Blyton Enid Deux Jumelles T5 Claudine et les deux jumelles.doc

July 31, 2017 | Author: alainberbotteau | Category: Smile, Sports, Leisure
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ENID BLYTON

CLAUDINE ET

LES DEUX JUMELLES UNE "nouvelle" fait son entrée au collège de Saint-Clair : une Française, Claudine, la nièce du professeur de français. Quel numéro, cette Claudine ! Elle est capable de se jeter à l'eau tout habillée ou d'enfermer des gens dans les placards. Bien entendu, les jumelles Isabelle et Patricia O'Sullivan s'entendent à merveille avec Claudine. Que de bons tours elles vont jouer ensemble, même à cette pauvre Mam'zelle qui s'y laisse toujours prendre !

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ENID BLYTON

CLAUDINE ET

LES DEUX JUMELLES ILLUSTRATIONS DE JACQUES POIRIER 2/66

HACHETTE 304 4

TABLE 1. Le retour à Saint-Clair 2. En quatrième division 3. Claudine arrive à Saint-Clair 4. La redoutable madame Paterson 5. Angela est chargée d'un message 6. Angela et Gladys 7. Claudine n'en fait qu'à sa tête 8. Des anniversaires et des cadeaux 9. Projets pour le congé de mi-trimestre 10. Enfin la mi-trimestre! 11. La mère d'Angela 12. La punition de madame Favory de Saint André 13. Les boules puantes de Patricia 14. Miss Ellis joue un tour de sa façon 15. Un anniversaire et une excellente idée 16. Claudine joue un bon tour à madame Paterson 17. La colère de madame Paterson 18. Claudine se dénonce 19. La mère de pauline 20. Angela et Claudine 21. Alice à la rescousse 22. Une surprise désagréable pour madame Paterson 23. La fin du trimestre

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CHAPITRE PREMIER LE RETOUR A SAINT-CLAIR de Pâques venait de ramener les élèves au collège Saint-Clair. Les jumelles, Isabelle et Patricia O'Sullivan entrèrent dans leur nouvelle classe et l'inspectèrent avec soin. « La quatrième division! s'écria Pat. Nous voilà grandes, n'est-ce pas, Isabelle? — Oui. Nous en avons fait du chemin depuis la première division, répliqua Isabelle. Tu te rappelles notre arrivée à Saint-Clair, il y a un siècle? On nous avait surnommées « les poseuses », parce que nous détestions le collège et que nous ne voulions pas y rester. » Elles revivaient en pensée l'époque où elles étaient élèves LA RENTRÉE

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de première division. Au bout de quelques semaines, elles s'étaient acclimatées à Saint-Clair et avaient été fières d'en faire partie. Maintenant, à leur grande joie, elles entraient en quatrième. « Les élèves de première me font l'effet de bébés, reprit Pat. Nous nous prenions pour des personnages quand nous sommes arrivées. Je me rends compte à présent que nous n'étions que des petites filles. Que je suis contente d'être montée de classe, et toi, Isabelle? — Moi aussi! J'espère que nous resterons à Saint-Clair jusqu'à la fin de nos études et que nos amies en feront autant. — Plusieurs sont déjà parties, fit remarquer Pat. Ada ne revient pas, ni Sheila. Lucie Oriel, qui est si douée pour le dessin et la peinture, a gagné une bourse pour la meilleure école des beaux-arts d'Angleterre. — Elle le méritait bien, mais elle nous manquera beaucoup. Je me demande s'il y aura des nouvelles ce trimestre. — Sûrement, dit Pat en regardant autour d'elle. Que cette classe est grande et belle! Nous n'en avons jamais eu d'aussi agréable. Et cette vue ! » En effet, un magnifique paysage s'étendait devant les yeux des jumelles. Des arbres, des jardins fleuris, des tennis, des terrains de jeux, une grande piscine, un immense potager. « Tiens! Voici Bobbie et Margaret! » s'écria Pat. Roberta, dite Bobbie, et Margaret entrèrent dans la classe en riant. Bobbie avait un visage couvert de taches de rousseur, un sourireespiègle. C'était un garçon manqué. « Bonjour, dit-elle. Notre classe vous plaît? Elle est belle, n'estce pas:' — Comment est notre nouveau professeur, Miss Ellis? demanda Pal. Il paraît qu'elle est très gentille. — Oui. Très calme, très digne, répondit Bobbie. Pat, as-tu apporté de nouvelles attrapes? »

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Pat tenait de son cousin, qui était collégien, un stock d'attrapes très amusantes. « Tu verras, répondit-elle en riant. Mais maintenant nous ne sommes plus des bébés. On ne peut pas trop chahuter dans les grandes classes. Il faut que je travaille assidûment si je veux être reçue à mon examen. Je n'aurai pas beaucoup de temps pour les farces. — Tu en trouveras, affirma Bobbie. Il y a des nouvelles? — Deux ou trois, répliqua Margaret. Tiens! Henriette! Tu as passé de bonnes vacances ? » Henriette Wentworth entrait, brune et souriante. Elle était à Saint-Clair depuis des années et y avait même précédé les jumelles. « Bonjour, dit-elle. Oui, j'ai passé de très bonnes vacances. J'ai fait de belles promenades et j'ai beaucoup joué au tennis. Dites donc, qui est cet ange? — De qui parles-tu? demandèrent les jumelles, Bobbie et Margaret. — Vous n'avez pas vu? reprit Henriette. Elle vient d'arriver avec des malles flambant neuves, plusieurs raquettes de tennis, un sac à main orné d'initiales dorées. Votre cousine Alice la prendra pour la huitième merveille du monde. Elle a les cheveux blond pâle coupés à l'ange, un visage en forme de cœur et une voix mélodieuse. — Où est-elle? demandèrent les autres dont la curiosité était éveillée. Sera-t-elle dans notre division? — Elle est en bas dans le hall, répondit Henriette. Elle est arrivée dans une voiture immense avec des armoiries et conduite par un chauffeur. — Allons la voir », proposa Pat. Toutes sortirent dans le corridor et se penchèrent pardessus la rampe de l'escalier pour voir la nouvelle. Elle était encore là et, en vérité, elle ressemblait à un ange, si l'on peut imaginer un ange en uniforme de collégienne,

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une splendide raquette de tennis sous le bras. « Elle est ravissante, n'est-ce pas? chuchota Bobbie qui n'était pas belle et qui admirait la beauté des autres. Oui, Alice va la suivre comme son ombre. Pour être heureuse, Alice a besoin d'être esclave de quelqu'un. » A ce même moment, Alice les rejoignit. C'était la cousine des jumelles, une écervelée plus jolie qu'intelligente. « Bonjour, dit-elle. J'ai entendu mon nom. Vous parliez de moi? - Oui, répondit Henriette. Nous disions que cette jolie nouvelle qui est dans le hall te plairait. Comment la trouves-tu? » Alice se pencha par-dessus la rampe et, comme les autres l'avaient prévu, elle fut aussitôt éperdue d'admiration. « On dirait une princesse de conte de fées, déclara-t-elle. Je vais lui proposer de la guider dans le collège. »

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Elle descendit en courant. Les autres la suivirent plus lentement. « Alice est déjà emballée, fit remarquer Pat. Pauvre Alice! Toutes ses amies sont parties. Vous vous souvenez de Sadie, l'Américaine? Alice répétait toute la journée : « Sadie pense... « Sadie croit... » Nous en avions lait une chanson. Alice était furieuse, vous vous rappelez ? — Oui. En seconde division, elle n'avait d'yeux que pour le professeur de diction. En troisième, elle admirait notre chef de classe et elle se rendait complètement ridicule, dit Margaret. Par malheur, Alice n'est jamais payée de retour. - C'est une écervelée, approuva Pat. Regardez-la, elle prend le bras de l'ange! - Il y a une autre nouvelle, annonça Henriette. Elle fait une tête d'enterrement. Je crois qu'Alice devrait se mettre en frais pour elle aussi. Hé! là-bas, Alice? » Mais Alice avait déjà disparu avec la jolie blonde. Les 10

jumelles, Margaret, Henriette et Bobbie s'approchèrent de l'autre nouvelle. « Bonjour. Tu viens d'arriver, n'est-ce pas? dit Isabelle. Il faut que tu te présentes à l'infirmière. Viens avec nous. — Comment t'appelles-tu? demanda Pat en regardant la nouvelle qui paraissait très dépaysée. — Pauline Bingham-Jones, répliqua l'autre d'une voix affectée. Oui, je serais contente que vous me disiez ce qu'il faut que je fasse. — D'habitude l'infirmière accueille elle-même les nouvelles, fit remarquer Henriette. Je me demande où elle est. — Je ne l'ai pas vue, reprit Pat. Elle n'était pas ici quand nous sommes descendues du car. — C'est bizarre, ajouta Isabelle. Mettons-nous à sa recherche. Nous aussi il faut que nous la voyions. » Elles se rendirent au bureau de Mme Rey en compagnie de Pauline et frappèrent à la porte. Mme Rey était la bonté même, mais savait se faire obéir. A Saint-Clair depuis plus de vingt-cinq ans, elle avait connu les mères des élèves actuelles. « Entrez ! » répondit une voix. « Ce n'est pas la voix de Mme Rey », chuchota Pat intriguée. Elle ouvrit et entra. Les autres la suivirent. Une femme en uniforme d'infirmière cousait près de la fenêtre. On ne l'avait jamais vue à Saint-Clair. Elle la regardèrent avec surprise. « Oh! s'écria Pat. Nous cherchons Mme Rey. — C'est moi qui la remplace ce trimestre, répondit l'inconnue. Votre ancienne infirmière a été malade pendant les vacances ei n'a pas pu revenir. C'est donc moi qui remplirai ses fonctions. Je suis sûre que nous nous entendrons très bien. » Les jumelles et leurs amies en doutaient. Ronde comme une boule, Mme Rey souriait sans cesse. Sa remplaçante était

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maigre et avait un air rébarbatif. Ses lèvres minces n'exprimaient pas la bonté. Elle eut un sourire qui resta au coin de sa bouche et n'atteignit pas ses yeux. « C'est vous que nous cherchons, déclara Pat. Nous vous amenons une nouvelle élève. Il faut qu'elle vous donne la liste de ses vêtements et de son linge. — Je le sais, merci, répliqua l'infirmière en coupant son fil avec ses dents. Envoyez-moi les autres, voulez-vous? Combien sont-elles? » Les jumelles l'ignoraient. C'était à l'infirmière de s'en occuper. Mme Rey attendait l'arrivée du car et des voitures, souhaitait la bienvenue aux enfants qui venaient à Saint-Clair pour la première fois, les présentait à leurs professeurs ou les confiait à d'anciennes élèves. « Voici Pauline Bingham-Jones, dit Pat. Nous avons aperçu une autre nouvelle. Notre cousine Alice s'est chargée d'elle. » Les jumelles et leurs amies sortirent de la pièce, laissant Pauline avec l'infirmière. Elles se regardèrent et firent la grimace. « Cette femme ne m'est pas sympathique, déclara Isabelle. Une vraie bouteille de vinaigre ! » Les autres éclatèrent de rire. « J'espère que Mme Rey reviendra, dit Bobbie. Sans elle SaintClair n'est plus Saint-Clair. Je me demande où sont Alice et l'ange! » Au même moment Alice faisait son apparition, rouge et rayonnante. Sans aucun doute, elle avait une nouvelle amie. L'ange l'accompagnait. « Pat, Isabelle, Bobbie, Henriette, voici Angola Favory de SaintAndré! » Angela fit un signe de tête de reine qui condescend à saluer ses sujets. Bobbie se mit à rire. « Quand j'étais petite, j'avais une poupée qui s'appelait Angela, dit-elle. Elle te ressemblait un peu. J'espère

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que tu te plairas à Saint-Clair. Alice, conduis-la à l'infirmière. — Où est-elle? demanda Alice. Je l'ai cherchée sans la trouver. — Nous avons une nouvelle infirmière ce trimestre, annonça Bobbie. Elle ne te plaira pas. » A première vue, Angela éprouva une vive antipathie pour Bobbie. Elle la regarda du haut de sa grandeur. Puis elle se tourna vers Alice et dit d'une jolie voix flûtée : « Allons voir cette infirmière. Je voudrais bien défaire mes bagages. » Elles partirent ensemble. Henriette partagea la gaieté de Bobbie. « Si nous avons besoin d'Alice ce trimestre, nous saurons où la trouver. Dans la poche d'Angela. »

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CHAPITRE II EN QUATRIÈME DIVISION TIENS! Une autre nouvelle! s'écria Bobbie. Elle a l'âge d'être en quatrième, je crois. » Une fille d'une quinzaine d'années s'avançait; elle marchait rapidement, comme si elle connaissait déjà les lieux. « Bonjour, dit Pat. Tu es nouvelle, n'est-ce pas? En quelle division seras-tu? — En quatrième, répondit l'autre. Je m'appelle Gladys Paterson. — Nous sommes en quatrième aussi, dit Pat, et elle se présenta ainsi que ses amies. Tu veux que nous te fassions visiter le collège? Habituellement l'infirmière s'en charge, mais elle 14

n'est pas ici depuis longtemps et elle ne connaît pas encore les coutumes. » Gladys s'assombrit. « Merci, j'ai déjà visité Saint-Clair, dit-elle assez sèchement. Je suis ici depuis une semaine. » Là-dessus elle lit demi-tour et s'éloigna. « Quelle mouche la pique? demanda Bobbie surprise. Elle n'a pas besoin d'être si cassante. Elle est ici depuis une semaine, qu'est-ce que cela veut dire? Personne ne vient avant la rentrée. » Miranda arrivait avec son amie Ellen. « Bonjour, bonjour! s'écrièrent les autres. Quelle joie de se retrouver! Dites donc, avez-vous parlé à cette fille qui vient de partir? Une nouvelle qui s'appelle Gladys Paterson. Elle a l'air de croire que tout le collège lui appartient. — Non, je ne lui ai pas parlé, répliqua Miranda. Mais je sais que sa mère est la nouvelle infirmière. L'ancienne est malade. Gladys est la fille de Mme Paterson qui remplace Mme Rey, elle va faire ses études ici. Elle est arrivée avec sa mère qui venait se mettre au courant de son travail avant la rentrée. » Bobbie siffla entre ses dents. « C'est pour cela qu'elle a été contrariée quand nous avons dit que l'infirmière devrait être là pour accueillir les nouvelles. Ce n'est pas étonnant qu'elle connaisse Saint-Clair puisqu'elle est ici depuis une semaine. Elle ne me plaît pas beaucoup. — Attends de mieux la connaître, conseilla Pat. Une nouvelle est toujours dépaysée et mal à l'aise devant les anciennes. » Celles-ci se réjouissaient de se retrouver. Les jumelles, Bobbie, Henriette, Catherine, Doris, Carlotta, Miranda, Ellen seraient ensemble en quatrième. Quelques élèves redoublaient.

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L'une d'elles, Suzanne Howes, avait l'honneur d'être chef de classe. C'était une fille sympathique et bonne, qui avait le sentiment de ses responsabilités et tenait à se montrer juste. Miss Ellis, le professeur de quatrième, énergique et calme, élevait rarement la voix, mais exigeait un travail sérieux. Elle aimait beaucoup ses élèves qui lui rendaient son affection. Angela Favory de Saint-André avait vraiment l'air d'un ange avec ses boucles dorées qui tombaient sur ses épaules. Son uniforme bien coupé semblait sortir de chez un grand faiseur. « On lui fait ses souliers sur mesure, annonça Alice à ses cousines. Elle a un sac assorti à chacune de ses robes, avec ses initiales en or. — Tais-toi! ordonna Pat. Est-ce que des détails de ce genre ont de l'importance! Ta chère Angela est horriblement snob! — Ce n'est pas vrai! s'écria Alice prête à défendre son amie. Sa famille est une des plus anciennes d'Angleterre. Elle a un cousin qui est marquis! — Tu es snob aussi, Alice, protesta Isabelle indignée. Pourquoi faut-il toujours que tu te prennes d'affection pour des poseuses? Ne sais-tu pas que c'est la personnalité seule qui compte? — Je ne suis pas snob, protesta Alice. Je suis bien contente qu'Angela m'ait choisie pour amie. Elle est charmante. — Dommage qu'elle ne soit pas plus intelligente! intervint Bobbie. Je crois qu'elle ne sait même pas sa table de multiplication. » Angela Favory de Saint-André sans aucun doute était snob. Elle était très fière de sa famille, de sa richesse, de ses voitures, de sa beauté. Elle choisissait ses amies avec soin. Alice lui plaisait parce qu'elle était jolie, bien élevée, et qu'elle l'admirait.

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Angela n'aimait pas les autres élèves de sa division. Elle détestait Bobbie qui l'avait traitée de poupée. Elle n'adressait même pas la parole à Carlotta. Celle-ci ne s'en affligeait guère. La brune aux yeux noirs avait passé son enfance dans un cirque où sa mère était écuyère. Elle n'en éprouvait aucune honte. Maintenant Carlotta pendant les vacances habitait avec son père, qui était un homme de la haute société, et sa grand-mère, car sa mère était morte. Elle avait appris les belles manières, mais elle n'avait jamais oublié la vie passionnante qu'elle avait menée au cirque, elle amusait souvent ses amies en faisant des acrobaties et elle se montrait vive et emportée comme une gitane. Alice avait raconté à Angela l'histoire de toutes les élèves, y compris celle de Carlotta. La jeune aristocrate avait froncé son joli nez en apprenant que Carlotta avait paru à cheval sur la piste d'un cirque. « Comment a-t-on pu l'accepter dans un collège comme celui-ci? demanda-t-elle. Si mes parents l'avaient su, ils ne m'auraient pas mise à Saint-Clair. - Pourquoi es-tu venue? demanda Alice avec curiosité. On travaille beaucoup ici, mais ce n'est pas un pensionnat chic. - Je ne voulais pas venir, répondit Angela. Maman voulait m'envoyer au Victoria où vont toutes les filles de la noblesse, mais papa a des idées bizarres. Il prétend que j'ai besoin d'être dressée. - Angela, tu n'as aucun défaut! s'écria Alice. Je ne t'en connais pas. » Angela aimait les compliments. Les éloges dont la comblait Alice lui faisaient grand plaisir. Elle eut un sourire angélique. « Tu dis des choses gentilles, Alice, déclara-t-elle. Tu es la fille la plus sympathique de la quatrième division. Je ne peux pas supporter cette pimbêche de Gladys, ni cette horrible Carlotta, ni Pauline Bingham-Jones. »

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Angela Favory de Saint-André sans aucun doute était snob.

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Pauline n'avait certainement pas l'art de se faire des amies. En paroles, elle était aussi snob qu'Angela, mais sa robe était moins bien coupée, elle ne possédait que des objets sans valeur. Elle aussi affectait de mépriser Carlotta, elle détestait Bobbie. Quant à Gladys, elle lui adressait à peine la parole. « Je ne comprends pas pourquoi Gladys a la permission de se joindre à nous parce que sa mère est employée ici, disait Pauline de sa voix affectée. Bientôt nous aurons avec nous la fille de la cuisinière et aussi celle du jardinier. C'est déjà assez désagréable d'avoir Carlotta qui est une vraie sauvage! » Carlotta, au début d'un trimestre, quand elle n'était plus sous l'œil sévère de sa grand-mère, reprenait ses allures de petite bohémienne. Mais elle était si vive, si amusante que personne ne songeait à le lui reprocher. Carlotta savait qu'Angela et Pauline la méprisaient et elle prenait plaisir à employer des mots d'argot, à faire des grimaces, à marcher sur ses mains devant elles. Miss Ellis cependant n'encourageait pas les acrobaties et les farces. En quatrième division ses élèves devaient être sérieuses afin d'accéder aux grandes classes. Lorsqu'elles montaient en cinquième et en sixième, chacune avait son petit bureau et elles devaient avoir le sentiment de leurs responsabilités. Miss Ellis de sa voix ferme et froide rappelait souvent Carlotta à l'ordre. Alors Angela et Pauline jetaient un regard dédaigneux à l'ancienne écuyère de cirque et chuchotaient des phrases moqueuses. Toutes les deux luttaient à qui se vanterait le plus. Les autres riaient de les entendre. « Mon cousin, le marquis, a son avion personnel. Il m'a promis de m'offrir le baptême de l'air, dit un jour Angela. — Tu n'es pas encore montée en avion? riposta Pauline

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avec une surprise affectée. Pas possible! Cela m'est déjà arrivé trois fois. Quand je séjournais chez les Lacy-Wright. Ils ont seize salles de bain dans leur château! — Je parie que tu n'as qu'une seule salle de bain chez toi, répliqua aigrement Angela. Nous en avons sept. — Nous en avons neuf en comptant celles des domestiques », annonça Pauline. Les autres les regardaient avec surprise. Elles voulaient bien croire qu'Angela avait plusieurs salles de bain, car de toute évidence la petite snob appartenait à une famille riche, mais les vantardises de Pauline leur inspiraient des doutes. « Voyons, intervint Bobbie, que je compte nos salles de bain. Trois pour moi, quatre pour maman, cinq pour papa, deux pour les visiteurs. Combien cela fait-il? — Idiote! » s'écria Pat en riant. Angela et Pauline foudroyèrent Bobbie du regard. « Je ne peux pas me rappeler si nous avons une salle de bain ou non, dit Henriette en entrant dans le jeu. Que je rassemble mes souvenirs ! » Malgré les taquineries, Angela et Pauline ne cessaient pas de se vanter. S'il ne s'agissait pas de salles de bain, il s'agissait de voitures, ou bien des robes et des bijoux de leurs mères. Les autres en étaient exaspérées. Les rebuffades d'Angela et de Pauline laissaient Gladys indifférente. Elle n'avait, semblait-il, qu'une seule pensée et un seul souci : son frère aîné qui travaillait dans la ville voisine. Gladys l'adorait. « II s'appelle Edgar, dit-elle. Nous l'appelons Eddy. — Ça ne m'étonne pas, s'écria Angela. A mon avis, les diminutifs, c'est ce qu'il y a de plus vulgaire! » Gladys rougit. « Tu es une vraie chipie, Angela, riposta-t-elle. Attends d'avoir vu Eddy... Edgar je veux dire... Il est si beau! Ses

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cheveux sont bouclés et il a un sourire extraordinaire! C'est le meilleur frère du monde. Il est sérieux et travailleur. Maman a perdu beaucoup d'argent, c'est pour cela qu'elle a dû prendre une situation à Saint-Clair, et c'est pour cela qu'Eddy... Edgar... est déjà obligé de travailler. — L'histoire de ta famille ne m'intéresse pas, Gladys », répliqua Angela et elle s'éloigna avec Alice. Gladys haussa les épaules. « Pimbêche! dit-elle tout haut. Elle mériterait une bonne leçon! » Carlotta fut de cet avis. « Oui. Souvent la main me démange de lui envoyer une bonne gifle, déclara-t-elle. Mais maintenant que je suis en quatrième division... Quel dommage! Un jour je ne saurai plus gifler personne... — Oh si! dit Bobbie en riant. Quand tu te mettras en colère, tu oublieras que tu es en quatrième division. Tu redeviendras la Carlotta sauvage d'autrefois ! »

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CHAPITRE III CLAUDINE ARRIVE A SAINT-CLAIR la fin de la première semaine, une quatrième nouvelle arriva. Mam'zelle, le professeur de français, l'annonça elle-même. « J'ai une surprise pour vous, dit-elle un matin en entrant dans la classe. Vous aurez bientôt une autre compagne en quatrième division. Elle arrive aujourd'hui. — Pourquoi est-elle si en retard? demanda Pat. — Elle a eu la rougeole, répondit Mam'zelle. Claudine a été très malade et elle n'a pas pu venir plus tôt. — Claudine! répéta Isabelle. Quel joli nom! Il me plaît beaucoup. AVANT

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— La petite Claudine vous plaira aussi, dit Mam'zelle. Elle est Française. C'est ma nièce. » Les élèves restèrent bouche bée. Elles ignoraient que Mam'zelle eût une nièce et que celle-ci dût venir à Saint-Clair. « J'espère qu'elle sera heureuse parmi nous, déclara Pat, sentant qu'il fallait dire quelque chose. — Elle sera très heureuse, affirma Mam'zelle. Elle serait heureuse n'importe où, la petite Claudine. Il n'y a pas d'enfant plus gaie. Elle rit tout le temps, elle est toujours en train de plaisanter. » C'était de bon augure. D'avance, Claudine se montrait sympathique. Les élèves interrogèrent du regard leur professeur. Mam'zelle prit un ait solennel. Elle mit ses lunettes sur son nez et regarda sa classe. « Je tenais beaucoup à ce que Claudine vienne dans notre collège, déclara-t-elle. Jusqu'ici elle était dans un couvent où l'on était trop sévère pour elle, on critiquait tout ce qu'elle faisait. On lui reprochait de ne suivre aucun règlement et j'ai pensé : Bobbie qui travaille tant était autrefois comme cela, Saint-Clair l'a transformée, maintenant elle est sage comme une image! La petite Claudine en fera peut-être autant. » Bobbie fut un peu gênée. Elle n'était pas sûre d'être aussi sage qu'une image. Mais Mam'zelle parlait si sérieusement que Bobbie ne protesta pas. Elle n'en eut d'ailleurs pas le temps. Mam'zelle reprenait déjà le fil de son discours. « La petite Claudine arrive aujourd'hui, guérie de sa rougeole, et je vous demande de l'accueillir à bras ouverts. Par amitié pour votre vieille Mam'zelle! — Bien sûr, nous serons gentilles pour elle », promit Suzanne. Les autres l'approuvèrent, excepté Angela, Alice et Pauline qui avaient une expression dédaigneuse, comme si une nièce de Mam'zelle ne méritait pas un tel accueil.

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« Vous êtes de bonnes filles, dit Mam'zelle. Je vous présenterai Claudine dès qu'elle arrivera. Elle vous aimera toutes. C'est une gentille enfant, bien qu'elle déteste obéir aux règlements. Mais vous la changerez, n'est-ce pas? » Claudine devenait de plus en plus sympathique. Ce serait amusant d'avoir une petite Française dans la classe. De toutes les nouvelles élèves, ce serait la plus intéressante. Cinq minutes avant la fin du cours, la porte s'ouvrit et une fille entra. Elle était petite, brune, nette et soignée. Sans paraître intimidée le moins du monde, elle jeta un regard de côté à ses futures compagnes avant de s'avancer vers Mam'zelle. Celle-ci poussa un cri et descendit de son estrade en toute hâte. Elle embrassa la jolie brune sur les deux joues, caressa ses cheveux. Un torrent de mots français jaillit de sa bouche; elle parlait avec tant de volubilité que personne dans la classe ne put comprendre ce qu'elle disait. Sa nièce répondit en français et embrassa Mam'zelle. Elle ne semblait pas du tout gênée par ces effusions. « Voici la petite Claudine! s'écria Mam'zelle en obligeant sa nièce à faire demi-tour. Dis bonjour à tes futures amies, Claudine ! - Bonjour, les filles ! » dit aimablement Claudine. Toutes les autres la regardèrent avec surprise, puis se mirent à rire. Cette petite Française paraissait bien hardie. « C'est trop familier, corrigea Mam'zelle. Tu devrais dire : Bonjour, mes amies. » Les élèves se tordirent de rire. Claudine aussi. Mam'zelle souriait. De toute évidence, elle était très fière de Claudine et l'aimait beaucoup. La cloche sonna la fin du cours. « Pat, dit Mam'zelle, je vous confie Claudine. Montrez-lui tout. Elle sera si intimidée et si dépaysée, la pauvre petite ! » Mam'zelle se trompait. Claudine ne se sentait ni intimidée ni dépaysée. On aurait dit qu'elle était à Saint-Clair depuis six mois.

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Elle parlait avec naturel. Malgré quelques fautes, son anglais était correct en général. Elle venait de passer six mois dans un couvent anglais. A en juger d'après les apparences, Claudine ne s'était pas plu dans ce couvent, et on l'avait vue partir sans regret. « Le professeur de sciences était monté à une échelle pour cueillir sur un arbre un champignon étrange qui y poussait, expliqua Claudine de sa petite voix. Je suis arrivée et j'ai enlevé l'échelle. Nous n'avons pas eu de cours de sciences ce jour-là. - Tu as laissé le professeur dans l'arbre? demanda Bobbie. Quelle audace! Eh bien, n'essaie pas de ces tours-là à Saint-Clair! Mme Théobald, la directrice, ne le tolérerait pas. - Non? dit Claudine. Quel dommage! Il y a tout de même bien moyen de s'amuser? Je regrette de n'être pas venue au commencement du trimestre. Mais j'avais la rougeole. » Claudine jouit de la sympathie générale. Elle désarmait

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Pauline elle-même et Alice était amusée par sa verve. Mais Angela comme d'habitude prit ses grands airs. « Qu'est-ce que je t'avais dit? chuchota-t-elle à Alice. D'abord on nous impose la fille de l'infirmière, et voilà maintenant la nièce de Mam'zelle! Que trouves-tu d'intéressant à cette Claudine, Alice? Tu me surprends beaucoup. — Sa voix et ses manières me plaisent, expliqua Alice. J'aime la façon dont elle remue les mains en parlant, tout comme Mam'zelle. Elle est vraiment très drôle, Angela. » Furieuse d'être contredite, Angela fit demi-tour et s'éloigna. Alice, contrite, s'efforça de se faire pardonner. Elle la suivit et lui prodigua des compliments. Enfin la vaniteuse d'un sourire la récompensa de ses peines. « Ne crois pas que j'admire Claudine, conclut Alice. Elle est vraiment commune. — Pas si commune que Carlotta », déclara Angela d'un ton malveillant. Alice ne sut que répondre. Elle aimait sincèrement Carlotta qui était droite, spontanée, sincère et, de plus, comique jusque dans ses emportements. Claudine fut aussitôt chez elle à Saint-Clair. Elle eut un pupitre au fond de la classe et eut dans la salle de récréation une étagère où elle rangea ses livres, son panier à ouvrage et les photographies de sa famille. Elle avait apporté un énorme gâteau qu'elle partagea aussitôt avec ses nouvelles camarades. Angela refusa le morceau qui lui était offert. Alice l'imita après une hésitation. Si elle avait accepté, Angela se serait peut-être remise à bouder. Malgré la sympathie qu'elle inspirait, les défauts de Claudine devinrent bientôt apparents. Elle se montrait rebelle à toute discipline et aussi paresseuse qu'une couleuvre. Elle était même capable de copier sur le cahier des autres pour s'épargner un peu de peine. « Dire que Mam'zelle nous parle sans cesse de sa studieuse

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jeunesse et nous cite en exemple l'application des jeunes Françaises! s'écria Bobbie. — Nous savons maintenant à quoi nous en tenir, fit remarquer Margaret. — Ne jugeons pas trop vite! conseilla Pat. Il y a en Angleterre des élèves appliquées et des paresseuses. Je suppose qu'il en est de même en France. » Toutes se rallièrent à ces paroles pleines de sagesse. Ce qui caractérisait aussi Claudine, c'était le soin excessif qu'elle prenait de sa toilette. Les autres avaient l'habitude d'être nettes, mais leur coiffure les inquiétait moins et, si le vent les ébouriffait un peu pendant les promenades, elles ne se dépêchaient pas de tirer un peigne de leur poche pour refaire aussitôt leurs boucles. Claudine, qui pourtant n'était pas poseuse, était toujours tirée à quatre épingles et, dans son uniforme, ressemblait à une gravure de modes.

