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April 8, 2017 | Author: Johntoland2 | Category: N/A
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À ma femme, ma fille, Spartakus Freeman & Willy Fiorucci.

Introduction à mon apologie

Le véritable Illuminé ou les vrais rituels primitifs des Illuminés

Adam WEISHAUPT

Introduction à mon apologie

Le véritable Illuminé ou les vrais rituels primitifs des Illuminés par Johann Heinrich FABER

Édition établie et traduite de l’allemand par Lionel Duvoy

GRAMMATA 2012

La station thermale de Wilhelmsbad où se tint, du 16 juillet au 29 août 1782, le convent maçonnique qui révéla l’ampleur de l’Ordre des Illuminés. Peinture de Tischbein (1751 - 1829).

Titre originaux : Adam Weishaupt, Einleitung zu meiner Apologie, Grattenauer, 1787 Johann Heinrich Faber, Der ächte Illuminat oder die wahren, unverbesserten Rituale der Illuminaten, Edessa [Frankfurt a. Main], 1788.

© Grammata, 2012 pour la présente réédition numérique. grammata.fr.mu

PRÉFACE

Si dans l'imaginaire allemand du XVIIIe siècle, le diable se mit subitement à apparaître vêtu d'un pantalon de tartan, peut-être faut-il en chercher l'origine dans l'étrange parenté qui lia, dès leur origine, les sociétés secrètes du siècle des Lumières au fantasme de l’organisation traditionnelle des clans écossais. Le succès des poèmes d'Ossian de Mac Pherson 1 témoigne clairement de l'intérêt croissant qui animait les écrivains européens de cette époque, pour cette mentalité ancestrale aux yeux de laquelle l'individu, loin d'avoir tous les droits, devait avant tout obéissance à la communauté et, par suite, au chef qui l’incarne. Nul n'aurait contesté, parmi les penseurs d'alors2, qu'un État puisse se maintenir sans l'édiction de statuts et de lois représentatives de la société prise dans sa

Poète écossais né en 1736 à Ruthven, mort en 1796 à Belleville House. Ossian, que Mac Pherson voulut faire passer pour un manuscrit authentique, était en réalité une invention. C'est surtout l'épopée de Fingal (1761) qui eut un grand retentissement. 2 A l’exception notable de Gabriel Bonnot de Mably (17091785) qui, plus radical que Rousseau, dénonçait ce qu’il nommait le « despotisme légal » ( Doutes proposés aux philosophes économistes sur l’ordre naturel des sociétés politiques, La Haye, 1768). 1

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globalité, et capables d'incarner la volonté générale, sans jamais privilégier quiconque si sa fonction ne le justifie pas3. De fait, l'hypothèse rousseauiste de la formation du corps politique — telle qu’elle fut déjà formulée par Hobbes (1588-1679) — postule que les sociétés politiques naissent d'un contrat tacite initial, passé entre les membres d'un groupe humain donné, afin de mettre un terme à la guerre engendrée, de façon naturelle, par l’inégalité des forces. Mais la finalité de ce pacte, pour Rousseau, ne se limite pas à une garantie de sécurité et de jouissance paisible de la propriété ; bien au contraire : la propriété, racine du mal social, est une des expressions de la force, cause de la guerre, et le véritable but de l’homme vivant en société n’est pas différent de celui qu’Aristote, déjà, identifiait comme fin suprême de l’activité politique : le bonheur. Le contrat social est donc, par définition, insuffisant : tout au plus parvient-il à faire cesser l'état de guerre de tous contre tous 4, sans atteindre l’idéal d’une harmonie des volontés individuelles autour d’une visée commune. On oublie trop souvent que pour Rousseau, cette imperfection foncière ne peut être corrigée que par la venue providentielle d’un grand législateur, dont il qualifie les aptitudes de surnaturelles... — qui mieux que Bonaparte l’incarnera au siècel suivant ? C’est précisément lui que Weishaupt (1748-1830) imaginait former en fondant son Ordre.

Cf. Rousseau, Du Contrat social (1762), II, ch. VI. Cf. Hobbes, De Cive (1642), I, ch. I, XII ; Rousseau, Op. cit., I, ch. VI. 3

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L'ordre politique le moins pire — la démocratie — serait donc l’objet d’un deuxième contrat, nécessitant l’action d’un législateur prophétique, capable de faire accepter à tous les membres du corps civil le sacrifice de leur volonté individuelle au profit de la volonté générale, et ce, pour que chacun réconcilie en luimême sa liberté naturelle avec la difficile liberté civile5. Le risque, bien évidemment, demeure toujours et encore que ce chef providentiel, comme le redoutait déjà Platon, soit le résultat de la « sottise populaire » 6 ou le moyen, pour une minorité, de prendre le pouvoir sur la majorité flattée dans ses instincts. Or, le « tyran » forge les lois à son image, à l’avantage de ses passions déréglées et de ses courtisans. Et c'est en somme ce que la pensée des Lumières, s’éloignant progressivement de la cour pour fréquenter les salons, pointait du doigt dans toute l’Europe. Dans l'esprit de Rousseau, comme dans celui d'Adam Weishaupt, la monarchie restait dans l’ordre des choses, car seul un chef législateur inacarnant le corps civil pouvait opposer son unité à la somme des volontés divergentes et assurer la cohérence d’un corps social non encore éclairé. Néanmoins, l’aristocratie de sang et d’argent incarnait le symptôme d’une dégénérescence de ce système représentatif, faisant passer l’intérêt des gouvernements devant celui des peuples. Les appuis de cette tyranie ne sont pas non plus naturels : la superstition et la censure sont le fruit de l’imagination nourrie d’interdits religieux irrationnels et de l’arbitraire des princes. Couplée l’une à

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Cf. Rousseau, Op. cit., I, ch. VII. Cf. Platon, La République, livre IX, 575 c - 575 d.

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l’autre, dans une éducation supposée être la meilleure — celle de Jésuites —, elles deviennent la principale arme des despotes. Aussi, Weishaupt — comme en témoignent les rituels de son Ordre — ne s’en prenait absolument pas au Trône et à l’Autel, mais à leur instrumentalisation par le pouvoir politique. L'esprit d'Ancien Régime, mis à nu par la vulgarisation philosophique et la critique des pouvoirs, ne fut pas terrassé par un complot d’Illuminés — encore moins de francs-maçons, les historiens ayant suffisamment démontré l’inaction des principales obédiences en la matière —, mais par la main d'une population insuffisamment cultivée par les nouvelles notions philosophiques de religion naturelle, de liberté et de fraternité. Si la plèbe se souleva, au cours de l'été 1789, c’était en raison de l’éternel moteur des révolutions : la faim. On peut donc dire que l'imagerie colportée par les romanciers du XIX e siècle, dans laquelle brille à l'envie l'influence occulte des carbonari, franc-maçons, illuminés et francs-juges dans les campagnes, reste de l’ordre du fantasme. Il n’est qu’à voir Ange Pitou, de Dumas, chassé par sa tante pour être accueilli à bras ouverts par Billot, le fermier philosophe rallié aux idées de Benjamin Franklin, qui plus est, dépositaire secret d’un coffret que lui remit un jour Cagliostro en personne : une fable. Le problème demeure pourtant que cette mythologie, apparemment inoffensive, prend racine dans les thèses de conspiration révolutionnaire, échaffaudées par les religieux les plus conservateurs, et qu’à trop auréoler de mystères des événements qui, pour avoir été légitimes, n’en furent pas moins de la plus extrême barbarie, on finit par faire le jeu de ces thèses. Du même

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coup, on discrédite la spontanéité des peuples et on s’assure par-là qu’ils attendront bien sagement que quelque organisation secrète fasse le travail à leur place. Les grands totalitarismes du XX e siècle ne naquirent pas autrement. Quand Weishaupt fonda le Bund der Perfektibilisten le 1er mai 1776, à Ingolstadt, sa volonté était précisément d’éviter la catastrophe annoncée, en formant des individus capables de gouverner tout en conservant le souci du peuple et de ses revendications. Son système visait à accomplir secrètement le plan de Rousseau : placer la volonté générale au c”ur de la politique, en instaurant le règne de la liberté et de la vertu, en défendant le rationalisme contre la superstition7. Mais à l'inverse de Rousseau, Weishaupt ne Dans son Pythagoras... (1795), Weishaupt affirme même n’avoir fondé le Bund... que dans le but de détourner ses étudiants les plus prometteurs de la fièvre rosicrucienne : « C’est justement en 1776 qu’un officier nommé Ecker [(1750-1790), il fonda, en 1781, Der Orden der Ritter und Brüder des Lichts qui devint, en 1782, Der Orden der Ritter und Brüder St. Johannis des Evangelisten aus Asien in Europa] créa à Burghausen une loge qui versait dans l’alchimie et qui commençait à se répandre fortement. Un membre de cette loge vint à Ingolstadt pour y prêcher et dénicher les meilleurs étudiants. Malheureusement, son choix se porta sur ceux que j’avais repérés. L’idée d’avoir ainsi perdu des jeunes si prometteurs, de les voir en outre contaminés par l’épidémie corruptrice de l’alchimie (Goldmacherei) et d’autres folies du même genre, fut pour moi atroce et insupportable. J’allai prendre conseil auprès d’un jeune homme [le baron Franz Xaver von Zwack (1755-1843)] dans lequel j’avais mis la plus grande confiance. Celui-ci m’incita à user de mon influence sur les étudiants pour contrer autant que possible ce fléau par un moyen efficace : la création d’une société. » 7

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considérait pas que l'homme du peuple fût incapable d'évoluer vers plus de lumière rationnelle et d'autonomie. Il croyait fermement en la perfectibilité. La création d'une société prônant la seule religion naturelle dictée par la saine raison en fut la première assise. Politiquement, la doctrine devait aboutir à la restauration d’un patriarcat, sans intermédiaire, et, bien évidemment, à la disparition, sans violence, de tous les simulacres politiques et moraux — monarchie, églises, etc.. L'usage de la violence étant explicitement proscrit par le cercle, seules l'exemplarité morale et l’expression de la vertu individuelle étaient à même de faire passer les hommes de l’état de sujétion à la démocratie parlementaire. Ce n'est qu'en 1778, un an après que Weishaupt ait été reçu Franc-maçon, et sous l'impulsion de son fidèle élève Franz Xaver von Zwack, que le Bund der Perfektibilisten prit le nom d'Illuminatenorden, sans doute dans l’espoir de séduire les jeunes gens attirés par l’ésotérisme mystique de Ecker et de les ramener insensiblement à la raison. On doit cependant la forme définitive du système à un éminent franc-maçon allemand, le baron Adolph von Knigge (1752-1796)8, qui insuffla à l'Ordre son esprit maçonnique. La franc-maçonnerie devint ainsi

Knigge quitta l’Ordre en 1784. Il se brouilla avec Weishaupt en raison de la radicalisation des idées antireligieuses de l’Ordre. De l’aveu même de Weishaupt, ce phénomène, devenu incontrôlable, n’était pourtant le fait que de certains dignitaires (on pense à J. J. C. Bode, souvent décrit comme un jouisseur libertin), et non de la majorité. 8

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un vivier de choix pour le recrutement des futurs partisans de cette réforme des m”urs. L'Illuminatenorden gagna du crédit lors du convent de Wilhelmsbad (1782) au cours duquel fut décidée la suspension de la pratique du système maçonnique officiel (celui de la Stricte Observance Templière du Baron von Hund (1722-1776)), en faveur des idées du français Willermoz (1730-1824). L'Illuminisme représentait alors une frange importante de l'opinion maçonnique allemande, puisque Knigge, ainsi que Johann Joachim Christoph Bode — affilié par le premier à l'Illuminatenorden — obtinrent, pour les loges maçonniques, la liberté de s'administrer elles-mêmes, s'assurant ainsi toute latitude pour préparer la migration des frères vers les instituts illuministes, où il occuperaient de hautes fonctions. Mais comment vint la déchéance de Weishaupt ? Son nom sali, son organisation dévoilée, ses amis réduits au silence, sa correspondance étalée sur la place publique, après falsification (selon ses dires) ? À cette question, on aime encore répondre par la théorie du complot, à savoir que la trop grande influence des Illuminés et leur implication dans la vie politique devenaient dangereuses, et qu’il était légitime de mettre un terme à leurs activités. Le bannissement du seul Weishaupt donne à penser que Knigge avait senti le vent tourner : sa grande profession de foi publique 9 témoigne d’une stratégie de repli par rapport aux idées Dans les Sechs Predigten gegen Despotismus, Dumheit, Aberglauben, Ungerechtigkeit, Untreue und Müßiggang (Six prêches contre le despotisme, la bêtise, la superstition, l’injustice, l’infidélite et l’oisiveté) (Frankfort am Main, 1783), Knigge, se référant constamment à la Bible, en 9

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qui circulaient au sein de l’Ordre. Que les Illuminés aient eu de l'influence, qui le nierait ? Mais que Weishaupt, plus écrivain inspiré de son état qu'agent des forces secrètes de la révolution, plus ogranisateur qu'acteur, ait été tenu pour responsable de la transformation générale des idées morales et politiques allemandes, voilà qui est faire trop de tort ou d'honneur à un seul homme, quand le peuple, lui, se mobilisait pour lutter contre la terreur des arrestations arbitraires et la censure des Jésuites. Aux dires de Weishaupt lui-même, pas un seul des livres majeurs qu'il publia avant son exil (1785) n'eût pu lui valoir condamnation. Ce sont en effet des ouvrages plus dignes d'un philosophe de profession que d'un comploteur. Néanmoins, venant d'un professeur de droit canon exerçant à Ingolstadt, et occupant des fonctions de conseiller au sommet de l'État, animant, en outre, une société secrète rassemblant beaucoup d’intellectuels allemands, ils ne pouvaient avoir qu'un fond suspect. Un sort similaire ne fut-il pas réservé à Montesquieu, quand il publia De l'Esprit des Lois ? Le symbole de reconnaissance des Illuminés — la chouette de Minerve — suffirait presque à dissiper le doute sur les intentions du mouvement. L'Ordre des Illuminés n'était, au fond, qu'un groupe philosophique, organisé selon des préceptes pythagorisants. Suite au remaniement de Knigge, l'enrichissement des trois appelle de bout en bout à la foi absolue en Dieu. Il est significatif qu’il y ait uniquement souligné cette formule que n’aurait pas reniée les Jésuites : « Que les devoirs envers la société civile et les régents doivent être subordonnés aux lois données par la nature et la religion. »

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classes par l’introduction de mystères contribua à rendre l'image de l'Ordre un peu plus sulfureuse. G”the et Herder, pour ne citer qu'eux, y furent reçus en 1783, soit un an après le convent de Wilhelmsbad. Leur intention, sans doute, n'était pas de rompre avec le mysticisme maçonnique allemand, mais de tisser des liens avec le courant progressiste européen, pour rappeler à la franc-maçonnerie sa mission première. À la même époque venaient de paraître les Gespräche für Freimaurer 10 (1780) de G. E. Lessing (1729-1781), dialogues qui eurent une profonde influence sur Herder11, et qui transmettaient un message radicalement progressiste. Si donc l'Illuminisme de Weishaupt devint gênant, ce ne fut pas pour les francs-maçons ni pour les dirigeants — jusqu’à Frédéric II — qui cultivaient les mêmes idées de réforme. C’est plutôt en raison d’un esprit de cour propre à une aristocratie crispée sur ses privilèges, que le très peu populaire électeur de Bavière, Karl Theodor (1724-1799), décida d’interdire, par décret du 22 juin 1784, toutes les sociétés secrètes de Bavière, et de faire la chasse aux Illuminés. Dès lors, pourquoi le nom de Weishaupt et des Illuminati suscitent-ils encore tant de réactions conspirationnistes ? Quelles craintes, quels intérêts animaient Barruel qui, dix ans après la révolution française, écrivit : « [Les paroles de Weishaupt] nous Cf. Ernst & Falk, causeries pour francs-maçons (ma trad., Paris, Dervy, « Petite biliothèque de la franc-maçonnerie », 2011). 11 Cf. « Dialogue sur une société visible-invisible », Les Francs-maçons & autres textes (ma trad., Tours, Grammata, 2010). 10

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montrent, non la loi provisoire, mais la loi méditée, réfléchie et fixée, jusqu'à ce qu'il arrive ce temps de soulever et d'enflammer toutes les légions préparées au terrible exercice ; ce temps si expressément annoncé par Weishaupt et ses Hiérophantes, de lier les mains, de subjuguer, de faire feu et de vandaliser l'univers. Quand cette loi enfin sera remplie, le Vieux de la Montagne, le dernier Spartacus [nom désignant le chef des Illuminés] pourra sortir lui-même de son sanctuaire ténébreux et se montrer triomphant au grand jour. Il n'existera plus ni Empire ni loi ; l'anathème prononcé sur les nations et sur leur Dieu, et sur la société et sur ses lois, aura réduit en cendres nos Autels, nos palais et nos villes, nos monumens des arts et jusqu'à nos chaumières. Le dernier Spartacus contemplant ces ruines et s'entourant de ses Illuminés, pourra leur dire : Venez et célébrons la mémoire de Weishaupt notre Père. Nous avons consommé ses mystères. Des lois qui gouvernoient les hommes, ne laissons plus au monde que les siennes. Si jamais les nations et leur religion et leur société et leur propriété pouvoient renaître, ce Code de Weishaupt les a détruites ; ce Code seul les détruiroit encore. Il le dira, le dernier Spartacus ; et les Démons aussi sortiront des enfers pour contempler cet ”uvre du Code illuminé, et Satan pourra dire : voilà les hommes devenus ce que je les voulois. Je les chassai d'Eden ; Weishaupt les chasse de leurs villes, et ne leur laisse plus que les forêts. Je leur appris à offenser leur Dieu ; Weishaupt à su anéantir et l'offense et le Dieu. J'avois laissé la terre leur rendre encore le prix de leur sueur ; Weishaupt frappe la terre de stérilité. Ils la défricheroient en vain ; le champ qu'ils ont semé ne sera plus à eux. Je leur laissois leurs riches et leurs pauvres, leur

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inégalité ; Weishaupt leur ôte à tous le droit de rien avoir ; et pour les rendre tous égaux, il les fait tous brigands. Je pouvois jalouser leurs restes de vertu, de bonheur, de grandeur même sous les lois protectrices de leurs sociétés, de leur patrie ; Weishaupt maudit leurs lois et leur patrie, et ne leur laisse plus que le stupide orgueil, l'ignorance et les m”urs du sauvage errant, vagabond et abruti. En les rendant coupables, je leur laissois encore le repentir et l'espoir du pardon ; Weishaupt a effacé le crime et le remords, il ne leur laisse plus que leurs forfaits sans crainte et leurs désastres sans espoir. En attendant que l'enfer puisse jouir de ce triomphe que lui prépare le Code illuminé, quels succès de la Secte en sont déjà les funestes présages ? Quelle part a-t-elle eue à la révolution qui désole déjà tant de contrées, en menace tant d'autres ? Comment engendra-t-elle ce fléau, appelé dans nos jours de révolution, de forfaits et d'horreur, les Jacobins ? Quels ont été enfin jusqu'ici les terribles effets de ce Code illuminé, et que peut-on en redouter encore ? »12 Le voilà notre Diable en tartan, le Satan écossais, l'Hassan al-Sabbah d'Occident fantasmé par l'esprit délirant d'un abbé qui qualifiait la franc-maçonnerie de « secte des sophistes ». Montesquieu s'y retrouva jeté aux ordures, pêle-mêle en compagnie de Voltaire, Rousseau et Weishaupt. Thomas Jefferson, qui n'était ni franc-maçon ni Illuminé, écrivit une longue lettre à Monseigneur l'Évêque James Madison, pour lui confier son sentiment au sujet des Illuminaten. Nous la traduisons ici intégralement : Augsutin Barruel, Mémoires pour servir à l'histoire du Jacobinisme, II, Paris, Pitrat, 1819, p. 310-312. 12

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« Philadelphie, le 31 janvier 1800. Cher Monsieur ***, Dernièrement, j'ai eu par hasard entre les mains une présentation d'un volume (le 3 e) de l'Antisocial Conspiracy [Mémoires pour servir à l'histoire du Jacobinisime] de l'Abbé Barruel, qui me donne la première idée que j'ai jamais eue sur ce que l'on entend par « Illuminisme », courant contre lequel « l'illuminé Morse » [Jedidiah Morse (1761-1826)], comme il se fait appeler aujourd'hui, a tant protesté avec ses associés ecclésiastiques & monarchistes. Les parties du livre rédigées par Barruel lui-même sont les parfaits délires d'un lunatique. Cependant, il cite largement Wishaupt [sic], qu'il considère comme le fondateur de ce qu'il nomme l'Ordre. Si vous n'avez pas eu l'opportunité de former votre jugement sur ce cri de « chien fou » qui a été poussé contre ses doctrines, je vous donnerai l'idée que je m'en suis formée après une heure seulement de lecture des citations que Barruel a faites de son auteur et qui, soyez-en sûr, ne sont pas des plus favorables. Wishaupt semble être un philanthrope enthousiaste. Il compte parmi ceux qui (comme les excellents Price [Richard Price (1723 -1791)] et Priestley [Joseph Priestley (1733-1804)], vous le savez) croient en l'infinie perfectibilité de l'homme. Il pense que celui-ci peut, avec le temps, être rendu si parfait qu’il sera capable de se gouverner lui-même en toute circonstance, autant que de ne jamais blesser, de faire tout le bien qu'il peut faire, de ne laisser aux gouvernements aucune occasion d'exercer leurs pouvoirs sur lui &, naturellement, de rendre inutile les gouvernements politiques. C'est là,

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comme vous le savez, la doctrine de Godwin [William Godwin (1756-1836)], et c'est ce que Robinson [sic] [John Robison (1739-1805)] et Morse ont appelé une conspiration contre tous les gouvernements. Wishaupt pense que promouvoir cette perfection du caractère humain était le but du Christ. Que son intention était seulement de restaurer la religion naturelle & de nous enseigner, par la diffusion de la lumière de sa moralité, comment nous gouverner nous-mêmes. Ses préceptes sont l'amour de Dieu & l'amour du prochain. Et en enseignant l'innocence de la conduite, il espérait placer les hommes dans leur état naturel de liberté & d'égalité. Il dit que personne, à l'exception de notre grand maître Jésus de Nazareth, n'a su jeter des fondations plus sûres pour la liberté. Il pense que les francs-maçons, à l'origine, possédaient les vrais principes & objets du christianisme, & qu'il en ont encore conservés certains par tradition, quoique très défigurés. Les moyens qu'il propose pour réaliser cette amélioration de la nature humaine sont : « éclairer les hommes, corriger leur morale & les inspirer avec bienveillance. Sûrs de notre succès, dit-il, nous nous abstenons de tout désordre violent. Avoir anticipé le bonheur de la postérité & l'avoir préparé par des moyens irréprochables suffit à faire notre félicité. La tranquillité de nos consciences n'est pas troublée par le reproche de conspirer à la ruine ou au renversement des États et des trônes. » Quand Wishaupt vivait sous la tyrannie d'un despote & des prêtres, il savait que la prudence devait être constante dans la propagation de l'information & des principes de la pure moralité. Il proposa par conséquent aux francs-maçons d'adopter ce but & de prendre pour objet de leur institution la diffusion de la science & de

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la vertu. Dans son institution, il proposait d'initier de nouveaux membres à des degrés proportionnés à ses craintes de subir les foudres de la tyrannie. Cela colora ses vues d'un air de mystère, ce fut la cause de son bannissement — la subversion de l'Ordre maçonnique — & cela reste la couleur des délires dirigés contre lui par Robison, Barruel & Morse, qui sont vraiment effrayés de ce que leur bateau soit mis en danger par la propagation de l'information, de la raison & de la moralité naturelle parmi les hommes. Ce sujet étant nouveau pour moi, j'ai imaginé que s'il l'était également pour vous, vous ressentirez la même satisfaction à la vue de celle que j'ai eue en analysant tout cela : & je crois que vous penserez, avec moi que si Wishaupt avait écrit ici, où nul secret n'est nécessaire dans notre effort pour rendre les hommes sages & vertueux, il n'aurait échaffaudé aucune machination secrète à ce propos. Tout comme Godwin, s'il avait écrit en allemand, aurait très certainement usé de la prudence du secret & de mysticisme. Je ne vous dirai rien de la dernière révolution en France, laquelle est tragiquement intéressante. Peutêtre que quand nous connaîtrons davantage les circonstances qui l'ont mise en branle & la direction qu'elle va prendre, Bonaparte, son organe en chef, sera éclairé d'une lumière plus favorable qu'à présent. Je suis, avec grande estime, Cher Monsieur, votre ami affectionné. Thomas Jefferson. 13 »

The Writings of Thomas Jefferson, vol. VII, Putnam & sons, 1896, p. 419-421. 13

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C'est dire à quel point le regard porté sur l'Illuminisme et la franc-maçonnerie différait de part et d'autre de l'Atlantique. L'Amérique ne s'est jamais cachée honteusement de sa volonté d'unir les hommes de différentes nationalités, races ou religions au sein de loges travaillant à établir une constitution étatique en vue du bonheur du plus grand nombre. Il s'agissait d'un défi à relever, celui du premier contrat social théorisé par les penseurs politiques européens, mais, cette fois, en terre nouvelle. La même question ne se posa pas en Europe où l'enjeu, comme le montrent bien les Gespräche de Lessing, restait surtout le nivellement des inégalités entre classes sociales. Aucune guerre n'avait encore été déclarée par le prolétariat organisé en parti, mais la population en général, jusqu'au sommet de la hiérarchie, montrait des signes de rébellion. Tous les domaines furent ainsi progressivement réformés avant que n'éclate la révolution politique et la désignation d'un chef (Napoléon Bonaparte). La biologie, la chimie, la doctrine du droit, la philosophie, la physique et, par-dessus tout, la moralité allaient être pénétrées du sain désir de chercher. La seule faute que les conspirationnistes pourraient alors imputer à Weishaupt, serait d'avoir proposé une réforme morale à des fins politiques — autrement dit : d’avoir tenté, pour son siècle, la réalisation du rêve des sages. Lionel Duvoy.

Perfer et obdura : Dolor hic tibi proderit olim* 1

* Les notes du traducteur commencent page 215.

SI j'avais pu passer les jours de ma vie dans une quiétude et une paix que rien ne fût venu troubler, le public ne m'aurait jamais connu pour mes qualités d'écrivain. À travers les tempêtes qui ravagent ma patrie et les efforts insidieux que mes ennemis y déploient, on ne m'y connaîtra pas, pour la première fois et pour mon malheur, sous mon meilleur jour. Ma gloire et mon illustre nom y ont couru un tel danger, que j'éprouve le besoin de convaincre mon auditoire et mes adversaires que mes intentions étaint des plus pures et des meilleures. Ce fut le but de mes écrits publiés jusqu'alors. Certains de mes travaux restent encore partiellement inachevés ; il est vrai que la révélation au grand jour des textes découverts à Landshut2, chez le conseiller d'État Zwack3, a interrompu, pour quelques temps, le cours de mes ouvrages, mais qu’elle aura en même temps contribué à l’objectif de mes efforts, en me donnant l'occasion de sauver mon honneur compromis, ce qui, comme je le crois, écartera pour toujours les soupçons et les doutes ultérieurs. J’ai par-devers moi ces écrits et je les ai lus. Une connaissance très moyenne de l'être humain suffit à définir et à entrevoir les opinions qu'ils susciteront inmanquablement chez des gens qui diffèrent entre

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eux par l’inégalité de leur puissance et de leurs intérêts. Il faut aussi que, dans cette masse d'hommes, parmi ces opinions si diverses, il en existe pour être, par excellence, contraires à tous les autres, mais non moins autorisés à rendre leur jugement, à exprimer comment ils ont perçu cet incident. Pour ma part — et peut-être suis-je le seul parmi ces nombreux destins rudes et singuliers qui m'ont intéressé depuis plusieurs années, aussi bien moi que les autres membres de cet Ordre des Illuminés —, j'ai considéré cette publication officielle des écrits mis au jour, comme l'une des révélations les plus bénéfiques. Alors je vois enfin le terme de cette bataille si dangereuse pour l'honneur des deux parties. Et comme la véritable origine de cette affaire si embrouillée est connue dans toutes ses circonstances, la méfiance du public, si tendue et encore si peu dissipée, commence à se relâcher ; toutes les rumeurs et fables fâcheuses colportées sur l'origine, les liens, la puissance et la pérennité secrète de cette société, se voient biffer et tuer dans l'”uf ; par là, les adversaires peuvent mieux se rapprocher les uns des autres et s'expliquer sans réserve distante, tout en conservant une attitude naturelle et véridique. La Providence m'a manifesté son infinie Bienveillance en voulant que ces textes soient publiés, tandis que je suis encore de ce monde. Je puis maintenant développer complètement le caractère bénéfique et désintéressé de mes projets, qui, faute de cela, auraient sans doute semé le doute durant quelques temps encore ; je puis mettre ma moralité hors de tout soupçon et défendre durablement mon honneur blessé contre d'autres agressions.

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Peut-être qu'un tel drame a renforcé ma foi en la Vertu ; peut-être sert-il à tous ceux qui, auparavant, condamnaient avant d'être instruits de toutes les circonstances, exemple prémonitoire pour tous les futurs cas semblables ; cette affaire malheureuse servira peut-être l'accusation, ou bien la puissance de l'innocence et de la vérité s'élèvera au-delà de toutes les cabales et tempêtes, afin que leur victoire soit d’autant plus magnifique que la lutte fut douteuse. Il ne faut donc pas que le présent essai se contente de faire mon apologie. Mes lecteurs découvriront, en outre, que sa contribution à l'histoire et à la connaissance du c”ur de l'homme, et surtout au proche déploiement du mouvement et de la nature encore si peu connus des connexités mystérieuses, n’est pas insignifiante. À cette fin, je m’exposerai au public avec une rare franchise ; je remonterai aux plus secrets mobiles de mon âme, je prouverai de manière indéniable quel chemin singulier maints fils de la terre ont à emprunter dans le cours de leur existence pour devenir ce qu'ils doivent être, ce qu'ils sont4. J’espère que la hâte avec laquelle je suis contraint d'écrire gagnera l'indulgence de mes lecteurs pour les nombreux défauts et négligences de mon expression écrite — qui est de moindre qualité. En écrivant pour ma défense et celle de l'affaire, je ne puis ni ne prendrai la liberté de répondre sur autre chose que ce qui me concerne moi-même ou l'affaire. Mais je peux et je dois admettre, devant Dieu — et je le veux faire le plus solennellement — que, de toute ma vie, je n'ai jamais entendu parler ni vu un seul de ces écrits, notamment ceux qui traitent de ces man”uvres occultes et si douteuses, de ces em-poisonnements, etc. ; encore moins ai-je eu connaissance de situations

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où l’une de mes relations aurait, ne serait-ce que conseillé, communiqué ou fait le moindre usage de tels procédés. Cela suffit à contribuer à la vérité. Dès lors, je me cantonnerai exclusivement à ce qui concerne directement ma propre personne ou l'affaire. En remerciant d'un c”ur sincère l'Électeur du haut gouvernement de Munich5 d'avoir fait imprimer ces écrits, je suis loin d'accuser Son Excellence de s'être rendue délibérément coupable de falsification en publiant ces documents. Mais comme, d'un autre côté, il est impossible d'exiger de moi que je me souvienne, après dix ans et plus, de mots et d'expressions que j'aurais employés dans l’étendue de toute ma correspondance, puisque ces documents ont été saisis sur le champ, en l'absence de l'intéressé, de témoins requis par la Justice et sans dossier judiciaire en règle, puisque ces écrits sont depuis lors passés entre tant de mains hostiles, sans avoir été portés ni à ma connaissance, ni à celle d'un quelconque de leurs Auteurs ; puisque l'on s'est déjà permis de fabriquer le premier Avertissement, sans honte de l'artifice, et d'inventer, puis de faire imprimer de fausses lettres sous mon nom, puisque ceux qui se sont justement servis de cet artifice ont reçu, en qualité d'assesseurs, la consigne de mettre la main sur lesdits papiers, puisque je sais pertinemment que l'un des commissaires du Prince Électeur est allé jusqu'à épingler secrètement, dans la chambre des commissions, l'une de ces lettres — qui concerne l'un de ses parents — et que, de surcroît, on a beaucoup de difficulté à lire ce que ma main y a écrit... pour toutes ces raisons, et pour ma défense, je ne puis absolument pas en admettre un seul passage significatif à l'heure qu'il est. Il y a même fort à parier que le grand nombre de pages

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venant au secours de ma détresse, l'atténuant et l'expliquant, aient toutes été, ou bien escamotées, ou bien, à tout le moins, perdues dans cette circulation sans fin entre mains hostiles, et qu'en raison d’une telle subtilisation, de ces rajouts, ou tout simplement de la mauvaise lecture d'un seul mot lors de la transcription de tout un passage, on ait fabriqué un sens dont ressort une animosité sans égal. Cette supposition, énorme en soi, conserve encore un haut degré de probabilité, si l'on considère que toutes ces copies imprimées n'ont pas été une seule fois vérifiées, ni comparées auparavant aux originaux, comme l'impose le droit. De même, les petites notes et exergues ajoutées ici et là, et ce qui a été retiré de mes lettres, ainsi que la citation imprimée par dérision au dos de la couverture7, trahissent visiblement que l'éditeur et le rédacteur de ces textes n'étaient pas aussi exempts de passion, de haine, d'ironie et d'un esprit de raillerie maligne et triomphante, qu'il sied pourtant de l'être à un juge impartial agissant avec sang froid. Aussi, ces circonstances, que je soumets à la lente réflexion de mes lecteurs, font que je pourrais, à bon droit, et par manquement à la légalité courante, qui est de rigueur dans cette affaire, démentir totalement ces écrits, dans tout ce qu’ils contiennent, et jusqu'à ce que d'autres preuves soient produites ; je pourrais, par cette réfutation, employer toute la force probante dont on use contre moi. Mais comme, du reste, je suis conscient du bien fondé de ma cause, je trouve superficiel de me servir de tels alibis et détours inutiles. Ainsi, je reconnais les lettres et documents qui peuvent avoir été écrits de ma main, pour l'essentiel déjà, le N.B.8, sans pourtant les avoir vus en leur forme authentique. Je ferai encore mieux ; je rédigerai

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ma défense, de telle sorte qu'elle puisse valoir pour le cas où un seul passage authentique — mais pour l’instant encore douteux — serait également de ma main. Dans l'hypothèse où tous les documents que l'on m'oppose seraient, quant à leur contenu, justes et authentiques, je pose la question suivante : Que prouventils ? Que ne prouvent-ils pas ? 1. Ils ne prouvent pas que l'association dans son ensemble, ou un seul de ses membres en particulier, ait jamais commis les crimes dont l'accuse l'Avertissement, à savoir celui de trahison envers la patrie, de profession d'athéisme, de régicide, de sodomie ou d'empoisonnement. On ne trouve nulle part trace de la plupart des méfaits les plus graves. Pour ce qui est des autres, il n'y a guère que des passages isolés, établissant, par déduction, quelques conjectures et aussitôt, les lecteurs ont été suffisamment mal intentionnés pour poser l'hypothèse que les personnes en question sont mauvaises, de vrais criminels, aussitôt ils ont tenu pour vrai ce qui devait être prouvé ultérieurement, aussitôt sont entrées en lice les passions qui incitent l'homme à condamner et à absoudre*. * Même si l'on voulait apprécier chaque écrit d'après cette même hypothèse ou une autre semblable, quel écrivain y parviendrait ? Je ne parle pas des écrivains profanes, bien que les Saintes Écritures soient susceptibles de significations et d'interprétations mauvaises, quand on ne cherche pas à s'en tenir uniquement à la lettre. À cette fin, je vous renvoie, parmi cent autres passages, au fameux Paul 1 Cor. ch.9, v. 19-23 : « J'étais libre et indépendant, et je me suis fait l'esclave du tout, par quoi j’ai pu le gagner.

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Des passages isolés ne prouvent absolument rien, dans la mesure où d’autres existent pour démontrer clairement le contraire. Toutes ces lettres rassemblées sont des documents qui ne représentent qu'une petite partie du tout et non le tout lui-même ; elles perdront toute force probante sitôt que le lecteur aura pris connaissance du caractère des personnes qui agissent, de toutes les circonstances, de la totalité de l'affaire, de l'histoire complète de cet enchaînement : quand on aura jugé d'après les faits, et non d'après les mots, d'après ce qui s’est réellement passé, et non d'après de simples supputations indéfinies et irréalistes, quand, ensuite, les grades divulgués eux-mêmes seront rattachés à leurs causes, afin de déterminer la véracité et la réalité de l'affaire. Celui qui comparera tout cela en profondeur verra pour quelles raisons il a fallu les modifier par la suite. Chacun verra ainsi clairement que ce serait perdre tout usage de la raison que de chercher, pour les motifs les plus solides du monde, à publier ses propres élèves après les meilleurs écrivains, et à employer ces mobiles comme moyens de détruire toute morale et comme incitation aux infamies les plus inadmissibles ; il est clair pour tout le monde qu’on ignorerait totalement le rapport entre le moyen Pour les Juifs, je suis devenu Juif, par quoi je les ai gagnés. (...) Je suis devenu faible pour les faibles afin de les gagner eux aussi. Pour tous je suis devenu tout, afin de, partout, en sauver quelques uns.» De quelle interprétation vulgaire ce passage est-il susceptible ? À quelle mauvaise lecture peut-il donner lieu ? Quelles déductions pourraient en avoir tiré les glossateurs de mes lettres s'ils l'avaient eux aussi mal interprété ? Il leur serait tellement facile, s'ils avaient autant d'intérêts à le faire, d'y trouver évidente la proposition selon laquelle la fin justifie les moyens.

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Des passages isolés ne prouvent absolument rien, dans la mesure où d’autres existent pour démontrer clairement le contraire. Toutes ces lettres rassemblées sont des documents qui ne représentent qu'une petite partie du tout et non le tout lui-même ; elles perdront toute force probante sitôt que le lecteur aura pris connaissance du caractère des personnes qui agissent, de toutes les circonstances, de la totalité de l'affaire, de l'histoire complète de cet enchaînement : quand on aura jugé d'après les faits, et non d'après les mots, d'après ce qui s’est réellement passé, et non d'après de simples supputations indéfinies et irréalistes, quand, ensuite, les grades divulgués eux-mêmes seront rattachés à leurs causes, afin de déterminer la véracité et la réalité de l'affaire. Celui qui comparera tout cela en profondeur verra pour quelles raisons il a fallu les modifier par la suite. Chacun verra ainsi clairement que ce serait perdre tout usage de la raison que de chercher, pour les motifs les plus solides du monde, à publier ses propres élèves après les meilleurs écrivains, et à employer ces mobiles comme moyens de détruire toute morale et comme incitation aux infamies les plus inadmissibles ; il est clair pour tout le monde qu’on ignorerait totalement le rapport entre le moyen et la fin donnée, qu'on s'exposerait à chaque instant au plus fameux des menteurs, et que, par suite, on n'atteindrait jamais son but. Il serait alors admis que l'on puisse, grâce à une force magique, former des hommes, depuis longtemps éduqués à une certaine éthique, à la plus docile scélératesse, et, sans crainte, leur ordonner toutes les infamies à leur insu. Assurément, l'éthique et, plus souvent encore, la religion elle-même, ont été les couvertures et les moyens de persuader les hommes de commettre les

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plus graves crimes : mais j'aimerais voir cette apparence flagrante de moralité, qui serait si mystificatrice aliénante, que l'on pourrait, grâce à elle, convaincre avec force les bonnes gens qui ont imaginé le N.B., en obéissant à un choix de médisances que l'on ne peut associer à autre chose qu'au cerveau du plus scélérat des hommes. Comment puis-je utiliser la la morale et les meilleurs écrivains pour détruire toute moralité ? Si, comme on l'avance, cela avait été notre cas, il aurait néanmoins fallu que les enseignements et instituts des classes inférieures soient un peu préparés ; le poison aurait toujours été instillé au cours de l'ascension, jusqu'à être exposé dans toute son abomination aux membres du dernier et suprême degré. Cela aurait alors lieu dans les Vrais Mystères Supérieurs. Or, il n'existait encore à cette époque que deux classes. Mon Apologie du Mécontentement et du Mal déjà parue9 constituait en grande partie — et particulièrement le cinquième dialogue encore à paraître — l’objet des enseignements de la première classe, quoique sous une forme totalement différente. Mon système Du matérialisme et de l'idéalisme 10 , lui aussi récemment imprimé avec quelques enrichissements, et que tout le monde peut consulter, est l'objet de l’enseignement de la dernière classe, la plus élevée. Celui qui doute de la vérité de mon argumentation n'a qu'à se tourner vers moi, pour que je lui transmette personnellement des témoignages de taille, irréfutables, dont il pourra faire usage, et qui, je l'espère, rempliront leur meilleur devoir en sauvant l'honneur d'un homme qui, hormis cela, a tout perdu et doit vivre et gagner son pain grâce à lui.

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Si la chose est confirmée, on aura prouvé, sans objection possible, que le système des Illuminés prendra à l'avenir, comme je le crois, une forme et un but tout différents, et que les machinations dont il est question dans les documents précités n'ont jamais existé ; que l'on était à mille lieues de préparer les membres des classes inférieures, par de faux espoirs, au renversement des m”urs et à toutes sortes de vices et d'impiétés. Ou alors qui peut dire que les deux systèmes aient jamais proposé tout cela ? Bien mieux : il apparaît, dans mon Système de l'Idéalisme 10 que je m'y étais vraiment éloigné du naturalisme et du matérialisme — comme je l'avais projeté dès 1780* — et que j'y établissais déjà une nouvelle preuve en faveur de la Révélation. Mais comment ces lettres pourraient-elles prouver que la moralité, dans mon système, n'était qu'un simple prétexte visant à convaincre les hommes de bien de s'égarer et de tomber dans l'incroyance ? Qui peut douter plus longtemps qu'il fallait que tout le système soit entretemps modifié et que, par conséquent, ces lettres ne puissent être seulement rattachées aux temps primitifs et grossiers de cette institution, à son enfance et nullement à son âge plus mûr ? À la lumière de cette affirmation, que j'élèverai par la suite à la certitude la plus totale, qu'on aille lire les degrés révélés dont je suis l'auteur. Qu'on les juge selon la perspective que j'expose ci-dessous : qu’on pèse les raisons de chaque arrangement et dispositif que je vais mentionner ; et ainsi, qu'on juge si le tout ne s'ordonne pas en un ensemble parfaitement et clairement moral. Que l'on * Le lecteur peut lui-même trouver la vérification de cet argument dans lesdites lettres, page 379.

