Blyton Enid Deux Jumelles T2 Deux jumelles et trois camarades.doc

July 31, 2017 | Author: alainberbotteau | Category: Leisure, Foods
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ENID BLYTON

CLAUDINE ET

TROIS CAMARADES TRIMESTRE agité au collège Saint-Clair. Les jumelles Patricia et Isabelle ont maille à partir, cette fois-ci, avec trois camarades difficiles : l'une, leur cousine Alice, est un peu poseuse, la seconde rapporte volontiers, la troisième ronchonne sans cesse. Il va falloir les mettre au pas! Elles ont aussi leurs démêlés ordinaires avec « Mam'zelle Abominable », le professeur de français, qui n'est pas précisément un ange de patience... Heureusement, un incendie sans pompiers, une bonne humeur sans défaillance et quelques farces sans méchanceté arrangeront tout à la satisfaction générale.

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ENID BLYTON

CLAUDINE ET

TROIS CAMARADES ILLUSTRATIONS DE JACQUES POIRIER

HACHETTE 268 4

TABLE

1. Le second trimestre à Saint-Clair 2. Les premiers jours au collège 3. Alice reçoit une leçon 4. L'anniversaire de Tessa 5. Le réveillon d'anniversaire 6. Mam'zelle fait une découverte 7. Erica passe un mauvais quart d'heure 8. Marjorie a des amies 9. Le vrai scandale 10. Un match sensationnel 11. La vengeance d'Erica 12. Une rencontre inattendue 13. Encore Erica 14. L'incendie 15. L'héroïsme de Marjorie 16. L'aveu 17. Une visite pour Marjorie 18. Les malheurs de Lucie 19. La chance sourit à Lucie 20. L'étui à lunettes de mam'zelle 21. Pauvre mam'zelle! 22. La dernière semaine du trimestre

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CHAPITRE PREMIER LE SECOND TRIMESTRE A SAINT-CLAIR "MAMAN, savais-tu que notre cousine Alice, qui était au cours Tennyson avec nous, entre à Saint-Clair le trimestre prochain? » s'écria Pat O'Sullivan. Les deux jumelles, Isabelle et Patricia, leurs têtes brunes rapprochées, lisaient la même lettre posée sur la table du petit déjeuner. « Oui, je le savais, répliqua leur mère en souriant. Votre tante Clara me l'a écrit. Quand elle a appris que vous vous plaisiez à SaintClair, elle a décidé d'y envoyer Alice. Il faudra vous occuper d'elle au début. — Alice est une poseuse, déclara Pat. Je m'en suis aperçue pendant les vacances. Elle prend de grands airs. Et elle s'est fait faire une permanente. Qu'en dis-tu?

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— A son âge, c'est ridicule! répondit Mme O'Sullivan. Il est grand temps qu'elle soit pensionnaire à Saint-Clair. — Je me souviens de deux demoiselles qui, elles aussi, étaient terriblement poseuses l'été dernier, fit remarquer M. O'Sullivan en levant les yeux de son journal, une lueur malicieuse dans le regard. Elles ne voulaient pas entendre parler de Saint-Clair. C'était un collège horrible, tout a fait horrible! » Pat et Isabelle devinrent rouges comme des pivoines. « Oublie-le, je t'en prie, papa, supplia Pat. Que nous étions sottes! Les premiers temps, nous avons été insupportables à SaintClair. On nous avait surnommées « les poseuses ». — Ou « Leurs Altesses », renchérit Isabelle en riant. Les autres élèves devaient avoir envie de nous gifler. — Nous avons été très malheureuses, ajouta Pat. C'était bien fait pour nous. J'espère qu'Alice sera plus raisonnable. — Elle le sera, bien moins que nous, assura Isabelle. Elle est si vaniteuse! Dis, maman, si tu l'invitais à passer deux ou trois jours ici avant la rentrée? Nous pourrions lui donner quelques conseils. — L'idée est excellente, approuva Mme O'Sullivan. C'est très gentil, ma petite Isa. — Ce n'est pas tout à fait de la gentillesse, protesta Isabelle avec un sourire. Ni Pat ni moi, nous ne voulons être encombrées d'une cousine stupide et prétentieuse. Nous lui ferons la leçon si nous l'avons quelques jours avec nous. — Vous pouvez toujours essayer, dit M. O'Sullivan pardessus son journal. Mais si vous faites de cette pimbêche une enfant simple et naturelle, j'en serai surpris. Sa mère l'a beaucoup trop gâtée. — Heureusement elle va à Saint-Clair, dit Pat en étalant de la confiture d'oranges sur son pain grillé. Tu ne trouves pas que nous avons fait beaucoup de progrès en conduite, Isabelle et moi, papa?

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— C'est une question qui demande réflexion, riposta leur père d'un ton taquin. Ma foi, oui! Dans l'ensemble, je suis content de vous. Qu'en dit votre mère? — Je crois que Saint-Clair leur a fait le plus grand bien, répliqua Mme O'Sullivan. Elles avaient déclaré qu'elles seraient insupportables pour être renvoyées. Mais les bulletins trimestriels ont été très élogieux. Et Mme Théobald, la directrice, est plutôt sévère. — J'aime bien les vacances! s'écria Pat. Pourtant je serai contente de revoir la vieille Mam'zelle Abominable, Miss Roberts et... — Mam'zelle Abominable! répéta M. O'Sullivan étonné. C'est son vrai nom? — Oh non, papa! Nous l'avons surnommée ainsi parce que « C'est abominable! » est son exclamation favorite, expliqua Pat. Isabelle et moi, nous faisions de très mauvais devoirs de français au début du trimestre et Mam'zelle écrivait « abominable » sur nos cahiers. Au fond, elle est très gentille. — Ce sera amusant aussi de revoir toutes les élèves, renchérit Isabelle. Maman, écris vite à tante Clara de nous envoyer Alice la semaine prochaine. » Mme O'Sullivan écrivit à sa belle-sœur, et Alice arriva deux jours avant la rentrée. C'était une très jolie jeune fille; ses cheveux châtains à reflets roux étaient bouclés, sa bouche ressemblait à un bouton de rosé, ses grands yeux bleus avaient une expression rêveuse. « Une vraie poupée! chuchota Pat à Isabelle. Son sourire perpétuel lui donne l'air stupide. — Quelqu'un a dû lui dire qu'elle avait un charmant sourire, répliqua Isabelle. Elle doit se prendre pour une vedette de cinéma. » Alice était contente de passer deux jours avec ses cousines et de ne pas arriver seule à Saint-Clair. Un collège inconnu est toujours un peu effrayant, les nouvelles s'y sentent dépaysées les premiers jours.

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« Parlez-moi de Saint-Clair, demanda-t-elle le soir en s'asseyant dans la chambre des jumelles. J'espère que ce n'est pas un de ces collèges où il faut absolument suivre la règle et jouer à des jeux que l'on déteste. » Pat cligna de l'œil à Isabelle. « A Saint-Clair, la discipline est très stricte. On nous mène tambour battant, déclara-t-elle d'une voix solennelle. Il faut savoir cirer les souliers. — Et préparer le thé, ajouta Isabelle. — Et le pain grillé, continua Pat. Les élèves font leur lit. — Quand nous déchirons notre robe, nous la raccommodons nous-mêmes, renchérit Isabelle que l'air horrifié d'Alice amusait beaucoup. — Vous plaisantez! protesta sa cousine. Cirer des souliers, préparer le thé, faire griller du pain! Vous vous moquez de moi. — C'est la vérité vraie, affirma Pat en riant. Les élèves de première et de seconde division servent les grandes de cinquième et de sixième. Quand elles nous appellent, nous courons prendre leurs ordres. Gare à nous si nous ne nous dépêchons pas! — C'est affreux! s'écria Alice, rouge de colère. Elles sont bien exigeantes, ces grandes! — Terribles! répliqua Pat. Je ne te conseille pas de leur désobéir. — Dire que j'étais si heureuse à l'institution Tennyson! gémit Alice. Et les professeurs? Je serai dans la même division que vous? — Sans doute, répondit Pat. Nous sommes dans la première division, certainement nous ne passerons pas encore dans la seconde. Notre professeur est Miss Roberts, elle est très sévère. Si tu n'es pas dans ses petits papiers, tu t'en mordras les doigts. — Mam'zelle, notre professeur de français, est très emportée, dit Isabelle. Elle est grande et grosse, avec des

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pieds énormes. C'est une vraie soupe au lait. Ce qu'elle peut crier ! — Isabelle, ce doit être affreux! s'écria Alice effrayée. A Tennyson, notre professeur de français était douce et timide comme une petite souris. — Mam'zelle n'est pas méchante, affirma Pat. Elle a bon cœur. Ne t'inquiète pas, Alice. Nous nous occuperons de toi, Isa et moi. — Merci, répliqua Alice. J'espère que je serai dans le même dortoir que vous. Et l'économe, comment est-elle? — Mme Rey est à Saint-Clair depuis des années et des années, dit Pat. Elle a connu nos mères, nos tantes et même nos grand-mères. Elle est au courant de tout. Elle exige que nous raccommodions nousmêmes notre linge et nous gronde si nos reprises sont mal faites. En revanche, elle nous gâte beaucoup quand nous sommes malades. » Pendant ces deux jours, Alice ne se lassa pas de demander des détails sur Saint-Clair. Elle constatait que ses

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cousines avaient beaucoup changé depuis trois mois et cherchait la raison de cette transformation. Elles paraissent si raisonnables. Elles étaient très orgueilleuses à Tennyson, elles prenaient de grands airs, pensait-elle. C'étaient les élèves les plus âgées, et maintenant elles sont parmi les plus jeunes du collège. Moi aussi je serai dans les petites. » Le jour de la rentrée arriva. Les bagages étaient prêts. Mme O'Sullivan avait rempli les trois boîtes à provisions de gâteaux et de bonbons. Les malles portant le nom de leurs propriétaires attendaient dans le vestibule. Mme O'Sullivan devait accompagner à Londres ses filles et sa nièce. Pat et Isabelle se réjouissaient de revoir leurs amies. Alice avait le trac. Heureusement les jumelles seraient là pour lui servir de guide. Sur le quai de la gare régnait une joyeuse animation. « Voici Margaret. Hé! là-bas, Margaret! Margaret! Tu as passé de bonnes vacances? — Henriette! Bonjour, Henriette... Voici notre cousine Alice qui vient à Saint-Clair avec nous ce trimestre. Doris! Sheila! » Toutes s'empressaient autour des jumelles, parlant et riant. Alice, abasourdie par le tapage, ne quittait pas ses cousines d'une semelle. Un professeur sympathique arriva, un carnet à la main. « Bonjour, Patricia! Bonjour, Isabelle! Vous vous ressemblez toujours comme deux gouttes d'eau. C'est votre cousine Alice O'Sullivan? Bien. Je ne l'ai pas sur ma liste. Ravie de faire votre connaissance, Alice. Je suis Miss Roberts, votre professeur. Les jumelles vous ont sans doute dit que j'étais horriblement méchante! » Elle sourit et passa à un autre groupe. Elle s'assurait que toutes les élèves de première et de seconde division étaient là et leur indiquait leur place dans le train. « Des nouvelles, ce trimestre? demanda Pat en regardant

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autour d'elle. Je n'en vois pas. Excepté Alice, bien sûr. — Si, il y en a une là-bas, regarde! » dit Isabelle en donnant un coup de coude à sa sœur. Pat se retourna et aperçut une grande fille assez jolie, toute seule. Son visage était maussade et elle n'essayait pas de faire des connaissances. Personne n'était venu l'accompagner. « Elle est nouvelle, déclara Pat. Je me demande si elle sera dans notre division. Elle a l'air d'avoir bien mauvais caractère. Avec Margaret, cela fera des étincelles. » Margaret s'emportait facilement, mais ses colères ne duraient pas. La nouvelle paraissait boudeuse et entêtée. Sa physionomie ne prévenait pas en sa faveur. « En voici une autre qui arrive! s'écria Isabelle. Elle paraît très gentille. Je crois qu'elle sera dans notre division. » La seconde nouvelle était tout à fait différente de la première. Elle était petite, avec des boucles noires, de grands yeux bleus qui étincelaient. Sa mère et son père l'encadraient. « Son père doit être artiste ou musicien, ou quelque chose comme cela, ses cheveux sont si longs, fit remarquer Pat. — Je le reconnais, intervint Henriette Wentworth qui était là. C'est Max Oriel, le peintre célèbre. Ma. tante lui a commandé son portrait et, une ou deux fois, je l'ai accompagnée à ses séances de pose. Il est sûrement avec sa fille, elle lui ressemble beaucoup. — Quels yeux intelligents! dit Pat. J'espère qu'elle sera dans notre division. — Montez dans vos compartiments, ordonna Miss Roberts de sa voix claire. Le train part dans cinq minutes. Dites au revoir à vos parents. » Les adieux furent échangés, les élèves occupèrent les places que leur avait indiquées leur professeur. Alice admira la gravité des grandes. Elle se sentait très petite en comparaison.

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« Voici Gladys James qui nous sert de monitrice, chuchota Pat en montrant une grande jeune fille au visage sérieux. Elle est très intelligente et très gentille. — Je n'oserai pas lui adresser la parole, dit Alice. — Au début elle nous intimidait beaucoup, déclara Isabelle. Regarde, voici Belinda Towers. Elle est « capitaine de sports ». Le trimestre dernier, nous avons eu des difficultés avec elle, Pat et moi, puis nous avons découvert que c'est une fille épatante. J'espère qu'elle nous inscrira pour quelques matches ce trimestre, n'est-ce pas, Pat? » Un coup de sifflet retentit, des mouchoirs s'agitèrent aux portières. Le train s'ébranla lentement et emporta toutes les élèves vers le collège de Saint-Clair.

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CHAPITRE II LES PREMIERS JOURS AU COLLÈGE LA. PREMIÈRE JOURNÉE

d'un nouveau trimestre est toujours pleine d'imprévu. L'emploi du temps n'est pas encore fixé, les règles n'entrent pas immédiatement en vigueur. Les élèves s'occupent à ranger leur linge et leurs vêtements, tout en mangeant des bonbons. Les jumelles avaient la nostalgie de leur maison et de leur mère comme la plupart de leurs camarades, mais dans l'affairement général personne n'avait le loisir de se lamenter. Bientôt Isa et Pat eurent repris leurs habitudes. Elles étaient contentes de revoir leurs professeurs et de s'asseoir devant le pupitre dont les taches d'encre même avaient un aspect familier et amical.

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La distribution des nouveaux livres, des crayons, des gommes, des règles, des cahiers était aussi un plaisir. « Oh! les jolis livres! s'écria Mam'zelle, ses grands yeux rayonnant de plaisir. Les jolis livres et les jolis cahiers qui seront remplis de beaux devoirs de français. Vous soupirez, Doris? J'espère que vous serez plus attentive que le trimestre dernier! Voyez ces cheveux blancs, c'est à vous que je les dois. » Mam'zelle saisit une petite mèche dans son épaisse tignasse et la montra à Doris. « Je ferai de mon mieux, Mam'zelle, promit Doris. Mais je ne serai jamais capable de prononcer le r français. Jamais ! — Rrr », dit Mam'zelle à titre d'exemple. Toutes les élèves éclatèrent de rire. On aurait pu croire qu'un chien grognait dans la classe, mais personne n'osa le dire. L'accueil des autres professeurs fut moins pittoresque. Miss Roberts avait déjà vu presque toutes les élèves à la gare de Londres et dans le train. Alice la jugeait sympathique, non sans être un peu effrayée par sa vivacité et son ton sarcastique. Le professeur avait l'art de se faire respecter. Elle eut un mot particulier pour les jumelles. « Eh bien, Isabelle et Patricia, je suis sûre que vous avez l'intention de beaucoup travailler ce trimestre. Je le lis sur votre visage, Pat. Et je sais qu'Isabelle suit toujours votre exemple. J'espère que vous serez souvent premières. — Je le voudrais bien! s'écria Pat. Nous l'étions toujours à Tennyson, notre ancienne école. Maintenant que nous sommes habituées à Saint-Clair, nous travaillerons avec plus de zèle. » Mme Rey, l'économe, distribuait les serviettes, les draps et les taies d'oreiller, elle déclarait que les boutons devaient être recousus par les élèves et les accrocs raccommodés pendant la classe de couture.

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« Je ne sais pas raccommoder, protesta Alice consternée. — Votre mère a appris ici, fit remarquer l'économe avec un large sourire. Un jour vous vous marierez, vous aurez votre maison et votre famille. Il faut apprendre à entretenir votre linge. Ne vous tracassez pas trop d'avance. Toutes vos affaires sont neuves. Si vous ne faites pas exprès de trouer vos draps et d'arracher vos boutons, vous n'aurez pas beaucoup de travail. » Tour à tour, les élèves allèrent voir Mme Théobald, la directrice. Alice accompagna Pat et Isabelle. Elle tremblait de peur en attendant son tour dans le corridor. « Que vais-je dire? Est-elle très sévère? » La porte s'ouvrit, Margaret et Henriette sortirent. « C'est à vous », annonça Henriette. Toutes les trois entrèrent. Les craintes d'Alice furent aussitôt apaisées. Mme Théobald avait un si bon sourire! Elle reçut aimablement les trois cousines. « Isabelle et Patricia, je suis contente de vous revoir l'air si heureux, dit-elle. Le premier trimestre, quand j'ai fait votre connaissance, vous disiez à peine un mot et je ne savais que penser de vous. Je crois que vous travaillerez très bien ce trimestre, n'est-ce pas? — Oui, madame Théobald », répondirent les jumelles. Mme Théobald se tourna vers Alice. « Et voici votre cousine, dit-elle. Miss Roberts se réjouira d'avoir trois O'Sullivan travaillant avec acharnement dans la même division. Vos deux cousines vous aideront, Alice. Vous avez beaucoup de chance! — Oui, madame Théobald, balbutia Alice. — Vous pouvez vous retirer, conclut la directrice. N'oubliez pas, Isabelle et Patricia, que je suis toujours visible. Si vous avez des difficultés, n ayez pas peur de venir. » Toutes les trois sortirent, pénétrées de respect, mais aussi d'affection pour la directrice. Elles coururent à la salle de récréation où Alice n'était pas encore entrée.

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« Nous n'avons pas de petits cabinets de travail? » demanda Alice désappointée en regardant la grande salle que se partageaient la première et la seconde division. « Quel vacarme! » Certainement le bruit était assourdissant. Les élèves parlaient et riaient. L'une d'elles avait mis le phonographe en marche, une autre tournait le bouton de la radio d'où sortaient d'inexplicables clameurs. « Tu t'y habitueras, affirma gaiement Pat. Nous sommes chez nous ici. Regarde, tu auras cette partie de l'étagère pour ranger ce qui t'appartient, tes boîtes de biscuits, ta couture, ton tricot, le livre que tu lis. Le coin à côté est à nous. Tiens bien tes affaires en ordre, sans cela tu prendras trop de place. » Les jumelles firent visiter le collège à leur cousine : les grandes classes dont les fenêtres donnaient sur le parc, l'immense salle de gymnastique, la salle de dessin tout en haut sous le toit avec un excellent éclairage, le laboratoire, même le vestiaire où chaque élève avait son rayon d'armoire pour ses souliers et deux cintres pour son manteau et son tablier. « Est-ce que je suis dans le même dortoir que vous deux, Pat? demanda timidement Alice en jetant un coup d'œil dans les dortoirs qui contenaient huit lits, chacun entouré de rideaux. - Je demanderai à Henriette, répliqua Pat. C'est notre chef de classe. Elle le saura. Henriette, sais-tu si notre cousine Alice est avec nous? » Henriette consulta une liste. « Dortoir 8, dit-elle. Henriette Wentworth, Pat et Isabelle O'Sullivan, Doris Edward, Catherine Gregory, Sheila Naylor, Margaret Baker et Alice O'Sullivan. Voilà... C'est la liste de notre dortoir comme au trimestre dernier, excepté que Vera Jones est allée au numéro 9, pour céder sa place à Alice, je suppose. - Quelle chance ! Tu es avec nous, Alice ! » s'écria Pat.

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Henriette consulta une liste... 18

Les trois nouvelles élèves étaient dans la première division dirigée par Miss Roberts. La grande qui avait l'air d'avoir mauvais caractère s'appelait Marjorie Fenworthy. Elle paraissait assez âgée pour être en seconde, mais on s'aperçut bientôt que son travail était médiocre, elle n'était même pas au niveau de sa division. « Quelle fille bizarre! dit Pat à Isabelle à la fin de la première matinée. On dirait que rien ne l'intéresse. Elle dit tout ce qui lui passe par la tête. Elle doit être très mal élevée. Il me tarde de la voir en face de Mam'zelle. » Marjorie se tenait à l'écart. Elle avait toujours le nez dans un livre. Quand on lui parlait, elle répondait si brièvement qu'on n'osait pas insister. Elle aurait été très jolie si elle avait souri ; par malheur, ainsi que le disait Pat, elle avait l'air d'en vouloir au monde entier. Lucie Oriel, l'autre nouvelle, était le contraire de Marjorie. Elle était d'une intelligence brillante, mais comme elle n'avait que quatorze ans et demi, elle avait été mise dans la. première division, tout au moins pour ce trimestre. Rien ne lui paraissait difficile. Grâce à sa mémoire extraordinaire, elle apprenait facilement. Elle était gaie et toujours prête à rire. « Elle bavarde en français avec Mam'zelle, gémit Doris. Elle dessine à la perfection, elle peut réciter des pages entières de Shakespeare, et, moi, pour apprendre deux lignes, il me faut des heures. » Ses compagnes se mirent à rire. Nulle dans toutes les matières, Doris possédait un vrai talent de comique. Elle faisait le clown à la perfection et avait le don de l'imitation. Chose étrange, elle parvenait à imiter n'importe quel accent, sauf celui de Mam'zelle. Toutes les élèves aimaient Doris. « Elle n'a pas inventé la poudre, mais elle est si gentille », disait Margaret. « Que penses-tu des trois nouvelles, Margaret? » demanda Henriette en mordillant le bout de son crayon,

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au lieu de résoudre le problème donné par Miss Roberts. Isa et Pat, assises non loin de là, écoutaient. Margaret secoua ses cheveux noirs et rendit son jugement. « Lucie Oriel... épatante. Intelligente, bonne et gaie. Marjorie... pimbêche, mauvais caractère, indifférente. Je me demande d'où elle vient. - Que veux-tu dire? demanda Pat étonnée. — Cette fille-là est un véritable mystère. Elle reste toujours seule et ne dit jamais un mot à personne, déclara Margaret qui était très perspicace quand elle le voulait. Être maussade à ce point à quinze ans, ce n'est pas naturel. J'aimerais savoir comment elle se débrouillait à sa dernière école. Je parie qu'elle n'avait pas d'amies. » Les jumelles regardèrent Marjorie qui, comme d'habitude, à l'autre bout de la salle se penchait sur un livre. Margaret arrivait maintenant à la troisième nouvelle, Alice. « Je ne devrais pas dire du mal d'Alice puisque c'est votre cousine, mais si vous voulez mon opinion, la voici : c'est une vaniteuse, une poseuse sans une seule idée dans sa jolie tête. - Merci de tes jugements, Margaret, dit Henriette en riant. Tu as l'art d'exprimer ce que tout le monde pense sans oser le dire. »

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CHAPITRE III ALICE REÇOIT UNE LEÇON LE TEMPS,

au commencement de ce second trimestre, était froid et sombre. Quitter son lit douillet devenait un véritable acte de courage. Alice détestait se lever de bonne heure. Presque tous les matins, Henriette était obligée de retirer ses couvertures. Alice pleurait de rage et déclarait qu'à l'institution Tennyson on ne l'aurait jamais traitée avec tant de sans-gêne. « Laisse-moi tranquille! s'écriait-elle chaque fois. J'allais me lever! » Les autres riaient. Alice leur paraissait ridicule. Elle passait un temps fou à se coiffer et à se regarder dans la glace; la moindre rougeur, le moindre petit bouton la désespérait. « Comme si quelqu'un y faisait attention! disait Margaret

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indignée. Si elle croit qu'on l'admire, cette vaniteuse, elle se trompe! » Au bout d'une semaine ou deux, les jumelles avaient l'impression de n'avoir jamais quitté le collège. Les divisions suivaient rigoureusement leur emploi du temps. Des matches de hockey avaient lieu deux fois par semaine et les élèves étaient autorisées à s'exercer pendant les récréations. Il y avait, chaque semaine aussi, deux séances de gymnastique. Marjorie, la nouvelle, s'y distinguait. « Elle est formidable! dit Pat d'un ton admiratif en la regardant grimper le long de la corde à nœuds. — Elle aime la gymnastique et pourtant elle serre les dents et a l'air rébarbatif, fit remarquer Margaret. On dirait toujours qu'elle en veut à quelqu'un. Je n'aime pas l'avoir pour adversaire pendant les matches de hockey. L'autre jour, elle m'a donné un grand coup sur la main, elle m'a fait mal. »' Margaret montra ses doigts meurtris. « Elle est d'une violence! renchérit Doris. Belinda l'a grondée hier parce qu'elle m'avait fait tomber exprès. Cependant, je souhaite l'avoir dans mon équipe au cours d'un match. Elle atteint toujours le but, même si elle doit renverser tout le monde sur son passage. » Lucie Oriel, elle aussi, était une excellente joueuse de hockey. Elle avait été capitaine de son équipe à son ancien collège et elle était aussi rapide que le vent. « Elle réussit tout, la veinarde! s'écria Henriette. Avez-vous vu ses dessins? Ils sont ravissants. Elle m'a montré des aquarelles faites pendant les vacances. Je ne pouvais pas croire que c'était son œuvre. Elle tient ce talent de son père. M. Oriel doit gagner des sommes folles, c'est un portraitiste en vogue. Les robes de Lucie sont simples, mais admirablement coupées. — Dommage que ta cousine ne fasse pas plus d'effort pour les sports! » dit Margaret en regardant Alice qui jouait au hockey avec Catherine Grégory.

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La balle était facile à saisir; pourtant Alice la rata comme d'habitude. « Alice, tu n'avais donc jamais joué au hockey? cria Margaret. — Un peu, répondit Alice rouge de dépit. Je préfère le tennis. Le hockey est un jeu stupide. J'étais une vraie championne de tennis au cours Tennyson, n'est-ce pas, Pat? » Pat ne se rappelait pas qu'Alice eût jamais montré un talent quelconque, mais elle ne protesta pas. Belinda Towers s'approcha des jumelles. «Je ne peux rien tirer de votre cousine. Elle bêle comme un mouton quand je la gronde. C'est tout ce qu'elle sait faire. » Isa et Pat éclatèrent de rire. Alice bêlait. Belinda avait trouvé le mot juste. « Je m'occuperai d'elle, promit Pat. Je ne valais guère mieux au début du premier trimestre. Tu as eu beaucoup de patience avec nous, Belinda, je tâcherai d'en avoir avec elle. — Elle est. trop entichée d'elle-même, dit Belinda avec sa franchise habituelle. Un sourire stupide, de grands yeux bleus, une petite voix bêlante. Je ne peux plus la supporter. » Isa et Pat s'efforcèrent de mettre leur cousine au pas. Elles en furent pour leur peine. « Pourquoi m'obligez-vous à m'exercer quand j'ai envie de lire? gémissait Alice. Pourquoi voulez-vous que je me promène malgré le froid et le vent? Si c'est ce que vous appelez vous occuper de moi, j'aimerais mieux que vous me laissiez tranquille. » Ce fut bientôt le tour d'Alice de servir les deux grandes, Rita George et Cathie White. Un jour, elles l'envoyèrent chercher à l'heure du goûter. Quand le message arriva, Alice était encore au réfectoire. « Alice! Rita te demande. Dépêche-toi! C'est ton tour de la servir cette semaine. — Qu'est-ce que j'aurai à faire? demanda Alice en avalant une dernière bouchée de gâteau.

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- Comment veux-tu que je le sache? Il faudra que tu prépares son thé, je suppose. Et je crois que le feu est éteint dans son cabinet de travail. Tu auras à le rallumer. » Alice poussa des cris d'indignation. « Moi, allumer un feu! Je ne l'ai jamais fait de ma vie! Je ne sais pas comment on s'y prend. - Si tu n'obéis pas, Alice, tu auras des ennuis, dit Isabelle. Cathie White n'est pas aussi patiente que Rita. Va vite, ne t'entête pas. » Grognant tout bas, Alice se dirigea lentement vers le petit cabinet de travail des deux grandes. Rita la regarda avec impatience. « En voilà une lambine! Quelle malchance de t'avoir cette semaine pour nous servir! - Rallume vite le feu, ordonna Cathie. Tu as du papier et du petit bois. Dépêche-toi, nous avons des amies qui viennent goûter avec nous. » Pauvre Alice! Elle prit le papier et le petit bois et les jeta au petit bonheur dans la cheminée. Il y avait encore un peu de braise sous les cendres. Quand elle sentit la chaleur, elle poussa un cri. « Qu'est-ce que tu as? demanda Rita. - Je me suis brûlée, dit Alice d'un ton geignard, bien que sa main ne fût même pas rouge. - Tu n'avais qu'à faire attention, riposta Cathie avec impatience. Voyons, dépêche-toi d'allumer ce feu. Il y a une boîte d'allumettes sur la cheminée. » Alice prit les allumettes, en craqua une et 1 'approcha du papier qui s'enflamma. Au même moment, trois grandes élèves arrivaient en babillant. L'une d'elles était Belinda Towers. Personne ne fit attention à la petite à genoux devant la cheminée. Alice n'aimait pas passer inaperçue. Le papier brûla sans enflammer les morceaux de bois. Quel ennui ! Il n'y avait plus de papier dans le placard. Alice se tourna timidement vers Rita. « Où y a-t-il d'autre papier?