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CHAPITRE IV LA REDOUTABLE MADAME PATERSON les premières semaines, les jumelles et leurs amies eurent l'impression d'avoir toujours occupé les pupitres de la quatrième division. Elles regardaient leurs cadettes du haut de leur grandeur; les élèves de première et de seconde en particulier n'étaient à leurs yeux que du menu fretin et elles condescendaient rarement à leur adresser la parole. Le dernier trimestre de l'année était toujours agréable. Les enfants pouvaient se livrer aux joies du tennis et de la natation. A l'étonnèrent général, Angela se révéla excellente nageuse. Alice, qui détestait l'eau, faisait de son mieux pour l'imiter. Claudine refusait catégoriquement de APRÈS

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pénétrer dans la piscine, à la grande contrariété du professeur de culture physique. « Claudine, vous devriez vous réjouir d'avoir une piscine à votre disposition, disait-elle. — Je n'aime pas l'eau froide, gémissait Claudine. C'est trop fatigant de nager. J'ai horreur aussi de la plupart des jeux anglais, en particulier du hockey. » Elle restait donc sur le bord et ses compagnes se faisaient un malin plaisir de l'éclabousser. Le professeur, prévoyant qu'un jour on la jetterait dans l'eau tout habillée, la renvoyait au pensionnat. En ce qui concernait le hockey, Claudine se montrait encore plus maladroite que Carlotta qui n'avait jamais réussi à frapper une balle. « Voyons, Claudine, exerce-toi! » conseillait Patricia. Mais la petite Française secouait la tête et repoussait la crosse qu'on lui tendait. Angela jouait bien. Elle se distinguait surtout au tennis, fière d'exhiber ses belles raquettes neuves, malgré les taquineries qu'on ne lui épargnait pas. Pauline surtout l'accablait de moqueries. « J'ai deux ou trois autres raquettes à la maison, disait-elle d'une voix sonore. C'est de l'ostentation de les apporter au collège. Maman dit que les gens bien élevés ne cherchent jamais à jeter de la poudre aux yeux. » Aussi ridicule que fût la vanité d'Angela, personne n'approuvait les commentaires acerbes de Pauline. De fait, très peu d'élèves aimaient Pauline qui était laide et peu attrayante. On ne pouvait au contraire s'empêcher d'admirer le joli visage d'Angela, vraie princesse de conte de fées, ainsi que se plaisait à le répéter Alice. Quant à Gladys, assez bonne au tennis, en natation et au hockey, elle ne brillait guère dans les études. Elle s'était prise d'amitié pour Alice et elle fut très mortifiée quand celle-ci lui fit comprendre qu'elle n'avait pas de temps à lui consacrer.

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« Pourquoi ne viens-tu pas près de moi pendant les promenades? demanda Gladys à Alice. Qu'a donc de si agréable la société d'Angela? Pourquoi refuses-tu toujours les bonbons que je t'offre? Je n'ai pas l'intention de t'empoisonner. — Je sais, répondit froidement Alice. Mais je n'en ai pas envie, c'est tout. Je ne tiens pas particulièrement non plus à me promener avec toi. — Angela te l'a sans doute défendu. Tu n'as aucune personnalité. Tu singes Angela. Tu as même essayé de copier sa coiffure, mais ses cheveux sont plus longs que les tiens. Cela ne te va pas du tout. — Si tu veux le savoir, tu ne plais pas à Angela et elle est mon amie, répliqua Alice horriblement vexée. D'ailleurs tu ne me plais pas non plus. Tu es une rapporteuse! » Gladys s'éloigna, rouge de rage. Alice avait mis le doigt sur la plaie. Gladys racontait à sa mère tout ce qui se passait en quatrième division et, quand elle avait à se plaindre d'une de ses compagnes, Mme Paterson convoquait la coupable dans son bureau et lui donnait du linge à repriser ou des boutons à recoudre. « Je crois qu'elle fait les trous dans nos draps et qu'elle découd elle-même les boutons, déclara Angela qui eut à repriser deux paires de bas pendant la récréation. Je n'ai pas l'habitude de ce genre de travail. Pourquoi ne le donne-t-on pas à une lingère? — C'est la règle à Saint-Clair, nous faisons nous-mêmes notre raccommodage, expliqua Pat. Mais je me demande comment tu aurais fait toi-même ces trous énormes à tes bas. — Je ne les ai pas laits, dit Angela qui luttait avec une aiguille et du coton. Aidez-moi à enfiler cette aiguille, quelqu'un! Je n'y arrive pas! » II y eut un éclat de rire général. Alice prit l'aiguille et le bas. « Je me charge de la corvée, Angela, promit-elle. Ne te

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tourmente pas. Cette rapporteuse de Gladys a dû se plaindre de toi à sa mère, je le parierais. Pour la venger, Mme Paterson t'a donné ce travail. » Alice reprisa les bas tant bien que mal et plutôt mal que bien. Angela reconnaissante redoubla de gentillesse. Ce fut ensuite au tour de Pauline d'encourir le déplaisir de l'infirmière. Comme Angela, elle dédaignait Gladys, ne condescendait pas à jouer avec elle et lui adressait rarement la parole. Un matin, elle se plaignit à Bobbie d'avoir mal à la gorge. Gladys l'entendit. Elle sortit du dortoir et, quelques minutes après, Pauline était appelée chez l'infirmière. « II paraît que vous avez mal à la gorge Pauline, déclara Mme Paterson avec un sourire acide. Vous auriez dû venir tout de suite. Gladys, qui était inquiète à votre sujet, m'a avertie. C'est très gentil de sa part. Je vous ai préparé un gargarisme. Après vous prendrez une cuillerée de potion.

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- Ma gorge va déjà beaucoup mieux », affirma Pauline. C'était vrai, mais Mme Paterson fit la sourde oreille. Elle obligea la pauvre Pauline à se gargariser pendant dix minutes avec un liquide amer, puis lui fit boire une potion au goût affreux. Pauline la quitta, la colère au cœur. Elle jeta un coup d'œil dans le dortoir pour s'assurer que Gladys n'était pas là. « Gladys a encore rapporté, annonça-t-elle. Elle a dit à sa mère que je souffrais de la gorge. Je viens de passer un très mauvais quart d'heure. Maintenant j'ai mal au cœur. - Il faut faire attention à ce que nous disons en présence de Gladys, déclara Alice qui détestait les gargarismes et les potions. Nous devrions peut-être être plus gentilles avec elle. - Pas moi en tout cas, protesta Claudine. Cette fille-là, je ne peux pas la souffrir! » Loin d'être plus gentille, Claudine profita de toutes les occasions pour vexer Gladys. En conséquence, Mme Paterson lui donna toute une corbeille de linge à raccommoder. « Vous avez déchiré l'ourlet de vos deux draps, dit-elle à Claudine. Vous avez des trous à tous vos bas, il faut mettre une pièce à cette chemise de nuit. Vous manquez de soin. Cela vous apprendra à faire attention ! » Claudine ne répliqua rien. Elle prit la corbeille et la plaça sur son étagère. Ses compagnes crurent qu'elle refuserait cette corvée comme elle refusait tout ce qui l'ennuyait. Mais à leur grande surprise, Claudine s'installa dans un coin de la salle, de récréation avec sa trousse de couture et se mit au travail. Son aiguille courait rapidement dans le tissu. « Comme tu couds bien! s'écria Bobbie. Tes reprises, on dirait de la broderie. - J'aime bien la couture, expliqua Claudine. On nous

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Vous autres Anglaises, vous ne savez pas tenir une aiguille.

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l'apprend de bonne heure en France. Vous autres Anglaises, vous ne savez pas tenir une aiguille. Vous préférez les raquettes de tennis et les crosses de hockey. — Claudine, laisse là tes draps et viens avec nous à la piscine, proposa Suzanne. Il fait si beau! » La perspective d'un bain froid ne séduisit pas Claudine. « Je suis très bien ici, déclara-t-elle. Partez. Je reste. — Claudine, tu aimes mieux la couture que la natation et les jeux, n'est-ce pas? demanda Bobbie. — Oui, répondit Claudine. C'est un peu plus féminin. » Les autres éclatèrent de rire. La réponse de Claudine leur paraissait du plus haut comique. « Je crois que c'est une ruse de Claudine, fit remarquer Pat. Elle a trouvé un bon prétexte pour ne pas prendre part aux jeux et aux baignades. » Miss Ellis entra dans la salle. « Dépêchez-vous de sortir, les enfants! ordonna-t-elle. Ne perdez pas une minute de cette belle journée. Claudine, laissez votre couture. — Je regrette, Miss Ellis, mais Mme Paterson m'a ordonné de faire ce raccommodage avant de jouer, répondit Claudine on levant de grands yeux innocents. C'est triste, mais je dois obéir, n'estce pas, Miss Ellis? — Hum! fit Miss Ellis qui n'était pas dupe. Je dirai un mot à Mme Paterson. » Mais l'infirmière déclara que Claudine avait été très négligente et qu'elle méritait d'être punie. Miss Ellis dut s'incliner. Claudine s'en réjouit et resta dans la salle ensoleillée, en entendant les cris de ses amies qui plongeaient dans la piscine. Elle n'avait aucune envie de les rejoindre. « Quelle horreur, cette eau! » pensa-t-elle. Un bruit de pas lui fit lever les yeux. C'était sa tante, le professeur de français.

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« Ah! Tu es là, ma petite! s'écria Mam'zelle. Montre-moi ta couture. Que c'est bien fait. Je me demande pourquoi les petites Anglaises ne savent pas coudre. Où sont les autres? — Dans l'eau, répondit Claudine en français. Elles sont toujours dans l'eau, à moins qu'elles ne jouent au hockey. Moi je préfère coudre, ma tante! — Tu as bien raison, ma petite Claudine, approuva Mam' zelle qui, malgré les années passées en Angleterre, n'avait jamais compris la passion des Anglaises pour le hockey. Tu es heureuse, ma petite ? — Oui, ma tante, merci, répondit Claudine. Mais je m'ennuie un peu. Il n'y a jamais d'imprévu dans ce collège anglais. — Jamais! » approuva Mam'zelle. Mais elle se trompait. Des événements étranges se préparaient.

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CHAPITRE V ANGELA EST CHARGÉE D'UN MESSAGE semaine du trimestre, alors que toutes les élèves étaient bien habituées à leur vie et à leur travail, Angela eut une surprise. Au cours d'une partie de tennis, une balle s'était égarée. « Tant pis! s'écria Pat. Nous la trouverons plus tard. » Lorsque le moment d'interrompre les jeux fut venu, Angela, qui n'avait pas de leçons à apprendre ce soir-là, offrit de rester pour chercher la balle perdue. Ses trois compagnes la laissèrent donc et retournèrent au collège. La balle était introuvable. Le court de tennis était situé près d'un grand mur, Angela se demanda si la balle était passée par-dessus. LA TROISIÈME

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« Pat a donné un si grand coup de raquette, pensa-t-elle. Je vais aller voir de l'autre côté. » Elle ouvrit la petite porte du jardin et sortit dans l'étroit chemin. Tout de suite, elle aperçut la balle et se pencha pour la ramasser. Soudain un jeune garçon grand et maigre, qui se dissimulait derrière un buisson, sortit de sa cachette et lui adressa la parole. a Vous êtes élève à Saint-Clair? » Angela le toisa et jugea qu'il manquait d'élégance. « Qu'est-ce que ça peut bien vous faire que je sois élève à Saint-Clair ou non? répliqua-t-elle de sa voix la plus hautaine. - Écoutez-moi. Il faut que je vous dise un mot. — Moi, je n'ai rien à vous dire », protesta Angela en ouvrant la porte du jardin. Le garçon essaya de la retenir. « Attendez une minute », supplia-t-il, et une telle anxiété vibrait dans sa voix qu'Angela se retourna, surprise. «Je vais vous charger d'un message pour une autre pensionnaire. — C'est hors de question! s'écria Angela. Laissez-moi passer! Vous mériteriez que je me plaigne à Mme Théobald. - Écoutez, dites à Gladys Paterson qu'Ëddy a besoin de la voir. Attendez... J'ai un mot pour elle. Voulez-vous avoir la gentillesse de le lui donner? - Vous êtes le frère de Gladys? Bien, je lui donnerai le mot, mais je me demande pourquoi vous n'entrez pas pour voir votre mère et votre sœur. Votre mère est infirmière à Saint-Clair, vous le savez? - Oui. Mais je vous en supplie, ne lui dites pas que vous m'avez vu. Elle ne sait pas que je suis ici. J'aurais de grands ennuis si vous l'avertissiez. - Votre mère a l'art d'ennuyer les gens », approuva Angela en prenant la lettre.

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Elle entra dans le jardin et referma la porte. Puis elle mit la lettre dans la poche de son cardigan avec l'intention de la donner à Gladys quand elle la verrait. Elle ne la trouva pas sur son chemin en allant au vestiaire changer de souliers. Elle rencontra Alice et lui raconta ce qui s'était passé. « Une drôle de chose vient de m'arriver! Je suis sortie dans le chemin pour chercher une balle de tennis. Figure-toi qu'un garçon était caché derrière un buisson! - Pas possible! s'écria Alice surprise. Qui était-ce? - Un garçon affreusement vulgaire, reprit Angela qui avait l'habitude d'exagérer. Il ressemblait au jeune livreur du poissonnier... tu sais, ce gamin qui a des cheveux bouclés et qui siffle sans cesse. Je croyais qu'il allait dire : «J'ai « apporté les merlans et les maquereaux », comme le livreur l'a dit l'autre jour à Mme Paterson qu'il avait prise pour la cuisinière. » Alice se mit à rire. Deux ou trois autres élèves qui se trouvaient dans le vestiaire en firent autant. Angela aimait être admirée. Elle continua son récit sans voir Gladys qui venait enlever ses sandales de gymnastique. « II m'a demandé si j'étais pensionnaire à Saint-Clair. Je l'ai remis à sa place comme vous vous en doutez. Alors il m'a dit son nom. Vous ne devinerez jamais qui c'était! » Les autres se réunirent autour d'elle. « Comment veux-tu que nous le devinions? fit remarquer Alice. — Eh bien, c'était ce merveilleux Eddy, le grand frère de Gladys, répondit Angela. Il est d'un commun avec ses cheveux bouclés ! » Quelqu'un se fraya un chemin au milieu du groupe qui entourait Angela. C'était Gladys, rouge comme une pivoine. Elle foudroya Angela du regard. « Menteuse! cria-t-elle. Mon frère ne s'est pas approché

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de Saint-Clair! Comment oses-tu inventer une histoire pareille? Je vais le répéter tout de suite à maman, horrible petite poseuse! » Elle fondit en larmes et se dirigea vers la porte. Les autres la suivirent des yeux. « Elle va rapporter à sa mère, fit remarquer Alice. Nous allons en entendre! C'est vrai ce que tu viens de raconter, Angela? » Angela rappela Gladys. « Va te plaindre à ta mère si tu veux, mais ton cher Eddy m'a bien recommandé de ne pas révéler à Mme Paterson qu'il était ici. S'il a des ennuis, ce sera ta faute! » Gladys effrayée fit demi-tour. Elle comprenait qu'Angela n'avait rien inventé. « Que t'a-t-il dit? demanda-t-elle d'une voix étranglée. Il voulait me voir? — Je ne te le répéterai pas, déclara Angela de son air le plus exaspérant. Je voulais te rendre service et te donner son message, mais puisque tu le prends de cette façon, je ne servirai pas d'intermédiaire entre toi et ton cher Eddy! » Juste à ce moment, Miss Ellis passa la tête à la porte. « Mesdemoiselles, vous n'avez pas entendu la cloche? interrogea-t-elle d'une voix sèche. Que faites-vous dans le vestiaire? Vous savez que c'est défendu de s'y attarder. Les élèves de quatrième division devraient se rappeler qu'elles ne sont plus des bébés. Je suis très contrariée d'avoir été obligée de venir vous chercher. - Pardon, Miss Ellis », crièrent toutes les élèves. Elles se hâtèrent de sortir du vestiaire pour retourner en classe où elles avaient étude. Certainement elles avaient entendu la cloche, mais la querelle entre l'angélique Angela et l'odieuse Gladys les intéressait beaucoup plus que leurs leçons. Angela s'assit devant son pupitre, au comble de la satisfaction.

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Gladys fondit en larmes et se dirigea vers la porte. CLAUDINE ET LES DEUX JUMELLES

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Elle avait maintenant Gladys sous sa coupe! A la moindre incartade, elle menacerait de révéler la présence d'Eddy à Mme Paterson. Angela eut un petit sourire et plus que jamais ressembla à un ange. Nul n'aurait pu deviner que des pensées si malveillantes occupaient son esprit. Gladys surprit ce sourire. Elle pinça les lèvres et serra les dents. Elle détestait Angela de tout son cœur, cette chipie qui avait osé dire qu'Eddy était commun et le comparer au livreur du poissonnier ! Aux yeux de Gladys, personne n'égalait son frère Edgar en beauté et en bonté. A la mort de leur père, ils étaient tous les deux en bas âge. Leur mère était une femme dure et sévère. La petite fille avait trouvé une protection auprès de son grand frère, le garçon avait chéri sa jeune sœur. « Quand je serai grand, je travaillerai, je gagnerai beaucoup d'argent pour maman et pour toi, disait-il à Gladys. Maman n'aura plus besoin de travailler, elle ne sera pas fatiguée et de mauvaise humeur. Je vous ferai, à toutes les deux de jolis cadeaux. Tu verras! » Angela se moquait d'Eddy. A cette idée, Gladys ne pouvait réprimer sa colère. Elle était inquiète aussi. Pourquoi Eddy avait-il quitté la ville où il travaillait pour venir la voir en secret? Que s'était-il passé? Si seulement cette chipie d'Angela consentait à lui remettre son message ! Gladys imaginait Eddy dans le petit chemin, devant le parc de Saint-Clair. Elle ne l'avait pas vu depuis plusieurs semaines et elle avait envie de lui parler et de lui confier tous ses chagrins. Il avait sans doute demandé un congé à ses patrons. Il ne voulait pas entrer au collège, car il devrait aussi paraître devant sa mère et ne pourrait pas avoir une conversation cœur à cœur avec sa sœur. Gladys regarda Angela. Celle-ci penchait un front serein sur son livre. Gladys serra de nouveau les dents. Elle savait qu'elle serait obligée de faire amende honorable et de s'humilier.

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« II faut que je demande pardon à Angela, que je la supplie de me répéter les paroles d'Eddy, pensa Gladys. L'horrible fille! Je la déteste! » Elle poussa un soupir. Miss Ellis leva la tête. Elle avait déjà remarqué que Gladys ne travaillait pas. « Gladys, vous ne vous sentez pas bien? demanda-t-elle. Vous n'avez encore rien fait. - Je vais très bien, merci, Miss Ellis, se hâta de répondre Gladys. La leçon de français est très difficile aujourd'hui, c'est tout. — Je suppose qu'il doit être très difficile d'apprendre une leçon de français dans une géographie », fit remarquer Miss Ellis de sa voix calme. Gladys se hâta de baisser les yeux sur le livre ouvert devant elle. C'était en effet sa géographie. Rien n'échappait à Miss Ellis. Sans rien dire, Gladys prit son anthologie française. Angela lui adressa un petit sourire méprisant. Ce n'était pas étonnant que Gladys se fût trompée de livre... elle s'inquiétait à cause de son frère Eddy. Tant pis pour elle! Alice, assise près de Gladys, ne pouvait s'empêcher d'avoir un peu pitié d'elle. Malgré son étourderie, elle était sensible et compatissante et elle comprenait l'impatience et l'inquiétude de sa compagne. Après l'étude, elle s'approcha d'Angela. « Ecoute, Angela, dit-elle. Tu devrais remettre à Gladys le message de son frère. Elle est dans un état affreux. Pendant l'étude, elle poussait des soupirs à faire tourner un moulin ! » Angela ne goûta pas la plaisanterie, d'ailleurs elle n'aimait pas recevoir de conseils. Le visage dur et hautain, elle tourna les talons. Le cœur d'Alice se serra. La mauvaise humeur de son amie la consternait. Elle se préparait à la suivre quand Gladys arriva, un sourire forcé aux lèvres. « Angela, tu veux bien que je te parle une minute? A toi seule, je t'en prie! »

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CHAPITRE VI ANGELA ET GLADYS suis occupée, répondit Angela. — Non, ce n'est pas vrai, protesta Gladys qui s'efforçait de parler d'une voix calme. C'est important, Angela ! — J'espère que tu vas t'excuser de ta grossièreté, dit Angela d'un ton hautain. Sinon je m'en vais. Une fille comme toi, me traiter d'horrible poseuse, c'est un comble! » Gladys réprima sa colère. Les mots qu'elle prononçait l'étouffaient presque. « Je te demande pardon, Angela. Je... j'ai perdu la tête. » Carlotta entendit cette conversation et à l'improviste vola au secours de Gladys. E

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« Si tu me demandes mon avis, je crois que c'est à Angela de s'excuser, Gladys, déclara-1-elle de sa voix fraîche. A ta place, je ne demanderais pas pardon à cette mijaurée! » Angela se tourna vers Carlotta comme une furie, ses yeux bleus jetaient des éclairs. « Ce que pensent les écuyères de cirque ne m'intéresse pas », déclara-t-elle. Mais au lieu d'être humiliée, Carlotta partit d'un éclat de rire. « Si je n'étais pas en quatrième, je te donnerais la gifle la plus retentissante que tu aies jamais reçue, Angela, dit-elle aimablement. Une bonne correction ne te ferait pas de mal. - Personne ne m'a jamais touchée de ma vie, annonça Angela qui avait bien envie elle-même de souffleter Carlotta. — Ça se voit, répliqua la petite gitane. Tu serais plus gentille si on t'avait corrigée. Viens, Gladys, laisse Angela et ses grands airs. Nous ferons une partie de cartes toutes les deux dans la salle de récréation. » Gladys éprouva une grande reconnaissance pour Carlotta, mais elle secoua la tête. Elle voulait savoir ce qu'avait dit son frère. Quel malheur que ce fût Angela qui l'eût rencontré! Toutes les autres auraient immédiatement transmis le message... excepté peut-être Pauline. Carlotta haussa les épaules et se mit à la recherche de Bobbie et des jumelles. Elle n'aimait pas beaucoup Gladys à qui, comme les autres, elle reprochait d'être rapporteuse, mais vraiment Angela dépassait les bornes, elle ressemblait à une chatte qui tait patte de velours et soudain sort ses griffes pour égratigner. Angela se tourna vers Gladys. « J'accepte tes excuses. Qu'as-tu à me dire? - Angela, je t'en supplie, répète-moi les paroles d'Eddy, commença Gladys. T'a-t-il confié un message pour moi? - Oui. Une lettre. »

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Gladys rougit d'émotion et supplia Angela du regard. « Donnela-moi vite! - Je ne vois pas pourquoi j'obéirais. Après tout je ne suis pas ta commissionnaire. » Gladys savait qu'Angela cherchait à l'exaspérer. Elle refoula sa colère. « C'est la première et la dernière fois, promit-elle. Je dirai à Edgar d'envoyer ses lettres par la poste. Je t'en prie, donne-moi celle que tu as. - Écoute, dit Angela. Je veux bien conclure un marché avec toi. - Lequel? demanda Gladys perplexe. J'accepte d'avance tes conditions. - Voilà ! Tu n'iras plus te plaindre de moi à ta mère. Je déteste la couture! Je sais que tu as déjà rapporté sur mon compte, c'est pour cela que Mme Paterson m'a donné des bas avec des trous que je n'avais pas faits.

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— N'accuse pas maman de choses pareilles ! — Pourquoi pas, si cela me plaît? Nous savons toutes que tu rapportes. Moi, tu me laisseras tranquille ou tu t'en repentiras! » Gladys ne pouvait que se soumettre. C'est ce qu'elle fit. « C'est entendu, dit-elle d'une voix tremblante. Mais si tu as du linge à repriser, ce n'était pas ma faute. — Hum! reprit Angela d'un ton incrédule. En tout cas tu es avertie, Gladys! Si tu dis du mal de moi à Mme Paterson, je lui apprendrai que j'ai vu Eddy et qu'il ne voulait pas qu'elle le sache. » Gladys se mordit la lèvre; elle avait peine à réprimer sa colère, mais elle devait faire contre mauvaise fortune bon cœur. « Je me suis excusée, Angela. Je t'ai promis tout ce que tu voulais, dit-elle à voix basse. Maintenant donne-moi la lettre. » Angela prit son temps, fit semblant d'avoir perdu l'enveloppe, tâta son chemisier aussi bien que ses poches. Gladys était sur des charbons ardents, mais elle s'exhorta-à la patience. Enfin Angela lui tendit le message. Gladys le lui arracha des mains et, sans un mot, s'éloigna pour le- lire. Le billet était très bref. Ma chère Gladys, II faut que je te voie. Ne dis rien à maman. Il faut simplement que nous parlions. Peux-tu me retrouver ce soir dans le petit chemin derrière le grand mur? J'attendrai caché dans un buisson. Ton frère, EDDY. Gladys lut trois fois cette lettre, puis la déchira pour ne pas risquer que sa mère la trouvât. Mme Paterson était si peu compréhensive! Elle n'était pas plus indulgente pour ses enfants que pour les pensionnaires de Saint-Clair.

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« Lorsque les autres seront dans ' la salle de récréation, je m'esquiverai par la petite porte du jardin, pensa Gladys. Pauvre Eddy! Il a dû attendre longtemps. Il ne pouvait pas envoyer cette lettre par la poste, maman m'aurait obligée à la lui montrer! » Quand l'heure de la récréation arriva, elle s'assit dans un coin. Doris et Carlotta faisaient les pitres, Claudine se joignit à elles. Les autres les regardaient en riant. C'était le moment propice. Gladys s'esquiva. Quelqu'un la vit partir. C'était Angela qui se doutait bien que Gladys irait rejoindre son frère dans le chemin. Les élèves avaient l'interdiction formelle de quitter le jardin après l'étude du soir. Angela eut un sourire méchant. « Si Gladys prend l'habitude de rencontrer son frère à cette heure-ci, je la menacerai de la dénoncer », pensa-t-elle. Elle alla dans la salle de musique qui donnait sur le jardin.

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Entre les arbres et les buissons, elle apercevait de temps en temps Gladys qui courait vers la petite porte. Angela retourna à la salle de récréation. Boris, Carlotta et Claudine continuaient leurs pitreries. Claudine était en train de donner une imitation parfaite de sa tante, à la grande joie de ses compagnes. « Qu'elles sont sottes! pensa Angela en tapotant ses beaux cheveux blonds. Ces singeries ne sont pas drôles du tout! » Deux élèves la regardaient, l'une avec envie, l'autre avec admiration. La première était Pauline qui, laide et sans attraits, enviait la beauté d'Angela et regrettait de tout son cœur de ne pas lui ressembler. La seconde était, bien entendu, Alice. Elle se demandait si Angela lui pardonnerait d'être intervenue en faveur de Gladys. Elle eut recours à la flatterie. « Que- tu es jolie, Angela! » chuchota-t-elle. Angela répondit par un sourire. Elle avait oublié ses griefs. Elle raconta tout bas la victoire qu'elle avait remportée sur Gladys. « Je l'ai accusée d'être une rapporteuse. Je lui ai interdit de dire un mot contre moi à sa mère. Elle a promis. — Tu l'as obligée à promettre? Tu es extraordinaire! Tiens, où est Gladys? — Tu veux le savoir? demanda Angela en consultant la montre d'or qu'elle portait au poignet et en s'assurant que la cloche du coucher ne sonnerait pas avant dix minutes. Eh bien, viens avec moi. Je te montrerai notre chère Gladys. » Elle conduisit Alice à la salle de musique. « Tu vois le mur du collège là-bas? dit-elle. Tu sais qu'il y a une petite porte derrière le court de tennis? Je crois que Gladys est sortie par là pour- retrouver son cher Eddy dans le chemin. — Ce n'est pas elle qui revient? demanda Alice en indiquant

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une silhouette qui évoluait au milieu des arbres. Si elle était surprise, elle serait punie. - Oui, c'est bien Gladys, approuva Angela. Allons l'attendre devant la porte de la salle de récréation. » Elle entraîna Alice. Gladys arriva quelques minutes plus tard. « Comment va ce cher Eddy? » demanda Angela d'un ton moqueur. Pâle et soucieuse, Gladys ne la vit ni ne l'entendit. Elle aurait poursuivi son chemin, mais Angela l'arrêta. « Tu n'as pas répondu à ma question, répéta-t-elle. Comment va ce cher Eddy ? » Gladys la regarda bien en face. « Eddy va très bien, dit-elle d'une voix tremblante. Il avait d'excellentes nouvelles à me donner. Il réussit très bien dans son travail. » Elle entra dans la salle de récréation. Alice se sentit de nouveau mal à l'aise. Elle n'aimait pas les taquineries méchantes, mais comment aurait-elle osé adresser un reproche à Angela?