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considère aussi, du reste, comment ce système, juste après 178111, s'est propagé dans toute l'Allemagne, que les plus grands hommes, par la naissance, l'érudition ou la réputation d’un mode de vie et de m”urs des plus irréprochables, étaient au courant de son origine et de son organisation, et qu’ils se tenaient même à la tête de ses affaires ; qu’on juge alors s'il est possible que de telles visées honteuses aient été acceuillies, adoptées et approuvées dans le plan de l'Ordre. Il apparaîtra plutôt que ce sont des hommes de grande moralité qui sont sortis de cette école12 : que son organisation était établie de telle sorte que ses membres fussent définis par une délicatesse si hautement morale, que la moindre manifestation d'immoralité et les exemples de vulgarité donnés par les Supérieurs que l'on sait créaient la dysharmonie et, par suite, s’y trouvaient en minorité ; que la confiance et l'exemple même étaient les seuls ressorts des motifs destinés à lui faire atteindre son objectif ; que tous les défauts, vices et égarements provenaient de ce que quelques Supérieurs devaient d'abord se maintenir au plus haut degré de moralité nécessaire à l'acquisition de cette confiance ; que les subordonnés avaient besoin de leurs Supérieurs pour s'interdire de poursuivre des fins égoïstes et appuyer leurs enseignements sur leur exemplarité ; que leurs regards étaient constamment tournés vers ces Supérieurs et que toute dissonance entre la doctrine et les actes n'était jamais remarquée ni réprimandée, sans que cela exerçât une grande influence sur leur zèle, leur alacrité future et leur obéissance. De cette façon, l'organisation était si bien réglée que les subordonnés, sans le savoir, étaient les guides et les instructeurs de leurs Supérieurs, quand ces derniers voulaient atteindre leurs fins autre-

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ment, à la manière des despotes arbitraires13 les plus dépendants, et, si tel n’était pas le cas, quand ils souhaitaient plutôt s'abandonner à leurs inclinations et à leurs passions, quand ils étaient les hommes les plus dés”uvrés. 2. Ces lettres ne prouvent pas que je fus, jusqu'en 1781 (car pour les années suivantes, ils ne démontrent absolument rien) un homme méchant, un escroc, un maniaque du pouvoir et quelqu'un d'intéressé. Ils attestent plutôt qu'à cette époque, je n'avais justement aucun privilège, beaucoup d'ennuis, et d'autant moins de puissance que je vivais non pas pour moi, mais pour les autres, pour l’ensemble et, je puis le dire sans honte, pour le monde et le genre humain. L'homme dont l'âme pense dans le sens de l'intérêt général et en tant que citoyen du monde, n'a nul besoin d'employer des artifices grossiers qui sont le propre de gens dont l'esprit tout entier est plein d'une seule idée qui les hisse toujours plus haut et fait fructifier leur bien. Je peux attendre de l'équité de tout lecteur non prévenu, qu'il retire de là le trait essentiel de ma nature et qu’il juge d'après cela, tant le reste de ma valeur, que mes écrits et mes discours. Si j’avais vraiment mal agi, comme je suis prêt à l’admettre, puisse le lecteur être assuré que ce ne fut très certainement jamais à dessein. Si j'avais pu imaginer que ces documents finiraient un jour entre les mains de mes adversaires et qu'ils seraient imprimés pour le public, si tous les principes d’alors avaient été développés dans mon esprit pour être tels qu'ils sont aujourd'hui ; si, dans ma hâte à faire connaissance je n'avais, dès la première rencontre, écrit d'un c”ur embrasé par la soif du bien, j'aurais

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très certainement mieux pesé, correctement défini ou complètement évité les nombreuses expressions que je désapprouve, à présent que la tonalité spirituelle de mon âme est complètement autre. Ainsi, seul un homme sachant que la lecture de sa correspondance complète en édition publique lui apportera des amis, peut se targuer, à bon droit, de ne jamais se hâter, de n'avoir à aucun moment utilisé d’expression ambiguë et facile à manipuler ; un homme qui peut se convaincre lui-même et les autres qu'en toute occasion il a pensé et agi selon les plus pures intentions, que dans sa jeunesse ou quelques années plus tôt il pensait déjà comme il pense aujourd’hui : seul un tel être peut se lever et témoigner contre moi. Et ce même homme me dira ensuite si l'être humain s'attire le mépris et le blâme de ne pas avoir été, par manque d'occasions ou d'intérêt, ce qu'il est devenu, de devoir encore se former lui-même, se développer. 3. Ces écrits ne prouvent pas que les alarmistes et dénonciateurs soient des hommes moraux et que par leurs alarmes et dénonciations ils aient eu des intentions pures, et qu’ils aient agi sur la base de faits et de sources irréfutables. Il n'en reste pas moins vrai que c'est à partir de simples supputations, sur la foi de déclarations irréfléchies de membres isolés, et non encore formés, par une haïssable déformation des degrés qui leurs ont été donnés de connaître, qu'ils ont conclu à un système du Mal et élevé leurs déductions et leurs suites uniformes à une réalité démontrée et irréfutable. S'ils n'avaient pas omis de présenter de meilleures preuves, ils n'auraient eu aucun besoin d'inventer, dans des écrits anonymes, des lettres signées en mon nom, ni de les faire précé-

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der de leur Avertissement, et ils ne se seraient pas non plus servi de tous les procédés dont ils accusent les Illuminés. Ils ne leur auraient mis aucun crime à charge dont la certitude, pour le coup, n'est nullement confirmée. Ils n'auraient pas eu recours aux instances judiciaires, qui n'ont pas rechigné à m'identifier comme étant leur fondateur ; il leur aurait été impossible de dénoncer et de décrier l'Ordre en tant qu'invention et cabale fomentée par quelque cour voisine14 ; ils n'auraient pas parlé de régicide, de hautetrahison ou de complot portant atteinte à leur propre vie et ils n'auraient pas ratifié tous ces mensonges sous serment. Ils n'auraient pas mis tant de soin à contrarier, par tous les moyens et détours possibles, les enquêtes et défenses juridiques plus détaillées. Ils n'en reste pas moins vrai qu'ils ont fait tout cela et plus encore. Ce qu'il y a de pire, c'est qu'ils aient été auparavant liés de toute leur âme à un Ordre si nuisible, qu'ils en aient même été les propagateurs et surtout, qu'à la suite de la prétendue offense d'Ingolstadt, ils aient diligeanté, par pure vengeance, toutes les poursuites par des moyens et des voies qui démontrent qu'ils auraient fort difficilement employé leurs forces à meilleur escient et avec plus d'inocuité à la place des Illuminés. Il n'en reste pas moins vrai que, durant plusieurs années, ils ne furent pas très zélés à participer ou à se rendre complices de tous ces crimes, à moins qu'ils n'avouent n'avoir rien vu ni entendu, pendant tout ce temps, de ce que donnent à comprendre leurs faux, et qu'ils aient par là même gagné les faveurs du pouvoir. Ainsi y eut-il encore des passions malignes, la haine et la vengeance, pour les entraîner à donner une tournure si abjectement calomnieuse à des textes et des discours susceptibles d'une interprétation très partiale.

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4. Ces écrits prouvent tout aussi peu que le gouvernement ait déjà eu en main des preuves valables pour justifier le dur procès intenté à l’encontre de l'organisation et de nombre de ses membres individuellement irréprochables ; si ces documents ont été publiés avant les minutes du procès, c’était à n’en pas douter afin de prévenir le blâme et le veto du public. Il n'en reste pas moins que, de ce point de vue, l'on a échaffaudé, cru et poursuivi sur le fondement de dénonciations arbitraires (je peux les appeler ainsi, car la délation de 1785, en fin de compte, fut classée sans suite, après que l'on ait déjà procédé à bon nombre d'actes illégaux), que pas un seul membre n’a été sommé de s'exprimer sur les crimes en question, que l'on a employé pour beaucoup d'entre eux un autre prétexte afin de les démettre de leurs fonctions, qu'on leur a interdit de se défendre et que cette interdiction a invalidé certains jugements de condamnation. La forme légale a tout aussi peu été observée concernant les écrits découverts. Ces derniers ont été confisqués en l'absence de leur propriétaire et de témoins juridiques, pour passer ensuite entre toutes les mains de la partie adverse. C'est aux ennemis eux-mêmes qu'il a été ordonné de chercher ces documents. Ils n'ont été soumis à l'examen d'aucun de leurs auteurs, aucun d'eux n'a été appelé à la barre pour en attester l’authenticité, nul n'a été interrogé sur le sens des mots utilisés, aucun des arguments, ni même les personnes qui les ont avancésn n'ont été entendus sur la vérité des raisons contraires et des preuves apportées par les prévenus. Tout a été considéré comme indéniablement et parfaitement prouvé. Mais tout cela le fut si peu, que ma défense démontrera combien j’aurais pu argumenter pour ma propre justification,

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si seulement les juges avaient accueilli mes instantes prières et m'avaient convoqué à Münich. Puisque j'avais déjà formulé depuis longtemps cette demande dans mon Apologie des Illuminés, que j'y avais fait la promesse de faire toute la lumière possible devant un tribunal impartial, que l'on ne pouvait s'attendre à ce que je sois dupé par le gouvernement, que je m’étais déjà présenté très clairement en tant qu'auteur et fondateur de cette organisation ; que tous ces moyens ordinaires et légaux étaient offerts : pourquoi a-t-on eu besoin de procéder à cette si formidable perquisition, qui porte tellement atteinte à la liberté civile ? Ils ont dû la mener parce qu’ils n’avaient pas la moindre preuve, ils ne pouvaient plus rien faire d'autre que trouver un moyen de justifier leurs procédés, de couvrir leur nudité dévoilée dans mon Apologie [des Illuminés], afin de se protéger contre les arguments de l'apologiste par des preuves découvertes bien plus tard. Pourquoi a-t-on eu besoin de m'assiéger à ce point, surtout depuis la parution de mon Apologie [des Illuminés], moi qui souhaitais me livrer, pour qui l'on prononça même la relaxe, alors qu'aucun crime n'avait été retenu contre moi, moi que l'on aurait pu conduire devant l'autorité ordinaire avant de me bannir, moi qui vis ici paisiblement depuis la fin de l'année 1785, de façon irréprochable sous la protection et auprès de la personnalité d’un prince estimé15 ? Et pourquoi avoir porté de tels coups à ma liberté, au vu et au su de tout le royaume, au point que je ne puis qu'avec peine me maintenir dans l'étroit espace compris fermé par ces murs, étreint par une inquiétude et un souci permanents ? À quelle fin l'a-t-on souhaité ? Dans le but de me punir, de me ficher entre quatre murs... Mais où est mon crime ?

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Où en ai-je été convaincu ? Quel juge m'a entendu ? Faut-il que cela se soit produit pour ma défense, pour me garder d'explications nécessaires ? Pour quelles raisons dois-je être séparé de ma femme et de mes enfants innocents16 , être capturé comme un criminel et traîné en justice ? Ne m'y étais-je pas moi-même proposé ? Mon Apologie [des Illuminés] ne fut-elle pas écrite dans le dessein de fournir des explications, de dévoiler l'injustice et de diligenter une enquête légale ? Rude, très rude serait mon destin, s'il ne devait servir à éveiller et renforcer chez les autres la foi en la Vertu ; et où cette dernière pourrait-elle se montrer plus belle que dans le destin d'un homme qui, exempt de crimes graves et que l'on n'écoute pas, doit perdre son emploi, sa subsistance, sa liberté, ainsi que (ce qui le torture à l'extrême) son honneur, l'attention inestimable de ses bienfaiteurs et amis et, avec cela, toute perspective d'un meilleur destin futur ? Si un tel homme croit encore en la puissance de la providence et de la vertu, si, complètement abandonné à son sort, il peut se distraire et regarder sans crainte l'avenir sombre qui s'ouvre devant moi et, sans effroi, prévoir une destinée encore pire mais... persévérer : alors, il existe certainement une Providence, une Vertu, de hauts principes, et l'être humain qui en est capable n'est sûrement pas un imposteur ; il peut certes avoir de nombreux défauts et faiblesses, mais il doit forcément connaître ces hauts principes, s'y fier, les avoir portés jusqu'à une perfection unique — ou le vice serait une vertu, et ce serait le seul à lui procurer de la force, à le protéger contre les tempêtes de la vie et ce serait le meilleur soutien dans l'adversité...

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Mais ces écrits ne démontrent pas ce que l'on a cherché, de manière insigne, à prouver en les rendant publics. Ils ne sont toutefois pas sans force, car ils attestent : 1) Que la première impression est frappante et qu'elle sert au mieux les intérêts des alarmistes, des dénonciateurs et autres adversaires ; j'imagine très bien aussi que leur joie a grandi à mesure que s’accroissait l'embarras, dans lequel eux-mêmes se trouvaient peu de temps auparavant ; je présume qu'ils n'auront de cesse d'écrire, de prouver, de déduire et de réfuter, que leur victoire soit totale. Ces pages démontrent que les écrits en question détourneront le point de vue de tout lecteur pour le moins familiarisé avec la démarche et l'essence des sociétés secrètes, qui connaît la nature du c”ur humain et les mobiles de nos actions, qui est habitué à juger avant même d'être renseigné sur le tout et l'ensemble des circonstances, qui veut simplement condamner et d'autant moins pardonner, car les passions, la peur et l'intérêt le déterminent à agir ainsi — elles prouvent qu'ils grossiront toute l'affaire, que, partout, ils feront entrevoir un danger et qu'ils sèmeront la discorde. 2) Que nulle institution au monde n’a été ce qu'elle est devenue par la suite, une fois les concepts purifiés par l'expérience. Le plus récent exemple des colonies anglaises d'Amérique sert à prouver combien il est difficile d'astreindre à des formes nouvelles et inaccoutumées des hommes si attachés au passé et à leurs habitudes. Il démontre que c'est une ”uvre du temps, que le premier fondateur peut rarement ne donner que de l'intérêt et éveiller la pensée ; que tout

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s'ordonne de soi-même et prend consistance à travers la course du temps, selon les circonstances et les accidents, d'après une utilisation intelligente des conditions, mais quasiment jamais en suivant le premier plan de l'inventeur. Ces écrits peuvent bien prouver que, peut-être, un tel plan était trop précoce pour ces temps-là et pour la forme présente de l'âme humaine ; que, sans doute, toute cette institution ne devait servir à rien d'autre qu'à renouveler une grande pensée et à la jeter, telle une semence, parmi les hommes, une pensée qui doit sans doute d'abord germer et parvenir à maturité après plusieurs siècles. 3) Que même cet Ordre, par sa naissance, fut pour partie ébauché et organisé d'après des concepts embrouillés, insuffisamment assimilés, peu éprouvés, dénués de toute connaissance des choses et de l'homme. Mais ils ne prouvent pas que cet Ordre ait été encore aussi lacunaire et imparfait, ou que son état empira davantage quand éclatèrent les orages. Cet Ordre ne s'est certes pas débarrassé de toutes ses scories au cours de sa dernière période ; il ne représentait pas non plus l'idéal le plus élevé d'organisation humaine ; il lui restait encore de très gros défauts quand il fut démantelé. Mais, indépendamment de ce fait, il s'est dans l'ensemble perfectionné d’une manière extraordinaire en comparaison de son état brut initial. Si, dans l'Apologie des Illuminés, je prenais la défense de l'Ordre, toutes les raisons que j'y alléguais portaient sur cet état final — c'est-à-dire sur l'Ordre tel qu'il s’était constitué au moment de sa dissolution — et nullement sur le premier. C'est lui que je défends encore contre toutes les attaques de ses opposants, et la suite montrera que j'en avais pleine-

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ment le droit. De même, ces lettres prouvent, selon moi, que j'ai mal évalué les défauts de l'Ordre primitif, et que j'anticipais toujours plus d'après l'évolution croissante de mes expériences ; elles attestent alors de ce que j'affirme ici, à savoir que mes propres concepts se sont de loin en loin toujours plus affinés. De là vient aussi que dans son âge tardif, après 1780, presque tous les premiers et plus anciens membres l’avaient complètement abandonné ou cessé d'être actifs ; à leur place étaient entrés en scène de tout nouveaux chefs et acteurs. Mais — dirons mes adversaires — cette distinction entre le premier et le second Ordre, entre le primitif et celui qui est si perfectionné, n'est-il pas un prétexte creux visant à annihiler, d'une façon subtile et astucieuse, la force probante de ces lettres, dont l'ancienneté ne prouve rien ? Comment puis-je démontrer que cette distinction est vraie et fondée ? En progressant dans mon apologie, je le prouverai de manière à ce qu'aucun doute ne subsiste. Toutefois, je peux rendre ici mon affirmation vraisemblable par les raisons suivantes : a) Aussi loin que portent ces lettres, elles n'ont engendré aucune forme définie et rien que quelques plaintes et chamailleries ; tout n'y est que simple supputation, encore rejetée par les pages suivantes. On ne s'est même pas mis d'accord au sujet du nom de la société. b) Jusque vers la fin de l'année 1780, pas un seul grade, à l'exception des statuts généraux et du degré de Minerval17 , n'était achevé ou élaboré. C'est vers la fin de l'année 1780, lors de mon retour de Münich, que j'ai terminé d'abord celui d'Illuminatus minor : il

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me fallut encore batailler et disputer toute l'année suivante pour le faire finalement adopter. J'avais conçu mon système de l'idéalisme en premier, au cours de l'année 1780, lors d’une occasion que je relaterai plus tard. c) Après 1780, l'Ordre commença à se répandre dans les autres régions d'Allemagne ; de grands et importants personnages y adhérèrent, aux remarques desquels je considérai qu'il fallait satisfaire de façon conséquente, si l'on souhaitait conserver chez eux la bonne image qu'on leur avait donnée au début, en particulier par le grade d'Illuminatus minor. Ceci m'imposa de faire de nouvelles connaissances extérieures, qu'avec eux, j'aille demander conseil et que je déploie toutes mes forces pour établir ce qui pouvait en quelque sorte correspondre à leur attente extrêmement tendue. Le courage, la fermeté et l'abnégation d'un si grand nombre de membres dans ces orages violents et ces brutales agressions, n'en font pas moins conclure à une conscience pure et à des principes sublimes, desquels ils étaient familiers. Ces principes ne brillent pas aussi bien dans les lettres, mais on se doute que, dans l’intervalle, on a procédé à plusieurs modifications importantes. d) Et au lieu de toute autre preuve de ce que je fus contraint de faire circuler la première ébauche et de la perfectionner toujours plus, ce sont ces chicaneries et ces désordres sans fin qui ressortent, par lesquels rien ne pouvait advenir et qui, comme ils devenaient perceptibles, affaiblissaient le zèle des subordonnés. Ces derniers devaient me rendre attentif à l'idée et à la question suivante : d'où vient que toutes les choses

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établies pour le bien, ici, autant que dans le monde politique, rencontrent de telles entraves et ne parviennent jamais à être mises en places ? Si ces troubles ne s'étaient pas produits avant, je n'aurais probablement jamais formé l'idée essentielle, ni l'ultime et suprême raffinement de mon système. Le grade d'Illuminatus minor lui-même démontre que j’étais déjà en train de suivre cette piste à ce moment-là. (Les crises en question ont apporté quelque bien, et j'aurais regretté qu'elles ne se produisissent jamais.) Au cours de mûres réflexions sur cette question, il me fallut, comme tout autre, découvrir que leur raison d'être réside dans l'intérêt si variable et les passions des hommes, que leurs conceptions si différentes d'une même affaire entraînent leurs clivages et leurs divergences. Cette pensée devait amener une autre interrogation, celle de savoir s'il était possible d'unir ces intérêts, et il fut démontré que cette unification n'était réalisable qu'en un point de vue élevé et général. Chacun peut ici constater combien, sur cette voie, je dus déjà me rapprocher de la pureté et de la perfection morale. Ici, je remarquai — et chacun ne le remarquera pas moins — comment toutes les entraves auraient été soudainement levées s'il m'avait été donné d'élever les hommes au-delà des intérêts vulgaires et de les fondre dans le creuset d'une finalité commune. Désormais, cela signifiait : « Tu dois consulter et établir des principes propres à obtenir cela ; tu dois, par cette unification même, insuffler cet interêt supérieur pour le réaliser ; tu dois, au travers de cet intérêt, faire en sorte de développer et de rendre parlants les effets salutaires qui en découlent pour chacun et pour le monde même. »

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C'est ainsi que furent établis les principes et les enseignements que j'exposai publiquement dans l'Apologie du mal et du mécontentement. À présent, je pose la question suivante : est-ce un crime que de former les hommes à ces principes ? Ces personnes peuvent-ils être mauvaises et dangereuses ? Que doitil advenir du fait que des hommes de cette sorte se perfectionnent au sein d'une ligue secrète ? Seront-ce ensuite les bonnes institutions, d'utilité générale, qui se heurteront à tant d'obstacles ? Un dirigeant du monde, à qui il est en vérité demandé de faire le bien de ses sujets, peut-il s'opposer à de tels principes ? Ou bien serait-ce que leur réalisation est impossible ? — Si ce dernier cas est vrai, l'Ordre avait-il quoique ce soit d'une école de corruption, n'était-ce pas tout simplement une République platonicienne, une chimère, une idée bonne et bienveillante ? Et cette bonne volonté, ce désir exalté de servir peut alors bien être puni et décrié au point où nous le subissons... Mais je suis également convaincu que cette proposition n'est pas une chimère. J'ai mise en partie ces pensées à exécution, je peux donner des exemples tirés de cette école, lesquels sont vraiment préconisés. Et ce que l'on peut faire advenir pour un seul, on le peut aussi pour plusieurs. Il y en avait davantage sur cette voie : et je suis sûr qu'au fil des années, j'aurais, grâce à de nouveaux associés, découvert des facilités dans une affaire qui n'est difficile que parce qu'il n'y a personne pour y travailler, pour s'encourager et se renforcer mutuellement. Et donc je crois que le lecteur doit considérer que beaucoup de sociétés naissent de la pureté des m”urs et des meilleurs desseins, pour ensuite se dégrader ; mais que pour l'Ordre des Illuminés, on est parti de visées moins claires pour

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clore son histoire sur de meilleurs plans ; que j'affirme, avec vérité, que ces lettres ne prouvent rien de plus que ce que j'étais, que ce que l'Ordre était à l'époque où elles furent écrites ; qu'elles ne démontrent en rien que je le sois encore ou que l'Ordre fût encore par après ce qu'il fut dans son enfance ; qu'elles prouvent au plus haut point qu'à cette époque-là, je souhaitais promouvoir une divulgation, que j'avais proposé, en guise d'explication, quelque chose qui n'apporta aucune clarification, qu'à la place, je livrai ce que je croyais moi-même en être une. Mille autres sont encore réellement dans cette situation. Ma mystification a une fin. Je travaille pour qu'elle ne disparaisse pas moins chez les autres ; c’est pour cela que je combats mes idées antérieures, celles contenues dans mes écrits publiés. Je serais moins en mesure de lutter contre elles de cette façon, si je ne les avais déjà connues et pensées. Je tire même profit de mon propre exemple. — Alors, où est mon crime ? 4) Ces écrits prouvent qu'il est impossible aux jeunes gens d'avoir la vue et l'expérience plus éveillées que celle d'hommes grisonnants et plus formés qu'eux à ce genre d'affaires. Que ceux-ci ont un esprit singulièrement plus vif et des impulsions trop puissantes pour tempérer leur feu et se dévier des fausses routes sur lesquelles ils ont dérapé. Ils prouvent que des affaires de cette sorte ne peuvent jamais être parfaites en un an ou en un jour ; qu'il est souvent meilleur de sortir de l'imperfection pour se hisser graduellement et se maintenir aussi ensuite là où tous les autres ont échoué, eux qui, au départ, étaient plus accomplis. Ils prouvent que les hommes

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ne se guérissent pas d'un seul coup de leurs habitudes et de leur incessante précipitation, encore moins dans une telle institution, où l'on doit ménager ses gens en vue du nécessaire secret, lieu où la contrainte extérieure demeure complètement absente et où, par conséquent, les supérieurs doivent se distinguer et se séparer des subordonnés ; que, par suite, aussi longtemps que font défaut la formation et l'exemple indispensables, l'étroite cohésion, la force et la consistance intérieures — en particulier la tonalité d’âme uniforme, qui est si essentielle —, il doit forcément s’y produire mille man”uvres insensées et inopportunes ; aussi longtemps que l'indolence, la précipitation, le zéle trop impatient, l'imprudence, la présomption, les représentations trop faibles, trop aveugles et trop simplistes — de celles qui considèrent d’un point de vue trop léger leur objet et cette affaire si vaste et si compliquée, qui réclament les fruits avant qu'ils ne soient mûrs et qui recourent aux résultats lointains, comme dans un rapport inapproprié des moyens à une fin donnée —, aussi longtemps que l'ambition, l'esprit autoritaire et l'intérêt personnel encore trop peu disciplinés des membres, le triste désir de briller et d'apparaître partout au sommet comme un élément important, et cent autres défauts du même genre, existeront, il y aura des milliers de troubles et il faudra faire mille détours, prendre mille précautions, édicter des lois, et cela entraînera sans cesse des lacunes, des faiblesses, des vices et des défauts. J'en veux pour exemple toutes les loges et sociétés secrètes, tous les hommes qui ont travaillé à ces questions, et je les prends pour témoins de mon assertion. Quelle loge au monde pourrait se faire fort de livrer tous ses documents au public, lui faisant une totale confiance

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Pour ne trouver chez elle aucune des faiblesses propres aux gens mauvais et qui pourraient, au détriment de leur pureté, entraîner des conséquences fâcheuses ? Et dès lors, dans un système qui ne doit pas être un simple passe-temps, où l'on doit agir sur l'homme intérieur, travailler à retoucher son caractère, à quel point ces difficultés doivent-elles être accrues ? Ces écrits dé-montrent ainsi que, comme dans tous les autres do-maines, et donc ici aussi, ce sont d'abord les échanges et les expériences qui font l'homme. Ils démontrent encore que cet Ordre était moins une véritable société qu'une tentative, un entraînement, une école dans laquelle devaient surtout se former des hommes, qui, un jour, seraient capable de fonder un lien durable, sublime et conforme aux besoins et aux attentes des êtres humains. Je démontrerai par la suite, de manière irréfutable, que nous tous, sans déroger à cette toute nouvelle entreprise, savons peu ou prou que toutes les sociétés secrètes qui ont existé jusqu'à maintenant ont, par manque de vrai projet et d'une réelle organi-sation, comme plus tard les errements et défauts des Illuminés, cédé l'une après l'autre, pour tomber en ruine et s'éteindre, ou pour revenir à la dernière idée de l'Ordre. Je prouverai que le pur et authentique Art Royal des sociétés secrètes est une chose qui, comme tout ce qui est bon, doit être découverte après mille fourvoiements ; qu'il est le chef-d'”uvre de l'intel-ligence humaine et le plus haut raffinement de la société civile. 5) Ces écrits prouvent que si l‘on avait voulu se permettre de mener les mêmes investigations contre plusieurs autres sociétés secrètes, en Bavière ou ailleurs, on aurait lu ou vécu des scandales similaires,

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voire pires. Ils prouvent que le prosélytisme et la volonté de croître, non dans les premiers instants, mais certainement par la suite, est l’une des conséquences inexorables de toute société, non seulement secrète, mais encore publique. La volonté de croître elle-même n’est rien de plus que l’instinct de perfectionnement, si propre à tous les hommes et mal compris de la plupart d’entre eux, qui débarrasse du mal. Ils prouvent donc qu’en de tels cas, on reproche volontiers aux autres ce que l’on fait soi-même tous les jours, que l’on décrie et rend suspect les autres pour éloigner ses concurrents et s’élever sur leurs ruines. 6) Ces écrits prouvent que n'importe quel adversaire des Illuminés, avec son intelligence de cour moins naïve et moins franche, que recouvrent une sournoiserie et un vêtement d'autant plus grands, déclarerait et dissimulerait, parmi davantage de mots sélectionnés et ambiguës, ce qu'il y recherche et ne convoite pas moins de toute son âme, ce qui, avec une plus grande sincérité et un moindre danger pour l'État et les autres hommes, est ici posé et exprimé. Le Ciel voulut que les Illuminés soient les seuls matérialistes, déistes et naturalistes de Bavière. Les autres ne le sont pas moins, qui sont simplement camouflés et plus sages. J'ai moi-même aussi peu implanté le déisme en Bavière qu'à Rome ou en Italie. Je l'y trouvai déjà : et je donnerai par la suite la raison pour laquelle les hommes de cette espèce [les déistes] se trouvaient en grand nombre et quantité dans les régions précisément les plus bigottes, et davantage encore parmi les catholiques que les protestants. Beaucoup de nos adversaires ont fait montre de zèle pour leur croyance et ne sont pour l'heure pas

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meilleurs que nous ne l’étions ; ils ont besoin de Dieu et de la foi de leurs pères pour exterminer leurs ennemis. 7) Ces papiers démontrent que tout homme a ses lubies et ses moments durant lesquels les sens distordent sa raison et mettent en scène des pensées que lui-même rejettera ensuite, peut-être dans l'heure qui suit, lors d'une réflexion plus froide. 8) Ils prouvent que, par désir d'un plus grand bien, il peut facilement venir à l'esprit d'un homme qui, depuis sa jeunesse sous la conduite des Jésuites, ne reçut pas tout le temps les plus justes exemples de vertu — qui, par exemple, entendit louer un Saint Crispin18 d'avoir dérobé du cuir à un autre afin d’en faire des chaussures aux pauvres —, de garder pour lui un livre emprunté à l'un de ses ancêtres en vue d'une utilité générale ; que de tels exemples et illustrations tendent à laisser derrière eux de sombres traces, qui rendent douteuse la mise en pratique des règles morales et suscitent les commentaires jésuitiques*.

* Cela me peinerait de voir quelqu'un d’injuste au point de douter de ma moralité et de ma conviction actuelles, que tout un chacun peut retrouver dans mes textes, et qui jugerait d'après les concepts puérils de ma jeunesse. Si, parmi mes lecteurs, il en existe un qui n’a jamais commis ces détours et erreurs, et dont l'esprit se soit développé sur la base de bons principes, qu'il soit remercié de cette bonté par la Providence ; mais qu'il ne me réprimande point, ou alors je douterai qu'il soit aussi parfait qu'il le prétend. Une fois, il m'est arrivé de suivre cette voie et, face à cela, tous les discours, écrits ou démonstrations sont autant d'efforts

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ne servant pas à grand'chose, sinon à rien du tout. Mille autres se retrouvent dans ma situation ; et je pourrais presque demander qui, dans toute l'humanité, a agi ou pensé en homme mûr durant sa jeunesse... Que le lecteur prenne seulement patience, avant que j'expose, ici même, dans ce mémoire, le processus évolutif de mon esprit, et il découvrira que tout ce qu'il a lu de ces concepts, pèse encore bien peu par rapport à ce qu'il doit encore apprendre plus loin. Je peux dire que j'ai traversé la quasi-totalité du cours de toutes les vérités humaines ; j'ai invoqué les esprits, déterré des trésors, questionné la Kabbale, joué au loto, il fallait que je sois moi-même initié à toutes ces folies pour en éprouver l'inanité. Il n'y a guère que le métal que je n'ai pas transmuté, la faute revenant à l'indigence dans laquelle j'ai toujours vécu... Que conclure de tout cela ? Que j'étais fou, que le passage d'une trop grande crédulité et du bigotisme à l'incroyance est très facile ; que j’ai beaucoup peiné pour me départir de ces erreurs, car je ne me voyais pas divaguer sur leur voie, parce qu'à chaque fois, je les prenais pour la sagesse suprême. De là vient que je devais parvenir à mon état d'esprit actuel par mille folies et égarements, que je ne me suis pas encore suffisamment rectifié, et que pour cela, justement, je doive vivre tous ces événéments, qui constituent pour moi une réelle épreuve. Du reste, par la publication de ces documents, je crois vraiment être devenu, ces derniers temps, meilleur que je ne l’étais. Ai-je commis une faute en ayant été jadis ce que je ne suis plus ? Cela mérite-t-il du respect ou un châtiment ? — Ô, si quelqu'un doit expier des fautes et des vices depuis longtemps écartés, alors personne ne s'améliorera, chacun persévèrera opiniâtrement dans ses vices ; laissez-nous donc détruire les saints de notre calendrier ! Car il est faux que semblables hommes, qui sont réellement dans le bien, qui résistent avec la plus grande force aux séductions à venir, atteignent leur perfection par les fautes et les erreurs ! J'aurais aimé que mes ennemis et mes juges puissent dire aussi bien d'eux-mêmes qu'ils ont simplement commis des

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erreurs. Ce que j'affirme ici sur moi-même, pour mon pardon, vaut sans exception, avec un droit encore plus grand, pour tous ceux qui ont pris part à cette association. Eux aussi étaient jeunes et se sont égarés dans la voie de l'erreur ; la plupart se sont déjà depuis longtemps acquittés de ce travail ; leurs expériences les ont détrompés, ils ne sont plus tels qu'ils étaient et je suis certain qu'ils sont incomparablement plus sages et meilleurs que ce qu'ils étaient. Je fus justement meutri quand, dans ces lettres, on cita nommément d'autres personnes au préjudice de leur honneur, alors que les noms de tant d'autres que l'on a sans doute voulu ménager, y sont ou bien complètement omis, ou bien seulement désignés par leurs initiales quand, dans ma lettre à un ami — non pas au monde, ni dans le but de leur nuire — j'avais noté, dans la plus intime confidence, des informations erronées, une rumeur qui, plus tard, se révèlerait fausse. Je suis par excellence, avec d'autres, parfaitement responsable de la déclaration à Monsieur Le Conseiller médical et professeur Will 19, qui en fut au plus haut point blessé dans son honneur. La conscience et le devoir me commandent d'expliquer ici publiquement que la rumeur, répandue peut-être par ses ennemis, ne fut pas seulement démentie, mais complètement convaincue de fausseté parmi les membres de l'Ordre ; qu'après la dissipation de cette rumeur, Monsieur le Professeur Will resta encore quelque temps dans l'Ordre, comme le prouvent même de façon visible les lettres de la p. 302, et que c'est seulement plus tard, il y a maintenant déjà environ sept ans eu près déjà sept ans, qu'il a pris lui-même ses distances avec l'Ordre et qu'il n'a pris aucune part, ni eu connaissance de ses affaires ultérieures. Qu'a-t-on eu besoin, lors des investigations, de ménager tellement d'autres noms et, parmi ceux-là, celui de Monsieur le Conseiller aulique von Eckarthausen 20, en sa qualité de commissaire ? Pourquoi avoir cherché, p. 332, à dissimuler sous un nom chiffré et raturé le jugement que je porte sur lui, et pourquoi avoir nommément révélé ceux de

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9) Ils prouvent que les recettes financières de l'Ordre étaient très faibles, et qu'elles ne méritent nullement d'être taxées d'escroqueries. 10) Il est triste de devoir devenir son propre louangeur. Je suis dans cette situation. Il me semble que ces documents prouvent, qu'en dépit de toutes les faiblesses dont ils m'accusent, je reste un esprit ordonné et capable de voir loin ; que l'esprit de détail21 s'accorde très rarement aux larges vues ; que les points de vue généraux et les fins de l'âme comblent trop et rendent souvent plus indifférent qu'ils ne devraient aux basses proportions ; que de tels esprits passent volontiers au-dessus. Ces documents sont ainsi la preuve qu'un esprit devrait d'abord oublier ce qu'il a péniblement appris 20 ans auparavant, sur lequel toute grande pensée agit vivement, qui apprend tout pour l'utiliser et le démontrer par les actes, qui a tôt éprouvé et réprimé un plan immense avant que sa raison et les forces nécessaires à son exercice soient éduquées et développées

beaucoup d'autres personnes qui n'ont pris que peu ou prou part à toute cette affaire ? — Il faut croire que j'ai très souvent changé de jugement, non moins quant aux choses que quant aux personnes, d'après une connaissance plus juste et une meilleure intruction. Dès lors que ce changement a été opéré, que nombre de ces hommes me sont mieux connus et que mon jugement à leur égard est plus juste, est-ce ma faute si leur honneur court un danger ? Cela me blesse énormément. Mais chacun comprendra qu'ils ont moins été atteints par mon jugement, qui n'a plus cours ces temps-ci et en ces circonstances, que par la haine du rédacteur de ces écrits.

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au degré approprié, un esprit à qui manque moins une ferme volonté que du discernement, qui réalise sérieusement à présent qu'il existe certaines grandes vérités que l'on doit clamer avec fracas dans le monde pour susciter l'attention des hommes et que les persécutions y contribuent. Ils semblent me prouver que je suis un homme qui n'avait ni lu ni entendu les expériences utiles à une telle entreprise, qui les avait encore moins collectées grâce à ses propres épreuves, un homme qui devait d'abord se faire lui-même et se développer à la faveur des circonstances, un homme qui, en l'absence de toute occasion, aurait brisé sa carrière sur tous les obstacles, qui, dans d'autres conditions et à une place plus active, ne serait peutêtre jamais tombé sur de telles pensées (probablement à son détriment), qui aurait pu en produire beaucoup d'autres si chaque gouvernement comprenait tout le temps l'art de mettre chacun de ses sujets à la place qui correspond à ses forces. Ils prouvent que j'ai toujours voulu servir, que je ne connaissais pas encore les vrais moyens, que j'ai à chaque fois pensé et agi d'après une conviction encore insuffisamment affinée, mais avec la foi la plus solide que je pensais et agissais aussi bien que je le pouvais. 11) Ces papiers prouvent enfin (de la meilleure façon) que je suis le premier instigateur et fondateur de cette ligue si décriée. Et voilà que, tout à coup, le secret si ardemment attendu serait dévoilé. — Les montagnes sont sur le point de naître et... c'est une souris qui vient au monde22.

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Oui ! Je suis cet instigateur, ce fondateur ; je m'y reconnais sans honte. Avant déjà, dans mon Apologie des Illuminés, addition (A), je m'y étais clairement reconnu comme tel ; j'aurais parlé encore plus clairement dans ce passage si je n'avais promis de faire toute la lumière devant la Justice, si je ne m'étais crédité de la trop puérile et impardonnable vanité de me faire reconnaître sans rougir en tant que créateur d'un système auquel je dois, et à lui seul, la tonalité et le développement actuels de mon âme. Tous ceux qui, jusqu'à maintenant, ont eu un destin subi, très amer, et ceux pour lesquels il est imminent, ne peuvent me convaincre d'avoir honte de cette situation, de m'adresser des reproches, de la regretter. Les essais ratés, la destinée et le chagrin, tels que je les ai vécus, me persuadent en tous les cas de renoncer à cette idée pour l'avenir, de jurer de renoncer à penser à une suite, voire de me décider à publier, pour éliminer toute méfiance, convaincre parfaitement le public et pour la honte de nos ennemis, l'intégralité du système, avec tous ses grades, tel qu'il fut complètement et définitivement réformé dès 1783. Mais regretter d'avoir produit de telles pensées et de les avoir partiellement mises à exécution, regretter cela, je ne le puis. Il me faudrait regretter tout le bien qui s'est produit grâce à cette entreprise, tout le processus de fermentation que j'ai mis en route dans beaucoup de têtes ensommeillées, tout l'intérêt de devenir meilleur, de s'efforcer, que je leur ai donné, tous les exemples magnifiques de grandeur d'âme et de force spirituelle portés par tant de membres qui, lors de ces orages si violents, de cet écrasement général et de ce découragement, ont abandonné leur patrie comme on abandonne un héritage. Je devrais me

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repentir du fait qu'à présent, tant d'affaires encore fortement embrouillées par ma faute parviennent à leur dénouement et qu'elles soient dites. Je devrais détester le seul et meilleur moyen de me perfectionner. Je devrais regretter d'avoir, dans mon domaine si borné, développé une grande sphère d'activité, et procuré, grâce aux forces qui sommeillent en moi, l'occasion de m'élever jusqu'au degré actuel. Bref, je devrais regretter de ne plus être tel que j'étais. Il est vrai que je ne fus jamais une personne méchante ; j'ai toujours aimé et honoré la Vérité et la Vertu ; mais dans ce cadre si subjectif, avec cette conviction et cette alacrité, je n'ai que plus tard, grâce à l'intérêt, reconnu quelles sont les multiples scènes et domaines qui ont éveillé en moi cet enchaînement de faits. Tous les principes que j'ai exposés dans mon Apologie du mécontentement et ceux qui le seront encore à l'avenir, sont les résultats de telles expériences. Autrement, je n'aurais jamais fait éprouver, ni vécu moi-même les mobiles et espérances humaines, l'humeur actuelle des hommes, leurs faiblesses, leurs failles et les causes essentielles qui les engendreront à l'avenir. Je pourrais même dire que si, dans cet enchaînement, rien de plus ne s'était produit que mon éloignement d'Ingolstadt, ce dernier aurait été déjà en quelque sorte précieux et inoubliable. Il m'était nécessaire, pour un meilleur perfectionnement,d'aller vers les autres hommes et de me comparer à un idéal supérieur, de me mesurer à lui, et combien me manque-t-il encore pour fonder la fierté qui naît habituellement chez celui qui s'emploie exclusivement à l'instruction des jeunes. Mes conceptions étaient, dans beaucoup de leurs parties, trop simplistes ; une correction leur était nécessaire, qui

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aurait été apportée par le commerce avec le monde et les hommes de toutes les conditions. Je dois à cet exil la connaissance personnelle de nombreux grands hommes d'exception. Grâce à cet exil, j'ai conservé tout cela et davantage ; il forme l'époque la plus remarquable de mon existence. C'est par lui que les principes, dont les germes ne s'étaient pas encore suffisamment développés en moi, sont parvenus à la maturité convenable. C'est d'après cette hypothèse que je procède à ma défense même. Et je trouve là, de tout ce que l'on peut m'imputer à charge, que seuls deux extraits me sont opposables. Je fonderai donc ma défense sur ces deux seuls morceaux, car en eux sont contenus tous les autres reproches. L'on peut me blâmer 1) d'avoir créé une société secrète et 2) de l'avoir construite de cette manière. On peut donc se demander : 1) si c'est commettre un véritable crime que d'être fondateur et instigateur d'une ligue secrète, ou bien... 2) si le crime ne réside pas plutôt dans l'institution elle-même, dans les mesures que l'on y a prises. Mes moyens étaient-ils si abominables qu'ils le semblaient ? Prouver tout ceci — qui, comme je le crois, joue à mon avantage et renforce la conviction du public devant la juridiction duquel cette affaire elle-même est portée par mes adversaires grâce à la divulgation de ces écrits — fera l'objet d’une apologie future. Que le Ciel me dispense paix et santé afin de remplir le plus tôt possible ma promesse.

