ces poses ? Pat et Isabelle faisaient tout leur possible également. Les maîtresses assistaient à la fête et le personnel aussi, donc, toute l'école les verrait. Personne ne pouvait rater un mot ni faire une gaffe. Chaque classe avait son honneur à sauvegarder. Le grand soir arriva enfin ! Il y eut des rires et bousculades pendant toute la journée. Ce jour-là l'intérêt des élèves pour les cours fut très tiède, sauf pendant la leçon de Mademoiselle qui ne permettait aucun relâchement. Rien d'étonnant que les élèves de St. Clare eussent la réputation de connaître si bien le français. La maîtresse d'ouvrages, elle, travailla aux costumes jusqu'au dernier moment. L'infirmière-économe se distingua en composant un vrai repas pour une des comédies, en remplacement du repas en carton imaginé par Hilary. — Sapristi, c'est chic ça, dit Hilary, contemplant la cruche de vraie limonade et les gâteaux aux Corinthes que l'infirmière-économe lui apporta, comme j'aurai du plaisir à jouer dans cette pièce ! — Ne remplis toujours pas ta bouche comme une idiote de manière à ce que tu ne puisses plus répondre ! grogna Janet. Dis-donc, si on demandait à Mademoiselle de s'arranger pour avoir un petit repas dans sa comédie aussi ? Mais personne n'osa.

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A six heures, la représentation commença. Tout le monde avait pris place dans la salle de gymnastique, où des bancs, des chaises avaient été alignés. La scène avait un rideau et des lumières et tout était fort coquettement arrangé. Miss Théobald avait offert des plantes de son jardin d'hiver. Les maîtresses occupaient les rangs de devant, puis venait le personnel au grand complet, puis les enfants, sur de longues banquettes, livrées à elles-mêmes, sans surveillance. Tout le monde recevait un programme, dessiné et écrit par les élèves. Pat était terriblement fière de constater que Miss Théobald avait un de ceux dessinés par elle et se demandait si elle remarquerait son nom, près du dessin : Patricia O'Sullivan. Chaque classe connaissait le moment où elle devait se lever doucement et aller s'apprêter dans les coulisses. La cinquième exécuta sa pièce en premier lieu, et aussitôt que le rideau se leva sur les actrices, si cocasses dans leurs accoutrements, toute l'assemblée éclata de rire. La cuisinière cria: Oh, voilà mon vieux chapeau, qui aurait dit que je le verrais sur une scène de théâtre ! Le sketch était vraiment comique et tout le monde s'en amusa. Puis vint la comédie grecque des grandes. Ça, alors, c'était vraiment sérieux et difficile à comprendre. Les élèves de première écoutèrent poliment et applaudirent à point nommé, mais en conscience, elles préféraient la farce jouée par la cinquième.

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La quatrième suivit avec son jazz lequel eut un grand succès. Le tambour était simplement merveilleux et Mademoiselle lui pardonna tout son tapage des jours précédents. Elles exécutèrent quelques bons airs de danse que les élèves reprirent en chœur. On les bissa, mais l'heure de l'entr'acte était arrivée et le jazz dût quitter le plateau, au milieu d'applaudissements frénétiques, II y avait une table garnie de mets délicieux. Gelées, sandwiches, gâteaux ! Quelles merveilles ! Toutes les fillettes restèrent muettes d'admiration en entrant dans la salle à manger. — Sapristi, jamais nous ne mangerons tout cela, s'émerveilla Pat. — Patricia O'Sullivan, tu ne sais pas de quoi tu parles, dit Janet se servant de sandwiches aux asperges. Parle pour toi, mais enfin, sers-toi tout de même, puisque tu es là ! Et, bien sûr que Pat ne savait pas de quoi elle parlait. En vingt minutes, rien ne restait, sur aucun plat ! Les élèves avaient fait le vide, (caché sous la nappe, il y avait quelqu'un qui y aidait grandement! — Binks, le petit chien!) Kathleen l'avait invité clandestinement au festin, et l'avait attaché à un des pieds de la grande table. Elle lui passait des sandwiches entiers qu'il dégustait avec délice. Il était malin assez pour ne pas se faire remarquer et personne ne devina sa présence, sinon Isabelle qui