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CHAPITRE VII CLAUDINE N'EN FAIT QU'À SA TÊTE QUEL trimestre agréable! dit Pat à Isabelle tandis qu'elles se rhabillaient après avoir nagé dans la grande piscine. J'aime beaucoup les jeux de plein air, le tennis, la natation, le hockey, l'équitation, le jardinage. Tout à l'heure nous aurons même nos cours dehors tant il fait chaud! — Claudine n'est pas de ton avis, déclara Isabelle. Je ne sais pas si elle a peur d'avoir des taches de rousseur ou si elle joue la comédie, ce qui lui arrive souvent, mais elle s'est munie d'une ombrelle. » Miss Ellis jugea qu'une ombrelle était inutile pendant

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une leçon de mathématiques. Elle jeta un regard désapprobateur à Claudine. « II n'y a pas de soleil sous les arbres, Claudine. Vous voulez sans doute vous faire remarquer. Cette ombrelle va retourner immédiatement au collège. Je me demande où vous l'avez trouvée! » L'ombrelle, qui était immense, avait servi pour une pièce. Presque invisible en dessous, Claudine adressa un regard pathétique à Miss Ellis. « Je vous en prie, chère Miss Ellis, permettez-moi de m'abriter. Les taches de rousseur me défigurent. Elles vont peut-être bien aux Anglaises... — L'épiderme des Françaises n'est pas plus délicat que celui des Anglaises, répliqua Miss Ellis. Si vous avez quelques taches de rousseur, vous n'en mourrez pas, Claudine. Emportez cette ombrelle et que je ne la revoie plus! — Miss Ellis, je ne pourrais pas partager l'ombrelle avec Claudine? demanda Angela qui jugeait son visage suffisamment hâlé. Je ne voudrais pas ressembler à la pauvre Bobbie. Elle est complètement jaune. Le soleil est si chaud! — Ce n'est pas le soleil, déclara Bobbie. Même en hiver j'ai des taches de rousseur. Je les ai apportées en naissant. » Toute la classe se mit à rire. Bobbie ouvrit de nouveau la bouche. Miss Ellis lui imposa silence d'un geste. « Cela suffit, Bobbie. Claudine, rapportez cette ombrelle au collège! Angela, ne vous évanouissez pas! Toutes les deux, vous vous occupez un peu trop de votre teint. Vous feriez mieux de penser davantage à votre travail. Vous êtes peut-être fières d'avoir les plus mauvaises notes de la classe. Moi, je commence à perdre patience ! » Angela rougit en surprenant un sourire satisfait sur les lèvres de Pauline. Elle chercha une consolation auprès d'Alice qui lui sourit à la dérobée. -Les cours dehors n'étaient pas du goût d'Angela et de Claudine. Celle-ci s'efforçait sans

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cesse de les interrompre. Un insecte qui passait lui arracha une clameur d'effroi. « Voyons, Claudine! s'exclama Miss Ellis. Cette abeille ne vous piquera pas si vous la laissez tranquille. Vous dérangez les autres. » Puis ce fut une chenille qui fit pousser un nouveau cri à Claudine. « Claudine, vous allez avoir une punition! annonça Miss Ellis exaspérée. Qu'avez-vous encore? » Claudine défaisait sa jarretelle en gémissant. La chenille était entrée dans son bas. Les élèves riaient. Miss Ellis frappa la table avec sa règle. « Claudine, que faites-vous? Vous n'allez pas enlever votre bas ? » Claudine, enchantée de créer une diversion, prenait des mines dégoûtées et promenait un regard éperdu autour d'elle. Bobbie saisit la chenille et la jeta dans l'herbe. « Merci, Bobbie, dit Claudine. Quelle horrible bête! - Encore un cri et je vous renvoie au collège », déclara Miss Ellis d'un ton sans réplique. Claudine la regarda pensivement. Son plus grand désir était bien de fuir ce cours de mathématiques ! Quand Miss Ellis se fut penchée pour corriger le cahier d'Henriette, elle poussa un hurlement. Pauline sursauta et renversa son encrier sur la table. Miss Ellis se leva d'un bond, elle avait perdu son calme habituel. « Claudine, votre conduite est intolérable! Rentrez immédiatement! Allez dans le salon des professeurs, il doit bien y avoir quelqu'un pour vous surveiller. Vous direz que je vous ai renvoyée et vous vous mettrez au travail. Si vos problèmes sont faux, vous vous en repentirez. » Dissimulant sa joie, Claudine s'enfuit avec ses livres. Doris éclata de rire. Miss Ellis la foudroya du regard. Elle comprenait que Claudine avait joué la comédie pour ne pas

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assister jusqu'au bout au cours de mathématiques. Elle se demanda sur quel professeur tomberait la petite Française. Peut-être Miss Rollins. Elle l'espérait. Miss Rollins était très sévère. Claudine serait obligée de travailler sérieusement. Mais à la grande joie de Claudine, ce ne fut pas Miss Rollins. Elle frappa timidement à la porte, en souhaitant trouver dans le salon le professeur de dessin qui était gaie et indulgente. Elle ouvrit et aperçut sa tante. Mam'zelle prenait ses aises. Elle avait enlevé ses grands souliers à talons plats et ouvert le col de son chemisier. Il faisait si chaud! Elle somnolait sur ses cahiers à corriger quand Claudine lit son apparition. « Pourquoi es-tu ici, Claudine? » demanda Mam'zelle en français. Claudine prit son ton le plus tragique. Tous les insectes

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de cet horrible jardin anglais avaient fondu sur elle, oui, l'avaient piquée et lui avaient rendu la vie impossible. Le soleil l'avait brûlée, elle était sûre d'être couverte de taches de rousseur. Que dirait sa mère? Ah! La vie était dure dans ce collège anglais où l'on aimait trop l'eau froide, le hockey et... Mam'zelle prit sa nièce en pitié. Elle aussi détestait le soleil, les abeilles et les chenilles. Elle oublia de demander si Claudine était rentrée de son plein gré ou avait été renvoyée du cours. Toutes les deux se mirent à évoquer leurs souvenirs de la douce France et oublièrent tout le reste. Plus tard, Miss Ellis découvrit que c'était Mam'zelle qui avait accueilli Claudine et lui demanda si elle l'avait grondée. Surprise, Mam'zelle eut un air consterné. « Pauvre petite Claudine! s'écria-t-elle enfin. Vous ne devriez pas être si sévère pour ma nièce, Miss Ellis. C'est si difficile pour une petite étrangère de s'adapter aux coutumes anglaises ! - Cela veut dire que vous l'avez embrassée et consolée. Vous avez cru tout ce qu'elle vous disait. Tenez, je parierais que vous l'avez aidée à faire ses problèmes. C'est bien la première fois qu'elle trouve la solution. » Mam'zelle ne put cacher sa gêne. En effet elle avait aidé Claudine dans son travail et avait ajouté foi à son récit dramatique. Claudine mentirait-elle à sa bonne tante? Non, non, impossible! Mais en y réfléchissant, Mam'zelle dut reconnaître que la petite maligne n'en était pas à un tour près. Un doute naquit dans l'esprit de Mam'zelle. Claudine n'en faisait qu'à sa tête. Et l'on n'y voyait en général que du bleu! « Ma parole! s'exclama Bobbie quand le cours de mathématiques fut terminé. Ce petit singe de Claudine arrive toujours à ses • fins. Je parie qu'elle s'est payé du bon temps pendant que nous pâlissions sur nos problèmes ! »

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C'était la vérité. Claudine vint présenter ses excuses à Miss Ellis avec son plus beau sourire. « Miss Ellis, j'ai honte de moi. Les Anglaises n'ont peur de rien, elles ont tant de sang-froid! Je vous en prie, excusez-moi. J'essaierai de me corriger. Ma tante a été très en colère contre moi, elle m'a beaucoup grondée. J'ai pleuré. Voyez comme j'ai les yeux rouges! » Les yeux de Claudine n'étaient pas rouges du tout et Miss Ellis doutait de la colère de Mam'zelle. Tout de même elle eut de la peine à dissimuler un sourire. Tant de contrition lui paraissait suspecte. « Je vous pardonne pour cette fois, Claudine, dit-elle. Mais ne recommencez pas ! »

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CHAPITRE VIII DES ANNIVERSAIRES ET DES CADEAUX savaient que Claudine déguisait la vérité quand cela lui convenait, empruntait sans permission et copiait sur les cahiers de ses voisines, mais elles ne pouvaient s'empêcher de l'aimer. Elle était si drôle, si généreuse et les taquineries ne la fâchaient pas. Pourtant Angela et Pauline ne l'épargnaient pas. Angela la méprisait au même titre que Gladys. « Toutes les deux sont ici par charité, disait-elle à Alice d'un Ion dédaigneux. Je ne croyais pas que je serais obligé de vivre' avec des tilles de ce genre! » Quand les jumelles, Bobbie ou Henriette entendaient ces remarques, elles réprimandaient Angela. LES

ÉLÈVES

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« Écoute, dit un jour Pat, nous n'aimons pas non plus Gladys, mais puisque Mme Paterson est infirmière ici, clic paie par son travail la pension de sa fille. Gladys n'est pas gardée par charité, comme tu le prétends. Tu n'es qu'une snob ! » Angela haussa les épaules. « Snob! répéta-t-elle. Pour toi les gens de la bonne société sont tous des snobs! Trouve quelque chose de plus original ! - Pat a raison, approuva Bobbie. Au lieu de nous le dire à nous, c'est à Marn'zelle que tu devrais déclarer que Claudine est ici par charité. Tu es trop lâche. Je ne sais pas comment tu t'y es prise avec Gladys, mais elle a peur de toi. Tu n'oses pas t'attaquer ouvertement à Claudine, elle enfoncerait ses ongles dans ton visage angélique, ou bien elle se plaindrait à sa tante. Tu es impossible! riposta Angela avec colère. Je demanderai à maman de me reprendre à la mi-trimestre. D'ailleurs quand elle verra les filles avec lesquelles je suis obligée de vivre, je suis sûre qu'elle me ramènera à la maison tout de suite. — Si ta mère avait assez de bon sens pour cela! soupira Pat. Mais bien sûr que non ! Je connais les mères. Tu continueras à être le fléau du collège. » Des larmes de colère montèrent aux yeux d'Angela. Dans sa vie d'enfant gâtée, on ne lui avait jamais dit d'aussi cruelles vérités. Elle était irritée, blessée, malheureuse. Elle refoula ses larmes pour ne pas avoir les yeux rouges et se mit à la recherche d'Alice. Alice mit aussitôt du baume sur ses plaies. Trop superficielle pour voir les défauts d'Angela, elle se laissait éblouir par sa beauté et par le chic de ses robes. La pauvre Alice choisissait mal ses amies. « Elle n'apprendra jamais, soupira Pat. J'avais cru

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qu'elle s'améliorerait en seconde. Le professeur de diction, Miss Quentin, lui a causé une si pénible désillusion, vous vous souvenez? Elle faisait semblant d'avoir beaucoup d'affection pour Alice et elle se moquait d'elle derrière son dos. — C'est vrai, approuva Isabelle. C'est malheureux qu'Alice n'ait pas plus de jugement. Ce n'est pas bon pour Angela d'être sans cesse accablée de compliments. — Votre cousine ne vous ressemble pas, fit remarquer Bobbie. Vous êtes si raisonnables toutes les deux! Elle devrait bien prendre exemple sur vous. » Le temps continuait à être chaud et ensoleillé, le ciel bleu n'avait pas un nuage. Pendant les récréations les élèves nageaient, jouaient à des jeux, profitaient de toutes les joies de l'été. Claudine se lamentait d'avoir une tache de rousseur sur le nez. Ses camarades la taquinaient sans pitié. « La tache de rousseur de Claudine grandit, dit Henriette. — Oui, elle est énorme, renchérit Pat. — Bientôt elle couvrira tout son nez», ajouta Isabelle. Claudine poussa un cri d'horreur et sortit .de sa poche le petit miroir qui ne la quittait jamais. Angela, Alice et elle avaient toujours une raison pour se regarder dans la glace. « Ma tache de rousseur n'a pas grossi, annonça-t-elle triomphante. Vous êtes des taquines! Tiens, voilà la rapporteuse! » Gladys Paterson passait au fond de l'allée. « Gladys est bizarre, fit remarquer Pat d'un ton soucieux. On dirait qu'elle a un secret et qu'elle a peur que quelqu'un le découvre. Elle a l'air très malheureuse. — Elle a sa mère à qui elle peut se confier », déclara Henriette. Ses amies poussèrent des exclamations. « Est-ce que tu te confierais à Mme Paterson si elle était

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ta mère? demanda Bobbie. Pas moi. Elle est si dure. J'espère que je ne serai jamais malade tant qu'elle sera à l'infirmerie. Elle est incapable de gentillesse. » Les élèves se méfiaient de Gladys, elles savaient que la moindre taquinerie serait rapportée à Mme Paterson et payée par une abondance de raccommodage. Seule Angela avait son franc parler. Gladys, par crainte des représailles, ne se plaignait jamais d'elle. « J'imagine que Gladys est inquiète pour son frère, suggéra Bobbie. A en croire Angela, il est venu, mais il n'a pas voulu voir sa mère. Je suppose qu'il a des ennuis quelconques. C'est ce qui attriste sa sœur. — Pauvre Gladys ! murmura Pat. Si elle voulait se confier à nous, nous essaierions de la consoler. » Elle s'approcha de Gladys et s'efforça de l'apprivoiser. « Quel âge a ton frère, Gladys? demanda-t-elle. Est-ce qu'il te ressemble? » Gladys sortit une photographie de sa poche et la montra à Pat. Elle paraissait heureuse de parler d'Edgar. « Eddy a dix-huit ans, dit-elle. Deux ans de plus que moi. C'est un garçon formidable, mais il n'a jamais eu beaucoup de chance. Notre père est mort quand nous étions très petits. Eddy devrait faire ses études à l'université maintenant au lieu d'être obligé de gagner sa vie.» Patricia regarda la photographie et vit un garçon, aux traits mous. Il avait de bons yeux, c'est tout ce qu'on pouvait dire de lui. « Quel travail fait-il? demanda-t-elle. — Il apprend la mécanique. Il réussit très bien. Un jour il gagnera beaucoup d'argent. — Tu n'as pas d'inquiétudes à son sujet? demanda Pat avec bonté. — Des inquiétudes à son sujet? s'écria Gladys. Bien sûr que non! Pourquoi en aurais-je? Je voudrais le voir plus

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souvent, c'est tout. Jusqu'à ce que maman ait pris cette situation au collège, nous habitions ensemble. Maintenant il a une chambre en ville et il me manque beaucoup. » Patricia n'insista pas. Gladys cependant était pâle, renfermée, elle ne s'intéressait ni aux études ni aux jeux. Mais il fallait reconnaître que Mme Paterson ne l'encourageait guère. Pendant ses moments de loisir, Gladys aidait sa mère à entretenir le linge. Chaque fois qu'on passait devant la lingerie, on entendait Mme Paterson qui grondait sa fille. Il est vrai que Gladys répondait quelquefois, mais en général elle écoutait en silence. Certaines élèves la plaignaient, d'autres se réjouissaient et déclaraient que cette rapporteuse ne méritait pas mieux. Les semaines s'écoulaient, la mi-trimestre approchait. Trois ou quatre élèves de quatrième fêtèrent leur anniversaire et reçurent des cadeaux. Angela, qui avait de l'argent à volonté, offrait des objets somptueux. Pauline aurait bien voulu l'imiter, mais elle n'était pas aussi riche qu'Angela qui dépensait facilement dix shillings pour un flacon de parfum ou pour un mouchoir bordé de dentelle. Gladys, elle, ne faisait aucun cadeau. « Je regrette, dit-elle à Henriette dont c'était l'anniversaire. J'aimerais bien te donner quelque chose, mais pour le moment je n'ai pas d'argent. Cela ne m'empêche pas de te souhaiter beaucoup de bonheur. — Merci », dit Henriette. Elle savait gré à Gladys d'être sincère et admirait son courage et sa franchise. Angela offrit à Henriette un magnifique buvard en cuir repoussé. Henriette la remercia avec effusion. Pauline lui donna son sac orné de ses initiales. « Que c'est joli, Pauline! s'écria Henriette.

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Mais je regrette que tu aies tant dépensé. Je suis sûre que tu as vidé ta bourse. » Vexée, Pauline rougit. Elle n'aimait pas que l'on mît en doute sa fortune. « Mes parents, les Bingham-Jones, sont riches, dit-elle en prenant la voix affectée qu'Henriette détestait. J'ai autant d'argent que j'en veux. Je ne le dépense pas à tort et à travers comme Angela, je suis trop bien élevée pour cela. Mais je n'ai qu'à en demander, Henriette, je t'en prie, accepte ce sac avec mes meilleurs vœux. Il n'est pas trop cher pour moi. » « Avec les Bingham-Jones et les Favory de Saint-André, nous sommes en plein dans l'aristocratie, fit remarquer Pat à Isabelle en riant. Je crois que des deux je préfère encore Pauline. Angela est trop malveillante, elle dit des choses odieuses avec son sourire angélique. — Nos quatre nouvelles ne sont guère dignes d'estime,

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murmura Isabelle en fronçant le front pour mieux réfléchir. Angela est snob, Pauline envieuse. Claudine est amusante, mais sans scrupules. Gladys est rapporteuse. — On pourrait t'accuser de manquer de charité, déclara Pat. — C'est vrai. J'essaie simplement de les juger. Je ne suis pas comme Alice qui ne voit que les apparences. Tu sais bien d'ailleurs que ces quatre-là, je les aiderais de tout mon pouvoir si elles avaient des ennuis. Je ne leur souhaite que du bonheur. — C'est l'essentiel, approuva Pat. Juger les gens à leur juste valeur, ce n'est pas de la malveillance. »

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CHAPITRE IX PROJETS

POUR LE

CONGÉ- DE MI-TRIMESTRE

de mi-trimestre approchait. Les élèves l'attendaient avec impatience. Ce jour-là leurs parents viendraient les voir et assisteraient aux tournois de tennis et aux concours de natation. Henriette, Bobbie et les jumelles espéraient faire partie des équipes, a Maman était très bonne nageuse dans sa jeunesse, dit Henriette. J'espère bien que je serai choisie pour les concours de natation. Cela lui ferait plaisir. » Les jumelles espéraient participer aux tournois de tennis; elles avaient fait de grands progrès et comptaient se distinguer sous les yeux de leurs parents. Toutes les deux étaient fières de Saint-Clair et voulaient faire honneur à leur collège. Henriette devait jouer avec une élève de cinquième. LE

CONGÉ

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Le professeur de culture physique les avait choisies pour leur style gracieux et naturel. Miranda se sentait sûre de gagner de vitesse ses concurrentes dans la piscine. Son amie, la timide Ellen, lutterait avec elle, car malgré sa petite taille c'était une excellente nageuse. Elle ferait tous ses efforts pour émerveiller sa mère qui n'avait plus qu'elle au monde. « Nous allons bien nous amuser, dit Henriette. Ta mère vient, Angela? — Bien sûr, répondit Angela. Papa aussi. Je suis impatiente de voir leur nouvelle voiture. C'est une Rolls-Bentley noire et verte, elle... — Je suis sûre que tu es plus pressée de voir la voiture neuve que tes parents, s'écria Bobbie. Tu ne parles d'eux que pour te vanter de leur richesse, Angela. » Angela prit son air boudeur. « Tu es ridicule, répliqua-t-elle. Tu en ferais autant si tes parents étaient aussi riches que les miens. Tu verras maman! Elle éclipsera toutes les autres personnes. Elle est si belle! Des cheveux dorés comme les miens... des yeux d'un bleu... des robes de princesse... — Ses épingles ont des têtes en diamant, acheva Pat. — Ce n'est pas drôle! fit remarquer Angela tandis que les autres se tordaient de rire. Attends de l'avoir vue. Tu seras éblouie! — Quel malheur que tu ne lui ressembles pas, Angela! soupira Bobbie. Ta mère n'est pas désolée d'avoir une fille comme toi? Tu dois être pour elle une terrible déception! » Angela rougit de colère. Elle ne pouvait pas supporter la moindre taquinerie. « Moque-toi tant que tu voudras, dit-elle d'une voix amère. Quand tu auras vu maman, tu reconnaîtras qu'elle dépasse tout ce que tu as pu imaginer. J'espère qu'elle portera son collier de perles à deux rangs. Il vaut des millions.

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— Eh bien, dit la voix douce d'Ellen qui intervenait rarement dans une conversation de ce genre, et bien, moi, cela me sera bien égal que maman porte sa plus vieille robe et qu'elle ait oublié de se poudrer. Pourvu qu'elle vienne et que nous soyons ensemble quelques heures, cela me suffira. Je serai fière d'elle et je la préférerai à toutes les autres. » C'était un long discours pour la timide Ellen. Toutes les autres gardèrent le silence. Pat avait les larmes aux yeux. Tant de tendresse vibrait dans la voix d'Ellen! C'est ainsi qu'on doit aimer sa mère, sans se soucier de son apparence et de sa toilette, juste pour elle-même. Angela resta un peu déconcertée. Elle regarda Ellen avec surprise. Elle s'apprêtait à lancer une remarque cinglante, mais Pat l'arrêta. « Tais-toi! ordonna-t-elle. Ellen a dit ce qu'il fallait dire. Tu as bien parlé, Ellen, bravo ! » Angela n'osa plus ouvrir la bouche, mais la pensée de l'élégance de sa mère, de l'admiration qu'elle ne pouvait manquer de susciter la consolait de la rebuffade. « Et toi, tes parents viendront-ils? demanda Isabelle à Pauline. — Bien sûr, s'empressa de répondre Pauline. Papa est un très bel homme, maman est ravissante. J'espère qu'elle portera la robe qu'elle a fait venir de Paris. Une robe d'un chic! » Pauline continua à pérorer. A en juger d'après sa description dithyrambique, ses parents, riches comme Crésus mais aussi généreux et gais, étaient beaucoup plus sympathiques que ceux d'Angela. « Les parents de Pauline doivent être des gens bien, fit remarquer Pat. La famille d'Angela m'inspire une grande curiosité. J'imagine que le père a des boutons de diamant à son veston et que la mère a sur le dos cinq ou six étoles de vison. — Je suis bien contente que maman soit simplement ce

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qu'elle est, dit Isabelle en riant. Jolie, bonne, intelligente, mais pas du tout objet de vitrine ! » Les élèves s'exerçaient avec ardeur, elles nageaient, jouaient au tennis aussi souvent qu'elles le pouvaient afin de faire honneur à leurs parents. Elles exposeraient aussi leurs peintures et leurs broderies. Claudine avait confectionné un très beau coussin sur lequel elle avait brodé un paon avec une queue multicolore. Mam'zelle ne parlait plus d'autre chose. « C'est exquis! disait-elle. Que cette petite Claudine est adroite! Miss Ellis, vous ne trouvez pas ces couleurs admirables? Elle a vraiment des dons pour la broderie! — Oui, répliqua Miss Ellis. Beaucoup plus que pour les mathématiques, l'histoire, la géographie ou la littérature! — Voyons! Voyons! protesta Mam'zelle vexée. On ne peut pas être doué pour tout. La petite Claudine... — Je ne demande pas à Claudine d'être un génie! coupa

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Miss Ellis. Mais j'aimerais qu'elle soit un peu plus attentive pendant les cours et qu'elle travaille mieux pendant les études. Vous gâtez Claudine, mademoiselle ! — Moi? Je gâte Claudine? cria Mam'zelle, et ses lunettes tombèrent sur le parquet. Je la traite comme les autres. Je suis sévère mais juste avec toutes les enfants. — Je vous crois, mademoiselle, interrompit Miss Ellis, prévoyant que Mam'zelle allait s'embarquer dans un de ses longs discours. Il faut que je m'en aille. On m'attend. » Mam'zelle se mit à la recherche de sa nièce. Elle la prit dans ses bras et la serra très fort, à la grande surprise de Claudine. Mam'zelle venait de penser brusquement que « la pauvre petite » n'aurait pas la visite de ses parents à la mi-trimestre puisqu'ils étaient en France. Elle jugeait de son devoir de consoler Claudine qui n'avait pas du tout besoin de consolation. La petite Française aimait son père, sa mère, ses frères et ses sœurs, mais elle se plaisait en

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Angleterre et attendait sans impatience les grandes vacances. « Ma petite Claudine! soupira Mam'zelle en la serrant contre son cœur. Ne sois pas triste! Ne te décourage pas! Ne pleure pas surtout! Tu ne seras pas seule à la mi-trimestre. » Claudine se demandait si sa tante ne perdait pas la raison. « Pourquoi serais-je triste? interrogea-t-elle. Tu as reçu de mauvaises nouvelles ? — Non, non, bien sûr que non. Je te plains parce que tes parents ne viendront pas te voir. Toutes les autres auront leur père et leur mère, tu n'auras personne, à part ta tante Mathilde qui t'aime tant! — C'est déjà quelque chose », répliqua Claudine. Mam'zelle fronça le nez, au grand dam de ses lunettes qui perdirent l'équilibre. « Ne prends pas ce ton! dit-elle. Ah! Ma petite Claudine, tes parents ne seront pas là pour admirer ton beau coussin avec ce paon magnifique, mais je m'efforcerai de les remplacer. Je resterai près de ton coussin, je ne m'en éloignerai pas une minute et je dirai à tout le monde : « Vous voyez? C'est « l'œuvre de Claudine! Elle est Française et elle a des doigts « de fée. Regardez ces plumes, on les croirait vraies! Et « ces belles couleurs! C'est ce qu'il y a de plus beau à Saint-« Clair aujourd'hui ! » — Oh non! Tante Mathilde, je t'en prie! s'écria Claudine effrayée. Les élèves se moqueraient de moi. Je t'en prie, je ne me sentirai pas seule. Je ne serai pas triste. — La courageuse enfant! soupira Mam'zelle en essuyant une larme. J'admire ton énergie. Tu ne veux pas montrer que tu souffres. — Mais je ne souffre pas! protesta Claudine exaspérée. Je ne souffre pas du out, tante Mathilde. Ne fais pas d'histoire! Ce serait terrible si tu restais tout l'après-midi près de mon coussin pour faire des remarques de ce goût-là! »

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L'idée de Mam'zelle gardant le coussin comme un bouledogue et vantant le talent de sa pauvre petite nièce remplissait Claudine d'horreur. Elle aurait voulu que la mi-trimestre fût déjà passée. Mais elle n'avait pas encore commencé ! Dans quatre jours, dans trois jours, après-demain, demain. Ce soir-là les élèves se couchèrent très surexcitées et chuchotèrent longtemps dans leur lit quand les lumières furent éteintes. Suzanne, le chef de classe, faisait semblant de dormir. Elle ne voulait pas jouer le rôle de rabat-joie la veille de la fête, bien que les autres soirs elle fît respecter le règlement. Angela pensait à l'admiration que susciterait sa mère. Quel effet elle ferait avec ses perles et sa robe de grand couturier ! C'était aussi à sa mère que pensait Gladys. Mme Paterson serait là, mais en uniforme d'infirmière! Pour Gladys, la mi-trimestre était une corvée. Elle ne prenait pas part aux compétitions sportives, elle n'avait fait ni peinture ni broderie. Et le grand frère qui lui était si cher ne lui tiendrait pas compagnie. Alice avait de grandes espérances. Mme Favory de Saint-André sympathiserait peut-être avec sa mère et Alice et Angela passeraient ensemble une partie des vacances. Ce serait charmant! Pauline avait aussi ses projets. Bobbie également. Les vacances de Pâques appartenaient à un passé déjà lointain. Certes la vie était très gaie au collège, mais rien ne remplace l'atmosphère familiale. Quelle joie de revoir ses parents le lendemain! Une à une, les enfants s'endormirent. Bobbie fut la première à se réveiller. Elle s'assit sur son lit. « Debout, paresseuse! Cria-t-elle. Le grand jour est arrivé! »

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CHAPITRE X ENFIN LA MI-TRIMESTRE! samedi-là le temps était magnifique. Le soleil brillait, pas un nuage ne voguait dans le ciel. « C'est merveilleux, n'est-ce pas, Claudine? s'écria joyeusement Doris. Notre mi-trimestre sera formidable! » Claudine poussa un soupir. « II va faire trop chaud. J'aimerais mieux qu'il pleuve! — Heureusement que tes souhaits ne seront pas réalisés, fit remarquer Bobbie. Voyons, souris! C'est une journée idéale! » L'exposition de peinture était prête. Les plus belles œuvres des élèves étaient installées dans une grande salle. CE

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Miss Walker, le professeur de dessin et de peinture, était très fière des résultats obtenus. Le plus souvent possible elle emmenait ses élèves, chargées de leurs boîtes d'aquarelles, dans les bois ou au bord des étangs et choisissait des sites pittoresques qu'elle leur faisait reproduire. Les paysages exposés séduisaient par leur fraîcheur et leur grâce. « Ils ont vraiment de la valeur, fit remarquer Claudine. Est-ce que nous vendons nos travaux? Combien demanderais-tu de ce joli sous-bois, Isa? » Isabelle se mit à rire. « Tu as de drôles d'idées, Claudine, protesta-t-elle. Nous ne vendons pas nos œuvres. Nos parents ne nous le permettraient pas. Non, ils emporteront nos aquarelles et les feront encadrer pour que tous leurs amis s'arrêtent devant et s'écrient : « Votre fille a vraiment beaucoup de talent! » — Et toi, Claudine, tu enverras ton beau coussin à ta mère pour sa fête? » demanda Pat. Claudine secoua la tête. « J'ai trois sœurs beaucoup plus' habiles que moi. Maman regarderait mon coussin et dirait : « Claudine fait des pro-« grès. Ce n'est pas mal pour un commencement! » — En tout cas Mam'zelle l'admire, déclara Bobbie. Tu as une grande qualité, Claudine, la modestie. Tu n'as pas pour un sou de vanité. Après les cris d'admiration que ta tante a poussés devant ta broderie, tu pourrais te rengorger, mais non, tu restes toute simple. — Je ne la trouve pas extraordinaire. J'ai vu mieux. » Claudine était un étrange mélange d'honnêteté, de franchise et de rouerie. Mais elle restait naïve même dans ses stratagèmes. Si Miss Ellis la prenait en flagrant délit de tricherie, Claudine avouait immédiatement sans aucune honte. On eût dit qu'elle jouait un jeu où elle perdait avec le sourire. Ses camarades n'arrivaient pas à la comprendre. Isabelle et Patricia étaient partenaires dans un tournoi

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de tennis. Elles s'en réjouissaient. Le matin de bonne heure elles préparèrent les jupes blanches, les chemisiers, les socquettes rouges et les chaussures blanches qu'elles porteraient l'après-midi. La veille, sous la surveillance de Mme Paterson, tout avait été lavé et repassé avec soin. Seule Pauline ne souriait ni ne riait. Sa tristesse détonnait au milieu de la gaieté générale. Patricia l'interrogea avec sollicitude. « Qu'as-tu, Pauline? Tu n'as pas l'air contente. Tu n'es pas fâchée de n'avoir pas été choisie pour faire partie de l'équipe de tennis, n'estce pas? — Non, répondit Pauline. J'ai eu une grande déception, c'est tout. — Laquelle? » demanda Pat. Bobbie, Isabelle et Margaret se rapprochèrent pour entendre la réponse. « C'est très ennuyeux, expliqua Pauline. Maman est malade, papa ne veut pas la quitter. Personne ne viendra donc me voir aujourd'hui. Moi qui les attendais avec tant d'impatience! Je me faisais une fête de leur montrer le collège. — Quelle malchance, Pauline! » s'écrièrent les jumelles. C'était en effet une pénible déception. Toutes sympathisaient avec la pauvre Pauline. « J'espère que ta mère n'est pas gravement malade, dit Suzanne. — Non, répondit Pauline. Mais elle est obligée de garder le lit. C'est bien ennuyeux! Elle m'avait promis de mettre sa robe neuve qui lui va si bien ! — Ce sera pour une autre fois, fit remarquer Isabelle remplie de compassion. Tu pourras sortir avec nous. Tu ne resteras pas seule au collège. — Tu es bien gentille! » répliqua Pauline. Réconfortée par cette invitation, elle participa à la gaieté des autres. Mam'zelle avait mis le coussin de Claudine à la place d'honneur.