Le véritable Illuminé ou Les vrais rituels primitifs des Illuminés Par Johann Heinrich FABER

L'ÉDITEUR AU PUBLIC JE ne suis ni Illuminé, ni Franc-maçon, ni membre d’un quelconque ordre secret. Je suis ce que l'on nomme, dans la langue des élus, un profane. Dieu sait si je suis pour cela pire ou meilleur. Ce ne sont pas les occasions et les tentatives qui m'ont manqué d'entrer dans de telles associations ; seulement, j'y ai toujours trouvé, parmi les prétendus initiés et même leurs chefs, des hommes faibles et pécheurs, expérience qui m'a rendu méfiant. Ainsi, me dis-je, ces hommes pleins de mystères n'ont pourtant pas encore trouvé l'arcane infaillible qui rend les hommes bons et heureux, et ils découvriront bien difficilement une voie menant à la perfection, plus accessible que celle que j’ai suivie depuis mon enfance : « Aime Dieu par-dessus tout et ton prochain comme toi-même ; ce que tu veux que les autres te fassent, fais-le leur aussi, et ce qu'ils refusent que les autres leur fassent, ne le leur fait pas. » Ainsi pensais-je et restai-je profane. À présent, comment, dans ma profanité, j'ai été amené à éditer les rituels des Illuminés, c'est ce que je vais exposer ici clairement et succinte-ment. L'une de mes s”urs était mariée à un certain bavarois N*, mort il y a deux ans. Terrassé par une crise d'apoplexie, il n'eut pas le temps de prendre la moindre disposition. * Je ne peux pas en dire plus, sinon son Excellence l'Inquisiteur Kreittmeyer [baron de son état] sera pris de l'envie d'aller inqui-sitionner un mort...

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Après son décès, sa veuve décou-vrit, enfermés dans une cassette, différents documents maçonniques et illuministes qu'elle m'envoya avec la recommandation de les garder jusqu'à ce que son fils, s'il ne lui arrivait pas de prendre la robe, soit parvenu à l'âge de les utiliser. « Car, ajouta-t-elle alors, mon bienheureux mari fut un meilleur maître de maison, meilleur époux et meilleur père quand il se départit de ces affaires. » Je n’ai absolument pas la curiosité pour vice. Je n'ai fait autrefois que survoler ces documents : si cela peut rendre service, mon préjugé à l'égard de tous les ordres secrets y est aussi pour beaucoup. Là-dessus, les belles histoires parlant des Illuminés de Bavière virent le jour ; mais elles ne purent m'inciter à utiliser ces papiers : pourtant, on a récemment publié un Système des Illuminés 1 amélioré, signé par l'exprofesseur Weishaupt, ainsi que quelques Écrits Originaux de l'Ordre des Illuminés sur ordonnance de Son Altesse le Prince de Coire de Palatinat-Bavière ; ainsi examinai-je avec attention les papiers qui m'avaient été confiés et estimai-je qu'il valait la peine de les faire imprimer avec la permission de ma s”ur. Le public ne peut se faire aucune idée vraie de l'affaire à partir des fragments dérobés sur ordre du Prince de Coire, et encore moins sur la base du système des Illuminés amélioré par Weishaupt. Ici, ce sont les vrais rituels, leurs cérémonies, leurs doctrines, leur but et les moyens qu'ils employèrent pour y parvenir, en un mot : l'Illuminisme dans toute sa pureté. Avec ce livre à disposition, tout homme libéré des préjugés pourra enfin statuer sur la question de savoir si les Illuminés sont dangereux pour l'État et la religion. Je ne suis sans doute pas assez connaisseur ; je puis dire cependant que mon sain entendement humain et ma foi de

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charbonnier n'y ont rien trouvé de bien choquant et je pense encore que les Illuminés, en tant que société, sont une bonne chose (ce qui n'est pas le cas de tous ses membres pris en particulier), des gens utiles, dans le c”ur desquels le bien de l'humanité est puissamment ancré. Bien mieux : si j'avais à diriger un petit ou un grand royaume, je ferais en sorte que celui-ci soit quelque peu illuminé. Le bon prince, le bon ministre et l’honnête homme d'esprit n'auraient rien à en redouter. Pourtant, je peux tout aussi bien avoir tort. Alors, cher public, lis toi-même ce livre et sois juge. H. v. L.

I EXPOSÉ PRÉLIMINAIRE

Conception générale de la Société des Illuminés Il existe certaines vérités, de saintes vérités, qui projètent leur lumière sur la condition passée, présente et future de l'homme. Il en existe de certaines — qu'on les nomme Révélation ou comme l'on voudra. Elles résultent de profondes recherches ou de traditions supérieures — dont tout homme intelligent doit éprouver le besoin, car des doutes subsistent pour lui au sujet d'un nombre incalculable de choses dans la nature. Peut-il ou non voir ces doutes surmontés ? Les interprétations que les différents peuples en ont conservées par l'intermédiaire de leurs prêtres, de leurs philosophes et de leurs chercheurs sont-elles vraies ou fausses ? Aucun effort n'est déployé pour examiner ces questions. Les passions, les rapports civils et beaucoup d'autres entraves empêchent la majorité des hommes de se consacrer à ces sujets. Il n'en allait pas ainsi jadis, quand nos besoins n'étaient pas si nombreux, ni nos relations si complexes, nos passions si diversement partagées et stimulées, quand les hommes ne considéraient les liens sociaux que comme des buts secondaires et non comme le centre d'intérêt de leur existence ; seul comptait pour l'homme l'accomplissement de sa

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destinée. Il se percevait comme membre de la chaîne des créatures, en quelque sorte citoyen de la Terre. Mais, peu à peu, la vraie sagesse, la vision juste du tout se raréfia davantage, s'imbriqua dans les lois humaines, se faussa en suivant les orientations du siècle et devint finalement le monopole d'un petit nombre de personnes qui, éloignées des obstacles gênants, cultivèrent la vraie sagesse et la transmirent à leurs successeurs. En ce que ces hommes n'oublièrent jamais qu'ils étaient tous ensemble citoyens de la Terre, leur principal intérêt demeura toujours insensiblement de donner également à la multitude entraînée par le courant de la culture une direction telle qu'elle ne parte pas trop à la dérive, aussi menée soit-elle par les événements du monde. À cette fin ultime, ils déguisèrent en chaque siècle leurs doctrines, les vrais principes de la vérité, dans une enveloppe adaptée à leur époque. Ils n'oublièrent jamais que l'homme ne vit pas simplement dans le monde pour spéculer et être heureux et paisible, mais qu'il a aussi le devoir d'aider et de consoler ses semblables. Parmi les différentes écoles de sagesse, qui se sont donné pour tâche d'enseigner les vérités sacrées, de préserver de la corruption et de s'employer au plus grand bien de tous, se range sans aucun doute l'Ordre des Francs-maçons. Seulement, même si son caractère sacré intrinsèque a gardé sa pureté, sa forme extérieure, elle, est complètement corrompue. Et pourtant, combien pourrait-il ”uvrer ! Nous en sommes au point où le monde a le plus grand besoin de cette école, car il a pris une si mauvaise tournure que, désormais, il faut vraiment tout reprendre depuis le début et définir l’être humain de façon totalement différente avant de pouvoir lui enseigner la sagesse

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supérieure et le rendre utile à cette dernière. La société dont il sera ici question prend en compte cette réalité et est en mesure de délivrer le profane. Elle compte en son sein des hommes de grande science, formés par plus d'une école de sagesse, des hommes parvenus au faîte de toutes les sociétés secrètes et qui ont attiré de leurs entourages respectifs des personnes de tous les systèmes maçonniques, qui savent de manière certaine ce qui est bon, vrai et utile, et ce qui ne l'est pas. Mais ils n'exigent pas qu'on les croit sur parole, simplement qu'on les juge d'après leur conduite extérieure et leurs actions sur le monde. Leur premier but reste en effet d'agir pour rendre le monde meilleur et plus sage. On doit s'efforcer d'oublier tout à fait qu'ils ont des secrets, n'envisager que ce qu'ils font pour le bien de l'humanité en général. Toutes les sciences et toutes les institutions du monde ont besoin d'une réforme, mais un tel changement dans les principes ne doit pas être rendu public, ni trop rapidement mis en ”uvre. Il ne faut pas non plus que ce soit une réforme qui détruirait plus qu'elle ne construit, et elle devra être universelle, tout embrasser, ne pas s'occuper de spéculations théorétiques mais agir efficacement pour élever les hommes à leur dignité originelle. Si, jusqu'à maintenant, les meilleurs hommes se sont réunis afin de juguler la corruption, ils sont cependant particulièrement peu nombreux en Franc-maçonnerie, car : 1) Elle est en partie composée d'hommes qui ne s'élèvent pas au-dessus du vulgaire ; 2) Ces hommes ne sont pas animés d'un seul esprit, parce qu'ils n'y ont pas été formés dès leur jeunesse, chacun prenant alors sa propre direction et ne suivant que sa propre idée, tout comme on se laisse gouverner par ses passions ;

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3) On ne connaît pas suffisamment ses adhérents, on ne sait pas ce dont chaque membre est capable ; 4) Et pourtant, tous sont conduits d'une seule façon et examinés au cours d'une seule épreuve (très incertaine), mais également sans en subir aucune 2 ; 5) Et ils arrivent à la fin sans avoir rien vécu ; car, en Franc-maçonnerie, il n'y a non seulement aucun système fixe pour les vérités les plus communes, mais les vérités supérieures n'y sont absolument pas transmises ; alors, comment ces gens-là, si diversement choisis et jamais amenés aux connaissances les plus universelles, pourraient-ils posséder une sagesse surnaturelle ? Qui pis est, l'histoire de la Franc-maçonnerie, ainsi que son véritable but, ne leur sont jamais connus ; 6) La Franc-maçonnerie actuelle ne se soucie guère des obstacles qui se dressent sur le chemin de la Sagesse et de la Vertu et par là, elle ne fera jamais rien pour le monde ; 7) L'apparence, la force et toutes les passions y sont flattées de façon grossière ou subtile, et l'intérêt, l'ambition, la vanité, la haine privée et les faveurs, le fanatisme, la fraude et l'ignorance y ont toutes des occasions de jouer leur rôle ; 8) Chacun veut y apprendre pour soi, nullement en vue du bien général, et récolter des fruits là où il n'a rien semé ; Dans notre société, au contraire, on a retranché tout cela. ad 1) Seuls des hommes éprouvés à fond y sont admis et promus. ad 2) On y forme les hommes graduellement, avec un art insensible, grâce à quoi ils envisagent peu à peu

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toutes les affaires humaines d'un seul point de vue. C'est pourquoi l'on y recrute de préférence de jeunes gens, car ils sont encore peu entachés de préjugés et exigent moins d'avoir tout à la fois. Les hommes mûrs doivent néanmoins traverser toutes ces épreuves. On ne déplore pas leur impatience, et quand ils régressent, on les laisse filer. Cependant, quiconque persévère parmi nous et ne tient pas pour nuls les effets que l'éducation peut avoir sur l'ennoblissement de l'homme, quiconque démontre sa fidélité trouvera sûrement chez nous ce qu'il recherche. ad 3) On y sait les moyens les plus sûrs de bien connaître ses membres. ad 4) Puisque il existe toujours de petites différences entre eux, personne n'agit de la même façon qu'autrui, mais chacun y est dirigé et mis à contribution selon son orientation et ses capacités, raison pour laquelle tout un chacun ou presque collabore à notre plan autant et aussi longtemps qu'il le souhaite. ad 5) Personne n’y promet de secrets, car l'on ne sait pas si cette promesse pourra être tenue à chacun. Mais les Lumières contiennent tout ce qui, dans ce monde, peut être utile à chacun dans son domaine d'activité. A-t-il des doutes ? Ils seront levés et s'il croit trouver plus rapidement davantage de choses et des meilleures au sein d’autres alliances, on lui permet d’aller les y chercher. Il sera d’ailleurs difficile à quelqu'un d'avancer parmi nous s'il n'est par Francmaçon du troisième grade. Nos systèmes sont solides et inébranlables ; leurs fruits sont des connaissances et des découvertes certaines.

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ad 6) Nous ”uvrons pour attaquer à la racine les entraves du bien et, pour ce faire, nous avons choisi les meilleurs moyens et les plus sûrs de récompenser extérieurement la Vertu, de rendre le vice terrifiant, de subjuguer la méchanceté et de combattre le préjugé avec courage, mais aussi intelligence. C’est un travail digne de la sainte légion des meilleurs hommes. ad 7) Chez nous, ce ne sont pas la condition, la réputation, etc. qui décident. C'est le plus sage et le meilleur qui règne, mais sans que l'on sache que c’est lui qui règne. Chaque passion préjudiciable voit son mécanisme intrinsèque tenu en bride. On se reconnaît d'après la qualité, pas d’après le nom ; ainsi le goût personnel et la haine n'interviennent jamais. L'ambition ne pourra jamais rien entamer, ni la curiosité, ni l'envie détruire quoique ce soit. Le bavardage trouve sa punition immédiate. Les larves du fanatisme, de l'ignorance et de l'imposture sont extirpées. ad 8) À chaque membre est exposé un point de vue à partir duquel il peut ”uvrer pour le tout. Il lui faut être prêt à travailler là où la postérité pourra récolter des fruits. Sa vision personnelle ne doit avoir pour lui de valeur qu'autant qu'elle promeut le bien commun. Quiconque est un homme de cette sorte, à qui tout cela semble important, est le bienvenu parmi nous : car nous ne vendons pas la vérité, on ne nous paye pas, et là où se tiennent les réunions, les membres, s'ils veulent se rassembler chaque mois, se mettent d'accord pour prendre en charge les frais de port et régler les détails. Nous ne recrutons donc pas par intérêt personnel. Il faut chercher à entrer chez nous avec désir et une confiance sans réserve. C'est seulement depuis peu que la société pense davantage

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à son expansion, car le monde malade aura toujours besoin d'aide ; c'est certainement la raison pour laquelle les fruits que nous proposons au public sont visiblement devenus plus doux. Cependant, elle a déjà publiquement ”uvré à de grandes choses, que l’on a attribué à la Fortune ou à la Bonté.

Quibus Licet d’un Illuminé du territoire de Saxe-Thuringe

TABLEAU

État, distinction, lieu de résidence, condition de fortune.

Tableau réalisé par N.N. sur son instigation. Nom de baptême et patronyme, âge, physionomie.

État et distinction, lieu de résidence.

1 er tableau réalisé par N.N. sur lui-même. Nom de baptême et patronyme, lieu, jour et année de naissance.

Fratrie.

2 è tableau de N.N. sur ses relations. Parents.

Arts, sciences, langues.

Caractère moral, orientation, mentalité, religion.

Protecteurs, amis, ennemis.

Études favorites.

Arts, sciences, langues, études favorites.

Comment il pense se rendre utile à l'Ordre.

Parents, fratrie, protecteurs, amis, ennemis, correspondance.

Personnes qu'il aimerait voir exclues de l'Ordre et pourquoi.

Correspondance.

Comment il peut être utile à l'Ordre.

Cousins éloignés.

Personnes qu'il aimerait amener à l'Ordre et pourquoi.

II ILLUMINATI 1ère Classe I. LE NOVICIAT

Lettre de confirmation d’un admissible « Je soussigné, m'engage sur mon honneur et ma réputation, en abandonnant toute réserve cachée, à ne rien révéler des affaires qui m'ont été confiées par Monsieur N., relatives à mon admission dans une certaine société secrète, à personne, pas même à mes amis les plus intimes ni à mes parents ; je m'engage à ne jamais révéler la moindre chose y ayant trait, d'une quelconque manière que ce soit, ni par mots, signes ou regards, ni autrement ; il en va de mon admission. À plus forte raison m'a-t-on assuré, avant de m'introduire, que dans cette société rien n'est entrepris contre l'État, la religion ou les bonnes m”urs. Je jure également de restituer sans délai les écrits dont je vais être avisé et les lettres qui me sont destinées, après en avoir préalablement fait les copies utiles et compréhensibles par moi seul uniquement ; tout cela, aussi vrai que je suis un homme d'honneur et que je veux pour toujours le rester. Fait le ... etc. »

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Instruction à l'usage des Insinuants ou Récipients Extrait des statuts Quand quelqu'un a établi sa lettre d'engagement, voici ce qui lui incombe : 1) Chacun doit tenir pour soi un journal où il consignera précisément tout ce qu'il reçoit ou confie à l'O, de même que ce qu'il expédie sur demande. 2) Il doit reproduire fidèlement les 1er et 2 nd tableaux qui lui ont été soumis avant son admission, puis les envoyer à l'O. 3) Il livrera de temps en temps une description exacte des capacités et caractères des personnes qu'il aimerait introduire ou voir exclues de l’O. 4) Il faut cependant souligner que les sujets présentés devront avoir bon c”ur, le désir de se former et l'amour du travail. S'ils ne sont pas encore formés aux sciences, l’O peut les y aider grâce à ses enseignements. On pourra également présenter des artistes, tout autant que des travailleurs manuels habiles et considérés. 5) Chacun doit disposer de feuilles de papier particulières et les destiner aux matières suivantes — même après l'achèvement d'une nouvelle conversation : a) Collection des caractères, actions, mentalités d’hommes instruits et importants aux époques anciennes et modernes. b) Leurs nobles pensées, leurs sentiments, leurs

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sentences et ceux de leurs livres dont la lecture est ordonnée et conseillée par l'O. Pour preuve de l'application, on doit les envoyer sur demande. c) À la fin de chaque mois, tout le monde remet à son récipiendaire un cahier scellé portant l'intitulé : Quibus licet. Il doit y indiquer : aa) Comment son récipiendaire se comporte à son égard : avec ou sans application, avec tempérance ou brusquerie. bb) S'il a des plaintes à formuler à l'égard de l'O et de quelle nature elles sont. cc) Si on lui a réclamé de l'argent au cours du mois et combien. Si quelqu'un a une plainte particulière à formuler ou une préoccupation intérieure, il n'aura qu'à l'inscrire sous l'intitulé Soli dans son Quibus licet, et s'il ne souhaite pas le voir lu par le Maître provincial, qu'il écrive au-dessus : Primo. 6) On reçoit un nom d'O. Et afin de l'employer avec profit et science, on doit rassembler et pouvoir livrer en son temps les données concernant l'histoire du personnage dont on porte le nom. 7) Les affaires de l'O seront conservées dans un contenant approprié, et un cahier portant l’intitulé Au Récipient ou Au Supérieur y sera joint. Au cas où l'on tombe gravement malade, ce dernier doit être scellé. 8) On doit conserver des copies sommaires de ce qui est expédié par l'Ordre, y compris tous les modèles de tableaux, instructions, etc. Les lettres et originaux d'injonctions doivent être retournés. Remarque : Pour l'instruction des jeunes gens qui ne sauraient pas bien écrire, il sera très facile, en guise de message, d'utiliser des feuilles volantes ; on écrira

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par exemple en haut de l'article : « Amour » et, à la suite, tout ce que l'on a rassemblé sous ce terme. Les papiers seront rédigés en alphabet. INSTRUCTIO

Pro Insinuantibus s. Recipientibus Extrait des statuts 1) Chacun a le devoir de proposer ou d'insinuer quelques membres. 2) Si un adhérent souhaite soumettre la candidature d'un sujet apte, il doit, selon les directives, en esquisser le portrait fidèle et circonstancié sous forme de tableau ou punctatim, et le transmettre à l'O par le biais de son Recipient ou du Q L. 3) Quand l'Insinuans reçoit le facultatem recipiendi (aptitude du récipiendaire), il doit se mettre à l'”uvre prudemment, afin d'établir un rapport juste et précis de tout le processus, puis attendre les prochains ordres secrets. 4) Il doit aiguiller le Recipiendum à partir de sa propre expérience et selon l'instruction de ses Supérieurs, par des conversations qui rendent aisée la transition vers un rapport d'intérêts, ou par la transmission d'opinions appropriées et édifiant l'âme, de façon à ce que le désir d'entrer dans un telle société ne naisse pas en lui d’un seul coup, mais progressivement. À cette fin, les ”uvres anciennes et modernes sont utiles. Sénèque, Platon, Cicéron, Isocrates, Marc-Aurèle, Épictète, etc. Chacun peut même proposer des livres modernes, adaptés à la tendance et au besoin du candidat, comme l'ouvrage de Abbt 3, Vom Verdienst [Du Mérite] ou les écrits philosophiques de Meiners 4, certaines ”uvres de Wieland5, etc. — en général, dans cette classe, tous les livres riches en

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images et maximes morales. En de pareils discours et actions, il est nécessaire que l'Insinuatus se dévoile, et si le candidat fait montre de zèle et de son désir d'être introduit, il doit en exprimer la demande. Mais on ne lui présentera l'engagement qu'après des demandes répétées. 5) Après l'admission, il devra néanmoins s'exprimer par écrit sur les arts ou sciences dans lesquelles il souhaite être versé. On lui fera réaliser et transmettre les tableaux. Tout cela sera remis en main propre au Supérieur ; de même sera remis au préposé, en un certain lieu, la petite somme d'argent proportionnée à sa situation, afin de couvrir les frais. Mais c'est aussi lui qui le remboursera s'il souhaite se retirer avant l'initiation. Chaque mois, en certains lieux, on verse une petite contribution, mais sans en recevoir quittance. 6) Alors, on donne à l’impétrant un nom d'Ordre, et on lui procure un pensum qu'il doit compléter avec ses lignes d'aptitudes. Ce pensum général sera lui aussi remis avant la fin de la période probatoire. 7) Afin que l'O puisse apprécier l'assiduité de l'impétrant, l'étendue de ses connaissances ainsi que sa présentation, il sera engagé à transmettre chaque mois au moins une demi-feuille d'écrits moraux ou un petit pensum de nexu sociali [sur ses rapports sociaux] qui sera composé au gré des situations. 8) Durant la période probatoire, le Recipiens détaille point par point avec son subordonné les statuts généraux de l'O et les lui explique. 9) Il lui donne également un Chiffre d'O, aisé à retenir, lui indique la manière d'écrire, comment réaliser le journal et son Quibus lic. et, si besoin est, lui donne copie de ces consignes ; il doit lire avec lui

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de bons livres, se fait montrer ses excerpta et s'efforce en général de l'éclairer et de le préparer. 10) Le Recipiens doit avoir en vue l'accomplissement le plus juste des statuts, tout déclarer à son Supérieur immédiat, mais ne pas distribuer les blâmes trop facilement. Statuts Généraux de l'Ordre Pour le soutien et la sûreté des membres de cette association, qu'ils soient potentiels ou actifs, et pour prévenir toute supposition infondée et tout doute anxieux, l'O déclare avant tout qu'il n'a nullement pour dessein d'encourager les opinions et actes portant atteinte à l'État, à la religion, aux bonnes m”urs ou aux siens. Toutes ses intentions et son effort visent uniquement à éveiller l'intérêt de l'homme pour l'accomplissement et le perfectionnement de son caractère moral, à inspirer l'esprit d'humanité et de société, à empêcher les mauvais desseins de se réaliser, à aider la Vertu opprimée et indigente contre l'injustice, à songer à l'avancement des personnes méritantes et à rendre universelles les connaissances humaines encore majoritairement cachées. Voilà le but déclaré de l'Ordre ; tout le reste compte pour rien. Si les membres devaient un jour rencontrer ici ou là quelque chose d'inattendu, ils peuvent être assurés que, contre l'usage de certaines autres associations, l'on y promet moins, mais l'on tient plus. Cependant, un membre qui voudrait entrer dans l'O dans l'espoir d'une grande puissance ou richesse future, pourrait ne pas y être le mieux accueilli. 1) Puisque, pour la conservation d'un tel but, le secours mutuel, la bonne entente et l'obéissance indéfectible sont nécessaires, les membres ne doivent

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jamais perdre de vue la fin dernière de l'O, et songer que tout ce qu'ils paraissent accomplir pour l'O sert en réalité l’avancement de leur propre bien, que tous les membres unissent leurs forces pour travailler à leur félicité mutuelle. 2) Ainsi doivent-ils se considérer les uns les autres comme les amis les plus fidèles, mettre de côté toute haine et toute envie, préserver leurs c”urs de tout intérêt personnel préjudiciable et se comporter de façon à gagner non seulement les c”urs de leurs frères, mais également ceux de leurs ennemis. 3) En se fréquentant, ils doivent s'habituer à une attitude posée, amicale et, en général, s'astreindre à la plus grande perfection intérieure et extérieure. 4) On exige de tous les membres d'aimer l'humanité, d'être vertueux et honnêtes, les arts et les sciences dont la nature nous a dotés étant faits pour cela. 5) Chaque membre doit donc propager l'industrie, l'habileté et la Vertu ; ceux qui en sont capables doivent diffuser également les arts, les sciences et le bon goût, et chercher à éradiquer ce qui s’y oppose. 6) En outre, l'O recommande avec énergie la modération, l'amour de la famille et le contentement vis-à-vis de sa propre condition (lesquels sont d'or), le respect des anciens, des Supérieurs et des hauts serviteurs de l'État ; l'amitié et l'amour envers les frères, la courtoisie et la compassion envers tous les hommes. Celui qui exige des autres le respect doit aussi aller vers les autres avec déférence et attention. 7) Remplissez vos fonctions dans la société civile avec fidélité, application et constance ; dirigez vos familles en bons pères, époux et seigneurs ; ou bien obéissez en tant que fils, serviteurs, subordonnés ; celui qui néglige les devoirs de son état et de sa

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fonction, manquera aussi aux devoirs de l'Ordre. 8) Bien que toutes les différences de condition dont on se revêt dans la société civile disparaissent au sein de l'Ordre, il est cependant nécessaire de rester dans les limites de l’étiquette, particulièrement quand des profanes sont présents, et de faire preuve de la prudence appropriée. 9) Les membres plus anciens ont acquis plus de connaissances, en ont tiré davantage profit et, pour cela, accèdent aux hauts grades ; il peuvent être Supérieurs. Aussi les salue-t-on avec une déférence témoignant d’une véritable attention et d’une haute estime, sans ramper servilement. 10) Plus la courtoisie d'un frère qui vous rencontre est grande, plus vous devez être attentif à lui rendre la pareille. Ne vous autorisez jamais la familiarité tapageuse ; vous devez vous aimer constamment, et l'expérience enseigne que rien ne coupe plus facilement l'amitié la plus forte et la plus intime qu'une trop grande égalité de niveau. 11) Les Supérieurs sont nos guides, ils nous dirigent dans les ténèbres et dans l'erreur, nous détournent des voies impraticables. La souplesse et la docilité deviennent la règle, et même la reconnaissance. Nul ne se refusera donc à suivre celui qui ”uvre pour son mieux. 12) L'O exige donc de ses membres un sacrifice de leur liberté, certes pas absolu, mais en tous les cas, s'il représente un moyen en vue d'une grande fin. Les ordres des Supérieurs sont toujours présumés conduire au but. Car les Supérieurs voient plus loin, plus en profondeur dans le système — c'est pour cette seule raison qu'ils sont nommés Supérieurs. 13) Ils connaissent les hommes, savent qui ils ont

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devant eux, et par conséquent, n'abuseront pas de leur prestige et n'oublieront jamais qu'ils doivent être de bons pères. Toutefois, l'Ordre a arrêté quelques mesures afin de se préserver des oppresseurs, des fiers, des impérieux et autres personnes du même genre. À la fin de chaque mois, en effet, tous les subordonnés donnent à leur Supérieur ou au Recipient une ou plusieurs feuilles cachetées portant l'intitulé approprié à la circonstance : Quibus licet ou bien Soli ou Primo. Sur cette feuille, il déclare : a) Comment son Supérieur le rencontre et procède avec lui. b) Quelles plaintes il veut formuler contre l'Ordre. c) Quels ordres le Supérieur lui a exprimés au cours du mois. d) Combien il a pris d'argent ce mois-là. 14) Tous les mois, chacun doit remettre ce cahier, qu'il ait quelque chose à exposer ou une plainte à formuler, ou qu'il n'ait rien à dire. Pour l'établir avec moins de peine, chaque membre se prépare, dès le début du mois, l'une ou l'autre feuille, y consignant tout ce qui lui arrive personnellement et la cachète à la fin du mois. 15) Cette règle exigeant l'envoi d'un papier est effective à tous les grades, et personne n'en est exempt. S'il est interrompu, le subordonné tombe sous le coup d'une amende proportionnée à ses moyens, de même que le Supérieur qui omet de l'envoyer ou de le réclamer en temps voulu. Le Supérieur doit le transmettre le dernier jour du mois. 16) Afin que tous les membres soient animés d'une seule âme et qu'il n'aient, autant que possible, qu'une seule volonté, des livres leur sont imposés,

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qu'ils doivent lire et à partir desquels ils peuvent se former. Par ces travaux mensuels, longs d'une demipage au moins, et à l’aide des instructions dispensées lors des réunions, les Supérieurs et les Frères auront l'occasion d'apprécier aussi bien leur présentation, que le zèle et l'accroissement de leurs connaissances. 17) Chacun est informé par son Supérieur des livres à lire. En général, on n'exclue aucun de ceux qui contribuent à former le c”ur. Pour les nouveaux, on recommande des fabulistes et d’autres textes riches en images et maximes morales ; on préfère en particulier que les membres se nourrissent de l'esprit des Anciens et qu'au final, ils pensent et observent davantage qu'ils ne lisent. 18) Le Recipient de chaque candidat est également son Supérieur. Toute personne qui s'est vue révéler l'existence de l'O et qui, dans le même temps, a fait sa demande pour entrer dans l'alliance, doit attendre les prochaines instructions de celui qui l'y a fait entrer, c'est-à-dire celles de son Recipient. 19) Tout le monde a la permission de proposer et d'insinuer de nouveaux membres. Aussi, tous les membres doivent, pour chacune des personnes qu'ils souhaitent voir admises ou exclue de l'O, tenir des fiches particulières sur lesquelles ils consignent les actes et discours révélateurs de leurs âmes ; en particulier les plus infimes, ceux où la personne ne croit pas être observée. Puisque tous les jugements que l'on exprime, de même que toutes les actions nous trahissent, il ne manquera jamais matière à pareilles notes. 20) Les notes déterminent toute la suite à donner. Il faut donc qu'elles soient très correctement établies ; qu'elles soient plus racontées que réfléchies. De ces

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notes doit immédiatement ressortir pour le Supérieur le caractère du candidat, que ce soit pour l’admission ou l'exclusivam. 21) Puisque l'homme possède deux côtés, l'un bon et l'autre mauvais, l'Ordre exige que les membres ne s'habituent pas à n'en considérer et à n’en décrire qu'un seul. L'humanité nécessite que l'on reconnaisse le bien également chez son ennemi, que l'on vante sa probité. Il ne faut pas vouloir statuer sur les hommes à partir d'une seule action ou de la seule relation qu'ils entretiennent avec nous. 22) Pour voir si les candidats effectuent ce qui a été édicté jusque là, s'ils élargissent leurs connaissances, s'ils réfutent et nient leurs préjugés, s'ils perfectionnent leur caractère moral — en un mot, s'ils veulent devenir des membres dignes —, l'O demande à éprouver leur fidélité, leur silence, leur application, leur attachement et leur obéissance. 23) Ainsi, l'O a aussi arrêté une certaine durée au cours de laquelle les candidats doivent être soumis à cette épreuve. Les jeunes gens ont une période probatoire de 3 ans, d'autres de 2 et d'autres encore, d'une seule année. Il dépend de l'assiduité de la maturité, du zèle et de l'application du candidat de raccourcir cette durée. 24) Pendant que le candidat lit les livres prescrits, il travaille à étudier son prochain, à tout noter avec application, il prend des notes selon une certaine méthode appropriée et cherche à digérer ce qu'il a lu et à le dire avec ses propres mots. 25) Nombre de notes, de remarques, beaucoup de caractères esquissés, de causeries consignées avec des gens que l'on a rencontrés parlant avec passion, de même que l'exécution des statuts de l'O et l'obéis-

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sance au Supérieur, sont la voie la plus sûre de l'avancement. 26) Parmi les observations, les remarques physionomiques, les règles découvertes, le jugement des caractères humains rendent un grand service. Mais l'on recommandera essentiellement de considérer les objets non de manière étrangère, mais personnelle. 27) Outre toute la philosophie pratique, l'O s'occupe de la nature entière et d'histoire naturelle, avec les affaires politiques et l'économie, les arts libéraux, les sciences nobles et les langues. 28) Lors de son admission, le candidat exprime dans quel art ou science il souhaite être versé ; il doit se rendre familiers les ouvrages qui vont en ce sens, en reproduire des passages conséquents, montrer ces derniers à son Recipient comme preuve de son application et les envoyer d'après les statuts. 29) Parmi les premières démonstrations de ses capacités, il y a les tâches que chacun doit traiter, décomposer et présenter au terme de sa période probatoire. 30) Lors de son admission, le candidat échange aussi son nom contre un autre, à savoir un nom d'Ordre ; il doit lire, rassembler et noter tout ce qui le concerne. 31) Puisqu'il doit s'habituer à une prudence et à une discrétion particulières, il ne fréquentera aucun membre durant toute sa période probatoire : a) Afin de ne pas pouvoir se dissimuler et, par suite, être tenu sous observation ; b) De sorte qu'il prendrait un risque à vouloir causer contre des membres de l'O ; il se rendrait ainsi coupable d'une trangression des statuts qu'il ne pourrait contester.

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32) C'est aussi pour cette raison, et parce que l'on ne sait jamais si celui avec qui l'on converse est d'un grade élevé ou inférieur au sein de l'O, qu'il n'est pas permis de parler aux membres rencontrés du moment de sa réception, des degrés, des dispenses, ni aux frères présumés de l'O de la moindre affaire relative à celui- ci. 33) Les absents écrivent à leur Supérieur tous les 14 jours, franco de port ; les assidus rendent visite à leur Supérieur au moins une fois par semaine. Si le Supérieur a du temps, il partage sa semaine entre ses attitrés ; il lit, note et conduit les causeries d'instruction qu'il a avec eux. 34) De ce que le candidat reçoit de son Supérieur, il tire tous les passages nécessaires et qui se comprennent d'eux-mêmes, puis il renvoit ou restitue à chaque fois tous les originaux. Tout ce qui est caché a plus de charme et d’attrait. En outre, les Supérieurs ont ainsi plus d'occasions de réaliser des observations. L'Ordre se préserve plus sûrement de l'infiltration des puissances inopportunes et de la présomption nourrie par la curiosité espionne. Les desseins humains et honnêtes peuvent être moins entravés, et les éclats des tyrans et des partisans, plus facilement étouffés. 35) Afin de pourvoir aux différentes missions et pour porter secours aux Frères pauvres, l'O réclame habituellement de chacun, lors des réunions, une petite contribution proportionnée à ses moyens — rien de plus. 36) Rien d'autre ne sera payé et, de même, le candidat sera remboursé si, comme il le peut, il désire se retirer avant l'initiation. Du reste, il n'en va pas de même en tous lieux, ceci valant en fonction des besoins et des circonstances. Le candidat s'apercevra très vite que, chez nous, il ne peut être question de fraude.

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37) Vraiment, on y a non seulement les mains libres, mais elles reçoivent encore l'assistance de l'O. Pour les autres, les contributions seront notées et reportées à des circonstances plus favorables. 38) Cependant, en ce que ces contributions sont extrêmement faibles, puisqu'à la différence d'autres associations où le seul fait d'entrer coûte 100 Gulden6, voire plus, on concevra aisément qu'une ”uvre si immense coûte de grandes sommes d'argent, ne serait-ce qu'en frais de port et de voyage ; ainsi espère-t-on que ces détails à réaliser et à acquitter ne soient pas trop accablants du point de vue des Supérieurs et des subordonnés.

Chiffre simple à l'usage des Néophytes m-1 l-2 k-3 i-4 h-5 g-6 f-7 e-8 d-9

c - 10 b - 11 a - 12 n - 13 o - 14 p - 15 q - 16

s - 18 t - 19 u - 20 v - 21 p. ex. 11.8.17.2.4.13 z - 22 BE R LIN y - 23 x - 24

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III ILLVMINATI. 1ère Classe II. MINERVAUX

Le médaillon en métal doré ajouré suspendu au cou des Minervaux par un sautoir vert herbe large de trois doigts — chez les Minervaux dirigeants, ce dernier est de même couleur mais un peu plus large, et se porte en bandoulière, de droite à gauche — représente une chouette tenant un volume dans ses serres. Dans ce livre ouvert sont inscrites 4 initiales : P. M. C. V.. La chouette plane au-dessus des nuées, au centre d'une couronne de laurier. Le Motto signifie : Per Me Caeci Vident [Par moi les aveugles voient]. Le signe de reconnaissance consiste à tenir la main à plat au-dessus des yeux, comme l’on a coutume de faire quand une lumière trop forte nous éblouit. La griffe que l'on fait en serrant la main d'un frère consiste en trois légères pressions exercées avec le petit doigt. Chaque année sont communiquées deux paroles. Le nom d'un lieu et celui d'un personnage. On demande par exemple : Où la plus grande lumière brille-t-elle ? Réponse : À Sagunto. Qui la voit le plus clairement ? Réponse : Hanno.