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Rita essaya d'arracher son devoir au feu, mais les flammes avaient déjà fait leur ravage - Sur le bureau », répondit Rita irritée. Les grandes continuèrent à bavarder. Alice s'approcha du bureau. Elle regarda les papiers. C'étaient des pages couvertes de l'écriture de Rita. « C'est sans doute un ancien travail dont elle n'a plus besoin », pensa Alice en les prenant. Elle mit les feuilles dans la cheminée et en approcha une allumette. Au même moment, Rita poussa une exclamation. « Ça alors! Elle n'a pas pris ma dissertation? Mais si! Oh! la sotte! Elle a pris ma dissertation de français! » Toutes se précipitèrent vers le feu. Alice fut repoussée brusquement. Rita essaya d'arracher son devoir au feu, mais les flammes avaient déjà fait leur ravage et elle ne put sauver une seule page de sa dissertation. En quelques minutes, les papiers étaient transformés en cendres. « Alice, comment as-tu osé faire une chose pareille! cria Rita, prise d'un accès de rage. Tu mériterais des gifles! - Je ne l'ai pas fait exprès, gémit la pauvre Alice en fondant en larmes. Tu m'as dit de prendre des papiers sur le bureau et... - Tu ne vois pas la différence entre un journal de la veille et une dissertation de français? cria la grande. J'en ai pour une bonne heure à récrire mon devoir! - Elle n'a même pas allumé le feu, renchérit Belinda Towers. Elle est aussi stupide pour les travaux ménagers que pour les sports. - Laissez-moi partir, gémit Alice, morte de honte devant les visages accusateurs des grandes. Je ne sais pas allumer un feu, je ne l'ai jamais fait. - Il est bien temps que tu apprennes, déclara Rita. Où est ce papier? Mets-le dans la cheminée, le bois pardessus. Arrange-le pour que le charbon puisse prendre. Mets le charbon maintenant. Pas tant à la fois, maladroite! Tu as éteint le bois. Recommence! » Alice pleurait toujours et se croyait très malheureuse.

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Elle approcha une allumette du papier qui prit feu, les morceaux de bois s'enflammèrent à leur tour, le charbon aussi. Bientôt le feu était rallumé. « Mets la bouilloire, puis tu pourras partir, dit Cathie. Pourquoi pleures-tu comme une fontaine? Eloigne-toi du feu, tu vas l'éteindre. » Alice sortit, les joues ruisselantes de larmes. Elle s'arrêta devant une glace pour se regarder. Ainsi éplorée, elle offrait, elle le crut du moins, un spectacle aussi pathétique qu'une certaine vedette de cinéma qu'elle avait vue dans un film. Elle retourna à la salle de récréation en reniflant, avec l'espoir d'éveiller la pitié dans tous les cœurs. Une grande déception l'attendait. Personne ne la plaignit, pas même la bonne Lucie Oriel. Pat leva la tête et lui demanda ce qu'elle avait. Alice raconta son histoire. Quand elle avoua qu'elle avait brûlé la dissertation française de Rita, les élèves poussèrent des cris d'horreur. « Tu en fais de belles! s'écria Margaret furieuse. Les grandes vont croire que toutes les élèves de première division sont aussi maladroites que toi! — C'était affreux d'être grondée par tant de grandes », se lamenta Alice en redoublant de larmes et de gémissements. Ses compagnes étaient trop indignées pour la plaindre. « Cesse de pleurer, Alice. Tu n'es pas au jardin d'enfants, dit Henriette. Si tu te conduis comme une sotte, les grandes te traiteront en sotte. Mouche-toi. Tu es affreuse. Tes yeux sont rouges, ton nez est enflé. Regarde-toi donc dans la glace, tu verras! » Alice pleurait de plus belle. Margaret s'emporta. « Tais-toi ou va-t'en, dit-elle rudement. Si tu ne te calmes pas, je te mets à la porte moi-même. Tu n'as pas le droit de nous ennuyer avec tes jérémiades. » Alice leva la tête et comprit que Margaret ne plaisantait pas. Elle cessa donc de pleurer. Les jumelles se mirent à rire. « Leçon n° i ! » chuchota Pat.

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CHAPITRE IV L'ANNIVERSAIRE DE TESSA grand événement du trimestre fut l'anniversaire de Tessa. Cette élève de seconde division était très gaie. Elle aimait les farces et les attrapes. Elle s'entendait très bien avec Margaret et Pat. Toutes les élèves riaient à gorge déployée en passant en revue les tours joués à la pauvre Miss Kennedy durant le trimestre précédent. « Tu te rappelles la frayeur de Miss Kennedy quand le gros chat noir enfermé dans le placard a sauté sur elle? Je n'ai jamais tant ri de ma vie! » s'écria Doris. LE PREMIER

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Miss Kennedy était partie et avait été remplacée par Miss Lewis, excellent professeur d'histoire. Les élèves l'aimaient beaucoup et n'avaient qu'un reproche à lui

adresser... elle ne permettait pas la moindre distraction ni la moindre réplique. Margaret elle-même était un modèle de sagesse pendant les cours de Miss Lewis. Seule, Marjorie n'avait pas l'air d'écouter ce que disait le professeur. Tessa avait de grands projets pour son anniversaire. Elle savait que ses parents lui enverraient de l'argent et des quantités de gâteaux et de bonbons. Elle était généreuse et voulait faire profiter ses amies de ces bonnes choses. Mais il n'y en aurait pas assez pour tout le monde. Si elle apportait tous ses gâteaux au réfectoire, à l'heure du goûter, il n'y aurait qu'une bouchée pour chacune des quarante ou cinquante élèves qui composaient la première et la seconde division. Tessa réfléchit longuement. Elle soumit la question à son inséparable Nellie Thomas. « Qu'en dis-tu, Nellie? Vaut-il mieux que j'invite seulement quelques-unes de mes meilleures amies, ou que je partage ce que j'ai avec toutes les élèves de première et de seconde? Dans ce cas, il n'y aura qu'une miette pour chacune. Il me semble que ce n'est pas la peine. - C'est mon avis, répliqua Nellie. Il vaut mieux se réunir en petit comité. Quand fêteras-tu ton anniversaire? Si nous ne sommes que cinq ou six, nous ne pouvons pas nous régaler devant les autres. - Non, c'est impossible. Il faut que nous soyons seules, dit Tessa. Ce ne peut être que la nuit. La nuit de mon anniversaire ! — Nous ne pourrons pas rester dans le dortoir, fit observer Nellie. Nos compagnes nous verraient. Il faut que ce soit un secret. Sinon ce ne sera pas amusant. — Mais si ce n'est pas dans le dortoir, où nous installer sans courir le risque d'être surprises?

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- Je sais. Dans cette petite salle de musique qui n'est pas très loin de notre dortoir! s'écria Nellie, les yeux brillants. Nous y serons en sûreté, on n'y entre jamais la nuit. Si nous prenons la précaution de tirer les persiennes et

de fermer la porte, personne ne saura que nous sommes là. Pourtant il ne faudra pas faire trop de bruit, c'est près du cabinet de travail de Mam'zelle. - Ce sera encore plus amusant si nous sommes obligées de parler bas, dit Tessa en riant. Mais comment chauffer cette pièce? On y gèle. Je le sais parce que, la semaine dernière, j'y ai fait mes exercices. - Prenons un réchaud à pétrole dans le placard du vestibule, proposa Nellie. Quelques-uns sont remplis. On ne les vide pas quand on les range dans le placard. - Excellente idée! » approuva Tessa. Sa fête d'anniversaire lui tenait au cœur, elle désirait que tout fût parfait. Soudain une idée lui vint. « Crois-tu qu'il serait possible de faire griller des saucisses sur ce réchaud à pétrole? J'en achèterais. J'en prendrais des toutes petites, de celles que l'on sert dans les réceptions. » Nellie sauta de joie. « Aucune élève n'a jamais fait cuire des saucisses au milieu de la nuit ! dit-elle. Ce serait merveilleux. Comment nous procurer une poêle? - Je demanderai à Maria, la fille de cuisine, de m'en prêter une, expliqua Tessa. Elle est très complaisante. Elle ne le dira à personne. Si je ne peux pas l'emprunter, j'en achèterai une. Tessa, que ce sera amusant! s'écria Nellie. Que nous offriras-tu, à part le gâteau d'anniversaire et les saucisses? - Maman m'envoie toujours un grand cake, un pain d'épice, des bonbons, des biscuits, des caramels faits à la maison, dit Tessa. J'ai assez d'argent pour acheter ce qu'il nous manquera. Je prendrai des pêches au sirop, nous les aimons toutes. »

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Les deux filles passèrent la journée à chuchoter dans les coins. Pendant les cours, elles ne pensaient qu'au réveillon d'anniversaire. Mam'zelle s'aperçut de leurs conciliabules secrets et se mit en colère.

« Tessa! Nellie! Vous voulez que je vous renvoie en première division? Vous bavardez ou vous rêvassez en regardant par la fenêtre. Vous n'écoutez pas ce que je dis. Quel mauvais tour complotez-vous?» Sa remarque tombait si juste que les deux coupables rougirent. « C'est bientôt mon anniversaire, Mam'zelle, dit Tessa qui savait que Mam'zelle comprendrait ce genre d'excuse. - Ah! Très bien. Est-ce aussi l'anniversaire de Nellie? demanda Mam'zelle. Si vous ne voulez pas écrire un devoir français sur les anniversaires, écoutez ce que je dis. » Tessa et Nellie décidèrent de n'inviter que six élèves. Tessa décréta que la première division serait représentée au réveillon. « J'aime beaucoup les jumelles O'Sullivan, déclara-t-elle. J'ai envie de les inviter. Ce sont de chic filles. - Oui, mais je t'en prie, n'invite pas leur cousine! Cette Alice est vaniteuse comme un paon, déclara Nellie. - Bien sûr que non, approuva Tessa. Je ne peux pas la souffrir. Non, nous inviterons Pat, Isabelle et Margaret. Et dans notre propre division, Betty, Suzanne et Nora. Qu'en penses-tu? - Ce sera très bien. - Il ne faudra pas que cette sournoise d'Erica ait le moindre soupçon, reprit pensivement Tessa. C'est un vrai furet. Elle fourre son nez partout. De plus elle rapporte. Je suis sûre que c'est elle qui m'a dénoncée à Miss Jenks quand j'ai perdu la balle de hockey. - Nous recommanderons à toutes de garder le secret, dit Nellie. Que ce sera amusant! » Ce Jour-là, Tessa entraîna les jumelles à l'écart. « Ecoutez, chuchota-t-elle. Jeudi je donne une petite fête à l'occasion de mon anniversaire. Simplement vous et cinq autres. Voulez-vous venir? 31

Je crois bien! s'écria Pat, heureuse d'être invitée par une élève de seconde division.

- A quelle heure? demanda Isabelle. - Minuit », répondit Tessa en riant. Les jumelles la regardèrent avec surprise. « Un réveillon dans le genre de celui du trimestre dernier? s'enquit Pat. - Non, pas tout à fait, répondit Tessa. La fête n'aura pas lieu dans le dortoir comme d'habitude, mais dans cette petite salle de musique qui n'est pas loin de nos dortoirs. Tu la connais, n'estce pas? - Oui. Que ce sera drôle! Un vrai réveillon! Qui invites-tu en plus de nous? 32

- Quatre de ma division, dit Tessa. Vous deux et Margaret de la première division. C'est tout. N'oubliez pas de venir à minuit. Et puis... - Quoi? demandèrent les jumelles. - Pas un mot à personne, supplia Tessa. Je n'ai pas assez de gâteaux pour les deux classes et certaines élèves pourraient m'en vouloir de ne pas les inviter. — Bien sûr, nous garderons le secret », promit Pat. Les jumelles attendirent avec impatience que Tessa eût mis Margaret au courant de ses projets. Alors les chuchotements reprirent de plus belle. C'est si palpitant d'avoir un secret! Quelle fierté d'être invitées par une élève plus âgée et choisies parmi les autres de la division! Alice devina que quelque chose d'anormal se passait. Elle accabla ses cousines de questions. « Tais-toi, Alice! s'écria Pat. Nous pouvons bien avoir un secret sans en informer tout Saint-Clair? — Tout Saint-Clair, non, mais moi? supplia Alice. — Cela reviendrait au même. Tu le bêlerais à quiconque voudrait t'entendre. » C'était la vérité. Alice ne savait pas se taire, les jumelles en avaient fait l'expérience. Alice, vexée, s'en alla. Erica, de la seconde division, vit sa mine boudeuse et se hâta de faire cause commune avec elle. « Elles sont odieuses, ces filles, avec leurs cachotteries, dit Erica. Tessa fait des projets pour son anniversaire. Je voudrais bien savoir ce qu'elle complote avec Nellie et les autres. » Alice n'aimait pas beaucoup Erica. Personne ne l'aimait. C'était une rapporteuse. Les élèves la tenaient à l'écart et les professeurs la rabrouaient vertement quand elle venait se plaindre de ses compagnes. Alice refusa donc de se liguer avec Erica et se contenta de dire qu'elle ne savait rien. Betty, Suzanne et Nora se gardèrent de trahir le secret. Nellie resta bouche close. Erica ne put donc rien apprendre. Elle soupçonnait que Tessa organisait une petite fête à l'occasion de son anniversaire, mais elle ignorait où et quand auraient lieu les réjouissances.

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Les préparatifs se poursuivaient. Maria, la fille de cuisine, promit la poêle et l'apporta cachée sous son tablier. En chemin elle rencontra Erica.

« Qu'est-ce que vous avez sous votre tablier, Maria? demanda Erica avec l'air arrogant qui la faisait détester. — Rien qui vous intéresse, mademoiselle », répondit Maria en secouant la tête. Irritée, Erica tira le tablier et découvrit la poêle. « C'est pour l'anniversaire de Miss Tessa », dit-elle. Elle plaidait le faux pour savoir le vrai. Maria crut qu'elle était au courant. « Si vous le savez, pourquoi me le demandez-vous? dit-elle. Je dois la mettre dans la petite salle de musique près du dortoir de Miss Tessa. » Erica suivit des yeux Maria qui se glissait dans la salle de musique et enfermait la poêle dans un placard, sous une pile de partitions. L'anniversaire de Tessa tombait ce jour-là. La fête aurait probablement lieu la nuit. Erica brûlait de curiosité et de jalousie.

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Tessa était heureuse comme une reine. Elle comptait de nombreuses amies et reçut des quantités de petits cadeaux qu'accompagnaient de nombreux souhaits. Elle fit circuler dans sa division une grande boîte de chocolats envoyée par sa grand-mère. Ainsi ses compagnes, même celles qui n'étaient pas invitées au réveillon, participeraient un peu à la fête. Toute la journée, Erica guetta Tessa dans l'espoir de découvrir la vérité. Elle vit Tessa ouvrir un placard du rez-de-chaussée et y prendre un réchaud à pétrole. Elle n'osa pas poser de questions de peur d'être rabrouée, mais elle se dissimula derrière une porte afin de voir sans être vue. Tessa porta le réchaud dans la salle de musique. Les yeux d'Erica brillèrent de joie. C'était donc là qu'aurait lieu la fête. « Ce sera après onze heures, pensa-t-elle. Je sais maintenant, malgré Tessa qui n'a rien voulu me dire. L'odieuse créature! J'ai bien envie de lui jouer un bon tour! » Erica n'aurait probablement pas mis sa menace à exécution et se serait contentée d'avoir découvert le secret, si Tessa et Nellie ne l'avaient pas surprise au moment où elle venait de puiser dans la grande boîte de chocolats que Tessa avait tendue à la ronde. Tessa l'avait laissée dans la classe, avec l'intention d'en offrir à Miss Lewis, le professeur d'histoire. Restée seule, Erica ne put s'empêcher de soulever le couvercle pour regarder les bonbons. Ils étaient si appétissants qu'elle céda à la tentation et en mit un dans sa bouche. Personne ne s'apercevrait qu'il en manquait un. Juste à ce moment, Tessa et Nellie entrèrent en courant. Erica se dépêcha de refermer la boîte, mais le chocolat était trop gros pour l'avaler d'un coup. « Ne te gêne pas, Erica! s'écria Tessa. Si tu en voulais un autre, tu n'avais qu'à le demander, je te l'aurais donné avec plaisir. Le prendre en cachette, c'est révoltant! » Toutes les deux sortirent sans laisser à la coupable le temps de dire un mot. Une telle algarade pour un chocolat !

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Rouge de honte et de colère, Erica avait envie de jeter la boîte par la fenêtre. Elle n'osa pas et, assise devant son pupitre, chercha un moyen de se venger. « Tessa n'avait pas le droit de me parler sur ce ton. Elle me le paiera! pensa-t-elle. Je resterai éveillée cette nuit jusqu'à ce que je voie ses invitées sortir du dortoir... puis je m'arrangerai pour les faire surprendre ! »

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CHAPITRE V LE RÉVEILLON D'ANNIVERSAIRE

pour la fête. Tessa avait même allumé le réchaud dans la petite salle de musique, afin que la pièce fût chaude quand ses invitées arriveraient. « Personne n'entre ici le soir, dit-elle à Nellie qui manifestait quelque inquiétude. Nous ne risquons rien. » Toutes les deux étaient au comble de la joie. Tessa avait reçu deux gâteaux d'anniversaire. Elle avait mis le plus grand à l'heure du goûter sur la table de sa division et avait gardé l'autre pour le réveillon. Il y avait aussi des biscuits, des bonbons, des chocolats, un grand cake, un pain d'épice, quatre boîtes de pêches au sirop, une boîte de lait condensé en guise TOUT ÉTAIT PRÊT

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de crème, sans parler des petites saucisses. Quel festin! « Nous n'aurons rien à boire, chuchota Nellie à Tessa pendant le cours d'arithmétique, à la fin de la matinée. - Mais si, j'ai de la limonade », chuchota Tessa. Miss Jenks entendit le dernier mot. « Tessa, que vient faire la limonade dans le problème que vous avez à résoudre? demanda-t-elle sévèrement. - Rien, Miss Jenks, balbutia Tessa qui ne sut que répondre. Pardon, Miss Jenks. » Suzanne, Betty et Nora échangèrent des clins d'yeux. Elles savaient à quoi s'en tenir. Erica intercepta leurs regards et dissimula un sourire. La limonade, elles n'auraient pas le temps de la boire jusqu'à la dernière goutte! Tout était prêt, il n'y avait plus qu'à attendre la nuit. Les huit filles ne se tenaient pas d'impatience. De temps en temps l'une d'elles s'esquivait pour aller entrouvrir la porte du placard. Quelle aurait été la surprise du professeur de musique si elle y avait jeté un coup d'œil? A la place des piles de partitions et des métronomes, elle aurait vu un beau gâteau d'anniversaire, une grande boîte de fer-blanc pleine de biscuits, huit bouteilles de limonade. « Gomment resterons-nous éveillées jusqu’à minuit? demanda Pat à Isabelle et à Margaret. - Je vous appellerai », promit Margaret. Elle se croyait capable de se réveiller quand elle le voulait, simplement en répétant l'heure une demi-douzaine de fois avant de s'endormir. « Je dirai simplement « minuit » à plusieurs reprises en me couchant et, au premier coup de l'horloge, j'aurai les yeux ouverts. Vous verrez! - J'espère que tu ne te trompes pas, Margaret, dit Pat d'un ton de doute. J'ai essayé, mais cela n'a jamais réussi. Je ne me réveille pas. - C'est une affaire de volonté, déclara Margaret. Ne vous inquiétez pas. Je vous préviendrai toutes les deux. » Se fiant à Margaret, les jumelles dormirent donc sur

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leurs deux oreilles. Margaret ne répéta sans doute pas « minuit » avec assez d'énergie, car elle né se réveilla pas. Les trois élèves de première division auraient manqué le réveillon si leurs compagnes de seconde n'étaient venues les secouer. Une lampe électrique brilla devant les paupières de Pat qui sursauta, prête à pousser un cri de frayeur. Dès qu'elle eut ouvert les yeux, elle reconnut Nellie, et le réveillon lui revint à la mémoire. « Pat! Vous ne venez pas, toutes les trois? chuchota Nellie. — Bien sûr que si, dit Pat. Je vais avertir les autres. » Elle repoussa les draps et les couvertures, enfila ses pantoufles et sa robe de chambre et alla réveiller Isabelle et Margaret. Bientôt toutes les trois sortaient du dortoir. Elles descendirent un escalier, parcoururent un corridor, passèrent devant le dortoir de la seconde division et arrivèrent à la salle de musique. La porte s'ouvrit et se referma sans bruit; une vive lumière éblouit les nouvelles venues. Les persiennes avaient été tirées, le réchaud à pétrole répandait une douce chaleur. Les quatre autres étaient occupées à ouvrir les boîtes et à disposer les biscuits sur des assiettes en carton. « Que faisiez-vous donc? demanda Tessa. Il est minuit et quart. Nous avons attendu un moment, puis nous avons envoyé Nellie. — C'est ma faute, avoua Margaret un peu honteuse. J'avais promis de les réveiller et je ne l'ai pas fait. Quel beau gâteau! » Le réveillon commença. Les huit filles se mirent à manger en riant sans raison. C'était si amusant d'être dans cette petite salle et de se régaler de gâteaux, alors que les autres dormaient. « Suzanne, maladroite! Tu as fait tomber du jus de pêche sur mes pantoufles! dit Margaret en riant tout bas. — Lèche-le, conseilla Suzanne. Je parie que tu ne le peux pas. »

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Margaret était très souple. ' Elle essaya aussitôt de porter son pied à sa bouche pour lécher le jus. Elle perdit l'équilibre et tomba de son tabouret. « Margaret! Tu es sur les saucisses! chuchota Tessa. Lève-toi, sotte! Oh! les pauvres saucisses! Elles sont tout écrasées ! » Le fou rire devint général. Tessa essaya de redonner leur forme aux petites saucisses. « Quand allons-nous les faire cuire? demanda Isabelle qui aimait les saucisses. — A la fin, s'écria Margaret. Quand on mange trop de douceurs, on est écœuré. C'est le moment de se régaler de choses épicées. — Bien, à la fin, dit Tessa. S'il en reste quand Margaret aura fini de se rouler sur elles! » Les bouteilles de limonade furent débouchées. « Ne fais pas sauter les bouchons! Si l'on entend du bruit, le collège entier accourra, fit remarquer Suzanne.

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— Pas de danger, affirma Tessa. Tout le monde dort. Personne dans notre dortoir ne sait que nous nous sommes esquivées. Personne ne connaît notre secret. » Tessa se vantait trop tôt. Quelqu'un était déjà derrière la porte fermée, l'œil contre la serrure, essayant de voir et d'entendre. Erica savait ce qui se passait. Bientôt son nom arriva à ses oreilles. C'était Tessa qui parlait. Elle offrait des chocolats. « Nous avons surpris cette rapporteuse d'Erica qui se servait de chocolats cet après-midi, dit-elle de sa voix' claire. Quelle peste! — Cela ne m'étonne pas d'elle, renchérit Pat. C'est une sournoise. » Erica sentit des larmes monter à ses yeux. On ne lui épargnait pas les mauvais compliments, pourtant elle n'avait pas imaginé qu'on avait d'elle une si piètre opinion. Ses larmes étaient des larmes de rage. « Puisque c'est ainsi, je vais aller chercher Miss Jenks, pensa Erica furieuse. Cela leur apprendra! Mais avant je leur ferai peur! » Elle frappa à la porte, puis, rapide comme l'éclair, se cacha dans un placard. Elle ne se trompait pas dans ses prévisions. Prises de panique, les huit filles se turent. Tessa posa la boîte de chocolats d'une main tremblante. Elles se regardèrent. « Qu'est-ce que c'est? chuchota Tessa. — On a frappé à la porte », balbutia Nellie. Il y eut un silence. Toutes attendaient, mais la porte ne s'ouvrit pas. Erica était toujours cachée dans le placard. Au bout d'un moment, elle sortit et frappa de nouveau, plus fort cette fois. Puis elle courut dans son placard. Elle s'amusait beaucoup. Les filles dans la salle de musique sursautèrent en entendant frapper. « II y a quelqu'un, dit Tessa, pâle de frayeur. Je vais voir. »

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Prenant son courage à deux mains, elle ouvrit la porte. Elle ne vit rien. Elle promena le rayon de sa lampe électrique dans le corridor, il était désert. Elle referma et revint s'asseoir. « II n'y avait personne, dit-elle. — Allons donc! s'écria Margaret qui se remettait de sa frayeur. Il y avait bien quelqu'un puisqu'on a frappé. Une des élèves veut nous faire une farce! — Aucune ne sait que nous sommes ici, Margaret, protesta Isabelle. — Si nous retournions nous coucher? Laissons les saucisses », proposa Tessa. Isabelle se révolta. « Laisser les saucisses! J'y ai pensé toute la journée! s'écria-t-elle indignée. — Tais-toi, tu veux réveiller tout le collège? dit Pat en lui envoyant un coup de coude qui faillit la faire tomber. Fais griller les saucisses, Tessa. Je crois que c'est le vent qui a secoué la porte. » Les saucisses furent donc mises dans la poêle. Elles sentaient délicieusement bon. Tessa les retournait, en retenant un cri quand une gouttelette de graisse bouillante jaillissait sur sa main. Erica était sortie du placard. Le grésillement des saucisses arriva à ses oreilles et la bonne odeur lui mit l'eau à la bouche. Que faire maintenant? Elle entendit un bruit et courut à son placard. Qu'est-ce que c'était? Presque aussitôt elle comprit. C'était Mam'zelle dans son cabinet de travail. Souvent, le professeur de français veillait très tard pour corriger les devoirs et préparer ses cours. C'était le cas cette nuit-là. Erica sourit, elle venait de prendre une décision. Elle ne dirait rien à Miss Jenks. Mam'zelle, qui avait la tête si près du bonnet, découvrirait elle-même la vérité et surprendrait les coupables. « Je vais frapper à la porte de Mam'zelle, se dit Erica.

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Puis je retournerai me coucher. Mam'zelle ouvrira la. porte; ne voyant personne, elle ira jeter un coup d'œil dans le corridor. Et elle sentira l'odeur des saucisses! » Erica s'approcha de la porte de la petite pièce qui servait de cabinet de travail à Mam'zelle. Elle frappa trois fois. Pan pan pan! « Tiens! s'écria Mam'zelle étonnée. Qui est là? » Bien entendu, il n'y eut pas de réponse, car Erica avait détalé comme une souris; cette fois elle ne se cacha pas dans le placard mais retourna à son dortoir. Elle ne tenait pas à être vue, pas plus par le professeur que par les compagnes qu'elle dénonçait. Mam'zelle alla ouvrir la porte mais ne vit personne. Elle resta un moment immobile, se demandant si elle s'était trompée, puis un rire étouffé arriva à ses oreilles. De plus, dans le corridor flottait une odeur à laquelle on ne pouvait se méprendre... une alléchante odeur de saucisses grillées !

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CHAPITRE VI MAM'ZELLE FAIT UNE DÉCOUVERTE MAM'ZELLE

ne put en croire le témoignage de ses sens. Quoi!... On faisait griller des saucisses en pleine nuit, à une heure moins un quart! Ce n'était pas possible! Elle rêvait sûrement. Elle se pinça pour voir si elle était éveillée. Non, elle ne dormait pas, elle jouissait de toute sa raison. Demain elle aurait un bleu à l'endroit où elle s'était pincée. « Qui peut faire cuire des saucisses à cette heure-ci? se demanda-t-elle. D'où viennent ces rires? Sûrement pas d'un dortoir. » Chaussée de ses vieilles pantoufles qui ne faisaient pas de bruit, elle sortit de son cabinet de travail, entra dans le dortoir de la seconde division et donna la lumière.

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Cinq lits étaient vides! Depuis quelque temps, Mam'zelle ne se sentait pas bien et son humeur s'en ressentait. Elle dormait mal et devenait de plus en plus exigeante pour ses élèves. Après plusieurs heures de correction de devoirs, elle était fatiguée et prête à se mettre en colère. « C'est trop fort! se dit-elle en éteignant la lumière. Ces filles abominables! Comment pourront-elles travailler demain, après avoir veillé si tard? J'en parlerai à Mme Théobald. » Dans le vestibule, elle renifla encore. D'où venait donc cette odeur? De nouveau un rire étouffé se fit entendre. Il sortait de la salle de musique. Mam'zelle s'approcha de la porte, l'ouvrit brusquement et resta debout sur le seuil de la petite pièce. Un silence consterné accueillit son arrivée. « Mam'zelle... Mam'zelle! balbutia enfin Tessa. — Oui, c'est moi, Mam'zelle, dit le professeur, les yeux étincelants. Qui vous a donné la permission de passer la nuit ici? » Tessa ne trouva rien à répondre. Avec l'énergie du désespoir, elle tendit à Mam'zelle une saucisse au bout d'une fourchette. « Voulez-vous goûter une saucisse? » demanda-t-elle. C'en était trop! Mam'zelle ne comprit pas que la peur faisait perdre la tête à Tessa, elle vit dans ce geste un insolent défi. Or Mam'zelle ne pouvait souffrir l'insolence. Elle repoussa la fourchette avec tant de violence que Tessa s'attendit à recevoir une gifle. Elle se hâta de se baisser et la voix retentissante de Mam'zelle s'éleva au-dessus de sa tête. « C'est ainsi que vous traitez votre professeur de français? Vous êtes toutes des ingrates! Que suis-je venue faire en Angleterre? Vous allez me suivre chez Mme Théobald! » II y eut un moment de surprise et de terreur. Paraître

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devant Mme Théobald... au milieu de la nuit... la réveiller en plein sommeil! C'était impossible! « Je vous en prie, Mam'zelle! implora Margaret qui reprenait son sang-froid plus rapidement que les autres. Je vous en prie, attendez à demain matin. Sûrement Mme Théobald est couchée. Nous regrettons de vous avoir dérangée. Nous pensions que tout le monde dormait. — Pourtant l'une de vous a frappé à ma porte! dit Mam'zelle. Pan pan pan, comme cela ! » En parlant, elle cognait à petits coups sur la table. « Ce n'est pas nous, protesta Margaret de plus en plus étonnée. Quelqu'un a frappé à notre porte aussi. Qui cela peut-il bien être? » Cette question n'intéressait pas Mam'zelle. Sa rage se calmait peu à peu devant le visage pâle de frayeur des élèves. Elle comprit qu'elle ne pouvait les emmener dans la chambre de la directrice. Mais ces « filles abominables » ne perdraient rien pour attendre. « Nous ne dérangerons pas Mme Théobald en pleine nuit, ditelle. Retournez vous coucher. Demain matin, vous rendrez compte de votre conduite. — Est-ce que nous pouvons finir les saucisses? » demanda Isabelle. Cette requête ranima la colère de Mam'zelle. Elle saisit Isabelle par le bras et la poussa dans le corridor. « Vous, une élève de première division, oser vous conduire de la sorte! cria-t-elle. Partez! Vous devriez être fouettées! Toutes! Partez, que je ne vous voie plus! » Les élèves s'enfuirent, retournèrent dans leur dortoir et se glissèrent dans leurs lits en frissonnant de frayeur. Quelle triste fin pour une fête si réussie! Mam'zelle tourna le commutateur électrique. Elle éteignit aussi le réchaud. « Ces filles! grommela-t-elle, les dents serrées. Ces petites Anglaises, quelle conduite! » Mam'zelle se remémora sa studieuse jeunesse dans le

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pensionnat français où elle avait été élevée. Elle travaillait avec acharnement et ne jouait pas des tours à ses professeurs. Elle ne comprenait pas encore ces Anglaises avec qui elle vivait depuis des années. Eh bien, ces filles indisciplinées recevraient une bonne punition! Le lendemain matin, avant le petit déjeuner, elle fit son rapport à Mme Théobald. Elle conduisit même la directrice dans la salle de musique pour lui montrer les reliefs du festin. Mme Théobald regarda les bouteilles de limonade, la poêle qui contenait encore quelques saucisses, les miettes sur le parquet. « Je les verrai à la récréation, dit-elle. Nous ne pouvons pas permettre ce genre de choses, Mam'zelle, mais puisque toutes les élèves organisent des réveillons, il ne faut pas en faire un drame. — Dans mon pensionnat, on n'aurait jamais pensé à enfreindre les règlements, déclara Mam'zelle. Les Françaises savent ce que c'est que le travail. - Bah! Il faut bien que jeunesse se passe! » riposta Mme Théobald. Restée seule, Mam'zelle eut un reniflement de dédain. Tant d'indulgence lui paraissait exagérée. Elle entra dans la salle de réfectoire pour déjeuner et jeta un coup d'œil à la table de la première et de la seconde division. Les huit coupables de la veille étaient faciles à reconnaître, elles étaient pâles et avaient les traits tirés. Isabelle et Suzanne ne purent avaler une bouchée, elles avaient trop mangé au réveillon et avaient peur de ce que leur réservait l'avenir. Mam'zelle arrêta les huit élèves quand elles sortirent du réfectoire. « Margaret, Nellie, Suzanne et les autres, Mme Théobald vous attend pendant la récréation. - Oui, Mam'zelle », répondirent les élèves. Elles se rendirent à la salle de cours, les jambes tremblantes.