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Elle était prête, semblait-il, à fondre sur sa nièce pour lui prodiguer des consolations, mais la petite Française l'évitait de son mieux et s'esquivait dès qu'elle la voyait approcher. « Tu joues à cache-cache, Claudine? demanda Patricia. La pauvre Mam'zelle te cherche partout sans pouvoir te trouver! » Le repas de midi fut rapidement expédié, les femmes de chambre étant occupées à préparer le goûter qui serait servi aux parents l'aprèsmidi. Elles avaient rempli de fraises de grandes coupes de cristal. La cuisinière avait fait des gâteaux délicieux, des biscuits, des sandwiches de toutes les sortes. Les élèves allaient les admirer dans le grand réfectoire où tout était disposé pour le goûter. Elles admiraient sans rien toucher, mais Claudine ne put se retenir de goûter aux fraises. « Si on te surprend, tu seras punie, déclara Isabelle.

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— Imite-moi, conseilla Claudine en se léchant les lèvres. Tu ne le regretteras pas. — Non, répliqua Isabelle. On nous a défendu de prendre la moindre chose dans le réfectoire. Je ne veux pas désobéir. — Une fraise de plus ou de moins, cela ne s'y connaîtra pas, répliqua Claudine. Ce n'est pas un crime! — Tu es terrible, Claudine ! s'écria Angela. Les règlements n'existent pas pour toi. Je suis contente de ne pas te ressembler. » Elle parlait d'un ton très désagréable, mais Claudine, qui ne se fâchait jamais, se contenta de rire. « Chère Angela, dit-elle d'un ton suave, tu es indignée parce que je mange deux ou trois fraises, mais tu ne crains pas de donner des coups de patte à tes camarades derrière leur dos. Moi, c'est une chose que je ne ferais pas. J'aime mieux être gourmande et désobéissante que malveillante et mauvaise langue ! » Les autres ne purent s'empêcher de rire. Claudine avait débité ce petit discours de sa voix la plus aimable, mais elle disait la vérité et remportait la victoire. Angela furieuse se tut. Ce n'était pas un jour à se quereller. Il y avait tant à faire et chacune avait une besogne à remplir. Il fallait cueillir des fleurs et les disposer dans des vases. Les jumelles, qui avaient l'art de composer des gerbes, furent très occupées toute la matinée. Après le déjeuner, les élèves montèrent dans les dortoirs pour revêtir les costumes de tennis ou les uniformes. L'uniforme d'été se composait d'une jupe bleu marine et d'un chemisier dont on pouvait choisir la couleur. Les brunes comme Carlotta prenaient du rouge ou du jaune, les blondes comme Angela préféraient les teintes pastel, le bleu ou le rosé pâle. Elles feraient l'effet de fleurs vivantes sur les pelouses du collège.

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« Les parents arrivent! cria Alice qui avait entendu un bruit de roues. Voici les premiers. Qui est-ce? » Les élèves de quatrième se penchèrent aux fenêtres, mais elles ne reconnurent pas les occupants de la voiture. « Ce sont les parents de petites, fit remarquer Bobbie. Voici d'autres voitures ! — Papa et maman! cria Margaret. Je leur avais bien recommandé de venir de bonne heure. Que maman est jolie! Je vais vite à leur rencontre ! » Elle s'envola gaiement. D'autres voitures arrivaient. Bientôt sur les pelouses se pressait une foule joyeuse composée de pères, de mères, de tantes, de frères, de sœurs plus jeunes ou plus âgés. Gladys aurait bien voulu qu'Eddy fût parmi eux ! Mme Paterson était imposante dans son uniforme amidonné de frais. Les parents l'interrogeaient sur la santé de leurs filles. Ils la traitaient avec égard. Gladys s'en réjouissait, 75

mais elle ne pouvait s'empêcher de regretter que sa mère ne portât pas une jolie robe et ne fût pas épanouie et séduisante comme les mamans de ses compagnes. « Elle devrait sourire davantage, pensa-t-elle. Pourquoi toujours cet air sévère? Que Mme Sullivan est gentille! Elle a passé le bras autour de la taille de chacune de ses filles. Maman n'a jamais de tels gestes avec Eddy ou avec moi! » Une immense voiture monta l'allée, conduite par un chauffeur en livrée. C'était une belle Rolls-Bentley noire et verte. Elle s'arrêta et le chauffeur mit pied à terre. Angela poussa un cri. « Ah! Notre voiture neuve! Regardez, n'est-ce pas qu'elle est belle? Et la livrée du chauffeur, noire avec un liséré vert, assortie à la voiture. Les coussins sont noirs aussi et les monogrammes verts. — Je croyais que tu serais si contente de revoir tes parents que tu ne ferais pas attention à la voiture », fit observer Bobbie d'une voix froide. Angela ne l'entendit même pas, tant elle était fière d'exhiber aux yeux de ses compagnes les signes extérieurs de sa fortune. Le chauffeur ouvrit la portière. Mme Favory de Saint-André descendit. C'était en effet une gravure de modes! Elle paraissait très jeune, ressemblait beaucoup à Angela et sa robe était un chef-d'œuvre. Elle promena autour d'elle le regard de ses yeux en amande. Son mari descendit à son tour. C'était un homme de haute taille, d'allure martiale, au visage grave. Angela courut à ses parents et se jeta au cou de sa mère comme les autres l'avaient fait, exagérant chaque geste parce qu'elle savait qu'on la regardait. « Angela chérie, tu vas froisser ma robe! s'écria sa mère* Fais attention de ne pas me décoiffer ! » Mais son père la serra dans ses bras, puis la repoussa un peu pour l'examiner.

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« Elle a très bonne mine, déclara-1-il. - Sa jupe la grossit, gémit sa mère. Je ne peux pas supporter ces horribles souliers à talons plats ! - Les autres en portent aussi, fit remarquer M. Favory de SaintAndré. Je trouve qu'Angela est charmante. - Si seulement elle était mieux arrangée! s'écria sa femme d'une voix plaintive. C'est une des raisons pour lesquelles je ne voulais pas l'envoyer ici. L'uniforme est affreux! »

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CHAPITRE XI LA MÈRE D'ANGELA souvent au cours de l'après-midi, on entendit les lamentations de la mère d'Angela. Mme Favory de Saint-André était belle, bien habillée, mais son expression de mécontentement et d'ennui seyait mal à son joli visage. Elle se plaignait de tout d'une voix discordante et trop sonore. Le banc où elle dut s'asseoir pour assister aux tournois de tennis était dur! Il faisait chaud! Le thé qu'Angela lui apporta ne fut pas à son goût! « Que ce thé est mauvais! On pourrait servir du thé de Chine! Tu sais que je ne peux pas supporter le thé de Ceylan, Angela! » TRÈS

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«Regardez-le de près. C'est une œuvre d'art! C'est le plus bel ouvrage de l'exposition! »

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La tranche de cake ne trouva pas grâce devant ses yeux. « Ce gâteau est d'un sec! gémit-elle. Je ne peux pas le manger! » Elle jeta le gâteau par terre. Les yeux perçants des élèves ne perdaient pas un de ses gestes. Angela se sentait gênée. « N'est-ce pas que maman est jolie? chuchota-t-elle à Alice. Comment trouves-tu ses perles? Et ses cheveux? Elle est bien coiffée, n'est-ce pas? » Alice en convint. Dans son for intérieur, elle pensait que la mère d'Angela se conduisait en enfant gâtée et n'était contente de rien. Mme Favory de Saint-André n'eut pas un mot d'éloge pour les aquarelles et les dessins et ne manifesta aucun enthousiasme pour les poteries. Mais elle fut obligée de s'arrêter devant le coussin de Claudine, auprès duquel Mam'zelle montait la garde comme un dragon. « Voilà donc votre mère, Angela, dit Mam'zelle de sa voix la plus aimable. Je suis sûre qu'elle va admirer l'ouvrage de la petite Claudine. C'est beau, n'est-ce pas? Voyez ces petits points ! Et les couleurs de la queue du paon ! » Mme Favory de Saint-André aurait poursuivi son chemin sans un compliment, mais Mam'zelle lui saisit le bras et l'obligea à se pencher sur le coussin de Claudine. « Regardez-le de près. C'est une œuvre d'art! C'est le plus bel ouvrage de l'exposition! — Ce n'est pas mal », murmura la mère d'Angela d'un ton qui semblait dire : « C'est affreux! » Elle arracha son bras à Mam'zelle et passa la main sur sa manche comme pour l'épousseter, puis elle se détourna avec impatience. « Qui est cet épouvantail? demanda-t-elle à Angela sans baisser la voix. J'espère que ce n'est pas un de tes professeurs. Je n'ai jamais vu une femme si mal fagotée! » Les élèves aimaient beaucoup Mam'zelle, et cette remarque

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excita leur indignation. Patricia était certaine que Mam'zelle l'avait entendue. La Française suivait des yeux Angela et ses parents d'un air perplexe et malheureux. « J'ai toujours pensé qu'Angela était une chipie, chuchota Patricia à Bobbie. Maintenant je vois de qui elle tient! Comme j'aurais honte de ma mère si elle critiquait à haute voix les choses et les gens! Pauvre Mam'zelle! Que c'est vilain de lui faire de la peine ! » Claudine, qui avait aussi entendu la remarque, ne pouvait réprimer sa colère. Elle aimait beaucoup sa tante Mathilde. Certes elle ne l'approuvait pas d'arrêter tous ceux qui passaient pour les obliger à admirer le coussin, mais la vieille demoiselle n'agissait que par affection pour sa nièce. Claudine regarda Mme Favory de Saint-André. Elle remarqua son visage mécontent, sa bouche aux coins abaissés. Elle pensa à toutes les phrases sarcastiques que ces jolies lèvres avaient sans doute prononcées et elle eut envie de punir la mère d'Angela de sa remarque cruelle. Elle n'était pas la seule; Patricia partageait son indignation. Elle s'approcha de la petite Française. « Mme Favory de Saint-André mérite une punition, chuchota-telle. Si tu veux bien, à nous deux nous lui donnerons une bonne leçon, mais pour une fois il faudra que tu surmontes ton horreur de l'eau froide. - Que veux-tu dire? demanda Claudine sur le même ton. - Je crois que le meilleur moyen serait d'éclabousser la jolie robe dont elle est si fière. Pour cela il faudrait qu'une de nous se jette dans la piscine comme si elle tombait par hasard. C'est à toi de le faire parce que c'est toi qui dois venger ta tante. — Je ne tiens pas à salir la jolie blouse rosé que marnai) a faite elle-même et qu'elle m'a envoyée de France, protesta Claudine.

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«Mme Favory de Saint-André mérite une punition », chuchota-t-elle. 82

— On ne fait pas d'omelette sans casser les œufs », affirma Patricia. Toutes les deux eurent une longue discussion. Patricia se montra si persuasive qu'elle remporta la victoire. Pour l'instant, Angela avait conduit ses parents auprès de la piscine qui faisait l'orgueil de Saint-Clair, car aucun des pensionnats de la région n'en possédait d'aussi belle. Mais la mère d'Angela ne s'estima pas satisfaite. « J'espère qu'on change l'eau tous les jours, Angela! dit-elle. - Non, maman, trois fois par semaine », répondit Angela. Sa mère poussa un cri de dégoût. « Dire que l'eau n'est pas changée tous les jours! Quel collège! Je me plaindrai. Angela, je te défends de te baigner là-dedans les jours où l'eau n'aura pas été changée. Je te le défends catégoriquement ! - Mais maman, il faut que je fasse comme les autres, protesta Angela gênée. L'eau est très propre, même quand on ne l'a changée que l'avant-veille. - Je me plaindrai, répéta Mme Favory de Saint-André. Je ne voulais pas que tu viennes ici, c'est un collège de second ordre. Je ne peux pas imaginer pourquoi ton père l'a exigé. J'espère que maintenant il s'en repent et qu'il te retirera. — Pamela, ne parle pas si fort! protesta M. Favory de Saint-André. On entend tout ce que tu dis. De toute évidence les autres parents pensent, comme moi, que Saint-Clair est un collège parfait. - Oh! toi », dit sa femme d'un ton de mépris. Elle ferma hermétiquement ses lèvres écarlates, mais prit l'air boudeur qu'Angela arborait toujours quand on lui adressait un reproche ou une taquinerie. La mère d'Angela n'attirait pas la sympathie. Elle était belle, oui, très élégante, mais elle n'avait pas la grâce de Mme O'Sullivan, la gaieté de la mère de Bobbie, la tendresse

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Une gerbe a eau rejaillit, éclaboussant La mère d'Angela 85

de celle d'Ellen, tout simplement habillée qu'elle était. « Que je suis contente que maman ne soit pas comme cette pimbêche! chuchota Margaret à Alice. Elle est odieuse! » Alice ne put s'empêcher de l'approuver d'un hochement de tête. Elle avait entendu la plupart des remarques de Mme Favory de SaintAndré et lui en avait voulu. Malgré son étourderie, Alice sentait ce que représentait Saint-Clair. Elle n'était plus du tout pressée d'être présentée à Mme Favory de Saint-André. Mais elle dut s'y résigner car Angela s'était mise à sa recherche. « Maman, voici Alice, l'amie dont je t'ai parlé dans mes lettres », dit Angela. Mme Favory de Saint-André eut un sourire approbateur pour la jolie camarade de sa fille. Alice, comme Angela, savait porter avec grâce l'uniforme du collège. « Vous êtes donc Alice? dit-elle. Je suis très heureuse de faire votre connaissance. Vous êtes beaucoup plus agréable à voir que la plupart de vos compagnes. Il y en a qui sont de vrais laiderons ! » Bobbie comptait sans doute parmi ces laiderons. Son visage, couvert de taches de rousseur, rayonnait pourtant d'intelligence et de gaieté. « Où est ta mère? demanda Angela à Alice. Il faut qu'elle fasse la connaissance de la mienne. Maman veut lui demander si tu pourrais passer une partie des grandes vacances avec moi. » Mais au grand soulagement d'Alice, sa mère déclina l'invitation. « Je vous remercie beaucoup, dit-elle. Mais nous avons déjà des projets pour les vacances. » Elle ne spécifia pas quels étaient ces projets. Elle avait observé Mme Favory de Saint-André, avait entendu ses remarques insolentes, et pour rien au monde elle n'aurait voulu que sa fille pût subir une telle influence. Alice devina

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les pensées de sa mère et, malgré son admiration pour Angela, les approuva tout bas. Mme Favory de Saint-André fut profondément vexée de ce refus. Elle allait insister lorsqu’'une cloche carillonna. « Oh! Mon tympan! s'écria-t-elle en portant la main à ses oreilles. En voilà des idées de faire tant de bruit ! — C'est indispensable pour que tout le monde entende », riposta la mère d'Alice, et elle s'éloigna. « Voici l'heure du concours de natation, annonça Alice. Viens, maman, tu verras nager Bobbie. Tu sais, cette fille qui a tant de taches de rousseur et qui est si sympathique. Et Miranda aussi. Elles gagneront sûrement la compétition. » Les spectateurs se rangèrent autour de la piscine, sous le soleil flamboyant. Les parents s'assirent au bord et les élèves, dont la plupart n'étaient que spectatrices, se rangèrent derrière eux sur des gradins. « Quel bel après-midi! s'exclama Margaret. Je suis si contente qu'il fasse beau et que Saint-Clair se montre sous son meilleur jour! — Tous les parents admirent notre collège, fit remarquer Bobbie. A l'exception d'une seule personne! » Elle faisait allusion à Mme Favory de Saint-André. Angela entendit cette remarque et rougit. Elle qui s'était promis un si grand plaisir de cette fête! Elle regrettait amèrement que sa mère ne se fût pas mise en frais d'amabilités. Soudain Claudine et Patricia arrivèrent en se bousculant et se perchèrent sur un gradin. « Attention, Pat! cria Alice. Si tu pousses Claudine si fort, elle va tomber ! — Non, elle ne tombera pas, répliqua Pat. Je cherche à voir cette belle dame qui n'est contente de rien et qui fait des remarques si impolies ! — Tais-toi! chuchota Alice. Angela va t'entendre! — Eh bien, qu'elle entende! riposta Claudine. Elle doit

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bien penser que nous n'admirons pas sa mère. L'amabilité vaut mieux que la beauté ! — Tais-toi! répéta Alice. Mais crois-le, Claudine, moi aussi j'ai de la peine pour la pauvre Mam'zelle! » Le concours de natation commença. Une goutte d'eau rejaillit sur la jolie robe de Mme Favory de Saint-André qui se hâta de l'essuyer avec son mouchoir et voulut reculer, mais elle ne le put car d'autres personnes étaient derrière elle. Les nageuses plongeaient avec grâce et nageaient dans l'eau comme des poissons, mais le clou de l'après-midi, ce ne fut pas leurs acrobaties, pas même celles de Bobbie ou de Miranda. Ce fut la comédie imaginée par Patricia et exécutée par Claudine. Claudine se penchait sur son gradin. Elle se querellait, semblaitil, avec Pat qui la poussa violemment. La petite Française laissa échapper un cri perçant qui fit sursauter ses voisines et, à la grande horreur de tous les spectateurs elle tomba dans l'eau.

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CHAPITRE XII LA PUNITION DE MADAME FAVORY DESAINT-ANDRÉ gerbe d'eau rejaillit, éclaboussant la mère d'Angela et la trempant des pieds à la tête. « Mon Dieu! s'écria Mme Theobald, la directrice, qui, pour une fois, perdait son calme habituel. Qui est tombée à l'eau? Vite, à son secours! » Claudine, qui ne savait pas nager, coula à pic et remonta à la surface. Bobbie et Miranda, qui étaient dans la piscine, se hâtèrent de la rejoindre, la saisirent et l'aidèrent à monter les marches. « Claudine, comment as-tu fait? demanda Bobbie. Espèce de maladroite! » Claudine toussait et crachait. Elle jeta un regard en UNE

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direction de Mme Favory de Saint-André et constata à sa grande joie que celle-ci était trempée. Mme Theobald était près d'elle, s'excusait et lui conseillait de la suivre au collège où elle lui prêterait une robe en attendant que la sienne fût sèche. La mère d'Angela s'éloigna en compagnie de la directrice. Elle offrait un spectacle lamentable avec ses draperies qui collaient à son corps et ses cheveux ruisselants. Claudine avait pris un air contrit qui cachait sa jubilation intérieure. « Vous aussi, Claudine, retournez au pensionnat et demandez à Mme Paterson de vous donner de quoi vous changer des pieds à la tête, ordonna Miss Ellis. Dépêchez-vous ou vous prendrez froid ! » Du coin de l'œil, Claudine aperçut Mam'zelle qui, au comble de l'inquiétude, s'avançait vers elle. La petite Française s'enfuit en courant pour échapper aux effusions de sa tante. « Attendez-moi, Claudine! » cria Mme Paterson très contrariée d'être obligée de rentrer. Mais Claudine ne l'écouta pas. Elle aimait mieux subir les reproches de Mme Paterson que des embrassades intempestives. « Eh bien! Nous avons vengé notre pauvre Mam'zelle! chuchota Pat à Isabelle. — Claudine a montré beaucoup de courage, répondit Isabelle sur le même ton. Elle qui n'aime pas particulièrement l'eau ! Et quel ennui pour elle de mouiller son joli chemisier neuf! » Claudine revint bientôt, vêtue d'une robe sèche. Elle avait son air le plus ingénu. Quand elle le voulait, elle pouvait paraître aussi angélique qu'Angela. Maintenant qu'on la connaissait mieux, on savait que lorsqu'elle prenait cette expression d'innocence, elle préparait une espièglerie. La mère d'Angela revint aussi, vêtue d'un costume de

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Mme Theobald. La directrice était un peu plus grande qu'elle et portait des vêtements bien coupés, mais très simples et de teinte foncée. Le tailleur allait très mal à Mme Favory de Saint-André qui s'en rendait compte et ne cachait pas son irritation. C'était déjà assez ennuyeux d'être trempée par une maladroite. Par-dessus le marché, il fallait qu'elle soit fagotée dans un costume gris trop long et trop large pour elle! Mais elle ne pouvait pas manifester sa colère à Mme Theobald. Celle-ci, qui avait fait tout ce qui était en son pouvoir, gardait sa dignité. Impressionnée malgré elle, Mme Favory de SaintAndré réprima sa colère. Après ces événements sensationnels, l'après-midi passa rapidement. Les matches, les tournois, les concours prirent fin. Les parents emmenèrent leurs filles dîner dans les restaurants du voisinage. Pauline sortit avec les O'Sullivan. Les jumelles avaient fait part à leur maman de la grande déception de leur camarade et elle avait immédiatement invité Pauline. « Aimerais-tu sortir avec une de tes compagnes? demanda la mère d'Alice à sa fille. J'espère que tu ne vas pas nous obliger à passer la soirée avec des indésirables. Ton père et moi, nous nous y opposerions! » Alice comprit que sa mère n'avait aucune envie de se lier avec Mme Favory de Saint-André. Si elle invitait une de ses compagnes, il serait plus facile de refuser l'invitation que feraient probablement les parents d'Angela. Alice se demanda sur qui elle fixerait son choix. Elle jeta un regard autour d'elle. La plupart des élèves étaient avec leurs parents et babillaient gaiement en attendant de monter en voiture. Un peu à l'écart, Gladys les regardait. Sa mère avait disparu, rappelée sans doute au collège par son travail. Gladys avait l'air si malheureuse qu'Alice fut touchée. « Je vais inviter Gladys, maman, dit-elle. Je ne l'aime

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pas beaucoup, pas plus que sa mère, notre infirmière. Mais elle serait si contente! Je peux inviter une autre de mes compagnes? — Qui donc? — Claudine, la petite Française qui est tombée dans la piscine, expliqua Alice. Ses parents sont en France. Elle n'a ici que sa tante qui est notre professeur de français. Je sais qu'elle serait bien contente de venir. — Va les chercher toutes les deux », répliqua sa mère. Leur société serait plus agréable que celle de Mme Favory de Saint-André. Alice courut à Gladys. « Gladys, va demander à ta maman si tu peux venir dîner avec nous. Dépêche-toi! — Oh! s-'écria Gladys les yeux brillants. Tu m'invites, Alice? Que tu es gentille! » Elle se hâta de se mettre à la recherche de sa mère. Pendant ce temps, Alice s'approcha de Claudine. « Claudine, veux-tu dîner avec mes parents et moi? Maman m'a permis de t'inviter. Gladys vient aussi. — Merci, dit Claudine avec sa politesse habituelle. C'est très gentil de ta part, Alice. Je suis très reconnaissante à ta maman. Je vais demander la permission à ma tante. » Mam'zelle fut enchantée. Elle aimait beaucoup Alice, bien que celle-ci fît peu de progrès en français. « Bien sûr, accepte, ma petite Claudine! dit-elle avec un large sourire. Tu as besoin de te distraire après l'accident qui t'est arrivé cet après-midi. Pauvre petite! Tomber à l'eau! Tu aurais pu te noyer! — Pas du tout, je ne risquais rien, riposta Claudine, une lueur dans les yeux. Je le savais, tante Mathilde. Bobbie et Miranda étaient toutes les deux dans la piscine. Je suis si contente d'avoir éclaboussé cette odieuse Mme Favory de Saint-André! Je n'espérais pas la tremper à ce point! — Claudine! Claudine! Que dis-tu? Ce n'est pas possible!

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Tu n'as pas fait exprès de tomber? Tu n'es pas si méchante? s'écria la pauvre Mam'zelle horrifiée. — Faire exprès de tomber à l'eau, tante Mathilde? Comment peux-tu penser une chose pareille? Pour qui prends-tu ta nièce? Mais n'est-ce pas merveilleux que l'eau ait éclaboussé justement la mère d'Angela? C'est un miracle! » Une lueur espiègle dans les yeux, Claudine s'esquiva. Mam'zelle la suivit du regard. Ah! Cette Claudine! Quelle enfant terrible ! Cependant c'était vraiment une brave fille de se jeter à l'eau pour punir une insolente qui avait fait de la peine à sa tante. Mam'zelle s'assit sur un banc. Ses jambes ne la supportaient plus. Qu'était donc Claudine... une enfant terrible ou une brave fille? Mam'zelle ne put trouver la réponse. Pendant ce temps les élèves et leurs parents s'étaient dispersés. Angela avait pris place dans la magnifique voiture de ses parents, mais une Angela muette, humiliée, terriblement déçue dans ses espoirs. Au lieu de faire sensation, sa mère avait excité l'indignation générale par ses remarques acerbes. Angela regarda par la portière et aperçut les visages heureux des jumelles. Elle vit Pauline qui marchait à côté de M. et Mme O'Sullivan. Tous les cinq bavardaient gaiement. « Quelle bonne journée nous avons passée! » s'exclama Mme O'Sullivan d'une voix claire. Puis Angela vit son amie Alice. A sa grande surprise, Claudine et Gladys étaient avec elle et montaient dans la même voiture. Quelle trahison! Pourquoi Alice n'avait-elle pas invité Angela? Dire qu'elle avait préféré Gladys, cette petite rapporteuse vulgaire, et Claudine, la nièce de Mam'zelle ! Comment était-ce possible? Exaspérée, Angela ne devina pas l'élan de bonté qui avait poussé Alice vers des camarades moins favorisées.