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Formulaire pour un protocole d'initiation destiné aux absents, candidats avancés qui ont des scrupules à être reçus de la même façon que les jeunes. Protocole pour l'initiation du Frère N d’O. Vous constaterez facilement, à partir des écrits de l'Ordre qui vous ont été transmis, que ce degré de l'O est fixé, de manière insigne, pour former les jeunes gens à devenir des membres méritants et vous ne serez donc pas surpris que les Supérieurs éclairés aient non seulement : 1) Arrêté pour ces jeunes gens une longue période probatoire, mais aussi : 2) Exigé d'eux une grande obéissance et une dépendance totale à l'O. Car puisque ce dernier prend chez les jeunes disciples la place des parents et des professeurs, qu'il leur promet un asile et une direction vers le bien, il importe à l'O d'être certain que chaque pas effectué par eux soit conforme aux principes de notre sainte et étroite association. Du reste, il faut envisager l'entrée dans l'O comme un contrat réciproque. En chaque candidat, l'O acquiert seulement un homme dont il n'est pas encore certain qu'il se destinera entièrement à nos buts sublimes ; l'impétrant pénètre cependant dans une société peuplée de beaucoup d'hommes honnêtes et éprouvés : l'O n'a rien de plus à espérer d'un tel ajout qu'un éventuel collaborateur assidu ; en revanche, les nouveaux entrants peuvent attendre tous les avantages de cette association solide et étendue. Et comme ces perspectives leur sont communiquées de la manière la plus désintéressée et que, enfin, toutes les obligations — exceptée celle

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d'être discret — s'éteignent aussitôt s'ils souhaitent en partir — ce qu'ils peuvent faire à tout instant — quand l'on exigera d'eux ce qu'ils ne peuvent accomplir, il est fort équitable que l'O cherche à s'assurer qu'il n'y ait parmi eux aucun membre incapable ou destructeur de l'unité du plan d'ensemble. Si les Supérieurs éclairés raccourcissent leur durée de probation, ils sont de facto admis au sein de notre société. Mais répondez d’abord : 1ère question : Quel concept vous faites-vous de cet Ordre ? 2è “ “ “ : Avez-vous pourtant songé qu'en vous imposant des obligations, vous bornerez votre liberté naturelle ? 3è “ “ “ : Avez-vous également réfléchi au fait que l'O, dans certaines circonstances, exigera de vous la plus stricte obéissance ? Que l'on ne vous rendra pas toujours compte des raisons pour lesquelles on vous ordonnera une chose qui pourrait vous être désagréable ? 4è “ “ “ : Comment réagiriez-vous si vous rencontriez un jour, au sein de l'O, une personne que vous avez en aversion ou qui vous est hostile ? 5è “ “ “ : Savez-vous maintenant ce que nous attendons de vous ? Et qu'en exigez-vous en retour ? Jusque là, le protocole sera rédigé sur des folio pour être envoyé ensuite à l'absent, outre le certificat du grade de Minerval. L'intéressé le lira dans le détail, remplira les espaces prévus pour ses réponses et rédigera sur un cahier particulier la formule du serment, dans la mesure où il souhaite le prêter. Puis il renverra le tout. Si les Supérieurs sont satisfaits, il lui sera répondu : Cette demande est honnête et raisonnable. Je

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soussigné, mandataire de l'O, vous jure, au nom de nos Supérieurs éclairés, de tous les membres et de l'O tout entier, protection, justice et assistance. Néanmoins, l'O ne répondra jamais d'un malheur que vous vous attireriez par votre faute ou pour vous être targué de la puissance et des secours de l'O. En outre, je vous assure, une fois encore au nom de l'O sacré tout entier, que vous ne trouverez chez nous rien qui aille contre l'État, la religion et les bonnes m”urs. Si vous êtes désormais résolu à entrer dans notre O, veuillez recopier ci-après le serment joint à la présente. Nom d'O de l'Initiantis. Suite à quoi l'on renvoit le protocole du candidat qui prête son serment et le signe. Statuts pour les Minervaux D'après la remarque préliminaire sur les statuts généraux de l'O, il est acquis que ce dernier vise en général l'expansion du bonheur mais aussi, en particulier, le perfectionnement du caractère humain et l'instillation d'idées plus nobles et plus dignes. Puisque le perfectionnement de l'entendement et l'élargissement des connaissances en est un moyen indispensable, ils restent la principale préoccupation de l'O au niveau de cette classe. Cette dernière, en effet, est en quelque sorte l'école à laquelle les membres se forment en vue de donner aux autres les instructions nécessaires, celle où chacun se voit mettre en main l'auxiliaire qu'il n'aurait jamais trouvé en ne se fiant qu'à lui-même. D'où sa dénomination. Mais les membres sont soit

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des apprenants, Minervaux, soit des instructeurs, Minervaux Illuminati. Les consignes et les ordres qu’il s’agit en premier lieu d’observer sont les suivants : 1) L'O, comme cela ressort des statuts, cultive tous les arts et toutes les sciences, à l'exception seulement de la théologie et de la jurisprudence dans leurs acceptions générales. Par conséquent, chaque adhérent, au cours de son existence, doit rassembler tout ce qui concerne les sciences et les arts dans lesquels il s'est reconnu versé lors de son admission, particulièrement ce qu'il y a en eux de plus rare et de plus ardu, et il le présentera au moins une fois l'an — ou plus souvent si on lui en fait la demande — à son Recipient pour preuve de son zèle et de son obéissance. 2) Chaque membre travaillant est en outre autorisé à réclamer des contributions et des moyens dans sa province pour les sciences et les arts qu'il a choisis comme principaux objets de son étude. Si l'un d'entre eux se voit prescrire par le Supérieur de son cercle une matière vraiment difficile à laquelle il a longuement travaillé, et dont il souhaiterait volontiers livrer quelque chose d'abouti, tous les membres du district sont obligés de lui communiquer l'ensemble de ce qu'ils ont déjà rassemblé sur le sujet, ou bien, au cas où ils n'auraient rien trouvé, de collecter spécialement ce qui s’y rattache et de le lui envoyer dans le délai d'un an. Chacun doit donc organiser ses notes à cette fin. La manière de noter est déjà connue. 3) Dans les grandes villes, où se tiennent davantage de réunions, des régulateurs particuliers et des listes appropriées aux arts et sciences sont distribués. De même, les membres sont affectés aux

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classes particulières d'après les sciences et les arts qu'ils ont choisis ; dans chaque branche sont dispensées des instructions. 4) L'O collecte aussi des éléments sur les bibliothèques, les matières naturelles, les antiquités, la diplomatie et tout membre doit s'astreindre à en découvrir, pour les destiner à un usage général. 5) Le Supérieur de chaque localité possède un Catalogum desideratorum sur lequel est indiqué ce qui manque à l'un ou à l'autre, ou ce qui est difficile à fournir, chaque membre étant associé pour sa recherche et pour le lui procurer. Mais, réciproquement, tout ce qui, parmi les desiderata, est listé par les membres concernant de pareils moyens, sera publié au sein du district afin de le rendre acquérable par échange, achat ou crédit. 6) Afin d'encourager davantage les membres à travailler et pour récompenser quelque peu leurs efforts, l'O pose annuellement une ou plusieurs questions accompagnées de prix : il tient à chacun d'y concourir librement ; cependant, le prix et le lancement sont fixés une fois pour toutes en fonction de la difficulté à la tâche que la question engendre. 7) Les traités doivent être rédigés proprement et remis par chacun à son Recipient ou Supérieur de réunion. La livraison en sera ensuite assurée par ce dernier. 8) Les traités, tout comme les autres travaux, discours et occupations mensuelles de l'O, ainsi que les éléments rassemblés autour du Nom d'O, restent la propriété de ce dernier, de sorte que l'auteur ne peut jamais les faire imprimer, cependant que l'O en a le pouvoir, sans préjudice pour son auteur. 9) Puisque il n'est pas possible d'organiser unifor-

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mément la librairie sur le pied anglais dans toutes les provinces et, qu'avec cela, les écrivains particulièrement jeunes ne s’attachent pas trop aux libraires, l'O reprendra à ses membres tous les ouvrages utilisables, les imprimera à ses frais et laissera aux membres la charge de leur usure, souscription et prévente : il faut entendre par là que les bagatelles, brochures manuscrites, libelles, etc. en sont exclus et que chaque auteur se soumet à une censure humble et raisonnable. Les ”uvres qui exigeraient une censure trop ferme ne seraient pas acceptées et seraient renvoyées à leurs auteurs. 10) Il a déjà été dit que pour alléger les dépenses de l'O, en particulier la coûteuse correspondance, chaque Minerval aura soin de donner tous les mois une petite somme, ce sur quoi tout le monde tombe d'accord au vu des circonstances. 11) Si quelqu'un veut accomplir un voyage ou visiter un pays étranger, il doit en aviser son Supérieur, pour pouvoir profiter des avantages de soutien, de connaissance, etc. qui sont réservés aux degrés supérieurs. 12) Si un frère tombe malade, les autres se relayent pour le consoler, le distraire, lui procurer assistance et soulagement. Si sa maladie est grave, les écrits de l'O doivent être rangés en lieu sûr et restitués une fois sa santé recouvrée. Si le fr. meurt, les membres lui témoignent les derniers honneurs, sa mémoire étant célébrée ensuite par un discours en assemblée. 13) Ce qui a été stipulé dans les Statuts généraux à propos du journal, des doléances mensuelles sous scellés, des descriptions de caractères et autres choses semblables, continue également à être effectif à ce grade.

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14) Parmi les devoirs que chacun doit principalement observer dans ce grade, où il est cherché à mener singulièrement de l’avant tous ceux qui souhaitent être promus, on compte : a) Le contentement quant à sa condition et à sa destinée. b) Une bonne économie domestique. c) Le respect et l'amour de ses parents. d) Le respect à l'égard de toute autorité de l'O comme de l'État. e) La vénération et la haute considération des Anciens. f) Le respect à l'égard de tous les instituts savants, particulièrement les écoles, les sociétés savantes et les universités ; également renforcer leur floraison et leur réputation. g) La recommandation de frères dignes et connus, leur défense contre les médisances et les diffamateurs. 15) En somme, chacun doit chercher à prêter main forte à autrui, à le mettre en possession des moyens de la connaissance et à en éclairer la voie. 16) Dans cette classe, l'O réclame d'être considéré uniquement en tant que société savante grâce à laquelle l'exemple et l'instruction rendent le c”ur meilleur et gouvernent l'intelligence. 17) Donc, lisez assidument, méditez sur ce que vous avez lu et préférez ensuite l’usage de votre propre sens à un autre qui vous est étranger ; pensez et dites à votre manière ce que d'autres ont pensé et dit ; n'admettez aucune opinion sans en avoir examiné l'origine, l'auteur et la raison d'être : entraînez-vous ainsi à accomplir la tâche ; lisez ce qui élève l'âme et émeut le c”ur ; transmettez-le aux autres ; pensez à

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mettre en pratique et à utiliser ce qui a été lu et pensé. Avant tout, explorez l'homme, non pas tant à partir des livres que de votre propre fond, en partant de l'observation des autres et des conclusions tirées de situations similaires touchant ces derniers. Cérémonie d’Initiation Doivent y être présents : Le Supérieur ou un Delegatus en tant qu'Initians. Le Secrétaire ou un autre Frère en tant qu'Actuarius [greffier] ; Le Recipiens du candidat en tant que parrain ; Le Recipiendus [récipiendaire] (Initiandus). L'initiation se déroule en soirée, volets clos, dans une pièce éclairée seulement par trois lampes. L'une d’elle est couverte d'un verre dépoli et posée sur la table autour de laquelle siègent les Deputati [députés]. Le Supérieur Initians porte également un couvre-chef vert. Deux autres lampes sont posées à quelques pas de là, sur deux consoles ou autres meubles. Les présents sont décorés de leurs bijoux d'O et aussitôt que le Recipiens accompagné du candidat, pénètre dans la maison où se déroule la cérémonie, le Supérieur lui déclare ou lit, selon ce que stipule l'instruction, qu'il a obtenu le droit d'être initié. Il lui demande ensuite s'il demande encore sérieusement à être reçu dans l'O et, si celui-ci répond que oui, on lui retire son épée et on le fait conduire par son Recipiens dans une pièce sombre privée de toute lumière. Le Recipiens l'y fait asseoir et lui déclare : « Réfléchissez ici encore une fois pour savoir si vous restez déterminé à intégrer l'O » Là-dessus, le Recipiens s'éloigne en abandonnant l'Initiandum à ses méditations.

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10 à 15 minutes plus tard, le Supérieur frappe deux coups distincts ; le Recipiens les répète contre la porte de la salle obscure dans laquelle est assis l'Initiandum, puis y entre pour demander au candidat s'il a bien réfléchi et s'il est encore prêt à sauter le pas. S'il a répondu positivement, le Recipiens, après avoir frappé deux coups et attendu ceux qui lui sont répliqués par le Supérieur, pénètre dans la pièce d'initiation en apportant la réponse du candidat, sur quoi l'Initians déclare : « Alors conduisez-le ici ! » Le Recipiens fait s'avancer l'Initiandum et lui désigne la place qu'il doit occuper, à quelque distance de la table autour de laquelle siège le reste de l'assemblée ; puis l'Initians portant la coiffe lui pose la question suivante : I.) À quoi aspirez-vous ? N. d'O, pourquoi être venu jusqu'ici ? On laisse d'abord répondre l'Initiandum, mais on lui déclare qu'il est de coutume que son Recipiens — qui prend alors la place du parrain au cours de cette scène — réponde pour lui à chaque fois, et qu'il devra toujours exprimer à la fin de ces réponses si et dans quelle mesure il est ou non d'accord. Recipiens : Membres augustes de l'O illustre. Après la période probatoire appropriée qui s'est écoulée (si l'Initiandus en a été dispensé, le Recipiens le fait se rasseoir. N. d'O l'en remercie infiniment) et après mûres réflexions, N. d'O réclame son admission et vous prie de bien vouloir l'accepter si, d'autre part, il la mérite aux yeux de l'O. II.) Initians : En vertu de vos aptitudes, qui ont été rapportées à nos éminents Supérieurs, et des preuves requises qui leur ont été transmises, vous avez été reconnu digne de devenir l'un des nôtres. Je vous souhaite bonne chance ! et je vous exhorte à exécuter

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correctement tout ce qui sera exigé de vous si vous ne voulez pas quitter l'O ni perdre les avantages de l'union fraternelle et manquer toute la finalité de l'O. Dites-moi, N. d'O, quelle idée vous faitez-vous de cet O ? Recipiens : N. d'O sait, d'après les statuts et les entretiens, que le vrai but affiché de l'O est l'entraide fraternelle, l'assistance à la Vertu opprimée, le perfectionnement du c”ur et de l'intelligence. III.) Initians : Cest là une conception juste et vrai de notre illustre O. Vous appprendrez vous-mêmes, par la conviction, les échanges et les communications, qu'il en est véritablement ainsi ; vous aurez tôt fait de voir par vous-même que son but n'est ni la puissance, ni la richesse, ni de commettre des attentats contre ceux qui dirigent le monde, ni de fomenter la chute des gouvernements spirituels et temporels. Si c'est de ce point de vue que vous vous représentez l'O, vous seriez dans l'erreur ; et pour ne pas que vous pénétriez plus avant dans ce Sanctuaire vénérable avec de tels espoirs téméraires et trompeurs, l'O, si vous le souhaitez, vous libèrera totalement par mon entremise. Vous n'aurez plus aucune obligation qu'un parfait silence. Vous êtes aussi libre qu'auparavant. Hormis le cas où il y aurait eu de votre part injure ou trahison, vous n'avez pas la moindre chose à redouter de l'O. Souhaitez-vous vous retirer ou persistez-vous dans votre décision précédente ? Ici, le candidat donne lui-même sa réponse, cette dernière étant consignée comme les autres. IV.) Initians : Avez-vous aussi pleinement réfléchi au fait que vous vous imposez de nouvelles obligations et que, de cette manière, vous bornez votre liberté naturelle ?

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Recipiens : N. d'O a tout bien médité ; il est parfaitement maître de sa volonté ; il est convaincu que l'homme est impuissant et qu’il n'est rien sans le secours des autres ; que sa totale indépendance lui serait nuisible ; que l'homme a besoin des autres en toute situation, dans toute direction et pour tout secours. C'est pour cette raison que N. d'O est entré dans cet O Illustre, pour être apte à se lier aux membres honorables qui en font partie et pour le faire plus correctement encore grâce à son introduction aux grades supérieurs. V.) Initians : Avez-vous pleinement réfléchi au fait que l'O, dans certaines circonstances, exigera de vous la plus stricte obéissance, que vous devrez vous taire et obéir à ses consignes ? Que vous aurez peut-être à supporter des ordres désagréables, qui entreront en conflit avec vos sentiments ? Recipiens. N. d'O sait que dans toute société bien ordonnée, il doit exister des supérieurs et des subordonnés ; il sait qu'en raison des faiblesses de l'individu et des nécessités de la vie en société, cela est indispensable. Il s'est d'ores et déjà imposé silence et obéissance en intégrant l'O ; pourquoi ne devrait-il pas obéir aux affaires de l'O dont il est convaincu qu'elles ne sont que bonnes, qu'elles font l'honneur de l'homme, et qu'elles ont des visées utiles, tant pour le tout que pour les membres pris en particulier ? Si N. d'O devait un jour recevoir un ordre qui, parce qu'il n'en perçoit pas la raison, lui serait moins agréable, il y obéirait cependant, car il sait que ce qui est désagréable à l'homme n'est pas toujours vraiment mauvais et que ce qui lui est agréable, n'est pas nécessairement bon. Il est convaincu que ses sacrifices n'auront pas tous une cause rationnelle, mais qu’ils seront faits uniquement pour son bien et celui de l'O.

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VI.) Initians : Certainement ! N'acceptez jamais d'ordres qui ne soient profitables, bénéfiques et éclairants ; s'ils ne tendent au but général ou ne conservent l'ordre et l'activité. Mais, encore une fois, je dois vous donner à hésiter : vous pourrez aussi rencontrer parmi les membres des personnes dont vous vous méfiez ou qui, précisément, pourraient être vos ennemis ; si vous étiez animé de cette haine privée, vous pourriez, sans désobéir aux Supérieurs ni être parjure à l'O tout entier, devenir pourtant tiède et ineffi-cace. Recipiens : N. d'O détruira pareilles animosités, il considèrera tous les membres comme des frères ; chacun, à ses yeux, semblera mériter le respect que l'O estime dû à tous les membres. VII.) Initians : Ces explications nous suffisent. Mais avant de pouvoir vous autoriser une entrée plus large au sein de l'O, je veux encore entendre les conditions sous lesquelles vous souhaitez y entrer. À présent, dites-moi : qu'exigez-vous de l’O ? Recipiens : Tandis que N. d'O, par sa soumission, transfert à l'honorable mandataire et, à travers lui, à l'O illustre son droit sur lui, il se garantit aussi auprès de l'O que ce dernier existera pour sa sûreté et son plus grand bien, autant que pour le bien de l'ensemble, qu'il se préoccupera de lui et l'aidera pour tout, en échange de quoi il s'engage à obéir à l’O, à honorer tous ses membres et à employer ses forces au mieux de ses intérêts. VIII.) Initians. Ce désir est juste et raisonnable. Je vous promets (ici, il le nomme par son N. d'O, retire son couvre-chef et se lève), en ma qualité de mandataire de l'O sublime, au nom de nos illustres Supérieurs, de tous les membres de l'O dans sa totalité, protection, justice et secours. En revanche, l'O ne

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prendra jamais sur lui le malheur que vous vous attireriez par votre faute ou par les coups que vous auriez portés à la puissance et au soutien de l'O. En outre, je vous assure, une fois encore, que vous ne rencontrerez jamais chez nous quoique ce soit qui aille contre la religion, l'État ou les bonnes m”urs. Cependant, (à ce moment là, l'Initiandus est appelé par son N. d'O et on lui pointe une épée sur la poitrine), si tu devais devenir parjure ou traître, tous les membres seraient appelés à prendre les armes contre toi. Ne crois pas que tu serais en sécurité ; là où tu fuirais, le déshonneur, les reproches de ton c”ur, la vindicte des Frères que tu ne connais pas te poursuivraient sans cesse jusque dans ton for intérieur. (L'épée est ensuite reposée sur la table). Si vous persistez dans votre décision d'être reçu parmi nous, prêtez le serment suivant : (on fait s'agenouiller l'Initiandum, main à plat sur la tête, et on lui demande de répéter littéralement le serment qui suit. La Bible est posée ouverte sur la table et à ces paroles : « Que Dieu me vienne en aide ! », l'Initiandus ôtera sa main et posera trois doigts sur la elle : « Moi, N. d'O, je reconnais devant Dieu Tout Puissant et devant vous qui incarnez le pouvoir de l'O illustre au sein duquel j'espère être admis, que je connais ma faiblesse et mon impuissance naturelles, qu'en dépit de tous les privilèges dus au rang, aux honneurs, aux titres et aux biens temporels que je peux posséder dans ma vie civile, je n'en demeure pas moins un homme comme les autres ; que tout comme j'ai reçu ceci de mon prochain, je puis le reperdre à cause de lui, et qu'ainsi, le secours et l'attention d'autrui me sont indispensables ; je chercherai par tous les moyens possibles à les mériter. Je ne ferai

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jamais usage de ma réputation présente et à venir, ni de ma puissance au détriment du plus grand bien général, mais pour m'opposer résolument aux ennemis du genre humain et de la société civile, en fonction de mes forces et de ma situation. Je promets et je fais en outre le v”u de servir l'humanité en toutes occasions, de prendre sa défense avec passion, de perfectionner mes connaissances et ma volonté, et je veux mettre mes jugements utiles au service du bien général, dans la mesure où cela sera exigé de moi pour le bien-être et en faveur des statuts de la présente société. « Je promets également un silence éternel dans une fidélité et une obéissance à toute épreuve à tous les Supérieurs et règlements de l'O. En ce qui con-cerne les affaires de l'O, je renonce loyalement à mes intérêts privés et à mon entêtement, autant qu'à l'usage illimité de mes forces et de mes facultés. « Je m'engage à considérer le plus grand bien de l'O comme étant le mien propre et je suis prêt à le servir aussi longtemps que j'en serai membre, à le servir avec mon sang, mon honneur et mon bien. Si je devais agir contre le bien de l'O illustre, par précipitation, passion ou méchanceté, je m'exposerais à toutes les vengeances et châtiments que m'infligeraient mes Supérieurs. « De plus, je jure vouloir intervenir et conseiller dans les affaires de l'O selon mes meilleures connaissances et ma conscience, en faisant le sacrifice de mon intérêt personnel. Je jure aussi de considérer tous les amis et ennemis de la Société comme étant les miens propres, et de ne pas me venger contre eux, mais de me comporter à leur égard comme me l'imposent les directives de la société.

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« Je ne suis pas moins prêt à me soucier de son accroissement et de sa propagation, de toutes les manières et par tous les biais possibles, et d’y employer toutes mes forces. « À cette fin, je me départis de toute réserve secrète et promets tout cela suivant la vraie idée de la société qui m'impose ce serment et, comme l'expression le dit : Que Dieu me vienne en aide ! » Là-dessus, il appose sa signature sur le procès verbal et le Supérieur lui déclare : 1) Que pour l’heure, il n’aura pas encore connaissance de tous les membres de l'O, mais seulement de ceux de sa classe qui se réunissent sous la direction du même chef. Qu'on le mettra néanmoins en possession des moyens de découvrir quelques uns de ceux qu'il n'a encore jamais vus. (Ici, on lui donne les signes, attouchements et mots qui sont changés chaque année.) 2) Qu'il doit, dans le délai d'un mois, envoyer une liste de ses livres honnêtes et rares ; la forme du catalogue lui sera communiquée par son Recipient. 3) Qu'il doit en même temps esquisser des réflexions sur les questions suivantes : a) Quelle finalité escompte-t-il de l'O ? b) Quels moyens veut-il employer pour parvenir à cette fin dernière ? c) Que ne souhaite-t-il pas rencontrer au sein de l'O ? d) Quelles personnes espère-t-il ne pas y croiser ? L'O voit par là à quel point un membre se représente le système tout entier et apprend à connaître des gens que l'on recommande trop souvent, sous un aspect qu'ils n'auraient autrement pas considéré en propre ou qu'ils n'auraient pas su remarquer.

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Cérémonie d’Introduction Celui qui a pour la première fois l'autorisation d'assister à une assemblée s'appelle un Introducendus. Le plus jeune des Minervaux est chargé de dire, lors de son entrée en réunion, qu'un fr. est dans le vestibule. (Le Parrain ou le Censeur doit cependant lui déclarer auparavant que celui-ci n'a pas le droit de prendre part à la réunion avant qu'on ne vienne le chercher.) Aussitôt que le dernier Minerval a annoncé cela, le Supérieur dépêche le fr. Censor pour examiner s'il s'agit bien d'un vrai frère. Le Censor fait le signe d'éblouissement, sort, réclame au nouvel entrant les mots et le signe, rentre à nouveau après avoir frappé les deux coups habituels et entendu leurs répliques venant de l'intérieur, et proclame : « Il a prouvé par les mots, signes et attouchements qu'il est un vrai frère ! » Le Supérieur ordonne alors qu'on le laisse entrer ; et le Censor va le quérir. En entrant, le Censor et l'Introducendus font le signe d'éblouissement, de même que les frères présents, jusqu'à ce que le Supérieur y réponde. Ils s'approchent ensuite de la Pyramide, devant laquelle ils s'inclinent, et vont se poster devant le plateau du Supérieur. Après que le Supérieur ait exigé les mots et le signe de l'Introducendo, il lui demande s'il veut accomplir avec fidélité et sans réserve secrète ce à quoi il s'est engagé lors de son initiation. Si sa réponse est affirmative, le Supérieur l'invite à s'agenouiller, à poser les trois doigts de sa main droite sur le c”ur et à répéter ceci : « Je jure devant Dieu, aux Supérieurs et à mes frères bien-aimés d'accomplir tout ce dont je me suis chargé lors de mon initiation et ce que j'ai promis par écrit en engageant mon honneur. »

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Le Supérieur le fait alors se relever, l'embrasse et demande au fr. Quaestor le sautoir de l'O et son symbole, qu'il lui met autour du cou, puis il lui explique que l'on remet ce bijou d'O à chaque membre de cette classe, non comme si l'on cherchait par là la grandeur et le prestige ou que les fr. voulaient s'accoutumer aux décors et aux signes de respect, mais bien plus afin qu'ils apprennent à considérer que seule la Vertu et la science peuvent donner droit à la noblesse et aux privilèges, que les signes extérieurs sans la valeur intérieure de l'âme n'illuminent jamais une intellligence éclairée et qu'ils ne doivent jamais lui ôter ni ses souhaits ni ses désirs. Un vrai sage doit partout chercher la beauté de l'âme, sans prévention ni adoration servile de la réputation extérieure, et s'élever au-delà des préjugés vulgaires. Le sautoir auquel est suspendu le symbole de l'O possède une double signification : il symbolise premièrement les chaînes du préjugé qui ont lié notre entendement depuis notre jeunesse et, deuxièmement, l'attachement de liens amicaux et grégaires par lesquels le fanatisme est d'autant plus aisément détruit que les forces sont unies ou grâce auxquelles on peut, soimême et les autres, conquérir une hauteur spirituelle où l'on ne fait que rarement un seul homme. L’être humain abandonné à lui-même n'a pas assez de puissance ni de forces pour réaliser cet ”uvre, il éprouve à chaque occasion la nécessité de s’unir aux autres et d'une entraide sociale où lui-même n'est pas indispensable. L'oiseau de Minerve, allégorie de la Sagesse et de la recherche nocturne, doit nous rappeler au travail et à l'action sans lesquels on ne peut rien faire de grand. Même un sage pourrait la déshonorer : aussi doit-il s'examiner, quand il porte ce symbole, afin de

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voir s'il n'a commis aucune action qui le rendrait indigne d’elle, de cette union. Pour que chacun puisse s'examiner à tout instant, on ne laissera pas entrer tous les fr. en même temps, mais l'un après l'autre. Après quoi le Supérieur prononcera une phrase, soit en improvisant, soit celle qu'il aura écrite avant, et le Censor lui désignera sa place. Statuts et cérémonies pour l’assemblée des Minervaux Les jours de réunion sont déterminés par le calendrier. Des assemblées extraordinaires sont fixées (commandées) par ordre des Supérieurs ou selon les circonstances. Le temps et les conditions des réunions dépendent de la disposition des locaux. Le Supérieur le fait annoncer à autant de Frères que nécessaire. Si le nombre de membres devient trop conséquent dans un lieu donné, on organise davantage de réunions sous le même commandement, ou sous un autre. Le lieu de réunion doit être protégé par un vestibule verrouillé. C’est par lui que l’on accède à la salle d’assemblée ; les autres issues devront être condamnées et gardées contre les indiscrets. Dans la salle sont posées trois petites tables ; l’une est située en hauteur, là où le Supérieur et les invités siègent, légèrement en retrait ; la deuxième est située plus bas avec une chandelle et sert au lecteur attitré ; la troisième est installée à quelque distance sur le côté de celle du Supérieur ; on y met une bougie de cire : c’est à elle que prennent place les officiers de Chancellerie. Sur la table du Supérieur se trouve la lampe blanche à abat-jour ; aux pieds de son plataeu est adossée une représentation de Pallas et, de part et d’autre de celle-ci sont disposées les deux lampes à verres colorés.

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De cette table aux autres, qui sont installées en contrebas, se trouvent les sièges où les membres prendront place. Au centre se trouve la pyramide. À droite du Supérieur qui préside, on aura mis une chaise vide. Au début, la pièce n’est éclairée que par trois lampes. Les membres se réunissent dans le vestibule ou dans une autre salle, en attendant que le Supérieur les appelle l’un après l’autre par le signal. Si le Supérieur n’est pas déjà dans la salle de réunion, il annonce aux présents : « Chers Fr., l’heure de nos travaux est venue. » Làdessus, il rentre, tête couverte, et revêt son bijou d’O. Cependant, s’il est déjà dans la salle de réunion, il donne un signal par deux coups et le Censor annonce : « Chers Fr., le travail nous appelle ! » Après deux coups auxquels il doit être répondu par le Supérieur, il entre tête découverte, s’incline devant la pyramide et fait le signe d’éblouissement au Supérieur qui ne se découvre pas et reste assis ; il se dirige ensuite vers sa place, à droite du Supérieur où il occupe la première chaise du rang, et met son bijou d’O. De même, le Cancellarius ou, à défaut, le Quaestor vient à sa suite au signal des deux coups, lesquels doivent toujours être répétés à l’extérieur et répliqués de l’intérieur. Le Cancellarius s’assoit à sa place, le Quaestor, en-haut à gauche sur la première chaise. Puis le Secretarius entre et va prendre place à la table de Chancellerie ; les autres membres entrent ensuite un par un, en commençant par le plus ancien initié. Le dernier verrouille la porte. Quand il est procédé à une intronisation, c’est le Censor qui s’en charge. Les coups sont produits à l’aide d’une clé. Une fois tout cela effectué, l’introduction peut avoir lieu. Quand tout le monde est assis et fait silence, le Vénérable se lève, salut les présents en ôtant

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son couvre-chef, le faisant passer du visage à la poitrine, puis se recouvre la tête, se rasseoit et dit : « Cher fr. Censor, l’assemblée est-elle à couvert ? » Le Censor fait une révérence et le signe d’éblouissement, examine et vérifie la serrure de la porte, puis revient sur ses pas, fait le signe, une révérence et dit : « Illustre Supérieur, l’assemblée est à couvert. » Le Supérieur : Cher fr. Censor, il ne suffit pas qu’elle le soit ; commencez votre office : voyez si aucun fils des Ténèbres n’est présent parmi nous. Éloignez tous les profanes. Le Censor s’avance, s’incline, fait le signe d’éblouissement et dit : « Fr. Quaestor, donnez-moi les mots de passe. » Le Quaestor s’exécute et tous les autres suivent en donnant au Censor, qui va de l’un à l’autre pour se les faire dire à l’oreille et à voix basse. Ces mots sont : Έκάς, Έκάς, εστέ βέβηλοι 7 Une fois cela vérifié, le Censor annonce, avec le cérémonial habituel : « Illustre Supérieur, il n’y a dans cette assemblée aucun fils des ténèbres. » Là-dessus, le Censor donne également les mots de passe au Supérieur qui les reçoit debout et tête découverte. Si le cas doit néanmoins se présenter que quelqu’un ne puisse donner les mots de passe, le Censor, au lieu des paroles ci-dessus, dira : « Illustre Supérieur, il y a parmi nous un fils des ténèbres. » Le Supérieur répondra alors : « Nous ne le reconnaîtrons pas tant qu’il ne se fera pas reconnaître de nous ; réclamez-lui une nouvelle fois les mots et corrigez-le. » Le Censor s’exécutera et lui imposera comme amende pour sa défaillance l’équivalent d’un mois de cotisation. S’il ne peut toujours

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pas donner la formule, tous les présents s’écrieront : Έκάς, Έκάς, οστις αλυτρος8 . À ces mots, le défaillant sera contraint de quitter la réunion séance tenante. Une contribution prélevée sur la caisse des nécessiteux pourra lui être rendue, avec l’accord du Supérieur, au cours de la même réunion. Une fois que tout cela est effectué, le Supérieur frappe les deux coups habituels, retire son chapeau de la façon indiquée plus haut, et après s’être recouvert la tête, proclame en ôtant l’abatjour de la lampe : « Chers fr., qui parmi vous peut voir la Lumière ? » Tous les fr. font le signe d’éblouissement jusqu’à ce que la lampe soit recouverte par l’abat-jour. Le Supérieur : Vous voulez voir la Lumière, mais vos yeux sont faibles. Celui qui veut voir la Lumière doit avoir le c”ur pur ; pure doit être sa raison, pures ses pensées, ses mots et ses actions. Qu’il observe nos préceptes sacrés. Cher frère Censor, n’avez-vous aucune plainte à formuler contre les frères présents ? Sont-ils purs en pensées, mots et actions ? Le Censor : Illustre Supérieur, si je dois diriger les autres, suis-je pour autant pur en pensées, mots et actions à leurs yeux ? Si alors le Supérieur a une plainte à formuler contre le Censor, il lui donne le cahier de doléances portant le titre : Améliore-toi et change. Si au contraire il n’a aucune plainte, il dit : « Je te trouve honnête ; est-ce néanmoins le cas des autres fr. ? » Sur quoi le Supérieur frappe ses deux coups et interpelle le Quaestor : « Cher fr. Quaestor, si les Fr. ont le c”ur pur, assurez-vous qu’ils aient pitié des frères pauvres. » Alors le Quaestor se lève, prend le tronc à aumônes et la présente avec une révérence au Supérieur en disant : « Ayez pitié des fr. pauvres ! » Il doit toujours tenir son chapeau devant l’ouverture de

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la boîte afin que nul ne puisse voir ce que chacun y verse, puis il fait le tour du rang. Il dépend du gré de chacun de donner ce qu’il veut. Mais il doit donner quelque chose. Il est bon de souligner qu’en assemblée, chacun est nommé par son Nom d’O ou par son titre de charge. Pendant que le Quaestor fait ainsi le tour, les deux chandelles sont allumées, et une fois accomplie cette ”uvre de charité par l’assemblée, le Supérieur, par deux coups, donne le signal d’ouverture de la réunion. Quand personne n’est expressément désigné pour le faire, le plus jeune fr. donne lecture d’une ode pour l’élévation de l’âme. Ode à la Sagesse 9 Enfin chuinte le fidèle oiseau nocturne À présent qu’il fait nuit Aux tourelles désertes Où, certes, jusqu’à la fin du jour, Il sommeille, philosophe solitaire, Dans les ruines, le lierre et la crainte. La voix solennelle fait appel, Éveille, hèle les environs, L’air vide lui rendant ses échos. Je l’entends, je t’ai entendue Aimée de Minerve, me convoquant Au trône de la Sagesse. Elle aime le calme de la nuit fraîche ; Quand rit la pâle face de la Lune, Nul apparât ne trompe. L’obscurité de la folie Porte l’habit brillant du soleil Et sa robe colorée.

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Ô Pallas, déesse des Arts, Source de mes joies dont la grâce Nous rend gais et meilleurs ; Toi, d’une sublime beauté, Vénérée autant qu’adorée, Tu domptes les mortels ! L’âme silencieuse, je vole vers Toi, Tandis que ta poitrine offerte N’exprime aucune passion ; Le souhait vain des insensés fuit Mon c”ur qui te prête allégeance, Et respire l’air meilleur. Que mon v”u au pied de Ton Trône Ne soit pas la gloire paonesque La pompe du bonheur, la couronne De Cythère. Que ce jeu de dupes Soit le salaire des âmes trompeuses Pour leur fierté, leur vanité, leur avarice. Ô Toi qui donne les plus grands biens, Ma favorite, aimé par Toi, Pour être beau, par Junon. Rien n’est riche comme un désir comblé Rien n’est fort comme dans ma poitrine Sauf le Seigneur au-dessus de moi. Quand l’éclat du bonheur se ternit Les roses de notre envie se fanent Peut-être à peine écloses ; Car l’Immortelle se rit de nous ;

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Ton laurier en dépit du temps Toujours fleurissant, vert. Sous Ta protection je méprise Les mots de la stupide insulte Que me fait l’insensé ; Son gras sarcasme ne m’atteint pas Ni le ton fin de la malice Qui me décoche de faux traits. Je fuis vers Toi, avec gaieté, Les tourments de notre pélerinage Envie, tapages, peines, luttes À la paisible halte nocturne Où flotte la sainte ombre de Platon Éternellement belle, comme Toi. J’entends le flux de l’Illisus10 Fumant me dire ce qui est bon Beau et accompli. La sage bouche guidait Athènes, Le jeune homme l’écoutait, ravi, Plein d’une crainte respectueuse. Elle lui donnait les solides vérités Brisait sa liberté sauvage, Il la sentait ”uvrer ; Le bruit des passions se taisait, Le goût de Vertu dominait D’une force caressante.

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Elle me guide dans le labyrinthe De la vie, où par l’erreur aveugle Ma raison se disperse ; Quand pour moi elle dissipe le Mal, Et me mène par toutes les ténèbres Au bonheur et au bien. À son regard pers l’éphémère L’ombre de bonheur du fou fuit, Visage trop coloré : Elle voit, malgré son déguisement, Que tout, tout n’est que vanité Exceptée la Vertu. Après avoir donné lecture de cette ode, celui qui en était chargé retourne à sa place. Sur ce, le Chancelier ou le Secrétaire publie les ordres, missions, demandes, etc. Après cela, on donne lecture des Statuts, à savoir d’abord les généraux puis ceux du grade ; parfois aussi, seulement ceux-ci ou ceux-là, selon les circonstances. Puis le Supérieur déclare : « Les préceptes de nos sages fondateurs nous unissent, chers fr., pour rendre notre esprit meilleur et l’éclairer lors de nos assemblées. Alors, écoutez d’abord les enseignements de la Sagesse que j’ai fait miens, puis dites-moi avec quelle nourriture vous sustentez votre esprit. » Là-dessus, le Supérieur lit un quelconque beau passage tiré de la Bible, ou bien encore de Sénèque Épictète, MarcAurèle, Confucius, etc. Cet extrait doit être choisi en correspondance avec les vices enracinés qu’il convient de transformer. Une fois cette lecture faite, le Supérieur dit : « Je vous ai nourri — et moi avec —

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de l’Esprit des Anciens, de la Bible. N’y a-t-il personne parmi vous qui souhaite nous instruire de son propre travail ? Sur quoi les fr. donnent lecture des travaux qu’ils ont eux-mêmes accomplis, ou de ceux qui ont été envoyés par d’autres. Ensuite, chacun se lève l’un après l’autre aux deux coups du Supérieur et se voit interrogé comme suit : 1) Quel livre lit-il ? 2) Qu’est-ce qu’il a lu dans l’intervalle ? 3) En particulier, qu’a-t-il découvert de clairement profitable ? 4) Quels travaux a-t-il accomplis pour l’Ordre ? Puis, le conférencier désigné pour ce jour de réunion lit un discours ou un traité qui doit être d’ordre pratique et ne pas consister en éloges. Lors de certains jours de fête, c’est le Supérieur lui-même qui prononce le discours. Il aura soin, en général, de choisir un petit texte à lire souvent avant de clôturer la réunion. Quand tout cela est fait, le Supérieur frappe les deux coups habituels et dit : « Chers fr., il fait clair dans mes yeux et dans mon esprit ; pouvezvous aussi voir la Lumière ? » Sur quoi il ôte l’abatjour de la lampe. Les Fr. se lèvent, la considèrent un instant et font tous avec le Censor, exception faite du Supérieur, le signe d’éblouissement, quand celui-ci leur dit : « Vos yeux voient plus clairement, votre esprit est plus joyeux ; vous avez fait un pas de plus en direction de la Lumière ; mais vous n’avez pas encore dissipé en vous toutes les ténèbres et toute timidité. Allez, et préparez-vous encore au Grand Jour de la Lumière ! » Là-dessus, il souffle la lampe, se lève, salue les fr. tête découverte et ajoute : « Frère Censor, instruiseznous d’une maxime. » Le Censor en dit une, après

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quoi le Supérieur signe le procès-verbal et le met sous scellés avec les autres documents. Ainsi se conclut la réunion ; les membres peuvent ensuite se réjouir autour d’agapes, dans la même maison ou ailleurs. Mais il faut ici remarquer : 1) Qu’elles ne seront pas payées sur la caisse. 2) Que l’on ne pourra consommer ni plats de viandes ni bière, mais seulement des fruits, du pain et du vin que l’on aura néanmoins coupé d’eau. 3) Que la mesure et la moralité la plus stricte doivent y régner. A) La peinture accrochée au-dessus du siège du Supérieur doit représenter l’oiseau de Minerve montée sur la tête de méduse, avec un casque, un bouclier et des lances. B) C’est le symbole du tapis couché au sol, sur lequel une pyramide est peinte.

Gravure de Pierre-Philippe Choffard (1730-1809) tirée du Jugemen de Pâris de Barthélémy Imbert. (Amsterdam, Paris, 1772)

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CALENDARIUM

L’année de notre chronologie commence après le 21 mars. Les jours restants sont reportés sur notre mois suivant. Le 1er mois, Pharavardin 11 , du 21 mars à la fin avril, est de 41 jours. Ses jours de fête sont a) le premier jour du mois, soit le 21 mars et b) chaque nouvelle lune. Le 2e “ “ “, Adarpahascht, mai. Sont sacrés a) chaque nouvelle lune, b) le 7 e jour. Le 3e “ “ “, Chardad, juin. Sont sacrés a) chaque nouvelle lune, b) le 24e jour. Le 4e “ “ “, Tirmeh, juillet. Chaque nouvelle lune y est sacrée. Le 5e “ “ “, Merdedmeh, août. Comme au-dessus. Le 6e “ “ “, Schaharimeh, sept.. Sont sacrés a) chaque nouvelle lune, b) le 28e jour. Le 7e “ “ “, Meharmeh, oct.. Chaque nouvelle lune y est sacrée. Le 8e“ “ “, Abenmeh, nov.. Comme au-dessus. Le 9e “ “ “, Adarmeh, déc.. Jours sacrés a) chaque nouvelle lune, b) le 21e et le 27 e jours. Le 10e “ “ “, Dimeh, janvier. Jours sacrés a) le premier, b) chaque nouvelle lune. Le 11e “ “ “, Benmeh, février. Chaque nouvelle lune y est sacrée. Le 12e “ “ “, Asphandar, mars. Ne comporte que 20 jours. Sont sacrés chaque nouvelle lune et le dernier jour ou Jour de l’Équilibre entre le Jour et la Nuit. Les jours sacrés désignent par excellence ceux auxquels sont consacrés les petites et grandes assem-

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blées de l’O, et ceux destinés aux travaux des fr. Pour l’O. La chronologie elle-même, ainsi que l’expression Jezdegerd 12 sont tirés d’une époque remarquable de l’O. On écrit ainsi par exemple, au début du printemps de l’année du Seigneur 700 : 70 Jezdegerd. La chronologie authentique et originelle remonte incomparablement plus loin, comme cela sera démontré en son temps. Remarque Quand le début du printemps tombe plus tôt ou plus tard que le 21 mars, on commence à compter l’année au jour où le Soleil entre en conjonction avec le signe du bélier, et l’on rattache les jours qui restent au premier de nos mois. Le 29 Pharavardin 1153 correspond au 18 avril 1783. 700 Dont on retranche 70 630 Plus 1153 ce qui donne 1783

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IV ILLUMINATI 2e Classe

I. Le Petit Illuminé (Illuminatus minor) Instruction pour les Supérieurs des Petits Illuminés Il est déjà acquis de ce qui précède, que l’on doit attendre de ce grade la première instruction en vue de la formation et de la conduite des Minervaux, que la grande majorité de ces derniers doivent avoir reçue à ce grade. C’est là que commence à proprement parler la formation initiale. Par conséquent, si un Supérieur souhaite présenter quelqu’un au Supérieur direct, il faut qu’il soit, parmi les Minervaux dirigeants, le meilleur, le plus zélé et le plus travailleur. Après en avoir reçu l’autorisation, il fixe un jour pour la réception. À ce propos, il convient de souligner : 1) Que le nouvel admissible ne doit pas savoir qu’il est proposé à un avancement. 2) Qu’on se réunira comme lors d’une assemblée de magistrats. 3) Qu’un député sera préalablement nommé, lequel devra établir le rapport suivant (annexe A).