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« Voulez-vous goûter une saucisse? » demanda Tessa.

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« Quel malheur que nous ayons été surprises! chuchota Pat à Isabelle. Mme Théobald croira que nous n'avons pas la tête à notre travail. Oh! Cette Mam'zelle! Je ne m'appliquerai plus à mes devoirs de français! » Les huit filles récitèrent très mal leurs leçons ce matin-là. Erica guettait ses cinq compagnes de division : elles essayaient de ne pas bâiller en faisant leurs problèmes, sous les yeux d'aigle de Miss Jenks. Vint ensuite le cours de français. Mam'zelle entra dans la classe, Tessa prit un air boudeur. Elle gardait rancune au professeur et était bien décidée à ne pas s'appliquer. Même si elle s'était appliquée, elle n'aurait pas réussi. La pauvre Tessa ne s'était endormie qu'à cinq heures du matin et ses idées étaient tout à fait confuses. En réalité, elle dormait à moitié. Mam'zelle crut que la stupidité de Tessa était un défi. Elle la gronda sévèrement et lui donna tant de travail supplémentaire que Tessa eut envie de fondre en larmes. « Je ne pourrai pas faire tout cela, vous le savez, protesta-t-elle. — Nous verrons », dit Mam'zelle d'un ton que Tessa comprit qu'elle n'avait qu'à se résigner. A la récréation, les huit filles se retrouvèrent devant la porte de la directrice. Toutes tremblaient, même Pat qui se flattait de n'avoir peur de rien. Tessa frappa. « Entrez », dit la voix claire de Mme Théobald. Elles entrèrent et refermèrent la porte. La directrice les regarda gravement. Elles étaient bouleversées. Suzanne fondit en larmes. Mme Théobald prit la parole. Elle déclara qu'il était impossible de faire du bon travail après avoir veillé toute la nuit et que les règlements devaient être observés. Elle dit beaucoup d'autres choses de sa voix calme. Les élèves l'écoutaient attentivement. « Comprenez-moi bien, ajouta Mme Théobald. Vous avez désobéi au règlement qui interdit à une élève de

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quitter son dortoir la nuit. C'est mal certainement, mais beaucoup moins qu'un vol ou qu'un mensonge. Ces fautes-là sont graves. Ce que vous avez fait la nuit dernière ne serait sérieux que si vous recommenciez souvent. Je le considère comme une simple espièglerie. Mais l'espièglerie doit être punie. Vous n'irez pas en ville pendant deux semaines. Pas de promenades, pas d'achats, pas de cinéma, pas de goûters dans les pâtisseries! » II y eut un silence. C'était une punition sévère. Les élèves de Saint-Clair considéraient comme un privilège d'aller en ville deux par deux, de dépenser leur argent de poche, de manger des gâteaux dans les pâtisseries. Deux semaines, une éternité! Pourtant personne n'osa protester. La sentence de Mme Théobald était juste. « Voyez-vous, continua la directrice, si vous vous conduisez comme des enfants et non comme de grandes filles, je suis obligée de vous traiter en enfants et de vous enlever vos privilèges. Vous pouvez vous retirer. Tessa, vous veillerez à ce que la. salle de musique soit nettoyée avant le déjeuner. - Oui, madame Théobald », promit Tessa. Toutes les huit sortirent de la pièce. « Je suis contente que ce soit fini, soupira Pat quand elles se furent éloignées. J'ai une autre raison de me réjouir : Mme Théobald a fait la distinction entre l'espièglerie et les fautes graves. Je n'aimerais pas qu'elle nous croie méchantes. Une plaisanterie est une plaisanterie... La nôtre est allée trop loin. - Oui, dit pensivement Isabelle. Mais une méchanceté a été commise, Pat. Le coup frappé à la porte de Mam'zelle était destiné à nous dénoncer. Cela, c'est une méchanceté. Il faut en découvrir l'auteur! »

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CHAPITRE VII ERICA PASSE UN MAUVAIS QUART D'HEURE Erica se réjouissait d'apprendre que les huit filles avaient été punies. La rapporteuse n'osa pas manifester sa joie de peur d'être soupçonnée. Elle se doutait que les filles se demanderaient qui avait frappé aux portes. Et, en effet, elles avaient bien l'intention de découvrir la rapporteuse. Un conseil de guerre eut , lieu le même soir. « Celle qui nous a dénoncées sera punie tôt ou tard, déclara Tessa. Que j'ai été étonnée quand Mam'zelle nous a dit qu'elle avait été dérangée par quelqu'un qui frappait à sa porte! C'est une élève, je pense. Probablement la même qui a frappé à la nôtre pour nous faire peur. Je suis désolée de vous avoir invitées. Tout est de ma faute.

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- C'était très gentil de ta part de vouloir nous régaler, dit Pat. Ne t'excuse pas. Personne n'aurait rien su sans ce trouble-fête. - Pat, s'écria brusquement Tessa, tu ne crois pas que c'est ta cousine? Tu sais qu'elle parle beaucoup. Tu ne lui as rien dit, n'est-ce pas? - Pas un mot, affirma Pat en rougissant. Écoute, Tessa, tu as mauvaise opinion d'Alice. Tu exagères, ce n'est pas une rapporteuse. Sûrement non. Elle ne peut pas tenir sa langue, mais elle ne serait pas allée nous dénoncer à Mam'zelle ! - Bien,, convint Tessa. Je ne sais pas qui c'était. Et je ne vois pas comment nous le découvrirons. Dans notre dortoir, toutes les élèves avaient l'air de dormir à notre retour. - Dans le nôtre aussi, dit Pat. C'est une énigme. Je suis bien décidée à éclaircir le mystère. Je suis tellement en colère quand j'y pense! Je ne serai tranquille que lorsque je saurai qui nous a trahies. » Les autres étaient du même avis que Pat, sans avoir cependant le moindre espoir de trouver la coupable. Interrogées une à une, les élèves déclarèrent qu'elles soupçonnaient bien qu'un réveillon aurait lieu, mais qu'elles en ignoraient la date. Alice se défendit avec véhémence. « Si j'avais été au courant, je n'aurais rien dit! s'écria-t-elle, les joues rouges d'indignation. Vous me jugez mal, Isa et Pat. Vous me prenez pour une bavarde et une écervelée, vous devriez savoir que je peux garder un secret. - Nous le savons, se hâta de répliquer Pat. C'est bizarre, Alice. Tout le monde ignorait nos projets, pourtant quelqu'un en savait assez pour nous effrayer et pour nous faire surprendre par Mam'zelle! » Ce fut par hasard que la vérité fut découverte. Maria, la petite servante, vint chercher la poêle qu'elle avait prêtée à Tessa. Elle avait peur d'être grondée si la cuisinière s'apercevait de sa disparition.

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Elle ne put trouver Tessa, mais elle rencontra Pat dans l'escalier. « Miss Patricia, pourriez-vous me rendre la poêle que j'ai prêtée à Miss Tessa pour votre soirée? Je ne sais pas où elle est. J'aurais pu demander à Miss Erica, mais elle s'est sauvée sans me laisser le temps de lui parler. — Miss Erica n'en savait rien, protesta Pat. Elle n'était pas invitée. - Elle savait qu'il y aurait un réveillon, Miss Patricia, insista Maria. Je l'ai rencontrée quand j'ai apporté la poêle. Elle a soulevé mon tablier, elle a vu la poêle et elle a dit de sa voix hautaine : « Oh! C'est pour la fête d'anniversaire de Miss Tessa! » Pat fut étonnée. C'était peut-être une simple hypothèse de la part d'Erica, en tout cas elle avait vu la poêle, tiré des conclusions et deviné la vérité sans difficulté. « J'ai répliqué à Miss Erica : « Si vous savez à quoi « est destinée la poêle, pourquoi me le demandez-vous? » reprit Maria qui aimait bien Pat. J'ai appris que vous aviez eu des ennuis, j'en suis si fâchée! - Je vais vous donner la poêle », dit Pat. Dans la salle de musique, la poêle trônait sur le piano. Une élève de la seconde division l'avait nettoyée, puis oubliée là. Maria la prit et s'en retourna. Elle avait aussi peur de la cuisinière que les élèves de Mme Théobald. Pat se mit à la recherche d'Isabelle. Elle lui répéta les paroles de Maria. « C'était donc Erica, conclut farouchement Pat. Je n'en suis pas surprise, toi non plus, n'est-ce pas? Tout le monde sait qu'elle est rapporteuse. C'est un des défauts les plus laids du monde. Que dira Tessa? » Tessa ne mâcha pas ses mots. Elle était irritée et indignée. Dire qu'une compagne avec qui elle avait partagé ses chocolats et son gâteau d;’anniversaire pouvait lui jouer un si mauvais tour! « Nous lui dirons ce que nous pensons d'elle, déclara

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Tessa. Aujourd'hui même, après le goûter tu viendras dans la salle de récréation, Pat, et nous aurons une explication. Je convoquerai Nellie, Suzanne, Margaret, Nora. - Oui, mais les autres seront là, fit remarquer Pat avec inquiétude. Est-ce juste de l'accuser devant elles? — Pourquoi pas? riposta Tessa. Une rapporteuse mérite d'être dénoncée publiquement. Et puis nous ne pouvons pas aller ailleurs. » Après le goûter, Pat appela Erica qui écrivait une lettre à ses parents. « Viens, Erica, nous avons à te parler », annonça Pat d'une voix froide. Erica leva la tête et pâlit. Pat soupçonnait-elle quelque chose? « Je suis occupée, protesta-t-elle. Il faut que je finisse ma lettre.» Elle se remit à écrire. Furieuse, Pat lui arracha la feuille de papier. « Tu viendras! Tu veux qu'Isabelle et moi, nous te traînions làbas? » Erica comprit qu'elle était obligée de suivre, les jumelles jusqu'au coin de la salle commune où les six autres élèves l'attendaient. Elle se leva, pâle 'et boudeuse, bien décidée à tout nier. « Erica, nous savons que c'est toi qui as frappé à la porte de la salle de musique l'autre soir, commença Pat. C'est toi qui nous as dénoncées à Mam'zelle, tu nous as fait punir ! Tu es une méchante, une rapporteuse, tu mérites d'être punie! - Je ne sais pas de quoi vous parlez, riposta Erica d'une voix tremblante, sans oser rencontrer les yeux qui l'accusaient. - Si, tu le sais très bien, inutile de jouer la comédie, dit Tessa. Pat a tout découvert. Tout. Nous savons que tu as rencontré Maria dans l'escalier le jour où elle nous apportait quelque chose.

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« Erica, nous savons que c'est toi...

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- Je n'ai pas vu la poêle », affirma Erica. Pat fondit sur elle. « Alors comment sais-tu que c'est une poêle que Maria nous apportait? Tu vois, c'est toi-même qui t'accuses! » Les autres élèves s'avancèrent avec curiosité. Alice était du nombre; ses grands yeux bleus lui sortaient presque de la tête. « C'est donc Erica qui vous a dénoncées! s'écria-t-elle. J'aurais dû le deviner. Elle m'interrogeait tout le temps sur Pat et sur Isa. Elle me demandait quel était votre secret. — Pour une fois, Alice, tu as su te taire. Erica, tu es une horrible rapporteuse, tu devrais au moins avoir la décence d'avouer. — Je ne sais rien, persista Erica. Inutile de crier si fort. Je ne sais rien! - Avoue, Erica, avoue! » conseillèrent cinq ou six élèves de seconde division qui s'étaient approchées et écoutaient avec curiosité. Erica ne voulut rien entendre. Elle ne comprit pas que, si elle avouait franchement et faisait des excuses, ses compagnes lui en sauraient gré. Son obstination augmenta la colère de ses victimes. « Très bien, dit Pat. N'avoue pas, tu auras deux punitions au lieu d'une, c'est tout. Tu seras punie pour avoir rapporté et tu seras punie pour ne pas avouer. - Oui, appuya Tessa. Ta punition pour avoir rapporté est que tu n'iras pas en ville pendant deux semaines comme nous. Tu comprends? - J'irai, riposta Erica. — Non, reprit Tessa. Je suis chef de classe dans la seconde division et je défendrai à toutes de t'accompagner. Je sais qu'aucune de nous n'a la permission de sortir seule. Personne ne voudra te parler ou se promener avec toi. - La première division te mettra aussi en quarantaine, s'écria Pat. Ce sera ta punition pour ne pas avoir avoué!

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- Nous ne lui adresserons pas la parole », dirent plusieurs élèves. Toutes étaient indignées contre Erica. La pauvre fille avait de mauvais jours en perspective. C'est dur de ne rencontrer que des regards de mépris et de ne pouvoir jamais échanger un mot. Erica retourna dans son coin et, d'une main tremblante, essaya de terminer sa lettre. Elle avait honte, mais elle était en colère aussi. C'était surtout à Pat qu'elle en voulait. « Elle m'a vendue aux autres, pensa Erica. Tu me le paieras, Pat! Ta jumelle aussi! »

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CHAPITRE VIII MARJORIE A DES AMIES de première division voyaient rarement Erica qui ne suivait pas les mêmes cours, mais quand l'une d'elles la rencontrait dans un corridor, dans la salle de dessin ou à la gymnastique, elle détournait la tête. Le soir, dans la salle de récréation, Erica était très malheureuse. Ses compagnes de seconde division la tenaient à distance. A son passage, elles lançaient des remarques cinglantes sur les rapporteuses et les lâches. Une seule lui adressait la parole, Marjorie Fenworthy. Pas plus que les autres, Erica n'aimait Marjorie, mais elle lui était si reconnaissante qu'elle la trouvait presque sympathique. « Marjorie, je suis surprise que tu parles à Erica, dit LES

ÉLÈVES

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Pat un jour où Marjorie avait demandé à Erica de lui prêter sa boîte de peinture. — Occupe-toi de ce qui te regarde, riposta Marjorie avec sa brusquerie habituelle. Tu n'es pas tellement gentille avec moi! Je sais ce que c'est d'être rabrouée. — C'est ta faute, Marjorie, déclara Pat. Tu es si brusque et si maussade ! Tu ne souris jamais, tu ne plaisantes jamais. — Personne ne sourit et ne plaisante avec moi, gémit Marjorie. Vous ne me facilitez pas la vie. — Quel mensonge! s'écria Pat. C'est toi qui nous repousses avec ton air revêche. On dirait que tu nous en veux. Je me demande de quoi! — Ne cherche pas à rejeter les torts sur moi, protesta farouchement Marjorie. Je me moque de vous toutes! Si je veux parler à Erica, je lui parlerai. Vous êtes une bande de sottes! Vos professeurs sont des prétentieuses! Je les déteste! » Pat resta bouche bée. Quelle fille étrange, cette Marjorie! Elle ne voulait pas d'amies. Était-elle terriblement timide? Que cachait sa brusquerie? Pat discuta la question avec sa jumelle. « Marjorie se fait toujours des ennemies, fit-elle remarquer. Je lui ai parlé aujourd'hui et elle nous a accusées de ne pas être gentilles avec elle. Crois-tu que nous devrions lui parler plus souvent? — Demande à Lucie, dit Isabelle en montrant Lucie qui apportait un de ses croquis. Lucie! De qui as-tu fait le portrait? Mais c'est Mam'zelle! La ressemblance est frappante. » Lucie était une véritable artiste. En quelques coups de crayon, elle croquait une élève ou un professeur. Le dessin qu'elle tenait était excellent. « C'est exactement Mam'zelle quand elle, dit : « Doris, « vous êtes insupportable! » s'écria Pat. Écoute, Lucie, nous parlions de Marjorie.

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— Je vais faire son portrait », déclara Lucie. Elle s'assit et dessina le visage maussade de Marjorie, puis, en quelques secondes, elle représenta une Marjorie souriante, aimable et jolie. « Avant son séjour à Saint-Clair et après, expliqua Lucie en riant. — Que tu es habile! s'écria Isabelle. Dommage que Marjorie ne ressemble pas toujours à ce second dessin. Écoute, Lucie, elle a dit à Pat ce matin que nous n'étions pas gentilles avec elle. — Elle se trompe, protesta Lucie en se remettant à dessiner. C'est elle qui ne répond pas à nos avances. — C'est exactement ce que j'ai soutenu, approuva Pat. Tiens, voilà Erica! Quelle tête d'enterrement! — Elle est très malheureuse, fit observer Lucie. Je serai contente quand sa quarantaine sera levée. Je n'aime pas être méchante avec les autres, même si elles le méritent. J'ai l'impression de ne pas valoir mieux qu'elles. — Lucie, crois-tu que, malgré son mauvais caractère, nous devrions être plus aimables pour Marjorie? demanda Pat. Tu sais, Isabelle et moi, nous étions horribles le trimestre dernier et les autres ont été gentilles avec nous. N'est-ce pas notre tour de faire quelque chose pour une nouvelle qui n'est pas très sympathique? — Je suis de cet avis, répliqua Lucie en secouant les boucles brunes qui encadraient son joli visage. Papa m'a souvent répété que chacun a droit à un peu d'aide. La pauvre Marjorie en a bien besoin. Elle imagine que le collège entier est ligué contre elle. Je me demande pourquoi elle a cette idée. Je lui offrirai mon amitié. — Nous conseillerons aux autres d'en faire autant », dit Pat. La décision de Lucie et des jumelles se répandit dans la première division. La plupart détestaient Marjorie, cependant toutes acceptèrent d'imiter leurs compagnes. Alice elle-même le promit, bien que Marjorie ne lui eût

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pas épargné les rebuffades et ne lui eût pas caché qu'elle la trouvait stupide. Il fallait donc tenir Erica à l'écart et combler Marjorie de gentillesse. Ce fut au cours d'une séance de gymnastique que Marjorie se dérida pour la première fois. Elle était très souple et excellait dans tous les exercices. Après un saut particulièrement réussi, des applaudissements crépitèrent. Surprise, Marjorie jeta un regard autour d'elle, eut un demisourire et retourna à sa place. Le professeur lui adressa un compliment. Marjorie s'efforça de prendre un air indifférent, pourtant elle ne put s'empêcher de rougir de plaisir. Pendant la récréation, Pat s'approcha d'elle. « Tu es un as en gymnastique, lui dit-elle. En comparaison, je me sens très maladroite. — J'aime beaucoup la gymnastique, répondit Marjorie avec une politesse inhabituelle. Et encore plus les jeux. Je disputerais bien un match de hockey tous les jours. Quel dommage qu'on ne monte pas à cheval ici ! Dans mon ancien collège, l'équitation était mon sport favori. — A quel collège étais-tu avant de venir ici ? » demanda Isabelle, heureuse de cette conversation amicale. Marjorie se détourna sans répondre et reprit son airf maussade. Désappointées, les jumelles la suivirent des yeux tandis qu'elle s'éloignait. Cependant Marjorie sentit que l'atmosphère autour d'elle avait changé. Elle devenait moins brusque et rendait à l'occasion quelques petits services. Elle offrit même de donner des leçons de hockey à Alice, car elle voyait que les jumelles avaient honte de la maladresse de leur cousine. Alice refusa. « Pourquoi me harcèle-t-on? grogna-t-elle. Je déteste le hockey, je déteste tous les sports. Je déteste courir et me fatiguer. Après un match, nous sommes rouges et décoiffées. C'est affreux!

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— Alice! Tu passes ton temps à te regarder dans la glace! cria Margaret. Tu es aussi vaniteuse qu'un paon. J'aimerais que tu sois couverte de taches de rousseur! — Méchante! riposta Alice, les larmes aux yeux. — Cesse donc de te conduire en bébé, insista Margaret. Tes cousines étaient odieuses quand elles sont arrivées, du moins elles ne se transformaient pas en fontaine à chaque instant comme toi. — Bien sûr que non! » riposta Pat irritée. Margaret lui donna une petite tape amicale. Elle n'avait aucune envie de se quereller avec les jumelles qu'elle aimait beaucoup. Marjorie se montrait moins désagréable avec les élèves, mais son attitude à l'égard des professeurs n'avait pas changé. Elle était souvent insolente, elle n'apprenait jamais ses leçons. Chose étrange, les maîtresses avaient pour elle des trésors de patience.

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« Si l'une de nous répondait à Miss Roberts comme Marjorie l'a fait ce matin, elle serait punie, disait Pat plusieurs fois par semaine. Je ne peux pas comprendre. Et le devoir qu'elle a rendu à Miss Lewis? Illisible et plein de taches! - Et son arithmétique? renchérit Henriette. Toutes ses opérations sont fausses. Pourtant Miss Roberts n'a pas dit un mot. - Elle ne veut pas avouer son âge, fit remarquer Pat. Je crois qu'elle a seize ans, en première division nous en avons quatorze ou quinze au plus. - Si elle n'est pas douée pour les études, ce n'est pas sa faute, déclara Lucie. Dans les sports, elle nous dépasse toutes. Quand nous disputerons le match de hockey la semaine prochaine, je serai contente qu'elle soit dans notre équipe. — J'aimerais bien jouer moi aussi, dit Pat. Je n'ai pas encore vu la liste. Tu n'y es pas, affirma Lucie. J'ai regardé. Pas d'élèves de première division, excepté Marjorie, et seulement deux de seconde. -Toutes les autres sont de troisième. C'est un honneur pour Marjorie d'être choisie. Elle est si forte et si leste! - Puisqu'elle a seize ans, ce n'est pas étonnant, fit observer Alice. — Tais-toi, Alice, ordonna Pat. Je ne suis pas sûre qu'elle ait seize ans. Ne va pas le bêler dans tout le collège. — Je ne bêle pas », gémit Alice de sa voix la plus pathétique. Plusieurs élèves exaspérées lui lancèrent des coussins à la tête. Alice jugea plus prudent de se taire. Personne ne pouvait la supporter quand elle pleurnichait, ainsi que le disait Margaret. Au bout de deux semaines, les huit élèves punies attendirent avec impatience la permission de retourner en ville. Ce fut alors qu'éclata le scandale. Il eut pour centre Marjorie et, en dix minutes, la trêve amicale fut rompue. L'explosion se produisit pendant le cours d'histoire. Les élèves en gardèrent un souvenir horrifié et lui donnèrent le nom de « Vrai Scandale ».

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CHAPITRE IX LE VRAI SCANDALE Miss LEWIS faisait son cours d'histoire. Ce jour-là, elle parlait de la découverte de l'Amérique et de sa conquête. Les élèves étaient sages comme des images. Miss Lewis était sévère et punissait facilement. D'habitude, Marjorie elle-même était attentive, elle s'intéressait à l'histoire, et craignait Miss Lewis et ses yeux perçants. Ce matin-là, Marjorie n'était pas dans son état normal. Au petit déjeuner, elle avait trouvé une lettre près de son assiette. Pour l'ouvrir, elle avait attendu d'être seule. Puis elle avait repris son air le plus maussade. Ses compagnes se demandaient ce qu'elle avait. Elle s'était montrée distraite pendant le cours d'arithmétique. 64

Miss Roberts avait feint de ne rien remarquer. Mam'zelle, qui lui avait succédé, avait laissé Marjorie bouder à son aise. Marjorie s'était un peu rassérénée pendant le cours d'histoire, mais elle n'avait pas pris part à la discussion que Miss Lewis autorisait parfois au début du cours. Henriette avait eu une excellente idée. « Miss Lewis, on joue une pièce de Shakespeare dans la ville voisine, au Théâtre-Royal : Richard III. Vous connaissez ? - Oui, répondit Miss Lewis. C'est une belle pièce. - Miss Lewis... est-ce que vous pourriez nous y conduire? s'écria Henriette qui aimait beaucoup le théâtre. - Dites oui, Miss Lewis, insistèrent les autres. Vous seriez si gentille ! — Taisez-vous! ordonna Miss Lewis en tapant sur son bureau. D'autres divisions y vont. Quand joue-t-on la pièce, Henriette? » Henriette avait un programme dans son bureau. Elle le consulta. « La dernière matinée sera donnée dimanche prochain, dit-elle. Miss Lewis, je vous en prie, accompagnez-nous! J'aimerais tant y aller! - J'ai congé samedi, déclara Miss Lewis d'un ton de regret. J'ai projeté une excursion avec Miss Walker. Nos dispositions sont prises. » Chaque professeur avait un week-end de congé pendant le trimestre, celui de Miss Lewis tombait cette semaine. La déception fut générale. « Quel dommage ! s'écria Pat. Tant pis, Miss Lewis ! Ce sera pour une autre fois. - Je verrai, répliqua lentement Miss Lewis. Vous avez bien travaillé depuis le début du trimestre, je pourrai peut-être vous sacrifier mon dimanche et passer le samedi chez moi. Miss Walker trouvera une autre personne pour l'accompagner.

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- Nous ne pouvons pas accepter! s'écria aussitôt Margaret. Nous ne sommes pas si égoïstes, Miss Lewis! » Miss Lewis se mit à rire, elle aimait beaucoup les élèves de première division. « Je vais arranger cela, promit-elle. J'en parlerai à Mme Théobald et la classe pourra venir avec moi par le car de l'école. Nous verrons la pièce et après nous ferons un bon goûter. » Des cris de joie retentirent. Des yeux brillants regardèrent Miss Lewis, les visages rayonnaient. Quel plaisir inattendu! Marjorie ellemême eut un petit sourire. « Miss Lewis, vous êtes formidable! s'écria Margaret. Merci beaucoup. Vous êtes sûre que vous ne regretterez pas trop votre excursion? Énormément, dit Miss Lewis, une lueur joyeuse dans les yeux. Croyez-vous que ce soit un plaisir pour moi d'escorter vingt élèves bruyantes et insupportables? » Ce fut un rire général. Miss Lewis était sévère, oui, mais êtres juste et très bonne. « Attention! reprit Miss Lewis. Il faudra bien travailler pour me prouver votre reconnaissance. Pas de paresse ce trimestre! - Nous le promettons! » s'écrièrent les élèves, décidées à donner satisfaction à leur professeur. Dix minutes plus tard, le Vrai Scandale éclatait. Leur livre d'histoire ouvert devant elles, les élèves suivaient sur la carte d'Amérique les explications de Miss Lewis... toutes, excepté Marjorie. Son livre était ouvert, il est vrai, mais entre les pages elle avait glissé la lettre reçue le matin et elle la relisait, les sourcils froncés. Miss Lewis adressa la parole à Marjorie et n'obtint pas de réponse. Elle n'avait même pas entendu la question, tant elle était absorbée par ses pensées. « Marjorie! s'écria Miss Lewis. Vous ne faites pas attention! Qu'avez-vous dans votre livre? — Rien », répondit Marjorie en sursautant. 66

Elle essaya de dissimuler la lettre. Miss Lewis s'emporta. « Apportez-moi cette lettre, commanda-t-elle. - Elle est à moi, protesta Marjorie avec son regard le plus sombre. — Je le sais, insista Miss Lewis irritée. Je n'ai pas l'intention de la garder, je vous la rendrai à la fin de la matinée. Ainsi vous ne serez pas distraite pendant les cours. Apportez-moi cette lettre. - Pour que vous la lisiez! s'exclama Marjorie, saisie d'un accès de rage. Personne ne lira les lettres que je reçois! - Marjorie, vous vous oubliez, dit froidement Miss Lewis. Vous savez bien que je ne lirai pas votre correspondance. Mais je la confisquerai pour le reste de la journée. Vous allez me l'apporter et vous viendrez la chercher ce soir en vous excusant de votre conduite. — Jamais de la vie! » cria Marjorie. Les élèves la regardèrent, indignées. « Tais-toi, Marjorie, chuchota Pat, assise près d'elle. Comment oses-tu parler ainsi? — Tais-toi toi-même! Je ne donnerai ma lettre à personne, pas même à Mme Théobald! Quant à Miss Lewis qui fourre son nez et ses yeux partout, je ne lui obéirai pas ! — Marjorie! » s'écrièrent une demi-douzaine d'élèves. Elles n'en croyaient pas leurs oreilles. Marjorie était rouge comme une pivoine et ses yeux étincelaient. En proie à une violente colère, elle ne savait plus ce qu'elle disait. Miss Lewis avait pâli. Elle se leva. « Sortez de la classe, Marjorie, dit-elle sans perdre son calme. Je verrai plus tard si je peux vous recevoir ou non à mon cours d'histoire. — Je sors, répliqua Marjorie. Je quitterais le collège si je le pouvais. Je ne voulais pas venir, je savais d'avance ce qui se passerait. Je vous déteste toutes! » Elle sortit, la tête haute. Mais une fois dehors, elle appuya son front contre le mur et fondit en larmes amères. 67

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Elles n'en croyaient pas leurs oreilles... 69

Le hasard voulut que Mme Théobald passât juste au moment où Marjorie s'essuyait les yeux en se demandant où elle irait. « Venez avec moi, ordonna la directrice. On vous a mise à la porte? Pourquoi? Je sais que vous me renverrez, murmura Marjorie. Tant pis! Cela m'est égal! Je ne vous crois pas, déclara Mme Théobald. Marjorie, venez avec moi. Nous ne pouvons pas rester ici; dans quelques minutes les élèves vont sortir des classes. » Marjorie regarda le visage grave de Mme Théobald. La directrice la contemplait d'un air compatissant. Avec un sanglot, elle la suivit. Dans la classe résonnait un chœur de voix irritées. « Comment a-t-elle pu se conduire si mal! C'est un vrai scandale! - Au moment où Miss Lewis nous avait promis de nous sacrifier son samedi! — C'est perdre son temps que d'être gentille avec une fille pareille! Je ne lui parlerai jamais plus! - Elle mérite d'être renvoyée! Je ne serais pas surprise qu'elle le soit! - Miss Lewis, nous nous excusons toutes au nom de Marjorie. - Mes enfants, du calme! dit Miss Lewis en mettant ses lunettes et en promenant un regard autour d'elle. Inutile de faire autant de bruit! Il ne nous reste plus que cinq minutes. Prenez la page 56. Je ne veux plus entendre parler de Marjorie. » On lui obéit, mais le tapage reprit dehors. Toutes étaient en colère contre Marjorie. La seconde division partagea l'indignation générale. « Si j'avais été là! s'écria. Tessa qui aimait les querelles, à condition de ne pas les avoir provoquées. Miss Lewis devait être furieuse! - Où est Marjorie maintenant? » demanda Pat.