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Elle se promit de faire payer cher cette invitation à celle qu'elle avait jusque-là considérée comme son esclave. Il y avait deux ou trois villes assez importantes à proximité de Saint-Clair. A la grande joie de Gladys, Mme O’Sullivan choisit celle où Eddy avait sa chambre. « Mon frère habite ici, dit-elle quand la voiture s'engagea dans les faubourgs. J'aimerais bien le voir. — Qu'il vienne dîner avec nous », proposa la mère d'Alice. Gladys secoua la tête. « Oh non, merci! Ce serait vraiment abuser de votre bonté. Mais si vous le permettez, j'irai chez lui après le dîner. Sa chambre n'est pas très loin du restaurant*. Il serait content de me voir. — Comme vous voudrez », répondit la mère d'Alice. Après un excellent repas, Gladys exécuta son projet. Claudine avait beaucoup de succès auprès des parents 94

d'Alice. La nièce de Mam'zelle était très bien élevée, elle était vive, amusante, et se réjouissait de cette escapade imprévue. Elle inspirait la sympathie. « Alice, je voudrais que cette petite Française soit ton amie au lieu d'Angela, dit sa mère. Elle est si gentille! Tu ne l'aimes pas? — Si, maman, répondit Alice. Elle est très différente de nous. Elle n'a absolument aucun sens de la discipline, mais elle est sincère, bonne et spirituelle. — Voici Gladys qui revient, dit la mère d'Alice. Elle aime sûrement beaucoup son frère. Elle rayonne de joie. » Gladys en effet était heureuse. Sa visite avait été pour Eddy une bonne surprise. Elle eut pour Alice et Claudine un amical sourire. Quel agréable souvenir elle garderait de cette fête de mi-trimestre!

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CHAPITRE XIII LES BOULES PUANTES DE PATRICIA les plaisirs de la mi-trimestre, les élèves trouvèrent la vie monotone. Les cours étaient ennuyeux, le temps trop chaud, les grandes vacances encore très lointaines. « Pat! Margaret! N'avez-vous pas une farce à faire? demanda Bobbie en bâillant. Je le voudrais bien. Sinon je mourrais d'ennui cette semaine ! — Mon cousin m'a donné une attrape, répondit Pat en riant. Mais rappelle-toi que nous sommes en quatrième. — Allons-donc! s'écria Doris. Pourquoi ne rirait-on pas un peu en quatrième. De quoi s'agit-il? — Je vais vous montrer », dit Pat. APRÈS

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Elle monta au dortoir, fourragea dans un de ses tiroirs et redescendit avec une boîte. Les autres se rassemblèrent autour d'elle. La boîte contenait des petites boules de verre pleines de liquide. « Qu'est-ce que c'est que ça? demanda Margaret. — Des boules puantes, répondit Pat. C'est le nom que leur donne mon cousin. Quand on en casse une, le liquide coule, se dessèche aussitôt, mais laisse derrière lui une odeur épouvantable. - Qu'est-ce que cela sent? demanda Doris vivement intéressée. — L'œuf pourri, expliqua Pat. Mon cousin a cassé une de ces boules chez nous dans le salon, un jour où toute la famille était réunie. Une minute plus tard la pièce était vide! Tout le monde s'était enfui. Vous ne pouvez pas imaginer comme cela sent mauvais !» Bobbie se mit à rire. « Lançons-en une demain pendant le cours de français, proposat-elle. Mam'zelle nous fera traduire des pages et des pages de cette pièce qui est si ennuyeuse. Ce serait une belle occasion! C'est toi qui le feras, Pat, ou moi? — Prenons chacune une boule, proposa Pat. Si la mienne ne fait pas d'effet, cela arrive parfois, paraît-il, tu lanceras la tienne. » Quel plaisir en perspective! Toutes les élèves étaient en effervescence, sauf Gladys. Les autres l'avaient laissée en dehors du complot, de peur qu'elle n'avertît sa mère. Gladys s'étonnait de voir ses compagnes se taire quand elle s'approchait, ou changer brusquement de conversation. Sans doute disait-on du mal d'elle! « Si elles continuent, je les dénoncerai à maman qui leur donnera des tas de bas à raccommoder », se promit Gladys. Le lendemain, Pat et Bobbie arrivèrent en classe avec

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« Cela va peut-être passer, dit Mam'zelle. Ouvrez la porte, Pat, pour faire un courant d'air. » 98

les petites boules dans leur poche. Le cours de français précédait la récréation. « C'est heureux, avait dit Pat. Si l'odeur s'attardait trop longtemps, Miss Ellis pourrait la sentir et je parie qu'elle flairerait anguille sous roche. — Elle flairerait plus que cela, répliqua Bobbie en riant. — Nous ouvrirons toutes les fenêtres et toutes les portes pour changer l'air pendant la récréation, conseilla Pat. Quand Miss Ellis viendra faire le cours de mathématiques, elle ne se doutera de rien. » Mam'zelle entra. Les élèves se levèrent. Elle leur sourit. « Asseyez-vous. Nous allons continuer à lire la pièce que nous avons commencée. Je vais distribuer les rôles. Vous, Margaret, vous ferez celui de la vieille servante. Vous, Alice... » Les enfants ouvrirent leur livre en s'efforçant de ne pas rire. Un tour joué par Pat ou Bobbie était toujours très amusant. Elles se rappelaient ceux des années précédentes. Ce serait une excellente diversion pendant le cours de français. « Pat, voulez-vous commencer? » dit aimablement Mam'zelle. Elle aimait beaucoup la quatrième division. Des élèves si studieuses! Et la chère petite Claudine était là aussi, la tête penchée sur son livre, sage comme une image ! Pat se mit à lire en français. Elle glissa la main dans sa poche. Ses amies qui étaient derrière elle la virent et essayèrent de réprimer leur gaieté. C'était l'ennui des farces... on avait toujours envie de rire trop tôt. Doris poussa une petite exclamation. Mam'zelle surprise leva la tête. Doris eut une petite toux et ce fut Miranda qui s'esclaffa. Mam'zelle la foudroya du regard. « C'est si drôle que la pauvre Doris ait une quinte de toux? » Miranda rit de plus belle. De toutes parts on l'imita.

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Pat se retourna, les sourcils froncés. Il ne fallait pas laisser soupçonner à Mam'zelle qu'on s'apprêtait à lui jouer un tour. Ses camarades comprirent l'avertissement et devinrent aussi sérieuses qu'elles le purent. Le cours continua. Pat sortit la petite boule de verre de sa poche et la cogna contre le pied de son banc. Le verre mince se cassa aussitôt, le liquide coula en s'évaporant presque immédiatement au contact de l'air. Les menus fragments du verre tombèrent sans bruit sur le sol. Au bout de quelques secondes, une odeur étrange se répandit. Boris toussa. Alice renifla et s'écria : « Pouah! » C'était horrible, cela sentait l'œuf pourri, le rat mort, la viande gâtée... tout ce que l'on peut imaginer de plus affreux. Mam'zelle d'abord ne remarqua rien. Étonnée d'entendre tousser, elle leva la tête et vit sur les visages une expression de dégoût mêlée à l'envie de rire. « Qu'y a-t-il? demanda-t-elle d'un ton soupçonneux. Pourquoi ces grimaces? Alice, cessez de crier : « Pouah! » Pat, pourquoi avezvous l'air si dégoûtée? — Mam'zelle, vous ne sentez pas? demanda Pat. — Sentir quoi? » répliqua Mam'zelle exaspérée. L'odeur n'était pas encore arrivée jusqu'à elle. « Oh! Mam'zelle... cette odeur! » s'exclamèrent une demidouzaine d'élèves. Mam'zelle était perplexe et irritée. Elle renifla et Doris éclata de rire. « Je ne sens rien, dit-elle. Vous voulez simplement interrompre le cours... Cessez de renifler, Patricia. Si vous faites « pouah » une fois de plus, Alice, je vous mets à la porte! Doris, ne prenez pas cet air de canard mourant! — Tante Mathilde, c'est abominable! lança Claudine qui semblait prête à s'évanouir. — Claudine, toi aussi! cria Mam'zelle qui, en haut de

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son estrade, n'avait encore rien senti. Mesdemoiselles, si vous vous plaignez encore d'une mauvaise odeur, j'irai chercher Mme Theobald qui en jugera elle-même. C'est une comédie pour ne pas travailler. Vous êtes des paresseuses! » La menace fit son effet. Mme Theobald sentirait la mauvaise odeur dès qu'elle serait entrée dans la salle et les punitions pleuvraient. Les élèves échangèrent des regards consternés. Elles portèrent leur mouchoir à leur nez et s'efforcèrent de ne pas respirer. Mam'zelle se mit à lire tout haut. Au bout de quelques lignes, elle s'arrêta. Elle aussi sentait quelque chose. Elle renifla prudemment. Les élèves avaientelles raison? Allons donc! Les mauvaises odeurs n'envahissent pas brusquement une salle de classe. Mam'zelle continua à lire. La puanteur se répandit autour d'elle. Mam'zelle la sentait maintenant. Elle cessa de lire et renifla. Oui, le doute n'était pas permis, une horrible odeur avait envahi la salle. Les pauvres élèves l'avaient sentie les premières et elle les avait accusées de mensonge ! Mam'zelle toussa. Les élevés, partagées entre le dégoût et le désir de rire, fourraient leur mouchoir dans leur bouche et poussaient des exclamations. « Mes enfants, dit Mam'zelle d'une voix étranglée, vous ne vous trompiez pas! Il y a une odeur épouvantable. Qu'est-ce que ça peut bien être? — Un rat mort sous les lames du parquet? » suggéra Doris en écartant son mouchoir de son nez. Mam'zelle poussa un petit cri. Les rats, morts ou vivants, lui donnaient le frisson. « Peut-être qu'un tuyau d'égout s'est percé devant la fenêtre, dit Pat d'une voix étouffée. Je vais voir. » Elle s'approcha de la fenêtre ouverte et se pencha pour respirer l'air pur. Deux ou trois autres, jugeant que c'était là une excellente idée, la rejoignirent.

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« Cela va peut-être passer, dit Mam'zelle. Ouvrez la porte, Pat, pour faire un courant d'air. » Pat obéit. C'était un tour amusant, mais qui avait ses inconvénients. Le courant d'air fit refluer la puanteur vers la chaire de Mam'zelle. Le professeur de français poussa une exclamation. « Mais c'est horrible! Nous serons toutes malades! Prenez vite vos livres, nous finirons le cours dans le jardin. Je vais avertir Mme Theobald. Elle fera soulever les lames du parquet pour voir s'il y a un rat mort en dessous. » Bientôt les élèves étaient assises sous les arbres du jardin et riaient tout bas au souvenir de ce bon tour. Le cours n'était plus ennuyeux, les boules puantes avaient réussi au-delà de toute espérance. Mam'zelle tint parole et alla avertir la directrice. « Madame Theobald, il y a une odeur épouvantable en quatrième, dit-elle. Cela sent le rat mort, les œufs pourris, les égouts. L'odeur est entrée dans notre classe pendant le cours de français. Nous avons été obligées de sortir dans le jardin. Nous avons perdu beaucoup de temps. » Mme Theobald fut très surprise. C'était la première fois de sa vie qu'une chose pareille arrivait. « Je vais me rendre compte, dit-elle à Mam'zelle. S'il s'agit d'un rat mort ou d'un tuyau d'égout percé, on fera le nécessaire cet aprèsmidi. » Mais au grand étonnement de Mam'zelle et de Mme Theobald aucune trace d'odeur ne restait dans la salle. Elles firent le tour de la classe sans résultat. « C'est extraordinaire, dit Mme Theobald. Vous êtes sûre, Mam'zelle, de ne pas vous être trompée? » Mam'zelle fut indignée. Quoi? La directrice doutait de sa parole! Mam'zelle décrivit de nouveau l'odeur qui devenait de plus en plus écœurante. Mme Theobald dissimula un sourire.

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Elle connaissait les exagérations du professeur de français. « Je ne vais rien faire aujourd'hui, dit-elle. L'odeur ne reviendra peut-être pas. Dans le cas contraire, Mam'zelle, veuillez avoir l'obligeance de m'avertir pour que je sente cette odeur avant qu'elle ne s'évapore! — Oui, madame Theobald », promit Mam'zelle. Elle se rendit dans le salon des professeurs pour raconter son aventure à qui voulait l'entendre. Les autres professeurs l'écoutèrent avec étonnement. Une seule, Miss Roberts, qui enseignait en première division, resta sceptique. Miss Roberts connaissait par expérience les farces de Pat, de Margaret et de Bobbie. Un soupçon traversa son esprit. « Voyons, dit-elle pensivement. Patricia est en quatrième, n'estce pas? — Oui, répondit Mam'zelle. Quel rapport avec cette horrible odeur? — Aucun peut-être, dit Miss Roberts. Mais à votre place, Mam'zelle, en cas de récidive j'irais tout de suite chercher Mme Theobald. Je crois qu'elle pourra trouver la cause sans faire soulever les lames du parquet ou examiner les tuyaux d'égout. — Bien sûr, j'aurais recours immédiatement à la directrice », répliqua Mam'zelle drapée dans sa dignité. C'est ce qu'elle fit au moment voulu!

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CHAPITRE XIV MISS ELLIS JOUE UNTOUR DE SA FAÇON élèves se félicitaient du succès des boules puantes de Pat. Chaque fois que Gladys s'absentait, elles riaient du dégoût et de l'étonnement de Mam'zelle. « Tout de même, je crois qu'il vaut mieux s'en tenir là, déclara Pat. J'ai l'impression que la deuxième fois serait un fiasco. Mam'zelle ne se laisserait pas tromper de nouveau. — Si tu recommençais, je serais malade et obligée de sortir, annonça Claudine. Jamais je n'ai rien senti d'aussi répugnant. — Nous ne recommencerons pas, promit Pat. Mais j'ai une idée: nous ferons semblant de sentir une mauvaise odeur. LES

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Mam'zelle reniflera de toutes ses forces et nous mourrons de rire. — Bravo! s'écria Margaret. Doris, tu te plaindras de l'odeur demain pendant le cours de grammaire française. » Doris acquiesça. Elle savait très bien jouer la comédie. Le lendemain, quand Mam'zelle eut pris place sur son estrade, Doris se mit à l'œuvre. La salle était embaumée, car Alice, chargée des fleurs cette semaine-là, avait rempli un grand vase d'œillets rosés au parfum pénétrant. Doris se mit à renifler. D'abord à petits coups, puis très fort. « Doris, vous êtes enrhumée? demanda Mam'zelle impatientée. Vous avez oublié votre mouchoir? Vous êtes étourdie comme une élève de première division ! — J'ai un mouchoir, Mam'zelle », répondit humblement Doris en le sortant de sa poche. Puis Margaret l'imita. Elle fronça le nez et regarda autour d'elle. Bobbie toussa. Mam'zelle fit les gros yeux. Qu'avaient donc les élèves? Pat se, mit à renifler et sortit aussi son mouchoir. Bientôt toute la classe, à l'exception de Gladys, qui n'était pas dans le secret, reniflait comme s'il y avait une épidémie de coryza. Mam'zelle fut exaspérée. « Qu'est-ce que cela signifie? » Doris prit une expression de dégoût. Mam'zelle s'en aperçut et une idée alarmante lui vint. Etait-ce de nouveau cette puanteur ? « Doris, qu'avez-vous? demanda-t-elle. — Je sens quelque chose, murmura Doris. Une odeur très forte par ici. Vous ne sentez rien, Mam'zelle? » Mam'zelle ne sentait rien et- pour cause, mais elle se rappela que l'avant-veille, au début, elle avait cru à un mensonge. Elle regarda anxieusement ses élèves qui toutes semblaient incommodées. « Je vais immédiatement prévenir la directrice », dit le professeur qui se leva et sortit.

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« Flûte! s'écria Bobbie. Je ne croyais pas qu'elle dérangerait Mme Theobald! Elle est partie si vite que nous n'avons pas eu le temps de la retenir! » Malheureusement pour Mam'zelle, la directrice était sortie. Quelle contrariété! La mauvaise odeur revenait et Mme Theobald n'était pas là pour se rendre compte que Mam'zelle n'avait pas exagéré. En retournant auprès de ses élèves, la vieille demoiselle ouvrit la porte du salon des professeurs. Miss Ellis y corrigeait des cahiers. « Miss Ellis, j'ai le regret de vous dire que cette horrible odeur est revenue, déclara Mam'zelle. C'est abominable! Je ne crois pas que vous pourrez faire votre cours dans la classe tout à l'heure! » Cela dit, elle retourna en quatrième. Elle s'attendait à être accueillie par des effluves nauséabonds, mais non. Quelle chose étrange ! « Mme Theobald est sortie, annonça Mam'zelle. Elle ne sentira pas la mauvaise odeur. J'avoue que je ne la sens pas non plus. » En apprenant que la directrice était absente, les élèves poussèrent un soupir de soulagement. « Ne vous tourmentez pas, Mam'zelle, dit Doris en se levant. Nous savons maintenant ce que c'était que cette odeur, très différente de la dernière fois. Elle venait simplement des œillets ! » Doris prit le grand vase et le plaça sous le nez de Mam'zelle. Celle-ci ne huma qu'un parfum délicieux. « C'est donc ça! s'écria-t-elle. Les œillets! Heureusement Mme Theobald n'était pas chez elle. Elle se serait dérangée pour rien ! » II y eut quelques rires étouffés. Soudain la porte s'ouvrit et le silence régna aussitôt dans la classe. Les élèves levèrent la tête, craignant de voir entrer Mme Theobald. Mais ce n'était pas la directrice; c'était Miss Ellis, curieuse

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de cette odeur qui bouleversait tant Mam'zelle. Elle resta sur le seuil de la porte et renifla. « Je ne sens rien, Mam'zelle », dit-elle avec surprise. Mam'zelle se hâta d'expliquer. « Je n'ai rien senti non plus, Miss Ellis. C'était le parfum des œillets qui incommodait les élèves. Doris vient de me l'apprendre. » Mill Ellis fut surprise et incrédule. « Je ne comprends pas qu'on puisse prendre le parfum d’œillets pour la puanteur que vous m'avez décrite, dit-elle. Cette mauvaise odeur m'inspire des doutes! » Elle promena un regard sévère autour d'elle et sortit. Mam'zelle fut profondément offusquée par cette attitude. N'étaitelle pas un témoin digne de foi? Le reste du cours fut consacré à

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discuter les odeurs passées, présentes et futures, à la grande joie des élèves.

Après la récréation venait le cours de géographie. Miss Ellis entra dans la salle, l'air sévère. « Je tiens à vous avertir, déclara-t-elle. Toute allusion à des odeurs bonnes ou mauvaises me prouvera que vous désirez un peu de travail supplémentaire. » On savait ce que cela signifiait. « Un peu de travail supplémentaire » c'était, dans le langage de Miss Ellis, deux bonnes heures d'étude en plus des devoirs et des leçons habituels. Les élèves prirent immédiatement la résolution de se tenir coites. Mais dix minutes plus tard, ce fut le désastre. Bobbie avait oublié dans sa poche sa boule puante inutilisée. Elle s'assit dessus après avoir récité sa leçon; le verre mince se brisa. En quelques secondes, l'odeur nauséabonde se répandit dans la classe. Doris la sentit. Margaret aussi. Bobbie plongea immédiatement la main dans sa poche, constata l'accident et cligna de l'œil pour avertir ses compagnes. Miss Ellis, qui surprit ce signal, ne fut pas étonnée quand la puanteur atteignit ses narines. Elle prit aussitôt une décision. Évidemment l'incident de l'avantveille se renouvelait. C'était tout à fait différent de l'histoire stupide du parfum des œillets rosés qui, à en croire Doris, avait incommodé les élèves. « Cette odeur affreuse est bien réelle, pensa Miss Ellis. A en juger d'après l'agitation de Bobbie, elle n'a pas été provoquée de bon gré. Ces petites farces ne se font pas pendant mon cours. Eh bien, moi je vais jouer un tour de ma façon. » Avec calme, Miss Ellis écrivit quelques phrases sur le tableau noir. Puis elle sortit en fermant la porte derrière elle. Les élèves regardèrent le tableau. Page 72. Répondez aux questions posées. Page 73. Lisez les deux premiers paragraphes et résumez-les. Page 74. Reproduisez la carte de géographie. 108

« Ça alors! s'écria Doris. Miss Ellis est partie et nous nous sommes obligées de rester. Bobbie, maladroite, pour-; quoi as-tu cassé cette boule puante? — Je ne l'ai pas fait exprès, répondit Bobbie d'un ton contrit. Je me suis assise dessus. J'avais oublié qu'elle était dans ma poche. C'est horrible. Miss Ellis a trouvé un bon moyen pour nous punir. Nous n'avons plus qu'à travailler. — Je ne peux pas rester, annonça Claudine. J'ai trop mal au cœur. Je m'en vais. » Elle sortit et passa devant Miss Ellis dans le corridor. Elle était si pâle que le professeur ne la retint pas. Claudine faisait toujours ce qu'elle voulait. Les autres n'osèrent pas l'imiter. Elles ne bougèrent pas de leur place, le mouchoir sur le nez, gémissant, mais travaillant de leur mieux. A la fin de l'heure, alors que l'odeur s'était un peu dissipée, Miss Ellis ouvrit la porte. « Vous pouvez faire un tour de jardin, dit-elle. Bobbie j'ai à vous parler! » Bobbie resta, tandis que les autres allaient respirer avec joie l'air pur. « C'est à cause de moi que cette horrible odeur s'est répandue dans la classe », déclara aussitôt Bobbie. Avec Miss Ellis mieux valait aller droit au but. D'ailleurs Bobbie rie mentait jamais! « Mais c'était un accident, Miss Ellis. Je vous en prie, croyez-le! — Je le crois, répliqua Miss Ellis. Mais c'est un accident qui ne se reproduira pas. Vous avez toutes été punies. Dites à vos compagnes que la prochaine fois vous ne vous en tirerez pas si facilement! »

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CHAPITRE XV UN ANNIVERSAIRE ET UNE EXCELLENTE IDÉE bel été! dit Isabelle à Pat. Pas un seul jour de pluie. Mais qu'il fait chaud! Dommage que nous ne puissions pas avoir nos cours dans la piscine! — Les nuits sont fraîches, fit remarquer Boris. J'aimerais dormir toute la journée et travailler la nuit. - A une heure du matin, je me suis réveillée et je me suis approchée de la fenêtre, ajouta Henriette. Il faisait un clair de lune QUEL

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magnifique! Vous ne pouvez pas vous imaginer comme la campagne était belle! J'ai pensé que ce serait bien agréable de faire un piquenique dans le jardin! - Un pique-nique dans le jardin au clair de lune! répéta Pat. Quelle idée géniale! Il faut organiser cela! — Ce serait formidable! approuvèrent les autres. — Oh oui! s'écria Henriette. Mais maintenant que nous sommes en quatrième, est-ce possible? — Henriette, ne prends pas tes grands airs vertueux! protesta Margaret. — Je ne prends pas d'airs vertueux! affirma Henriette indignée. Oublions que nous sommes en quatrième. Faisons un réveillon dans le jardin, près de la piscine. Prenons un bain au clair de lune! — De mieux en mieux! dit Pat. C'est entendu! Attendons la pleine lune. C'est après-demain. La piscine sera brillamment éclairée. Nous nous amuserons bien. — Après-demain c'est mon anniversaire, intervint Miranda. Nous le célébrerons en même temps ! — Bien, reprit Pat. Faisons vite nos plans parce que nous n'avons pas beaucoup de temps. Suzanne, ajouta-t-elle en se tournant vers le chef de classe, tu viendras, n'est-ce pas? » Suzanne acquiesça, d'un signe de tête. Elle était sérieuse et travailleuse, mais elle aimait bien s'amuser et ne voyait aucun empêchement à célébrer un anniversaire au clair de lune. « J'irai en ville aujourd'hui avec Pat, nous achèterons ce qu'il faudra, déclara-t-elle. Nous laisserons nos emplettes chez le pâtissier et l'épicier et nous les prendrons peu à peu. Personne ne soupçonnera rien. Nous rentrerons tranquillement au collège avec des petits paquets. — Faut-il avertir Gladys? demanda Pat. — Bien sûr que non! répliqua Bobbie. Elle irait tout de suite le dire à sa mère ! Nous serions punies. — C'est dommage de laisser Gladys à l'écart, fit remarquer Pat. Mais nous ne pouvons pas risquer une dénonciation. Ces réveillons sont si amusants ! » 111

Miranda se réjouissait que son anniversaire tombât ce jour-là! Elle fit maints projets avec son amie Ellen.

« J'apporterai mon gâteau d'anniversaire, dit-elle. Je le garderai jusqu'à cette nuit-là. Maman a promis de m'envoyer seize bougies. Nous les allumerons au clair de lune ! » Gladys était habituée à ne pas participer aux discussions. Quand les autres chuchotaient entre elles et s'interrompaient à son arrivée, elle savait qu'elles préparaient quelque farce. Elle n'essayait plus de deviner ce que c'était. « Peu m'importe leurs tours stupides! pensait-elle. Qu'elles fassent ce qu'elles veulent! » Le nouveau secret la laissa donc indifférente. Elle vaquait à ses occupations, pâle et malheureuse; elle souriait rarement, se tenait à l'écart et n'essayait pas de se lier avec ses compagnes. Depuis le dîner de la mi-trimestre, elle épargnait à Alice les corvées de raccommodage, mais celle-ci faisait les reprises d'Angela qui, d'ailleurs, ne prenait même pas la peine de la remercier. L'anniversaire de Miranda arriva. Comme d'habitude, ses camarades lui firent des cadeaux. Certaines, qui n'étaient pas très riches, lui donnèrent des petits objets sans valeur, d'autres, au contraire, achetèrent des présents somptueux. Angela lui offrit un album de musique relié qui avait coûté une somme folle. Miranda en fut confuse. « Tu n'aurais pas dû tant dépenser! — Pourquoi pas? demanda Angela. Mon grand-père m'a envoyé un gros mandat la semaine dernière. A quoi bon avoir de l'argent si on n'en profite pas? » Pour ne pas être en reste, Pauline donna à Miranda un portemusique en cuir. Miranda fut étonnée. Ce n'était pas l'habitude de faire de si beaux cadeaux! Elle ne savait même pas que Pauline avait remarqué que son porte-musique était en piteux état. « Pauline, que c'est beau! s'écria Miranda rouge de surprise et de joie. Mais tu n'aurais pas dû! J'ai déjà grondé 112

Angela et voilà que tu m'offres un objet encore plus cher! Je ne sais comment te remercier. - Si Angela peut le faire, pourquoi pas moi? » riposta Pauline d'un ton sec. Tout le plaisir de Miranda en fut gâché. Pauline cherchait seulement à éclipser Angela; l'affection n'était pour rien dans son cadeau. Claudine donna à Miranda un très joli sac. Elle avait pourtant très peu d'argent et ne s'en cachait pas. Miranda en fut donc très touchée. « Merci, Claudine, dit-elle. Ce sac est ravissant. Mais il n'est pas en rapport avec ta bourse. Je sais que tes parents ne t'envoient pas beaucoup de mandats. » Mais Claudine était très riche cette semaine-là. Elle acheta quatre kilos de cerises pour le réveillon et les cerises coûtaient cher. « Quand j'ai un peu d'argent, j'aime le dépenser, déclara-t-elle. C'est très amusant. Je voudrais en avoir toujours. Ça doit être agréable d'être comme Angela et de pouvoir s'offrir toutes ses fantaisies. - Oui, mais même sans argent, on peut avoir beaucoup de joies, fit remarquer Ellen. Maman et moi, nous économisons depuis le début de l'année pour nos vacances et nous serons beaucoup plus heureuses qu'Angela qui fera des voyages plus coûteux. Je ne crois pas que l'argent fasse le bonheur. — Tu as raison, approuva Isabelle. Mais j'aurais bien voulu que nous puissions acheter davantage pour notre réveillon, Pat et moi. La semaine dernière, c'était la fête de notre grand-mère. Nous lui avons donné une jolie écharpe mauve qui nous a coûté très cher. Nous ne pouvons donc pas t'offrir grand-chose, Miranda, seulement deux dessins au fusain.

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— C'est très gentil de votre part, dit Miranda qui n'estimait pas un cadeau à sa valeur marchande. Toutes vous m'avez comblée. Chacune de vous m'a fait un cadeau. »

Même Gladys qui s'était excusée de ne pas donner davantage. « Ce n'est qu'un petit mouchoir, dit-elle à Miranda. Il n'est même pas très beau, mais je te demande de l'accepter, Miranda, avec mes meilleurs souhaits. Je ne voulais pas être la seule à ne rien te donner. Tu sais que je n'ai pas beaucoup d'argent de poche. C'est bientôt la fête d'Eddy et je veux lui faire un petit cadeau. » Toutes savaient que Gladys était l'élève la plus pauvre du collège. Sa mère ne lui donnait presque rien. Certainement Mme 114

Paterson travaillait pour gagner sa vie, mais elle ne se rendait pas compte que Gladys, qui avait maintenant seize ans, souffrait de ne pas être comme les autres. « Je regrette que nous ne puissions pas inviter Gladys à notre réveillon », dit Miranda. Elle n'était pas très sentimentale et n'avait d'affection réelle que pour son amie Ellen, mais elle avait été touchée par le petit cadeau de Gladys et son aveu sincère. « C'est impossible, déclara Pat. Elle nous dénoncerait. C'est une rapporteuse. » Tout était prêt pour le réveillon au clair de lune. Le ciel était très bleu ce soir-là quand la cloche du coucher sonna. En cette saison, la nuit tombait très tard. « Nous y verrons comme en plein jour, je crois, dit Bobbie en regardant par la fenêtre. Le clair de lune sera merveilleux. Qu'il fait chaud! Ce sera agréable de se baigner à minuit! » Par bonheur, Gladys n'avait pas le sommeil léger. Une fois qu'elle était endormie, rien ne pouvait la réveiller. Le matin elle n'entendait même pas la cloche et n'ouvrait les yeux que lorsque ses camarades l'avaient secouée. On n'avait donc pas à craindre de surprise. Certaines élèves s'assoupirent, mais seules Gladys et Miranda dormaient à poings fermés. Les autres s'agitaient dans leur lit. Quand l'horloge sonna la demie de onze heures, il n'y eut que Miranda à réveiller. Gladys couchait près de la porte d'un des dortoirs. Les élèves passèrent devant elle sur la pointe des pieds. Depuis quelques jours elle était pâle et fatiguée et maintenant elle dormait profondément. Les élèves avaient mis leur costume de bain sous leur robe de chambre et s'étaient chaussées de pantoufles. Sans faire aucun bruit, elles parcoururent le corridor, descendirent l'escalier et arrivèrent au grand placard où elles avaient caché leurs provisions. Avec des chuchotements et des rires étouffés, elles prirent les paquets et ouvrirent la porte sans faire grincer la serrure. Elles la laissèrent entrebâillée pour pouvoir rentrer facilement. Comme il n'y avait pas de vent, elle ne se fermerait pas toute seule.