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4) Qu’une chaise restera vide à quelques pas aux côtés du Supérieur. Cependant, cette réunion est extraordinaire et réservée aux réceptions ; elle n’est pas fréquente. Les assemblées ordinaires se tiennent également tous les mois, un jour déterminé par les Supérieurs. Le discours de réception consiste ici en un texte portant sur des passages obscurs et encore à travailler, à partir duquel les Minervaux de cette classe produisent des commentaires et des discours pratiques ; le thème est donné par le Supérieur ; à chaque réunion, un discours de ce type doit être lu. Puisque l’objectif final de cette classe est de former des gens à conduire et à guider les Minervaux vers l’esprit et les principes de l’Ordre, il faut : 1) Que chaque Illuminatus minor puisse prendre en charge deux ou, selon ses dispositions et le bon gré du Supérieur, trois voire quatre Minervaux, en suivant les consignes et les ordres du Supérieur ; qu’il puisse d’autre part choisir aussi ceux pour lesquels il est le plus apte de tous. 2) Qu’il inculque à tous ses candidats les principes contenus dans ce grade, qu’il les forme en ce sens et qu’il y consacre tous ses soins. Ils doivent devenir son propre objet d’étude attentive ; par eux, il s’exercera à connaître les hommes. 3) Qu’il aille leur rendre visite quotidiennement ou que ceux-ci viennent le voir. Il doit être attentif à toutes leurs inclinations, paroles, gestes, défauts et vertus. 4) Que lors des assemblées, il lise les observations qu’il a faites durant le mois écoulé ; qu’il indique comment il lui a appliqué les préceptes soulignés ici, quelles conséquences en résultent et comment il pourra les employer, ce qu’il y faudra changer, etc.

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Ces observations ne doivent pas êtres menées à la légère et avec relâchement, l’attention devant au contraire être dirigée sur les plus fines subtilités. Il serait inacceptable que quelqu’un recourt à une échappatoire quand il n’aurait rien remarqué de plus durant le mois en cours : car puisque tout homme doit parler et agir durant tout un mois, ne rien pouvoir produire trahirait ouvertement la paresse de l’observateur et le Supérieur ne saurait tolérer pareille négligence. Chacun doit ramener avec lui ses observations et les conserver pour un usage futur. 5) Que si quelqu’un a un doute quant à la manière dont il doit procéder avec son subordonné, il puisse requérir l’opinion des autres membres et qu’il parle ensuite de toutes celles qu’il s’est forgées. Après avoir accompli ce travail, on le couche sur la papier et on le met en ordre dans le tableau dressé par les Minervaux magistrats ; on l’aura mis au propre et expédié au Supérieur direct. Ce ne peut pas être un Minerval qui n’aurait été mandaté pour l’instruction d’un Illuminé ou que l’on n’aurait que partiellement intégré à cette assemblée. Le Supérieur note dans son compte-rendu établi pour son Supérieur direct, dans quelle mesure les Illuminati minores ont mis en ”uvre leurs instructions. Entrent ici aussi en jeu les petites choses moins importantes concernant la classe des Minervaux ; elles seront consignées et expédiées. Et puisque le Supérieur participe à toutes les réunions de Minervaux et d’Illuminés quand elles se déroulent dans le même lieu, c’est lui qui sera le référant ordinaire de son assemblée : mais toute assemblée de Minervaux où celui-ci fera défaut se verra désigner un autre référent.

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Hormis l’instruction qui suit (annexe D) et celle pro recipiendibus, les Illuminati minores ne conservent rien par-devers eux. Cependant, tout un chacun peut, aussi souvent qu’il le souhaite en salle de réunion, lire en compagnie de son Supérieur les annexes A, B et C, mais jamais il n’en emportera chez lui le moindre exemplaire. Puisque dans cette classe commence la formation fondamentale, le Supérieur ne pourra jamais assez inculquer à tous les présents la plus grande rectitude et la plus grande ponctualité vis-à-vis de leurs subordonnés. Ici, une indulgence et une bonté trop grandes, voire précisément la négligence et la paresse, seraient un crime dont l’influence aurait des conséquences désastreuses, tant sur les grades inférieurs que supérieurs. — Aussi, la plus extrême vigilance est de rigueur à l’égard du troupeau qui nous est soumis et confié. Par conséquent, c’est au Supérieur et à lui seul de faire le plus correctement possible les tableaux concernant les membres de cette classe et d’y noter soigneusement comment se comportent ses gens dans l’éducation selon les règles édictées. Pourtant, ne croyez pas que le Supérieur, qui mène des hommes et les forme durablement, puisse avec cela suivre toutes leurs lenteurs. Les hommes sont éduqués par des encouragements continuels, raisonnables, donnés au moment opportun, par de bons exemples et une attention persévérante. L’”il du berger fait prospérer le troupeau, et la prévoyance d’hommes bons, vigilants et infatigables produit des hommes bons. Alors si vous voulez récolter, cultivez votre champ, prenez soin de lui et patientez jusqu’au temps des moissons et de votre récompense.

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Annexe A Allocution pour l’admission d’un Illuminati minoris Il a déjà été dit précédemment qu’un Député présente le candidat à son insu, afin de demander son avancement. Le Député : Illustre Supérieur, j’ai une communicationà vous faire. Le Supérieur : Sur quoi porte-t-elle ? Dép. : Un membre de notre illustre O, de la classe des Minervaux, désire être promu. Sup. : Être promu dites-vous ? Cela dépend de lui, de ce qu’il a ou non accompli ce qu’exige son avancement : les renseignements qui m’ont été transmis à moi ainsi qu’aux autres Supérieurs n’indiquent pas qu’il se soit suffisamment distingué pour réclamer son admission dans la classe des Illuminés. Dép. : C’est déjà un homme expérimenté, chez qui cette inquiète attention est très présente. Sup. : Il peut avoir beaucoup vécu, mais ce dont il a besoin pour atteindre notre fin, il ne l’a pas vécu : il peut avoir vu tout ce qu’il voudra dans le monde ; aussi le considérons-nous, du pointde vue de notre but, comme quelqu’un qui a besoin de notre direction et de notre conduite. Il peut avoir vécu énormément de bonnes choses, mais aussi des mauvaises. Celui qui s’en est porté garant ne doit pas se séparer de lui. L’expérience du monde est bénéfique, mais elle n’est pas encore l’expérience vécue au sein de l’Ordre. Chaque situation requiert des instructions et des consignes spécifiques ; celui qui ne se soumet pas à notre doctrine n’a aucune valeur à nos yeux.

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Dép. : Il n’a pas seulement l’expérience du monde : il est aussi Maçon et, par conséquent, il possède une certaine connaissance des écoles secrètes de sagesse. Sup. : Si tel est le cas, il aura également appris que ceux-ci promettent souvent beaucoup mais tiennent peu leurs promesses. Pourtant, a-t-il déjà été satisfait par la franc-maçonnerie ou par une autre société secrète ? Pourquoi n’y est-il pas resté ? Que vient-il chercher parmi nous ? Dép. : Une meilleure instruction ; mais il croit que nous pourrions peut-être aussi tenir nos promesses. Sup. : Ce sont là les paroles d’un homme qui a souvent été abusé dans ses grandes espérances. Peut-il néanmoins nous juger de même avant d’avoir connaissance de la fin dernière ? Dép. : Il ne perçoit encore chez nous aucun signe distinctif de l’importance de la tâche. Il souhaite en avoir des preuves. Sup. : Nous ne lui en donnerons pas, nous ne lui promettons rien et cela doit déjà constituer une preuve pour les gens perspicaces. Il nous faudrait trahir ce que nous devons soigneusement taire si nous voulions le convaincre avant le temps de la grandeur de notre institution. S’il n’a pas foi en notre probité ni en notre sagesse, qu’il pense ce qu’il voudra. Est-il trop inquiet pour patienter jusqu’au résultat ? Ne veut-il rien accomplir pour accélérer le développement de l’Ordre ? Qu’il reste alors où il est et qu’il nous juge comme il lui plaira. Nos fondations ont été coulées de telle sorte que la prévoyance soucieuse et la formation de nos frères seraient risibles si elles n’étaient le prélude à de grandes choses. Il nous est égal d’avoir beaucoup ou peu d’initiés. Nous ne prions personne de rester parmi nous. Nous n’avons que faire de l’argent ou de la

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puissance et de la renommée. Tous les hommes qui ne sont pas formés à nos desseins ne nous sont d’aucune utilité. S’il dit tout cela de nous, qu’il s’en tienne au but qui lui a été exposé dans les Statuts généraux de l’Ordre. S’il ne croit pas que tout ce que nous faisons conduit à ce but, qu’il sorte. Dép. : Mais de cette manière, nous gagnerons bien peu de membres... Sup. : Nous n’en voulons ni n’en cherchons pléthore. L’O ne consiste pas dans la quantité. Un seul homme se conformant à nos perspectives a plus de valeur que mille personnes agissant de leur propre chef, et un seul qui ne se comporte pas selon les Statuts peut, par son mauvais exemple, entraver et détruire l’Ordre tout entier. Dép. : Cependant, comment pourrait-on atteindre de grands desseins sans un grand nombre d’exécutants ? Sup. : Ce à quoi nous aspirons ne sera pas accompli par le nombre. Le travail est meilleur quand il est effectué sur plusieurs siècles, avec une marche assurée, que lorsqu’un faux-pas détruit le travail de plusieurs centaines d’années. Dép. : L’on ne voit encore nulle part le fruit de notre travail. Illustre Supérieur, ce ne sont pas là mes doutes : je parle au nom d’un autre. Sup. : Peut-être que le fruit de notre travail consiste en ce que le monde ne soit pas encore plus mauvais. Celui qui souhaite tout faire d’un seul coup ne fait rien. Les grandes transformations sont provoquées par d’infimes préparatifs. Ce que nous accomplissons doit être pérenne. Le temps lui appartient. Aussi longtemps que vous ignorerez cela, vous ne serez pas encore l’homme qui doit désirer davantage.

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De quelle aide peuvent être les expériences pour un homme qui n’a encore rien vécu ? Les fruits ne sont jamais donnés trop tard quand ils doivent durer. Dép. : Mais personne n’entend parler de notre ligue. Sup. : Il ne le faut pas non plus. Une partie de notre force réside dans notre dissimulation. Et à tout prendre, on ne nous connaît que trop et nous avons été suffisamment infiltrés. Dép. : Cette dissimulation éveille chez mon ami le soupçon que l’O serait une chose nouvelle. Sup. : Il est également en droit de le penser ; il peut même croire que nous l’avons nous-mêmes fondé. Celui qui vient chez nous par amour de l’Antiquité, mais qui ne s’enchaîne pas au bien de la cause, n’est pas le bienvenu. Puisque, de toute façon, nous ne pouvons lui donner pour le moment aucune explication à ce sujet, chacun ne pourrait-il pas se considérer lui-même comme fondateur de cette société ? Puisset-il se voir comme le premier bienfaiteur de l’humanité ! Il y a plus de grandeur à planter un arbre pour la postérité quand on ne peut plus se reposer soimême à son ombre, que de jouir des fruits de nos grands-parents sans continuer à planter. Ce n’est pas parce qu’il remonte à l’Antiquité que notre O Illustre est bon. Il a encore produit bien peu de choses par rapport à ce qu’il reste à faire. Mais votre candidat semble craindre le travail : il s’assiérait volontiers à la table dressée pour jouir du travail des autres. Dép. : Ce n’est pas ce que je souhaite. Mais il désespère de progresser au sein de l’Ordre si l’on n’y emploie que des hommes parfaits. Sup. : En ce cas, nous serions morts depuis longtemps. Nous restons toujours des hommes ; et beaucoup de faiblesses subsistent sans doute encore en

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nous. Nous sommes contents quand, avec le temps, les défauts diminuent. Mais nous pouvons aussi être fiers de ce que notre alliance se maintienne aussi pure que peut l’être une institution humaine. S’il a découvert parmi nous des hommes immoraux, ce n’est certainement que dans les grades inférieurs, là où l’on doit prendre le risque de ce qui peut advenir des personnes et, si ces dernières échouent, on peut les exclure sans toujours faire preuve de discernement. Mais elle ne pourront jamais nuire à l’O, et même avec toute la puissance et les richesses du monde, il leur serait impossible de s’élever parmi nous. Plus les degrés sont élevés, plus purs et éclairés sont nos membres, mais également plus rares. Au plus haut grade, ils ne vivent plus que pour la perpétuation ; les Mystères créés sont certainement utiles à très peu d’hommes. Pour les atteindre, l’homme doit passer par toutes les formes de purification. Et l’on nous dit : « Ce serait une joie alcyonnienne que de trouver un tel être humain, et l’on verrait d’abord de quelle élévation la nature humaine est capable. » Dép. : Mais combien faut-il de temps pour y parvenir ? La vie est presque trop courte pour cela. Sup. : Autant que l’on en a besoin pour se purifier des scories : certains mettent plus longtemps, d’autre moins. Il dépend de chacun d’y mettre la main, qui de bonne heure, qui avec assiduité ; on peut dire que chacun progresse par luimême. L’O ne peut que donner les indications pour ce faire. S’il ne les suit pas, s’il n’est pas attentif à tout, il laissera fuire distraitement les occasions, il se verra lui-même dans une trop haute lumière, soupçonnera trop peu ses défauts, ne cherchera pas à les améliorer, il étouffera en lui les représentations et inclinations que l’O tente d’éveiller chez lui.

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Alors, il pourra s’imputer à lui-même, et non à l’O, la responsabilité de sa régression, de son obscurcissement ou de son départ sans avoir atteint le but. C’est là notre manière de procéder, et ce n’est pas tant nous qui l’avons établie que le Créateur, en la fondant sur la nature des choses. Nous avons les mains liées. Mais tout en agissant, nous utilisons tous ceux qui nous enseignent véritablement la sagesse, et quiconque n’atteint pas chez nous la fin n’atteindra jamais autrement le vrai but. Voici cependant une remarque pour le faible : si malgré toute son honnête application il n’atteint pas le but, pas un de ses travaux ne recevra de récompense. Chaque grade possède une instruction substantielle. Tous les membres peuvent concourir à la perfection du Tout ; chacun de nos pas nous rapproche de la perfection, de l’élévation ; chaque grade donne de nouvelles perspectives, un nouveau point de vue pour des activités dignes d’un homme raisonnable. Chacune de ces activités est une composante essentielle de notre félicité ; elles nous rendent capables d’”uvrer pour d’autres, d’engendrer le Bien et de produire divers avantages flagrants. Celui qui cherche chez nous à satisfaire ses passions y cherchera en vain : Mais quiconque réclame de grandes Lumières, celui à qui il importe de rendre son c”ur meilleur et d’accomplir la dignité de sa nature, pourra, à chaque période de sa vie, découvrir chez nous autant qu’il sera capable d’en supporter. Car les hommes ne croient-ils pas que c’est une affaire aisée, le travail d’une journée que de se transformer tout d’un coup, après avoir assimilé, au milieu des bruits du monde, avec tous ses mauvais penchants, désirs et procédés, parmi les mauvais exemples, ce que l’on a reçu d’une éducation mal faite et de mille préjugés ?

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Combien d’efforts peut coûter l’action d’éveiller chez eux ne serait-ce que le soupçon, l’idée qu’ils pourraient être meilleurs en changeant leur vision, en réduisant leurs anciennes pratiques pour en cultiver d’autres, pour renforcer les nouvelles en leur donnant la force de celles qui étaient nuisibles, en empêchant que celles-ci ne se réveillent, en les déracinant, en les y rendant attentifs par l’instruction, en installant en eux la méfiance, même là où elles paraissent dans leur plus grand éclat ?! Est-ce la faute de l’O si, en la matière, quasiment tous ne sont encore que des enfants, s’ils sont malades et plus malades encore quand ils semblent être à leur maximum de santé ?! Honneur à celui que l’O autorise, dans les classes inférieures, à fournir la preuve qu’il appartient aux meilleurs hommes, qu’il a, en raison de ses défauts, moins d’occasions et de capacités de devenir excellent quand il est en leur puissance. Par suite, notre classe la plus basse ennoblit déjà — jugez de ce que les plus hautes produisent... Et que celui à qui cela ne semble pas juste retourne à l’abîme duquel nous avons été tirés un jour. Et maintenant, digne fr., qui est donc cet insatisfait qui formule des plaintes si amères, qui veut récolter là où il n’a pas semé, qui voit avec plaisir que d’autres mains et d’autres têtes lui ont déjà préparé le travail, ont déjà ”uvré, pour lui qui réclame tout mais ne donne rien, qui veut sonder les Secrets de la Nature toute entière mais ne connaît pas encore son propre Moi, qui veut voir sans les yeux... Comment se nomme-t-il ? (Pendant ce temps-là, le Député aura pris le candidat par la main, l’aura fait se lever et conduit devant le Supérieur.)

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Le Député : S’il nourrissait des doutes, votre instruction l’a rassuré. Illustre Supérieur, je vous prie une fois de plus de lui accorder son avancement. Le Supérieur : Nom d’O, vous réclamez donc votre promotion, de nouvelles connaissances ? Si votre pensée correspond à ce que le frère N. d’O a exposé en votre nom, je ne peux vous l’accorder. Grognements, impatience, insatisfaction ne sont pas les voies par lesquelles on y parvient. Aucun grade ne se laisse extorquer par la violence, ni acheter par quoi que ce soit. Nous ne nous encombrons pas des insatisfaits. Aucun homme n’a le droit de se plaindre de la structure fondamentale, car il dépend du bon vouloir de chacun de secouer ce joug aussitôt qu’il le souhaite et d’aller chercher ailleurs son contentement. Mais il se peut que vous soyez dans l’erreur ; peut-être vous méconnaissez-vous ou avez-vous insuffisamment considéré votre intérêt par rapport à celui de la société. Je vais pourtant vous communiquer un enseignement que chacun, à ce degré de l’Ordre, a déjà reçu. Il vous rassurera, comme je l’espère, que vous soyez ou non satisfait. Asseyez-vous et accordez-moi toute votre attention. (Le récipiendaire prend place à côté du Supérieur, sur la chaise qui lui est réservée, et le Député retourne à sa place habituelle)

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Annexe B Instruction pour une meilleure appréciation de la structure interne de l’Ordre et sur ce qu’il exige de nous « Quand parmi les hommes naît une alliance en vue d’un but particulier, c’est le signe que de tels hommes n’ont pas encore tout ce qu’ils désirent, qu’ils cherchent encore quelque chose et qu’ils mettent dans cette chose qu’ils recherchent et qui leur manque une partie de leur félicité, laquelle est imparfaite jusqu’à ce qu’ils l’obtiennent. L’amour du but est la première chose que le membre de toute société doit éprouver. Et plus cet amour est grand, plus nous nous représentons ce que nous cherchons comme essentiel à notre félicité, et plus solide est l’alliance. Tous les hommes ne cherchent pas la même chose dans une société. Les différentes humeurs engendrent des souhaits différents. La société la plus parfaite serait celle qui satisferait aux v”ux honnêtes et raisonnables de chacun. Mais il existe certaines imperfections générales dans le monde, que le sage et l’homme intègre de chaque siècle aimerait voir éradiquées. Quand nous voyons que, dans notre beau monde, tout homme pourrait être heureux, mais que notre propre félicité est souvent gênée par des douleurs étrangères et la méchanceté des insensés, et que, par conséquent, il n’est pas durable, que les méchants sont si puissants, plus puissants que les bons, que le penchant au vice est si fort, que la lutte isolée contre lui est stérile, que l’honnête homme peut à peine l’être sans en être puni : le souhait naît naturellement qu’un jour, les hommes dignes et nobles puissent se rencontrer au sein d’une

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ligue pérenne qui ne pourrait jamais être dissoute ni profanée, pour devenir redoutable envers les méchants, aider tous les bons sans distinction afin de se procurer à elle-même paix, contentement et sécurité, afin aussi d’enchaîner les vices par les moyens les plus puissants, de les amenuiser par des moyens qui feront progresser la Vertu et la bénévolance, et qui rendront plus efficaces, plus forts et plus attirants les charmes encore faibles de la Vertu, des outils qui seraient basés sur les forces les plus hautes de la nature humaine. Un tel objet pour une fraternité secrète ne serait pourtant pas seulement le plus innocent, non : c’est le plus noble que puisse souhaiter un homme de raison et pensant correctement. Mais où se trouve cette société d’exception, ce fondement et cette préfiguration du Ciel sur la Terre ? Où se trouve l’Ordre qui cherche moins à nouer entre ses membres des liens domestiques ou autres, à nourrir et éveiller des passions et des souhaits trompeurs, qui travaille uniquement à l’instruction et au perfectionnement des êtres humains et qui doit pour cela offrir des dispositifs sûrs et fondés, un Ordre au sein duquel les relations politiques ne peuvent entraîner aucun changement, qui juge les hommes simplement d’après leur vraie bonté et leur valeur intrinsèque, où la dissimulation est tellement inefficace, où toutes les tactiques du méchant sont rendues inefficientes, où chaque Vertu, où la moindre action morale contient sa récompense certaine et immédiate, où l’on agit seulement d’après des perspectives grandioses et universelles, où l’on est rendu insensible à tout intérêt vulgaire et incité à n’agir que dans ce qui est grand et universel, où l’âme, face à tout grand projet, est transportée dans un noble et fervent enthousiasme ; où se situe la société qui

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explique les problèmes jusqu’alors insolubles ? Comment faire triompher à nouveau le bien sur le mal ? Où se trouve la société qui rassemble les esprits les plus aptes de chaque classe, qui les encourage, qui montre à leur courage éteint l’intérêt de travailler et de s’édifier, qui tire chaque penseur de la poussière et le met en lumière, qui multiplie à l’infini les chemins de la connaissance en accroissant le nombre de ses membres, qui réunit les plus grands esprits par un lien indestructible où tous travaillent la main dans la main, où le plus faible devient l’instructeur du plus fort, où la vision de l’un devient celle de tous, où l’ignorant peut déjà commencer à savoir, où celui qui sait beaucoup fait une halte, où aucune connaissance ne se perd mais est perpétuée d’homme à homme parmi les élus ? Où se situe cette source de toutes les connaissances, de toutes les sagesses anciennes et modernes, ce séjour de paix, ce refuge pour les malheureux, cet asile contre les persécutions ? Que serait-ce si notre Ordre était cette société ? Mérite-t-il votre adhésion ? Non seulement votre adhésion, mais également le plus grand effort possible de vos forces actives ? Oui ! Vous avez trouvé cette société, c’est elle si vous ne la profanez pas. Mais aucun mot, aucune action n’est ici exigée de vous. Si vous n’avez encore jamais entendu parler d’elle, déplorez avec nous notre destin, celui de devoir nous dissimuler à ce point pour une ”uvre si grande et si désintéressée. À moins que vous ignoriez à quel point les méchants sont puissants et que la Vertu peut souvent se changer en crime. Nous ne fûmes pas toujours ce que nous sommes aujourd’hui ; nous n’avons pas toujours travaillé comme nous le faisons maintenant ; le temps

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de l’accomplissement n’est pas encore venu, et celui du combat et de la lutte est encore long ; il n’est pas terminé. Ne prenez pas la tâche à la légère ou comme si elle était déjà aboutie — envisagez-vous vous-même comme fondateur de cette ligue : ayez suffisamment d’audace pour plaider les bonnes choses, assez de courage pour ne pas vous laisser détourner de la voie droite par le faux éclat et les instincts passionnés. Savez-vous aussi combien il sera exigé de vous pour tout cela ? Et que vous devrez commencer à travailler d’abord contre vous-même ? Avez-vous correctement médité sur ce qu’une telle société composée des hommes les plus désintéressés et les plus éclairés, peut et doit accomplir ? Êtes-vous pleinement préparé à ne pas être ici un membre inutile, ou souhaitez-vous vous en ouvrir à nous ? Décelez-vous dans nos premières dispositions le commencement d’une fondation qui promet de grandes fins, ou bien avez-vous quelque chose à objecter ? Auriez-vous organisé les choses autrement ? Ou peut-être que le but ne vous semble pas suffisamment noble et général ? Nous vous épargnons la réponse et nous sommes convaincus qu’un homme avec un esprit et un c”ur tels que les vôtres, pour ressentir sa sainte détermination, n’envisagera pas une telle perspective d’un regard léger. Jugez maintenant si nous promettons trop quand nous affirmons que nos instituts nous mettent en état de connaître plus que le reste des hommes, d’agir davantage que les autres. Où se trouvera le siège de la Sagesse, où fera-t-on des découvertes, où seront accomplies ces grandes choses si elles ne le sont pas ici ? Où les hommes les plus intelligents uniront-ils leurs forces afin de travailler et d’employer des procédés dont le reste du monde ne dispose pas, et où y sera-t-

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on amené par le plus court chemin ? Mais si vous avez trouvé de plus grandes et plus utiles institutions pour le monde, encore une fois, libre à vous de rebrousser chemin. Nous ne voulons pas vous abuser avec de fausses attentes. Vous ne devez nous juger que d’après nos institutions et ne pas croire que nous ayons déjà atteint un quelconque but. Mais ne croyez-vous pas, Mon Ami, que l’on ait besoin de moyens particuliers pour de grands desseins ? Croyez-vous que tout homme élevé au-dessus de la multitude en soit également capable ? Pensez-vous que cette préparation soit l’”uvre d’un jour ? Que nous possédions le procédé magique ou bien simplement tout autre moyen de changer d’un seul coup tout le mal en bien ? Croyez-vous que chacun puisse ici agir selon son instinct ? Au sein de notre alliance, chacun doit avoir le regard tourné vers le même but, ne faire que ce qui y conduit assurément et délaisser tout le reste. Tout doit être pleinement accompli par rapport à ce but : et si ce discours a créé en vous un penchant vers cette finalité, c’est que notre esprit plane et s’est posé sur vous. Il voit dans votre c”ur et ne vous abandonnera pas ; vous serez appelé à accomplir ce qui est écrit. Pourtant, mieux aurait valu pour l’homme qu’il ne naisse jamais : le froid et l’indifférence demeurent chez celui qui ne peut pas être animé du désir de devenir bon et grand. Pour nous, il est perdu comme nous le sommes pour lui. Sa noblesse est affligée et se lamente de ce qu’il puisse exister des êtres humains capables de rester froids et insensibles à l’intuition de la distinction et de la dignité de sa nature ; vous avez tous perdu une âme qui cheminait sur la voie de l’élévation.

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Dans cette perspective, il ne doit exister parmi nous qu’une seule volonté. On ne doit pas remarquer dans vos actes que la vôtre est multiple. Tout doit se rassembler au sein d’un unique intérêt ; à défaut, vous n’atteindrez pas ce que vous recherchez et qui vous est si cher. Tout homme n’en est pas capable. Même le meilleur n’atteint pas en une fois la grandeur d’âme et la maîtrise des passions. Ce si nécessaire renoncement de l’âme ne naît qu’aussitôt l’amour du but devenu primordial ; sans cette orientation vers l’universel, ce but difficile à atteindre reste pure spéculation. Pour autant, n’allez pas croire celui qui n’a à la bouche que le bien général : ses actes devront parler. Nos moindres actions doivent conduire au but. C’est par ce biais, d’abord, que naît l’unisson, le lien étroit sans lequel toute société reste fragile. Toutes les actions n’y mènent pas aussi sûrement, du moins pas celles qui tendent à satisfaire notre intérêt privé. En tout acte, il faut considérer la relation qu’il entretient avec le Tout. Il est clair qu’au sein d’une société, chacun ne peut agir à sa guise ; il doit quelques fois sacrifier sa liberté : veut-il agir comme s’il n’était en charge que de lui-même, tout un chacun souhaite-t-il agir ainsi ? Alors le but sera forcément manqué. Il doit donc exister des Supérieurs ; ces derniers ne sont Supérieurs que parce qu’ils ont une vision d’ensemble de tout le système, parce qu’ils ont subi les préparations. Ils ont donné des lois ; pourtant, quiconque obéit à leurs lois ne suit pas le sens particulier de certains hommes, mais accroît son avantage, qui ne vise rien d’autre qu’à accomplir le si précieux but. Les Supérieurs savent mieux que quiconque quelles actions mènent assurément à ce but ; il est par conséquent normal de suivre leurs consignes.

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Si nous ne sommes pas amenés plus loin, si nous ne sommes pas promus aussi rapidement que nous le souhaitons, nous pouvons nous convaincre que cela est dû au fait que nous ne sommes pas encore aussi parfaits que nous devrions l’être, que nous ne voyons pas assez clairement, que nous ne nous sommes pas suffisamment hissés au-dessus des passions et des intérêts privés. Les Supérieurs ne peuvent pas avoir d’autre raison d’être. Ils peuvent contempler le monde entier depuis le plus haut degré. Souvent aussi, nous aurons à nous retenir afin de tester notre assiduité, notre constance, notre indulgence : il y a véritable épreuve quand les souhaits intimes ne sont pas toujours satisfaits, quand la témérité, l’amour-propre, la volonté de domination, la volupté, l’habitude sont combattus. Peu d’hommes le supportent longtemps, mais ces gens rares accèdent au bonheur, à la sérénité, à l’immortalité. Quel soulagement que d’appartenir à ce petit nombre d’êtres nobles qui se voient élevés au-dessus de tant d’autres hommes trop faibles pour toucher au but ! C’est ce qui nous rend ce petit cercle de Frères si précieux, eux qui ont pareillement résisté avec endurance aux fausses séductions. Il est vrai qu’aucune lutte n’est plus pénible que celle qui nous confronte à nous-mêmes, mais elle est aussi plus honorable. Ce renoncement à soi est ce par quoi vous devrez montrer ce que vous êtes en mesure de faire. Cela demandera des efforts, mais ce que l’honneur doit procurer coûte de la peine. La porte de notre Sanctuaire est fermée aux inférieurs. Vous serez éprouvé de multiples façons. Peut-être que l’Ordre vous montrera justement le contraire de ce que vous désirez... (Il fait le signe d’Ordre de ce grade en pointant l’index vers le ciel, comme pour prévenir)

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Soyez attentif, retenez bien tout cela. Vous n’entendrez sans doute pas de sitôt cet avertissement. Mais quand le danger d’être vaincu sera extrême, vous verrez ce signe. Souvenez-vous de l’heure de votre initiation et de ces mots d’alarme : faites attention de ne pas tomber. Voici la devise de ce grade : Cave ne cadas [garde-toi de tomber]. Votre chute serait d’autant plus scandaleuse et dangereuse si je devais vous confier la direction des autres. Vous êtes responsable de votre exemplarité, car leurs regards sont dirigés sur vous. Prenez soin de ces jeunes élèves, avec assiduité et consciencieusement ; ne croyez pas que cette classe soit insignifiante parce que votre soif de mystères n’y serait pas étanchée. Cette classe est le fondement de l’Ordre ; vous y travaillerez aux fondations d’un édifice qui doit durer, pour la concorde profitable au genre humain. Cette classe ne contient aucun Mystère, mais conduit au plus grand des Mystères, celui que beaucoup désirent si ardemment, qu’ils ont si souvent recherché en vain : l’Art de diriger les hommes, de les mener et de les tenir au Bien, d’accomplir avec eux tout ce qui semblait jusqu’ici n’être qu’un rêve pour le plus grand nombre, et seulement possible pour les plus éclairés. C’est en outre l’Art de faire tout le Bien sans contrepartie, de combler les manques, d’écarter tous les obstacles, d’extirper le mal à la racine ; pour faire court, ce que toutes les institutions, l’éducation, la morale, les consitutions étatiques et même la religion ne parviennent pas à accomplir.

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Annexe C Instruction pour la formation de collaborateurs utiles. 1) Observez bien chacun de vos subordonnés. Considérez les situations dans lesquelles il sont susceptibles d’être autrement qu’ils ne le devraient : c’est à ce moment-là qu’apparaît jusqu’où on l’a amené. Examinez-le là où il ne pense pas être observé : là où le désir de renommée et d’acclamations, la peur de la critique, du déshonneur et de la punition ne peuvent avoir aucune influence sur ses actes. Notez tout correctement ; vous gagnerez infiniment pour vous et vos gens. 2) Mais vos passions, vos inclinations et aversions ne doivent avoir aucune influence sur vos observations. N’allez pas croire qu’un homme soit abolument bon parce qu’il possède une bonne et flagrante qualité ; aussi peu serait-il mauvais quand une tache trop voyante l’assombrirait. Tant d’analyses des hommes passent sur ces vices, alors qu’ils se laissent voir au premier coup d’”il. 3) Ne vous laissez pas non plus détourner par les gens qui font montre de brillantes facultés intellectuelles, dont on pourrait supposer qu’elles ont été hissées au-dessus des mentalités communes ; ils ne les perdent que trop souvent dans la commerce intime, sont fiers, trop libres, suffisants, querelleurs, et tandis que nombre d’entre eux peuvent connaître et démontrer les principes les plus sublimes, peu ressentent en revanche ce qu’ils s’entendent si bien à raconter ; il leur manque alors souvent la partie la plus noble : un c”ur bon et pur. Par suite, ne vous laissez pas séduire par quelqu’un qui vous donne raison : c’est la différence entre le fait d’être convaincu et celui d’accepter

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concrètement un principe. Un jour, il vous donne raison sur tout et le lendemain, il fait le contraire. Ou bien il ne vous a donné raison que parce que, sur le moment, il était entraîné par votre éloquence, ou parce qu’il vous courtisait ou encore par crainte, peut-être aussi pour vous sonder. Les actes doivent montrer si l’on convainc et si l’on est pénétré de vérité. Des plus douteuses est l’approbation que quelqu’un vous donne en entendant des vérités qui vont à l’encontre de son intérêt ou qui contredisent son inclination favorite et ses aptitudes ; c’est au temps qu’il appartient de les combattre. La preuve que ceux-ci sont extirpés sera donnée au travers de beaucoup de longues épreuves, et la plupart y succomberont. 4) Ne faites pas trop vite confiance aux riches et aux nobles ; leur conversion est lente. Ceux-ci connaissent trop peu la misère et le besoin ; ceux-là amènent avec eux les préjugés de leur rang et veulent absolument être premiers. Ces choses ne se déracinent pas si rapidement et ressortent à la moindre occasion. 5) Ce que vous devez surtout chercher et avoir le plus grand soin de former chez vos gens, c’est le bon c”ur ; mais tous ceux qui se targuent d’en avoir n’en ont pas forcément. Il en va comme de la santé : tant qu’on l’a, on ne la remarque pas. Celui qui ne bouche pas ses oreilles aux lamentations de douleur du misérable, ni son c”ur à la douce pitié, celui qui, pour le malheureux, est un ami et un frère, celui qui aime toutes les créatures et qui, à dessein, n’écrase pas le vermiceau qui rampe sous son pied, celui qui possède un c”ur pour l’amour et l’amitié, qui reste stoïque dans l’adversité, infatigable quand il impose une

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bonne chose commencée, intrépide quand il surmonte les difficultés, qui ne se moque pas des faibles, dont l’âme est sensible à tous les projets, avide de se dresser contre tous les intérêts grossiers et de s’illustrer par de grands bienfaits, qui fuit l’oisiveté et ne tient pour inutile aucune des formes de connaissance qu’il a l’occasion d’acquérir, mais qui se donne pour étude principale la connaissance des hommes, qui a le courage de suivre son c”ur, de passer outre aux acclamations de la foule et des grands, là où il faut agir pour la Vérité et la Vertu... Voilà ce qu’est l’homme pour nous. Et c’est d’après cette mesure que vous devez former vos subordonnés, élargir leur âme, les détourner du vulgaire. Celui qui s’en tient trop au détail a un horizon trop étroit, et celui qui ne sait pas se placer au-dessus des rapports limités ne nous est d’aucune utilité. 6) Avec vos subordonnés, lisez de bons livres, aisément abordables, riches en images et qui élèvent l’âme. Entretenez-vous souvent avec eux, non avec la tête, mais avec le c”ur. Si d’autres doivent se réchauffer à votre contact, vous devez vous-mêmes être incandescants. Votre discours doit être vivant, cependant que la pure simplicité du c”ur et l’innocence doivent guider votre parole quand l’éloquence fait défaut. Il faut que vous sachiez éveiller les désirs ardants, les décisions. Vos gens doivent se languir de l’heure où ils pourront concrétiser tout cela. Vous devez montrer que pour vous, la chose est sérieuse, que vous êtes imprégné de la vérité et de la bonté de la cause, qu’il ne s’agit pas de spéculation, que vous avez éprouvé ce que vous dites. Mais prenez garde que vos actes ne disent le contraire. Du reste, pas de déclamation dégoulinante, pas de morale sèche, pas de métaphysi-

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que subtile et inutile qui ne rendent pas l’homme meilleur. Tout doit être limpide, plein d’images et d’exemples, la proposition doit être appliquée à un seul cas, les conséquences, l’importance et l’utilité doivent être soulignées. 7) Agissez surtout pour l’amour du but ; mieux, décrivez-le avec grandeur, avec importance, en lien avec les intérêts propres et les passions dominantes de chacun. Toute personne honnête se ralliera à vous, croira trouver ce qu'il cherche et le trouvera. Dépeignez la misère du monde ; montrez avec force ce que sont les gens et ce qu’ils peuvent être ; ce qu’ils devraient faire, à quel point ils méconnaissent leur propre intérêt, comment l'Ordre le promeut et comment les fondations révèlent déjà leur éclat dans la classe la plus inférieure ; ce à quoi ils doivent encore s’attendre plus tard. 8) Gagnez-vous l’amour, la confiance, mais aussi la considération et le respect ; évitez la familiarité et l’occasion d’apparaître dans toute votre simplicité en présence des subordonnés. 9) Parlez toujours de l’Ordre avec sérieux et majesté ; il le mérite. 10) Faites adopter par les subordonnés la révérence et la haute considération due aux Supérieurs. Faites-leur saisir la nécessité de la subordination au sein d’une société bien organisée : les exemples du militaire et d'autres états vous en donneront l’occasion. On enseignera le plus énergiquement possible comment il convient de se comporter vis-àvis des Supérieurs, aussi bien quand on les respecte que quand on aurait envie d’en être mécontent. 11) Vos subordonnés doivent travailler, lire, penser, éprouver, agir. Exercez-vous avec eux, éveillez

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leur courage, montrez-leur quel bénéfice procure chacun de leurs travaux. On travaille volontiers quand on aperçoit devant soi le profit qu’on en retire ; quand on ne nous rend pas la chose difficile ; quand on nous a montré l’intérêt prochain ; quand on ne nous a pas exposé l’affaire comme quelque chose de trop aride, d’insignifiant ou de spéculatif. Vous trouverez déjà ce qui manque à vos gens, mais vous devrez traiter chacun selon sa propre conformation, afin de rendre l’objet séduisant. On peut tout faire avec les hommes si l’on sait utiliser avantageusement leurs inclinations dominantes. 12) La plus grande science pour l’homme est la connaissance des hommes. Rendez-la éminemment intéressante à vos élèves, l’homme qui y prend goût n’étant pas perdu pour nous : il apprend par là l’Art de juger les autres et de se considérer lui-même de telle sorte que les autres le jugent bon, il devient attentif à lui-même et se perfectionne. 13) Commencez avec vos gens par de petits exercices. Au cours de la conversation, posez-leur des questions faciles, qui visent à savoir comment, au mépris de toute représentation, l’on doit sonder l’être humain. Au début, les questions doivent être simples, de sorte que la réponse puisse être également verbalisée. Même si vous connaissez vraiment mieux le sujet, laissez, pour commencer, les réponses de votre élève paraître meilleures que les vôtres ; cela éveille le courage, et vous trouverez bien une fois l’occasion de formuler votre opinion. Assimilez-vous à eux, communiquez-vous réciproquement vos remarques sur des matières comme la physionomie, la démarche, la voix, etc.. Glorifiez vos élèves, dites à l’un qu’il a de grandes dispositions pour devenir un

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connaisseur des hommes, mais qu’il lui manque seulement de la pratique ; louez un autre pour son action en société, afin qu’il apprenne encore ; recommandez-leur de jeunes gens curieux afin qu’ils demandent à recevoir la même instruction et qu’ils l'admirent. Ils voudront ainsi toujours plus se montrer et s’instruire en enseignant aux autres. 14) Et vous voyez maintenant combien d'efforts cela coûte d’amener les hommes là où on les attend ; ainsi ne manquerez-vous aucune occasion de répandre partout, autant que vous le pourrez, des principes sains, d’éveiller le courage et la détermination ; cependant, notez bien ceci : on ne parvient à rien grâce à la quantité. Celui qui veut changer tout le monde ne change personne. Ainsi, partagez-vous ce travail avec les membres de ce grade habitant dans votre localité. Choisissez un, deux, voire au maximum trois Minervaux auxquels vous accordez le plus de prestige et de crédit, et avec lesquels vous vous êtes le plus souvent élevé : mais offrez-leur tous vos efforts et vos soins. Vous aurez assurément accompli une grande chose en formant trois bons êtres humains au cours de votre vie. Ensuite, ceux-ci doivent être l’objet de leurs observations, de votre attention soutenue. Si une manière de les traiter échoue, essayez-en une autre jusqu’à ce que vous trouviez la bonne. Vous devez à chaque fois savoir à quoi votre homme est disposé, combien il espère, quelles étapes intermédiaires lui font encore défaut pour ouvrir le passage aux premiers principes. L’Art le plus grand est aussi d’utiliser le vrai moment opportun. La chaleur est souvent nécessaire, le flegme aussi : cependant, ce n’est pas à vous que vos gens doivent attribuer ce changement, mais à eux-mêmes. Vous devez être

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l'outil invisible. Rien n’est entrepris ni contredit dans l’émotion : écoutez-le même s’il a tort. Ne jamais réfuter les conclusions mais les principes ! Attendez le moment où cela peut se faire et où vous pourrez ouvrir votre pensée à ce sujet, sans donner l’apparence de la contradiction : le mieux, si vous parvenez à l’arranger, est que vous meniez la même discussion en sa présence et avec quelqu’un d’autre, auquel vous attachez moins d’importance ou avec lequel vous en avez convenu ; par suite, il ne sera qu’un auditeur et ne prendra pas partie, et ainsi, les raisons lui seront exposées dans toute leur force ! 15) Ne lui présentez pas toujours les vices et lacunes que vous souhaiteriez voir changés en lui, comme étant ses propres défauts. Relatez-lui ce qu’il a fait comme si c’était un tiers qui l’avait fait ; demandez-lui conseil à ce sujet, il doit devenir son propre juge, émettre lui-même l’avis qui le concerne. 16) Mais tout cela va lentement, très lentement. Ne laissez pas la fatigue et le temps vous attrister car des années devront s’écouler. Aucune seconde n’est perdue, et le fondement doit être solidement établi. Donc ne précipitez rien. Il faut que vos subordonnés deviennent résistants et habiles. Lisez, pensez, écoutez et regardez souvent une même chose liée à ce qui nous arrive le plus souvent et faites ensuite ce qui engendre une habileté qui deviendra finalement l’habitude de penser ainsi et pas autrement. Par conséquent, votre art doit consister à mettre sous les yeux de vos gens les devoirs et principes qu’ils doivent cultiver, afin qu’ils se souviennent de ce qu'ils doivent devenir. 17) N'exigez pas trop d'un seul coup. Traitez les disciples avec prudence, de manière paternelle, et avec attention. Ne désespérez pas qu’aucune amélioration

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ne se produise. Tout arrive à partir des hommes. La plupart sont mauvais uniquement parce qu'ils ne trouvent aucun intérêt à être bons. Il s’agit de le leur montrer. 18) Les mobiles des actions provenant de l'éducation et de l’expérience, de même que leurs principes, doivent être sondés et, s'ils ne valent rien, peu à peu affaiblis pour que d’autres soient inculqués et consolidés à leur place. Dès lors, il n’y a plus lieu de résister ; c’est en cela que consiste la profonde Sagesse. 19) À considérer la quantité de religions, constitutions d’État, sectes et sociétés, on voit combien les hommes peuvent être prisonniers des choses dans lesquelles ils sont nés et ont été élevés — même si celles-ci n’ont aucune valeur et qu’elles sont méprisées par les autres —, qu’ils avancent manifestement en contrariant leur intérêt et en sacrifiant leur vie, leur bien et leur sang aux systèmes les plus absurdes. Si un moine stupide peut, par son exaltation, amener le plus intelligent des hommes à lui révéler ses pensées les plus secrètes, on se convaincra véritablement que les gens peuvent être poussés à tout si l’on comprend seulement leurs faiblesses, et qu’une raison et une conviction rares dirigent leurs pas, tels l’habitude et le préjugé. Si l’on peut nous imprimer de l’enthousiasme pour la démence, il doit bien appartenir à ce type de procédé de pouvoir accroître le poids de la Vérité et de la Vertu. On se sert en effet du même moyen utilisé par la tromperie qui vise le mal, pour imposer le Bien ; cela ne peut pas rater. Les méchants peuvent tout parce que les bons sont trop inactifs et trop craintifs. Il y a des occasions où l’on doit aussi montrer son fiel afin de préserver les droits de l’humanité.