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Personne ne le savait. On ne la revit plus, ni le matin ni l'aprèsmidi, mais après le goûter elle entra dans la salle de récréation, pâle, avec un regard de défi, car elle devinait la façon dont on la jugeait. « La voilà ! annonça Margaret. J'espère que tu as honte de toi, Marjorie! » Marjorie refusa de dire un mot. Elle s'assit dans un coin et lut ou fit semblant de lire. Les autres l'accablèrent de reproches. Erica ellemême était oubliée. Les fautes d'Erica n'étaient que vétilles en comparaison de celles de Marjorie. « Je me demande si Marjorie aura l'autorisation d'assister au cours d'histoire demain, murmura Margaret. Je vous parie que Miss Lewis ne l'acceptera pas. » Mais une surprise fut réservée à la classe. Quand Miss Lewis entra, Marjorie était à son pupitre. « Bonjour, mes enfants, dit Miss Lewis en entrant. Marjorie, Mam'zelle vous attend dans son cabinet de travail. Elle a un mot à vous dire. Revenez après. » Marjorie sortit, étonnée. Miss Lewis se tourna vers les élèves. « Marjorie s'est excusée de son emportement, expliqua-t-elle. Elle a tout avoué à Mme Théobald et hier soir elle m'a présenté ses excuses. Je les ai acceptées et je la reprends dans ma classe. Je pense que l'incident ne se renouvellera pas, je vous demande de l'oublier le plus tôt possible. — Elle ne sera pas punie? demanda Margaret indignée. — Peut-être Pa-t-elle déjà été, dit Miss Lewis en remettant ses lunettes. C'est à la directrice à prendre une décision, n'est-ce pas? Plus un mot là-dessus. Prenez la page 56. » Les élèves cherchaient la page 56 quand Marjorie revint. Mam'zelle lui avait posé une question insignifiante. Miss Lewis, elle en était sûre, avait cherché un prétexte pour avoir le temps de donner une explication à son sujet. Elle reprit sa place, rouge comme une pivoine.

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Elle fut très attentive, Miss Lewis n'eut pas à lui adresser la moindre réprimande. A la récréation, les élèves tinrent un conciliabule. « Oublier le plus tôt possible! s'écria Margaret. Comment Miss Lewis a-t-elle pu dire une chose pareille? Marjorie aurait dû être renvoyée du collège! Nous qui nous efforcions d'être si gentilles pour elle! Impossible de l'aimer! Elle est odieuse! » Marjorie se retrouva donc sans amies. On ne lui parlait que dans les cas d'absolue nécessité. Personne ne la regardait. « Dommage qu'elle joue dans le match! fit observer Pat. Je n'applaudirai pas si elle marque un but! »

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CHAPITRE X UN MATCH SENSATIONNEL passaient rapidement. Les élèves de première division virent jouer Richard III. Après la représentation, Miss Lewis leur offrit un excellent goûter. « Des brioches et de la confiture! Du cake! Des meringues! Des éclairs au chocolat! dit Margaret en décrivant l'après-midi à la seconde division. Quel festin! Je ne sais pas ce que j'ai préféré, la pièce ou le goûter. Les deux étaient merveilleux ! — Marjorie était avec vous? » demanda Tessa avec curiosité. Tout le monde avait entendu parler du Vrai Scandale, même les grandes. LES JOURNÉES

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« Oui, répondit Pat. A sa place, je n'aurais pas osé venir. Elle n'a pas dit un mot de la journée, mais elle a remercié Miss Lewis de l'avoir acceptée. C'est rudement cl île de la part de Miss Lewis! — C'est vrai, approuva Tessa. Belinda disait hier que, si Marjorie ne jouait pas si bien au hockey, elle ne la prendrait pas dans l'équipe. Elle aime beaucoup Miss Lewis, elle n'admet pas qu'on ait pu lui parler sur ce ton. — Marjorie n'a que cela en sa faveur, son habileté dans les sports, dit Pat. Quel caractère! J'espère que Belinda lui dira quelques mots avant le match. Si elle attaque ses adversaires avec trop de vigueur, elle sera disqualifiée et il nous manquera une joueuse. » Belinda, en effet, parla à Marjorie. Le match serait disputé sur le terrain de jeux du collège et toutes les élèves y assisteraient s'il faisait beau. Les deux équipes se valaient.. La lutte serait chaude. « Marjorie, fais attention de ne pas t'emporter, recommanda Belinda pendant que les joueuses revêtaient leur costume de gymnastique. Tu perds la tête quelquefois et tu oublies que tu es si forte. Joue franc jeu et tu seras utile. Si tu te mets en colère, tu seras probablement renvoyée du terrain! » Marjorie ne répondit rien. Elle se pencha pour mettre «es chaussures. Pat et Margaret entrèrent dans le vestiaire, elles étaient à la recherche d'Isabelle et d'Alice. « Les voici! » s'écria Pat. La pièce était obscure et elle n'aperçut pas Marjorie qui se chaussait. « Si cette odieuse Marjorie marque un but, nous n'applaudissons pas, compris? - Oui, Pat, approuvèrent les autres. Elle ne mérite pas un seul applaudissement. — Odieuse toi-même, Pat! cria Marjorie en se redressant brusquement. C'est donc ce que tu as comploté! Cela ne m'étonne pas de toi! »

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Les quatre filles furent consternées, elles ne savaient pas que Marjorie était là. « Je n'ai pas besoin de vos applaudissements, déclara Marjorie en sortant. Un jour, Pat, je te revaudrai tout cela. Tu verras! » Une cloche sonna pour appeler les joueuses. Marjorie prit sa place, le visage convulsé par la fureur. « Je plains ses adversaires, dit Belinda à Ri ta. Quelle fille bizarre! » Un coup de sifflet annonça le commencement du match. C'était un bel après-midi, froid mais sans vent. Les spectatrices avaient leur manteau d'hiver et leur béret de feutre. Leurs mains dans de bons gants de laine, elles étaient prêtes à applaudir. C'est toujours palpitant d'assister à un match, de crier, de sauter et d'applaudir pour saluer les exploits de son équipe. Le match fut d'abord un peu lent. Les joueuses prenaient leur temps, s'observaient et multipliaient les précautions. Les deux équipes n'étaient composées que de filles de deuxième et de troisième division. Marjorie était la seule exception. Les élèves de l'institution Victoria n'étaient pas très grandes, mais vigoureuses et lestes. Bientôt elles s'enfiévrèrent et le match commença à devenir passionnant. « Vite, Mary! » hurlait le collège en voyant une élève de troisième division frapper la balle que lui passait Tessa et s'élancer vers le but. Une de ses adversaires s'efforça de dévier le cours de la balle. Mary, l'élève de Victoria, appela une camarade à la rescousse. Celle-ci arriva en courant aussi vite qu'un lièvre. Mary trébucha et tomba. L'autre envoya la balle dans la direction opposée. « Vas-y, Marjorie! cria Belinda. Cours! Dépêche-toi! » Marjorie partit comme un boulet de canon. Personne n'avait des jambes aussi agiles. Elle traversa le terrain, s'empara de la balle et la fit passer à Tessa qui l'attendait.

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« Allez-y! Pour Saint-Clair! » hurlaient les élèves.

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Mais, hélas! Tessa manqua le but et le sifflet retentit. « Qu'elle joue bien, cette Marjorie! » s'écria Rita. Personne cependant n'avait applaudi Marjorie. Les cris d'encouragement ne s'adressaient qu'à Tessa. Le match continua. Les élèves étaient enrouées à force de crier. On ne pouvait en douter, Marjorie était la meilleure joueuse. Ce jourlà, elle se surpassait. Pat, un peu gênée, savait pourquoi. « Elle joue toujours mieux quand elle est en colère, dit-elle à Isabelle. Tu l'as remarqué? On dirait que le match est un combat. Elle s'y donne corps et âme. » Marjorie prit de nouveau la balle. Evitant de justesse un assaut ennemi, elle la passa à Suzanne qui était tout près. Suzanne l'attrapa et la lui renvoya. Le but était devant Marjorie. S'y précipiterait-elle tout droit en risquant une attaque, ou chercherait-elle à l'atteindre de sa place? Une fille courut vers elle. Marjorie lança la balle avec tant de force que son adversaire, ne put l'arrêter. La gardienne de but n'eut pas plus de succès. La balle avait atteint le but ! « But! » hurla le collège. Un silence complet suivit ce cri. Pas d'applaudissements, pas de clameurs joyeuses. Pas de : « Bravo, Marjorie! » C'était contraire aux coutumes. Les professeurs qui étaient là échangèrent des coups d'œil. Il fallait que la pauvre Marjorie fût bien détestée pour ne pas être applaudie pendant un match. A la mi-temps, Pat courut offrir aux joueuses altérées une assiette pleine de tranches de citron. Que c'était bon! Si acide et si frais! « Vous avez un as, ce trimestre, dit le capitaine de l'équipe adverse à Pat en prenant sa tranche de citron. Qu'elle est grande! Je croyais qu'elle était dans la troisième division ! - Pas du tout, dit Pat. Elle fait partie de la première.

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- Je ne m'en serais jamais doutée ! » s'écria le capitaine de sport. Marjorie ne parlait à personne et personne ne lui parlait. « Elle n'a pas l'air d'être très aimée, fit remarquer l'élève de l'institution Victoria. Qu'a-t-elle fait? - Rien, répondit Pat, peu disposée à trahir les secrets du collège. Une autre tranche de citron? - Non, merci. Quel beau match! Vous êtes en avance d'un but, mais nous nous rattraperons. » Un coup de sifflet. Pat se hâta de s'enfuir. Les joueuses reprirent leur place. Le match recommença. Cette fois, ce fut une mêlée furieuse. Le capitaine de l'équipe rivale marqua un but inattendu. Le collège hua Bertha, la gardienne de but, qui aurait dû arrêter la balle. La pauvre Bertha rougit de confusion. « Allez-y! Pour Saint-Clair! » hurlaient les élèves. Marjorie avait bien joué au début, mais maintenant, semblait-il, elle était partout à la fois. Elle courait comme le vent et attaquait avec fougue, tous ses mouvements étaient précis. Par malheur, en proie à un accès de rage, elle poussa si violemment une rivale que celle-ci chancela. L'arbitre donna un coup de sifflet et appela Marjorie. « Va-t-elle la disqualifier? gémit Belinda qui souhaitait la victoire de son équipe. Elle le mérite, je le sais, elle est si violente, mais nous ne pouvons pas la perdre maintenant. » Par bonheur, Marjorie ne fut pas disqualifiée. Sévèrement réprimandée, elle retourna à sa place, maussade et les sourcils froncés. Après, elle se tint sur ses gardes; elle n'avait pas le moindre désir d'être renvoyée au milieu d'un match si passionnant. Quelques minutes plus tard elle avait la balle et la passait à Mary qui la lui rendait. Marjorie lança la balle et atteignit le but. « But! » hurla le collège. Puis, de nouveau, ce fut le silence. Pas d'applaudissements.

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Marjorie le remarqua et ses yeux étincelèrent de colère. Oh! Ces filles! Elle s'efforçait de donner la victoire au collège et elle ne recevait même pas un bravo. A cause de cette odieuse Pat O'Sullivan. Une vague de rage déferla dans son cœur. Sa promptitude et sa force en furent décuplées. Elle était rapide comme l'éclair et réussissait des coups qui paraissaient impossibles. « Pourvu que les autres ne gagnent pas! vociféra Pat. Mon Dieu! Elles attaquent! Vite, Bertha! Vite! » Malgré les efforts de Bertha, Victoria marqua un autre but. Les deux équipes étaient à égalité. Il ne restait plus que cinq minutes. Au cours de ces cinq minutes, Marjorie réussit à marquer deux buts. La seconde fois, deux adversaires la talonnaient de près. Elle se jeta par terre et, soudain, le nez presque contre le sol, elle envoya la balle qui atteignit le but. L'arbitre cria : « But! Quatre à deux! Encore une minute ! » L'équipe de Victoria n'avait pas le temps de se ressaisir. Le sifflet retentit de nouveau. La victoire fut attribuée à Saint-Clair. Quel beau match!

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CHAPITRE XI LA VENGEANCE D'ERICA D'HABITUDE

les gagnantes d'un match étaient entourées, applaudies, cajolées. Si quelqu'un le méritait cet après-midi-là, c'était bien Marjorie qui avait attribué la victoire à Saint-Clair et s'était montrée la meilleure joueuse de l'équipe. « Bravo! » murmura Belinda lorsque Marjorie passa devant elle. Les autres restèrent muettes. Aucune d'elles ne s'approcha de Marjorie pour lui donner une tape sur l'épaule ou la complimenter. C'était comme si elle n'existait pas. Les élèves de Victoria remarquèrent cette étrange conduite et s'en étonnèrent. Qu'avait donc fait Marjorie pour être traitée ainsi?

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« Je suis bien contente qu'elle ait gagné le match, mais j'aurais mieux aimé que ce soit une autre, dit Pat. C'est un peu gênant de ne pas l'applaudir. Crois-tu que nous devrions aller lui dire un mot, Margaret? - Peut-être, répondit Margaret. Mais tu sais d'avance comment elle nous accueillerait. Elle se mettrait en boule comme un hérisson. Ne nous y frottons pas! » Malgré sa hardiesse, Marjorie ne put supporter de participer au goûter. En général, après un match, les deux équipes rivales prenaient le thé ensemble dans le réfectoire, à une table à part. Elles babillaient, riaient, discutaient le match. Les élèves de Saint-Clair faisaient les honneurs du goûter, c'était un des grands plaisirs du trimestre. « C'est si agréable, après la fatigue d'une victoire de s'asseoir pour manger des brioches, du cake, du gâteau au chocolat et boire de grandes tasses de thé bien chaud, soupira Tessa. Viens, Suzanne, ne nous faisons pas attendre. » Toutes remarquèrent que Marjorie n'était pas à la table, on ne fit pas allusion à son absence. Les élèves de Victoria étaient étonnées. L'équipe de Saint-Clair se demandait où était Marjorie. D'un regard, on constata qu'elle n'était pas non plus à la table de la première division. Après s'être changée au vestiaire, elle s'était réfugiée dans la classe déserte, devant son pupitre, fatiguée, irritée, malheureuse. Elle avait envie d'une tasse de thé, elle avait faim, cependant pour rien au monde elle n'aurait affronté les regards hostiles des autres filles. Elle avait si bien joué, elle avait gagné le match pour son équipe et elle n'avait même pas reçu un mot de remerciement. Miss Roberts remarqua l'absence de Marjorie. Elle devina ce qui s'était passé. Elle avait entendu parler du Scandale et elle savait que Marjorie était punie par ses compagnes. La punition était juste, Miss Roberts ne pouvait la lever. Le match avait fait oublier la dénonciation d'Erica. Erica, elle, pensait toujours à se venger de Pat. Elle se

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Ne prends pas cet air innocent, dit Margaret. Regarde! Tu n'oseras pas dire que ce n'est pas toi qui as défait le tricot de Pat? » creusait la tête pour découvrir un moyen. Ce n'était pas si facile qu'elle l'avait cru d'abord, parce que toutes les deux étaient dans des divisions différentes. A force de chercher, elle finit par trouver. Pat tricotait un joli pull-over rouge. Un soir, Erica aperçut le sac à ouvrage de Pat sur l'étagère, elle décida de profiter de l'occasion. Ce soir-là, toutes les élèves se réunissaient pour voir un film. « Si j'arrive une des dernières, je pourrai m'asseoir au fond de la salle, pensa-t-elle. Je m'esquiverai quelques minutes et je reprendrai ma place sans que personne le remarque. J'aurai le temps d'aller jusqu'à la salle de récréation » A sept heures et demie, Erica s'assit près de la porte. Le film venait de commencer et tous les yeux étaient fixés sur l'écran. Marjorie était au fond elle aussi; c'était sa place maintenant puisque les autres l'avaient mise également en quarantaine. Au bout d'un moment, Erica s'esquiva. Elle courut à la salle de récréation déserte et prit le sac à ouvrage de Pat. Elle y trouva le pull-over presque fini. Pat l'avait fait avec soin et en était très fière. Erica le prit, retira les aiguilles et tira sur les mailles. Elle coupa la laine à plusieurs endroits, enfin elle remit le tricot à moitié défait sur l'étagère et retourna à sa place. Les images se succédaient toujours sur l'écran. Une seule personne avait vu partir Erica : Marjorie qui, absorbée par ses propres pensées, ne suivait ?as le film. Erica se félicitait du succès de son expédition, at avait mérité une bonne leçon! Le film s'acheva. Les élèves bâillaient et s'étiraient. Pat regarda sa montre. « Huit heures, dit-elle. Nous avons le temps de jouer à un jeu dans la salle de récréation. Venez. — Il y a de la musique de danse à la radio, annonça Doris. Je voudrais danser. — J'ai un devoir de français à terminer, gémit Sheila.

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Quel dommage que je ne l'ai pas fait plus tôt! Je n'ose pas le laisser, Mam'zelle est de si mauvaise humeur ces jours-ci ! — Tu l'as remarqué, toi aussi? s'écria Isabelle. Je n'ose plus bouger pendant ses cours. » Elles retournèrent toutes à la salle de récréation. Les élèves de troisième division allèrent dans la grande salle qu'elles partageaient avec les élèves de quatrième, les grandes s'enfermèrent dans leurs petits cabinets de travail. La récréation avant l'heure du coucher était toujours très gaie. « Que vas-tu faire, Isabelle? demanda Pat. Veux-tu que nous finissions ce puzzle que Tessa nous a prêté? — Non, répondit Isabelle. J'ai deux ou trois reprises à faire. Sinon, Mme Rey me grondera. — Alors, moi, je vais tricoter, dit Pat en tendant la main pour prendre son sac. Mon pull-over rouge est si joli! Que va dire maman en le voyant? Je n'ai jamais fait un tricot aussi compliqué. — Montre-le-moi », demanda Margaret. Pat prit son tricot et le déroula. Les aiguilles tombèrent par terre. La laine était coupée à plusieurs endroits. « Pat! s'écria Isabelle. Pat, il est tout défait! — Quel dommage! prononça Margaret en jetant un coup d'œil sur le visage horrifié de Pat. Qui a fait cela? — Pat, je suis désolée! ajouta Isabelle qui savait que ce pullover avait donné beaucoup de travail à Pat. Qu'est-ce qui a bien pu arriver? » Pat regardait son ouvrage. Elle avait envie de pleurer, une boule obstruait sa gorge. « Quelqu'un l'a fait exprès, murmura-t-elle à voix basse. Quelqu'un a voulu me jouer un mauvais tour. — Marjorie! s'exclama tout de suite Isabelle. Elle t'a entendue quand tu nous as défendu d'applaudir, c'est sa façon de se venger. Que c'est mesquin! »

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Margaret devint très rouge, elle détestait la mesquinerie. « Si c'est elle, elle mérite une nouvelle punition, déclara-t-elle. Venez voir, les autres, venez voir le tricot de Pat! »

Les élèves de première et de seconde division se rassemblèrent. Erica vint aussi et fit semblant d'être surprise et scandalisée. Elle se réjouissait tout bas, personne ne devinerait que c'était son œuvre ! Les amies des jumelles attribuèrent le méfait à Marjorie. Aucune d'elles ne pensa à Erica dont la dénonciation était à moitié oubliée. Elles se réunirent autour de Pat et cherchèrent à la consoler. « Quelle malchance! s'écria Tessa. Ton tricot est hors d'usage. — Je n'ai qu'à le défaire complètement et à recommencer », dit Pat. Elle s'étonnait que quelqu'un ait pu la détester assez pour lui jouer un si mauvais tour. Pat n'avait jamais eu d'ennemie et ignorait ce que c'est que la rancune. « Que vas-tu faire à Marjorie? demanda Margaret. Elle mérite d'être punie, n'est-ce pas? — Où est-elle? » s'enquit Henriette. Au même instant, Marjorie entra avec un livre qu'elle venait de prendre à la bibliothèque. Margaret l'interpella sans perdre une minute. « Marjorie, viens ici! Nous savons maintenant de quoi tu es capable! » « Que veux-tu dire, Margaret ? demanda-t-elle froidement. — Ne prends pas cet air innocent, dit Margaret. Regarde! Tu n'oseras pas dire que ce n'est pas toi qui as défait le tricot de Pat? » Elle lui montra le pull-over. Marjorie écarquilla des yeux étonnés. « Bien sûr que non ce n'est pas moi! protesta-t-elle avec dignité. Je suis emportée et boudeuse, je ne vaux rien du tout à vous en croire, mais je ne joue pas des tours de ce genre. Je déteste Pat, j'aimerais me venger de ses méchancetés, mais pas de cette façon. » Personne ne la croyait. Pat rougit et remit son tricot dans son sac.

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« C'est toi, Marjorie! Nous savons que c'est toi! cria Isabelle hors d'elle, car sa sœur était en cause. Tu t'es esquivée pendant que nous regardions le film et tu as défait le pull-over! — Non! protesta Marjorie. C'est vrai que j'étais au fond de la salle. Où voulez-vous que je me mette depuis que je suis en quarantaine? Mais je vous dis que ce n'est pas moi et c'est la vérité! Je suis incapable d'une telle lâcheté. Je pourrais renverser Pat en jouant au hockey ou la gifler, mais pas ça! - Tu es capable de beaucoup de choses, déclara Margaret d'un ton méprisant. Rien ne te retient. -— Le proverbe est bie:i vrai! Qui veut noyer son chien l'accuse de la rage, répliqua Marjorie. Parce que je ne suis pas parfaite, vous m'accusez de tous les crimes. Vous vous trompez. » Ses yeux se remplirent de larmes et elle se détourna pour les cacher. Les larmes sont une faiblesse, elle ne voulait pas qu'on les vît. Elle sortit de la salle, laissant les autres surprises et furieuses. « Elle ose nier! Quelle audace! s'écria Catherine. - Elle en a à revendre, déclara Tessa. Taisez-vous, ordonna Pat. N'en parlons plus. Nous sommes sûres que c'est elle, mais nous n'avons pas de preuves. C'est un vandalisme odieux, mieux vaut l'oublier. - C'est très chic de ta part, dit Doris en se dirigeant vers le poste de radio. Je voudrais bien savoir exactement comment elle s'y est prise. Voulez-vous un peu de musique de danse pour nous changer les idées? » Une musique bruyante remplit la salle. Doris et Margaret se mirent à danser, faisant des singeries pour amuser les autres. Ce fut Erica qui rit le plus fort. « Quelle chance! pensa-t-elle. Personne n'a pensé à moi, on a rejeté la responsabilité sur Marjorie. Je peux jouer d'autres mauvais tours à Pat, on croira toujours que c'est Marjorie! »

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CHAPITRE XII UNE RENCONTRE INATTENDUE bientôt le congé de mi-trimestre. Beaucoup de parents venaient par le train ou par la route pour voir leurs filles. Les élèves qui ne recevaient pas de visites allaient au cinéma ou au théâtre de la ville voisine avec leurs professeurs. Mme O'Sullivan arriva en voiture et fit sortir Pat et Isabelle, ainsi qu'Alice dont la mère n'était pas libre. Margaret partit avec ses parents en emmenant Henriette. La famille de Marjorie ne se dérangea pas, aucune de ses compagnes ne songea à inviter la pauvre fille. Miss Roberts la conduisit au cinéma avec quatre autres élèves. Isabelle était encore furieuse de la mésaventure arrivée à Pat. Elle la raconta à Mme O'Sullivan, et Alice y ajouta CE FUT

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son mot. Pat gardait le silence. L'idée qu'elle avait une ennemie l'étonnait et la peinait. « Vous êtes bien sûres que c'est Marjorie la coupable? demanda Mme O'Sullivan. Ne croyez-vous pas que vous devriez réserver votre jugement jusqu'à ce que vous ayez des preuves? Il n'y a rien d'aussi terrible que d'accuser quelqu'un à tort. J'ai l'impression, d'après ce que vous me dites, que la pauvre Marjorie n'a jamais été très heureuse. » La remarque de Mme O'Sullivan donna quelque remords aux trois filles. Elles étaient sûres que c'était Marjorie qui avait défait le pull-over, mais après tout elles n'avaient aucune preuve. On parla d'autre chose. Dans le secret de leur cœur, Pat et Isabelle décidèrent de suivre le conseil de leur mère. Marjorie avait mauvais caractère, elle était emportée, mais jamais auparavant elle ne s'était montrée méchante ou menteuse. Alice devina les pensées des jumelles et se promit de les imiter. En ces quelques semaines, elle avait déjà subi l'influence de Saint-Clair et elle devenait plus réfléchie et moins vaniteuse. Une rencontre inattendue fit oublier ces bonnes intentions. Mme O'Sullivan avait conduit ses filles et sa nièce au restaurant, dans la ville située à une cinquantaine de kilomètres du collège. A une table voisine, les jumelles reconnurent une de leurs anciennes compagnes du cours Tennyson, Pamela Holding. « Bonjour, Pamela! s'écria Isabelle. Tu es aussi en congé? - Bonjour, Pat! Bonjour, Isa! Tiens, Alice! Oui, je suis en pension à Sainte-Hilda et maman me mène au théâtre cet après-midi. Vous venez aussi? - Bien sûr, dit Pat. Allons-y ensemble, après nous goûterons. » Mme O'Sullivan et Mme Holding se connaissaient. Elles approuvèrent ce projet. Après le déjeuner, on se dirigea vers le théâtre, les quatre filles marchaient devant leurs mères, bavardant et riant.

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Au théâtre, elles durent se séparer, mais elles se donnèrent rendez-vous dans une pâtisserie. Ce fut en goûtant que les jumelles apprirent une étrange nouvelle. Pamela parlait d'une élève de son institution qui venait de se qualifier pour les championnats de course à pied. « Une élève de notre collège pourrait rivaliser avec elle, déclara Alice. Elle est toujours première en gymnastique. Elle s'appelle Marjorie Fenworthy. - Marjorie Fenworthy? s'écria Pamela en ouvrant de grands yeux. Elle est à Saint-Clair? Nous nous demandions ce qu'elle était devenue. - Elle était à Sainte-Hilda avec toi au trimestre dernier? demanda Pat. Elle n'a jamais voulu dire d'où elle venait. - Ça ne m'étonne pas! s'écria Pamela d'un ton méprisant. Elle a déjà fait six écoles. — Pourquoi? interrogea Isabelle. Vous ne devinez pas? dit Pamela. Elle a été chassée de toutes. La directrice de Sainte-Hilda a patienté pendant deux trimestres, puis l'a mise à la 'porte. Elle était insupportable. Et insolente en classe avec les professeurs! » Ce signalement répondait bien à celui de Marjorie. Elle avait été renvoyée d'une école après l'autre. Quelle honte! « C'est bien elle! s'écria Alice quand elle eut recouvré l'usage de la voix. Je pense qu'elle sera bientôt renvoyée de Saint-Clair. Tu sais ce qu'elle a fait à Pat? » L'histoire du pull-over et celle du Scandale furent racontées. Pamela écoutait avec intérêt. « Que Marjorie ait répondu grossièrement à votre professeur, cela ne m'étonne pas, fit-elle remarquer. Mais défaire un tricot pour se venger, cela ne lui ressemble pas. Elle aurait pu l'arracher des mains de Pat et le mettre en pièces devant ses yeux; à Sainte-Hilda elle n'a jamais rien fait derrière le dos de quelqu'un. Il faut qu'elle ait beaucoup changé.