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Marchant à l'ombre des arbres, le petit cortège se dirigea vers la piscine. L'eau brillait au clair de lune. Une lumière argentée se répandait sur le parc. On y voyait presque autant qu'en plein jour, seules les couleurs étaient atténuées.

« II ne faudra pas parler trop fort, recommanda Pat. Par une nuit si calme, on entendrait de loin nos voix. J'espère que personne ne nous entendra quand nous plongerons. Baignons-nous avant de manger. Il fait si chaud! » Une à une, les robes de chambre tombèrent sur le sol et une à une les élèves plongèrent. Toutes, sauf Claudine qui avait gardé sa chemise de nuit sous sa robe de chambre. Le réveillon en plein air plaisait à la petite Française, mais elle pensait que l'eau ne devait pas être chaude à cette heure-là. S'y jeter pour punir une femme malveillante, oui, mais par plaisir, non! Debout au bord de la piscine, elle regardait s'ébattre ses amies. Soudain elle tourna la tête et aperçut une silhouette qui se glissait en silence entre les arbres. Qui était-ce?

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CHAPITRE XVI CLAUDINE JOUE UN BON TOUR A MADAME PATERSON de pantoufles, Claudine se mit à courir pour vérifier qui était dans le parc, en plus des élèves de quatrième division. C'était Gladys! Gladys que l'on croyait endormie dans son lit! CHAUSSÉE

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a La petite espionne! pensa Claudine. Elle vient nous épier, puis elle ira raconter ce que nous faisons à sa mère! Je vais la suivre ! » Mais Gladys disparut mystérieusement. Ne sachant où elle était passée, Claudine retourna à la piscine et faillit tomber dedans tant elle était pressée de raconter aux autres ce qu'elle avait vu. « Quel ennui! s'écria Bobbie en sortant de l'eau. Cette

rapporteuse ira tout droit à Mme Paterson et, avant que nous ayons eu le temps de manger une bouchée, nous serons accablées de punitions et renvoyées au lit. — Nous allons retourner au collège, Claudine et moi, décida Pat. Nous verrons ce qui s'y passe. Je sais où couche Mme Paterson. Je me posterai devant sa porte et j'attendrai jusqu'à ce que je sache si Gladys a parlé ou non. — C'est bien, approuva Bobbie. Dépêchez-vous toutes les deux. Et revenez vite nous avertir si vous entendez Mme Paterson se lever et s'habiller. Il ne faut pas qu'on nous surprenne. Quel dommage si nous ne pouvions pas faire notre réveillon au clair de lune! Je parie que Mme Paterson confisquerait le beau gâteau de Miranda! » Pat et Claudine retournèrent donc au collège. Elles ne virent pas Gladys. Elles entrèrent par la porte qu'elles avaient laissée entrouverte et montèrent l'escalier pour gagner le corridor sur lequel donnait la chambre de l'infirmière. Elles s'arrêtèrent devant la porte et tendirent l'oreille. Rien ne bougeait à l'intérieur. Ni la voix de Gladys ni celle de sa mère ne résonnaient. Mais elles n'entendirent pas la respiration régulière qui accompagne un profond sommeil. Les deux filles ne savaient que faire. Gladys avait-elle vu ses compagnes? Avait-elle l'intention de les dénoncer? Où était-elle? Soudain, Claudine, qui avait l'oreille fine, perçut un léger bruit. Le lit craquait. Mme Paterson était réveillée. Le lit craqua un peu plus fort, puis un pas traînant se fit entendre. « Elle enfile sa robe de chambre, chuchota Claudine à Pat. Elle noue sa cordelière. Pourquoi se lève-t-elle maintenant si Gladys ne lui a encore rien dit? » 118

Pat et Claudine se firent toutes petites dans un coin sombre. La porte s'ouvrait. La mince silhouette aux épaules étroites

fit son apparition. Mme Paterson avait son air le plus rébarbatif. Elle parcourut le corridor et se dirigea vers les dortoirs de quatrième. Claudine et Pat la suivirent de loin. Mme Paterson entra dans le dortoir où couchait sa fille. « Gladys! » chuchota-t-elle. Elle ne reçut pas de réponse. Alors elle tapota le lit et constata qu'il était vide. Une exclamation retentit. Mme Paterson appuya sur un commutateur. La lumière jaillit et lui montra qu'aucun lit n'était occupé. Elle entra dans le dortoir voisin et là aussi donna la lumière. Personne! « Où sont-elles? grommela l'infirmière irritée. Je ne tolérerai pas de pareilles escapades. Pourquoi Gladys ne m'a-t-elle pas avertie? Elle sait bien que c'est son devoir! » Pat et Claudine entendirent ces mots. Grande était leur stupéfaction. Gladys n'avait donc pas averti sa mère! Que faisait-elle? Où était-elle? En train de guetter les élèves de quatrième cachée derrière un arbre? En tout cas, Mme Paterson allait jouer le rôle de trouble-fête. Pat et Claudine eurent un élan de rancune contre cette femme acariâtre. Quel mal y avait-il à manger quelques gâteaux au clair de lune? Mme Theobald aurait probablement accordé la permission si on la lui avait demandée. Mais maintenant Mme Paterson se disposait à intervenir. Elle descendit l'escalier et arriva au placard où les élèves avaient enfermé leurs provisions. Elles avaient laissé la porte ouverte. Mme Paterson poussa une exclamation de colère et s'approcha pour la fermer. Ce fut alors que Claudine eut une idée géniale; mais oserait119

elle l'exécuter? Qu'en penserait Pat? Elle chuchota quelques mots à l'oreille de sa compagne; celle-ci se hâta de l'interrompre. « Je ne veux rien savoir, dit-elle. Fais ce que tu voudras, moi je ferme les yeux ! »

La même idée lui était venue, mais il fallait être Claudine pour la mettre à exécution. Mme Paterson eut la plus grande surprise de sa vie. Une main la poussa si violemment qu'elle pénétra malgré elle dans le placard au milieu des raquettes de tennis et des crosses de hockey. Puis la porte se referma, et la clef tourna dans la serrure. Mme Paterson était prisonnière! Claudine mit la clef dans la poche de sa robe de chambre. Riant à perdre haleine, les deux filles coururent à la piscine. Elles entendaient Mme Paterson qui frappait à coups redoublés le battant de la porte. Personne ne pouvait l'entendre, personne ne couchait de ce côté-là. « Nous voilà tranquilles! dit Claudine haletante. Quel bon tour nous avons joué à la mère de Gladys! » Tout de même Pat et elle n'avaient pas la conscience tranquille. Et qu'allaient penser Suzanne, le chef de classe, Henriette et les plus sérieuses des élèves de quatrième division? Elles jugeraient peut-être de leur devoir de délivrer la prisonnière! « Ne disons rien, chuchota Claudine. Nous annoncerons simplement que tout va bien, que Gladys n'a rien rapporté et que Mme Paterson ne nous dérangera pas. » Malgré ses scrupules, Pat acquiesça. Elles arrivèrent à la piscine et toutes les autres se rassemblèrent autour d'elles.

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« Tout va bien, déclara Claudine. Gladys n'a rien dit. Elle n'est pas de retour au collège. Quant à Mme Paterson, elle ne viendra pas faire le rabat-joie. — Quel bonheur! s'écrièrent les camarades. Si nous faisions notre réveillon? — Où est donc Gladys si elle n'est ni dans son lit ni avec sa mère? » demanda Bobbie étonnée. Personne ne le savait et personne ne s'en souciait. Gladys

pouvait bien faire tout ce qu'elle voulait à condition de les laisser tranquilles. Après leur bain, les élèves mouraient de faim. Elles s'assirent pour déguster les bonnes choses qu'elles avaient apportées. Il y avait des petits pains, du beurre, du pâté de foie, des boîtes de sardines, de la confiture d'orange, du chocolat, des cerises, des biscuits, le gros gâteau de Miranda, des bouteilles de limonade. Les bougies ne brillaient pas beaucoup au clair de lune, mais elles furent tout de même allumées. Assises au bord de la piscine, les élèves trempaient les pieds dans l'eau. Jamais elles ne s'étaient autant amusées! « Ce gâteau est formidable! dit Bobbie en mordant dans un morceau énorme. J'avais une faim de loup. S'il y a encore des sardines, j'en mangerai volontiers. Fais-m'en passer, Suzanne. » Claudine se régalait comme les autres. Tout en mangeant, elle pensait à Mme Paterson enfermée dans le placard et incapable de les punir. Elle savourait cette idée en même temps que le pâté de foie et les gâteaux. Un peu inquiète, Pat se demandait ce qui se passerait quand Mme Paterson serait remise en liberté. Le repas fut enfin terminé. Il ne restait plus une miette. Angela elle-même exprima sa satisfaction. Alice, qui avait laissé tomber sa robe de chambre dans l'eau se demandait comment elle pourrait la faire sécher sans la montrer à Mme Paterson. Miranda déclara que c'était le plus joyeux de ses seize anniversaires. 121

« Un vrai festin! s'écria Pat. Je crois qu'il faut rentrer. Ecoutez. L'horloge sonne une heure. Je commence à avoir sommeil. » Les autres l'approuvèrent. Elles rassemblèrent les boîtes, les sacs en papier, les bouteilles vides et les mirent dans

le coffre d'une cabine de bains. Elles les reprendraient au moment propice. « C'est tout, je crois, dit Suzanne en jetant un coup d'œil autour d'elle. Que l'eau est belle au clair de lune! Quel dommage de rentrer !» Mais il le fallait. Elles revinrent en chuchotant entre elles. La porte était toujours ouverte. Mais elles entendirent un bruit étrange. Pan pan pan pan ! « Qu'est-ce que c'est? demanda Suzanne. — Ouvrez-moi! » criait une voix assourdie, et quelqu'un frappait à coups redoublés contre le battant d'une porte. Alice et Angela furent terrifiées. « C'est un cambrioleur », fit Alice en gravissant quatre à quatre les marches qui menaient vers le dortoir. Angela la suivit, tremblant de tous ses membres. Claudine poussa ses compagnes vers l'escalier. « Ne vous arrêtez pas, chuchota-t-elle. Couchez-vous vite. Je vous expliquerai plus tard. » Quand elles furent en haut, les autres lui demandèrent ce que signifiaient ces bruits étranges. « C'est Mme Paterson, avoua Claudine. Elle est enfermée dans le placard ! — Qui l'a enfermée? demanda enfin Suzanne.

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— Moi, répliqua Claudine. Elle est entrée dans notre dortoir et a vu que nous n'étions pas là. Je ne voulais pas qu'elle gâche notre fête. Je l'ai poussée dans le placard et j'ai tourné la clef dans la serrure. Vous ne trouvez pas que j'ai bien fait? Pat n'est pour rien dans cette affaire, elle m'a simplement permis d'agir à mon gré. »

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Elles s'assirent pour déguster les bonnes choses qu'elles avaient apportées. 124

CHAPITRE XVII LA COLÈRE DE MADAME PATERSON une minute ou deux, personne ne dit mot. Les élèves n'en croyaient pas leurs oreilles. Enfermer l'infirmière dans un placard! La laisser là si longtemps! Et Pat qui avait fermé les yeux! Cette petite Française était capable de tout! Elle était folle. « Non, je ne suis pas folle, protesta Claudine qui devinait leurs pensées. C'était la seule solution. Elle aurait interrompu notre réveillon. Je pouvais l'en empêcher et je l'ai fait. — Mais Claudine, tu seras punie, dit enfin Margaret. — Tant pis! » répondit Claudine. Elle ne semblait pas avoir peur de la punition. Elle PENDANT

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n'éprouvait aucun regret. Ses camarades la regardaient avec ébahissement. Elles avaient peine à croire que Mme Paterson était prisonnière dans un placard. Puis une idée consternante vint à Bobbie. « Qui lui ouvrira? » Personne ne dit mot. Claudine elle-même envisageait sans plaisir l'idée de délivrer une femme en proie à une colère noire. Mais on ne pouvait pas la laisser dans le placard jusqu'au matin. « Où est la clef? » demanda Suzanne. Claudine la sortit de la poche de sa robe de chambre et la brandit. « C'est moi qui l'ai enfermée, c'est moi qui la libérerai, dit-elle enfin. Je tournerai la clef dans la serrure sans bruit, j'ouvrirai un peu' la porte, puis je me sauverai de toute la vitesse de mes jambes. » Les élèves ne purent s'empêcher de sourire en se représentant la scène. « Tu es vraiment impossible, Claudine, déclara Bobbie. Je me demande comment tu as osé enfermer Mme Paterson dans un placard? Et Pat qui t'a laissé faire! Pourquoi ne nous as-tu pas averties quand tu es revenue à la piscine? — Suzanne aurait senti de son devoir d'aller libérer Mme Paterson. Je n'ai donc rien dit. — Je n'ai jamais vu une fille comme toi, soupira Suzanne. Tu fais des choses affreuses avec les meilleures intentions du monde. Tu es capable de tout. — Et Mme Paterson? demanda Bobbie inquiète. Faut-il que ce soit Claudine qui lui ouvre ? — J'y vais », déclara Claudine. Elle se dirigea vers la porte avec beaucoup de dignité. Elle aimait ces moments dramatiques où elle jouait le premier rôle. Sans être vaniteuse, elle aimait se distinguer du commun des mortels.

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Elle sortit. Ses compagnes se couchèrent. Dans quelques minutes, Mme Paterson se précipiterait dans les dortoirs comme un taureau furieux. Mme Paterson appelait encore à l'aide. Claudine s'approcha de la porte, mit la clef dans le serrure, mais au moment de la tourner, elle entendit des pas dehors dans l'allée. Elle s élança dans l'escalier sans achever son geste. La personne qui entrait entendrait sûrement les cris de l'infirmière, la remettrait en liberté, et Claudine ne serait pas punie. Les pas s'approchèrent. Quelqu'un se glissa à l'intérieur. C'était Gladys. Elle s'immobilisa en entendant le vacarme. « C'est la voix de maman! pensa-t-elle stupéfaite. Que se passe-til? C'est impossible qu'elle soit dans ce placard! » Mais elle y était. Gladys s'en rendit bientôt compte. Elle tourna/ immédiatement la clef et ouvrit la porte. Mme Paterson sortit, folle de rage. Elle saisit Gladys par les épaules avant de l'avoir reconnue. Gladys poussa un cri de douleur. « Maman! C'est moi, Gladys! Comment étais-tu dans ce placard? — Toi! cria Mme Paterson en lâchant sa fille. Que fais-tu ici? D'où viens-tu? Comment oses-tu sortir la nuit? Dis-moi immédiatement ce que tu as fait? » Gladys ne répondit pas. Sa mère la secoua. « Tu es sortie avec les élèves de quatrième. Elles ne sont pas dans leur lit. Qu'as-tu fait? J'avertirai Mme Theobald. Pourquoi ne me dis-tu pas ce qui s'est passé? — Je ne peux rien dire, maman », répliqua Gladys d'une voix effrayée. Elle apprenait avec étonnement que ses camarades étaient sorties cette nuit-là. Elle n'avait pas remarqué que les lits étaient vides quand elle s'était esquivée elle-même. Les élèves près de la piscine parlaient tout bas et le bruit

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de leurs voix n'était pas arrivé à ses oreilles. Elle était sortie pour retrouver son frère Eddy dans le chemin et ne voulait pas l'avouer à sa mère. Elle n'osait plus le rencontrer en plein jour, de peur d'être vue par quelqu'un. Elle le voyait ainsi une fois par semaine au milieu de la nuit, alors que tout le monde dormait dans son dortoir. Personne ne le savait; pour rien au monde elle ne l'avouerait à sa mère sinon Eddy, lui aussi, aurait des ennuis. Qu'avaient fait les élèves de quatrième? C'était mesquin de leur part de sortir sans la prévenir! Elle devait laisser croire à sa mère qu'elle était avec ses compagnes. « Tu ne veux rien dire? reprit Mme Paterson d'une voix menaçante. Qui m'a enfermée ici? Tu n'aurais pas osé faire une chose pareille ? — Bien sûr que non, répliqua Gladys. J'ignore qui est la coupable. Peut-être Carlotta. Elle en serait bien capable. Je ne sais pas, je t'assure, maman. Je t'en prie, permets-moi d'aller nie coucher. » Mme Paterson était trop furieuse et trop humiliée pour s'en tenir là. Elle monta au dortoir de quatrième division et donna la lumière. Les élèves se blottirent sous leur drap. Mme Paterson parla d'une voix forte et irritée. « Inutile de faire semblant de dormir. Je sais que vous jouez la comédie. Je veux savoir qui m'a enfermée dans ce placard. J'exige de le savoir. L'élève sera renvoyée de Saint-Clair. » Suzanne s'assit sur son lit. « Nous sommes toutes à blâmer, 'dit-elle avec calme. Nous regrettons beaucoup, madame Paterson, et nous espérons que vous accepterez nos excuses. — Accepter vos excuses! Bien sûr que non! Ce serait trop facile! J'exige de savoir qui m'a enfermée! Sinon je me rends de ce pas chez Mme Theobald. » Claudine se redressa sur son lit, prête à parler. Elle

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n'avait pas peur. Mais Bobbie posa la main sur son bras et chuchota à son oreille : « Ne dis rien à Mme Paterson, elle réveillera aussi ta tante et fera des tas d'histoires. Inutile de déranger Mam'zelle. Tu avoueras demain à Mme Theobald si tu veux. — Bien, dit Claudine en se pelotonnant de nouveau dans son lit. Je t'obéis, Bobbie. » Mme Paterson promena un regard furieux dans le dortoir. Puis elle tapa du pied. « Je vais trouver Mme Theobald. Vous serez obligées d'expliquer ce que vous avez fait cette nuit. Je vous avertis : je n'aurai aucune indulgence pour celle qui ne veut pas faire des aveux tout de suite. Gladys, couche-toi. J'ai honte à l'idée que ma fille a pris part à cette escapade nocturne et refuse de parler. » Elle sortit. Toutes les élèves s'assirent sur leur lit. « Quelle furie! s'écria Bobbie. Dis-donc, Gladys, où étais-tu? Ta mère croit que tu te trouvais avec nous? — Oui, répondit Gladys à voix basse. Je vous en prie, ne me trahissez pas. J'avais rendez-vous avec mon frère Eddy. Pour ne pas l'avouer à maman, je lui ai laissé croire que j'étais avec vous. Je ne savais pas ce que vous avez fait, je n'ai donc pas pu le lui dire. Elle a été furieuse contre moi. Nous serons toutes punies. — Mme Theobald ne sera pas contente d'être réveillée en pleine nuit, fit remarquer Margaret en regardant sa montre. Il est une heure et demie. Essayons de dormir. Mais je suppose que Mme Theobald va arriver pour nous demander des explications. » Les élèves s'efforcèrent de suivre le conseil de Margaret. Miranda s'endormit la première et, l'une après l'autre, les autres l'imitèrent... excepté Gladys qui restait les yeux ouverts, inquiète et malheureuse. Tout allait de travers. Elle espérait que ses compagnes garderaient son secret. Qui sait? Gladys les avait fait si souvent punir depuis le début

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Claudine se redressa sur son lit, prête à parler. du trimestre! Elles profiteraient peut-être de cette occasion pour être quittes avec elle! Mme Paterson se dirigeait vers l'aile où habitait Mme Theobald. La directrice avait là son appartement. L'infirmière frappa à la porte de la chambre. « Entrez! » dit une voix surprise. Le déclic d'un commutateur se fit entendre. Mme Paterson ouvrit la porte. Mme Theobald était assise sur son lit, encore mal réveillée. « Qu'y a-t-il? demanda-telle anxieusement. Quelqu'un est malade? — Non, répondit Mme Paterson, violette de rage. C'est encore plus grave. — Mon Dieu! s'écria Mme Theobald en sautant du lit et en prenant sa robe de chambre. Vite, dites-moi ce qu'il y a. — Les élèves de quatrième division, déclara Mme Paterson d'une voix furieuse. Toutes ont quitté leur lit, toutes. Même ma fille Gladys. Qui sait ce qu'elles ont fait! » Mme Theobald poussa un soupir de soulagement et s'assit sur son lit. « Un réveillon, je suppose. J'avais peur de quelque chose de beaucoup plus inquiétant. Vous auriez pu attendre jusqu'à demain matin, madame Paterson! — Bien sûr que non! Ce n'est pas tout. Quelqu'un m'a enfermée dans le placard près de la porte du jardin. J'y suis restée près de deux heures ! » Mme Theobald regarda l'infirmière comme si elle n'en croyait pas ses oreilles. « Enfermée dans le placard? répéta-t-elle enfin. Je n'imagine pas une élève de quatrième faisant une chose pareille. — Vous ne savez pas ce qui se passe dans ce collège, répondit Mme Paterson. Pas la moitié. Gladys me raconte ce que font les élèves et vous seriez surprise si je vous le répétais.

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— Gardez-vous-en bien, protesta Mme Theobald. Je crois que vous avez tort d'encourager Gladys à rapporter. Je m'estime suffisamment renseignée. » Mme Theobald parlait d'une voix sévère. Mme Paterson fut irritée que la directrice n'attachât pas plus d'importance à sa mésaventure. « Gladys m'a délivrée, reprit-elle. Sans cela je serais peut-être restée toute la nuit dans le placard. C'est une honte qu'une chose pareille arrive à l'infirmière d'un collège comme celui-ci! Je suis montée immédiatement dans les dortoirs de quatrième. Toutes faisaient semblant de dormir. Les petites hypocrites! — Ne soyez pas si sévère, conseilla Mme Theobald que le ton de Mme Paterson surprenait. C'est la première fois que vous travaillez dans un pensionnat de filles, vous n'êtes pas habituée à leurs espiègleries qui, en général, ne sont pas bien méchantes. Qui vous a enfermée? — Elles refusent de le dire. Je veux que la coupable soit renvoyée, madame Theobald. Une fille capable d'un acte de ce genre ne peut qu'avoir une mauvaise influence sur les autres ! — J'imagine que toutes étaient complices, dit Mme Theobald. Je ne renverrai pas une élève pour une simple plaisanterie, madame Paterson. Je suis sûre que toute la classe a participé au complot. Vous ne pouvez pas me demander de les renvoyer toutes, n'est-ce pas? Vous êtes en colère maintenant; demain matin vous serez plus raisonnable. — Vous ne m'accompagnez pas dans le dortoir pour exiger le nom de la coupable? demanda Mme Paterson qui voyait avec étonnement Mme Theobald enlever sa robe de chambre et ses pantoufles. — J'espère que les enfants dorment, dit la directrice en se recouchant. Je ne vois aucune raison pour les réveiller. L'affaire peut attendre jusqu'au matin. »

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Mme Paterson ne put réprimer sa colère. Elle avait projeté un retour dramatique dans les dortoirs et le renvoi immédiat de la coupable. Elle mordit ses lèvres minces et eut un regard si hostile que Mme Theobald fut contrariée. « Je vous en prie, retirez-vous, dit-elle. Nous reprendrons cette conversation dans la matinée. » Mme Paterson fit un pas en avant. « Eh bien, je ne voulais pas vous le dire jusqu'à ce que j'aie découvert la voleuse, déclara-1-elle, mais une de vos chères élèves de quatrième est malhonnête. Il me manque de l'argent, des timbres, d'autres objets, par exemple du papier à lettres et des enveloppes. Si vous ne voulez pas m'aider dans mes recherches, je m'adresserai à la police! »

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CHAPITRE XVIII CLAUDINE SE DÉNONCE à ce moment-là éprouva une violente antipathie pour l'infirmière. Celle-ci prenait un plaisir évident à troubler son repos. « Tout cela peut attendre le matin, madame Paterson, déclara la directrice. Je me livrerai alors à une enquête minutieuse. Nous ne pouvons rien faire cette nuit. Dormez bien. » L'infirmière sortit de la chambre sans répondre. Elle n'avait pas eu l'intention de parler des vols dont elle était victime, car elle espérait découvrir elle-même la voleuse et la conduire en triomphe à Mme MADAME THEOBÀLD

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Theobald. C'était sans doute l'élève qui l'avait enfermée dans le placard. Il ne pouvait en être autrement. Les deux actes exigeaient le même genre d'audace. « Nous éclaircirons. peut-être le mystère demain, pensa-t-elle en se couchant. J'obligerai Gladys à dire ce qu'ont fait les élèves de quatrième. Je ne lui parlerai pas des vols de peur qu'elle n'avertisse ses compagnes et que la voleuse ne puisse être prise la main dans le sac. » Le matin, les élèves de quatrième se réveillèrent fatiguées et inquiètes. Mme Paterson avait-elle alerté Mme Theobald? Quelle serait la punition? Mme Paterson parut au petit déjeuner, plus rébarbative que jamais. Gladys avait les yeux rouges. Sa mère l'avait grondée et avait voulu savoir comment ses camarades avaient passé la nuit, mais Gladys s'était refusée à répondre. Pat lui avait fait la leçon. « Écoute, Gladys, nous ne t'avons pas invitée à notre fête la nuit dernière parce que nous avions peur que tu ne nous dénonces à ta mère comme cela est déjà arrivé. Pourtant nous sommes prêtes à conclure un marché avec toi. Nous ne dirons pas que tu n'étais pas avec nous — Mme Paterson continuera à l'imaginer — mais à ton tour, tu ne nous trahiras plus jamais. Si tu recommences, le marché sera automatiquement rompu et nous révélerons la vérité à ta mère. C'est la seule façon de t'apprendre que les rapporteuses sont toujours punies par où elles ont péché! » Pâle et malheureuse, Gladys avait acquiescé d'un signe. « Merci, dit-elle. Je ne veux pas que maman sache que je rencontre Eddy. Elle serait en colère contre lui. Je ne rapporterai plus. Je regrette de l'avoir lait, mais c'est si difficile de ne pas répondre aux questions de maman ! » Pat devinait que c'était la vérité : Gladys avait ses propres difficultés. Ce n'était cependant pas une raison pour rapporter. Ce matin-là Gladys avait montré de la volonté et n'avait

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pas répondu aux questions de sa mère. Celle-ci l'avait sévèrement grondée et l'avait menacée de l'enfermer dans sa chambre. « Claudine, dit Suzanne à voix basse après le déjeuner, si tu acceptes d'avouer à Mme Theobald que tu as enfermé Mme Paterson, fais-le immédiatement. Si tu ne veux pas, tu n'y es pas obligée. Nous ne te dénoncerons pas, nous demanderons à Mme Theobald de punir toute la division. Après tout, nous nous sommes bien amusées grâce à toi et il est juste que nous partagions ta punition. — Merci, Suzanne, répondit Claudine en pensant que ces Anglaises pouvaient être très gentilles et très généreuses. Je vais trouver Mme Theobald. Je n'ai pas honte de ce que j'ai fait. Mme Paterson est si désagréable! Je ne veux pas que Pat m'accompagne. C'est moi qui ai agi de mon plein gré. — Comme tu voudras, répliqua Suzanne. Bonne chance! » Claudine alla au bureau de la directrice, frappa à la porte et entra. Elle n'attendit pas d'être interrogée. « Madame Theobald, c'est moi qui ai enfermé Mme Paterson la nuit dernière. Je suppose que j'ai eu tort, mais je n'aime pas Mme Paterson et je ne voulais pas qu'elle empêche mes camarades de s'amuser. Nous avons fait un réveillon au clair de lune, nous avons nagé dans la piscine. Du moins les autres ont nagé, pas moi. Elles prétendaient que c'était délicieux. » Mme Theobald eut quelque peine à ne pas sourire de cet aveu. A part l'infirmière, Claudine avait l'art de désarmer tout le monde. « Pourquoi détestez-vous Mme Paterson? interrogea la directrice. — Vous voulez la vérité? répondit Claudine. Eh bien, je vais vous la dire. Par l'intermédiaire de Gladys, Mme Paterson est au courant de toutes les petites sottises des élèves de quatrième. Qu'arrive-t-il? Miraculeusement nos draps se

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déchirent et nous passons des heures à les raccommoder. Nos bas sont pleins de trous, nos chemises de nuit sans boutons. Hélas! Madame Theobald, nous n'aimons pas Gladys. Si nous le montrons, nous reprisons pendant les récréations. — Je comprends, dit Mme Theobald qui avait déjà soupçonné quelque chose de ce genre. Claudine, vous ne pouvez pas jouer des tours si extraordinaires. Je suis certaine qu'en France cela ne se fait pas. — C'est la première fois que cela m'arrive, protesta Claudine prête à se lancer dans un long discours. Mais il y a des gens qui méritent d'être enfermés dans les placards. Je n'aurais jamais... » Claudine ressemblait vraiment beaucoup à sa tante. Mme Theobald sourit et endigua le flot de paroles. « Cela suffit, Claudine. Vous vous excuserez auprès de Mme Paterson et vous accepterez la punition qu'elle vous infligera. » Claudine, qui avait beaucoup d'affection et de respect pour la directrice était prête à lui obéir. Justement on frappait à la porte. Mme Paterson entra, drapée dans sa dignité. Claudine fut ravie de la voir. « Je vais m'excuser devant Mme Theobald, pensa la petite Française. Mme Paterson n'osera pas me donner une punition trop sévère. » Claudine s'avança donc vers Mme Paterson, baissa les yeux et prit la parole d'une voix tremblante : « Madame Paterson, c'est moi qui vous ai enfermée la nuit dernière. Je m'excuse et vous demande pardon. J'accepterai la punition qui vous paraîtra juste. » Mme Theobald la regardait avec amusement. Elle savait que Claudine jouait un rôle et n'éprouvait aucune véritable contrition. L'infirmière devint écarlate. Elle foudroya Claudine du regard. « Vous êtes une méchante fille. Je demanderais à

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Mme Theobald de vous renvoyer tout de suite si votre tante n'était pas professeur de français ici. Je ne veux pas lui faire cette peine. » En réalité, Mme Paterson avait peur de la colère de Mam'zelle qui s'emportait facilement. Malheur à qui annoncerait à la vieille fille que sa nièce chérie était renvoyée du collège ! « Vous êtes très bonne de penser à ma chère tante, répondit humblement Claudine. Quelle sera ma punition? — Cette semaine, pendant que vos compagnes joueront au hockey, vous m'aiderez à raccommoder le linge du pensionnat », prononça Mme Paterson. Elle ne vit pas la lueur de joie qui brillait dans les yeux baissés de Claudine. Quel bonheur d'échapper à ce sport détesté! « Bien, madame Paterson, dit-elle d'une voix tremblante de larmes qui ne trompa pas Mme Theobald. Vous me permettez, de retourner en classe? » Elle adressa à la directrice un sourire reconnaissant et sortit en fermant sans bruit la porte. Mme Theobald pensa qu'on ne pouvait s'empêcher d'aimer cette petite espiègle qui n'en taisait jamais qu'à sa tête. a Et maintenant, madame Theobald, dit l'infirmière de sa voix la plus agressive, si nous parlions de ces vols? Cela ne peut pas durer. Tous les jours il me manque quelque chose. Hier soir on a pris de l'argent dans mon porte-monnaie que j'avais laissé à la lingerie. Deux shillings seulement, c'est vrai. Mais c'est tout de même un vol. L'élève qui a fait cela ne peut pas rester ici. Vous n'avez pas voulu renvoyer celle qui m'a enfermée la nuit dernière, mais vous y serez peut-être obligée, madame Theobald ! — Que voulez-vous dire? — Je crois que c'est cette petite Française qui me vole, répliqua Mme Paterson. Elle vient souvent dans la lingerie

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pour prendre du raccommodage. Il paraît qu'elle a fait de grandes dépenses ces derniers temps. Je sais qu'elle n'a pas beaucoup d'argent de poche, sa tante elle-même me l'a dit. Vous conviendrez, madame Theobald, qu'il faut se débarrasser de cette fille. Je tremble à l'idée de l'influence qu'elle pourrait avoir sur Gladys ! »

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CHAPITRE XIX LA MÈRE DE PAULINE CE JOUR-LÀ,

avant que Mme Theobald eût pu chercher un moyen de démasquer la voleuse, un accident grave eut lieu pendant le cours de gymnastique. La victime en fut Pauline. Elle montait à la corde à nœuds quand elle glissa et tomba. Sa jambe était repliée sous elle, on entendit un craquement. Pauline devint très pâle et s'évanouit. Le professeur de culture physique courut à elle. L'infirmière fut aussitôt appelée et on téléphona au médecin. « Une fracture du tibia, déclara le praticien. Il n'y a aucune complication. La guérison sera rapide. » La jambe dans un plâtre, Pauline fut portée sur un lit

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Pauline fut portée sur un lit de l'infirmerie.