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commençait à s'étonner sérieusement du nombre impressionnant de sandwiches que Kathleen consommait. Puis, elle se rendit compte ! — Oh toi, singe imprudent, tu as trimbalé Binks jusqu'ici ? — Chut ! fit Kathleen ! ne dis rien. Je ne vois pas pourquoi il aurait raté cela. Est-ce qu'il n'est pas sage, cet amour ? Binks n'avait jamais été à pareille fête et, dès lors, elles furent deux à le gaver généreusement. La représentation reprit après une demi-heure. La première exécuta d'abord ses deux comédies. Sheila joua tellement bien que l'assistance l'acclama et elle dut venir saluer toute seule, pour les derniers applaudissements. C'était le plus beau jour de sa vie et elle était bien jolie aussi, toute rougissante de plaisir. Winifred sourit à Pat pour lui faire comprendre combien elle la remerciait pour la chance qu'elle et les autres avait donnée à sa petite concitoyenne. La pièce en français fut aussi un réel succès. Mademoiselle se pâma d'aise lorsqu'on applaudit si cordialement. — Ces gosses de première font cela très bien, reconnut Belinda Towers ! Isabelle, qui l'entendit, retint cette remarque élogieuse pour la répéter aux autres, plus tard. Doris dansa, très bien aussi. Elle fut bissée et revint sur la scène faire sa danse du clown. Elle recommença donc cette fameuse danse du clown qui avait mis une fin si désastreuse à leur fête de minuit. Cette fois-ci, heureusement, elle se termina

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par des hurrahs et des bravos. Elle venait à peine de terminer son dernier entre-chat que Binks intervint ! Il s'était débarrassé de son lien et était venu rejoindre sa maîtresse. Kathleen était dans les coulisses, regardant danser Doris, II rejoignit joyeusement celle-ci sur la scène et participa bruyamment aux acclamations générales. Doris trébucha sur lui au moment où la musique finissait et l'audience rit de plus belle. Binks était au comble du bonheur. Puis, il se précipita, en jappant sur Kathleen qui, dans la crainte d'une réprimande, l'empoigna et le reconduisit aux écuries. Mais personne ne gronda, pas même Mademoiselle qui n'avait pourtant jamais cessé de trouver « abominable » et « insupportable », l'admission de Binks au pensionnat. La fête se termina par un chœur général, chanté par tout le monde : le chant de St. Clare. Un air bien joli et bien alerte, que les jumelles entendaient pour la première fois. Elles étaient les seules à ne pas le connaître. — Nous le chanterons la prochaine fois, murmura Pat à Isabelle. Oh, Isabelle, quelle charmante soirée ! Elle bat tous les records de Redroof, tu ne trouves pas ? En baillant, les petites de première montèrent se coucher. L'heure réglementaire était largement dépassée. Elles bavardèrent et rirent en se déshabillant et personne ne les fit se hâter aujourd'hui — c'était le dernier jour du trimestre et, demain, on retournait à la maison !

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CHAPITRE XXI.

LE DERNIER JOUR Le jour suivant, on descendit les malles. Les noms étaient fraîchement peints en blanc et l'emballage commença ! Ce fut un jour chargé pour l'infirmière-éco-nome qui courait de l'une à l'autre, distribuant des robes et surveillant les enfants, afin que les affaires fussent emballées plus ou moins convenablement. Elle fitrecommencer complètement la malle de Doris. - Mais, je n'aurai jamais le temps ! s'exclama Doris, riant cependant de l'air tourmenté de la vieille dame. — Même si tu dois rester jusqu'à la semaine prochaine, tu réemballeras tes affaires, Doris Elward. Ta mère et tes deux tantes étaient ici il y a des années et, elles non plus, n'ont jamais appris à faire une malle avec méthode. Mais toi, tu vas apprendre, aujourd’hui même. Ce n'est guère intelligent de mettre ce qui est fragile en dessous et tes grosses bottines de match par dès-sur tes meilleures robes. Recommence, vite ! — Kath, quelle est ton adresse ? cria Pat. Tu m'as promis de me la donner et tu ne l'as pas fait !