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- Pourquoi a-t-elle été renvoyée des autres écoles? demanda Alice. — Mauvais caractère, insolence, indiscipline, répliqua Pamela. Elle ne travaillait pas du tout à Sainte-Hilda. Elle a seize ans, vous savez. Je parie qu'elle est encore dans votre division. - C'est vrai, convint Pat. Nous pensions bien qu'elle avait seize ans. Elle n'est même pas au niveau de notre classe. Elle dispute la dernière place à Alice. » Alice rougit. « Je n'ai pas été dernière depuis trois semaines, protesta-t-elle. Je travaille beaucoup. - C'est vrai, reconnut Pat. Je crois que tu as fait un effort. A la dernière composition, tu étais avant Doris et Marjorie. » Pour le trajet du retour, les trois cousines s'installèrent sur la banquette du fond. Mme O'Sullivan était au volant de la voiture. « Marjorie a donc seize ans! s'écria Isabelle. Quelle sotte! Et se faire renvoyer si souvent! Je m'étonne que Saint-Clair l'ait acceptée. » Mme O'Sullivan prit la parole. « L'atmosphère de Saint-Clair ne peut que lui faire du bien, ditelle. Mme Théobald a dompté des natures encore plus rebelles. Je suis sûre qu'elle est au courant du passé de Marjorie. Elle espère la transformer. » Les trois filles ne répliquèrent rien. En secret, elles avaient espéré que Marjorie serait renvoyée du collège. Mme O'Sullivan leur ouvrait de nouveaux horizons. Quelle victoire pour Saint-Clair si Marjorie se corrigeait de ses défauts! « Maman, tu crois que nous ne devons rien répéter aux autres? demanda Pat en exprimant les pensées de sa sœur et de sa cousine. - Cela ne fait pas de doute, répondit Mme O'Sullivan. Respectez les secrets de votre compagne. Elle a honte

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D’avoir été renvoyée de plusieurs écoles. Elle ne s'est pas bien conduite, ce n'est pas une raison pour que vous la dénonciez. » C'était l'avis des jumelles. Elles détestaient Marjorie, mais elles ne voulaient pas l'accabler. Alice, elle, était un peu déçue. « Ne pas annoncer une nouvelle si sensationnelle, quel dommage! ne put-elle s'empêcher de dire. — Si tu te mets à bêler... commença Pat. - Tais-toi, je garderai le secret, mais cesse de dire que je bêle! s'écria Alice. Je déteste ce mot! Je fais tant d'efforts pour me corriger de mes défauts! » Alice était prête à pleurer, elle avait les larmes faciles. Pat donna à sa cousine une petite tape amicale. « Je sais que tu ne diras rien. Nous pouvons nous fier à toi. » Malgré leur résolution de ne rien révéler, elles ne pouvaient réprimer leur indignation : Marjorie était sûrement capable des actions les plus noires. C'était elle qui avait défait le pull-over! Après ce bref intermède, la vie habituelle reprit. Marjorie se tenait à l'écart. Elle lisait tout le temps et ne paraissait pas entendre les remarques. Son visage était plus sombre que jamais, elle faisait le désespoir de ses professeurs.

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CHAPITRE XIII ENCORE ERICA cherchait à jouer un autre mauvais tour à Pat et à Isabelle. Si elle pouvait en rejeter la responsabilité sur Marjorie, ce serait encore mieux! Ce n'était pas facile de jouer un mauvais tour sans attirer l'attention. Elle attendit une semaine. Enfin la chance lui sourit. Un après-midi, une excursion d'histoire naturelle fut organisée. Les élèves de première et de seconde division y participaient. Miss Roberts et Miss Jenks dirigeaient l'excursion. Dans les bois et au bord des étangs, il y aurait beaucoup de choses à observer et à dessiner. Les jumelles étaient enchantées de cette expédition qui prendrait tout l'après-midi. La journée était très belle et le soleil chaud. ERIGA

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« Nous trouverons des têtards et des œufs de grenouille dans les étangs, fit observer Pat. Je vais prendre une petite bouteille. » Les élèves mirent dans leur cartable leur cahier d'histoire naturelle, des boîtes de fer-blanc et des petites bouteilles. Pat était très fière de son cahier. Elle y avait fait de beaux dessins. Miss Roberts lui avait dit qu'ils étaient assez bons pour être exposés à la fin du trimestre. « Je n'ai plus que quelques pages à remplir, annonça-t-elle à Isabelle. Je le ferai cet après-midi. Tu es prête? Tu restes à côté de moi, n'est-ce pas? Bien sûr », répondit Isabelle. En promenade, les jumelles étaient toujours l'une à côté de l'autre; malgré leur affection pour Margaret, Henriette et Lucie, elles ne se quittaient pas. Les élèves marchaient deux par deux. Erica et Marjorie se trouvaient ensemble parce que personne ne voulait de leur compagnie. Elles ne s'aimaient pas et marchaient en silence. Les autres élèves, en les regardant, se poussaient du coude et riaient. « Les deux brebis galeuses! fit remarquer Nellie. J'espère qu'elles s'amuseront bien. Marjorie fait une de ces têtes ! » Marjorie était en effet en colère, elle eût préféré être seule. Elle se promit de quitter Erica le plus tôt possible. L'après-midi se passa gaiement sous le soleil brillant. Les élèves se promenèrent dans les bois, prirent des notes, des croquis, remplirent leurs boîtes d'échantillons de mousse. Quelques-unes d'entre elles trouvèrent des primevères et firent des bouquets. Puis elles s'approchèrent des étangs et poussèrent des exclamations de surprise à la vue des œufs de grenouille qui flottaient à la surface de l'eau. « II m'en faut! s'écria Pat. - Impossible! répliqua Isabelle. C'est trop loin, tu te mouillerais les pieds. »

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Pat jeta un regard rapide autour d'elle. « Où sont Miss Roberts et Miss Jenks? Encore en haut de la colline? J'ai le temps d'enlever mes souliers, mes bas, et d'entrer dans l'eau. » Toutes les autres se mirent à rire. « Pat, tu fais toujours des choses défendues! s'écria Margaret. Miss Roberts ne sera pas contente, tes pieds seront pleins de boue. — Je les laverai. » Pat jeta son cartable sur une pierre, prit sa petite bouteille et descendit jusqu'à l'étang. Là, elle enleva ses souliers, ses bas, et entra dans l'eau. « Que c'est froid! s'exclama-t-elle. Le fond est plein de boue... Horreur! Je viens de marcher sur une bête! » Les autres riaient à gorge déployée. Elle atteignit les œufs de grenouille qui lui glissèrent entre les doigts. « Essaie de nouveau! » cria Isabelle. Pat fit de son mieux, mais les œufs lui échappaient toujours. Prises de fou rire, les élèves ne virent pas approcher Miss Roberts et Miss Jenks. « Pat! appela soudain Miss Roberts. Que faites-vous? Vous allez prendre froid à patauger dans cette eau glacée! Sortez de là! — Miss Roberts, je vous en prie, laissez-moi d'abord attraper des œufs de grenouille! » supplia Pat. Mais tous glissaient entre ses doigts. « Pat, venez tout de suite! cria Miss Roberts. Ces élèves de première division, on ne peut pas les quitter une minute ! » Les élèves suivaient la scène avec amusement, à l'exception toutefois d'Erica et de Marjorie. Marjorie s'était arrêtée dans un champ pour observer les chevaux qui labouraient. Erica, qui s'était attardée elle aussi, entendit les rires et pressa le pas. A quelque distance de l'étang, elle aperçut sur une pierre un cartable où se détachait un nom : P. O'Sullivan.

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Erica jeta un coup d'œil rapide vers l'étang. Personne ne regardait de son côté. D'ailleurs une haie la dissimulait. Quant à Marjorie, elle était toujours dans le champ à contempler les chevaux. Prompte comme l'éclair, Erica prit le cartable et l'ouvrit. Elle jeta par terre son contenu. Avec son talon, elle enfonça le cahier dans la boue et foula aux pieds les boîtes. Elle lança le cartable dans la haie. Puis, sans bruit, elle courut le long des buissons afin d'arriver à l'étang par un autre côté. Personne ne la remarqua. Au bout d'un moment Tessa la vit et imagina qu'Erica ne les avait pas quittées. Pat sortait de l'eau. Ses pieds étaient glacés. Elle prit son mouchoir pour les sécher. Miss Roberts les frictionna pour rétablir la circulation. Puis elle obligea Pat à remettre ses souliers et ses bas et à courir pour se réchauffer. « Je n'ai pas d'œufs de grenouille ! gémit Pat en rejoignant les autres. Où est mon cartable? Où l'ai-je laissé? — Là-bas, sur une pierre »,-dit Isabelle en montrant la direction. Mais le cartable n'y était pas. « C'est drôle, fit remarquer Isabelle. Je t'ai vue le mettre là. Marjorie est à côté. Marjorie, apporte le cartable de Pat si tu le vois — Qu'y a-t-il dans la haie? » demanda brusquement Sheila Ses yeux perçants avaient aperçu le cuir marron. — « C'est mon cartable! s'écria Pat étonnée. Comment est-il là? » En allant le chercher, elle vit son cahier enfoncé dans la boue, ses boîtes ouvertes avec les échantillons de mousse éparpillés par terre. Elle ne poussa pas un cri, mais une telle consternation se peignit sur son visage que toutes les filles coururent à elle. « Qu'y a-t-il, Pat? » interrogea Isabelle. Elle vit aussi le désastre. On n'en pouvait douter, il

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était dû à une volonté malfaisante. On apercevait encore sur le cahier l'empreinte d'un soulier. Les boîtes avaient été foulées aux pieds. . ; « Peut-être une vache ou un autre animai, n est-ce pas? » demanda Isabelle qui se refusait à croire à la méchanceté. Margaret secoua la tête. « Bien sûr que non! Nous savons qui a tait cela, même si nous ne l'avons pas vue. » Tous les yeux se fixèrent sur Marjorie, elle-même pétrifiée par la surprise. . « Quelle était la seule qui ne se trouvait pas au bord de l'étang avec nous? continua Margaret. Marjorie. Pourquoi s’est-elle attardée? Pour jouer ce sale tour, je suppose. — Qu'y a-t-il? demanda Miss Roberts qui s approchait Oh! Pat... C'est votre cahier dans la boue? Quelle maladresse! Vos beaux dessins! Que s'est-il passé?

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— Je ne sais pas, Miss Roberts », dit la pauvre Pat consternée. Elle n'avait pas. le courage de dénoncer Marjorie. Miss Roberts comprit que c'était sérieux, elle entendit le nom de Marjorie chuchoté autour d'elle. « Ramassez vite vos affaires! ordonna le professeur en regardant sa montre. Nous sommes en retard. Dépêchez-vous! Nous éclaircirons plus tard ce mystère. » Professeurs et élèves retournèrent rapidement au collège. Erica marchait à côté de Marjorie. Elle se réjouissait d'avoir bien réussi, Marjorie serait de nouveau blâmée. Marjorie se demandait si elle n'était pas en proie à un cauchemar. Elle ignorait qui avait joué ce mauvais tour à Pat, mais elle savait que ce n'était pas elle. Qui pouvait être méchante et lâche à ce point? Pas même Erica, sûrement. Elle jeta un coup d'œil à sa compagne. Erica avait une expression si satisfaite que Marjorie eut un soupçon. Elle se rappela brusquement qu'Erica s'était absentée pendant la séance de cinéma le soir où le pull-over avait été défait. Était-ce Erica? Elle avait de graves défauts, tout le monde le savait, mais de là à être hypocrite à ce point... « Ce n'est pas moi en tout cas, pensa Marjorie amèrement. Et, comme d'habitude, c'est moi qui serai blâmée. Quelle malchance ! » Ce soir-là, après le dîner, toutes les conversations eurent pour sujet les malheurs de la pauvre Pat. Marjorie ne put supporter les regards de mépris et alla à la bibliothèque, sous prétexte de choisir un livre. Pendant son absence, Alice ne put se retenir. « Nous ne voulions pas vous le dire..., commença-t-elle en promenant un regard autour d'elle. Mais après sa dernière méchanceté, je ne vois pas pourquoi nous ménagerions Marjorie. — Tais-toi, Alice, ordonna Pat.

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— Je ne me tairai pas, persista Alice. Nous avons le droit de nous venger. Écoutez! » Les élèves attendirent. Qu'allait leur révéler Alice? « Nous avons rencontré une amie pendant le congé de mitrimestre, commença Alice. Elle est à l'institution Sainte-Hilda. Marjorie y était aussi, elle a été renvoyée. » Des exclamations fusèrent de tous côtés. Renvoyée! Quelle honte! Et dire qu'elle était à Saint-Clair! Elle n'avait jamais voulu avouer de quel collège elle sortait, on comprenait maintenant pourquoi. « Ce n'est pas tout, continua Alice, les yeux étincelants. Avant, elle était passée dans cinq ou six écoles. Elle a été renvoyée de partout. Vous trouvez qu'elle est en retard? Vous le trouverez encore plus quand vous saurez qu'elle a seize ans! » Stupéfaites, les élèves se mirent à parler toutes à la fois. Elles n'en croyaient pas leurs oreilles... pourtant Marjorie avait si mauvais caractère! On ne pouvait la souffrir nulle part. « Pourquoi l'a-t-on acceptée à Saint-Clair? demanda Tessa indignée. Pourquoi sommes-nous obligées de la supporter? J'aimerais bien le savoir. — Chassons-la! décréta Henriette. — Allons trouver Mme Théobald, disons-lui que nous ne voulons pas qu'elle reste parmi nous, renchérit Nellie. — Mes parents ne me laisseraient pas un jour de plus s'ils savaient qu'il y a ici une fille pareille! s'écria Erica. — Toi, tais-toi! » Ordonna Tessa. Erica n'avait de reproches à faire à personne. « Maintenant nous sommes au courant, déclara Doris. Marjorie a été chassée de six écoles... elle sera bientôt chassée de la septième. Tant mieux! Elle ne pourra plus nuire à Pat. » II y eut du bruit à la porte. Les élèves se retournèrent. Marjorie était là, pâle comme un linge. Elle avait entendu ce qu'avait dit Doris et ces paroles cruelles l'avaient clouée sur place.

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Son secret était connu. Elle ne savait pas comment ses compagnes l'avaient appris, mais elles avaient tout découvert. Elle serait obligée de quitter Saint-Clair. Marjorie ouvrit la bouche pour parler, mais ne put prononcer un mot. Elle fit demi-tour et s'enfuit. Ses pas précipités résonnèrent dans le corridor. « C'est fait! murmura Isabelle un peu effrayée. Demain le collège entier connaîtra la vérité sur Marjorie! »

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CHAPITRE XIV L'INCENDIE n'étaient pas sans remords, cependant elles ne pouvaient pas blâmer leur cousine d'avoir répété ce que leur avait révélé Pamela. Dans son indignation, Alice n'avait pensé qu'à prendre le parti de Pat, et la vérité était montée spontanément à ses lèvres. « Tu ne crois pas que Marjorie va s'enfuir ou faire un coup de tête quelconque? confia Pat à sa sœur. Tu sais, Isabelle, si elle avait de vrais ennuis à cause de moi, je ne pourrais pas rester une minute de plus à Saint-Clair. Je ne pourrais pas. Il faudrait que je retourne à la maison. — Marjorie n'a peut-être pas de maison où aller, fit remarquer Isabelle. Elle ne parle jamais de sa famille LES JUMELLES

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comme nous, son père et sa mère ne sont jamais venus la voir, nous ne savons même pas si elle a des frères ou des sœurs. Cela me semble bizarre. — Je ne crois pas que nous puissions nous taire, fit remarquer Lucie Oriel devenue très grave. Mme Théobald connaît sans doute la mauvaise réputation de Marjorie, je pense qu'elle lui a permis de faire un essai à Saint-Clair. A mon avis, d'autres personnes savent aussi... Tous les professeurs sont dans le secret, on leur a demandé d'être indulgentes pour laisser à Marjorie le temps de s'adapter. » Les élèves regardèrent le visage sérieux de Lucie. Elle était si douce et si aimable que ses compagnes F écoutaient volontiers. Jamais une méchanceté ne sortait de sa bouche. « Tu as peut-être raison, Lucie, approuva Pat. Je me suis souvent demandé pourquoi Marjorie n'était pas punie pour sa paresse et son insolence, alors que la discipline est si sévère pour nous. Ce n'est pas du favoritisme, car personne ne peut aimer Marjorie. Maintenant je comprends. — Oui, Lucie a raison, renchérit Henriette. Les maîtresses étaient averties, elles s'efforçaient d'aider Marjorie dans l'espoir qu'elle se transformerait et deviendrait comme les autres élèves. Quelle illusion! — C'est sa méchanceté que je ne peux pas supporter! s'écria Pat. Son impolitesse, sa brusquerie, ses bouderies, je les tolère, mais sa méchanceté, non! — Je suis d'accord avec toi, dit Margaret. On ne peut rien tirer de bon d'une nature mesquine. Qu'allons-nous (aire? Lucie dit que nous ne pouvons pas garder le silence. Mais parler à qui? Et que dire? — La nuit porte conseil. Dormons, demain matin l'une de nous ira trouver Mme Théobald pour lui dire tout ce que nous savons, proposa Lucie. Si Marjorie ne veut pas rester, il faut lui donner la possibilité de partir de son plein gré. Si elle préfère rester, il faut le lui permettre. C'est à Mme Théobald à décider, pas à nous. Nous ne sommes pas assez renseignées. Mme Théobald

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connaît probablement la raison de la conduite étrange de Marjorie. — Bien. Attendons demain, approuva Margaret. G 'est ce que maman me conseille toujours. Les choses paraissent différentes après une nuit de sommeil. Demain nous parlerons à Mme Théobald. — C'est Lucie qui ira, déclara Henriette. C'est tout à fait son rayon. Elle racontera les faits avec exactitude, en toute justice. Pat et Isabelle l'accompagneront, car, après tout, c'est Pat qui a été victime de la méchanceté de Marjorie. — j'accepte, répliqua Lucie. J'aimerais mieux ne pas y aller parce que je déteste me mêler de ces histoires-là, mais il faut bien que quelqu'un se dévoue. C'est décidé! » Ce projet, établi après mûre réflexion, ne put être mis à exécution. Les événements de la nuit qui suivit bouleversèrent tous les plans. En quelques heures la situation changea complètement. Les élèves se couchèrent à l'heure habituelle. Erica, qui se plaignait d'un mal de gorge, avait été envoyée à Mme Rey. L'économe avait pris sa température et constaté que le thermomètre marquait 38°5. Elle conduisit Erica à l'infirmerie où elle soignait deux autres enfants qui avaient pris froid. « Ce n'est pas grave, déclara Mme Rey. Prenez ce comprimé et couchez-vous vite. Tout à l'heure je vous apporterai une tisane bien chaude. Demain votre fièvre sera sans doute tombée, vous pourrez retourner en classe après-demain si vous êtes raisonnable. » Erica se soumit. Manquer la classe pendant un jour ou deux ne l'affligeait pas outre mesure. Elle se félicita même d'être absente au moment où Marjorie portait le poids de ses méchancetés. Elle n'avait pas beaucoup de scrupules, pourtant le chagrin de Marjorie en entendant les paroles de Margaret lui laissait un souvenir pénible. « Je n'aurais pas défait le pull-over et jeté le cahier

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de Pat dans la boue, je n'aurais pas laissé croire que Marjorie était la coupable, si j'avais su qu'on découvrirait qu'elle avait été chassée de plusieurs écoles et qu'on la mépriserait tant, pensa Erica que sa conscience commençait à tourmenter pour la première fois. Je regrette d'avoir cédé à la colère, mais je déteste cette horrible Pat! Elle a été odieuse avec moi, j'avais le droit de me venger! » Erica se déshabilla et se coucha. Elle était seule dans une petite chambre, tout en haut de l'infirmerie installée dans un bâtiment séparé, à l'ouest du collège. C'était là que l'on mettait les élèves qui avaient une maladie contagieuse, la rougeole par exemple, ou la grippe. Mme Rey les soignait jusqu'au jour où elles pouvaient reprendre la vie normale. Erica était seule dans une chambre parce que Mme Rey ne savait pas exactement ce qu'elle avait. Une épidémie de rougeole s'étant déclarée au cours Victoria, peu de

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temps après le match, les professeurs surveillaient attentivement leurs élèves. Erica ne coucha donc pas dans le dortoir avec les deux élèves qui avaient des refroidissements, son mal de gorge étant peut-être le symptôme de la rougeole qu'elle n'avait pas eue encore. C'était une gentille petite chambre, tout en haut de l'infirmerie. Erica regarda par la fenêtre avant de se coucher et vit un ciel plein d'étoiles. Elle ne ferma pas les persiennes afin que le soleil pût entrer à flots le lendemain matin dès l'aurore. Mme Rey lui apporta une bouillotte et une citronnade chaude, sucrée au miel, qu'Erica dégusta avec plaisir. Puis l'économe la borda, éteignit la lumière et s'en alla. Erica fut bientôt endormie. Sa conscience cessa de la tourmenter, car c'était une conscience très élastique. Pour beaucoup moins, Isabelle ou Patricia, bourrelées de remords, auraient passé une nuit blanche. Erica glissa paisiblement dans le sommeil comme si elle n'avait rien à se reprocher. Mais il y avait dans le collège une élève qui ne dormait pas : c'était Marjorie. Étendue dans son lit, les yeux grands ouverts, elle se répétait les paroles de Margaret. Toujours, toujours, partout où elle allait, son secret était découvert, tôt ou tard elle était de nouveau renvoyée. Elle n'aimait pas la vie de collège. Elle n'était pas heureuse chez elle. Elle souhaitait de toutes ses forces trouver du travail et gagner sa vie. C'était terrible d'aller d'école en école sans jamais rester nulle part. Les autres dormaient profondément. Leur respiration était régulière. Marjorie se tourna sur le côté gauche et ferma les yeux. Si elle pouvait dormir! Si elle pouvait cesser de réfléchir! Que se passerait-il le lendemain? Maintenant que toutes les élèves savaient, que ferait-elle? Impossible de retourner à la maison. Elle ne pouvait pas s'enfuir parce qu'elle ne possédait que quelques shillings.

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Elle n'avait qu'à se résigner et subir son sort. Plus elle était malheureuse, plus elle devenait brusque et insolente. « Je n'ai aucun moyen de m'en tirer, se dit-elle. Je ne peux rien faire. Si je pouvais m'évader! Hélas! C'est impossible ! » Elle se tourna à droite et referma les yeux. Une seconde plus tard elle les ouvrait. Décidément le sommeil ne venait pas. Elle essaya de s'allonger sur le dos et de regarder le plafond. Ce fut en vain. Elle écoutait l'horloge du collège qui, dans le silence, égrenait les heures. Onze coups. Douze. Puis un seul. Puis deux. Que la nuit était longue! Le jour ne viendrait jamais. « Je vais boire un peu d'eau, pensa Marjorie en se levant. Peutêtre que cela m'aidera à dormir. » Elle enfila sa robe de chambre, chaussa ses pantoufles et alluma sa lampe électrique. Ses compagnes étaient immobiles dans leur lit. Personne ne bougeait pendant qu'elle se dirigeait vers la porte.

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Elle sortit dans le corridor. Dans une salle de bain peu éloignée, elle trouva des verres. Elle en remplit un; tout en buvant l'eau fraîche, elle s'approcha de la fenêtre et souleva le rideau. Un spectacle inattendu s'offrit à ses yeux. Étonnée, elle oublia de finir de boire et posa le verre pour regarder avec plus d'attention. La salle de bain était en face de l'infirmerie, bâtiment de quatre étages étroit et haut. Elle était obscure, excepté au troisième étage. Là, une lueur vacillante brillait de temps en temps à une fenêtre. Marjorie resta perplexe. En pleine nuit, que signifiait cette lueur? « On dirait un feu de bois, pensa-t-elle. Qui couche au troisième étage, je me le demande? Voyons... la lumière ne vient peut-être pas d'une chambre, mais de la petite fenêtre de l'escalier qui monte jusqu'au quatrième! » Elle essaya de rassembler ses souvenirs. Dans l'obscurité, c'était difficile de savoir si c'était la fenêtre de l'escalier ou celle d'une chambre. La lueur vacillait comme la clarté d'un feu, parfois elle montait très haut, parfois paraissait prête à s'éteindre. « Je vais me recoucher, se dit Marjorie qui frissonnait. C'est probablement la chambre où couche Erica. Mme Rey a dû avoir peur qu'elle ait froid et lui a allumé du feu. » Elle retourna dans le dortoir, mais cette lueur étrange la tourmentait. Au bout d'un moment, ne pouvant y tenir, elle se leva de nouveau et courut à la salle de bain. Cette fois le doute n'était pas permis. Un incendie! C'était un incendie!

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CHAPITRE XV L'HÉROÏSME DE MARJORIE DÈS QU'ELLE EUT SOULEVÉ

le rideau, Marjorie poussa un cri. Toute la fenêtre de l'escalier était éclairée et des flammes en sortaient. « Au feu! » hurla Marjorie. Elle se précipita vers la chambre de Miss Roberts et frappa à coups redoublés. « Miss Roberts! Miss Roberts! Venez voir! L'infirmerie est en feu! Dépêchez-vous! » Miss Roberts s'éveilla en sursaut. Sa chambre était en face de l'infirmerie et elle comprit aussitôt que Marjorie ne se trompait pas. Enfilant à la hâte une robe de chambre, elle courut à la porte. Marjorie l'attrapa par le bras. « Miss Roberts, voulez-vous que j'aille voir si Mme Rey est prévenue? Je suis sûre que non!

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— Oui, allez vite, répondit Miss Roberts. Ne réveillez pas les élèves de votre dortoir, Marjorie. Elles ne courent aucun danger. Dépêchez-vous ! Je vais chercher Mme Théobald, nous vous rejoindrons. » Marjorie descendit l'escalier quatre à quatre et sortit par la porte de côté. Elle traversa la pelouse qui séparait l'infirmerie du collège et frappa en criant : « Madame Rey! Madame Rey, vous êtes là? » Mme Rey dormait profondément au second étage. Elle ne se réveilla pas. Ce fut Régine, une des ^enrhumées, qui entendit les cris de Marjorie. Elle courut à la fenêtre et se pencha au-dehors. « Qu'y a-t-il? demanda-t-elle. L'infirmerie est en feu! hurla Marjorie. Les flammes sortent d'une fenêtre à l'étage au-dessus de toi. Réveille Mme Rey! » Régine ne se le fit pas dire deux fois. Quelques secondes plus tard, Mme Rey sautait du lit et endossait un manteau. Mme Théobald arriva avec d'autres professeurs. Un coup de téléphone avait averti les pompiers. Les élèves surgirent de tous les côtés, en dépit des ordres des professeurs qui les renvoyaient dans leurs lits. « Aller se coucher quand un incendie vient de se déclarer ! s'écria Margaret, toujours prête à jouir d'un nouveau spectacle. Je n'avais jamais vu d'incendie. Celui-là m'amusera beaucoup. Personne n'est en danger. » La pelouse était noire de monde. Mme Rey se mit à la recherche de ses trois malades, Régine, Rita et Erica. « II ne faut pas qu'elles restent dehors à l'air froid, dit-elle inquiète. Oh! Vous voilà, Régine. Montez immédiatement dans le dortoir de la seconde division. Vous vous coucherez dans le premier lit que vous trouverez. Rita est avec vous? Où est Erica? - Rita est ici, répondit Régine. Je crois que j'ai vu Erica, mais je ne sais pas où. — Cherchez-la et dites-lui de se coucher tout de suite,

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ordonna Mme Rey. Où sont les deux femmes de chambre? En sûreté? - Oui. Elles ne risquent rien. » Elles étaient là et, frissonnantes, regardaient les flammes qui devenaient de plus en plus hautes. « Madame Rey, il n'y a personne dans l'infirmerie? demanda Mme Théobald. Vous en êtes sûre? Toutes les élèves sont là? Et les femmes de chambre? - J'ai parlé à Régine et à Rita, répondit l'économe. Régine dit qu'elle a vu Erica. Ce sont les seules qui étaient malades. Les deux femmes de chambre sont ici. - Bien, dit Mme Théobald avec un soupir de soulagement. Pourvu que les pompiers se dépêchent. J'ai peur que le quatrième étage ne soit complètement détruit. » Régine n'avait pas vu Erica dont parlait Mme Rey. Celle qu'elle avait aperçue était une élève de quatrième division qui portait ce nom. L'Erica de la seconde division était toujours dans l'infirmerie. Personne ne le savait. Soudain Mam'zelle poussa un cri et, d'une main tremblante, indiqua une fenêtre à l'étage supérieur. « C'est affreux! cria-t-elle. Il y a quelqu'un là-haut! » La pauvre Erica était à la fenêtre. Une odeur acre l'avait réveillée et elle avait trouvé sa chambre envahie par une fumée malodorante qui s'infiltrait sous la porte. Ensuite elle avait entendu le crépitement des flammes. Effrayée, elle s'était levée et avait appuyé sur le commutateur. Inutile! Le fil électrique avait été brûlé et elle ne put avoir aucune lumière. Elle prit sa lampe de poche et l'alluma. Elle courut à la porte, mais quand elle l'ouvrit, une grande volute de fumée la suffoqua. L'escalier était en flammes. Impossible de s'enfuir! L'incendie avait un court-circuit pour cause. Le feu avait couvé dans la boiserie qui, soudain, avait flambé. Erica avait devant elle un brasier. Une échelle de secours

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montait jusqu'à la fenêtre d'une pièce voisine, mais la fumée était si épaisse qu'elle ne put l'atteindre et fut obligée de retourner dans sa chambre. Elle ferma la porte et se précipita à la croisée. Elle l'ouvrit et respira l'air pur. « Au secours! appela-t-elle d'une voix étranglée. Au secours! » Personne ne l'entendit, par hasard Mam'zelle l'aperçut. A son cri, toutes levèrent les yeux et virent Erica. Mme Théobald pâlit et son cœur battit à se rompre. Une élève làhaut! Et l'escalier en flammes! « Les pompiers sont bien longs à venir! gémit-elle. Si seulement nous avions une échelle assez haute pour arriver à cette fenêtre! » Un des jardiniers avait apporté le tuyau d'arrosage et lançait de l'eau sur les flammes. Mais le jet était trop faible pour avoir de l'effet. Erica se remit à crier. « Au secours! Sauvez-moi! Sauvez-moi! » Elle voyait tout le monde rassemblé en bas et ne pouvait pas comprendre pourquoi on ne venait pas à son aide. Elle ignorait que les pompiers n'étaient pas encore là et que personne ne pouvait arriver jusqu'à elle. « Où est la grande échelle du jardin? demanda Marjorie à un jardinier qui était près d'elle. Allons la chercher. Peut-être pourronsnous lancer une corde à Erica si l'échelle n'est pas assez longue. » Les hommes coururent chercher la plus longue échelle. Ils la placèrent contre le mur et l'un d'eux monta jusqu'à l'échelon supérieur. Mais elle n'atteignait pas la fenêtre d'Erica. « Inutile, dit-il en redescendant. C'est impossible! Que font donc les pompiers? Ils devraient déjà être là! — Ils étaient en train d'éteindre un autre incendie, dit un professeur qui venait d'apprendre la nouvelle. Ils se dépêchent tant qu'ils peuvent. Encore quelques minutes à attendre!