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20) Dites à vos gens d’être attachés à l’Ordre uniquement pour la bonté du but ; que son Antiquité, son expansion, sa puissance, sa richesse, tout leur est indifférent. Ils ne doivent avoir en vue que le bienfait de la chose, l’institution, la manière de traiter les affaires, l’instruction, l’emploi des moyens, le choix et la conduite des membres, l’ordre, la cohérence, la subordination, le respect des Supérieurs, de leur sagesse, les différentes représentations d’événements divers, les difficultés dans la progression, le désintéressement, l’égalité de rang, l’élimination des préjugés. Un penseur trouvera bientôt qu’une telle société n’est pas impossible sous le Soleil. Il percevra alors aisément qu’au sein de cette institution, son ambition, son amour du pouvoir, son exigence de paix et de sécurité, sa soif de secrets et de visions mystérieuses ne seront pas oubliés, mais également stimulés. Cependant, il ne doit et ne peut se représenter tout ceci en tant que but principal : ce ne sont que les conséquences naturelles de ce pourquoi on le prépare, conséquences qui n'apparaissent jamais si tout un chacun n’alimente son propre but selon ses forces, afin d’aboutir d’abord à leurs mobiles. Il doit dans un premier temps apprendre le grand Art de désirer avec raison. 21) Dites à tous vos gens, sans timidité ni scrupule, que l’Ordre ne prie personne d'entrer ou de rester : il lui est indifférent d’avoir peu ou beaucoup de membres, qu’ils soient riches ou pauvres, fils de princes ou artisans. Il recherche le moins possible les importants et les riches, car ceux-ci conviennent rarement ; ils peuvent s’estimer heureux d’être admis : habituellement leur heureuse condition et leurs positions les empêchent d'envisager à quel point l’homme a besoin d’autrui, raison pour laquelle ils sont

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rarement bons. Mais nous ne les excluerons pas complètement s’ils s'intègrent et ne cherchent pas à faire valoir leurs relations mondaines. Ils doivent apprendre ce qu’est la vraie noblesse et accepter de voir se tenir très au-dessus d’eux un homme qui, d’après son opinion, se situe au-dessous d’eux dans le monde civil. Celui à qui cela semble amer peut nous abandonner et devenir notre ennemi : nous ne le craignons pas ; il se nuira à lui-même en manquant l'occasion de devenir, grâce à notre soutien, ce à quoi l’appelait doublement sa condition et sa naissance, en quoi il est à présent dépassé par le plus petit. Nous n’envions d’ailleurs personne pour la joie de parvenir plus rapidement et plus sûrement au but au sein d’une autre alliance, nous regrettons seulement de ne pas avoir connaissance d'une telle société, où cette transformation se produit rapidement ou dans laquelle on sait l’art d’employer de petites gens médiocres à de grandes choses, ou encore d'enseigner à de tels hommes des connaissances plus hautes, qui n'ont encore aucun principe solide basé sur les vérités les plus communes. Si, par miracle, semblable société devait cependant exister, nous sommes convaincus qu’elle approuverait nos prudentes dispositions et qu’elle ne favoriserait pas l'homme pour lequel ces dernières ne seraient pas raisonnables. En attendant, nous subsistons pour nous-mêmes, nous nous en tenons aux honorables instructions des Supérieurs, nous travaillons en paix et ne suivons personne. — Observez ces indications et formez encore deux personnes d’après vos principes, vous aurez fait beaucoup pour le monde. 22) Exploitez soigneusement les instants où votre élève est mécontent du monde, où il n’en va pas

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conformément à ses souhaits, ces occasions durant lesquelles le plus puissant ressent combien son prochain lui est nécessaire et combien de meilleures institutions sont encore à créer en ce domaine. Ici, vous devez rendre encore plus sensible l’âme attendrie, montrer l’utilité d’une alliance secrète d’hommes éprouvés. Ce ne sont pas les instants qui vous manqueront où vous pourrez pénétrer par ce côté faible chez les puissants. 23) Ne croyez pas trop facilement que si vos subordonnés s'adressent à votre volonté d'après les instructions, dans un cas précis, ils le feront aussi certainement dans d’autres. Ce n'est pas pour autant une tactique. C’est peut-être la crainte, l’espoir ou la satisfaction d'une passion qui l’ont provoqué : les hommes ne deviennent pas entièrement bons si vite. Soupçonnez plutôt le pire ; le c”ur frivole est trop changeant. 24) Ne nourrissez chez personne des espoirs trompeurs. Promettez peu pour pouvoir tenir beaucoup. Donnez du courage aux vaincus ; cherchez à contenir la démesure de celui qui est trop téméraire par le caractère inquiétant et la représentation du danger. Dans le malheur, l’homme raisonnable doit espérer et dans le bonheur, il doit craindre. Vous disposez à présent de l’instruction pour devenir un guide des hommes bon et sûr. Perfectionnez ainsi l'armée des nobles et des élus, et si votre propre félicité vous fût jamais chère, soyez résolu, selon notre instruction, autant que mille hommes qui, par leur méchanceté, pourraient être si facilement bons et qui aimeraient s’arracher à la fatale Nécessité. En effet, la plupart sont mauvais uniquement parce que la masse des méchants concentre

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toute la puissance entre ses mains, afin d’accomplir le bonheur ou le malheur, et parce que la Vertu semble ne pas survivre à l’ombre de cette masse, de même qu’elle paraît se taire, supporter, se courber ou même servir le vice. Croyez-nous, nous le savons par expérience : prenez sa force au vice, annexez à la Vertu cette excroissance qui nous est si malheureuse, et le monde entier deviendra bon. Mais le vice n’est fort que parce que les bons sont trop inactifs ou trop précoces, trop violentés pour entreprendre quoique ce soit, car ils se séparent ou se laissent séparer, car ils ont toujours confiance en l’avenir sans préparer une telle révolution ; car le temps doit tout accomplir et qu’ils préfèrent se blottir en attendant, plutôt que d’agir contre le vice. Mais ces hommes louablement bons ne sont bons que négativement ; certes, ils s’abstiennent de toute offense, mais en même temps, par crainte, pusillanimité et paresse, ils ne font pas non plus obstruction au mal qu’ils pourraient empêcher. S’ils étaient convaincus que la Vertu ne consiste pas dans la simple patience, mais essentiellement dans l’activité et le travail et non dans le repos et l’insouciance, ils seraient tirés de leur sommeil ; il sont faibles parce qu’ils laissent passer toutes les occasions de se renforcer ; il perdent courage, désespèrent là où se trouve l’espérance de la victoire, et, pour cette raison, sont vaincus et mis dans les fers, car ils vont jusqu’à rendre hommage au vice sans lui résister ni y mettre un terme ; parce qu’ils le respectent ouvertement et qu’en même temps, ils le détestent intérieurement ; ils accueillent le méchant dans leur foyer, lui procurent toit et abri, le flattent et le carressent pour ne pas perdre davantage et vont jusqu’à lui mettre en mains les armes dont il usera à son encontre ; ils préfèrent

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passer alliance avec le vice, font silencieusement avec lui des affaires secrètes avant de consulter l’homme noble pour s’unir à lui contre la mal. Quelle morale peut justifier cette farce honteuse et indigne ? Loin de cette basse politique, chacun de vos pas devrait se diriger vers la Vertu et piétiner courageusement le vice sur leur chemin. Unissez fermement vos soutiens. Vous deviendrez forts et imbattables. Si tu es trop faible quand tu es seul, alors supporte jusqu’à ce que tu deviennes plus fort, mais n’épargne aucune occasion de te renforcer. Cherche de l’aide auprès de tes frères, ils ne t’abandonneront pas si tu es l’homme que tu dois être. Crois fermement en l’Ordre, il peut tout si l’on suit seulement son instruction. Nous travaillons à restituer à l’homme méritant son salaire jusqu’alors arraché illégitimement, à rendre leurs forces aux faibles, à ceux qui sont tombés, les moyens de s’améliorer, aux méchants, leurs chaînes et à l'humanité, sa haute dignité. C'est la deuxième Canaan qui nous fut prédite, la terre d'abondance et de bénédiction que nous contemplons un tant soit peu de loin, hélas. Fuyez, profanes, nul de ceux qui n’ont été bénis ne s’approchera du sanctuaire gardé par la légion élue, mais entrez ici, êtres nobles, avec respect et crainte, recevez déjà de loin notre bénédiction. Venez, malades et vous qui souffrez ! Si vous n’êtes pas ici guéris de vos crimes, doutez de votre rédemption.

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Annexe D Instruction remise aux Illuminati minores Puisque la direction de la classe inférieure est confiée à ce degré de l’Ordre Ill., on n’inculquera jamais assez aux membres de celui-ci l'importance de leur office. La classe des Minervaux constitue la fondation de l'Ordre ; si cette base est mauvaise, on ne peut songer à atteindre aucun but plus élevé. On y parvient en suivant quatre étapes : 1) Sur le type de propédeutique. 2) Sur la formation des Minervaux. 3) Sur la conservation du zèle et 4) Sur l’obéissance et la subordination. I. Il s’agit d’abord de dispenser une instruction sur les principes des Ill. Sup. en lien avec la préparation. Ce sont les mêmes que ceux qui sont poses en vue de l’expansion de l’Ordre ; mais la prudence la plus extrême doit être de mise. L'esprit d'expansion qui incite les autres sociétés à commettre tant de faux pas, doit ici être totalement éradiqué. Notre alliance n’est pas faite pour tout le monde : seuls les hommes choisis peu-vent prendre leur part de ce bonheur ; mais ces derniers sont encore peu nombreux dans le monde ; et nos efforts seront un jour récompensés par le genre humain, quand nous aurons augmenté le nombre d’hommes nobles. Ainsi, et bien que l'O ait dispersé ses membres dans toutes les parties du monde, on n’en trouve encore qu’un petit nombre, particulière-ment dans les grades supérieurs. La très longue préparation rend de toute façon plus difficile la question de la propédeutique, par quoi l’Ordre ne la souhaite que quand elle peut sûrement avoir lieu.

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A) Ces principes, les Illuminés doivent : 1) Bien les inculquer à leurs subordonnés, 2) Ne donner, lors du processus de recrutement, que ceux auxquels ils peuvent se reporter, 3) Expliquer et employer celui qui, parmi eux, n’est que brièvement prescrit dans l’instruction à l’usage des Recipients. B) En choisissant les candidats, on doit examiner : 1) Leur c”ur. Qu’ils soient des hommes loyaux, sensibles, de bonne composition, posés, moraux, conséquents. 2) La raison. Ils doivent être capables, savants, avides de savoir, attentifs. 3) Le tempérament et l’éducation. Ils doivent être actifs, vifs, de m”urs fines, ne pas être fiers mais discrets, humbles, magnanimes, contents, sociables, mesurés, généreux et bons hôtes. 4) La condition extérieure. On recrutera autant de jeunes gens que possible et ceux qui pourront avoir à remercier un jour l’O de leur subsistance, mais on évitera ceux qui sont trop démunis, car ils pourraient être à charge pour l’Ordre ; ensuite, ils devront posséder des mérites exceptionnels. Les affinités et autres relations civiles doivent aussi entrer en considération. Mais si l’homme est d’une bonté exceptionnelle, tout autre critère passe au second plan. C) Pour chaque nouvelle personne à recruter, le véné. Supérieur doit correctement s’enquérir de chacun de ces sujets et en instruire les Recipients. Une fois le candidat admis, on passe au deuxième point capital :

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II. Celui de la formation ultérieure. Voici ce qu’il faut faire : A) La plus juste connaissance de la mentalité du subordonné sera acquise : 1) Si le Supérieur traite son subordonné avec suffisamment d’aménité pour que ce dernier lui témoigne une confiance filiale et qu’il dévoile chacune de ses pensées. 2) S’il l’observe et le fait examiner correctement. C’est pourquoi les Illuminés doivent se répartir la surveillance des Frères et tenir des Diaria sur les moindres remarques concernant les actes apparemment les plus insignifiants de leurs subordonnés, diaria qu’ils compareront ensuite lors des réunions, à la suite de quoi ils établiront les listes de conduites qu’il conviendra d’expédier. 3) Pour cela, donnez à faire des pensa [devoirs]. Quand on veut savoir, par exemple, ce que pense quelqu’un d’un sujet donné, on doit lui faire faire un exercice. Il aura non seulement l’occasion de méditer plus avant la question, mais le Supérieur verra aussi toute la force des fondements contre lesquels il doit travailler s’ils ne sont pas bons. 4) Le Supérieur doit de temps à autres saisir l’occasion de mettre le subordonné à l’épreuve, comme si, par exemple, il possédait l’intelligence du monde, pouvait se taire, etc.. Une fois qu’il connaît ses gens, il parvient à savoir : B) Comment les traiter et les aiguiller. À ce stade, naturellement, on fera entrer en ligne de compte le tempérament et d’autres circonstances : rien de général ne peut donc être dit à ce sujet. Cependant, des moyens peuvent être indiqués dont il faut se servir, à savoir essentiellement :

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1) De bons exemples pour chaque type de vertu et de talent, 2) La relation avec les subordonnés, dans laquelle le sérieux et la considération doivent être associés à une bonté et une amitié prévenante. Le Supérieur, même le Supérieur inconnu, doit, dans son commerce avec les inférieurs, se caractériser par une certaine dignité vénérable. 3) L’influence de l’esprit de l’O par lequel tous les membres de celui-ci seront animés d’un noble enthousiasme et ne tiendront qu’un seul discours à son propos. Pour y parvenir : a) On ne doit jamais parler de l’O sans crainte respectueuse ni enthousiasme. b) On doit évoquer, à chaque occasion appropriée, le désintéressement de son but, sa formidable organisation, l’excellence de ses membres et la difficulté d’acquérir ces grands avantages, de façon à exciter le désir d’obtenir ce bonheur par l’accomplissement de ses devoirs. 4) Enseignements, instructions et mises en garde. Il ne sert à rien de faire de froides déclamations, de répéter souvent des morales lénifiantes, de dispenser des cours épuisants. Il ne faut pas trop imposer les bonnes actions ni protéger des mauvaises. Les discours vigoureux, convenant aux circonstances, un mot prononcé au moment opportun quand l’âme est disposée à l'accepter, enfin, la lecture d’écrits spirituels et le commerce avec le monde raffiné doivent ici faire le plus grand bien. 5) L’organisation précise dans les affaires. 6) Enfin, la direction pratique vers toutes les vertus qui ont été requises. Si les membres sont formés de cette façon, cela veut dire qu’on a compris

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l’Art de leur montrer combien la mise en pratique de chaque Vertu entraîne son propre intérêt, et ainsi, tout est fait pour les rendre fidèles à l’O. III. Cette fidélité est obtenue : 1) Si on ne néglige pas les subordonnés, qu’on les réunit souvent, qu’on les maintient dans l’activité, qu’on les voit, qu’on leur parle, qu’on renouvelle toujours les impressions et qu’on les met en situation de préférer l’O. 2) Quand on a levé tous les doutes qui pouvaient grandir en eux afin que ceux-ci bâtissent parfaitement sur la bonté de la cause ; mais si sa propre connaissance ne suffit pas, il demandera conseil à un Supérieur plus éminent. 3) Quand on provoque de grandes attentes sans rien promettre : une parole jetée par moments sur les explications futures, comme si de rien n’était, mais en restant toujours extrêmement mystérieux ; et quand on augmente l’attrait et la curiosité grâce au secret ! 4) Quand la conduite du Supérieur est toujours mesurée, plus amicale ou plus réservée, selon les rapports de conduite des subordonnés. 5) Quand le Supérieur s’efforce de mettre en avant le mieux possible les qualités qu’apprécient particulièrement les subordonnés. IV. Ensuite, il sera plus facile d’obtenir son respect, son obéissance et sa docilité, en particulier : 1) Quand on en donne soi-même l’exemple vis-à vis des Supérieurs plus éminents, 2) Que l’on ordonne peu, et rien par arbitraire, mais qu’on l’impose avec fermeté, 3) Que l’on récompense ceux qui sont dociles et punit inflexiblement les transgresseurs.

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4) Qu’on éloigne les récalcitrants de façon courtoise. 5) Qu’on donne peu de blâmes, mais qu’ils soient énergiques, 6) Quand on évite la familiarité avec les subordonnés. 7) Qu’on esquive toutes les occasions de recevoir des bienfaits de leur part et que l’on agit par conséquent avec désintéressement, uniquement pour le plus grand bien du tout. 8) Quand on ne brille jamais avec ses meilleures réflexions, que l’on ne mésuse pas de son prestige pour imposer ses opinions aux subordonnés. Quand on est reconnaissant de tout son savoir envers l’Ordre et que l’on attribue tous ses ordres aux Supérieurs plus éminents. Dans tous les autres cas, qui sont trop nombreux pour être développés ici, on s’en remettra à la faculté de juger des Illuminés et aux conseils des Supérieurs.

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V ILLUMINATI. 2e Classe

I. Le Grand Illuminé. (Illuminatus major) Introduction Les loges de ce grade sont de deux types : soit destinées aux travaux habituels, soit aux réceptions. Les premières ne seront pas autrement décorées que pour les loges d’Officiers. Les membres y siègeront également en habits écossais, c’est-à-dire avec des tabliers de cuir verts, le bijou de loge à la boutonnière, et prendront place l’un après l’autre autour d’une table. Le Grand Maître, les deux Grands Surveillants en chef et le Secrétaire Secret sont ceux-là mêmes qui remplissent ces offices dans les hauts grades ou parmi les Illuminés dirigeants ; ils y occupent la même place. Il sera traité de la loge de récepetion et de son agencement ultérieurement. Les deux seront ouvertes et fermées dans les formes qui suivent ; dans chacune, on posera les questions du catéchisme et la parole qui circule au sein de l’Ordre tout entier sera donnée avant la fermeture.

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I. OUVERTURE DE LA loge DES FR.FR. ÉCOS.

Le Grand Maître : À l’ordre mes Frères. Le 1er Grand Surveillant répète la formule. Le 2nd Gd. Surv. fait de même. (Les fr.fr. font le signe) Gd. M. : Très Estim. Fr. 1er Grand Surveillant ! Où le Franc-maçon Écos. travaille-t-il ? 2nd Gd. Surv. : En un lieu sacré, dans le silence de la nuit, loin de la rumeur du monde et à l’abri des oreilles profanes. Gd. M. : Fr. 2nd Gd. Surv., voyez si nous pouvons ici travailler en sûreté. 2nd Gd. Surv. (y va, vérifie que tout est sûr, verrouille la porte et revient) : Gd. M., la [loge] est à couvert. Gd. M. : Fr. 1 er Gd. Surv., quelle heure est-il ? 1er Gd. Surv. : Minuit plein. Gd. M. : Fr. 2nd Gd. Surv., est-ce bien l’heure consacrée pour ouvrir la loge ? 2nd Gd. Surv. : Oui, Très Véné. Maître. Gd. M. : J’ouvre donc cette loge Écos., au nom des Illustres et Vénérables Supérieurs et par le Nom-bre Sacré Écos.. 1er Gd. Surv. frappe le même nombre de coups. 2nd Gd. Surv. fait de même. Gd. M. : Mes Frères, cette est ouverte. II. CATÉCHISME DES FR. ÉCOS.

Question : Êtes-vous Franc-maçon Écossais ? Réponse : Les Hommes Nobles m’ont admis parmi eux quand j’étais orphelin et que je ne connaissais pas mon Père.

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Q. : Où avez-vous été reçu ? R. : En un lieu solennel, sacré et obscur, devant la Porte du Sanctuaire. Q. : À quel moment ? R. : Dans les ténèbres de la nuit, quand la Lune est dans son premier quartier. Q. : Qui est venu à votre rencontre ? R. : La foule pacifique des Illuminés. Q. : Les connaissiez-vous ? R. : Non ! Je ne les connaissais pas, mais eux me connaissaient et m’aimaient, et je leur ai confié mon c”ur fidèle et plein de confiance. Q. : D’où venaient-ils ? R. : Du Monde Primitif des Élus. Q. : Où s’en allaient-ils ? R. : Vers le Saint des Saints. Q. : Qu’y cherchaient-ils ? R. : Ce Qui est, fut et sera éternellement. Q. : Qu’est-ce qui vous illumine ? R. : La Lumière qui vit et brille à présent en moi. Q. : Que vîtes-vous quand on vous donna la Lumière ? R. : D’en haut, je vis la Terre, les hommes étaient nus et sans vêtements ; mais ils avaient honte de leur nudité. Q. : Que vous a-t-on ordonné de faire ? R. : On m’a enseigné comment je dois me connaître moi-même et les autres, aimer et régner. Q. : Comment s’appelle votre Maître ? R. : Adonaï.

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III. FERMETURE DE LA loge DES FR. ÉCOS.

Gd. M. : Quelqu’un a-t-il encore quelque chose à proposer pour le mieux de l’O ? (Le 1er Gd. Surv. répond) Gd. M. : Très Respect.. Fr. 1er Gd. Surv., quelle heure est-il ? 1er Gd. Surv. : Il est midi plein. Gd. M. : Très Respect. 2nd Gd. Surv., est-ce l’heure juste pour fermer cette loge Écos. ? 2nd Gd. Surv. : Oui, il est l’heure. Gd. M. : Je ferme donc cette au nom des Illustres et Vénérables Supérieurs et par le Nombre Sacré Écos. (Les fr.fr. 1 er et 2nd Gd. Surv. répètent ces coups) Gd. M. : Mes Frères, cette loge est fermée. IV. INFORMATION AUX logeS DE TRAVAIL PRESCRIVANT DE DONNER À CHAQUE FOIS LECTURE DES POINTS ESSENTIELS.

1) La loge se tient au moins une fois par mois, sans compter les loges de réception. 2) On y rectifie et augmente les tableaux relatifs aux membres des classes inférieures quand ceux-ci ont été envoyés par l’assemblée des Pet. Illuminés, pour les envoyer ensuite à l’assemblée des Illuminés dirigeants. 3) Tout ce qui a trait aux affaires des assemblées de Minervaux, aux avancements dans les classes inférieures, etc. sera décidé ici, ou bien, si le sujet est trop important, relayé aux Illuminés dirigeants ; revient également à ces derniers l’administration des tableaux et lettres réponses.

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4) Tout ce que vivent les membres de ce degré, mais qui n’a de lien ni avec l’O Sublime, ni avec la franc-maçonnerie ou d’autres sociétés — les promotions de fr.fr. dans les institutions civiles, les titres honorifiques, etc. ou toute autre chose pouvant avoir un rapport avec cela —, doit être déclaré en réunion et versé au procès-verbal ; les Supérieurs directs en seront également informés. 5) Les membres de ce gr. doivent surtout instruire les frères qui doivent recruter de nouveaux adhérents ; à cet effet, on se servira de l’annexe A contenue dans les actes des Minervaux, à l’exception de l’instruction. 6) Cependant, la tâche principale de ce grade reste l’analyse correcte des caractères selon les consignes de l’annexe B. 7) Quand un membre, parmi les Petits Illuminés, se révèle excellent et commence à être digne d’un avancement, son caractère fait l’objet, en loge écos. de travail, d’une investigation selon chacun des points du questionnaire. On devra donner des réponses tranchées avant de penser à une quelconque promotion ; et si un article n’a pas encore pu être examiné, un membre sera chargé d’en faire l’objet de ses observations. Tout sera consigné dans le procès-verbal des différentes réunions et, pour finir, le portrait complet de l’homme en question sera composé pour être ensuite transmis aux Illuminés dirigeants. Il dépend du Grand Maître de faire procéder de temps en temps à cette étude de caractère par une commission plus restreinte.

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Annexe A Instruction secrète à l’usage de ceux qui doivent recruter de nouveaux membres pour l’O 1) Celui qui veut faire gagner un nouveau membre à l’O doit d’abord s’assurer de sa parfaite confiance et de son amour. 2) Il doit se comporter de telle sorte que l’on s’attende à trouver derrière son apparence des qualités cachées. 3) Il cherchera d’abord à stimuler peu à peu chez le candidat le penchant aux associations amicales et secrètes, à peu près de la manière suivante : a) Il fera en sorte de lui mettre entre les mains des livres traitant de l’unité et des forces associatives. b) Il axera également ses causeries sur cet objet, lui montrera combien un petit enfant est impuissant, combien aussi un homme mûr est faible sans le secours des autres et combien grand et puissant il peut devenir grâce à l’aide de ses frères humains, combien sont considérables les avantages de la vie sociale. c) Il lui ramènera toute force à l’accord des volontés. d) Il le rendra attentif à l’Art de connaître et de régner sur les hommes. e) Il lui montrera comment un esprit intelligent peut régner et gouverner cent mille âmes. f) Il donnera des exemples de ce que peuvent des sujets qui sont dirigés à l’unisson et qui parlent d’une seule voix, telle une armée. g) Puis il lui parlera des défauts de la société civile, comment les hommes agissent de façon

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déloyale les uns envers les autres, comment chacun se laisse guider par ses intérêts privés, combien peu l’on saurait, la plupart du temps, se fier à des amis ou parents. h) « Oui, proclamera-t-il parfois, si les hommes bons étaient seulement d’accord entre eux, ils pourraient se construire un Ciel sur la Terre. Mais si les meilleurs sont aussi faibles, c’est parce qu’ils ne se connaissent pas ou qu’ils sont désunis. » i) Il sera alors temps de lui faire comprendre ce que peuvent accomplir les liens secrets. k) Il lui montrera l’exemple des Jésuites, des Francs-maçons. Si la discussion en vient à traiter des grands événements mondiaux, il lui dira toujours que ceux-ci ont été conduits par de secrets mobiles, et qui sait si pareil O n’agit pas en sous-main ? l) Il cherchera à éveiller en lui l’instinct de régner en silence, de tout explorer sans se faire remarquer, d’imprimer une autre direction au monde selon son propre plan ; de dominer ceux qui croient être ses maîtres. m) Il parlera occasionnellemente de manière équivoque, comme s’il connaissait cet O, mais se taira aussitôt. Une autre fois, il dira : « Si j’avais l'occasion d’entrer dans une telle association, je le ferais sans attendre. » n) Il faudra répéter cela souvent. o) Alors un jour, on dira : « J’ai enfin trouvé ce que je désirais depuis longtemps : on veut m’intégrer dans cet O. Que me conseillez-vous ? » Puis on émettra les objections qu'il ferait luimême, mais qu’on lèvera ensuite, après quoi on lui demandera de donner son avis.

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p) On laissera traîner comme par hasard sous ses yeux quelque chose comme une lettre chiffrée. 4) Le candidat sera chrétien, honnête, sensible ; il ne sera ni stupide, ni plus âgé que le recruteur et, selon les règlements, aura entre 18 et 30 ans. 5) Quand il en fera la demande, on lui présentera la chose comme étant extrêmement difficile, et on ne lui donnera que petit à petit : mais on lui mettra en mains aussi peu d’écrits que possible, tout au moins sur un bref laps de temps ! 6) Et alors, on le prendra de court au moment où il rapportera lesdits papiers. 7) On l’amènera à suggérer d'autres personnes, à dépeindre des caractères, etc. 8) On recherchera ses autres relations. 9) On lui fera conjecturer que ses meilleurs amis font peut-être déjà partie de l'O. 10) Si quelqu'un, qui a obtenu d'entrer dans l'O ou qui désire en obtenir le droit, veut avoir un membre attitré, on ne fera jamais appel à un Supérieur important, mais toujours à un homme bon et estimé. 11) Cependant, on devra savoir adapter sa façon de procéder à chaque situation et, par suite, toujours donner de l’O un nom qui fasse de l’effet au candidat. Certains cherchent un nouveau type de fr.-maç., d’autres une société savante, d’autres encore des Roses-Croix ou une association politique. Chacun doit trouver ce qu'il recherche. L'O peut tout apporter, et il n'agit pas non plus dans toutes les régions sous le même nom. 12) Le rapport de tout ceci devra être remis au Supérieur. 13) Chaque Ill. Major peut prendre copie de cette instruction.

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Annexe B Questionnaire par lequel est examiné le caractère du candidat à ce grade I. Sa personne 1) Son nom. 2) Son âge et son jour de naissance. 3) Sa patrie, son lieu de résidence. 4) Sa silhouette. Maigre, grosse ou moyenne ? Svelte ou avec des formes ? A-t-il des infirmités et lesquelles ? Est-il borgne, sourd, bègue, voûté, boiteux, bossu, tordu, bigle ? 5) Physionomie. La couleur du visage : teint prononcé ou blafard ? Blanc, noir, jaune, mat ? Le regard : vif, pénétrant, sans vigueur, franc, langoureux, amoureux, fier, brillant, abattu ? En parlant, regarde-t-il les gens fixement, avec jovialité, maintient- il son regard ou cède-t-il ? Ne peut-il supporter aucun regard pénétrant ? Le sien est-il en quelque sorte traître ou ouvert, détaché ? Gai ou ténébreux ? Profond ou vague ? Aimable ou sérieux ? Ou le dirige-t-il encore vers le haut ? Ses yeux sont-ils enfoncés dans sa tête ou ressortis ? Comment, du reste, est sa physionomie ? Sa silhouette ? Son nez, son front ? Vertical, avancé ou fuyant, court ou haut, carré, rond, oval, etc. ? Plisse-t-il le front ? Horizontalement ou verticalement ? 6) Ses cheveux. Clairs, brun foncé, noirs, blonds, roux ou avec des reflets roux ? Leur force ? Fins ou épais, longs, courts, frisés, normaux, crépus ou souples ? 7) Sa voix. Masculine, précieuse, enfantine, profonde, claire, chantante, ample, faible, forte, allant en s’étouffant, crescendo, douce, fluide, bégayante, changeante, ascendante, descendante ou monotone ?

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8) Sa tenue. Noble ou vulgaire ? Dégagée ou humble, contrainte ou à l’aise ? Quel est son port de tête ? Droit, jeté vers l’arrière, porté en avant, sur le côté, chancelant ou raide ? Regarde-t-il ses pieds ? Tourne-t-il vivement la tête, la tend-il entre ses épaules ? 9) Son allure. Lente, rapide, réglée, le pas court ou long, nonchalant, indolent, sautillant, dansant, piétinant, accélérée, genoux pliés, rentrés, sortis, marche décalée, glissée, véloce, lente, changeante, chancelante, corps avancé ou en retrait ? Regarde-t-il ses pieds, balance-t-il les mains ? Ce faisant, rejette-t-il la tête en arrière ? 10) Son état de santé. Stable ou est-il souvent malade ? À quelles maladies est-il le plus sujet ? 11) Langue, élocution. Convenable ou brouillonne ? En parlant, utilise-il les mains et comment ? Sans arrêt ou seulement par moments ? Vivement, avec la tête ? Avec tout le corps ? Les pose-t-il sur une autre partie du corps ? Agrippe-t-il ses bras, ses vêtements, ses boutons ? Son débit est-il rapide, lent, posé, oratoire, affecté ? Parle-t-il peu ou beaucoup ? Se tait-il complètement et pourquoi ? Par modestie, ignorance, respect, paresse ? Pour sonder les autres, cacher sa faiblesse, se donner des airs, par fierté, par mépris ? Parle-t-il sa langue avec netteté ou avec un accent provincial ? II. Éducation, formation, culture, talents. 1) À qui en est-il redevable ? A-t-il toujours été sous la supervision de ses parents ? Comment fut alors son éducation ? Qui furent ses maîtres ? Les estime-t-il ? Qui croit-il responsable de sa formation ? A-t-il voyagé et où ?

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2) Langues. Lesquelles comprend-il, parle-t-il, écrit-il ? Et comment ? Aime-t-il les langues étrangères plus que sa langue maternelle ? Mêle-t-il des mots étrangers à ses discours ? Quel est son style ? 3) Sciences. Lesquelles cultive-t-il ? Auxquelles est-il étranger ? Lesquelles aime-t-il ? Les approfondit-il ? Aime-t-il les beaux-arts et lesquels ? 4) A-t-il du génie et pour quoi ? Est-il plus poète philosophe ? Imagination ? Mécanisme ? Esprit de détail* ? Génie artistique ? Fabrique-t-il des boîtes en carton 13 ? Est-ce qu’il se rase, se soigne, s’apprête, se coiffe, etc. ? 5) A-t-il de l’habileté ? Pour les exercices physiques, l’artisanat, la mécanique ? Est-il fort ? Souple, léger, rapide, adroit dans les entraînements physiques, les techniques de prestidigitation et autres choses semblables ? Comment est son écriture ? 6) Son attention vis-à-vis des autres hommes. Que regarde-t-il le plus ? Le c”ur, l’intelligence, le caractère, l’orientation, les manières extérieures, les m”urs, la propreté, la mentalité, la religion ? III. Son esprit. 1) Aptitudes. A-t-il de la pénétration ? Est-il rapide, lent, visionnaire, prévoyant, d’une imagination vive ou d’une froide réflexion ? A-t-il de la présence d'esprit ? Surprend-il par ses idées audacieuses ? Montre-t-il de l’esprit, de la profondeur, de la sagacité dans les conversations ? 2) Jugement. En a-t-il beaucoup ? Est-il crédule, aime-t-il le merveilleux ? Apprécie-t-il le paradoxe ou suit-il les opinions communes ? À quels préjugés est-il

* En français dans le texte.

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attaché ? Ceux de l’âge, de la religion, de l’enfance, du pays, de l'État, du rang, de l’autorité, de la communauté, de la nouveauté ? Cherche-t-il à les déraciner ? Fabrique-t-il aisément des préjugés pour ou contre les gens sans avoir examiné ces derniers ? 3) Orientation. Où place-t-il sa félicité ? Dans la paix du commerce ? La réputation, la puissance, les honneurs, les plaisirs des sens, dans la richesse, les sciences, la Vertu, la vérité ? Se tourne-t-il vers l’avenir, vers le passé ou regarde-t-il simplement le présent ? Se donne-t-il juste de petits projets ? Voit-il déjà souvent dans de petits événements le grand à venir ? Est-il en mesure de réaliser de grands desseins, de les penser, de les éprouver et de les accomplir ? Cherche-t-il à se distinguer des autres et comment ? Par quelque chose de grand ou d’extraordinaire ? Dans le bien, dans le mal ou dans les deux ? A-t-il une haute opinion de lui-même et sous quel rapport ? Rend-il justice aux autres ? Est-il autonome ou se laisse-t-il facilement convaincre ? A-t-il de l’estime pour la finesse intellectuelle ? Cherche-t-il à être original ou réfléchit-il autrement ? Pense-t-il être infaillible ? Se connaît-il lui-même ? Accepte-t-il les réprimandes ? Hait-il les hommes ? Pourquoi ? Parce qu’ils sont meilleurs que lui ? Parce qu’il les considère comme inférieurs à son idéal ? Parce qu’il ne se sent pas suffisamment respecté ? Qu’il aurait été souvent abusé ? Qu’ils le considèrent trop vite de façon indigne ? Que vise-t-il dans le mariage ? Un c”ur bon, la raison, l’économie, la beauté, l’or, la famille, la réussite, la puissance ? Aime-t-il son corps, sa santé ? Est-il mou, émotif, délicat, fantasque ? Craint-il la mort ? Saisit-il facilement l’opinion des autres ? Qu’est-ce qui le pousse au travail et à l’activité ?

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L’amour du confort ? Du calme ? De la puissance ? De la réputation, les honneurs, les plaisirs sensuels ? L’argent ? Tient-il beaucoup aux honneurs, à l’attention, aux acclamations ? À quoi pourrait-il les utiliser ? Est-il sensible au mépris ? Cherche-t-il à s’élever ? À quoi ? Par quelle voie ? Grâce à une fille ? Grâce à l’argent ? En nuisant à son prochain quand il le croise sur sa route ? Par le gain, la science, le zèle, les intrigues, des infâmies ? Entre deux partis, pour lequel est-il ? Celui des plus forts ou celui des plus faibles, celui des plus intelligents ou celui des plus stupides ? Mais si un jour celui des plus faibles prend le dessus, restera-t-il fidèle à ses principes ? Ou fondera-t-il volontiers un troisième parti ? Donnerat- il tort aux deux, souhaitera-t-il les réconcilier, jouer l’intermédiaire ou restera-t-il complètement neutre ? Est-il persévérant dans la poursuite de ses projets ? Les difficultés l’effrayent-ils ? Par quoi peut-on le plus facilement gagner son attention et son amitié ? Par l’éloge, la flatterie, l’hypocrisie, le silence, en supportant tout, par la bassesse, la soumission, l’argent, les femmes, la haine et le respect à l’égard des gens qu’il hait ou qu’il respecte ? Par ses maîtresses, ses domestiques, par recommandation de ses favoris ? Est-il méfiant, soucieux, secret, sur la défensive, crédule, sincère ? Aime-t-il parler de ses projets ? Avant de les mettre à exécution ? Souhaite-t-il uniquement des plaisirs vifs qui toujours doivent changer ? Ou se contente-t-il encore de joies modestes ? Veut-il constamment jouir ou aime-t-il également le manque pour devenir plus apte à la jouissance ? Supporte-t-il aussi les plus fragiles et est-il patient en leut compagnie ? Est-il curieux, téméraire ?