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de l'infirmerie. Mme Theobald alla la voir. Pauline la regarda d'un air suppliant. « N'avertissez pas maman, implora-t-elle. Je ne veux pas qu'elle s'inquiète. Je vous en prie, ne l'avertissez pas! — Ma chère enfant, je lui ai déjà téléphoné, répliqua Mme Theobald surprise. Pourquoi ne voulez-vous pas qu'on la prévienne? — Je ne veux pas la tourmenter, répliqua Pauline d'une voix faible. Téléphonez-lui de nouveau, madame Theobald, je vous en supplie! Dites-lui qu'elle ne se dérange pas. Que ce n'est pas la peine. Je lui écrirai tout à l'heure. — C'est impossible! protesta Mme Theobald avec douceur. Le docteur a ordonné un repos complet. Je téléphonerai ce soir à votre maman pour lui conseiller de ne pas venir si cela doit la fatiguer. — Dites qu'il ne faut pas qu'elle vienne, insista Pauline. Elle était souffrante ces derniers temps. Je ne veux pas qu'elle fasse ce voyage. » L'accident de Pauline contrista tout le monde. Ses compagnes n'eurent pas la permission d'aller la voir ce jour-là, mais elles lui envoyèrent des fleurs, des fruits et des livres. « Que d'événements à la fois ! fit remarquer Pat. Mme Theobald nous a bien grondées-ce matin. » La directrice avait, en effet, convoqué dans son bureau toutes les élèves de quatrième, à l'exception de Pauline qui était à l'infirmerie, et leur avait adressé un petit discours. Elle déclara que la permission de réveillonner au clair de lune et de se baigner aurait été accordée si on la lui avait demandée, mais que pour les très jeunes, le fruit défendu a toujours plus d'attrait. Puis elle passa aux vols dont se plaignait Mme Paterson. C'était beaucoup plus grave, bien entendu. Les élèves furent consternées d'apprendre qu'une voleuse était dans leurs rangs et devait être découverte si elle ne se dénonçait pas de son propre mouvement.

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En sortant du bureau, toutes se concertèrent. Ces vols reléguaient au second plan les événements de la nuit précédente. Qui était la voleuse? « Mme Paterson est sûre que c'est une élève de quatrième, parce que notre salle de récréation se trouve près de la lingerie, dit Pat. Il serait facile pour l'une de nous de guetter le moment propice, d'entrer et de prendre ce qui lui fait envie. - Des objets divers ont été volés en plus de l'argent, fit remarquer Margaret, perplexe. Des timbres, du papier à lettres, des enveloppes. Pourquoi? Aussi des biscuits et des bonbons. On dirait qu'on fait main basse sur ce qu'on trouve par pure méchanceté. — Personne de nous n'aime Mme Paterson, reprit Pat en riant. S'il s'agit d'une simple vengeance, n'importe laquelle d'entre nous pourrait être la coupable! — Celle-là je l'approuve, s'écria Claudine. Mme Paterson mérite d'avoir des ennuis. Elle est dure pour tout le monde, même pour sa fille. La pauvre Gladys a les yeux très rouges aujourd'hui. — Je ne peux pas m'empêcher de la plaindre », approuva Doris. Pat, Isabelle, Margaret, Bobbie et Henriette reprirent la discussion après la partie de tennis. « Qui peut bien être la voleuse? dit Bobbie. - L'une de nous a-t-elle brusquement fait des dépenses inattendues? » demanda Pat. La même idée vint immédiatement aux quatre autres. « Oui, Claudine. Elle a dépensé à tort et à travers. - Et elle a l'occasion d'entrer dans la lingerie parce qu'elle va sans cesse y chercher du raccommodage. — Impossible que ce soit Claudine! Je ne le crois pas. - Quand elle déteste quelqu'un, elle est capable de tout. La vengeance ne serait pour elle que justice! »

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Les cinq filles se regardèrent, elles se sentaient brusquement mal à l'aise. Claudine avait très peu d'argent, nul ne l'ignorait; pourtant elle avait donné à Miranda un sac-ravissant et elle avait acheté dix shillings de cerises pour le réveillon. Tout, semblait-il, indiquait Claudine. La cloche du goûter sonna. Les cinq camarades se dirigèrent vers le réfectoire. Après le goûter, Angela et Alice allèrent en ville pour faire quelques achats. Au retour, elles aperçurent à quelque distance une femme plus très jeune vêtue de noir, chaussée de souliers à talons plats. Elle portait des lunettes et son visage, empreint de bonté, avait une expression soucieuse. a C'est sans doute une cuisinière qui va se présenter à SaintClair, déclara Angela à Alice. Mme Theobald en cherche une. » Quand elles passèrent devant elle, la femme les arrêta, a Pouvez-vous me dire si c'est bien le chemin pour Saint-Clair?

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Vous êtes pensionnaires au collège, n'est-ce pas? — Oui, madame, répondit Alice. C'est tout droit. » La femme posa alors une question qui causa une vive surprise à Angela et à Alice. « Savez-vous comment va ma fille Pauline? La directrice m'a téléphoné qu'elle s'était cassé la jambe ce matin. J'ai vite pris le premier train. Je suis Mme Jones. » Angela et Alice s'arrêtèrent net et regardèrent avec étonnement la petite femme vêtue de noir. Pauline leur avait dépeint avec emphase Mme Bingham-Jones, une mondaine belle, riche, élégante. Cette femme simple et fatiguée, presque vieille, ne répondait pas à la description. Comment pouvait-elle être la mère de Pauline? Angela dissimula un sourire de mépris. Pauline, qui prenait de grands airs, se vantant toujours de sa fortune et de sa famille, avait donc pour mère une femme qui ressemblait à une cuisinière! Elle voulut entraîner Alice. Mais le visage fatigué de Mme Jones avait touché Alice qui, malgré tous ses défauts, était bonne et sensible. Comprenant l'anxiété de Mme Jones, elle dégagea son bras de celui d'Angela. « Pauline n'est pas gravement blessée, dit-elle. Nous n'avons pas pu la voir aujourd'hui, mais nous lui avons toutes envoyé quelque chose, des fleurs, des bonbons, des fruits pour la consoler. Vous allez mieux maintenant, madame? Pauline a été si désappointée que vous n'ayez pas pu venir à la mi-trimestre, son père et vous, parce que vous étiez malade! » Mme Jones parut extrêmement surprise. « Je n'ai pas été malade, protesta-t-elle. Je voulais venir à la mitrimestre, mais Pauline m'a écrit qu'une épidémie de scarlatine s'était déclarée et que la fête était remise à plus tard. Je n'ai donc pas bougé de chez moi. » Alice resta clouée sur place. En un éclair, elle comprenait tout.

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Pauline savait que sa mère ferait piètre figure à côté de Mme Favory de Saint-André, de Mme O'Sullivan et des autres. Elle-même serait prise en flagrant délit de vantardise, elle deviendrait la risée du collège. Elle avait donc inventé cette épidémie de scarlatine pour empêcher ses parents de venir et avait fait croire à tout le monde qu'elle éprouvait une grande déception. Angela était arrivée à la même conclusion qu'Alice. Une expression de mépris se peignit sur son visage. « II n'y a pas eu... » commença-t-elle. Mais Alice ne la laissa pas continuer. Elle lui donna un coup de coude accompagné d'un regard impérieux. Angela se tut, mais se rebella intérieurement. Alice devait être folle pour la traiter ainsi. « J'espère que Pauline est heureuse à Saint-Clair, reprit Mme Jones. Il y a bien longtemps qu'elle voulait y entrer. Nous ne sommes pas riches, mais à force d'économies, j'ai réussi à exaucer ses vœux. Mon mari est infirme, vous le savez sans doute; il garde le lit' depuis des années, elle vous l'a sûrement raconté. Nous joignons difficilement les deux bouts, mais je voulais que Pauline fasse de bonnes études et qu'elle ait une jeunesse heureuse. Je lui ai dit : « Ma « chérie, tu n'auras pas autant d'argent de poche que les « autres, tu ne pourras pas faire autant de dépenses, mais « si cela ne te fait rien, je te mettrai volontiers à Saint Clair. » Mme Jones s'adressait non à Angela, mais à Alice qui lui paraissait la plus sympathique des deux. C'était pour elle un soulagement d'avoir quelqu'un à qui parler. Angela poussa une exclamation de mépris et s'éloigna rapidement en direction de SaintClair. « C'est loin, n'est-ce pas? dit Mme Jones que la montée essoufflait. Je n'ai pas pris de taxi à la gare à cause de la dépense. C'est si cher un taxi! Je pensais que je pourrais

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faire la route à pied, Pauvre petite Pauline! Quel malheur qu'elle se soit cassé la jambe! Je voudrais déjà être à son chevet. Elle sera bien contente de me voir ! » Alice ne partageait pas cette conviction. Si Pauline avait empêché sa mère de venir à la mi-trimestre, elle ne tenait sûrement pas à recevoir sa visite maintenant. Tout le monde saurait qu'elle avait menti. « Pauline est révoltante! pensa Alice. Elle accepte que sa mère fasse de grands sacrifices, la pauvre femme probablement se passe de beaucoup de choses pour payer la pension de sa fille, mais elle en a honte et ne veut pas qu'elle se montre à Saint-Clair. Quelle ingrate! » Alice accompagna Mme Jones à la porte du collège et la confia à une femme de chambre. Elle monta au dortoir pour y déposer ses achats et rejoignit ses compagnes dans la salle de récréation. « J'espère qu'Angela se taira et ne parlera pas de notre rencontre, pensa-t-elle. J'ai pitié de la mère de Pauline! Elle avait l'air si fatiguée!» Mais en ouvrant la porte, elle entendit la voix d'Angela : « Je sais maintenant qui a pris l'argent de Mme Paterson. Il n'y a pas le moindre doute à avoir. C'est Pauline ! — Pauline? Allons donc! protesta Pat. Pourquoi as-tu cette idée? — Je vais vous expliquer pourquoi j'en suis sûre, répliqua Angela, et elle fit une pause dramatique. Alice et moi, nous avons fait une partie du chemin avec la mère de Pauline. D'après ce que nous avons vu et entendu, une chose est certaine : Pauline est une horrible menteuse et probablement aussi une voleuse ! »

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CHAPITRE XX ANGELA ET CLAUDINE ON ne porte pas de telles accusations sans preuves, déclara Pat. Donne-nous les tiennes. » Toutes les élèves de quatrième les entourèrent. Claudine n'était pas là ni, bien entendu, Pauline. « Écoutez, reprit Angela. Alice et moi nous revenions de la ville; nous avons vu devant nous une petite femme, pas jeune du tout, fagotée dans une robe noire. J'ai cru que c'était une cuisinière qui venait se présenter à Saint-Clair. Vous savez que Mme Theobald en cherche une. Mais non. Elle s'est présentée sous le nom de Mme Jones, la mère de Pauline. Pas Mme Bingham-Jones, s'il vous plaît, mais Mme Jones. - Elle est tout à fait sympathique, protesta Alice.

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— Sympathique! répéta Angela en jetant un regard de mépris à Alice. Tu veux dire vulgaire. Quand je pense aux grands airs de Pauline... Elle prétendait que sa mère était plus élégante encore que la mienne, qu'elle venait d'une famille aristocratique. Elle se vantait de sa voiture, de sa maison. Et ses parents sont pauvres comme des rats d'église. Ils ont à peine de quoi payer la pension de Pauline! Quand je la verrai, je ne lui cacherai pas mon opinion! Je lui dirai ce que je pense de Mme Jones habillée comme une cuisinière et se lamentant sur sa pauvre petite Pauline ! » Personne n'eut le temps de dire un mot. Alice s'était avancée. Elle était toute pâle, ses yeux lançaient des éclairs. « Tu ne diras rien de ce genre à Pauline! s'écria-t-elle. Tu ne lui diras rien qui puisse lui donner honte de sa mère. Ne comprends-tu pas ce qu'elle ressentirait si elle savait que tu l'as vue et que tu racontes à tout le monde que c'est une pauvre femme mal habillée? Pauline s'est conduite d'une façon révoltante, mais je ne veux pas que tu aggraves encore la situation entre Mme Jones et sa fille. Elle est déjà bien assez triste. » Angela resta stupéfaite. Était-ce bien son amie Alice qui lui parlait sur ce ton? Elle la dévisagea un moment sans rien dire comme si elle ne la reconnaissait pas et enfin recouvra l'usage de la parole. « Eh bien, si tu prends le parti de gens aussi vulgaires, je suis bien contente que tu ne viennes pas chez nous pendant les vacances, déclara-t-elle. Je m'en vais, je ne resterai pas ici pour me laisser insulter par une fille que je prenais pour ma meilleure amie! » La pauvre Alice tremblait comme une feuille, car elle détestait les scènes. Angela se dirigea vers la porte. Mais à sa grande surprise, deux élèves la saisirent par les bras et la forcèrent à s'asseoir. « Tu ne veux pas écouter Alice, mais tu seras bien obligée

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de nous écouter nous! affirma Carlotta dont les yeux étincelaient de colère. Et nous allons te dire tes quatre vérités! — Lâchez-moi! siffla Angela entre ses dents. — Tu parles beaucoup de la mère de Pauline, poursuivit Carlotta d'un ton si farouche qu'Angela eut un mouvement de recul. Eh bien, parlons un peu de la tienne! Nous ne l'avions pas encore fait par politesse et par charité. Mais c'est devenu nécessaire pour te ramener à la raison! — Je crierai si vous ne me lâchez pas ! menaça Angela prise d'un accès de rage. — Chaque fois que tu crieras je t'enverrai une gifle, promit Carlotta, et elle lui donna une telle bourrade qu'Angela poussa un cri. — Reprends ton sang-froid, Carlotta, conseilla Pat. Rappelletoi que tu n'es plus une petite sauvage. — J'aime mieux l'oublier », répliqua Carlotta d'une voix froide. Angela effrayée ne bougea plus. « La mère de Pauline est fatiguée, mal habillée et pauvre, reprit Carlotta, mais ce n'est pas une raison pour la mépriser. Tandis que nous avons de bonnes raisons pour mépriser ta mère, Angela. Elle est vaniteuse, impolie, mécontente de tout, dédaigneuse! Tout comme toi! Dis-lui de notre part de ne pas revenir ici pour tout dénigrer. Elle nous est antipathique; nous ne voulons pas d'elle. Nous aimerions bien qu'elle te reprenne le plus tôt possible. — Bravo, bravo! » s'écrièrent Bobbie, Margaret et les jumelles. Angela devint très pâle. C'était des choses terribles à entendre, mais elle les avait méritées. Elle aussi avait eu honte de sa mère à la mi-trimestre, mais elle n'avait pas deviné l'effet que l'attitude méprisante de celle-ci avait eu sur les autres élèves. « En voilà assez, Carlotta! » intervint Suzanne.

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Elle avait raison. Le châtiment avait assez duré. Angela avait l'air prête à s'évanouir. Elle aurait voulu disparaître dans un trou de souris. Elle qui s'était tant vantée de sa famille et qui se targuait de valoir mieux que les autres, on lui parlait sur ce ton! Éclatant en sanglots, elle s'enfuit. « Elle est partie, bon débarras! s'écria Pat. Mes félicitations, Alice! je suis fière de toi. Maintenant peut-être tu jugeras Angela comme nous la jugeons nous-mêmes. — Oui, répondit la pauvre Alice les larmes aux yeux. J'avais bien tort de l'admirer. Cette pauvre Mme Jones m'a inspiré tant de pitié. Angela n'a pensé qu'à se moquer! Elle n'a aucune bonté! — Aucune, approuva Pat. Eh bien, elle apprendra à ses dépens que la bonté engendre la bonté et que la méchanceté engendre la méchanceté. Sinon elle sera très malheureuse. — Crois- tu qu'Angela a dit la vérité? Que Pauline est la voleuse? demanda Doris. Elle a dépensé beaucoup ces derniers temps. Si vraiment elle est pauvre, d'où venait cet argent? — Nous pensions que Claudine était la coupable, fit remarquer Isabelle. Nous savons qu'elle n'est pas riche, elle non plus. Ses parents lui envoient rarement un petit mandat. Et tout à coup, elle se met à acheter des tas de choses. Claudine est si peu scrupuleuse! Elle aurait bien pu puiser dans la bourse de Mme Paterson ! — Chut! Chut! » dit quelqu'un. Mais l'avertissement venait trop tard. Claudine, qui était entrée sans être remarquée, avait entendu les paroles d'Isabelle. La petite Française se fraya un chemin au milieu de ses compagnes. En l'apercevant Isabelle devint rouge comme une pivoine. Les paroles qu'elle venait de prononcer ne s'adressaient pas à Claudine. « Claudine, dit-elle, je regrette que tu aies entendu. Ne te fâche pas. Nous pensions que tu détestais tant Mme Paterson que tu avais voulu nous venger toutes d'elle ! »

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Deux élèves la saisirent par les bras et la forcèrent à s'asseoir. 153

Les yeux brillants de colère, Claudine regarda le petit groupe. Elle dévisagea successivement Isabelle, Pat, Bobbie. Soudain, à l'étonnement général sa colère se dissipa. Elle rejeta la tête en arrière et éclata de rire. Les autres la contemplaient, stupéfaites. « Vraiment, pensa Doris, on ne peut jamais prévoir les réactions de Claudine! » Pat se disait que Claudine ressemblait à sa tante; elle pouvait passer rapidement de la colère au rire. Si les paroles d'Isabelle lui paraissaient amusantes, tant mieux! « Je ne suis pas fâchée, dit enfin Claudine en essuyant des larmes de fou rire. Non, je ne suis pas du tout fâchée. Vous autres, Anglaises, vous êtes si sérieuses et si solennelles que nous avons de la peine à nous comprendre. — C'est possible; mais pourquoi ris-tu, Claudine? demanda Pat. — Je ris parce que vous ne devineriez jamais la façon dont je me suis procuré de l'argent, répliqua Claudine qui riait toujours. Mais d'abord vous devez me promettre de ne jamais répéter à ma tante Mathilde ee que je vais vous révéler. — Claudine, de quoi s'agit-il? » demanda Pat avec inquiétude. Qu'avait fait Claudine? D'elle on pouvait s'attendre à tout. « Tu te rappelles mon beau coussin que ma tante admirait tant? reprit Claudine. Eh bien, je l'ai vendu à la maman d'une des élèves pour une grosse somme. C'est gênant d'être pauvre. Il y avait tant d'anniversaires à souhaiter, et j'aime bien faire des cadeaux. La mère de l'une de vous m'a acheté mon beau coussin; je le lui ai envoyé par la poste. Je lui ai expliqué qu'il m'appartenait, que j'avais besoin d'argent. Elle a très bien compris et s'est montrée généreuse. — Est-ce que ce n'était pas maman? demanda Alice. Je t'ai vue parler longtemps avec elle à la mi-trimestre. Maman est capable de faire une chose de ce genre sans en souffler mot.

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J'aimerais bien qu'elle mette le coussin dans ma chambre. — C'est peut-être ta mère, Alice. Je ne veux pas trahir un secret. Mais motus! J'ai raconté à ma tante que j'avais envoyé le coussin en France. — Tu ne crains pas les entorses à la vérité, Claudine! répliqua Ellen. Je ne peux pas te comprendre. Pourquoi n'as-tu pas dit à ta tante que tu avais vendu le coussin au lieu de débiter un mensonge? - J'adore les secrets, répliqua Claudine. Tante Mathilde m'aurait obligée à redemander le coussin et à rendre l'argent. J'aurais été très malheureuse. C'est agréable d'avoir la poche pleine, vous ne croyez pas? — Tu es une énigme, fit observer Pat. Moi non plus je ne te comprendrai jamais, Claudine. Tu vends ton coussin en cachette et l'argent te sert à acheter des cadeaux. Tu enfermes l'infirmière dans un placard pour que nous puissions nous amuser et... — Ne parlez plus de mes fredaines, supplia Claudine. Un jour je suivrai votre exemple et je me corrigerai de mes défauts. Oui, certainement. Je deviendrai sage comme une image si je reviens l'année prochaine dans ce collège. — Tu es bien gentille de ne pas m'en vouloir de mon accusation! s'écria Isabelle. Je suis contente de savoir comment tu t'es procuré l'argent. C'est donc Pauline qui est sans doute la coupable. Elle a beaucoup dépensé ces temps-ci. C'est bien triste à penser. Que faut-il que nous fassions? — Pat et moi, nous irons trouver Mme Theobald et nous lui dirons tout, répondit Suzanne. Nous ne pouvons que laisser Pauline tranquille pendant qu'elle est malade. Mais Mme Theobald doit être mise au courant. Viens, Pat, allons-y tout de suite ! »

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CHAPITRE XXI ALICE A LA RESCOUSSE et Suzanne se rendirent au bureau de Mme Theobald et frappèrent à la porte. La directrice leur cria d'entrer. Par bonheur, elle était seule. Elle sourit à ses visiteuses. « Que désirez-vous? demanda-1-elle. J'espère que vous n'avez pas fait de nouvelles sottises? — Non, madame Theobald, répondit Suzanne. Mais ces vols nous tourmentent beaucoup. Nous croyons savoir qui est la voleuse. - Pourquoi ne vient-elle pas se dénoncer elle-même? demanda Mme Theobald qui était devenue très grave. — Elle ne peut pas, expliqua Suzanne. Nous croyons que c'est PAT

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Pauline et elle est à l'infirmerie, la jambe dans un plâtre. — Pauline! s'écria Mme Theobald. Je ne crois pas. Sûrement ce n'est pas elle. — Nous avons d'abord imaginé que c'était Claudine, dit Pat. Mais non! — J'en suis bien contente, dit Mme Theobald. Mais je ne pense pas que ce soit Pauline. Elle n'est pas très raisonnable, mais elle ne me fait pas l'effet d'être malhonnête. — Madame Theobald, nous avons une autre révélation à vous faire au sujet de Pauline. Cela vous prouvera qu'elle ne dit pas toujours la vérité, commença Suzanne. Nous n'aimons pas rapporter, mais nous savons que c'est une chose trop grave pour la garder pour nous et nous venons vous la soumettre. — Vous avez raison, approuva Mme Theobald. Eh bien, qu'avez-vous à me révéler au sujet de Pauline? Sa mère est près d'elle en ce moment. Je pourrais peut-être lui expliquer les difficultés de sa fille. » Pat et Suzanne racontèrent à Mme Theobald les mensonges et les vantardises ridicules de Pauline. Elle avait empêché sa mère de venir à la mi-trimestre en lui écrivant qu'une épidémie de scarlatine avait éclaté. Elle avait feint d'être amèrement désappointée. Elle avait beaucoup dépensé ces derniers temps. Cependant Mme Jones avait dit à Alice que Pauline ne recevrait que très peu d'argent de poche. « Vous voyez, conclut Pat. Sachant que Pauline est menteuse, nous avons pensé que c'est elle qui a commis les vols dont se plaint Mme Paterson. — Je comprends. Mais une menteuse n'est pas forcément une voleuse. Pauline a voulu qu'on la croie riche et de bonne famille. C'est la seule raison de ses mensonges. Une fille si ambitieuse ne devrait pas en principe s'abaisser à commettre un acte aussi méprisable que le vol. Pourtant ce que vous me dites me donne à réfléchir. Il est curieux qu'elle ait tant d'argent puisque sa mère ne peut pas lui en envoyer.