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Je voudrais t'écrire pour la Noël ! Kathleen devint rouge de plaisir. Personne ne s'était jamais donné la peine, jusqu'ici, de lui demander son adresse. Elle l'écrivit pour Pat. Après cela, il y eut un échange général d'adresses, de promesses de coups de téléphone, d'invitations pour des après-midi, etc... L'école ne ressemblait plus du tout à une école. On bavardait dans tous les coins et, même quand les maîtresses étaient là, on ne pensait pas à se taire. Les institutrices étaient d'ailleurs, elles aussi, fort excitées et riaient entre elles. — Je suis contente de ma classe, ce trimestre-ci ! dit Miss Roberts en regardant Sheila lancer quelque chose à Pat. Quelques une des petites ont tellement changé à leur avantage que je les reconnais à peine ! — Et les O'Sullivan s'enquit Miss Jenks ? je pensais, au début, qu'elles seraient réellement difficiles à manier. On les appelait les « petites pestes », vous savez, et je ne pouvais pas supporter leurs grands airs méprisants. — Oh, tout va bien ! fit Miss Roberts ! Elles sont entrées joyeusement dans les rangs. Elles ont beaucoup de bon. Un de ces jours, St. Clare sera fier d'elles, retenez ce que je vous dis ! Ce sont de petits singes, bien sûr, vous verrez quand vous les aurez dans votre classe, l'année prochaine ! — Je ne doute qu'elles marchent droit, après un trimestre ou deux de vos tendres soins ! ria Miss Jenks. Je n'ai jamais d'ennui avec les élèves

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qui me viennent de chez vous. Ce sont toujours les nouvelles qui créent du désordre. Mademoiselle arriva sur ces entrefaites, toute souriante. Elle prenait, dans un solide carnet, toutes les adresses parce que, très consciencieusement, selon son habitude, elle écrivait à chacune d'elles. — Chère vieille « Mademoiselle Abominable», murmura Pat, comme elle passait derrière elles. Les oreilles aiguës de Mademoiselle, entendirent. — Comment m'appelles-tu? demanda-t-elle en s'arrêtant derrière Pat accroupie devant sa malle ouverte. — Oh, rien, Mademoiselle, dit Pat, prise de panique. Les autres élèves aussi fixèrent Mademoiselle terrorisées. Elles savaient toujours comment les jumelles appelaient Mademoiselle. — Tu me le diras, s'il te plaît, et tout de suite encore ! insista Mademoiselle, le pince-nez en bataille. — Et bien, fit Pat avec effort, j'ai seulement dis « Mademoiselle Abominable », parce qu'au début, vous m'appeliez comme cela, moi, Isabelle et notre travail. S'il vous plaît, ne prenez pas cela de mauvaise part ! Mademoiselle était loin d'être fâchée; au contraire, ce nom l'amusa, elle s'exclama en riant : — Ha, ha ! « Mademoiselle Abominable », ça c'est bien d'appeler ainsi votre maîtresse de français.

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« Comment m'appelles-tu ? » demanda-t-elle en s'arrêtant derrière Pat…

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Mais, le trimestre prochain, votre travail sera tellement parfait que je serai tout le temps forcée de dire : « c'est magnifique ! », et, alors, vous m'appellerai « Mademoiselle Magnifique », n'est-ce pas ? Enfin, tout fut emballé. Chaque élève alla faire ses adieux à Miss Théobald. Quand les petites sœurs entrèrent ensemble, elle les dévisagea sérieusement, puis leur sourit de son sourire exceptionnel. — Je crois que vous êtes venues à St. Clare, bien à contrecœur, n'est-ce pas ? leur dit elle. Mais je crois aussi que vous avez changé d'avis ? — Oui, nous avons complètement changé d'avis ! déclara Pat honnêtement. Cela ne lui coûtait jamais de dire qu'elle s'était trompée ou qu'elle avait changé d'avis. Nous détestions de venir et nous nous étions bien jurées d'être impossibles et,... nous avons, en effet, essayé de notre mieux, mais, et bien, St. Clare est rudement chic ! — Et nous aimerons de revenir après les vacances, renchérit Isabelle avec conviction. On doit beaucoup travailler et rien n'est semblable à notre ancienne école et ce n'est pas commode de redevenir les cadettes après avoir été les aînées, mais, enfin, nous y sommes habituées maintenant ! — Un jour, bientôt, vous serez les aînées à St. Clare ! leur répondit Miss Théobald. Mais l'idée qu'elles pourraient un jour être