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« Erica, tiens-toi à quelque chose et donne-moi la main... » 112

— Ce sera trop tard! s'exclama Marjorie. Erica sera bientôt entourée par les flammes! » Avant qu'on pût l'arrêter, elle enleva sa robe de chambre et se précipita vers l'échelle. Elle l'escalada avec l'agilité d'un singe, malgré les appels de Mme Théobald qui lui ordonnait de redescendre. « Vous ne réussirez pas! criait la directrice. Descendez ! » Tous les yeux étaient fixés sur Marjorie qui arrivait aux échelons supérieurs. Les flammes éclairaient la scène et la silhouette sombre se détachait contre le mur blanc. « Qu'espère-t-elle? gémit Miss Roberts au désespoir. Elle va tomber! » Marjorie avait une idée précise et savait ce qu'elle allait tenter. A droite de l'échelle, elle avait aperçu un tuyau de fer. Peut-être pourraitelle grimper le long de ce tuyau et arriver à la fenêtre d'Erica. Ce qu'elle ferait ensuite, elle l'ignorait, mais elle était bien décidée à faire quelque chose. Arrivée en haut de l'échelle, elle tendit la main et saisit le tuyau en espérant qu'il était bien accroché au mur. Par bonheur, il l'était. Marjorie s'y cramponna, l'étreignant avec les deux genoux et les deux mains. L'adresse et l'agilité qu'elle avait toujours montrées pendant les cours de gymnastique la servaient dans son entreprise; ses membres vigoureux obéissaient à sa volonté. Elle s'était souvent exercée à grimper à la corde raide. C'était bien plus difficile de se hisser le long d'un tuyau, mais elle avait l'espoir de réussir. Elle monta centimètre par centimètre en s'aidant de ses bras, de ses genoux et de ses pieds. « Sauve-moi! » cria Erica folle de frayeur en la voyant près d'elle. Marjorie parvint à la fenêtre. Le plus difficile lui restait à faire. Il fallait lâcher le tuyau pour s'agripper au rebord.

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Soudain la porte tomba à grand fracas, des flammes bondirent dans la chambre.

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« Erica, tiens-toi à quelque chose et donne-moi la main ! hurla Marjorie en levant le bras. Si tu peux me tirer, je te rejoindrai. » Cramponnée à une lourde armoire, Erica tendit la main. Marjorie exécuta un rétablissement et se trouva sur le rebord de la fenêtre. Elle s'écorcha le genou, mais ne sentit pas la douleur. Une minute plus tard, elle était dans la chambre. Erica se jeta à son cou en pleurant. « Ne fais pas la sotte! » dit Marjorie en se libérant et en regardant autour d'elle dans la chambre emplie d'une épaisse fumée. Les flammes avaient gagné la porte, le plancher était brûlant sous ses pieds. « Nous n'avons pas de temps à perdre. Où est ton lit? » Erica montra le lit à travers la fumée. Marjorie y courut en suffoquant et prit les draps et les couvertures. Elle retourna à la fenêtre et se pencha pour respirer un peu d'air frais. Puis, rapidement, elle déchira les draps en deux. « Que fais-tu? demanda Erica qui la croyait folle. Aide-moi à sortir par la fenêtre! — Dans un moment », répliqua Marjorie. Elle noua les quatre longues bandes que formaient maintenant les draps. Marjorie chercha à quoi elle pourrait bien attacher une extrémité de la longue sangle qu'elle avait obtenue. Soudain la porte tomba à grand fracas, des flammes bondirent dans la chambre. « Vite ! Vite ! cria Erica. Je vais sauter ! — Non, dit Marjorie. Dans quelques minutes tu ne risqueras rien. Regarde, j'ai une longue corde, je viens d'enrouler l'extrémité au pied de ton lit. Aide-moi à tirer le lit près de la fenêtre. Là, c'est bien! » Marjorie lança l'autre bout du drap par la fenêtre. Il atteignait presque l'échelle. La descente ne se ferait pas par le tuyau. Marjorie s'assit sur la fenêtre et ordonna à Erica de

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l'imiter. En bas, professeurs et élèves réunies osaient à peine respirer. Un des jardiniers était monté en haut de l'échelle et se tenait prêt à intervenir. « Crois-tu que tu pourras te laisser glisser le long du drap? demanda Marjorie à Erica qui tremblait. C'est très facile. — Non, je ne peux pas, je ne peux pas! » sanglota Erica terrifiée. Marjorie montra alors un courage qui touchait à l'héroïsme. Prenant sur son dos la malheureuse Erica qui se cramponnait à son cou, elle descendit le long de la corde improvisée. Par bonheur, les draps neufs étaient solides, ils tinrent bon. Marjorie descendait lentement, les bras presque arrachés par le poids d'Erica. Elle chercha l'échelle du bout du pied et poussa un soupir de soulagement en entendant une voix qui criait : « Je suis là, mademoiselle! N'ayez pas peur! » Le jardinier, en haut de l'échelle, tendit les bras vers Erica. Il la saisit, l'aida à descendre et Marjorie n'eut plus qu'à se laisser glisser jusqu'à l'extrémité du drap. Ce qui se passa, personne ne le sut jamais. Il est probable que Marjorie était fatiguée par son exploit. Ses pieds manquèrent l'échelon supérieur. Elle perdit l'équilibre et dégringola le long de l'échelle. Elle tomba sur le jardinier, ce qui amortit un peu sa chute, puis s'abattit deux mètres plus bas. Tout le monde se précipita vers elle. Marjorie restait immobile. Sa tête avait heurté une grosse pierre, elle avait perdu connaissance. Des mains prudentes la transportèrent chez Mme Théobald juste au moment où la clameur d'une sirène annonçait l'arrivée de la pompe à incendie. Une minute plus tard, des jets d'eau se déversaient sur les flammes. En quelques minutes l'incendie était maîtrisé.

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Ainsi que l'avait craint Mme Théobald, l'étage supérieur était complètement détruit. La chambre où couchait Erica n'était plus qu'une masse de bois carbonisé. Les élèves reçurent l'ordre de retourner se coucher. Cette fois elles obéirent. Mais un nom était sur toutes les lèvres, le nom d'une véritable héroïne. « Marjorie! Elle a été admirable! Elle a sauvé la vie d'Erica! Vous l'avez vue grimper le long de ce tuyau? Espérons qu'elle n'a pas été blessée grièvement! Marjorie! Quel courage elle a montré! »

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CHAPITRE XVI L'AVEU LE LENDEMAIN MATIN,

toutes les élèves voulurent avoir des nouvelles de Marjorie. Peu leur importait Erica, elles ne s'inquiétaient que de Marjorie. « Elle s'est cassé la jambe! Pauvre Marjorie! Elle s'est heurté la tête contre une pierre, heureusement ce n'est pas très grave. Mme Théobald l'a installée dans son appartement. La directrice est très fière d'elle! — Cela ne m'étonne pas! dit Margaret qui admirait beaucoup les actes de courage. La conduite de Marjorie au cours des dernières semaines ne compte plus, j'ai tout oublié. Une fille capable d'un tel exploit peut être aussi insolente et boudeuse qu'elle veut, tout lui est permis! — Quant à moi, il me paraît de plus en plus impossible

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qu'elle ait joué ces mauvais tours à Pat, fit remarquer Lucie. Nous l'avons sûrement accusée à tort. C'est une autre qui s'est abritée derrière elle! Marjorie a du courage et le courage ne fait pas bon ménage avec la mesquinerie et la lâcheté! C'est impossible! — Je voudrais bien savoir! » s'écria Alice qui avait des remords d'avoir révélé à ses compagnes que Marjorie avait été mise à la porte de plusieurs écoles. Elles ne tardèrent pas à avoir le mot de l'énigme. Ce fut Lucie qui découvrit la vérité. Elle alla prendre des nouvelles d'Erica qui était dans une petite chambre à côté d'un dortoir. Physiquement, Erica n'avait guère souffert de son aventure, moralement elle n'avait jamais été aussi malheureuse. Un revirement s'était produit en elle. De toute la nuit elle n'avait pu trouver le sommeil. Ainsi elle avait couru le risque d'être brûlée vive et Marjorie l'avait sauvée! Sa conscience la harcelait. Cette fille, qui l'avait secourue au péril de sa vie, était justement celle qu'elle avait fait accuser à sa place! A ce souvenir, les joues d'Erica brûlaient de honte. Quel malheur que ce n'eût pas été une autre élève, n'importe laquelle! Lucie entra dans la petite chambre à la fin de la matinée. Marjorie avait besoin du plus grand calme, et les visites étaient interdites. Les élèves n'avaient aucune envie de voir Erica. Toujours bonne, Lucie pensa que la pauvre fille devait bien s'ennuyer toute seule et demanda à Mme Rey la permission de passer quelques instants auprès d'elle. « Bien sûr, répondit l'économe. Elle va bien ce matin, elle n'a rien du tout, sauf un petit rhume et le contrecoup de l'émotion. Elle sera contente d'avoir quelqu'un à qui parler. » Lucie s'assit près du lit. Erica demanda des nouvelles de Marjorie. Elle se sentait si coupable qu'elle n'osait pas regarder Lucie.

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« Mme Rey ne t'a rien dit? demanda Lucie surprise. La pauvre Marjorie s'est cassé la jambe droite. Plus de gymnastique ou de sport pour elle pendant longtemps. Ce sont justement les seules choses qu'elle aime, elle en sera très privée. Le choc qu'elle a reçu à la tête n'est pas très grave, bien qu'elle ait une forte migraine. Elle a été tout à fait héroïque, tu sais! » Quelle émotion pour Erica! Elle ignorait que Marjorie avait été blessée, et l'imaginait complimentée et cajolée par tout le collège. Et voilà que l'héroïne du jour était au lit avec une jambe cassée et une tête douloureuse ! Erica tourna la tête vers le mur pour réfléchir et se demander ce qu'elle devait faire. Son air malheureux apitoya Lucie. Elle n'aimait pas Erica, mais elle était toujours prête à consoler ceux qui souffraient. Elle prit la main d'Erica. « Ne t'inquiète pas, dit-elle. Sa jambe guérira, elle marchera comme avant. Nous l'admirons beaucoup. — Vous croyez toujours que c'est elle qui a défait le pull-over de Pat et jeté son cahier dans la boue? demanda Erica en évitant les yeux de Lucie. — Non, pas moi, répondit aussitôt Lucie. Ces tours-là ne s'accordent pas avec une nature énergique et sans peur comme celle de Marjorie. Elle a des défauts, beaucoup de défauts, mais elle n'est ni méchante ni lâche, autant que j'en puisse juger. » Mme Rey passa la tête à la porte. « Venez, Lucie, les dix minutes sont passées. — Pas encore ! Pas encore ! » s'écria Erica en se cramponnant à la main de Lucie. Elle ne voulait pas rester seule avec ses pensées. Lucie ne put qu'obéir aux ordres de l'économe. Erica passa une matinée pénible. C'est dur d'être méprisée par les autres, c'est encore plus dur de se mépriser soi-même. C'est ce que faisait Erica.

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Elle se voyait telle qu'elle était, mesquine, haineuse, menteuse et malhonnête, cette image ne lui faisait aucun plaisir. Elle tourna la tête vers le mur. Elle ne voulut pas toucher au déjeuner qui lui fut apporté. Mme Rey, inquiète, prit sa température et la trouva normale. « Qu'avez-vous? Quelque chose vous tracasse? » demanda-t-elle. Les yeux d'Erica se remplirent de larmes. « Oui, dit-elle. Je me tourmente beaucoup. Je ne peux pas m'en empêcher. — Dites-moi ce que c'est, insista Mme Rey avec douceur. — Non », dit Erica en se tournant de nouveau du côté du mur. Elle ne pouvait pas garder plus longtemps son secret. Il était trop lourd, il lui fallait se confier à quelqu'un. Elle appela l'économe qui sortait de la chambre. « Madame Rey, je veux voir Lucie.

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— Ma chère petite, protesta Mme Rey, elle est en classe. Elle pourra venir vous voir à l'heure du goûter si vous voulez. » Erica fondit en larmes et sanglota si fort que l'économe, émue et inquiète, s'approcha du lit. « Qu'avez-vous? dit-elle. — Madame Rey, allez chercher Lucie! supplia Erica. Allez chercher Lucie! » Mme Rey sortit de la chambre et envoya chercher Lucie. Le chagrin d'Erica était étrangement violent. Elle ne se calmerait que lorsqu'elle en aurait avoué la cause. Le plus tôt serait le mieux. Lucie arriva, surprise d'être dérangée au milieu d'un cours. « Erica s'inquiète de je ne sais quoi, Lucie, expliqua Mme Rey. Essayez de la faire parler, voulez-vous? Sa température montera si elle continue; j'ai peur qu'elle ne se rende malade. » Lucie entra dans la chambre d'Erica et s'assit auprès d'elle. Erica ne pleurait plus; son visage était pâle et défait. Elle regarda Lucie. « Qu'as-tu? demanda Lucie de son ton le plus amical. — Lucie, il faut que je parle à quelqu'un. Sinon je deviendrai folle, dit Erica. C'est moi qui ai joué tous ces mauvais tours à Pat. Ce n'est pas Marjorie, c'est moi. — Erica! s'écria Lucie indignée. Pauvre Marjorie! » Erica ne répliqua rien. Elle se tourna de nouveau vers le mur et resta immobile. Elle aurait voulu mourir. Stupéfaite et consternée par ce qu'elle venait d'entendre, Lucie garda le silence un moment. Enfin, avec un effort, elle saisit la main froide d'Erica. La pauvre fille, elle le sentait, avait besoin de bonté. C'était bien difficile de ne pas lui en vouloir quand on se représentait ce que Marjorie avait dû souffrir. « Erica, je suis contente que tu aies avoué. Tu sais que je suis obligée d'informer les autres, n'est-ce pas? Il ne faut pas qu'elles continuent à croire que Marjorie

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est la coupable. Nous l'avons accusée injustement, elle a été très malheureuse. Tu comprends que je dois avertir les élèves, n'est-ce pas? — Tu crois? demanda Erica dont les yeux se remplirent de nouveau de larmes. Je ne pourrai plus les regarder en face. Je ne pourrai pas rester ici ! — Je ne sais pas, Erica, dit Lucie. C'est à toi à décider. Tu as été méchante et lâche. Pourquoi ne pas tout raconter à Mme Théobald maintenant que tu as avoué? Elle te donnera un conseil. — Non, je n'ose pas! s'écria Erica, tremblant à la pensée du visage sévère de Mme Théobald. Dis-le-lui, toi, Lucie! Je veux quitter Saint-Clair. J'ai été si mauvaise! On ne m'aimait pas, maintenant on me détestera. Comment puis-je bien me conduire si personne n'a d'amitié pour moi? Je suis lâche, tu le sais, je n'ai pas le courage de supporter l'hostilité. — Je le sais, déclara gravement Lucie. Mais tôt ou tard tu seras obligée de faire un effort, Erica. Il faudra que tu te corriges de tes défauts ou tu ne seras jamais heureuse. Je vais voir Mme Théobald. Ne t'inquiète pas trop. Je suis contente que tu m'aies tout dit. » Lucie abandonna Erica à ses tristes pensées et alla trouver Mme Rey. « Madame Rey, Erica m'a dit ce qui la tourmente, il faut que je le communique à Mme Théobald. Si j'y allais maintenant? — Bien sûr, approuva Mme Rey qui pensait que Lucie Oriel était une des plus gentilles élèves de Saint-Clair. Dépêchezvous. Je vais faire dire à Miss Roberts que vous ne retournez pas en classe. » Lucie alla donc frapper à la porte de Mme Théobald. De sa voix claire et bonne, elle répéta ce qu'Erica venait I de lui apprendre. Mme Théobald l'écouta gravement sans l'interrompre. « Marjorie a donc été accusée à tort, conclut-elle.

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Pauvre petite! Elle n'a vraiment pas de chance! Sa conduite a été admirable la nuit dernière. Quel courage! Elle avait vraiment en elle l'étoffe d'une héroïne! — Madame Théobald, nous savons que Marjorie a été renvoyée de plusieurs écoles, reprit Lucie. Nous avons deviné que vous aviez demandé aux professeurs d'être très indulgentes afin qu'elle s'habitue à Saint-Clair. Bien que je sois nouvelle, j'aime déjà l'atmosphère du collège, je suis contente que mes parents m'y aient envoyée. Je crois qu'une fille comme Marjorie ne peut que devenir meilleure ici. » Mme Théobald regarda le visage honnête et sincère de Lucie. Elle eut un sourire. « Moi aussi, je suis très contente que vos parents vous aient confiée à nous, dit-elle. Vous êtes une des élèves qui font régner dans le collège une excellente atmosphère, Lucie. » Lucie rougit de plaisir. Mme Théobald revint au sujet d'actualité. « Nous avons maintenant à prendre des décisions », déclara-telle. Ce « nous » combla Lucie de joie. Il faisait d'elle presque l'égale de Mme Théobald. « Parlons d'abord de Marjorie. Allez tout de suite la mettre au courant. Il faut qu'elle sache que vous avez commis une erreur et que vous le regrettez beaucoup. Il faut qu'elle sache aussi que la coupable était Erica. Quelle chose étrange qu'elle ait sauvé justement l'élève qui lui avait fait tant de mal! Je comprends qu'Erica ait eu des remords ! — Je suis sûre que Marjorie va se transformer! s'écria Lucie, les yeux brillants. A nos yeux, elle cesse d'être une fille boudeuse et insolente pour devenir une héroïne. Son caractère s'en ressentira. — Oui, la vie lui sera plus facile, approuva Mme Théobald. Vous avez probablement deviné qu'elle n'a pas eu

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une vie de famille normale. Elle n'est pas heureuse, croyez-le bien. Je ne peux pas vous en dire davantage. Quel parti prendre en ce qui concerne Erica? » Elles se regardèrent gravement. Lucie comprit que Mme Théobald faisait grand cas de son opinion et ne put cacher sa fierté. « Erica ne se sentira jamais chez elle à Saint-Clair, répondit-elle. Elle est de caractère faible. Elle ne pourra pas supporter l'hostilité des élèves. Avec un peu d'énergie, elle pourrait regagner notre estime, mais cette énergie elle ne l'aura pas. Il vaudrait mieux, je crois, qu'elle s'en aille et qu'elle tente sa chance dans un autre collège. Il ne s'agit pas de la mettre à la porte. Ne pourrait-on trouver un moyen ? — Si, dit la directrice. Je vais tout expliquer à sa mère —- elle n'a pas son père, vous le savez —, je suggérerai qu'Erica retourne chez elle jusqu'à la fin du trimestre et qu'elle soit ensuite envoyée dans une autre école.

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Ce qui lui est arrivé ici lui servira peut-être de leçon. Pauvre Erica ! Heureusement elle a eu le courage de vous parler » ! Lucie quitta la directrice, le cœur en paix. Mme Théobald était bonne et sage, elle savait trouver la solution de tous les problèmes. C'était l'heure du goûter; Lucie alla au réfectoire, toutes ces émotions lui avaient donné faim. « D'où sors-tu? crièrent une douzaine de voix. Tu as manqué le cours de dessin, celui que tu préfères! - C'est vrai, dit tristement Lucie. J'avais oublié. Tant pis! — Où étais-tu, Lucie? Que faisais-tu? interrogea Pat. Dis-lenous. Tu as l'air bien émue! - J'ai appris des choses intéressantes, déclara Lucie en recouvrant de confiture une tartine de beurre. Je vous les raconterai dans la salle de récréation après le goûter. J'ai trop faim pour parler. Attendez! »

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CHAPITRE XVII UNE VISITE POUR MARJORIE de première et de seconde division se rassemblèrent dans leur salle de récréation après le goûter, impatientes de savoir ce que Lucie avait à leur communiquer. Elles devinaient que des événements graves avaient eu lieu. Lucie s'assit devant une table et, de sa voix claire et calme, leur fit un récit complet. Des exclamations l'interrompirent. Les élèves furent indignées en apprenant qu'Erica était la coupable et avait laissé accuser Marjorie. « L'horrible fille! - Je la giflerais volontiers! Pauvre Marjorie! Dire que je lui en ai tant voulu! — La méchante! Je ne lui parlerai plus! LES

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— Qu'elle revienne en classe! Elle passera un mauvais quart d'heure! Et Marjorie qui s'est cassé la jambe pour la sauver ! — Écoutez! cria Lucie. Écoutez, ce n'est pas tout! » Le silence se rétablit. Lucie expliqua qu'Erica retournerait chez elle, sans être mise à la porte, pour tenter sa chance ailleurs. « Espérons que la leçon lui servira et qu'elle se corrigera de ses défauts, conclut Lucie. — Mme Théobald aurait dû nous l'envoyer, déclara Margaret. Nous nous serions chargées de sa punition. — Cela ne l'aurait pas corrigée, fit remarquer Lucie. Elle aurait été effrayée et malheureuse. Elle nous aurait détestées, c'est tout. — Lucie est toujours indulgente, s'écria Pat. Tu es une bonne fille, Lucie. Je crois que tu as raison. » Erica s'en alla sans dire adieu. Un matin, elle monta dans un taxi avec sa malle et partit pour ne plus revenir. Personne ne la regretta. Ses fautes avaient reçu leur juste châtiment. « Comment va Marjorie? » demandait-on à Mme Rey dix fois par jour. Pour ne pas être tout le temps dérangée, l'économe prit le parti d'épingler un bulletin sur sa porte : MARJORIE VA DE MIEUX EN MIEUX. « Comme si elle était un grand personnage! s'écria Margaret. Quand quelqu'un de la famille royale est malade, on affiche un bulletin devant la porte de Buckingham. » Lucie et Pat furent les premières à avoir la permission de rendre visite à Marjorie. Chargées de fleurs et de raisin, elles entrèrent dans la petite chambre égayée par un grand feu. « Bonjour, commença Pat en présentant les fleurs. Comment va notre héroïne nationale? — Ne dis pas de bêtises! répliqua Marjorie. Les beaux

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narcisses! Comment avez-vous su que j'aime tant le raisin noir? — De la part d'Isabelle, reprit Pat en lui tendant un puzzle. Margaret t'envoie ce livre. Toutes les autres avaient un cadeau pour toi, mais Mme Rey n'a pas voulu que nous les apportions tous à la fois. » Marjorie rougit de plaisir en regardant le puzzle d'Isabelle, le livre de Margaret; dans sa joie d'être ainsi gâtée, elle oubliait sa jambe cassée. « Comment va Erica? demanda-t-elle. — Elle est partie, répondit Lucie. Elle ne reviendra pas à Saint-Clair. — Partie! s'écria Marjorie étonnée. Pourquoi? Elle est malade? — Non, répondit Lucie. Elle aurait eu honte devant nous et n'aurait plus osé nous regarder en face, maintenant que nous savons que c'est elle qui a détruit le pull-over et le cahier de Pat. » Marjorie fut frappée de stupeur. « Vous disiez que c'était moi, protesta-t-elle. Comment avezvous découvert la vérité? » Lucie la mit au courant des événements. « Nous te devons d'humbles excuses pour avoir été si injustes, conclut-elle. Accepte-les, Marjorie. Nous essaierons de te dédommager quand tu seras guérie. » Marjorie pleurait rarement, pourtant des larmes brillaient dans ses yeux. Elle les refoula. Pendant quelques minutes, elle ne put parler. « Ce n'est pas étonnant que vous m'ayez crue coupable, dit-elle enfin. J'étais si odieuse! C'est vrai que j'ai été renvoyée de six écoles pour mon mauvais caractère. Voyez-Vous, personne ne s'occupe de moi à la maison et je suis si malheureuse. C'est ce qui me rend insolente et maussade. — Ne nous dis rien si tu préfères, conseilla Lucie. Mais si cela peut te faire du bien, raconte-nous tout. Nous comprendrons, tu peux en être sûre.

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- Je n'ai pas grand-chose à raconter, je suppose, répliqua Marjorie en regardant le visage amical de Lucie. C'est probablement ma faute. Maman est morte quand j'étais toute petite. Elle était adorable. Mon père s'est remarié, ma belle-mère ne m'aime pas. Elle a dit beaucoup de mal de moi à mon père, elle m'a enlevé son affection. Je l'aimais beaucoup, je l'aime encore. Je donnerais tout au monde pour qu'il ait une idée favorable de moi. Il est merveilleux. » Marjorie s'arrêta et se mordit la lèvre. Ses amies se taisaient. « Ma belle-mère a eu trois garçons et mon père a été si content! Il avait toujours désiré des garçons. J'ai été repoussée à l'arrière-plan; j'ai senti qu'on n'avait pas besoin de moi. Bien entendu, je suis devenue de plus en plus odieuse et de plus en plus insupportable. J'en ai fait voir de toutes les couleurs à ma belle-mère, j'étais détestable. Mon père était en colère. Je suis la brebis galeuse de la famille. Tant pis! Cela m'était égal! Tu as été mise en pension et tu as continué à être désagréable, conclut Lucie en prenant la main de Marjorie dans la sienne. Je suis très peinée. Tu n'as pas eu de chance. Ton père sera très content quand il saura que tu as sauvé Erica, fit remarquer Pat. - Je ne le lui dirai pas, riposta Marjorie. Il ne le saura pas. Il ne le croirait pas si on le lui disait. Il a trop mauvaise opinion de moi. Vous savez, il est merveilleux! Si intelligent, si courageux! Il a gravi le mont Everest. - Vraiment? s'écria Pat. C'est un grand alpiniste. Tu lui ressembles. Tu es si forte, si habile aux sports et à la gymnastique, si courageuse aussi! » Les yeux de Marjorie s'éclairèrent. Elle regarda Pat comme si celle-ci venait de prononcer des paroles mémorables. « Cette idée ne m'était jamais venue à l'esprit, dit-elle. Réflexion faite, je crois en effet que je lui ressemble.

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Les yeux de Marjorie s'éclairèrent...

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Que je suis contente! Oui, je suis très forte et je suis courageuse aussi peut-être, il n 'y a pas de quoi m'en vanter parce que les gens forts sont toujours courageux. Tu m'as fait grand plaisir, Pat. Mon père m'aimerait peut-être s'il savait que je lui ressemble. » La conversation devenait passionnante. L'arrivée de Mme Rey l'interrompit. L'économe se réjouit de voir le visage épanoui de Marjorie. « Vous lui avez fait du bien, approuva-t-elle. Mais il faut que vous partiez maintenant. Quelles belles fleurs! Isabelle et Margaret pourront venir demain. » Lucie et Pat prirent congé et s'en allèrent. Dès qu'elles furent dehors, Pat saisit le bras de Lucie. Ses yeux brillaient. « Lucie, j'ai une idée formidable! — Laquelle? - Écoute, dit Pat. Tu sais que dans le journal du pays on a publié la photographie de Marjorie et on a raconté comment elle a sauvé Erica. Je vais découper l'article et l'envoyer à son père, en" l'accompagnant d'une lettre où je lui dirai que nous sommes très fières d'elle à Saint-Clair. - C'est une très bonne idée, approuva Lucie. Je regrette de ne pas y avoir pensé moi-même. Mme Théobald nous donnera l'adresse. M. Fenworthy sera bien étonné de savoir que Saint-Clair est fier de sa fille après les reproches des autres écoles. Il est bien temps que Marjorie voie la chance lui sourire. C'est sûrement un peu de sa faute si elle ne s'entendait pas avec sa belle-mère, elle a un caractère si difficile! L'attitude de ses parents l'a rendue encore plus revêche. Quand je pense aux miens qui sont si bons et si compréhensifs, je suis peinée pour Marjorie. » Après ce long discours, les deux filles se turent jusqu’au moment où elles arrivèrent à la salle de récréation. Pat prit le journal du pays, y découpa l'article intitulé Une Pensionnaire héroïque sous la photographie de Marjorie.

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« Que fais-tu? demanda Isabelle. - Je vais te le dire, mais à toi seule », répondit Pat. Elle fit part de son idée à Isabelle, puis, aidées par Lucie, les jumelles se mirent en devoir de rédiger la lettre pour le père de Marjorie. Voici le résultat de leurs efforts : Monsieur, Votre fille nous a parlé de vous et nous savons que vous êtes très courageux. Vous avez peut-être appris que Marjorie vient d'accomplir un acte de bravoure, mais vous ne connaissez peut-être pas tous les détails. C'est pour vous les raconter que nous vous écrivons. Un incendie a éclaté au collège. Marjorie a grimpé le long d'un tuyau en fer jusqu'à la fenêtre d'une chambre et elle a sauvé une élève nommée Erica qui, à cause des flammes, ne pouvait sortir de sa chambre. Elle a déchiré les draps de lit, les a noués ensemble et les a accrochés au lit. Portant Erica sur ses épaules, elle est descendue le long de cette corde. Par malheur elle est tombée avant d'arriver en bas. Elle s'est cassé la jambe et s'est heurté la tête contre une pierre. Elle a sauvé la vie d'Erica, c'est une véritable héroïne. Marjorie est très vigoureuse! Si vous la voyiez à la gymnastique! Aux sports elle nous bat toutes. Elle a gagné le dernier match de hockey pour Saint-Clair. Elle doit vous ressembler et-avoir hérité du courage qui vous a permis de réussir de si belles ascensions. Elle va mieux maintenant, mais elle se sent un peu seule. Ce serait si gentil de votre part de lui faire une petite visite. Elle serait si contente! Nous sommes toutes très fières d'elle, nous espérons qu'elle restera à Saint-Clair jusqu'à la fin de ses études. Mous avons pensé que vous devriez être informé de tout cela afin d'être fier d'elle vous aussi. Veuillez accepter l'expression des sentiments respectueux de trois amies de Marjorie. PAT ET ISABELLE O'SULLIVAN, LUCIE ORIEL.