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— Très curieux, approuva Suzanne. Nous vous avons communiqué tout ce que nous savons. Nous voudrions que le mystère de ces vols soit éclairci et nous sommes contentes de vous avoir parlé.» On frappa à la porte. Mme Theobald cria : « Entrez! » En même temps elle congédia les deux visiteuses d'un signe de tête. « Je m'occuperai de cette histoire, promit-elle. Je parlerai à Pauline. Peut-être demain ou après-demain, aussitôt qu'elle ira mieux. Dans quelques jours elle pourra marcher avec des béquilles et elle retournera en classe. Je veux savoir la vérité avant qu'elle reprenne sa place parmi vous. » Une femme de chambre était entrée et attendait que Mme Theobald eût fini de parler. « Mme Jones aimerait vous dire un mot avant de partir, annonçat-elle. — Faites-la entrer », dit Mme Theobald. Mme Jones entra. En sortant, Pat et Suzanne lui lancèrent un regard. Ainsi cette femme soucieuse, fatiguée, mal habillée, était l'élégante mère de Pauline! Quelle sotte et quelle ingrate, cette Pauline! Dès que la porte se fut refermée, Mme Jones prit la parole. « Madame Theobald, je suis vraiment inquiète à propos de Pauline. Elle n'a pas eu l'air contente de me voir. Elle a beaucoup pleuré quand je lui ai appris que j'avais rencontré deux de ses camarades en chemin et que je leur avais parlé. Je ne peux pas comprendre pourquoi. Je croyais qu'elle serait heureuse de ma visite. Elle m'a même reproché d'être venue; elle m'a dit que je dramatisais toujours. Mais après tout, c'est mon enfant unique, elle m'est très chère! » Mme Theobald avait pitié de la pauvre femme. Elle se demandait si elle devait ou non parler des vantardises stupides de sa fille, expliquer que Pauline se désolait à l'idée que ses mensonges avaient été découverts. Elle avait honte

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de sa mère, honte de sa pauvreté, honte d'elle-même. Elle s'était donc inventé une famille et un foyer de son choix. Réflexion faite, la directrice garda le silence. Inutile d'infliger une nouvelle peine à Mme Jones. Mme Theobald se promit d'avoir une conversation sérieuse avec Pauline. Peut-être pourrait-elle la persuader de se montrer à l'avenir sincère et affectueuse pour sa mère. Elle essaya de réconforter sa visiteuse. « Ne vous tourmentez pas, dit-elle. Pauline a eu une grande secousse. Ses nerfs sont ébranlés. Ne faites pas attention à ce qu'elle dit. » Mme Jones partit enfin, perplexe et affligée. Mme Theobald poussa un soupir. Brusquement surgissaient plusieurs problèmes difficiles à régler. Si Pauline était vraiment coupable des vols, comment l'apprendre à sa mère? « Je parlerai à Pauline demain ou après-demain, décida Mme Theobald. J'espère que Mme Paterson ne fera pas d'histoires. Quelle femme désagréable! » L'infirmière fit beaucoup d'histoires! Le lendemain elle entra en ouragan dans le bureau de Mme Theobald. « Dix shillings ont disparu cette fois! Un billet de dix shillings! Il a été pris dans mon porte-monnaie! Je l'avais caché dans ma corbeille à ouvrage, mais il est parti tout de même. Madame Theobald, il faut découvrir la voleuse et la renvoyer! » Mme Theobald écoutait avec étonnement. Comment Pauline pouvait-elle être la voleuse puisqu'elle était dans l'infirmerie avec une jambe cassée? Mais l'infirmière continuant à se plaindre, elle comprit que la corbeille à ouvrage se trouvait dans l'infirmerie. Mme Paterson l'avait portée là pour faire des raccommodages, tout en veillant Pauline. Pauline avait donc pu prendre le billet dans le porte-monnaie. Mais d'autres élèves étaient entrées et sorties, car la malade avait eu ce jour-là la permission de recevoir

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« Dix shillings ont disparu cette fois. »

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des visites. Quelle pénible énigme! Mme Theobald congédia Mme Paterson dès qu'elle le put. Vraiment la quatrième division ce trimestre lui donnait beaucoup de fil à retordre! Les élèves de quatrième se montraient très froides à l'égard d'Angela. Celle-ci paraissait malheureuse, mais personne ne la plaignait, pas même Alice. A onze heures, Alice vit Angela qui se préparait à sortir. « Où vas-tu? demanda-t-elle. Tu sais que nous n'avons pas la permission d'aller seules en ville. Veux-tu que je t'accompagne? - Non, répondit Angela d'un ton boudeur. Si tu veux savoir ce que je veux faire, je te le dirai. Je vais à la plus proche cabine de téléphone pour téléphoner à maman et lui répéter tout ce que vous avez dit sur elle. Je lui demanderai de venir me chercher aujourd'hui même. — Non, garde-t'en bien, supplia Alice. Nous t'avons adressé des reproches parce que nous étions indignées de ton attitude vis-à-vis de la pauvre Mme Jones. Tu les avais mérités. » Mais la décision d'Angela était' prise, rien ne l'en ferait changer. Alice attendit son retour sans oser prévenir ses cousines. Elle imaginait la mère d'Angela arrivant dans sa Rolls-Bentley pour faire une scène à Mme Theobald et dénigrer Saint-Clair et ses élèves. Ce n'était pas une perspective agréable. Quelques minutes avant la cloche du déjeuner, elle vit Angela qui revenait. Mais une Angela déconfite et les yeux gonflés et rouges. Alice courut à sa rencontre. Cette Angela, humble et malheureuse, touchait son cœur et lui inspirait plus d'affection que l'Angela orgueilleuse et comblée de naguère. « Qu'as-tu? » demanda-t-elle. Angela fondit en larmes. « Maman est absente. C'est papa qui m'a répondu. Mais au lieu de m'écouter et de me consoler, il s'est mis en colère. Il a déclaré que maman me gâtait beaucoup trop, que si je

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continuais, je serais odieuse plus tard et qu'il viendrait cet après-midi parler de moi à Mme Theobald. « Pauvre Angela! dit Alice. Il fallait que ton père soit vraiment en colère! Mme Theobald ne sera pas contente d'apprendre que tu as téléphoné chez toi pour te plaindre. Tu seras grondée et punie. — Je le sais. Que faut-il que je fasse? C'est vrai que j'ai été très désagréable, Alice. Je t'en prie, ne m'abandonne pas! J'ai honte d'avoir si mal parlé de la mère de Pauline. Veux-tu de nouveau être mon amie? — Angela, répondit Alice en prenant un air grave, j'ai été une très mauvaise amie pour toi. Je t'ai flattée, encensée, au lieu de te taquiner pour essayer de te corriger de tes défauts comme le faisaient les autres. Les jumelles ou Bobbie auraient été de meilleures camarades pour toi. Elles se seraient montrées raisonnables. Moi aussi je t'ai stupidement gâtée. — Tant pis, continue à être mon amie! supplia Angela qui se sentait affreusement triste et découragée. Je t'en prie. Je ferai un effort pour me corriger. Que vais-je dire à papa cet après-midi? Quand il se met en colère, je ne sais plus où me cacher. — Écoute, proposa Alice. Après le déjeuner, nous retournerons à la cabine téléphonique. Tu parleras à ton père, tu lui annonceras que tu as réfléchi, que tu as compris que tu as été ridicule et que tu voudrais te racheter. Moi aussi je lui dirai un mot. A nous deux, nous l'empêcherons peut-être de venir. — Que tu es gentille, Alice! s'écria Angela en séchant ses larmes. Papa t'a trouvée très sympathique. Il t'écoutera. Merci d'accepter de m'aider. » La cloche du déjeuner avait sonné depuis longtemps. Angela et Alice étaient en retard. Miss Ellis vit les yeux rouges d'Angela et se contenta d'un bref reproche. Immédiatement après le repas, toutes les deux allèrent

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à la cabine téléphonique. Angela eut son père à l'autre bout du fil et débita ses excuses. « J'ai été idiote, je le comprends maintenant. Ne viens pas, papa. Je vais faire un effort pour me corriger. Mon amie Alice veut te dire un mot. » Elle passa le combiné à Alice qui, un peu intimidée, prononça le petit discours qu'elle avait préparé. « Bonjour, monsieur. Ici Alice, l'amie d'Angela. Angela vous dit la vérité. Elle se rend compte de ses torts. Elle est décidée à s'améliorer. Je suis sûre que tout va s'arranger. Je ne crois pas qu'il soit nécessaire que vous abandonniez votre travail pour venir à Saint-Clair. — C'est bien, répliqua le père d'Angela d'une voix sévère. Comme je suis très occupé, je ne me dérangerai pas aujourd'hui. Mais à la moindre incartade, Angela aura de mes nouvelles. Je l'ai mise à Saint-Clair parce que c'est le meilleur collège que je connaisse. Elle y restera jusqu'à ce qu'elle soit devenue raisonnable. Si vous êtes son amie, faites-le-lui comprendre. Vous êtes à Saint-Clair depuis quelque temps, je crois. — Oui, répondit Alice. J'y suis très heureuse. La directrice et les professeurs ne veulent que notre bien. Mes amies et moi, nous le ferons comprendre à Angela. — Ne la gâtez pas trop, reprit la voix lointaine qui se radoucissait. Grondez-la. Elle se prend un peu trop pour une princesse. Faites-lui comprendre qu'elle n'est qu'une fille comme les autres. Passez-la-moi, voulez-vous? » Angela prit le récepteur. Ce qu'elle entendit la consola un peu. « Merci, papa, dit-elle. J'essaierai. Je te le promets. Au revoir. » Elle souriait en raccrochant le récepteur. « Papa m'a dit qu'il est souvent en colère contre moi, mais qu'il m'aime bien et m'aimera toujours. Il a ajouté que

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si j'avais de l'affection pour lui, je devais essayer de le lui prouver en travaillant et en me conduisant bien. Je le lui ai promis. Merci, Alice de ton conseil. » Elle serra la main de son amie. Bras dessus, bras dessous, toutes les deux retournèrent au collège. Alice se réprimandait tout bas en marchant. « Je ne dirai plus à Angela qu'elle est jolie. Je ne la flatterai plus. Je ne lui dirai plus qu'elle ressemble à un ange ou à une fée. La beauté extérieure a si peu d'importance! Je la taquinerai, je la gronderai, je lui indiquerai ses défauts. C'est ce qu'il faut que je fasse si je veux être vraiment son amie ! » Le changement fut si radical que les autres le remarquèrent avec étonnement. Angela était maintenant docile, elle acceptait les critiques et les taquineries qu'Alice ne lui épargnait pas. « C'est bon pour toutes les deux, fit observer Pat. Angela deviendra plus gentille, Alice aura un peu plus de bon sens ! »

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CHAPITRE XXII UNE SURPRISE DÉSAGRÉABLE POUR MADAME PATERSON Je me demande si Mme Theobald a reproché à Pauline de prendre l'argent de Mme Paterson », dit Pat à Suzanne le même jour après le goûter pendant que les élèves étaient rassemblées dans le jardin. Gladys leva la tête et sursauta. Elle n'était pas présente quand cette question avait été discutée et ignorait la démarche de Pat et de Suzanne auprès de Mme Theobald. Sa mère la harcelait pour savoir ce que les élèves de quatrième avaient fait la nuit du réveillon, mais Gladys avait tenu sa promesse et n'avait rien dit. « Pauline... prendre l'argent de maman? s'écria-t-elle

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étonnée. Qu'est-ce que c'est que cette histoire? C'est la première fois que j'en entends parler! — Vraiment? demanda Isabelle surprise. En effet, tu étais avec ta mère quand nous avons pris la décision d'avertir Mme Theobald. Aujourd'hui nous n'avons pas eu une minute pour aborder ce sujet. Il n'y a pas grand-chose à dire d'ailleurs, si ce n'est que nous croyons que c'est Pauline qui a pris les choses qui appartiennent à ta mère. Nous savons maintenant que ses parents ont tout juste de quoi payer sa pension ici et qu'elle n'a presque pas d'argent de poche. Pourtant elle a beaucoup dépensé ces derniers temps. Nous sommes donc presque sûres que c'est elle qui a puisé dans le porte-monnaie de Mme Paterson. Elle est si menteuse qu'elle peut bien être voleuse par-dessus le marché. — Mme Theobald va lui en parler, ajouta Suzanne. Hier nous sommes allées tout lui raconter, Pat et moi. Je suis fâchée que Pauline se soit cassé la jambe, mais vraiment si elle est voleuse aussi bien que menteuse, elle ne méritait pas mieux. » Gladys écoutait en ouvrant de grands yeux. Elle avait pâli et paraissait bouleversée. « Tu ne te sens pas bien? interrogea Pat. Tu as si mauvaise mine tout à coup. — Je vais très bien », répliqua Gladys. Elle se leva et, au grand étonnement de ses camarades, elle monta en courant la grande allée qui conduisait au collège. « Qu'a donc Gladys? demanda Pat. Où va-t-elle? Dans cinq minutes la cloche de l'étude sonnera. Elle devrait le savoir. » Selon toute apparence, Gladys l'avait oublié. Elle ne parut pas à l'étude. Miss Ellis envoya demander à Mme Paterson si elle avait gardé sa fille auprès d'elle pour une raison quelconque. L'infirmière ouvrit la porte de la classe, soucieuse et contrariée. « Je ne peux pas imaginer où est Gladys, déclara-t-elle.

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J'espère que vous la punirez, Miss Ellis. Elle est si entêtée ces temps-ci! » Gladys ne revint pas pour le dîner et les élèves de quatrième se déshabillaient quand elle reparut. Doris, penchée à la fenêtre de son dortoir, la vit monter une des allées. Elle n'était pas seule. « C'est son frère! s'écria Alice. Gladys va être grondée! Elle est allée voir Eddy; il revient avec elle! » Gladys paraissait nerveuse et effrayée. Eddy ne faisait guère meilleure figure. Ils entrèrent, mais au lieu d'aller trouver leur mère, ils se dirigèrent vers le bureau de Mme Theobald. « Courage! chuchota Eddy à sa sœur. Je suis là! Je te protégerai, Gladys. » Tous les deux pénétrèrent dans le bureau de Mme Theobald. La directrice fut surprise de voir Gladys accompagnée d'un jeune garçon. Gladys lui présenta son frère. « C'est mon frère Edgar », dit-elle, et soudain elle éclata en sanglots. Mme Theobald ne savait que penser. Eddy posa la main sur l'épaule de sa sœur. « Ne pleure pas. Je vais tout dire», déclara-t-il, et il se tourna vers la directrice. « Madame Theobald, Gladys a appris aujourd'hui qu'une autre élève, nommée Pauline, était accusée d'avoir dérobé de l'argent à notre mère. Eh bien, c'est Gladys qui a commis les vols. Pauline est innocente. — Est-ce possible? s'exclama Mme Theobald en songeant que ces derniers jours avaient été féconds en surprises. Pourquoi? C'est extraordinaire! Pourquoi a-t-elle fait cela? — A cause de moi, répondit Eddy. J'avais trouvé du travail dans un garage au commencement du trimestre. Maman était satisfaite. Je n'y suis pas resté longtemps. Il m'est arrivé un accident. J'ai cassé le pare-brise d'une voiture qu'on

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réparait. J'ai été renvoyé. Je n'ai pas osé l'avouer à maman, madame Theobald. » Mme Theobald regarda le jeune garçon debout devant elle et ne fut pas surprise qu'il redoutât les foudres de Mme Paterson. Quels reproches elle lui aurait adressés si elle avait appris sa maladresse! « Eh bien, reprit Eddy, la main toujours sur l'épaule de Gladys, j'ai pensé que je pourrais trouver bientôt un autre travail. Je dirais simplement que j'avais changé de situation. Je n'avais pas d'argent, il fallait que je paie ma chambre et mes repas. Un jour j'ai fait de l'autostop et j'ai vu Gladys sans que maman le sache. J'ai demandé à ma sœur de m'aider autant qu'elle le pouvait. — Je comprends, dit gravement Mme Theobald. Gladys a volé cet argent à sa mère pour vous le donner. — Je ne savais pas qu'elle le volait, affirma Eddy. Je croyais qu'elle avait cassé sa tirelire ou puisé à la Caisse d'Épargne. Elle m'a apporté aussi des biscuits, du papier à lettres et des timbres pour que je puisse solliciter un autre emploi. Elle est si bonne pour moi, madame Theobald. - Je ferai tout ce que je peux pour toi, tu le sais, sanglota la pauvre Gladys. Mais madame Theobald, quand j'ai su que Pauline allait être accusée d'un vol que j'ai commis, je me suis précipitée chez Eddy et je lui ai tout raconté. Il est revenu avec moi pour vous avouer la vérité. Madame Theobald, nous n'osons pas affronter maman. - Quelle histoire! » soupira Mme Theobald en regardant les deux jeunes gens. En son for intérieur, elle ne pouvait s'empêcher de blâmer Mme Paterson. Si celle-ci avait été une mère bonne et indulgente, si elle avait aidé ses enfants au lieu de les gronder sans cesse, cela ne serait pas arrivé. Ils lui auraient confié leurs difficultés au lieu de tout lui cacher et de voler, terrifiés à l'idée de sa colère et de ses reproches.

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Eddy posa la main sur l'épaule de sa sœur. CLAUDINE ET LES DEUX JUMELLES

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« Voyez-vous, reprit Gladys en essuyant ses yeux, Eddy est le fils de maman, je n'ai pas cru mal agir en prenant de l'argent et d'autres choses pour lui. — Je comprends, répéta Mme Theobald. C'était tout de même un vol, Gladys; je suis contente que vous ayez eu le courage de vous dénoncer pour ne pas laisser accuser une de vos compagnes. C'est un point qui plaide en votre faveur. » II y eut une pause. Ce fut Eddy qui rompit le silence. « Madame Theobald, pourriez-vous parler à maman? Je vous en prie. Elle serait moins irritée si vous lui expliquiez vous-même les raisons de notre conduite. » Mme Theobald, les sourcils froncés, hocha la tête. « Oui, je lui parlerai. Passez dans mon petit salon. Vous y attendrez que je vous rappelle. » Effrayés et malheureux, Eddy et Gladys obéirent à cet ordre. Mme Theobald sonna et dit à la femme de chambre de prier Mme Paterson de venir lui parler. L'infirmière fit son apparition dans son uniforme d'une blancheur immaculée. « Asseyez-vous, madame Paterson, dit Mme Theobald. Je vous ai fait appeler parce que j'ai découvert qui a pris votre argent. — J'espère que vous renverrez la voleuse, s'écria aussitôt Mme Paterson d'une voix sévère. Après tout, madame Theobald, j'ai moimême une fille en quatrième division. Quand je pense qu'elle a une voleuse pour condisciple, j'en ai le frisson. Quelle mauvaise compagnie pour elle. — Ce n'est pas moi qui déciderai s'il faut la renvoyer ou non. Je laisse ce soin à vous seule. » Les yeux de l'infirmière étincelèrent. « Merci ! dit-elle. Vous pouvez considérer que ma décision est prise. Cette élève doit partir dès demain matin. — Très bien. Maintenant écoutez ce que j'ai à vous dire. Cette enfant n'a pas volé pour elle, mais pour quelqu'un qu'elle aimait et qui avait des difficultés.

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— Un vol est toujours un vol, déclara Mme Paterson d'une voix convaincue. — Elle n'a pas osé demander l'aide de sa mère ni même son conseil, continua Mme Theobald. — Alors la mère est à blâmer autant que la fille. Une femme qui a des enfants qui volent parce qu'ils ont peur d'elle a très mal rempli ses devoirs maternels. — Je suis entièrement de votre avis, déclara Mme Theobald. Cependant cette enfant a eu le courage de venir tout m'avouer et m'a priée de vous avertir. — Où est cette petite voleuse? Je lui dirai ce que je pense de sa conduite ! Elle partira demain ! Mme Theobald se leva pour ouvrir la porte de son salon. « Vous trouverez la petite voleuse ici, dit-elle. Avec son frère. » Mme Paterson entra dans le salon, prête à réprimander la coupable. Elle se trouva devant ses deux enfants, Gladys et Eddy. Ils la regardèrent craintivement. « Que veut dire cela? dit Mme Paterson d'une voix faible. Pourquoi Gladys est-elle ici... et Eddy? — Gladys est la voleuse, et c'est pour Eddy qu'elle a pris de l'argent. Vous êtes la mère qu'ils n'ont pas osé consulter, déclara Mme Theobald d'une voix grave. En ce qui me concerne, je ne renverrai pas Gladys et je la garderai très volontiers si elle veut rester. » Le visage de Mme Paterson se contracta, et sa bouche se mit à trembler. Elle regardait ses enfants d'un air incrédule. Gladys avait de nouveau fondu en larmes. « Ne les grondez pas, poursuivit Mme Theobald d'un ton indulgent. Ils ont tous les deux besoin d'aide et de consolation. — J'ai trouvé un autre emploi, maman, annonça Eddy. Je te rendrai tout l'argent que Gladys a pris. Ne la punis pas. Elle a eu pitié de moi. Bientôt je gagnerai assez pour vous faire vivre toutes les deux. Jusqu'ici nous n'avons pas réalisé

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les ambitions que tu avais pour nous. Tu ne nous trouvais pas assez intelligents et assez doués. Mais tu verras que j'arriverai quand même. Lorsque j'aurai réussi, tu auras peut-être un peu d'affection pour moi. — Ne parle pas ainsi, Eddy, protesta sa mère d'une voix étranglée. Qu'ai-je fait? Qu'ai-je fait pour être punie si cruellement? » Mme Theobald ferma la porte. Que Mme Paterson s'arrange avec son fils et sa fille! Ces deux enfants réussiraient dans la vie parce qu'ils s'aimaient. Ils avaient des caractères faibles et peu sympathiques, pourtant leur affection mutuelle leur donnerait de la force et du courage. Mais la directrice pensait qu'elle ne pouvait garder leur mère que toutes les élèves détestaient. Elle décrocha le combiné du téléphone et appela l'ancienne infirmière qui était maintenant presque guérie. « Madame Rey? dit-elle. Pourriez-vous revenir demain? Nous veillerons à vous ménager au début, mais nous ne pouvons pas nous passer de vous. Oui, j'ai l'impression que notre infirmière actuelle sera partie demain. Parfait! Nous serons bien contentes de vous revoir ! »

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CHAPITRE XXIII LA FIN DU TRIMESTRE avait encore à voir Pauline et à la sermonner. Le lendemain, Pauline fut très étonnée de voir la directrice entrer dans l'infirmerie, plus grave que d'habitude. C'était ce jour-là la seconde surprise de Pauline. La première avait été l'arrivée d'une nouvelle infirmière, ronde et gaie. L'opposé de Mme Paterson. Pauline l'avait regardée avec étonnement. « Bonjour! s'écria la nouvelle venue. Vous vous êtes cassé la jambe? Maladroite! Il ne faudra pas recommencer! — Où est Mme Paterson? demanda Pauline. — Elle a été obligée de partir en toute hâte, répondit MADAME THEOBALD

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Mme Rey en tapotant l'oreiller de Pauline. Je suis l'ancienne infirmière. Je suis donc revenue. Et il faut que je vous avertisse que je suis un vrai croquemitaine. Je connais toutes vos petites ruses et je ne m'y laisse plus prendre. J'ai passé des années ici. J'ai sans doute au moins cent ans. J'ai grondé et soigné les mamans des élèves actuelles. — Vous êtes cette Mme Rey dont on m'a tant parlé? demanda Pauline. Quel bonheur! Pourquoi Mme Paterson est-elle partie si vite? Gladys l'a-t-elle accompagnée? — Oui. La raison de leur départ ne nous regarde pas. Voyons que j'arrange un peu votre lit! Puis nous parlerons de votre déjeuner! » Pauline était à peine revenue de sa surprise quand Mme Theobald fit son apparition. La directrice alla droit au but. Pauline ne tarda pas à comprendre que tout le monde au collège savait qu'elle s'était vantée stupidement et qu'elle appartenait à une famille humble et pauvre. Rouge de confusion, elle se mit à pleurer. Mme Theobald continua sans pitié et conclut en lui décrivant le chagrin de sa mère. « Elle s'est dépêchée d'accourir dès qu'elle a appris votre accident, dit la directrice. Elle est venue à pied de la gare pour ne pas faire la dépense d'un taxi. Elle était anxieuse, à bout de forces et vous savez comment vous l'avez accueillie. » Pauline tourna la tête vers le mur. Des larmes ruisselaient sur ses joues. « Ce n'est pas tout, continua Mme Theobald. Vous achetiez des objets coûteux; alors que vous aviez très peu d'argent de poche, les élèves l'ont appris de votre mère; vous avez été soupçonnée de vol. Voyez-vous, Pauline, le résultat que peuvent avoir les vantardises et les mensonges ? — Je n'ai jamais rien volé de ma vie! s'écria Pauline indignée. J'ai un carnet à la Caisse d'Épargne et, sans le dire à maman, j'ai retiré une partie de mon argent. C'est

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pour cela que j'ai pu faire des cadeaux. Je vous en prie, madame Theobald, croyez-moi. — Je vous crois, assura Mme Theobald. Mais vous me donnerez votre livret de Caisse d'Épargne et vous ne retirerez plus un penny sans la permission de votre mère. Si vous restez à Saint-Clair, vous imiterez les autres élèves qui ne sont pas riches. Elles font des présents modestes. Personne ne leur en veut. Nous ne jugeons pas les gens sur leur fortune, mais sur leur personnalité. Il faut que vous l'appreniez, Pauline, sans cela vous ne connaîtrez pas le vrai bonheur. — Je suis très malheureuse, murmura Pauline. Je ne pourrai plus regarder mes camarades en face. — Dites à Suzanne, aux jumelles ou à Henriette que vous avez été très sotte et que vous vous en repentez, conseilla Mme Theobald en se levant. Votre accident les a beaucoup affligées, elles veilleront à ce que les autres vous traitent avec indulgence. Mais il faudra gagner leur amitié, Pauline, sans essayer de l'acheter avec des cadeaux et des fanfaronnades. Soyez sincère, naturelle et bonne. Bien sûr, vous êtes malheureuse maintenant, c'est votre punition. Il faut la supporter courageusement. » Avant de partir, Mme Theobald sourit à Pauline, celle-ci en fut un peu consolée. Elle suivit le conseil de Mme Theobald et se confia à Pat qui était venue passer quelques instants auprès d'elle. Pat parla franchement. « Tu t'es conduite de façon ridicule. Je t'aiderai et j'obligerai les autres à t'aider, mais à une condition, Pauline. — Laquelle? — Tu vas écrire à ta mère, tu lui diras que tu regrettes d'avoir été si peu gentille quand elle est venue te voir. Tu mettras ta maussaderie sur le compte de la souffrance. Tu lui promettras de mieux l'accueillir la prochaine fois et tu lui

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«Je suis très malheureuse, murmura Pauline. Je ne pourrai plus regarder mes camarades en face. » 177

diras que sa visite te ferait plaisir. Je ne vais pas me donner de la peine pour toi si tu ne fais pas un effort toi-même. Avec nous tu seras simple et naturelle. Tu ne chercheras plus à nous jeter de la poudre aux yeux. D'ailleurs ce serait inutile. » Là-dessus, Pat alla annoncer aux autres que Pauline était revenue à la raison, elle était couchée, la jambe dans le plâtre et se sentait malheureuse. Il faudrait l'aider et l'encourager quand elle reviendrait en classe. « Maintenant que Mme Paterson et Gladys sont parties, qu'Angela se corrige rapidement, que Pauline se montre enfin raisonnable, nous allons être très heureuses! conclut Bobbie en riant. — Il ne nous reste qu'à corriger Claudine de son espièglerie, déclara Pat. Mais ce ne sera pas une tâche facile ! » La. semaine suivante, Alice reçut une lettre de Gladys. Elle la lut à ses compagnes. « Ma chère Alice, « Je ne sais pas si on te l'a dit, mais c'était moi la voleuse. Mon frère Eddy avait perdu sa place — depuis il en a trouvé une meilleure —, il n'avait pas d'argent. Il m'a demandé de l'aider, j'ai accepté. Mais je n'avais pas grand-chose moi-même. Alors j'ai puisé dans le portemonnaie de maman. « En l'apprenant, maman a été très peinée, elle n'a pas pu supporter de rester à Saint-Clair. Nous sommes donc parties. Mme Theobald a été très bonne pour Eddy et pour moi. Elle a offert de me garder à Saint-Clair, mais j'aurais eu honte devant vous, d'ailleurs je n'étais pas à ma place dans votre collège. Je m'en rends compte et je n'aime pas beaucoup l'étude. « Je vais apprendre la dactylographie et la sténographie, puis j'entrerai dans la maison où travaille Eddy. Nous habiterons

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tous les trois ensemble. Maman a beaucoup changé. Quelle émotion pour elle de découvrir que j'avais volé! Mais c'était pour Eddy, je n'ai pas pu m'en empêcher. Maman se montre bien plus douce maintenant. Tu ne la reconnaîtrais pas. Quand nous gagnerons de l'argent tous les deux, Eddy et moi, elle n'aura plus besoin de travailler. Elle pourra se reposer et sera plus heureuse. « J'ai voulu t'expliquer pourquoi j'étais partie si brusquement. J'ai laissé mon dé en argent dans la corbeille à ouvrage de la quatrième division. Je voudrais que tu le prennes. Ce serait un faible témoignage de ma reconnaissance. Tu as été si gentille de m'inviter à la mitrimestre! « J'espère que Pauline sera bientôt guérie. Je t'en prie, Alice, ne me juge pas trop mal. Je sais que j'ai été rapporteuse, mais tu ne peux pas t'imaginer comme la vie m'était souvent difficile. « Crois à mon bon souvenir. « GLADYS PATERSON. » Cette lettre toucha beaucoup les élèves. Alice prit le dé et déclara qu'elle s'en servirait toujours en souvenir de Gladys. « Si elle était rapporteuse, c'était surtout la faute de sa mère, fit remarquer Pat. Nous en avons de la chance d'avoir des mamans comme les nôtres ! » En entendant ces mots, Angela rougit, mais ne dit rien. Elle devenait de plus en plus gentille; elle avait décidé que pendant les vacances elle ferait sans cesse l'éloge de Saint-Clair et ne permettrait pas à sa mère une seule critique. Les mères ont beaucoup d'influence sur leurs enfants. Mais, pensait Angela, les enfants peuvent aussi peutêtre en avoir sur leurs mères. Elle essaierait. Mme Favory de SaintAndré deviendrait peut-être plus simple et plus naturelle. Mme Theobald se serait réjouie si elle avait pu lire les

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pensées qui se succédaient dans la jolie tête d'Angela. « Nous serons bientôt en vacances! dit Pat à Isabelle. Quel trimestre palpitant, nous avons passé! Et quel bonheur que Mme Rey soit revenue! Que diriez-vous déjouer un bon tour à quelqu'un pour achever le trimestre? Qu'en pensez-vous, Bobbie et Margaret? — Ce serait très amusant! approuva Bobbie qui avait plus de taches de rousseur que jamais. — Nous pourrions mettre une grenouille dans le bureau de Claudine ou remplir son plumier de perce-oreilles, suggéra Margaret. — Si vous faites cela, je prendrai tout de suite le train et le bateau pour la France, déclara la petite Française. — Elle en serait bien capable, affirma Margaret. Alors abstenons-nous. Ce serait malheureux qu'elle retourne en France avant de s'être corrigée de tous ses défauts ! » Claudine lança un coussin à la tête de Margaret et renversa la corbeille à ouvrage de Doris. Doris se leva d'un bond et jeta la serviette qu'elle ourlait à la tête de Claudine. Miranda qui entrait la reçut. Quels rires en voyant Miranda immobile, une serviette sur la tête. Deux secondes plus tard, une mêlée générale s'était engagée, accompagnée de cris et d'éclats de rires. Les coussins, les livres volaient dans toutes les directions. La porte s'ouvrit et Mme Theobald entra avec une visiteuse. « Voici la salle de récréation des élèves de quatrième, déclara-telle. Mes enfants, que faites-vous? On se croirait dans une ménagerie! Si vous êtes si peu sérieuses, comment vous conduirez-vous quand vous serez en sixième? » Comment elles se conduiront? Comme maintenant, j'imagine. Nous verrons bien !

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