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aussi grandes et aussi puissantes que Winifred James, dépassait les petites jumelles. — Oh non, dit Pat, nous ne pourrons jamais ! Mais Miss Théobald sourit à part elle. Elle connaissait beaucoup mieux les fillettes qu'elles ne se connaissaient elles-mêmes. Les remuantes petites sœurs avaient en elles l'étoffe dont on fait un jour de vaillantes petites femmes et Miss Théobald et St. Clare feraient ce qu'il faut pour qu'il en soit ainsi ! — Voici vos bulletins ! dit elle. Remettez mes amitiés à votre maman et dites lui que il n'a pas encore été nécessaire que je vous renvoie jusqu'à présent. — J'espère que nos bulletins sont convenables ! fit encore Pat. Nous avons tellement dit et répété à papa que nous ne ferions pas notre possible que si nos cotes sont trop basses, il va croire que nous avons mesquinement tenu notre promesse ! - Et bien, vous verrez quand vous serez à la maison ! murmura la Directrice en souriant. Mais... je ne me ferais pas trop de mauvais sang, si j'étais à votre place ! Bonnes vacances ! Les jumelles prirent congé d'elle et de tout le monde. Mademoiselle les embrassa cordialement sur les deux joues. Elle semblait les aimer beaucoup. Miss Roberts leur serra la main et leur recommanda de ne pas manger trop de « Christmas Pudding ». Miss Kennedy était bien en peine : elle quittait St. Clare pour toujours ! Avec des exclamations et des au-revoir, les fillettes

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dégringolèrent les escaliers pêle-mêle et s'entassèrent dans l'autocar. Comme c'était gai ! Quelle joie de rentrer à la maison pour Noël, pour les fêtes traditionnelles, les réunions, les théâtres. Il y avait aussi la perspective heureuse de tous les cadeaux à acheter et à recevoir, des cartes à envoyer et tout et tout ! —- Je ne vous reverrai plus ! dit elle, comme elle disait adieu aux jumelles ! Vous me manquerez beaucoup ! — Au revoir Kenny, s'enhardit Pat. Nous avons été ignobles avec vous au début — mais, vous nous pardonnez n'est-ce pas ? Je promets de vous écrire et je tiendrai promesse ! — Et moi aussi ! dit Isabelle. Et puis Janet et Hilary se joignirent au petit groupe et Miss Kennedy était trèsémue quand tous ces adieux lui arrivèrent avec tant de gentils souhaits. Mais c'était Binks qui était le plus affamé ! Il était en liberté et acceptait poliment du chocolat de toutes les petites mains qu'il léchait ensuite à titre de réciprocité ! Personne ne le renvoyait aujourd'hui et il eut une journée merveilleuse. — Comme il va être triste de me quitter quand je reviendrai en pension, pleurnicha Kathleen, en le caressant! Mais, ne pensons pas à cela. Nous avons tout un bon mois devant nous. Ma tante le conservera certainement, il est si mignon ! — Naturellement, il se comportera très bien, dit Janet et, je crois qu'il va te ressembler, Kath,

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quelquefois il sera gentil et bien souvent, il sera impossible ! Kathleen cogna affectueusement Janet. Elle n'habitait pas très loin des O'Sullivan et elles avaient projeté des ballades à bicyclette ensembles. Elle était donc très heureuse. La cloche sonna, annonçant le premier départ pour la gare. C'était pour les élèves de première. Pat et Isabelle prirent le train et, quand le car eut déversé sa deuxième cargaison de pensionnaires, il s'ébranla enfin. Elles partaient ! Elles poussèrent la tête hors du wagon pour voir une dernière fois le pensionnat. — Au revoir, émit Pat, tout bas. Nous te détestions quand nous te vîmes pour la première fois, et maintenant, nous t'aimons ! —• Et nous serons heureuses de revenir ! dit Isabelle. Oh Pat, ce sera gai de revenir, dis, chez ce vieux St. Clare ! Puis, le bâtiment disparut à leur vue et le train fit entendre son refrain monotone, scandant en cadence un chant qui semblait dire, qui disait sûrement : Nous serons heureuses de revoir St. Clare, nous serons heureuses de revoir St. Clare. Un singulier chant, mais combien vrai !

FIN.

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La suite du présent ouvrage paraîtra sous le titre «LES SŒURS O'SULLIVAN ». Nt du traducteur : Cet ouvrage a été publié sous un autre titre : « DEUX JUMELLES ET TROIS CAMARADES »

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Enid Blyton (Photograph by Dorothy Wilding)

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