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Aidées par Lucie, les jumelles se mirent en devoir de rédiger la lettre pour le père de Marjorie... 135

Elles furent très satisfaites de cette lettre qu'elles mirent à la poste le même jour. L'effet fut immédiat. Le lendemain Marjorie reçut un télégramme qui la combla de joie. Il était de son père. TRÈS FIER DE TOI. ARRIVERAI DANS LA JOURNÉE. TENDRESSES. PAPA. Marjorie montra le télégramme à Isabelle et la chargea d'avertir Pat et Lucie. « Je suis si heureuse! répétait-elle. Si heureuse! Dire que mon père prend le temps de venir me voir! Il est fier de moi! C'est merveilleux! » Les jumelles et Lucie guettèrent avec curiosité l'arrivée de M. Fenworthy. C'était un bel homme, grand, avec de larges épaules. Marjorie lui ressemblait beaucoup. Mme Théobald le reçut, puis le conduisit auprès de Marjorie. Ce qui se passa entre le père et la fille, personne ne le sut jamais. Marjorie garda jalousement son secret. Elle ne décrivit à personne, pas même à Lucie, les instants où son père l'avait prise dans ses bras et l'avait félicitée. Tout était arrangé. Elle avait enfin ce qui lui avait tant manqué et, en quelques minutes, son amertume disparut pour faire place à tout ce qu'elle avait de bon en elle. « Pat, Isabelle, Lucie, vous avez écrit à papa? demanda Marjorie le lendemain, les yeux brillants. Il m'a montré la lettre. Que vous êtes gentilles! Ma vie a bien changé! Il ne me connaissait pas, il me croyait méchante. Il est si content de savoir que je lui ressemble! Aux prochaines vacances, il m'emmènera dans les montagnes. Il me laissera à Saint-Clair jusqu'à mes dix-huit ans. Ensuite je serai professeur de gymnastique et de sports. C'est toujours ce que j'ai souhaité. — Marjorie, comme tu as changé! » s'écria Pat. Marjorie était si contente qu'elle en avait embelli. Ce n'était plus la fille sombre et maussade que l'on avait connue.

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« Je travaillerai maintenant, dit-elle. Je ne serai plus dernière. — Dans peu de temps tu seras en sixième division, tu prendras place parmi les grandes. Nous autres nous ferons ton thé et nous cirerons tes souliers, dit Lucie en riant. Ne sois pas trop ambitieuse, ma fille! Gare aux moqueries de Margaret! »

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CHAPITRE XVIII LES MALHEURS DE LUCIE eut bientôt la permission de marcher avec des béquilles. Elle ne pouvait pas faire de gymnastique ni prendre part aux jeux, mais elle ne se plaignait pas. Elle était toujours satisfaite et contente. Elle travaillait si bien que les professeurs ne tardèrent pas à aimer cette nouvelle Marjorie. Lucie était devenue sa meilleure amie. Marjorie ne savait que faire pour la petite Lucie qui ne lui arrivait qu'à l'épaule. Elles étaient presque toujours ensemble; les autres se réjouissaient de les entendre plaisanter et rire. « Lucie devrait toujours être heureuse, fit remarquer Pat en la voyant aider Marjorie, appuyée sur ses béquilles. Elle est charmante, on ne peut pas s'empêcher de l'aimer. MARJORIE

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— Il n'y a aucune raison pour qu'elle ne soit pas toujours heureuse, déclara Isabelle. Son père est célèbre, f sa mère adorable, elle-même est intelligente et jolie. Elle se plaît beaucoup à Saint-Clair. Elle m'a dit hier qu'elle serait contente d'y enseigner plus tard. » « Hélas! La semaine suivante, un malheur arriva à la I pauvre Lucie. Mme Théobald reçut un télégramme et fit f appeler Lucie au milieu du cours d'histoire. Un peu effrayée, J elle se rendit chez la directrice. Mme Théobald avait l'air très grave. Elle tendit la main à 'Lucie et l'attira près d'elle. ; « Lucie, commença-t-elle, j'ai une mauvaise nouvelle à vous annoncer. Soyez courageuse. — Dites-moi vite! s'écria Lucie. — Votre père a été gravement blessé dans un accident de voiture, reprit Mme Théobald. Il vous demande. — Il ne mourra pas? murmura Lucie très pâle. — J'espère bien que non, répondit Mme Théobald. Demandez à vos amies de vous aider à préparer une valise, je vous accompagnerai à la gare. Je suis désolée, ma petite. Espérons qu'il ira bientôt mieux. Soyez courageuse. » Lucie courut demander à Marjorie de l'aider. La grande fille partagea les inquiétudes et la peine de son amie. Elle lui passa le bras autour de la taille et la serra très fort. « J'espère que ce ne sera pas trop grave, dit-elle. Je vais faire ta valise. Dis-moi simplement ce que tu veux emporter. » Quelques instants plus tard, la pauvre Lucie montait en voiture avec Mme Théobald. Les élèves de première division partageaient son chagrin, Marjorie était comme une âme en peine. La gentille Lucie ne méritait pas ce malheur ! « Je crois que je ne pourrai pas dormir cette nuit », dit Margaret. Les autres lui firent chorus. Elles suivaient Lucie par

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la pensée et faisaient des vœux pour la guérison de M. Oriel. Au bout de trois ou quatre jours, Marjorie reçut une lettre qu'elle résuma pour ses compagnes. « Le père de Lucie est hors de danger, déclara-t-elle. Malheureusement il ne se rétablira pas complètement. Il ne pourra plus se servir de sa main droite... et il est peintre ! » Les élèves furent consternées. « C'est très triste pour lui et aussi pour Lucie, continua Marjorie. Il gagne sa vie en faisant des portraits. S'il ne travaille plus, Lucie ne pourra pas rester à Saint-Clair. — Quel malheur! s'écria Tessa. C'est la plus gentille de nous toutes! — Et elle espérait bien être chef de classe l'année prochaine, ajouta Pat. Quelle déveine! Pauvre Lucie! Elle doit être bien malheureuse! Tous ces projets d'avenir sont bouleversés. — Il faudra qu'elle prenne une situation, je suppose, dit Henriette. Saint-Clair coûte cher. Quel dommage qu'elle ne puisse pas avoir une bourse! — Elle le pourrait si elle était en troisième division, fit remarquer Tessa. L'examen pour la bourse a lieu à la fin du prochain trimestre. Celle qui réussit a le droit de choisir entre une douzaine de collèges sans rien payer. — Lucie n'est que dans la première division, soupira Pat. Je voudrais bien pouvoir l'aider. Marjorie, reviendra-t-elle ce trimestre? — Oui, dans deux jours quand son père quittera la clinique, dit Marjorie en consultant la lettre. Il ne faudra pas trop lui montrer notre chagrin. Cela augmenterait simplement le sien. Conduisons-nous normalement, elle sait bien que nous l'aimons. » A son retour, Lucie fut accueillie avec des démonstrations d'amitié. Elle était pâle, elle avait maigri, mais elle tenait la tête haute, elle avait toujours son doux sourire aux lèvres. Dans son genre, elle était aussi courageuse que Marjorie.

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Les élèves se gardèrent de la harceler de questions. Marjorie lui montra ce que la classe avait fait pendant son absence. Lucie serra le bras de son amie. « Tu es si gentille pour moi, Marjorie, dit-elle. Merci. Tu m'as envoyé une lettre qui m'a beaucoup aidée. Pauvre , papa! Tu ne peux imaginer comme il est courageux! J II sait qu'il ne pourra probablement plus peindre, il essaie 'j avec sa main gauche. Il s'efforce de parler gaiement. Il se reproche de n'avoir pas mis d'argent de côté. Il en gagnait beaucoup, mais il le dépensait à mesure. Nous n'aurons presque rien, maman et moi. Nous non plus nous ne pensions pas à économiser. Nous n'avions pas imaginé que papa cesserait un jour de travailler. — Seras-tu obligée de quitter Saint-Clair le trimestre prochain? demanda Marjorie. — Bien sûr, répondit Lucie. C'est trop cher pour nous maintenant. Si j'avais pu rester, si j'avais pu me présenter à l'examen de la bourse... Impossible! Je suis obligée de partir. Maman cherche une situation pour moi. J'apprendrai vite à être une bonne secrétaire. — Tu me manqueras terriblement! s'écria Marjorie. C'est la première fois de ma vie que j'avais une amie. Que je voudrais faire quelque chose pour toi! » Marjorie n'était pas fille à rester inactive. Elle se creusa la tête pour trouver le moyen d'aider Lucie. Soudain une idée lui vint. Si cela pouvait réussir! Sans en parler à personne, pas même à Lucie, elle alla trouver Mme Théobald. La directrice n'était pas seule. En entendant frapper à la porte, elle cria : « Entrez! » Marjorie entra. Son beau visage rayonnait d'espoir. Mme Théobald admira le changement qui s'était opéré en elle. « Madame Théobald, vous êtes occupée... Je vous dérange, dit Marjorie désappointée. Je voulais vous soumettre une idée qui m'est venue. » C'était Miss Walker, le professeur de dessin, qui était

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là. Son entretien avec la directrice n'était pas encore terminé. Mme Théobald regarda Marjorie et comprit son impatience. « Qu'avez-vous à me dire? demanda-t-elle. Est-ce confidentiel? — Oui, en un sens, répliqua Marjorie. Il s'agit de Lucie, — Que c'est étrange! s'écria Mme Théobald. Miss Walker me consultait aussi au sujet de Lucie. Vous pouvez parler devant Miss Walker. Vous savez qu'elle s'intéresse beaucoup à Lucie qui est très bonne en dessin et en peinture. — Madame Théobald, vous savez que Lucie est obligée de partir à la fin du trimestre, n'est-ce pas? dit Marjorie. Elle en est très malheureuse. Elle se plaît beaucoup à Saint-Clair, c'est une élève modèle. Nous l'aimons toutes. Madame Théobald, j'ai une idée. — Laquelle? demanda la directrice en réprimant un sourire, car Marjorie pouvait à peine parler tant elle était émue.

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— Madame Théobald, vous pensez que Lucie est très intelligente, n'est-ce pas? interrogea Marjorie. Elle est toujours première et elle a une mémoire extraordinaire. Elle n'a qu'à lire une page, elle la sait par cœur. — C'est un don, affirma Mme Théobald. Je sais que Lucie le possède. Elle a de la chance. Continuez, Marjorie. — Ne croyez-vous pas que Lucie est assez intelligente pour préparer la bourse avec la troisième division au trimestre prochain? reprit Marjorie. Je suis sûre qu'elle réussirait, elle travaille avec tant d'acharnement. Pourriez-vous lui donner la possibilité, madame Théobald? Elle en est digne. — Vous n'avez pas besoin de me le dire, s'écria Mme Théobald. Nous savons toutes que Lucie mérite d'être aidée. Je la garderais à Saint-Clair pour presque rien, mais ses parents ne veulent pas en entendre parler. Ils sont si délicats. Marjorie, Lucie n'a que quatorze ans, les élèves qui préparent l'examen en ont seize. Elle est intelligente, c'est vrai, mais j'ai peur pour elle d'un échec. Ce .serait un gros travail et sans doute une amère déception à la fin. En troisième, nous avons deux élèves très avancées dans leurs études. » Marjorie fut consternée. Elle était si fière de son idée! Elle était sûre que Lucie était assez intelligente pour réussir à n'importe quel examen après quelques mois de travail. Miss Walker se joignit à la conversation. « Je ne vois pas comment Lucie pourrait rester à Saint-Clair parce qu'elle aurait préparé l'examen de la bourse, fit-elle remarquer. — Mais si, Miss Walker! expliqua Marjorie. J'ai regardé la liste des collèges parmi lesquels les boursières peuvent choisir, Saint-Clair y figure cette année. Bien entendu, si Lucie réussissait, elle choisirait Saint-Clair. » Mme Théobald se mit à rire. « Décidément, ce n'est plus moi qui dirige ce collège, dit-elle. C'est Lucie qui m'a dit ce qu'il fallait faire à

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propos d'Erica, c'est elle qui a écrit la lettre à votre père, Marjorie. Maintenant vous m'indiquez le moyen de garder Lucie. Je n'ai plus qu'à donner ma démission. — Madame Théobald, nous savons toutes que c'est vous qui dirigez Saint-Clair! s'écria Marjorie, rouge de confusion. Mais vous n'imaginez pas combien Lucie est aimée. Nous voudrions tant la garder. Avant elle je n'avais jamais eu d'amie. Je me suis creusé la tête pour l'aider, je croyais que mon idée était bonne. — Je ne crois pas qu'elle soit réalisable, Marjorie, répliqua Mme Théobald. Je ne veux pas surmener Lucie sans grand espoir de succès. Pensez qu'elle n'aura l'âge de la bourse que dans deux ans! Miss Walker est venue aussi me parler d'un projet pour Lucie, nous étions en train de le discuter. — Que c'est gentil, Miss Walker! » s'écria Marjorie 3ui, jusque-là, n'aimait pas beaucoup le professeur de dessin dont elle n'avait jamais suivi les conseils. Maintenant, puisque Miss Walker s'intéressait à Lucie, son opinion changeait. « Je voudrais que nous conservions Lucie pendant au moins deux ans et que nous lui donnions le moyen de gagner une bourse, expliqua Miss Walker. Elle dessine et peint à la perfection, elle pourra exercer plus tard la profession de son père. Il faut qu'elle suive les cours de la meilleure école des Beaux-arts de toute l'Angleterre, mais elle est encore trop jeune. Je ne veux pas du tout qu'elle fasse de la sténographie et de la dactylographie, et prenne un poste de secrétaire. Ce serait un crime. Elle vaut beaucoup mieux que cela. — J'ai déjà offert de garder Lucie pendant deux ans pour rien, afin qu'elle puisse obtenir une bourse, reprit Mme Théobald. Ses parents n'acceptent pas, Lucie non plus. Marjorie, elle ne vous l'a sans doute pas dit, elle veut aider sa famille maintenant que son père ne peut plus peindre.

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— Ne pourriez-vous pas garder Lucie encore un trimestre et la laisser tenter sa chance pour la bourse? demanda Marjorie. Si elle réussissait, elle resterait ici encore deux ou trois ans et elle se présenterait pour la bourse des Beaux-arts. Elle l'obtiendrait facilement. — Nous verrons ce que nous pouvons faire, Marjorie, dit Mme Théobald. C'est certainement une idée que je n'avais pas eue, je ne sais pas encore si elle est possible. Il faut que je parle aux autres professeurs et que je leur demande leur avis. Je vous avertirai dès que nous aurons pris une décision. En attendant, je vous remercie de votre initiative. Je suis très heureuse que vous soyez venue à Saint-Clair. Nous vous avons aidée, je le sais, maintenant c'est vous qui venez à notre secours. »

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CHAPITRE XIX LA CHANCE SOURIT A LUCIE sortit du salon appuyée sur ses béquilles, le visage illuminé par l'espoir. Mme Théobald et Miss Walker trouveraient sûrement un moyen d'aider Lucie! Elle ne souffla mot de l'entrevue et se garda surtout d'en parler à Lucie, de peur de lui causer une déception si les projets n'aboutissaient pas. « Je sais que Mme Théobald tiendra sa promesse, qu'elle fera tout ce qu'elle pourra », pensa Marjorie en regardant le visage attristé de Lucie à l'autre bout de la classe. Malgré son courage, Lucie n'arrivait pas toujours à dissimuler son chagrin. Sa vie avait tant changé! L'avenir qui était si riant avait pris une teinte si sombre ! MARJORIE

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Mme Théobald tint parole. Elle réunit les professeurs] des trois premières divisions, ainsi que Mam'zelle et Mis*! Lewis, le professeur d'histoire. Elle leur fit part de lai suggestion de Marjorie. Elles discutèrent à fond la question. Tous les professeurs aimaient Lucie Oriel, admiraient son intelligence et sa mémoire. Miss Lewis déclara aussitôt qu'elle donnerait des leçons particulières à Lucie et qu'elle n'avait aucune inquiétude pour les résultats. « Son français est déjà parfait, dit Mam'zelle. Elle a passé de nombreuses vacances en France et elle parle ma langue presque aussi bien que moi. » Les mathématiques étaient le point faible de Lucie. Elle était rebutée par les difficultés, bien qu'elle fût assez intelligente pour résoudre la plupart des problèmes. Avant d'être directrice, Mme Théobald enseignait les mathématiques, c'était un excellent professeur. « Je m'occuperai de Lucie, promit-elle. Je ne fais plus de cours parce que la direction du collège prend tout mon temps. Lucie Oriel fera exception à la règle. » La discussion dura une heure, puis les professeurs se séparèrent. Marjorie, qui savait qu'elles avaient été convoquées dans le cabinet de travail de Mme Théobald, se demandait s'il avait été question de Lucie. Elle le sut bientôt, car Mme Théobald l'envoya chercher. « Nous avons parlé de l'avenir de Lucie, expliqua la directrice, allant droit au but. Nous pensons que vous avez raison. Il est possible qu'elle remporte la bourse. J'ai donc écrit à ses parents pour leur faire part de notre projet. Nous verrons ce qu'ils en pensent. » La réponse arriva par téléphone le lendemain. Mme Oriel avait été heureuse de la proposition de la directrice. Elle savait combien Lucie désirait rester à Saint-Clair. Si, grâce à une bourse, elle pouvait finir ses études au collège sans frais avant d'entrer aux Beaux-arts, il fallait tenter la chance.

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« Je suis ravie de votre approbation, madame Oriel, dit Mme Théobald. Merci de m'avoir répondu si rapidement. J'avertirai Lucie ce soir. » Mme Théobald envoya chercher Lucie et, brièvement, lui exposa les projets faits pour elle. Lucie écouta, une lueur joyeuse dans les yeux. Cela paraissait trop beau pour faire vrai après tant de peines et de déceptions. « Merci beaucoup, madame Théobald, dit-elle. Je ferai de mon mieux, je vous le promets. Je travaillerai avec acharnement, pendant les vacances aussi. J'avais le cœur brisé à l'idée de partir. Je suis si heureuse à Saint-Clair! — C'est donc décidé, conclut Mme Théobald. J'ai parlé aux autres professeurs : toutes vous donneront des leçons particulières. Je me réserve les mathématiques. Nous commencerons demain, le temps presse. Je vous ferai un horaire spécial car vous ne suivrez plus les mêmes cours que vos compagnes. Pourtant il ne faudra pas trop travailler. Je dirai à Marjorie de vous surveiller, elle vous obligera à vous reposer quand vous serez fatiguée. — Que Marjorie sera contente! s'écria Lucie. Je vais vite lui annoncer cette grande nouvelle! — Oui, elle se réjouira, approuva Mme Théobald. Allez vite l'avertir! » Lucie courut à la salle de récréation. Elle y trouva Marjorie avec une ou deux autres. Elle sauta au cou de son amie étonnée. « Marjorie, écoute! J'ai une nouvelle formidable à t'apprendre! s'écria-t-elle. Tu ne le croiras pas, je reste à Saint-Clair! — Lucie! Tu auras l'autorisation de te présenter à l'examen de la bourse? s'écria Marjorie qui aurait dansé si sa jambe le lui avait permis. — Tu es au courant, Marjorie? demanda Lucie stupéfaite. — C'est moi qui ai eu cette idée, expliqua Marjorie. Je suis allée trouver Mme Théobald pour la lui soumettre.

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Je ne voulais pas t'en parler avant que la décision soit prise. Lucie, que je suis contente! — Toi, quand tu as quelque chose dans la tête! » s'écria Lucie en regardant le visage énergique de Marjorie. Quel bonheur pour moi de t'avoir pour amie! Dire que tu as pris toute cette peine! Je ne l'oublierai jamais. Toute ma vie je me rappellerai ta bonté. — Ne dis pas de bêtises! protesta Marjorie. (Test moi qui ai de la chance. Nous resterons toutes les deux à Saint-Clair au lieu d'être séparées. Mais tu auras tant de travail! Il faudra que je te surveille pour voir si tu prends de temps en temps un peu de récréation! —• Que c'est drôle! c'est ce que Mme Théobald vient de dire, déclara Lucie en riant. Les professeurs s'occuperont de mon travail, tu t'occuperas de mon repos. Je ne risque rien. — Que se passe-t-il? demanda Pat à l'autre bout de la salle. De quoi parlez-vous? L'une de vous a obtenu un « très bien » de Mam'zelle? — C'est peu probable », répliqua Marjorie. On savait que Mam'zelle ne donnait jamais de « très bien ». « Non, Lucie reste à Saint-Clair. Elle se présentera à l'examen de la troisième division. Qu'en dis-tu? » Toutes les élèves exprimèrent leur joie. Lucie avait repris son entrain. Quel bonheur d'être si aimée! C'est si bon d'avoir une amie prête à se donner de la peine pour vous! Si la main de son père guérissait, elle serait encore plus heureuse qu'avant l'accident. « Lucie, dit Marjorie le soir avant de se coucher. J'ai pensé à quelque chose. — Encore une idée? s'écria Lucie d'un ton taquin. — Oui, mais cette fois il s'agit de moi, pas de toi, répondit gravement Marjorie. Tu le sais, j'ai seize ans et je n'ai pas le droit d'être la dernière de ma classe.^ Je ne suis jamais restée longtemps dans la même école, c'est

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pour cela que je suis en retard. Je ne crois pas que je sois complètement dépourvue d'intelligence. Je vais travailler, tu verras. Je ferai des progrès et je te suivrai dans tes études. Je ne pourrais pas supporter de rester dans la première division quand toi tu feras partie des grandes, alors que tu as deux ans de moins que moi. C'est si difficile d'être amies quand on est dans des divisions différentes! — Ce serait splendide, Marjorie! s'écria Lucie. Oui, je crois que je monterai de division le trimestre prochain. Ce serait bien agréable si tu m'accompagnais. Travaille bien ! » A l'étonnement des professeurs, Marjorie Fenworthy, qu'on avait crue si sotte, prouva qu'elle était intelligente et travailla tant qu'une semaine elle fut ex aequo avec Lucie. « Un vrai miracle! déclara Miss Roberts quand elle donna les notes des compositions. Marjorie, si vous continuez, vous serez bientôt dans la seconde division. Quelle surprise! Doris, c'est à votre tour de m'étonner. Depuis presque un mois vous êtes la dernière. Essayez donc de disputer la première place à Lucie et à Marjorie la semaine prochaine. » Toutes se mirent à rire, sans excepter Doris. En cette fin de trimestre, la gaieté régnait dans la classe de première division. Les élèves étaient si heureuses!

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CHAPITRE XX L'ÉTUI A LUNETTES DE MAM'ZELLE ne partageait pas la joie générale, c'était Mam'zelle. Toujours d'un caractère-emporté, elle devenait plus irritable de jour en jour. A chacun de ses cours, un drame éclatait. Bientôt Margaret ne put plus y tenir. Ce n'était pas pour rien que ses compagnes l'appelaient « soupe au lait », aussi avait-elle peine à se contenir lorsque Mam'zelle lui adressait quelque remarque mordante. « Margaret, encore la même faute! Une faute que je vous ai signalée au moins cent fois ce trimestre! s'écria un jour Mam'zelle en soulignant une phrase avec un crayon rouge, d'un trait si appuyée qu'elle troua le papier. Quelle corvée d'être le professeur d'une fille stupide comme vous! UNE SEULE PERSONNE

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— Ce n'est pas plus agréable pour moi que pour vous ! » grommela Margaret. Elle avait prononcé ces mots assez bas, mais Mam'zelle, qui avait l'oreille fine, leva vers elle des yeux étincelants. « Que dites-vous? cria-t-elle. Répétez! » La classe attendit sur des charbons ardents. Les rages de Mam'zelle étaient si amusantes... pour celles qui ne les avaient pas provoquées. Margaret était assez courageuse pour répéter ce qu'elle avait dit et elle le fit assez haut pour que les élèves pussent entendre. « J'ai dit : Ce n'est pas plus agréable pour moi que pour vous, déclara-t-elle. — Impertinente! Qu'est-ce qui vous prend à toutes ce trimestre? Vous êtes insolentes, vous boudez, vous ne vous appliquez pas. » C'était vrai, mais la faute en revenait en grande partie à Mam'zelle. Elle leur menait la vie si dure! Les élèves gardèrent le silence. Lucie elle-même évita le regard du professeur. « Margaret, vous apprendrez par cœur le poème français que nous sommes en train de traduire. En entier! De plus, vous le copierez trois fois », dit Mam'zelle, la voix tremblante de colère. Des exclamations fusèrent. Le poème avait trois pages! « C'est impossible, Mam'zelle! protesta Margaret. Vous le savez bien. Il me faudrait des siècles. Je retiens très difficilement la poésie française. Il me faudra des heures pour apprendre dix vers et il y en a au moins cent dans ce poème. — Tant pis pour vous! Une autre fois vous ne serez pas insolente », déclara Mam'zelle. Elle prit son étui et percha ses lunettes sur son gros nez. Son visage était rouge de colère, elle souffrait de la tête. Ah! Ces Anglaises! Quelles filles terribles!

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Comment avait-elle pu les trouver sympathiques? Elle ne pouvait plus les supporter. Pendant la récréation, Margaret donna libre cours à sa colère. « Ce n'est pas juste! s'écria-t-elle. Mam'zelle nous exaspère avec ses remarques sarcastiques que nous ne méritons pas toujours. Je suis sûre que nous avons travaillé aussi bien que le trimestre dernier. Lucie est très bonne en français, cependant Mam'zelle l'a grondée hier. — Elle n'a pas toujours été aussi désagréable? demanda Lucie étonnée. — Bien sûr que non, répondit Margaret. C'est le quatrième trimestre que je passe en première division et j'aimais bien Mam'zelle. Elle a toujours été emportée, maintenant elle est toujours de mauvaise humeur. — Margaret, je copierai une fois ce poème pour toi, promit Catherine. Mon écriture ressemble à la tienne. Mam'zelle ne s'en apercevra pas. Tu n'as pas le temps de le faire trois fois aujourd'hui. — Merci, Catherine, tu es bien gentille, dit Margaret. Cela m'aidera. Si je le pouvais, je ne te laisserais pas partager ma punition. Mais je n'ai pas les moyens de m'en tirer toute seule. » Catherine copia une fois le poème dans le cahier de français de Margaret. Sheila, dont l'écriture ressemblait aussi à celle de Margaret, en fit autant. Margaret se chargea de la troisième copie. Toute la journée elle rabâcha les vers français et les récita à qui voulut l'entendre. Le soir, ses compagnes les savaient aussi par cœur. A sept heures elle se rendit chez Mam'zelle pour lui rendre compte de ses efforts. Elle débita le poème d'une voix monotone et boudeuse, sans regarder son professeur. Mam'zelle était calmée et regrettait d'avoir donné à Margaret une si longue punition. Elle se montra aimable. Margaret refusa de sourire et ne dit même pas bonsoir en sortant de la pièce.

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Mam'zelle regarda son stylo. Il paraissait en excellent état 154

« Oh! Ces Anglaises! soupira Mam'zelle. Si elles allaient dans les pensionnats français, elles apprendraient ce que c'est que la politesse et le travail. » Margaret garda rancune à Mam'zelle et décida de se venger. Les élèves aimaient beaucoup jouer des tours à leurs professeurs. Le trimestre dernier, Pat s'était distinguée dans ce genre d'exploit. Margaret prendrait sa succession. Mam'zelle n'avait qu'à bien se tenir. Elle fit part aux autres de ses projets. « Si Mam'zelle croit qu'elle peut me punir injustement sans que je prenne ma revanche, elle se trompe! affirma-t-elle. Et vous allez voir ce que vous allez voir! » Cette déclaration de guerre fut accueillie par des cris de joie. On pouvait se fier à Margaret pour inventer des farces inédites et originales. « Nous avons bien ri le trimestre dernier, le jour où nous avons jeté des pétards dans le feu, raconta Pat à Marjorie et à Lucie. Nous voulions effrayer Miss Kennedy, un professeur très timide qui enseignait l'histoire en remplacement de Miss Lewis. Malheureusement Miss Roberts est arrivée au mauvais moment. Ce ne sont pas seulement les pétards qui ont fait des étincelles! — Je me demande ce qu'imaginera Margaret, dit Doris, très experte elle-même en matière de mauvais tours. J'ai une attrape que mon cousin m'a donnée à Noël. C'est une feuille de matière plastique aux contours irréguliers qui imite à s'y méprendre une tache d'encre. — Pourquoi ne nous l'as-tu pas montrée? s'écria Margaret. J'ai déjà vu cela... C'est formidable! Tu l'as? — Je l'ai apportée, répliqua Doris. Mais je ne la trouve plus. Je ne sais pas où je l'ai mise. — Cherche vite, supplia Pat. Tu n'as sûrement pas regardé partout. Dans ta boîte à provisions par exemple. Tu ne l'as pas ouverte depuis le commencement du trimestre, après avoir mangé les gâteaux et les bonbons. » L'attrape était dans la boîte à provisions. Doris la prit.

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Posée à plat sur un cahier, elle faisait l'effet d'une grosse tache d'encre... comme si l'encrier avait été renversé. Margaret fut aux anges. « Prête-la-moi, tu seras bien gentille, pria-t-elle. Volontiers, dit Doris. Que vas-tu en faire? — Tu verras demain », répliqua Margaret. La classe attendit avec impatience le cours de français. Mam'zelle arriva comme d'habitude affairée et essoufflée. C'était le jour de la dictée. Mam'zelle regarda autour d'elle. La sagesse des élèves lui parut suspecte. « Prenez la dictée, ordonna-t-elle. Ouvrez vos cahiers et commencez. » Après la dictée, chaque élève venait faire corriger ses fautes. Quand son tour vint, Margaret posa son cahier sur le bureau du professeur. Mam'zelle prit son stylo; sur le cahier bien tenu de Margaret une grosse tache d'encre s'étalait. « Oh ! Mam'zelle ! s'écria Margaret d'une voix plaintive. Regardez ce que vous avez fait! C'est sûrement votre stylo! Il coule! Moi qui m'étais tant appliquée ce matin! » Mam'zelle regarda avec horreur l'énorme tache. Elle ne pouvait en croire ses yeux. « Margaret, comment ai-je pu faire cela? » demanda-t-elle. Elle regarda son stylo. Il paraissait en excellent état. Cependant il y avait la tache sur le cahier de Margaret. « Je vais l'effacer, Mam'zelle », assura Margaret en emportant son cahier avec soin comme si elle essayait de ne pas faire couler l'encre. Les élèves, la tête dans leurs mains, étouffaient leurs fous rires. Margaret glissa l'attrape dans son tiroir et fit semblant d'être très occupée avec son papier buvard. Mam'zelle secouait son stylo d'un air perplexe. Elle se demandait comment tant d'encre avait coulé en si peu de temps. Margaret rapporta son cahier propre et net. Mam'zelle resta stupéfaite.