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IV. Son c”ur. 1) Tempérament. Est-il tel qu’on le décrit dans le grade de Petit Illuminé ? Autrement, où pèche-t-il ? Agit-il précisément avec franchise ou aime-t-il jouer la comédie ? Devant qui ? En quelles occasions ? Sous quel rapport ? Pour quel motif ? Le sort des autres l’intéresse-t-il ? Le bien commun ? Ou ne se soucie-t-il que de lui-même ? Travaille-t-il volontiers et sérieusement au bien-être général ? Même au détriment de son propre plaisir ? Profite-t-il bien de toutes les occasions pour le faire ? Pour ”uvrer en grand, sans égoïsme ? Est-il équitable dans ses actes ? Et ce, même quand personne ne le remarque ? Ne s’en laisse-t-il pas détourner par des menaces, des carresses, la réputation, l’argent, les filles, la disgrâce, la persécution, le malheur, l’hostilité, l’amitié, la haine, la vindicte, des promesses, l’avancement ou quand il peut impunément en saisir l’occasion ? Dans la souffrance, est-il prolixe, bavard ou silencieux et muet ? S’il souffre depuis longtemps, est-il néanmoins gai, joyeux ? 2) Passions. A-t-il des passions tenaces ? À laquelle s’adonne-t-il le plus volontiers ? Peut-il résister à une impression vive sensuelle et présente ? A-t-il un penchant à la mélancolie qui a la passion pour cause ou n’est-ce que pur tempérament ? Est-il avare ou enclin à la prodigalité ? Et de quelle façon ? Aime-t-il la chasse ? De quel type ? Aime-t-il écouter et assister à des histoires de meutres ? V. Žuvres, habitudes, actes. 1) En paroles. Dans ses discours, aime-t-il donner les moindres détails ? Contredit-il volontiers ? Coupet-il la parole aux autres ? Se limite-t-il à son sujet ou parle-t-il dans un court laps de temps de matières

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Différentes, n’ayant aucun lien entre elles ? Devient-il fébrile au cours des discussions ou reste-t-il égal à lui-même ? Fait-il une différence entre les personnes auxquelles il s’adresse ? Développe-t-il des démonstrations ? Fait-il souvent appel à la réputation des autres à la place des preuves ? Est-il obligeant, grossier, direct dans ses expressions ? Veut-il tout savoir mieux que les autres ? Trouve-t-il facile ce que des gens sagaces trouvent difficile ? Fait-il volontiers des remontrances avec sang-froid, sérieux, politesse, mordant, accrimonie, concision, fermeté ? Contientil sa semonce au point de la laisser éclater ? Confie-t-il facilement des secrets, les siens ? Aux étrangers, des idées ? Dès le début de la rencontre ? Comment parle-t-il avec ses domestiques ? Presque jamais, brièvement, désagréablement ? Sur le ton de la plaisanterie ou de la confidence ? Se dispute-t-il aussi avec eux au sujet de fautes minimes ? Leur relate-t-il tous ses crimes, même si cela lui semble vulgaire et perfide ? Raconte-t-il à ses amis le malheur des siens ? Aime-t-il leur rappeler des choses désagréables ? Met-il volontiers autrui dans l'embarras ? Aime-t-il le taquiner ? Cache-t-il volontiers les erreurs des autres ? Cherche-t-il à dévoiler les faiblesses de ses amis en présence d’étrangers ? Comment parle-t-il de ses bienfaiteurs ? Avec bonté, reconnaissance ? Les présente-t-il aussi aux autres en tant que tels ou a-t-il honte d’avoir reçu quelque chose d’eux ? Est-il encore reconnaissant quand il n’a plus besoin d’eux ? Quand ils se dressent sur son chemin contre ses connaissances et sa volonté ? Parlet-il souvent de sa femme, de ses enfants, et en quels termes ? Rit-il volontiers ? De ses propres idées ou de celles qui lui sont étrangères ? Rarement, souvent, fortement, brièvement, continuellement, pour n’im-

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porte quelle bagatelle ? Propose-t-il volontiers ses services, même à celui qu’il ne connaît pas encore ? À ceux qu’il ne peut ni ne veut aider ? À ses ennemis également ? Com-ment parle-t-il des nobles ? Des princes ? Des autorités ? Avec mépris, respect, en bien, en mal, comme ils le méritent ? Seulement de leur bonté ou aussi de leurs erreurs ? Seulement en mal, bien qu'ils aient des vertus ? Comment s’adresse-t-il aux nobles ? Servile-ment, avec respect, familiarité ? Loue-t-il leurs folies, voire leurs crimes ? Leur donnet-il tout le temps raison ? Comment parle-t-il de la basse classe ? Avec dédain, despotisme, raison, justice ? Comment s’adresse-t-il aux petites gens, à ses subordonnés ? À contre-c”ur, souvent, rarement ? Seulement en l’absence d’une meilleure société ? Seulement quand il en a besoin, et peu souvent du reste, ou fait-il comme s’il ne les connaissait pas ? Est-il aimable avec eux ou dédaigneux, même en présence de nobles ? Seulement pour se faire apprécier du plus grand nombre ? Pour faire venir à lui l'homme du commun ? Pour donner un exemple aux nobles ? Modérer leur fierté ? Pour faire détester les nobles et se faire aimer ? Pour faire honneur à celui qui, dans la basse classe, est également méritant ? Pour attirer sur cette dernière l'attention des grands ? Leur parle-t-il avec fierté, impétuosité, familiarité ou selon son rang ? Dit-il oui à tout ? Par crainte, flatterie, stratégie ? Pour sonder les autres ? Par bêtise ? De quoi aime-t-il parler ? De lui-même ? Des temps corrompus ? De l’argent, des intérêts, de l’usure, de son métier, de l’économie domestique, des affaires d’État, religieuses, de la libre pensée, de la crainte de Dieu, de la prière, des sciences, des erreurs et défauts des autres, des nouvelles, des bagatelles, de la mode, de la parure, des

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habits, de la faveur des grands, de l'honneur, de la distinction, de la correspondance qu'il entretient avec les plus grands ? De l'amour, des filles, du manger, du boire, du vin, du jeu, de la chasse, des intrigues de cour ? A-t-il tendance à maudire et quoi ? La religion, la superstition, l’hypocrisie, le fanatisme, l’intolérance, les gouvernants, les ministres, les ecclésiastiques, les moines, la noblesse, les militaires, les savants, les critiques, les résistances, la vanité, les corruptions du monde, les contempteurs de la religion, les détracteurs du clergé, les abus de son Église, le gaspillage, la magnificence ou les amis de ceux avec lesquels il parle, bien qu’il sache que ce sont leurs amis ? Le mérite non récompensé ? Les autorités ou l'éloquence, la philosophie, les innovations ? Ses propres amis et parents ? Toutes les conditions, gens et institutions du monde ? Ou se maudit-il lui-même et pourquoi ? Pour être loué ? Afin de découvrir ce qu’ils pensent de lui ? De pouvoir s'amender ? De faire montre d’impartialité, de connaissance de soi ? Maudit-il constamment ? En présence de tout le monde sans distinction, ou seulement avec certaines personnes ? À certains moments ? Avec qui ? Quand et pourquoi ? Par habitude, méchanceté innée, pour nuire, calomnier, convaincre autrui, le sonder, se montrer, dire quelque chose, chagriner les autres, les mettre en colère ? Pour divertir, par examen, par zèle pour les bonnes causes ? Par légèreté, imprudence, colère, vindicte, fanatisme, patriotisme, bêtise ? Ses insultes sont-elles de simples mots ou des raisons, des moqueries ? Quelles conversations évite-t-il, au cours desquelles se tait-il complètement ? Parle-t-il de tout ? Interrompt-il aussi par ses discours, aime-t-il interroger ? Exagère-t-il, blâme-t-il, jure-t-il en parlant ?

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Laisse-t-il également la parole aux autres ? Son discours est-il imagé, signifiant, tranché, sans force, énergique, laconique, étendu, déclamatoire, relevé, enjoué, obscur, clair, mystique, énigmatique, vrai, faux ? Procède-t-il mystérieusement, prend-il les gens à part, parle-t-il volontiers à l'oreille ? Se comporte-til comme s’il connaissait déjà le sujet ? A-t-il tendance à plaisanter et à dire des méchancetés ? Devient-il passionné dans la contradiction ? Cède-t-il facilement ou difficilement ? Accepte-t-il les arguments ? Se décide-t-il rapidement ? Renie-t-il son premier jugement quand il reconnaît son erreur ? Est-il complaisant ? Fait-il Des louanges ? Des témoignages d’amitié ? Glorifie-t-il les autres en leur présence ? De qualités dont il sait qu'ils ne les possèdent pas ? Cherche-t-il à leur dire des grossièretés ? Est-il facilement admiratif ? De quoi ? Également des choses de tous les jours ? Ne maudit-il pas à d’autres moments les choses qu’il louait par ailleurs ? Questionne-t-il l’un à propos d’un autre ? A-t-il de la subtilité dans ses louanges ? Louet-il également ses ennemis ? Sur quoi ? Pourquoi ? Auprès de qui ? En quelles occasions ? Demeure-t-il constant en paroles et jugements ? Que loue-t-il chez lui-même ? Sa beauté, sa raison, son bon c”ur, sa finesse d’esprit, son habileté physique, ses manières, ses goûts, sa modération, son courage, sa bravoure, sa renommée, sa dévotion, sa religion, son zèle, son équité, sa condition, son impartialité, son désintéressement, sa finesse, ses intrigues, ses vices, ses crimes, sa noblesse, sa famille, son bonheur, sa richesse ? A-t-il tendance à faire des promesses et les tient-il ? Aime-til donner des conseils ? Est-il amoureux de sa propre astuce et de ses idées ? Les répète-t-il souvent ? À chaque occasion ? Met-il du temps à les ramener à

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l’homme ? Fait-il passer des idées étrangères pour les siennes ? Même en présence de l’auteur ? Aime-t-il bien raconter souvent ce que l’on peut avoir entendu déjà plusieurs fois avec dégoût ? Parle-t-il grossièrement, vulgairement, de façon impudique, quelque soit la personne présente ? 2) En écriture. Comment est son style ? Dans les lettres ? Dans les livres ? A-t-il publié quelque chose ? Pourquoi ? De quelle valeur ? Quels principes y enseigne-t-il ? Donne-t-il volontiers lecture de ses travaux, même quand personne n’aime les entendre ? Quelle réputation, quelle influence ont ses écrits ? 3) En actions. Comment est-il dans la colère et la haine ? Quels gens déteste-t-il ? Pourquoi ? Contre quoi s’indigne-t-il ? Des bagatelles, des contradictions, la louange, le blâme, le mépris ? Des reproches ? Et surtout par quoi ? L'inconstance, la lenteur des autres, la ruine de ses desseins, la méchanceté, l’injustice, les fausses accusations ? L’oppression générale, la bêtise, l’injustice, les causeries libres et peu châtiées ? Les critiques de sa patrie, l’ami, le bienfaiteur, l'ingratitude ? Quand l’on répond à son sérieux avec bouffonnerie, qu’on le tourne en ridicule ? Parvient-il à cacher sa colère ? Comment se comporte-t-il quand à son ardeur est opposée la bonté ou l’indifférence ? Comment exprime-t-il sa colère ? Fréquemment, facilement, d'un seul coup, après un certain temps, en injures, en discours irrités et mordants, par le mépris, l’abaissement, le dénigrement ou d'autres actions dommageables ? Sait-il pardonner les offenses ? Par quoi est-il réconcilié ? Cette réconciliation est-elle sérieuse ou contrefaite ? Comment est-il en amour ? Peut-il le cacher ? À quoi va son amour ? À la jouissance, aux passes-temps, au mariage, aux intrigues ?

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Lui en coûte-t-il quelqu’argent ? Quel genre de femmes aime-t-il ? Celles qui lui ressemblent, les mariées, les distinguées, les petites, la première venue, la meilleure, la romantique, la sensible ? Est-il versatile en amour ? S'égare-t-il ? Même dans le mariage ? Son inclination est-elle remarquable ? Comment traite-t-il ses aimées si vient la rupture ? Est-il jaloux ? Est-il maître de lui-même en amour ? Pour plaire à l’objet aimé, ajourne-t-il son travail, met-il ses amis et son devoir entre parenthèses ? L’amour le rend-il bavard ? Cherche-t-il chaque occasion de parler à son aimée ou lui parle-t-il seulement à des heures déterminées ? Est-ce lui qui a choisi ces heures ? Se rend-il ridicule aux yeux des autres par ses actes amoureux ? Est-il fantasque, émotif, romantique en amour et aveugle aux défauts et erreurs de la femme ? Comment se comporte-t-il envers les domestiques ? Prend-il plus de gens que nécessaire ou moins ? Les tourmente-t-il par un travail excessif ? Leur donne-t-il trop ou trop peu de salaire ? Ne laisse-t-il absolument pas venir les gens de service en sa présence ? Regarde-t-il leur doigts ? Vérifie-t-il leurs comptes ? Restent-ils volontiers et longtemps à servir chez lui ? Pour quelles raisons le quittent-ils ou les chasse-t-il ? Les traite-t-il avec sérieux, avec douceur, avec des coups ? Comment traite-t-il les domestiques âgés, malades ? Que disent de lui ses ex-domestiques, hormis en ce qui concerne le service ? Quel discours tient-il sur ses anciens servants ? Aime-t-il fréquenter du monde ? Pourquoi ? Par curiosité, effronterie, pour être informé, connaître le monde et les hommes ? Afin d’enseigner aux autres, uniquement pour devenir célèbre et être connu ? Afin de faire des découvertes ? Pour des intrigues ? Par vanité ? Sur une longue durée ? Pour

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s’élever ? Pour médire des autres et les faire tomber ? Quelles personnes préfère-t-il fréquenter ? Les nobles, les dévots, les petites gens, les savants, les voluptueux, les vaniteux, les passionnés, les doux, les indolents, les ignorants, les vieilles femmes ou les jeunes, les gens beaux ou laids ? Tous sans distinction ? Beaucoup ou quelques gens choisis ? A-t-il lui-même choisi sa société ou sont-ce son rang, sa condition, le manque d’hommes meilleurs ou d’une société préférable qui l’y ont contraint ? Fréquente-t-il volontiers les gens de son rang ? Quelles sont les fonctions, les goûts, les passions dominantes de ses plus fidèles comparses ? Aime-t-il la compagnie des gens dont il peut apprendre quelque chose ou qu’il instruit ? Dans son commerce avec autrui, est-il plaisant, facilement malléable, intime, humble, stupide, modeste ou non ? Préfère-t-il les sociétés sérieuses aux sociétés de plaisirs ? Accepte-t-il les visites ? Comment traite-t-il ceux qui le retiennent trop longtemps, qui arrivent mal à propos ? Leur donne-t-il congé ? Prétexte-t-il des affaires ? Commence-t-il à parler avec eux de petites choses indifférentes ? Quand il constate que sa visite pèse sur les autres, s’en va-t-il ou reste-t-il ? Aime-t-il la solitude ? Pourquoi ? Parce qu'il est amoureux ? Par amour du travail ? Par dévotion, crainte de la séduction, par tendance à la mélancolie, par haine des hommes, par fierté, pour prendre part à des intrigues secrètes ? Par amour du calme ? Par indolence après un long travail ? Parce qu'il ne possède pas les qualités pour plaire en société ? Par pauvreté ou ambition, pour se laisser désirer ? Par économie, hypocondrie, maladie ? Cherche-t-il alternativement la solitude et la société ? Comment se comporte-t-il à l’égard des gens plus élevés ? Leur rend-il visite avant tous les

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autres ? Demeure-t-il dans l’étiquette ou les traite-t-il comme des égaux ? Abuse-t-il de leur bonté ? Se fait-il familier ? S'incline-t-il devant leur dignité, leur rang, jusqu'à la flatterie, l’abaissement ? Se laisse-t-il utiliser par eux comme instrument de leurs desseins ? De leurs intrigues ? Sait-il se rendre nécessaire à eux ? Par quoi ? Ses vues, la recherche de leurs secrets de famille ? Par faiblesse ? Comment supporte-t-il leurs rudoiements, leur mépris, leur dédain, s’en indigne-t- il ? Cesse-t-il de leur rendre service ou fait-il comme si de rien n’était ? Et si cela se produit souvent, se laisse-t-il maltraiter ? Exécute-t-il leurs affaires bénévolement, flatte-t-il également leurs parents ? Leurs domestiques ? Leur prête-t-il de l'argent ? Se laisse-t-il aussi traiter par leurs domestiques au mépris de son rang, en vue d’obtenir quelque pouvoir ? Ou d’être convié à un festin ? Les tente-t-il ? Déteste-t-il ceux qui n’aspirent pas à la domination ? Les traite-t-il avec hostilité, bien qu'ils ne l'aient jamais offensé ? Cherche-t-il à se glisser dans le secret des grands ? Les poursuit-il ou attend-il d’être appelé ? Imite-t-il leurs gestes et leurs manières ? Pourquoi cherche-t-il la fréquentation de tel ou tel grand ? Comment se comporte-t-il envers un grand déchu ou celui qui ne peut plus l'aider ? Comment traite-t-il ses égaux ? En particulier ses amis ? En a-t-il beaucoup ? Lesquels ? Son amitié est-elle fidèle, étroite, tendre ? Sait-il se modérer dans les excès de sa jouissance ? Comment parle-t-il de ses anciens amis ? Des gens absents ? Formule-t-il des exigences fortes à ses amis ? Qu'exige-t-il d’eux ? De l’argent, de l’aide, des recommandations, une instruction, du divertissement, d’aimer et de haïr comme il aime et hait ? Des louanges, de l’admiration, de l’approbation ? Veut-il que tout aille selon ses idées ?

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Leur fait-il également ce qui les agrée ? Bien que cela lui soit difficile ? Se dispute-t-il avec eux et pourquoi ? Souvent, longtemps ? Se réconcilie-t-il facilement avec eux ? Comment se comporte-t-il lors d’une rupture ? Se fait-il facilement des amis ou teste-t-il ses fréquentations ? Leur communique-t-il tout de suite ses secrets, par quoi ils pourraient un jour devenir dangereux pour lui, ou reste-t-il sur la réserve ? Comment parle-t-il de ses amis absents quand il ont été outragés ? Aime-t-il échanger ? Est-il plaisant ? Est-il prévenant envers eux ? Est-il serviable, présentet-il facilement des excuses ou fait-il durer les bienfaits ? Rend-il la complaisance ? Leur reproche-t-il ses services ? Comment se comporte-t-il envers eux quand il est heureux ? Dans une brillante situation ? En élevant subitement sa condition ? Si un malheur les atteint ? A-t-il honte d’eux ? Les évite-t-il ? Les insulte-t-il ? Nie-t-il toute intimité avec eux ? Les repousse-t-il avec rudesse ? Leur refuse-t-il toute aide, tout conseil, toute patience, toute recommandation, tout entretien, toute protection ? Comment les traitet- il dans les sociétés où ceux-ci brillent peu ou ne sont pas beaucoup estimés ? Les abandonne-t-il en raison des reproches ? De la disgrâce de gens plus haut placés ? De poursuites ? Par quoi l'ami a-t-il sombré dans le malheur pour qu’il ait honte de lui ? Comment se conduit-il face au grand bonheur de ses amis, s’ils deviennent ses égaux ou se distinguent de lui ? Avec jalousie, avec joie ? Croit-il facilement ce que d’autres disent de ses amis ? Les condamne-t-il aussitôt ou les met-il simplement en question ? Comment se comporte-t-il si son ami l’a dupé ? Comment est-il dans son rapport à ceux qui lui sont inférieurs ? Est-ce leur société qu’il préfère ou les déteste-t-il et évite-t-il de les fréquenter ? Les ren-

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contre-t-il en secret ? En a-t-il de la fierté ? Avec une expression ferme ? Sait-il leur rendre supportable le rang auquel ils sont ? Traite-t-il les misérables comme ses égaux, et les nobles ? Connaît-il la valeur des classes inférieures ? Est-il dur avec ses subordonnés ou indulgent, exagéré dans ses exigences et ses impôts ? Rend-il à chaque rang, chaque personne, chaque fonction la part d’honneur qui lui est due ? Pour quelle raison ? Par conviction, devoir, crainte, ruse ? Adopte-t-il un mode de vie pour plaire à ses domestiques ? Les craint-il ? Comment traite-t-il ses débiteurs ? Ses créanciers ? Se conduit-il loyalement en matière de paiements ? Cherche-t-il à éliminer peu à peu les vieilles dettes ou en fait-il de nouvelles ? Comment se comporte-t-il quand il prend les autres en train de commettre une faute ? Comme s’il n’avait rien remarqué ? Utilise-t-il leur faiblesse pour promouvoir ses desseins ? Pour les mettre à son service ? Les menace-t-il de dénonciation ? En rit-il tout haut ? En discute-t-il ? S’en détourne-t-il avec indifférence ? Ne cherche-t-il pas à en faire un quelconque usage ? Veut-il cacher les défauts des autres ? Les met-il en garde pour l’avenir ? Comment traite-t-il les gens à qui il a montré sa faiblesse accidentellement ou par vanité, imprudence, nécessité, et qui connaissent ses affaires les plus secrètes ? Les déteste-t-il pour autant ? Les craint-il ? Est-il à leur merci ? Leur fait-il encore plus confiance ? Cherche-t-il à leur retirer sa confiance ? Les rencontre-t-il avec fierté, méfiance, en leur faisant offense ? Comment traite-t-il ses frères des autres religions ? Les aime-t-il ou les déteste-t-il ? Évite-t-il de paraître avec eux en public ? Ou veut-il leur chute ? Comment se conduit- il dans la maladie, le malheur, la persécution ? Avec fermeté, patience, mollesse,

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indolence, impétuosité, désespoir ? Est-il fier de sa richesse ? A-t-il honte de sa pauvreté ? Veut-il paraître riche ou ne fait-il aucun secret sur sa condition ? Comment voit-il la mort de ses parents, de sa femme, de ses enfants, cousins, amis, protecteurs, ennemis ? Souhaite-t-il leur mort, sou-haite-t-il qu’ils vivent ? Pourquoi ? Comment accueille-t-il les offenses ? Avec silence, flegme, par de bons mots, des excuses, de la violence, une riposte, la calomnie, la ruse, le mépris ? Comment élève-t-il ses enfants ? À quoi les destine-t-il ? Comment vit-il avec sa femme, comment la traite-t-il ? En public, en secret ? Comment se comporte-t-il dans les dîners, avec la boisson ? Avec modération, pour quel motif ? Par manque, besoin, avarice, amour de la vie et de la santé, conviction du devoir, afin d’être plus apte à son travail ? Par piété, par vanité, par nature ? Comment se conduit-il aux tables étrangères ? Apprécie-t-il d’y prendre place ? Est-il également généreux envers ses hôtes ? Mange-t-il avec voracité ? Vite ou lentement ? Qu’a-t-il plaisir à manger et à boire ? Aime-t-il manger seul ? Et si tel est le cas, se fait-il quand-même servir avec pompe ? Est-il gourmand ? Doit-il tout avoir en premier ? Combien de fois par jour mange-t-il ? S’adonne-t-il à la boisson ? Est-il souvent ivre et comment se comporte-t-il alors ? De façon hargneuse, grossière, amoureuse, bavarde, joyeuse, correcte, naïve, téméraire, malicieuse, obscène, paresseuse, lascive ? A-t-il besoin que les autres boivent ? Se rend-il souvent à l’auberge ? Est-il coutumier de l'ivrognerie ? En parle-t-il facilement ? Aimet-il ce genre de sociétés ? Aime-t-il les chiens ? Quelle race possède-t-il ? Comment traite-t-il ses bêtes ? Ses chevaux ? Aime-t-il casser, briser, détériorer les choses ? Fume-t-il ou prise-t-il le tabac ? Ou quelles sont ses autres habitudes ?

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VI. Situation matérielle, train de vie, relations. 1) Condition. Quels sont ses revenus ? Combien en escompter ? Des dettes ? Beaucoup ? Pour quelles raisons ? Par besoin, manque, pour le maintien de son rang, pour vivre dans la volupté ? Pour paraître magnanime ? 2) Rang. 3) Réputation. Bonne ou mauvaise ? Auprès de quelles personnes ? Bonnes ou méchantes, intelligentes ou stupides ? 4) Religion. En laquelle professe- t-il sa foi ? Est-il dévôt, modéré, craintif, superstitieux ? Participe-t-il normalement au culte extérieur ? Comment se conduit-il dans les églises des religions-s”urs ? 5) Relations. Qui sont ses parents ? Quelle est leur mentalité ? Vivent-ils encore ? De quelle maladie sont-ils morts ? A-t-il une grande famille ? Est-il soumis au népotisme ? A-t-il une femme ? Qui et comment est-elle ? Comment l’a-t-il rencontrée ? À quel âge ? A-t-il des enfants ? Combien, de quel âge ? 6) Affaires. Comment gère-t-il ses affaires, ses travaux ? Négligemment, avec paresse ? Assiduité, ponctualité, justesse, loyauté ? Reporte-t-il facilement un travail ? Quelles affaires entreprend-il volontiers ? Juste les fonctions publiques ou également les autres ? Accepte-t-il les travaux par lesquels il peut se distinguer ? Même les tâches suivies, longues ? Ne se fatigue-t-il pas, n’est-il pas contrarié, rendu pusillanime par les difficultés, les dangers, par l’issue incertaine ? A-t-il tendance à changer de travail ? Cherche-t-il à se perfectionner dans sa fonction, à surpasser les autres ? À inventer ? Développe-t-il ce qu’il découvre ? Comment se comporte-t-il après des tentatives échouées ? Travaille-t-il vite, facilement, de

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façon passagère, avec peine, fermeté ? N’a-t-il aucun livre ? En a-t-il beaucoup, quelques-uns ? Sur quelle matière portent la plupart d’entre eux ? Sur un peu tout ? Des livres de prières et de méditation, de légendes, des postilles, des histoires politiques, des romans, des pièces de théâtre, des ouvrages d’alchimie, maçonniques, kabbalistiques, théosophiques, d’autres mystiques, de métier, militaires, économiques, juridiques, théologiques, obscurs, de librepensée, scolastiques, les plus récents ou les anciens ? Les a-t-il lui-même achetés ? De son propre chef ou sur les conseils des autres ? Sont-ils très usés ? Les prête-t-il aux autres ? Lit-il volontiers, souvent et à quels moments ? Longtemps ? Quel écrivain en particulier ? Quel est son livre préféré ? À quoi passe-til son temps ? Aime-t-il les jeux ? Lesquels ? De hasard, de réflexion, de commerce ? Ceux qui servent à la formation, à l‘instruction ? Où l’on peut montrer son astuce ? Pour l’argent ou pour rien, pour de grosses sommes ? A-t-il de la chance, de la malchance ? Joue-t-il par habitude, complaisance, pour passer le temps, par appât du gain, besoin, désespoir, pour nouer des relations, être bien vu ? Comment réagit-il quand il gagne, quand il perd ? Est-il querelleur, moqueur, tricheur ? Sait-il se maîtriser dans la défaite ? S’arrête-t-il aussitôt qu’il a gagné ? Renie-t-il ses gains ? Et veut-il toujours avoir perdu ? À quoi emploie-t-il sa solitude ? Au recueillement, à lire, à écrire, à étudier, à des bagatelles, à fréquenter ses voisins, à s’occuper de sa maison, à des plans, des projets, à l’oisiveté ? 7) Correspondance. Entretient-il une grosse correspondance ? Où ? Est-il réglé dans ses réponses ? Comment conserve-t-il ses lettres ? Traînent-elles

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n’importe où ? Laisse-t-il en évidence celles qui sont déchirées ? 8) Sommeil. Aime-t-il dormir ? Longtemps, souvent, par fainéantise, maladie ou pourquoi ? Comment est-il quand il se réveille ? Est-il facile à lever ? Que se passe-t-il quand on le réveille en sursaut ? Parle-t-il en dormant, rêve-t-il et de quoi ? 9) Vêtements. Habitation. Est-il convenablement ou mal habillé ? Ses vêtements sont-ils propres ou sales, déchirés, somptueux, au-dessus ou en-deça de son rang ? Alternés, variés, démodés, à la mode ? Quelles couleurs aime-t-il ? Bigarées, neutres ? Le trouve-t-on chez lui vêtu avec magnificence, ou sinon comment ? Porte-t-il longtemps les mêmes vêtements ? Achète-t-il volontiers des vêtements déjà portés ? Est-il le premier à adopter une mode ? Change-t-il d’habits selon le moment, le lieu, les situations, les personnes ? Comment sa demeure est-elle aménagée, sa chambre ? A-t-il le nécessaire, ce dont il a besoin, le superflu ? Le mobilier correspond-il à son rang ? Dans quoi met-il surtout son argent ? Les ustensils de cuisine, les tables, tableaux, livres, chaises, équipements de chasse ? Dans sa cave, en tissus, articles galants, argenterie, tapisseries, dans ce qui plaît aux yeux ? Qu’est-ce qui y est utile et durable ? Ses meubles sont-ils de bonne facture, de bon goût, choisis, ordonnés, propres ? Également ceux qu’il doit utiliser quotidiennement ? Tout est-il rangé ou disposé pêle-mêle ? Son rangement trahit-il trop d’anxiété ?

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Annexe C Nosce te ipsum 14 Caractère politique Comment il est. 1) Nom, prénom. 2) Parents. 3) Proches, amis, ennemis. 4) Santé. 5) Habillement. 6) Connaissances. Où se trouvent a) Ses livres ? b) Quelles sciences aime-t-il particulièrement ? 7) Comment fut son éducation ? 8) Sa situation ? a) Célibataire ou marié ? b) Avec ou sans enfants ? c) Quelle fonction ou comment a-t-il réussi ? d) Comment la remplit-il ? 9) Ses revenus. 10) Quelle attitude adopte-t-il dans son foyer, sa chambre, etc. ? Condition physique. 1) Quelle est sa nature ? a) Gestes. b) Allure. 2) Comment est sa tête ? Quel maintien ? 3) Son front ? 4) Ses yeux, son regard. 5) Sa bouche.

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a) Sa voix. b) Son élocution. 6) Ses cheveux. Leur couleur. Caractère moral. 1) Quelle est sa réputation ? a) Présentement. b) Comment était-il ? c) Auprès des grands ? d) Auprès des petites gens ? e) Des gens d’Église. f) Pourquoi ? 2) Comment est-il vis-à-vis de ses parents ? a) De son père, de sa mère. b) Est-il proche d’eux ou éloigné ? 3) Éducateurs. 4) Bienfaiteurs, protecteurs. 5) Ennemis. 6) Grands, gens de haut-rang. a) En leur présence. b) Ailleurs. 7) Ses semblables. a) En leur présence. b) Ailleurs. 8) Inférieurs. a) Subordonnés. b) Domestiques. 9) Hommes d’église. 10) Femmes. 11) Son épouse.

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12) Enfants. a) Les siens. b) Ceux d’un autre. c) Étrangers. 13) Dans la conversation. 14) En société. a) L’apprécie-t-il ? b) Aime-t-il la solitude ? c) Quel genre de commerce aime-t-il le plus ? 15) En amour. 16) Dans l’offense. 17) Dans le bonheur. 18) Dans le malheur. 19) Par rapport au bonheur et au malheur des autres. 20) Comment se comporte-t-il dans les situations inattendues ?

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IV. RITUEL POUR LES logeS DE RÉCEPTION À CE GRADE.

1) Quand un Petit Illuminé est proposé à ce grade, il doit au moins avoir atteint la majorité. Son caractère sera analysé comme il a été dit, d’après le questionnaire de l’annexe B. On y procèdera dans les différentes loges de travail jusqu'à ce que l’on ait répondu à toutes les questions. Puis le tout sera lu à haute voix et consigné, afin de voir si cet homme convient ou non à notre fin dernière. Si trois membres s’opposent à son élection, il ne pourra pas être admis. S’ils sont deux ou qu’un seul s’y oppose, un maître Supérieur tranchera. 2) Ensuite est annoncée la conclusion de la réunion des Illuminés dirigeants, lesquels peuvent confirmer ou ajourner l’avancement. 3) S’il est confirmé, le candidat est appelé au temple, par le Grand Maître qui, en présence du Secrétaire Secret annonce à ce dernier : « On l’a estimé digne d’être reçu à un grade supérieur. Cette classe doit néanmoins constituer, de manière extrêmement importante, un lien solide, indissoluble entre les meilleurs hommes, des êtres éprouvés, les plus confiants qui chercheront à s’entraider en tout et à se rendre la vie douce et agréable : mais une seule volonté y est essentielle et aucune réserve ni feinte ne doivent régner parmi eux ; il doit par conséquent s’exprimer sur les points suivants : a) S'il a, au sein d’une quelconque autre société, trouvé un meilleur système, non profané, basé sur des principes plus solides, et qui satisferait davantage ou plus rapidement ses désirs ? b) Si, en entrant dans l’Ordre, il s’agissait plus pour lui de satisfaire sa curiosité que de l’alliance

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avec la meilleure part des êtres humains en vue du bonheur du monde. c) S'il veut, avec notre institution, et pour autant qu’il connaisse ce qui lui agrée, collaborer en suivant nos plans ou s’il a quelque chose de plus à proposer et quoi. d) S’il veut appartenir entièrement à l'Ordre ou reculer tout à fait, parce qu'aucun moyen terme n’a lieu d’être dans les degrés supérieurs ? e) Il doit révéler s’il est membre d’un autre ordre ou d'une autre société et dire laquelle. f) Si cette société exige de lui quelque chose qui irait à l’encontre de notre institution, qui voudrait, par exemple, dévoiler nos secrets, ne travailler que pour elle-même et autres choses du même accabit. g) Si, dans le cas où il devait encore à l’avenir être réclamé par un autre ordre, il souhaiterait ou non s’y engager. Et tout cela, sur son honneur. 4) Une fois qu’il aura répondu, on exigera de lui : « Avant de pouvoir être promu, d’exposer tout simplement son curriculum vitae, sans fard et, quand il sera prêt, de le remettre scellé au G. M.. Ce dernier examen de sa sincérité décidera de son destin. » 5) Un procès-verbal des réponses du candidat et du déroulement de l’action sera rédigé et on lui donnera ensuite congé. 6) Quand le membre admissible aura, au bout de quelques temps, achevé son curriculum vitae, qu’il l’aura remis, que ses réponses auront été examinées et que rien de dangereux n’y aura été décelé, on fixera le jour de sa réception.

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7) Le jour habituel de réunion correspond à chaque premier quartier de lune. 8) On le conduira dans une pièce isolée où l’on aura posé sur une table une plume, de l’encre et du papier. 9) Dans l’intervalle, on ouvrira la loge. 10) La loge est entièrement tendue de noir. Au fond de la salle, on aperçoit une porte massive fermée à clef. Cette loge doit représenter l’avant-cour de la loge écossaise. À une table, devant la porte, siègent le Grand Maître et, sur sa gauche, le Secrétaire Secret. Les deux Grands Surveilllants siègent en contrebas, à une autre table située vis-à-vis de lui, et entre eux se tient l’Introducteur*. Les autres Frères sont à leur place, de part et d’autre. Tous portent le tablier écossais et des manteaux noirs. Le Grand Maître et les Surveillants en chef tiennent le maillet. Exceptés eux, personne ne porte d’insigne. Il n’y pas non plus de tapis ni rien de visible. Le Secrétaire rédige le procèsverbal. Sur la table, à l’exception du livre de rituels, etc., il n’y a rien d’autre que le tablier pour le nouveau Frère ainsi qu’un miroir à manche circulaire. Sur la table du Grand Maître se trouvent quatre chandeliers, sur celle des Grands Surveillants, même chose. Il n’y a aucune autre lumière dans la pièce. À droite du Grand Maître est suspendue une Lune brillant dans son premier quartier. 11) Après l’ouverture de la loge, on fait sortir l’Introducteur qui, à ce moment-là, ôte son manteau noir. Il se rend auprès du candidat et lui annonce : « Mon Frère, avant de pouvoir vous en dire plus,

* En français dans le texte.

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posez l’index de votre main droite sur le c”ur, levez la main gauche et répétez après moi : “ Je m’engage à ne jamais révéler, même à l’heure de ma mort, ce que je vivrai et entendrai aujourd’hui au sein du cercle étroit des Frères fidèles et éternellement liés, et désormais au sein de l’O Illustre, considérant qu’il s’agit d’un secret précieux que l’on me confie. Je le promets sur mon honneur et sur tout ce qui m’est sacré, cher et aimé. ” » Quand le candidat l’a répété, l’Introducteur poursuit : « À ce degré, une carrière tout à fait nouvelle commence pour vous ; le cercle étroit d’hommes dans lequel vous entrez aujourd'hui est soudé à la vie à la mort, pour se maintenir comme un groupe d’amis fidèles et loyaux. Ce degré est par conséquent le Noviciat de la Maçonnerie Écossaise Supérieure, qui n’est détenue que par l’Ordre et ses alliés extérieurs. L'Ordre gère aussi secrètement la majeure partie du système fr.-maç. des grades inférieurs et s'assure pour le moins qu’ils ne soient pas complètement profanés. Les hiéroglyphes de la Fr. Maç. contiennent des vérités sacrées et consolatrices. Dans le grade qui suit, vous recevrez déjà des révélations à ce sujet. Seulement, toutes ces connaissances n’ont aucune valeur et seront finalement perdues pour le monde si nous ne rendons pas ce dernier plus sage et meilleur. Mais l’exécution de ce plan grandiose requiert la connaissance du c”ur de l’homme, la connaissance de soi en tant que partie la plus nécessaire. Pour ce faire, une instruction suffisante est communiquée à ce grade et l’on y met en main les outils pour connaître les hommes. Vous verrez par la suite jusqu’où nous avons su la pousser. Cependant, laissez-nous voir une preuve de votre habileté en ce domaine. Esquissez sur ce papier une

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image fidèle de votre caractère tel que vous croyez vous connaître, sans hypocrisie, vous aurez à le faire avec les hommes qui voient dans votre c”ur. Si vous y êtes résolu, je vais vous laisser quelques instants seul à cette tâche. (Le candidat répond. On peut en tout cas l’avoir déjà préparé pour qu’il ait en partie achevé la dissertation chez lui, par quoi cela durera moins longtemps.) 12) L’Introductor laisse à présent le candidat seul et retourne dans la loge, où le curriculum vitae est lu par le Secrétaire Secret ; cette lecture donnera l’occasion au Grand Maître de faire quelques remarques pour l’explication du portrait de la personne décrite. 13) Là-dessus, l’Introductor sort une nouvelle fois pour aller quérir la dissertation que le membre admissible a écrite sur son propre caractère. 14) On la lit également à haute voix et le Grand Maître souligne dans quelle mesure elle correspond à celle ébauchée en loge secrète, et si elle ne peut pas être encore complétée par deux autres études du candidat. 15) Une fois que cela a été fait, on envoie le Secrétaire Secret auprès du candidat ; il reprend avec lui le portrait tracé par la loge et lui dit : « Cher Fr., par cette dissertation, vous nous avez donné, sur votre personne, un précieux signe de franchise et de confiance. Mais en vérité, nous n’en sommes pas encore dignes et, un jour, elle grandira à mesure que nous vous connaîtrons de plus près. Donc avançons avec réserve ! Parmi les hommes qui se perfectionnent eux-mêmes et ceux qui veulent aider le monde malade, toute dissimulation doit cesser. Nous étudions le c”ur de l’homme : mais plus l’on porte loin cet art, plus on devient indulgent et tolérant, et plus

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l’on voit à quel point nous sommes gouvernés par les circonstances et les passions, combien peu souvent il dépend de nous d’être meilleurs ou pires. Aussi ne craignons-nous pas de nous avouer les uns aux autres nos défauts, de nous y rendre fraternellement attentifs et, par là, d’exercer notre sagacité et notre esprit d’observation. Ne serez-vous pas offensé que je donne lecture d’un portrait de vous esquissé par l’assemblée de vos amis les plus dévoués ? Pourtant non... Comment pourriez-vous l’être ? Ce portrait ne peut nullement vous nuire, sinon nous ne nous serions pas vus aujourd’hui ; un homme de votre intelligence ne se croira pas exempt de défauts. Venons-en au fait : voici le portrait. Il le lui lit après quoi il poursuit : « Vous reconnaîtrez au moins dans ce portrait quelques-uns de vos traits. Est-ce encore à présent votre volonté de vous unir aux hommes qui vous tendent leurs bras fraternels, tel que vous êtes ? » L’admissible répond et le Secrétaire Secret retourne dans la loge. 1 16) Aussitôt le Secrétaire revenu, on fait sortir l’Introductor pour aller chercher le candidat à la porte de l’avant-cour. Pendant ce temps-là, toutes les lumières ont été éteintes, la pièce n’étant éclairée que par la lune ; les Fr. se cachent néanmoins sous leurs manteaux.

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INTRO.

2nd Gd. Surv. (répétant les mêmes coups) : On frappe en Franc-Maçon écossais. 1 er Gd. Surv. (répète les mots du 2 nd Gd. Surv.) Gd. M. (frappe encore) : Allez-voir qui est là. 1er Gd. Surv. (même chose) 2nd Gd. Surv. (sort, regarde et demande) : Qui va là ? Intro. : Il y a ici un Maçon honnête, éprouvé et éclairé qui souhaite entrer dans l’avant cour du Sanctuaire Intérieur : j’en fais la demande pour lui. (Le fr.2 nd Gd. Surv. le laisse entrer, le place entre lui et le 1er Gd. Surv.. L’Introductor entre après lui). Gd. M. : Voyez ici le cercle sacré des Maçons fidèles, réunis dans l’avant-cour du Sanctuaire Intérieur au sein duquel brillent la Vérité et la Sagesse inviolées, qui seront un jour répandues sur toute la surface de la Terre. Ces hommes, la sainte légion des Nobles, se cachent encore à vous, mais ne croyez pas l’être aussi bien à leurs regards — Aucun repli de votre c”ur n’est inconnu de l’Ordre illustre. Nu, sans aucune tache, même au milieu de la contrainte et de la règle, vous vous trouvez dans l’assemblée des Sages. — Et cet Žil, mon Fr., voit en profondeur, très en profondeur. Mais ne soyez pas effrayé ; rejouissezvous plutôt. Votre c”ur est bon et noble. Vous n’auriez jamais été autorisé à entrer dans le cercle des meilleurs si votre mentalité, votre âme étaient dissemblables aux nôtres. Approchez encore (il s’avance devant l’autel). Ami ! Fr. en Esprit ! Si vous voulez apprendre de nous le Grand Art d’accomplir plus sûrement votre périple au milieu des dangers du

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monde, employez votre regard armé avec art à distinguer l’apparence de la Vérité, l’imposteur de l’Ami. Aucun ”il vulgaire, aucun regard commun n’y parvient. C’est cette acuité du regard, ce degré d’illumination que vous confère l’O. Regardez l’image dans ce miroir ! C’est la vôtre. La connaissance de soi est la glace magique par laquelle vous pouvez lire dans l’âme d’autrui (il lui présente le miroir). C’est de notre propre c”ur que sort la voie qui mène à celui des autres. Commencez donc par vous-mêmes ; examinez-vous souvent d’après le questionnaire que vous trouverez prescrit à ce grade de l’O. Étudiez-vous avec assiduité. Croyez-vous vraiment être intérieure-ment ce que vous montrez à l’extérieur ? Explorez souvent votre figure, chaque jour, à chaque heure. Vous découvrirez toujours de nouveaux traits et vous apprendrez encore à juger les autres d’après ces mêmes traits. Quelle belle vision et, ah ! Quelle vision souvent haïssable que celle de son propre c”ur mis à nu ! Nosce te ipsum ! (Le Gd. M. fait alors le signe du grade). Homme, explore-toi toi-même si tu veux sonder les autres et ensuite Nosce alios [connais les autres] (là, tous les Fr. découvrent leurs visages et font le signe de ce grade). Regardez vos fidèles amis qui ne veulent pas plus longtemps se dissimuler à vous. Mais à condition que vous vouliez abandonner vous aussi toute réserve. Ô ! Instruit par votre expérience sur le chemin de votre pélerinage terrestre, dans la rumeur du monde où tout est si trompeur et périlleux, laissez ce miroir être votre plus fidèle conseiller. Tous les hommes le trouveront en eux-mêmes, au fond de leur c”ur. Tous sont soumis à la même nature, aux mêmes instincts. Tout le monde s’aime lui-même et, en soi-même, les autres. De même que vous rencontrez

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constamment chez les hommes des actions et des effets proches des vôtres, il faut que les causes et les mobiles de tels effets soient similaires. Celui qui se connaît correctement connaît tout ; celui qui se méconnait ne connaît personne. Celui qui se connaît mal ou peu porte un jugement aussi erroné sur les autres. Il ne cherche pas dans les autres ce qu’ils sont, mais seulement à trouver ses désirs insensés, ses passions. Apprenez par vous-mêmes ce que sont les autres, mais ne laissez pas ce miroir trompeur vous flatter, et ayez confiance en lui le moins possible quand il vous est agréable. Nous avons tous des défauts, le meilleur d’entre nous étant celui qui en a le moins et qui les connaît. À présent, venez à moi ! (Le candidat s’avance à droite de l’autel.) Voici le tablier de peau écossais (il l’en ceint après lui avoir ôté le tablier de Maître). Il a été taillé en carré, à l’équerre. Ainsi, votre c”ur doit être orienté selon l’Équerre de la Vertu et de la Sagesse. Le vert est la couleur de l’espoir : vous pouvez tout espérer de l’O si vous êtes honnête et fidèle. Le signe de ce grade se fait en posant l’index de la main droite sur le c”ur, l’index gauche avec la main et le bras pointés vers le haut. Le mot est Nosce te ipsum et l'autre doit répondre : Ex te nosce alios [Connais les autres à partir de toi-même]. L’attouchement se fait la moitié de la veste et du gilet ouverts, c”ur contre c”ur, en embrassant le front de l’autre. À présent, prenez place (le Grand Maître lui désigne sa place, tout au fond, et fait allumer les lumières, puis il poursuit) : Mon Fr., vous avez dû passer par beaucoup de préparations. Il vous a coûté beaucoup d’efforts pour parvenir à ce seuil. Mais n’en ayez aucun regret. Un esprit préparé voit plus clair. L’O connaît maintenant votre zèle, vos capacités. Il

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Trouve en vous un homme qui s’est mis en condition de pénétrer peu à peu les profondeurs et les abîmes, qui, pour la plupart des hommes, restent insondables et seulement explorés par les élus. Ici, aucun pied profane ne doit fouler le sol, aucun ne le peut, et beaucoup de ceux qui l’ont voulu, qui auraient souhaité l’acheter avec de l’argent ou le forcer par la ruse et la violence, en sont pour cette raison éternellement exclus ; cette Porte de la Lumière (il dit cela en désignant la porte derrière lui) ne leur sera jamais ouverte. Ici, la puissance, la richesse, la renommée ne valent rien. Une intelligence éclairée, un c”ur honnête et bienveillant sont la seule noblesse et la seule qualité qui en rendent possible l’accès. Personne n’hérite de ce privilège ; ce ne sont pas les actions étrangères mais les nôtres qui y conduisent. Vous avez des raisons d’être fier, car beaucoup de bons ont échoué. Nous sommes maintenant si assurés de votre loyauté et de votre discrétion que nous n’exigerons plus de vous aucun serment ni épreuve. Fiez-vous désormais à votre guide. Les Supérieurs vous donneront ce qui vous sera profitable et ce que vous pourrez supporter. Vous voyez bien combien nous avons agi avec vous de façon désintéressée depuis le début. Donc continuez à travailler calmement, on ne vous oubliera pas. Nous exigeons simplement une confiance illimitée. Je dois encore, pour finir, vous poser quelques questions sur les circonstances à partir desquelles nous devons connaître les opinions de nos meilleurs membres. Vous vous trouvez là dans le cercle de vos plus intimes et plus fidèles amis — peut-être même les seuls amis que vous ayez — qui vous connaissent intérieurement ; alors arrière aux faux-semblants nuisibles. Laissez parler votre c”ur tout comme le nôtre, en retour, se

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précipite vers vous. Dans le monde règne si peu de vérité, Mon Ami, Mon Fr., Mon Fils ! Souvent, l’homme, avec son bel aspect extérieur et son éclat éblouissant, n’est qu’un tombeau recouvert de badigeon. Cette figure majestueuse, cette empreinte du Ciel, cette image de Dieu est enveloppée d’un voile trompeur. Tout se dissimule, les méchants pour tromper et les bons, pour ne pas l’être. Chez les uns, c’est une attaque, chez les autres, une défense. C’est un doux plaisir pour le connaisseur des hommes que de constater qu’au fond, tous les hommes sont bons, qu’ils n’ont qu’un c”ur, qu’une volonté. Dites-moi, meilleur des Fr. : 1) Trouvez-vous qu’en ce monde, la Vertu soit récompensée et le vice châtié ? Ne trouvez-vous pas au contraire que le méchant est manifeste-ment plus heureux, plus estimé, plus puissant que l’honnête homme ? En un mot, êtes-vous satisfait du monde tel qu’il est ? (la Rép. du nouveau fr. est inscrite au procès-verbal) 2) Ne chercheriez-vous pas, pour changer cet état de faits et si vous en aviez le pouvoir, à rassembler les bons, à les unir solidement et à les rendre plus puissants que les méchants ? (Rép. au P.V.) 3) Si vous aviez eu le choix, dans quel pays du globe auriez-vous aimé naître au lieu de votre patrie ? (Rép. au P.V.) 4) À quel siècle auriez-vous préféré vivre ? (Rép. au P.V.) 5) Si vous en aviez la liberté, quel rang choisiriezvous ? Quelle science ? (Rép. au P.V.)

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6) À quel personnage de l’histoire va votre préférence ou quel écrivain est votre maître ? (Rép. au P.V.) 7) Ne tenez-vous pas pour votre devoir de procurer autant que possible aux amis éprouvés de tels avantages extérieurs pour récompenser leur probité, faciliter leur vie ? Si vous êtes prêt à vous soumettre aux dispositions qu’exige ce grade de l’O, à savoir que chacun d’entre nous s’engage à déclarer mensuellement dans son Q. L. quels services, quelles sinécures ou autres il a à offrir, ou en quoi il peut en plus aider par ses avertissements, afin que les Supérieurs aient l'occasion de proposer des sujets dignes aux membres de l’O ? (Rép. au P.V.) Voyez-vous, mon Fr, nous cherchons sans relâche les meilleurs hommes, quand nous les avons mis à l’épreuve, également pour les récompenser extérieurement et les encourager et, par là, nous voulons donner progressivement une autre direction au monde. Puisque vous sentez vous-même combien peu jusqu’à maintenant les hommes accomplissent leur destinée, à quel point toutes les institutions publiques sont devenues grossières, combien peu l’on a favorisé l’enseignement de la Sagesse et de la Vérité pour parler aux hommes sur un autre ton, et mettre dans leur c”ur l’intérêt qu’il y a à être bon, vous comprendrez aussi aisément que cela est dû aux moyens qu’ils ont employés : ceux-ci doivent être mieux choisis, si la Vertu et la Sagesse doivent jamais régner sur le monde, et c'est la tâche de notre Ordre Illustre. Mon Ami ! Mon Frère ! Mon Fils ! Si réunis ici, en ce lieu sacré et solitaire, nous nous livrons à la contemplation sereine, ô combien le monde, lui, baigne dans le mal ; combien le bonheur arrive le moins à celui qui le

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mérite le plus ; combien la misère, le malheur, la persécution sont la part de l’honnête homme ; combien d’hommes aimables, nobles, avec leurs familles nombreuses élevées dans la Vertu se languissent dans la misère, doivent être oppressés par des crapules, persécutés, désavantagés ; comment le fils y assiste et, simplement à cause de tout cela, devient une personne méchante pour ne pas souffrir comme son père ; quelles roueries, quelles flatteries, quelle oppression, quelle fausseté sont partout encouragées ; la Vérité et la Sincérité sont foulées aux pieds, cependant que l’homme n’est qu’un être sensible et qu’il se laisse exciter par l’extérieur ; comment les hommes se dissimulent devant leurs semblables et se trompent toujours mutuellement ; comment chacun cherche seulement son avantage privé et sacrifie pour cela le meilleur de l’humanité ; comment les Sagesses se tapissent dans l’ombre, comment celui qui, en fidèle philanthrope, souhaite travailler pour le meilleur du monde, est contraint de fuir de pays en pays pour échapper aux persécutions... Devrions-nous en plus nous taire là-dessus ? Seulement soupirer ? Ne jamais chercher à secouer ce joug ? Non, mon Frère ! Fiezvous à nous ! Cherchez des collaborateurs fidèles, ardents, non dans le bruit et le tapage du monde : ils se terrent, cachés dans l’obscurité, sous la protection de la nuit antique, où ils s’arrêtent, solitaires et silencieux, réunis au sein de cercles étroits et, tels des enfants dociles, se laissent diriger par les Supérieurs éclairés. Ils appelent à eux tous les fils du monde qui passent en titubant — mais si peu les entendent ! Seul celui qui a les yeux de l’Oiseau de Minerve et qui travaille sous la protection de cet astre bienveillant (il désigne la Lune) saura certainement les trouver.

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Maintenant, envisagez une nouvelle fois tout le domaine d’actions dans lequel vous serez tranporté en entrant dans ce cercle restreint. 17) Le Secrétaire Secret lit : Aperçu général sur le système complet de l’Ordre Plus vous vous éleverez au sein de notre Ord. Ill., mon Fr., plus vous serez convaincu que nos principes sont ainsi faits qu’ils n’auraient nul besoin de craindre la lumière si les hommes étaient tels qu’il doivent être. Malheureusement, il s’en faut encore de beaucoup. Des vérités qui ne vous sont pas cachées et qui vous sont exposées dans l’ombre des cérémonies sacrées, n’ont, pour la plupart des gens, rien de vérités. Ce qui est caché a un trop grand attrait pour vous, et le plaisir de savoir quelque chose que tout le monde ne sait pas doit vous persuader de consacrer votre attention à des choses sur lesquelles vous auriez autrement fermé les yeux, aussi importantes soient-elles et, de cette manière, la pure Vérité s’imprimera définitivement dans votre âme. Il existe aussi des propositions que l’on ne peut tout simplement pas exprimer, qui exigent de profondes méditations, des efforts répétés et sur lesquelles tout le monde n’est pas d’accord, alors que chacun se considère volontiers comme le plus intelligent. Si je veux initier quelqu’un à un système reposant sur un très grand nombre de moyens termes qu’il aurait découverts dans l’enchaînement à partir de sa propre réflexion, je lui cacherais le concept total derrière un voile jusqu’à ce qu’il soit prêt à voir toute la lumière, et le désir d’y parvenir doit l’inciter à être attentif à tout, même à la moindre chose. Si je lui présentais la fin d'un seul coup, elle ne deviendrait pas importante pour lui, peut-être lui semblerait-elle même fausse, et

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l’on perdrait ainsi les hommes les plus utiles. Enfin, il existe aussi certaines vérités des temps anciens, cachées sous des hiéroglyphes, qui se perpétuent ainsi uniquement dans la meilleure partie des être humains, certaines conceptions de la plus haute Sagesse que tout le monde ne peut pas élucider, parce que mille obstacles, préjugés, passions, etc. empêchent de pénétrer aussi profondément. De tout temps, celles-ci ont été enveloppées d’images au sein des écoles secrètes de sagesse pour être graduellement révélées aux disciples, plans d’après lesquels furent également ordonnés les hiéroglyphes des trois premiers degrés symboliques de la Fr.-Maç.. Tout ce que notre Or. Ill. enseigne et réalise doit avoir une influence sur ce qu’il y a de meilleur dans le monde, doit faire en sorte que les hommes s’élèvent des profondeurs de la corruption dans laquelle il se sont enfoncés, et qu’ils soient réceptifs à la Bonté et à la Sagesse supérieures. Ainsi, notre Ordre a aussi étudié l’organisation extérieure de toutes les autres associations publiques et secrètes pour n’en conserver que le meilleur et éviter leurs erreurs. Oui ! Encore maintenant, le plan extérieur des opérations s’adapte tous les jours à la modernité, il est chaque jour plus solidement fondé. Mais les meilleures intentions sont aussi souvent entravées par les gens mauvais ou violées par des hommes indignes : cependant, notre clandestinité ainsi que l’examen poussé de nos membres nous garantissent contre l'un et l'autre. Laissez-moi à présent résumer en un seul point le plan d’ensemble de l’Or. ; nos deux buts ultimes sont les suivants :

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I. Répandre la pure Vérité. II. Faire triompher la Vertu. Pour atteindre le premier, les hommes doivent être purifiés de leurs préjuges, avoir l’esprit clair, puis ils doivent être nettoyés des subtilités inutiles par la force conjointe des sciences et correctement déterminés d’après les principes puisés dans la nature, et ainsi sera ouverte à l’homme la voie qui, sans obstacle, conduit à la vérité obscure sur le corps. Ainsi devonsnous ouvrir chaque source d'investigation, récompenser tous les talents opprimés, tirer tous les génies de la poussière, enseigner en tous lieux de purs principes d’après la constitution du siècle, assumer l'éducation de la jeunesse, nous attacher les meilleurs esprits grâce à un lien indestructible, combattre hardiment, mais avec intelligence, la superstition, les hérésies, la bêtise, et enfin, former tous nos gens de sorte que, sur tout objet, ils aient des notions justes, droites et correctes. La classe des Minervaux sert pour cela de pépinière, puis c’est la Maçonnerie inférieure, sur laquelle l’O cherche à garder autant que possible une influence et qu’il cherche à diriger selon de grands desseins et, enfin, une classe supérieure dans laquelle les résultats de notre pratique et les traditions de nos ancêtres sont livrés à ceux qui ont été pleinement préparés. Mais pour donner une assise à la Vertu, nous examinons et formons avec une peine incroyable les c”urs de nos disciples. Avec ce genre d’hommes, tout est à faire. Toutefois, il ne faut pas commencer en procédant de façon commune. En l’occurence, l’enseignement et la prédication ne servent à rien, autrement, ils auraient depuis longtemps rendu service. Il n’y a pas de vérité à trouver qui n’ait déjà été souvent dite, aucun devoir qui n’ait été enseigné et pourtant, le monde est encore

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aujourd’hui comme il fut toujours, non pas pire mais aussi mauvais qu’il y a mille ans ; cela vient de ce que les institutions actives dans la promotion du vice sont trop nombreuses, et qu’elles agissent beaucoup plus puissamment que nos prêches. Aussi faut-il, de notre côté, dresser force contre force. Mais il convient alors d’explorer la source du mal : pourquoi les pires sontils si nombreux et les meilleurs si rares ? Car la tentation du mal est plus grande et que, grâce à lui, on va plus loin dans le monde. Pour promouvoir la Vertu, il faut chercher à réduire cette prépondérance, pour que l’honnête homme trouve en ce monde la récompense certaine et extérieure de sa loyauté. (Les papes, les princes et les constitutions politiques actuelles nous mettent déjà sur la voie de ce projet). Alors que devons-nous faire ? Encourager les révolutions, tout renverser, répondre à la violence par la violence, substituer aux tyrans d’autres tyrans ? Fi de tout ceci ! Toute réforme violente est condamnable, car elle ne rendra pas les choses meilleures aussi longtemps que les hommes resteront tels qu’ils sont, avec leurs passions, et parce que la Sagesse n’a pas besoin d’user d’une telle c”rcition. Le plan d’ensemble de l’O consiste à former les hommes, non par des déclamations, mais par l’encouragement et en récompensant la Vertu. On doit insensiblement lier les mains aux provocateurs du fléau, les diriger sans les dominer. En un mot, on établira un régiment des m”urs universel, une forme de gouvernement qui s'étendra en général sur le monde entier sans dissoudre les liens civils, dans lequel tous les autres gouvernements continueront à gouverner et pourront faire tout ce qu’ils veulent, excepté contrecarrer le grand but, à savoir celui de faire triompher le Bien sur

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le Mal. C’était déjà l’intention du Christ quand il introduisuit la pure religion. Les hommes auraient dû devenir bons et sages, se laisser guider par les plus sages et les meilleurs, dans leur propre intérêt. Jadis pourtant, comme tout s’était obscurci, la prédication pouvait déjà suffire. La nouveauté de la vérité lui conférait un charme prépondérant. Aujourd'hui, ce n'est pas le cas. Il faut appliquer des moyens plus vigoureux que les simples théories, donner des attraits extérieurs à la Vertu pour les hommes sensuels. Les passions ne se laissent pas éradiquer, on doit seulement savoir les orienter vers des buts nobles. On doit montrer à l'ambitieux que l’honneur véritable pour lequel il lutte repose sur la Vertu, et qu’il n’est nulle part mieux satisfait que dans sa pratique. À l'avare, il faut indiquer que celui qui veut tout posséder, au fond, ne possède rien, et au voluptueux, qu'une trop grande jouissance ôte toute saveur à chaque grande joie — bref, que chacun satisfera ses passions, dont la première source était pure, s'il les satisfait dans les limites de la Vertu et qu’en outre, l'Ordre lui en offre les moyens. Tous nos effectifs ne doivent donc être élus que d’une seul voix, se tenir solidement les uns aux autres, n’avoir qu’un seul but devant eux, s’entraider et pénétrer ainsi le monde entier. On doit rassembler ici, autour des puissants de la Terre, une légion d’hommes qui ne s’épuiseront jamais à rallier tout le monde au grand plan, afin de conduire au meilleur de l’humanité et de gagner tous les pays ; alors, aucune violence manifeste ne sera requise. Les souverains de la Terre ouvriront bientôt les yeux et verront qu’ils trouvent de grands avantages à pratiquer la Vertu et des difficultés inouïes à perpétrer le mal. Les plus nobles auront bientôt la main sur les méchants qui

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jouent aujourd’hui aux maîtres et feront le malheur de tous ceux qui s’y opposent. Mais ceux qui sont trop indolents, trop pleins de préjugés, trop froids, trop peu actifs à combattre pour les droits de l’humanité devront être mis en mouvement. Les hommes bons doivent se rencontrer ; ceux qui ne se connaissent pas ou qui ne se font pas confiance doivent y être incités, il faut leur montrer que deux honnêtes hommes solidement liés peuvent être plus puissants que cent coquins. Mais tout ceci doit se passer dans le calme. Notre petit nombre doit rester soudé et secourir toute personne méritante opprimée, procurer aux gens bons les avantages temporels, le bonheur matériel et chercher à conquérir chaque lieu où le pouvoir doit être gagné à la bonne cause. Pourquoi ne serait-il pas permis de se rendre assez solide, par des moyens honnêtes et doux, pour obtenir une influence sur le pouvoir ? Le premier dessein de toute constitution étatique reste de placer des hommes bons au gouvernail, de récompenser le mérite, de couronner la Vertu. L’O peut obtenir cela grâce à l’intercession et parce qu’il gouverne les c”urs ; il a formé en son sein les hommes les plus fidèles, les meilleurs, les plus sages, les plus éprouvés pour l’État ; il cherche à les avancer, à récompenser leur application, il remplit ainsi tous les devoirs du plus fidèle sujet, mais aussi l’intention pour laquelle les hommes s’unissent en sociétés. Si, par suite, on compte un tel cercle de personnes dans chaque pays et que chacun de ces hommes en forme à son tour deux autres, tout est possible pour l’O, et il a déjà beaucoup fait en silence de cette façon pour le meilleur de l’humanité. Si néanmoins on manque quelque chose dans une seule de ces parties, tous les enseignements du monde n’y feront rien et la cause

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entière restera pure spéculation. Vous voyez là, mon Fr., le champ immense de l’activité à laquelle vous venez d’être promu. Méditez bien toutes ces choses, il s’agit d’une grande ”uvre que nous n’avons pas nousmêmes fondée. Un plan sûr, profondément réfléchi, solide, non profané. Rendez-vous digne d’y participer selon vos forces : aucun effort n’y sera sans recevoir de récompense. À présent, écoutez les consignes pour travailler à ce grade. » 18) Le Secrétaire lit alors l’Introduction puis les consignes de travail en loge, ainsi que l’annexe A. À l’occasion, le néophyte pourra parcourir l’annexe B. 19) Là-dessus, on pose les questions du catéchisme. 20) Puis la Parole d’O est communiquée. 21) La loge est fermée ; sur quoi 22) Le Secrétaire Secret a) Scelle les réponses du néophyte dans un paquet qu’il remet en main propre au Gd. M., b) Le portrait de la personne esquissé et corrigé par la loge, c) Sa silhouette, d) Le curriculum vitae qu’il a achevé, e) La description de son caractère et f) Ses réponses aux sept autres questions, Puis il transmet le tout au Gd. M. pour l’information des autres Supérieurs.

NOTES INTRODUCTION À MON APOLOGIE

1 « Sois calme et résiste ; un jour, cette douleur te sera utile. » Ovide, Élégies, XI, 7. 2 En Bavière. 3 Franz Xaver von Zwack (alias Cato, Martius Portius) (1756-1843) fut introduit en mai 1776 dans l'Ordre des Illuminaten. Élève de Weishaupt, quand ce dernier enseignait le droit à l'Université d'Ingolstadt (de 1775 à 1785), il devint son bras droit jusqu'à la nomination d'Adolph Freiherr Knigge (alias Philo). 4 Le « Werde der du bist » de G”the, est emprunté au « Sois tel que tu as appris à te connaître » de Pindare. 5 Charles Théodore de Bavière (1724-1799), accéda à ses hautes fonctions en 1742. Il promulgua l'édit ordonnant la dissolution de l'Ordre des Illuminaten le 22 juin 1784. Étrangement, la perquisition chez Zwack n'intervint que deux ans plus tard, les 11 et 12 octobre 1786. Ainsi, la décision de dissoudre l'Ordre, qui alla de paire avec l'interdiction de tout autre rassemblement secret, n'était fondée, sans doute, que sur des rumeurs de conspiration. 6 Einige Originalschriften des Illuminatenordens, welche bei dem gewesen Regierungsrath Zwack durch

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vorgenommene Hausvisitation zu Landshut den 11. und 12. Oktob. a. 1786. sollen gefunden, und auf höchsten Befehl Sr. Churfürstlichen Durchlaucht zum Druck befördert worden seyn, bey Johann Baptist Strobl, 1787 [Écrits originaux de l'Ordre des Illuminés trouvés lors de la perquisition menée chez l'ancien conseiller d'État Zwack, à Landshut, les 11 et 12 octobre 1786, imprimés sur ordre de Son Altesse L'Électeur chez Anton Franz, imprimeur de la cour, et en vente dans les trois librairies, 1786, deuxième édition de 1787 imprimée chez J.-B. Srobl] est le titre sous lequel parurent les documents saisis et falsifiés par le gouvernement de Bavière en 1786. La citation imprimée au dos de la couverture est tirée d'une lettre de Spartacus (Weishaupt) adressée à Caton (Zwack) et dit ceci : « Les lettres seront consignées avec leurs réponses, en archive. Elles sont certainement instructives et contiennent, de part et d’autre, de bonnes règles ; elles donnent en outre un aperçu suffisant du système. » 7 La citation au dos de la couverture (Cf. Cidessus). 8 Apologie des Misvergnügens und Übels, Frankfurt, Leipzig, 1787 (1ère éd.), 1790 (2e éd.). 9 Über Materialismus und Idealismus, zweite ganz umgearbeitete Auflage, Nürnberg, bey Ernst Christoph Grattenauer, 1787. 10 Ibid., pp. 201-206, où Weishaupt démontre que la vertu spécifique de l'homme est de nature morale, et que l'idéalisme, en se hissant au-delà de la nature et de toutes les différences entre les êtres, donne de la moralité humaine une image opposée, renversée par rapport à celle que l'on a coutume de considérer. La

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vertu morale n'est pas dépassée (aufgehebt), mais transformée (verändert) par les degrés supérieurs. 11 Bien que fondé le 1er mai 1776 par Weishaupt et quelques fidèles, sous le nom de Bund der Perfektibilisten [Cercle des Perfectibilistes], c'est en 1780 que naquit l'Illuminatenorden [Ordre des Illuminés] comme système élaboré par Adolph Freiherr Knigge (1752-1796), alias Philo. Cet écrivain et franc-maçon influencé par les idées de Lessing, parvint, avec l’aide de von Ecker (1750-1790), lors du Convent de Wilhelmsbad (juillet 1782), à faire accepter l'idée que les juifs soient admis en Franc-maçonnerie et que les loges conservent leur indépendance administrative. À n'en pas douter, c'est cette liberté gagnée, en plus de la décision de ne plus pratiquer le système de la Stricte Observance Templière devenu suspect aux yeux des dignitaires allemands, qui permit aux Illuminés de diffuser largement, et au-delà des frontières allemandes, les idéaux de ce que nous nommerons, par opposition au mysticisme de Willermoz, la francmaçonnerie politique et progressiste. Et en effet, le 25 octobre 1782 fut fondée la première Grande loge provinciale. C'est encore grâce à Knigge que Johann Joachim Christoph Bode (1730-1793), l'éditeur de G”the et de Herder, fut gagné à la cause de Weishaupt, et que les deux écrivains allemands, figures majeures et parfois incomprises de la vie intellectuelle allemande, s'affilièrent à l'Ordre. Knigge se sépara de Weishaupt en 1783, par incompatibilité d'idées — Weishaupt ne démordant pas de son anticléricalisme —, ce qui entraîna le déclin de l'Ordre. 12 Bien que ce ne soit pas à proprement parler le système illuministe qui fabriqua la carrière des membres remarquables de l'Ordre, en voici une liste plutôt flatteuse :

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*Jacob Friedrich von ABEL (1751-1829), alias Pythagoras Abderites, philosophe ; *Prince August von SACHSEN-GOTHA-ALTENBURG (1747-1806), alias Walter Fürst, mécène amoureux des beaux-arts ; *Johann Baptist von ALXINGER (1755-1797), poète autrichien ; *Jens Immanuel BAGGESEN (1764-1826), alias Immanuel, écrivain et traducteur danois, mort à Hambourg, surnommé “ le Wieland danois ” ; *Ferdinand Maria von BAADER (1747-1797), alias Celsus (reçu le 13 décembre 1778), médecin, philosophe et naturaliste, membre de la Bayerische Akademie der Wissenschaften [Académie bavaroise des sciences], père du théosophe Franz von Baader (17651841) ; *Joseph BARTH (1746-1818), alias Osiris (reçu le 17 décembre 1778), célèbre ophtalmologiste au service de l'empereur Joseph II ; *Rudolph Zaccharias BECKER (1752-1822), alias Henricus Stephanus, écrivain, journaliste, enseignant et éditeur ; *Thomas Maria de BASSUS (Baron) (1742-1815), alias Hanibale (reçu en décembre 1778), mécène du compositeur Johann Simon Mayr (1763 - 1845) et éditeur ; *Alois BLUMAUER (1755-1798), alias Hermionius, poète ; *Johann Joachim Christoph BODE (1730-1793), éditeur des ”uvres de G”the et Herder ; *Ignaz Edler von BORN (1742-1791), alias Furius Camillus, minéralogiste et métallurgiste. Son influence fut grande sur Mozart - dont il fut le parrain en

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Maçonnerie - et sur Lessing - qu’il incita, en vain, à publier ses quatrième et cinquième Causeries pour francs-maçons ; *Maximilian von BRANCA (1767-1813), historien, membre de la Bayerische Akademie der Wissenschaften ; *Karl Theodor Anton Maria von DALBERG (17441817), alias Baco von Verulam, archevêque-électeur de Mayence ; *Johann Maximilian Georg von DILLIS (1759-1841), alias Timagoras, peintre de paysages ; *Friedrich Ferdinand DRÜCK (1754 - 1807), alias Heraklit, professeur d'histoire de l'Antiquité à Stuttgart, il eut notamment pour élève le jeune Schiller ; *Karl von ECKARTSHAUSEN (1752-1803), alias Aetilius Regulus, écrivain. Il est notamment l'auteur d'un traité déiste qui eut un grand succès au XIX e siècle, intitulé Gott ist die reinste Liebe [Dieu est le plus pur amour] (1790) ; *Friedrich Hildebrand von EINSIEDEL (1750-1828), juriste et écrivain ; *Johann Joachim ESCHENBURG (1743-1820), historien de la littérature et professeur d’école supérieure. Il hérita, à la mort de Lessing, d'une partie de ses écrits posthumes. Sans doute est-il à l'origine de la publication des quatrième et cinquième Causeries pour Francs-maçons ; *Wilhelm Ludwig von ESCHWEGE (1777-1855), géologue et géographe célèbre pour ses découvertes sur le Brésil ; *Sigmund FALGERA (1752-1790), alias Attis, pianiste, violoniste et compositeur ; *Johann Georg Heinrich FEDER (1740-1821), alias Marcus Aurelius, professeur de philosophie à l'uni-

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versité de Göttingen et, à la fin de sa vie, directeur du Pageninstitut ; *Johann Georg Adam FORSTER (1754-1794), ethnologue, naturaliste, aventurier, écrivain, journaliste et révolutionnaire. Précoce, il fut élu membre de la Royal Society à l'âge de 22 ans, pour avoir largement contribué, aux côtés du Capitaine Cook (17281779), au développement de l'ethnologie (Voyage round the World) et particulièrement à la connaissance des peuples de Polynésie. En 1777, moins d'un an après la Déclaration d'Indépendance américaine, il rencontra Benjamin Franklin à Paris pour y discuter avec lui d'une alliance entre les troupes européennes et le camp indépendantiste. En 1792, on le retrouve dans le groupe d'activistes qui accueillirent les troupes françaises à Mayence. Le 23 octobre de la même année, il rejoignit le club jacobin Die Freunde der Freiheit und Gleichheit [Les amis de la Liberté et de l'Égalité] et, malgré la Terreur qui sévissait en France, il ne tourna jamais le dos à la révolution ; *Peter Anton von FRANK (1746-1818), juriste, historien et professeur de droit à l'Université de Trèves ; *Ludwig FRONHOFER (1746-1800), alias Raimundus Lullus (reçu le 3 janvier 1779) auteur de pièces de théâtre (Mathilde), de recueils poétiques et d'études sur les belles lettres ; *Christian GARVE (1712-1798), philosophe ; *Tobias Philipp von GEBLER (1726-1786), alias Eberhard, dramaturge allemand auteur, notamment, de Thamos Roi d'Egypte mis en musique par Mozart (KV 345) ; *Karl Heinrich von GLEICHEN (1733-1807), philosophe allemand ;

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*Leopold Friedrich Günther von GŽCKINGK (1748-1828), poète et journaliste allemand ; *Johann Wolfgang von GŽTHE (1749-1832), alias Abaris (reçu en novembre 1783), poète et dramaturge allemand ; *Georg Joachim GŽSCHEN (1752-1828), éditeur des ”uvres de Schiller, G”the, Wieland et Klopstock ; *Gustav Friedrich Wilhelm GROSSMANN (17461796), alias Roscius, acteur, directeur de théâtre et dramaturge ; *Kasimir von HAEFFLIN (1737-1827), alias Philo Biblicus, cardinal ; *Karl Ludwig von HALLER (1768-1854), juriste suisse auteur de la Restoration der Staatswissenschaften [Restauration des sciences de l'État], ”uvre parue de 1816 à 1834 ; *Carl August von HARDENBERG-REVENTLOW (1750-1822), alias Carolus V. Imperator, chancelier du royaume de Prusse ; *August Adolph von HENNINGS (1746-1826), écrivain, politicien et publiciste ; *Johann Gottfried von HERDER (1744-1803), alias Damasus Pontifex (reçu le 1er juillet 1783), philosophe et poète allemand, ami de G”the, Klopstock et Bode, initiateur du romantisme Sturm und Drang ; *Andreas Josef HOFMANN (1753-1849), alias Aulus Persius, philosophe, révolutionnaire et proclamateur de la première république allemande ; *Christoph Philipp Willibald von HOHENFELD (1743-1822), doyen de la cathédrale de Spire, puis nommé au chapitre de Bamberg et Worm, et enfin ministre de l'Électorat de Trèves. Partisan de la

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révolution française, son nom apparaît dans les ”uvres de Schiller, G”the et Wieland ; *Johann Konrad Achatz HOLSCHER (1755-1840), alias Chrysippus, philosophe et théologien ; *Johann Baptist HORIX (1730-1792), alias John Milton, philosophe et théoricien du droit ; *Franz von Paula HOHENEICHER (1753-1844), alias Alcibiade (reçu en mai 1778), linguiste ; *Johann Nepomuk von KRENNER (1759-1812), alias Arminius (reçu le 28 avril 1779), professeur de droit et historien ; *Beda MAYR (1742-1794), alias Ganganelli (reçu le 1er septembre 1779), auteur d'une Vertheidigung der katholischen Religion [Défense de la religion catholique] publiée en 1789, partisan de l'”cuménisme ; *Heinrich August Ottokar REICHARD (1751-1828), alias Wiclef, écrivain, journaliste, directeur de théâtre et bibliothécaire, auteur de la toute première collection de guides de voyage ; *Karl Leonhard REINHOLD (1757-1823), alias Decius, philosophe autrichien ; *Johann Paul Friedrich RICHTER dit JEAN-PAUL (1763-1825), alias Oregius, poète allemand (La loge invisible, Titan, La Comète) ; *Franz Xaver RÜDORFER (1748-1825), alias Livius (reçu le 27 mars 1778), membre honoraire de la Bayerische Akademie der Wissenschaften ; *Friedrich Christian II von SCHLESWIG-HOLSTEINSONDERBURG-AUGUSTENBURG (17651814), alias Timoleon. Marié à la fille de Christian VII (roi du Danemark, 1749-1808), Louise August de Danemark (1771-1843), on le connaît davantage

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pour son goût du pouvoir (il brigua en effet la couronne de Suède), que pour être venu en aide à Friedrich Schiller de 1791 à 1796, par le versement d'une pension annuelle de 1000 thalers ; *Ernst Friedrich von SCHLOTHEIM (1764-1832), alias Cyrus (reçu le 21 octobre 1778), paléontologiste qui introduisit le système binomial dans la classification des fossiles ; *Johann Friedrich SCHULTZ (1739-1805), alias Goswin, mathématicien et professeur à l'université de Königsberg ; *Ludwig Timotheus von SPITTLER (1752-1810), alias Bayle, historien ; *Anton Matthias SPRICKMANN (1749-1833), alias Johannes Huß, écrivain et juriste ; *Ernst Christian TRAPP (1745-1818), créateur et titulaire de la première chaire de pédagogie en Allemagne ; *Christian Gottlob von VOIGT (1743-1819), alias Atticus, conseiller secret et président du Ministère d'État allemand, collègue de ministère de G”the ; *Georg Christian Gottfried von WEDEKIND (17611831), médecin et révolutionnaire ; *Christoph Martin WIELAND (1733-1813) alias Herodianus, traducteur allemand des ”uvres de Shakespeare, romancier, poète (Oberon, Histoire des Abdéritains), encensé par Voltaire et par G”the, admiré par Schikaneder. 13 Knigge est sans doute le plus visé ici ; dans sa lettre du 20 janvier 1783 adressée à Zwack, il exprime ses intentions révolutionnaires, interprétant la rationali-sation du christianisme par Weishaupt comme un moyen privilégié d' « élever la voix contre

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les prêtres et les princes ». Telles n'étaient pas les intentions de Weishaupt, qui souhaitait que l'Illuminisme (ou Perfectibilisme, ne l'oublions pas), processus naturel de l'évolution humaine, fasse d'abord son ”uvre sur l'individu, en le préparant lentement à accepter la doctrine chrétienne, tout en se débarrassant de la crainte superstitieuse et de la bigoterie. 14 Notamment celle d'Autriche, qui annexa, en 1779, une partie de la Bavière sur décision de l'Empereur Joseph II. Selon Jean Mondot, c'est à ce moment précis que les Illuminés, qui étaient favorables à ce regroupement, commencèrent à éveiller les soupçons de l'Électeur de Bavière (Cf. Interférences franco-allemandes et révolution française, textes recueillis par J. Mondot et A. Ruiz, PUB, 1994, p. 51). 15 Le prince de Gotha. 16 Weishaupt fut contraint de quitter Ingolstadt en 1785. 17 Cf. Infra, p. 91. 18 Saint patron des tanneurs et des cordonniers dans la tradition populaire. 19 Georg Andreas Will (1727-1798), lequel mentionne le nom de Weishaupt dans ses Vorlesungen über die Kantische Philosophie [Leçons sur la philosophie kantienne] (Altdorf, Monatischen Verlag, 1788) pour recommander la lecture de son système de l'idéalisme. 20 Karl von Eckartshausen (cf. Infra, note 12) était conseiller aulique. Il fut nommé directeur des archives de Bavière en 1784. 21 En français dans le texte. 22 Ps. 90, 2.

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1 Adam Weishaupt, Das verbesserte System der Illuminaten mit allen seinen Einrichtungen und Graden , in der Grattenauerischen Buchhandlung, 1787. 2 L'auteur des rituels — on peut présumer qu'il s'agit de Weishaupt — fait ici allusion au passage sous le bandeau auquel tout profane postulant doit se soumettre avant de pouvoir prétendre à l'initiation maçonnique. Il peut alors à cette occasion être ou bien ajourné, ou bien — chose plus rare — définitivement écarté. Il est vrai cependant que cette épreuve n'a aucun fondement initiatique ; elle servait à l'origine à préserver la sécurité des frères. 3 Thomas Abbt (1738-1766), philosophe allemand qui demeura célèbre pour avoir formé la conscience nationale allemande au travers d’essais écrits entre 1761 et 1765 : De la mort pour la patrie, Du mérite . 4 Christoph Meiners (1747-1810), enseigna la philosophie à Göttingen. En 1775 parut la première partie de ses Vermischte philosophische Schriften . Plus tard, ses positions idéologiques virèrent au racisme (Grundriss der Geschichte der Menschheit, 1793). 5 Cf. Infra., note 12. 6 Monnaie de Bavière. 7 Dehors ! Dehors ! Vous qui êtes profanes . Formule prononcée au début d’un ancien rituel de purification apollinien. Cette même phrase apparaît dans le rituel de Consécration de l’Épée de la Golden Dawn. 8 Dehors ! Dehors ! Sans aucune rançon. 9 Ce poème, intialement paru en anglais dans Clarissa, or, the History of a Young Lady (London,

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1748) de Samuel Richardson (1689-1761), est en réalité l’”uvre d’une poétesse, Elizabeth Carter (1717-1806), membre de la Blue Stockings Society. Elizabeth Carter posa d’ailleurs en habits de Minerve pour le peintre John Fayram (1713-1743). Le poème était lu par les Minervaux dans la traduction allemande de Johann Peter Uz (1720-1796) (« Ode auf die Weisheit » in Lyrische und andere Gedichte, Leipzig, Weitbrecht, 1756, p. 245). 10 Rivière athénienne placée sous l’égide du dieu Képhissos. 11 Les noms du calendrier des Illuminés sont inspirés du calendrier persan et plus particulièrement zoroastrien. 12 Ou Yezdegerd, ère courant à partir du jour de l’avènement du roi perse Yezdegerd III (16 juin 632). 13 Ces boîtes en carton — papne Kästgen — servaient à ranger le nécessaire de toilette des gentilshommes. 14 Connais-toi toi-même.

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LE VÉRITABLE ILLUMINÉ OU LES VRAIS RITUELS PRIMITIFS DES ILLUMINÉS

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Ouvrages à paraître Collection Idées Philippe RIGAUT, More than life, du romantisme à la scène gothic (à paraître, automne 2012). ISBN : 978-2-918863-06-9, 16,50 ǎ EMERSON, CONWAY, STEVENSON, HAWTHORNE, BURROUGHS, Henry David Thoreau (1817-1862). Édition établie& traduitedel’anglais par Lionel Duvoy (à paraître, début 2013) ISBN : 978-2-918863-07-6, 18,00 ǎ Format E-pub : 9,00 ǎ K. V. ECKARTSHAUSEN, Sur les forces magiques de la nature. Édition établie & traduite de l’allemand par Lionel Duvoy (à paraître, automne 2012) ISBN : 978-2-918863-08-3, 15,00 ǎ Format E-pub : 5,00 ǎ Ouvrages déjà parus Collection Idées J. G. von HERDER, Les Francs-Maçons & autres textes. Édition établie & traduite de l’allemand par Lionel Duvoy. ISBN : 978-2-918863-01-4, 10,00 ǎ Format E-pub : 5,00 ǎ J. G. von HERDER, Questions de Benjamin Franklin relatives à l'établissement d'une société de l'humanité suivi de Sur le mot et concept d’humanité. Édition établie & traduite de l’allemand par Lionel Duvoy. ISBN : 978-2-918863-00-7, 8,00 ǎ Format E-pub : 4,00 ǎ Jérôme de SOUSA, Stoïcisme et Politique. Essai sur la désobéissance philosophique. ISBN : 978-2-918863-02 -1, épuisé Stéphane FRANÇOIS, L’Ésotérisme, la tradition & l’initia-tion. Essai de définition. ISBN : 978-2-918863-04-5, 10 ǎ Format E-pub : 5,00 ǎ . Collection Jeunesse Olivia LE DIVELEC, Benoît RIVALS, Monsieur l’Ému. Colère (album bilingue LSF / français). ISBN : 978-2-918863-05-2, 12,00 ǎ

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