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« Où est la tache? demanda-t-elle. Vous ne pouvez pas l'avoir nettoyée si bien? J'ai un papier buvard spécial, expliqua Margaret d'un ton solennel. Il enlève l'encre comme par magie. - C'est en effet de la magie, approuva Mam'zelle enchantée. On ne voit pas trace d'encre. Merci, ma chère Margaret. J'étais si désolée d'avoir sali votre cahier! » Doris et Catherine s'esclaffèrent. Mam'zelle leva la tête. « II n'y a pas de quoi rire, fit-elle remarquer. Taisez-vous ! » Bien sûr que si, il y avait de quoi rire. Margaret glissa l'attrape sur le pupitre de Doris pendant que Mam'zelle se penchait pour regarder sa dictée. La gaieté fut générale. « Oh! Mam'zelle... votre stylo! s'écria Doris d'un ton de reproche en regardant la tache. Il a sali mon bureau! » Mam'zelle manifesta une surprise horrifiée.

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Décidément ce matin-là elle jouait de malheur! Elle secoua violemment son stylo, une averse de gouttes d'encre tomba sur le parquet. Doris poussa des exclamations. « C'est bien votre stylo! Regardez par terre! Mam'zelle, vous permettez que j'emprunte le buvard de Margaret pour essuyer ces taches? Miss Roberts sera fâchée si elle les voit tout à l'heure. — Je n'y comprends rien, murmura la pauvre Mam' zelle qui avait l'impression de rêver, en regardant la grosse tache brillante sur le bureau de Doris. C'est la première fois qu'une chose pareille m'arrive!» Les élèves ne purent réprimer leur fou rire. Mam'zelle s'emporta. « C'est si drôle que je fasse des taches? cria-t-elle. Silence! Si j'entends encore rire, je mettrai toute la classe en retenue pendant la récréation! » Cette menace calma les élèves quelques instants, beaucoup enfonçaient leur mouchoir dans leur bouche quand l'envie de rire devenait trop grande. Margaret, enchantée du succès de sa plaisanterie, en préparait déjà une autre. « Je mettrai des hannetons dans l'étui à lunettes de Mam'zelle », chuchota-t-elle à ses amies qui, dans la salle de récréation après le goûter, commentaient le succès de la tache d'encre. Les élèves de seconde division avaient écouté le récit avec grand amusement; elles regrettaient de n'avoir pas été témoins de la comédie. « Margaret ! Non, pas de hannetons ! s'écria Sheila avec un frisson. Tu pourras les toucher? Moi, cela me serait impossible ! — Et l'étui, comment le prendras-tu? ajouta Pat. — C'est facile, répliqua Margaret. Mam'zelle le perd vingt fois par jour. La prochaine fois qu'.elle le laissera dans notre classe, j'y introduirai les hannetons. Elle en poussera des cris! Ça lui apprendra à m'obliger à copier ses horribles poèmes français! »

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Le lendemain, Mam'zelle oublia son étui à lunettes sur le bureau de la première division. Margaret, qui l'avait vu, cligna de l'œil aux autres. Dès que Mam'zelle fut sortie pour se rendre en seconde division, Margaret bondit de sa place et s'en empara. Elle le glissa dans sa poche et retourna à sa place juste au moment où Miss Roberts entrait pour faire un cours d'arithmétique. Quelques minutes plus tard, une élève de seconde division frappa à la porte. « Pardon, Miss Roberts, Mam'zelle est désolée de vous déranger, mais elle voudrait ses lunettes. Elle les a laissées dans l'étui, sur votre bureau. » Miss Roberts regarda sur le bureau, puis l'ouvrit. Elle ne vit pas l'étui à lunettes, ce qui n'avait rien d'étonnant puisqu'il était dans la poche de Margaret. « II n'est pas là, dit-elle. Mam'zelle le trouvera probablement dans son sac. » Les élèves rirent sous cape. Elles savaient très bien

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que les recherches de Mam'zelle resteraient vaines. Margaret ne bronchait pas. Son sérieux redoublait la joie des autres. « Mes enfants, qu'avez-vous donc? demanda avec impatience Miss Roberts qui n'aimait pas les fous rires. Ce n'est pas drôle que Mam'zelle ait égaré ses lunettes! » C'était justement du plus haut comique, Miss Roberts l'ignorait. La classe se calma. « Miss Roberts, c'est parce que Mam'zelle perd toujours ses lunettes, expliqua Doris. - Prenez la page 47, je vous prie, dit sèchement Miss Roberts. Catherine, si vous continuez à tourner la tête de tous côtés, je vous mettrai à la porte. Vous êtes bien agitée, ce matin! » La sagesse s'imposait. Miss Roberts exigeait tant de travail que les élèves ne purent penser à autre chose. A la récréation, elles se réunirent autour de Margaret pour la voir mettre les pauvres hannetons dans l'étui à lunettes!

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CHAPITRE XXI PAUVRE MAM'ZELLE! PENDANT LA RÉCRÉATION,

Margaret alla chercher des hannetons dans le jardin. Sous les yeux amusés des élèves de première et de seconde division, elle enleva les lunettes de Mam'zelle, les remplaça par les insectes et referma l'étui. « J'espère que ces pauvres bêtes pourront respirer », dit Catherine d'une voix tremblante. Elle aimait passionnément les animaux et sa bonté s'étendait jusqu'aux araignées. « Bien sûr, elles ont de l'air à revendre, répliqua Margaret. Cet étui à lunettes est très spacieux pour elles. - Que vas-tu faire? demanda Henriette. Tu vas remettre l'étui sur le bureau pour que Mam'zelle l'ouvre demain?

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— Exactement, répliqua Margaret. Il faut que tout se passe devant nos yeux. — Je crois que tu as tort, Margaret. Mam'zelle sera furieuse, intervint Lucie. Elle se plaindra peut-être à Mme Théobald. Prends garde... Tu ne voudrais pas avoir des ennuis juste avant la fin du trimestre? Et un mauvais bulletin ! - Gela m'est égal, dit Margaret. Je veux avoir ma revanche. » Les hannetons semblaient se trouver très bien dans l'étui à lunettes et leur santé ne parut pas se ressentir de cet emprisonnement. Catherine, inquiète pour eux, ouvrait de temps en temps l'étui pour leur donner de l'air. Le matin, Margaret posa l'étui sur le bureau, juste avant le cours quotidien de Mam'zelle. La classe était en proie à une vive agitation. Les élèves avaient essayé de rester calmes pendant que Miss Roberts était là ; le professeur était très perspicace et toutes redoutaient ses yeux perçants. Elle s'était montrée sévère, mais n'avait rien soupçonné. Enfin elle partit pour se rendre en seconde division et Mam'zelle entra. Mam'zelle avait passé une mauvaise nuit. Elle ne dormait pas bien ces temps-ci, ses yeux étaient entourés de grands cernes noirs. Elle répondit au bonjour des enfants, puis posa ses livres sur le bureau. Les élèves s'assirent. Mam'zelle se tourna vers le tableau noir et inscrivit quelques questions auxquelles les élèves devraient répondre en français. Soudain, elle aperçut son étui et le saisit avec un cri de joie. « Les lunettes! Comme c'est drôle! J'ai envoyé une élève les chercher hier et elle ne les a pas trouvées. J'ai été bien malheureuse toute la journée! » Les enfants attendaient avec impatience la suite des événements. Celles qui étaient derrière tendaient le cou pour mieux voir. Celles qui étaient devant se félicitaient d'être si bien placées. Mam'zelle s'assit et n'ouvrit pas

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immédiatement l'étui. Elle promena un regard autour d'elle. « Dépêchez-vous! cria-t-elle. Pourquoi êtes-vous si lambines aujourd 'hui? » Les élèves prirent leur plume. Mam'zelle bâilla et tapota ses dents avec son crayon. Pourquoi, pourquoi n'ouvrait-elle pas son étui? Ah! Elle s'apprêtait à le faire. Elle tendit la main, prit l'étui et l'ouvrit lentement. Les hannetons aux pattes agiles s'en échappèrent, et quelques-uns prirent leur vol. Mam'zelle fixa sur eux un regard incrédule. Elle se frotta les yeux avec son mouchoir. Puis elle contempla de nouveau l'étui. Elle ne pouvait en croire le témoignage de ses sens. « C'est impossible! pensa la pauvre Mam'zelle. Mes •yeux me disent qu'il y a des hannetons sur mon bureau, mais ma raison m'affirme que mes lunettes devraient être là. Et sans doute qu'elles y sont. C'est parce que je suis fatiguée que je vois des insectes sur le bureau devant moi! » Les élèves essayaient de réprimer leur fou rire. Le visage de Mam'zelle était si drôle! Elle était l'image même de la surprise. Mam'zelle s'efforça de reprendre son sang-froid et de réfléchir. Elle détestait tout ce qui rampait. Quand elle était fatiguée, dans ses cauchemars elle sentait sur elle un grouillement d'insectes. Et voilà que maintenant ces sales bêtes sortaient de son étui! Impossible! Les hannetons ne vivent pas dans les étuis à lunettes! C'était une illusion d'optique. Il fallait consulter l'oculiste et acheter des lunettes neuves. Ses migraines venaient peut-être du mauvais état de ses yeux. Ces pensées traversaient l'esprit de Mam'zelle, tandis que les élèves la guettaient pardessus leurs livres, en dissimulant leur envie de rire. « C'est impossible que ces insectes soient réels, se disait Mam'zelle. Ils n'existent que dans mon imagination. Les lunettes sont dans l'étui, bien que je ne les voie pas. Il faut que je prenne mon courage à deux mains et que

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je plonge les doigts à l'intérieur pour les en retirer. Quand elles seront sur mon nez, les hannetons disparaîtront comme par enchantement. » Malgré tous leurs efforts, les élèves ne purent s'empêcher de rire. L'ébahissement de Mam'zelle était si comique! Pas une minute elle ne pensa qu'on lui jouait un mauvais tour. Elle enfonça deux doigts dans l'étui pour y prendre les lunettes qui y étaient certainement. Bien entendu elle saisit d'autres hannetons. Elle poussa un cri strident, pour la plus grande joie de ses jeunes spectatrices. « Qu'avez-vous, Mam'zelle? demanda Doris de son ton le plus respectueux en clignant de l'œil à ses voisines. — Doris, Margaret, venez ici et dites-moi ce qu'il y a sur mon bureau! » s'écria Mam'zelle en regardant avec horreur un malheureux hanneton qui tournait autour de l'encrier et finissait par y tomber. Doris et Margaret 'se levèrent d'un bond. Margaret regarda gravement Mam'zelle. « Vos lunettes sont dans votre étui, affirma l'espiègle. Mettez-les, Mam'zelle, vous verrez plus clair. - Mes lunettes ne sont pas là! cria Mam'zelle. Vous ne voyez pas ces insectes? - Quels insectes? » demanda Doris d'un ton innocent, et toute la classe de s'esclaffer. Mam'zelle se prit la tête à deux mains. « Décidément, je ne suis pas dans mon état normal, gémit-elle. Depuis des semaines je ne me sens pas bien du tout. Je me mets facilement en colère, je deviens de plus en plus irritable. Et maintenant mes yeux! Je vois des choses qui n'existent pas. Je vois des hannetons sur ce bureau. Si seulement je pouvais trouver mes lunettes!» Margaret prit l'étui vide, se hâta d'y glisser les lunettes de Mam'zelle qu'elle avait prises de sa poche, puis les sortit de nouveau comme si elles avaient été là tout le temps. Elle les tendit à la Française stupéfaite.

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Margaret prit l'étui vide, se hâta d'y glisser les lunettes de Mam'zelle.

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« Cela va de mal en pis ! s'écria Mam'zelle. Elles étaient là tout le temps et je ne pouvais même pas les voir. Hélas! Hélas! Les hannetons courent toujours sur mon bureau. Je suis malade! Il faut que je vous quitte! Vous continuerez à travailler seules et vous attendrez que Miss Roberts revienne. Je suis malade, très malade, très malade !» Mam'zelle sortit de la salle d'un pas chancelant. Déconcertées, les élèves la suivirent des yeux. La farce avait un dénouement imprévu! Mam'zelle l'avait prise au sérieux. Elle avait cru Margaret et Doris qui affirmaient qu'il n'y avait pas d'insectes. Les élèves se regardaient avec consternation. Margaret prit les hannetons sur le bureau et les jeta par la fenêtre. « Margaret, je suis très ennuyée, dit Lucie de sa voix claire. Par notre faute, Mam'zelle a eu un grand choc. Elle n'était pas bien depuis quelque temps et maintenant elle se croit très malade. Notre plaisanterie a mal tourné. Je la regrette profondément. » Toutes partageaient ce regret. Les rires avaient cessé. Margaret eût mille fois mieux aimé une punition rigoureuse. Elle aurait appris volontiers un poème français de dix pages. Les élèves prirent leur plume et se mirent à leur travail, bourrelées de remords. Dix minutes plus tard Mme Théobald entrait. Les enfants se levèrent aussitôt. La directrice jeta un regard sur le tableau noir et sur les cahiers. Elle constata que les élèves travaillaient et elle leur sut gré de leur zèle. « Mes enfants, dit-elle de sa voix basse et agréable, j'ai le regret de vous apprendre que Mam'zelle est malade et qu'elle ne reviendra pas ce matin. J'ai envoyé chercher le médecin. Continuez votre travail jusqu'au retour de Miss Roberts. » Elle sortit. Les élèves s'assirent, plus tourmentées que jamais. Margaret était rouge comme une pivoine; elle se maudissait d'avoir joué ce vilain tour à la pauvre Mam'zelle. Les accès de mauvaise humeur du professeur de français étaient peut-être, après tout, des symptômes de maladie.

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La première division fut si tranquille ce matin-là que Miss Roberts en fut étonnée. Elle regardait les têtes penchées sur les livres et se demandait ce qui se passait. Bien entendu personne ne le lui dit. A la fin de la matinée, un grand brouhaha de conversations s'éleva dans la salle de récréation. « Tu sais que Mam'zelle est très malade? Dans quelle division était-elle quand elle ne s'est pas sentie bien? Dans la tienne, Marjorie? Qu'a-t-elle fait? Elle s'est évanouie? » Margaret ne fut pas dénoncée. Ses compagnes savaient que la pauvre fille se repentait de son mauvais tour. Elles avaient honte aussi d'y avoir participé et se gardèrent d'en parler. La farce avait eu de fâcheux résultats. Qui sait comment elle s'achèverait! Mam'zelle se coucha. Quelques minutes plus tard Mme Rey frappait à sa porte. La pauvre Mam'zelle était surtout inquiète au sujet de ses yeux. Elle raconta à l'économe qu'elle avait vu des insectes qui n'existaient que dans son imagination. Si elle s'endormait, elle en était sûre, elle aurait d'affreux cauchemars. Après le goûter, Margaret alla prendre des nouvelles de Mam'zelle. Le médecin était venu. Mme Rey put donc répéter son diagnostic. « C'est le surmenage, dit-elle. Mam'zelle a passé les vacances de Noël à soigner sa sœur qui était gravement malade. Elle l'a veillée nuit et jour sans s'accorder une minute de repos. Elle est revenue ici fatiguée et elle a repris ses classes avec son activité habituelle. C'est pour cela qu'elle était si nerveuse et si irritable ce trimestre. — A-t-elle parlé de son étui à lunettes? » demanda Margaret. Mme Rey la regarda avec surprise.

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« Pourquoi parlez-vous de son étui à lunettes? interrogea-t-elle. C'est justement ce qui tourmente la pauvre Mam'zelle. Elle répète que ses yeux sont malades, qu'elle a vu des insectes sortir de son étui. Elle n'ose pas dormir, alors qu'elle aurait tant besoin de sommeil, parce qu'elle a peur de rêver que des insectes rampent sur son corps. Elle est vraiment très souffrante. » Margaret répéta à ses amies ce qu'elle venait d'apprendre. C'était donc l'explication de la mauvaise humeur de Mam'zelle ! Elle avait soigné sa sœur nuit et jour. Quand on connaissait son dévouement, on devinait qu'elle ne s'était pas épargnée. Mam'zelle, malgré son emportement, avait un cœur d'or. « Que je regrette de lui avoir joué ce mauvais tour! dit Margaret à Pat. Que je le regrette! J'ai bien envie d'entrer dans sa chambre et de tout lui avouer pour la tranquilliser. Je n'oserais rien dire à Miss Roberts ou à Mme Théobald. — Eh bien, va chez Mam'zelle, conseilla Pat. C'est une bonne idée. Porte-lui des fleurs de- ma part et de la part d'Isabelle. » Les élèves de première division se cotisèrent afin d'acheter des fleurs pour Mam'zelle. Le lendemain était samedi, elles eurent donc la permission d'aller eh ville. Elles choisirent des jonquilles, des narcisses, des anémones et des primevères. Elles avaient tant de remords qu'elles dépensèrent beaucoup plus d'argent qu'elles n'en avaient l'intention. En les voyant revenir chargées de bouquets, Miss Roberts ne cacha pas son étonnement. « Que préparez-vous? Des floralies? demanda-t-elle. — C'est pour Mam'zelle », répondit Henriette. Miss Roberts fut encore plus étonnée. Depuis le début du trimestre, les élèves de première division se plaignaient de la mauvaise humeur de Mam'zelle qui n'était jamais contente et les accablait de travail.

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« Ces élèves de première division ont vraiment bon cœur », pensa-t-elle et elle dit tout haut : « C'est très gentil de votre part. Mam'zelle sera très touchée. Elle a passé une mauvaise nuit, je ne crois donc pas que vous pourrez la voir. Mme Rey lui portera les fleurs de votre part. » Cela ne faisait pas l'affaire de Margaret. Malgré Mme Rey, elle était décidée à voir Mam'zelle!

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CHAPITRE XXII LA DERNIÈRE SEMAINE DU TRIMESTRE le goûter ce jour-là, Pat et Isabelle guettèrent les allées et venues de Mme Rey. Elles accapareraient son attention, l'entraîneraient dans la lingerie et, pendant ce temps, Margaret se glisserait jusqu'à la chambre de Mam'zelle. Elle n'apporterait pas tout de suite les fleurs. Les bouquets avaient été enfermés dans un placard; Margaret avait l'intention d'aller les chercher comme une sorte d'offrande expiatoire quand elle aurait tout avoué à Mam'zelle. La pauvre Margaret était pâle d'émotion. La perspective d'avouer son espièglerie à Mam'zelle n'avait rien de réjouissant. Pourtant il le fallait. Lorsque Mme Rey sortit de la chambre de Mam'zelle avec un plateau, Isabelle et Pat s'approchèrent d'elle. APRÈS

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« Madame Rey, voulez-vous nous donner des serviettes ' propres, s'il-vous-plaît? —- Qu'avez-vous fait des vôtres? demanda l'économe par-dessus son plateau. Venez les chercher, je n'ai pas beaucoup de temps. » Pat se retourna et fit un clin d'œil à Margaret pour l'avertir que Mme Rey ne reviendrait pas de quelques minutes. Les jumelles la retiendraient le plus longtemps possible pour laisser le champ libre à Margaret. Margaret courut à la chambre de Mam'zelle et frappa. Une voix cria : « Entrez ! » Margaret poussa la porte. Mam'zelle était allongée sur le lit, les yeux fixés au plafond; elle paraissait très malheureuse, car elle était encore persuadée qu'elle avait des troubles de la vue. Elle s'attendait à voir des insectes ramper sur le plâtre blanc. Pauvre Mam'zelle ! Si le surmenage ne lui avait pas mis les nerfs à fleur de peau, elle aurait découvert la vérité et ce tourment lui aurait été épargné. L'apparition de Margaret la surprit. Mme Rey lui avait dit qu'elle n'autoriserait pas de visite ce jour-là. « Mam'zelle, dit Margaret en s'approchant du lit, allez-vous mieux? Je suis venue vous voir, j'ai quelque chose à vous dire. — C'est très gentil de votre part, ma chère Margaret, répondit Mam'zelle, toujours touchée par la moindre marque de bonté. Qu'avez-vous à me dire, ma petite? — Mam'zelle... Mam'zelle... je ne sais comment vous l'avouer, commença Margaret. Vous serez si fâchée. Je vous en prie, croyezmoi, je suis tout à fait désolée. Nous le sommes toutes... Nous ne vous aurions pas joué ce tour si nous avions su que vous n'étiez pas bien et... — De quoi parlez-vous, ma chère enfant? demanda Mam'zelle étonnée. Qu'avez-vous fait de si terrible? — Mam'zelle... nous... je... j'ai mis ces hannetons dans votre étui à lunettes pour me venger parce que vous m'aviez punie l'autre jour, balbutia Margaret. La tache

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dans mon cahier n'était pas vraie non plus. Vous voyez... » Mam'zelle regarda Margaret comme si elle ne pouvait en croire ses oreilles. « Ces insectes étaient réels alors? dit-elle enfin. — Oui, Mam'zelle, tout à fait réels. Je les avais trouvés dans le jardin sous les haies. Vous avez imaginé que vos yeux voyaient des choses qui n'existaient pas. Cela vous a rendue malade. Nous ne l'avions pas prévu et nous regrettons beaucoup. » Mam'zelle restait immobile. Ainsi ses yeux et son cerveau étaient tout à fait normaux. Ces insectes n'étaient pas l'effet de son imagination, ils étaient réels. Ce n'était qu'une plaisanterie. Si elle avait été bien portante, elle l'aurait deviné. Mais elle était fatiguée et son esprit ne fonctionnait pas comme d'habitude. L'aveu de Margaret la comblait de joie. Elle se retourna pour parler à son élève, mais Margaret n'était plus là. Elle s'était esquivée pour aller chercher les fleurs. Elle revint, les bras chargés de jonquilles, de narcisses, de primevères et d'anémones. Mam'zelle regarda avec étonnement la bouquetière improvisée. « Mam'zelle, c'est de la part de la première division, déclara Margaret. Nous sommes désolées que vous soyez malade. Je vous en prie, pardonnez-nous. Je vous assure, nous aurions supporté vos rages et vos reproches si nous avions su que vous étiez si fatiguée. — Approchez », dit Mam'zelle. Elle tendit la main à Margaret qui la prit timidement. « J'ai été abominable ce trimestre, avoua Mam'zelle avec un sourire. . Insupportable et abominable. Vous le répéterez aux jumelles O'Sullivan, Margaret. Je connais le surnom qu'elles m'ont donné le trimestre dernier, Mam'zelle Abominable, parce que c'était le mot que j'écrivais sur leurs devoirs. Ce trimestre, j'ai vraiment mérité ce nom! — Vous vous êtes très souvent emportée contre nous,

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dit Margaret. Mais nous ne vous en voulons plus, nous vous comprenons. - Oh! Ces Anglaises! Vous êtes si gentilles quand vous le voulez! déclara Mam'zelle, oubliant tout ce qu'elle avait dit ou pensé. Vous ferez mes amitiés aux autres, Margaret. Avec mes remerciements pour ces belles fleurs. Vous leur direz que, si elles me pardonnent, je leur pardonnerai, et à vous aussi bien entendu. Méchante fille! Vous avez eu beaucoup de courage de venir tout m'avouer! » Mam'zelle contemplait Margaret avec des yeux attendris. Soudain elle éclata de rire. Elle avait le sens de l'humour. « Dire que vous avez mis ces insectes dans mon étui et que je n'ai pas compris que c'était une farce!... Et cette tache d'encre! Quelles vilaines filles vous êtes! Tout de même c'est très drôle! » Mam'zelle partit de nouveau d'un grand éclat de rire. Mme Rey, qui passait à ce moment devant la chambre, fut frappée d'étonnement. La pauvre Mam'zelle était-elle devenue folle? Elle se hâta d'ouvrir la porte et entra. La surprise la cloua sur le seuil quand elle vit les masses de fleurs et Margaret. « Margaret, que faites-vous ici? En voilà des manières. Je ne vous ai pas donné la permission de venir. Partez tout de suite! - Ne la renvoyez pas, madame Rey, pria Mam'zelle. D'ailleurs il faut qu'elle reste pour arranger les fleurs dans des vases. Elle m'a apporté une excellente nouvelle. Je me sens déjà mieux. Elle m'a fait bien rire, cette méchante fille! » Mam'zelle en effet n'était plus pâle et ses yeux brillaient. L'économe, rassurée, fit signe à Margaret qu'elle pouvait rester puisque le professeur de français le désirait. Margaret disposa de son mieux les jonquilles, les narcisses, les primevères et les anémones. Mam'zelle suivait des yeux tous ses gestes. « Les jolies fleurs! s'écria-t-elle. Madame Rey, vous

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La surprise cloua Mme Rey sur le seuil quand elle vit les masses de fleurs et Margaret.

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voyez les beaux bouquets que les élèves ont envoyés à leur insupportable vieille Mam'zelle? - Je les vois, dit l'économe. Maintenant, Margaret, sauvez-vous. Si vous revenez sans permission, je vous tirerai les oreilles! » Margaret s'en alla en riant. Elle courut à la salle de récréation raconter aux autres ce qui s'était passé. Elles furent enchantées de savoir que Mam'zelle avait été gentille et avait ri. « Tout ira mieux peut-être pendant cette dernière semaine du trimestre, dit Doris qui avait souvent subi les algarades de Mam'zelle. Si Mam'zelle est assez bien pour revenir en classe deux ou trois fois avant la sortie, elle sera plus indulgente, sinon je ne pleurerai pas d'être privée de cours de français! — Que ce trimestre a passé rapidement! s'écria Pat. Il me semble que nous venons d'arriver et nous voici aux vacances de Pâques. Que d'événements pendant ces trois mois! Presque autant que d'octobre à janvier! - Beaucoup plus, corrigea Isabelle. Nous n'avons pas eu d'incendie au trimestre dernier, ni d'héroïne! » Marjorie rougit. Elle devenait très habile à se servir de ses béquilles et sa jambe allait de mieux en mieux. « Quand on prononce le mot « héroïne », Marjorie devient rouge comme une tomate, fit remarquer Lucie. Elle passera une semaine chez moi. Nous n'avons plus de bonne maintenant que nous sommes pauvres, Marjorie veut absolument prendre sa part des travaux du ménage. C'est gentil, n'est-ce pas? Je ne peux pas interrompre ma préparation pour l'examen de la bourse, mais j'aurai bien quelques instants de loisir pour me promener avec elle. - Ensuite mon père m'emmènera en voyage, dit Marjorie. Et vous, les jumelles, que ferez-vous? » II n'était plus question que de vacances. Toutes faisaient des projets pour Pâques. Certaines pensaient aux robes neuves qu'elles achèteraient. Alice était du nombre.

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« Petite vaniteuse! s'écria Pat en tirant les cheveux d'Alice d'un geste taquin. Puisque tu nous honoreras de ta présence pendant huit jours, tu nous décriras tes jolies toilettes, mais après tu n'en parleras plus. Sinon gare à toi! — Entendu, Pat, dit Alice qui devenait vraiment plus raisonnable. Je ne me vanterai qu'une seule fois de mes robes. Après, silence! - Te taire, toi! Cela te serait impossible! fit remarquer Isabelle qui maintenant aimait beaucoup sa cousine. Il faudrait que tu sois malade! » La dernière semaine du trimestre faut très gaie. Mam' zelle allait mieux, les élèves lui rendaient visite dans sa chambre et jouaient aux petits jeux avec elle. Le professeur de français reprit son entrain, le repos lui avait fait grand bien, et ces jeunes Anglaises lui paraissaient de nouveau très sympathiques. Elle faisait déjà des projets pour le travail de- la rentrée, mais les élèves refusaient de les écouter! Lucie s'était distinguée pendant ces trois derniers mois. Elle recevait de bonnes nouvelles de M. Oriel et avait le cœur léger. Mme Théobald et les autres professeurs lui donnaient des devoirs pour les vacances et la complimentaient des résultats obtenus. Rassurée pour son père et pour elle, Lucie riait et plaisantait comme autrefois. Les jumelles étaient heureuses aussi. Elles avaient fait beaucoup de progrès et avaient eu la première place à cinq compositions. Lucie était trop occupée pour passer les examens trimestriels, sinon, excepté en mathématiques, elle aurait été partout en tête de liste. Doris et Alice se trouvaient tout à fait au bout, mais elles ne s'en affligeaient pas outre mesure. « II faut bien qu'il y ait des dernières, fit remarquer Doris à Alice. Nous sommes vraiment gentilles de nous sacrifier ! - Te sacrifier! Tu ne pouvais faire autrement! s'écria

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Pat. Tant pis! Tu es la plus drôle de toutes, reste la dernière et continue à nous faire rire! » Le dernier jour arriva. Une animation joyeuse régnait dans le collège. Les élèves préparaient leurs bagages et elles échangeaient des adieux. Mam'zelle, qui s'était levée, plaisantait et écrivait des adresses. Des rires résonnaient de tous les côtés. De temps en temps la voix de Miss Roberts dominait le vacarme. « Catherine, avez-vous besoin de tant crier? Sheila, pourquoi vous roulez-vous sur le parquet? Dépêchez-vous plutôt de terminer votre malle. Pat! Pat! Cessez de battre Margaret. Quelle ménagerie! Je vous donnerai à toutes cent lignes à copier dans le train, vous me les enverrez demain. » Cette menace fut reçue avec des éclats de rire. Quelle joie de retourner à la maison... avec la perspective des jours de fête, des œufs de Pâques, des longues promenades dans les bois pleins de primevères ! Quelle joie de revoir les chiens, les chats, les chevaux, sans parler des mères et des pères, des petites sœurs et des petits frères! « Au trimestre prochain! cria Pat. N'oublie pas de m'écrire, Margaret. Sois sage, Doris. Isabelle, ne m'entraîne pas comme cela, je viens! Nous sommes dans le premier compartiment. Au revoir! A bientôt! » Oui, à la rentrée ! Nous aussi nous espérons vous retrouver et passer avec vous le prochain trimestre !

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ENID BLYTON SERIE : Deux Jumelles

St Clares’s (ORIGINAL) 1. Deux jumelles en pension The Twins At St Clare's 2. Deux jumelles et trois camarades The O'Sullivan Twins 3. Deux jumelles et une écuyère Summer Term At St Clare's 4. Hourra pour les deux jumelles The Second Form At St Clare's 5. Claudine et les deux jumelles Claudine At St Clare's 6. Deux jumelles et deux somnambules Fifth Formers Of St Clare's

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Enid Blyton

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