66 Aventures Original - Enid Blyton French

August 21, 2017 | Author: archie10000 | Category: Plants, Nature
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SOMMAIRE Pages 1 - Lettre d'Enid Blyton 2 - Dépêchez-vous, Clan des Sept! 3 - Monsieur Papillon s'amuse 4 - Mots carrés syllabiques 5 - La toile d'araignée 6 - Quand maman regarde à sa fenêtre 7 - Fondons un club (I) 8 - Carte du pays des fées 9 - Connaissez-vous la nature? (I) 10 - Une nuit mouvementée 11 - Le moulin à vent de Mademoiselle Anna 12 - Agneaux et queues d'agneaux 13 - Un cas embarrassant 14 - Le petit lutin aux groseilles 15 - Habitants des étangs 16 - Éclair, le poney 17 - Fées et digitales 18 - Le mystère de la roche percée 19 - Le petit mineur 20 - La prière des animaux 21 - Faisons un gâteau pour les oiseaux 22 - Arabelle veut jouer Shakespeare 23 - Ploum le lièvre 24 - Fondons un club (2) 25 - Un bon tour de Jeannot Lapin 26 - Une aventure du Club des Cinq 27 - Feuilles d'automne 28 - Poème devinette 29 - « Aidez-moi monsieur Papillon! » 30 - Flottille de noix 31 - Mademoiselle Anna et les coiffures de Peaux-Rouges 32 - Mots en losange - Mots en parallélogramme 33 - Les ours sont lâchés

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Enid Blyton, 1934-1961. Golden Pleasure Books Ltd, 1961, pour l'illustration, le choix des textes et la présentation de cette Anthologie. Librairie Hachette, 1963, pour le texte de l'édition en langue française. Publié par les Éditions Graphiques Internationales (E.G.I.), Paris.

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- Berceuse pour un prince - Oui-oui et le cheval de bois - Une bande de jeunes vauriens - Magie - Plus malin que le magicien - La vie secrète des loutres - Des traces dans la neige! - La légende du sapin - Mots en losange - Monsieur Létourneau et le chien - L'avaleur de flammes - Heureux canards - Les quatre Sages et leur Serviteur - Le secret de l'île verte - Les chevaux de bois de Mademoiselle Anna - Crac l'épagneul - En route pour le lac Vert - La première églantine - Bêtasson n'est pas bien malin - Brindilles et bourgeons - Le bon tour de Mam'zelle - Connaissez-vous la nature? (2) Un bouquet de fleurs - La grande frayeur de Monsieur Groddy - Oiseaux et fleurs en avril - Un petit aquarium - Fanfan - L'aventure des berlingots - Mlle Nanou roule sa bosse - Tu es trop malin, Compère lapin! - Feu de joie le soir - Sur la colline. Solution des jeux - Une nuit sur le rocher des tempêtes - Jacques le voisin

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Lettre d'Enid Blyton

(Photograph by Dorothy Wilding) Mes chers enfants, Des milliers d'entre vous m'écrivent chaque année. Pourtant, il m'est impossible, hélas! de répondre à chacune de vos lettres. Mais l'occasion s'offre à moi de vous adresser par ce livre une lettre personnelle et de vous remercier de toutes les lettres intéressantes, amusantes et affectueuses que vous m'envoyez toutes les semaines. Vous êtes non seulement mes lecteurs, mais aussi mes amis. Que je vous parle un peu de ce nouveau livre. Les éditeurs croient en avoir eu l'idée. Ils se trompent! Vous y avez songé bien avant eux, et depuis longtemps! Ce livre s'appelle une Anthologie, c'est-à-dire un recueil de toutes sortes d'écrits — poésies, contes, histoires. Vous ne l'appeliez pas une Anthologie, mais vous lui donniez des titres variés. Un des meilleurs me fut adressé par une fillette de douze ans. « Un livreplongeon, Mademoiselle, où se trouveraient tous les personnages que nous connaissons, si bien que nous pourrions ouvrir le livre à n'importe quelle page, et y faire un petit plongeon. Nous reverrions le Club des Cinq, Kiki le perroquet, Toufou, Fatty, et tant d'autres. » Un adolescent me parlait d'un

livre du Souvenir : « J'aimerais un livre — mais un gros — qui me rappellerait tous ceux que j'ai aimés. » Eh bien, le voici! Je n'ai pu y introduire tous les personnages qui vous sont si familiers, mais j'ai essayé de choisir ceux que vous préférez. Dans vos milliers de lettres, la même question m'est sans cesse posée : « Comment avez-vous commencé à écrire, Mademoiselle, et pourquoi avez-vous décidé d'écrire pour les enfants? Comment imaginez-vous vos personnages? Sont-ils réels? Où se trouve l'île de Karnak? Kiki est-il un vrai perroquet ? Où vivent les Cinq ? Que j'aimerais connaître Claude! » Et ainsi de suite. Presque chacun de mes livres me vaut un questionnaire. Ses personnages vous semblent aussi réels qu'à moi-même lorsque je le compose. Je vais maintenant pouvoir répondre à quelques-unes de vos questions. J'ai commencé à écrire parce que rien ne me plaisait autant, et parce que je possède ce que doit avoir tout vrai conteur d'histoires : de l'imagination. Je ne suis jamais plus heureuse que lorsque je raconte une histoire — une histoire avec de nombreux personnages qui paraissent vivants, une histoire toute pleine d'incidents passionnants, de drôleries, de mystères et d'aventures que je partage avec mes personnages. J'ai même l'impression d'être l'un d'eux, de voir ce qu'ils voient, d'éprouver leurs sentiments les plus intimes. Tous les conteurs vous en diront autant. Les gens nés conteurs ont bien de la chance ! Ils n'ont pas besoin de faire de plans. Leurs personnages jaillissent de leur cerveau, vivants et vrais, menant une vie toute personnelle, que l'auteur peut observer comme s'il voyait un film sur un écran de cinéma. Vous me dites parfois : « Comment commencez-vous une histoire, Mademoiselle? La voyez-vous tout de suite en son entier ?» — Non! Je ferme mes yeux de chair, et je regarde avec l'œil de l'esprit. Presque tout de suite, j'aperçois mes personnages — aussi nettement que je pourrais vous voir! Quelques-uns de mes personnages ne sont pas complètement imaginaires, niais m'ont été inspirés par des gens qui m'ont fait impression. Claudine, par exemple, le garçon manqué qui s'appelle Claude dans les livres des " Cinq " et qui possède un chien, Dagobert, elle est vraie! Elle désirait passionnément être un garçon et se conduisait comme tel. Un jour, elle apparut

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soudain dans le premier livre des " Cinq ". La véritable Claudine était devenue une Claude imaginaire ! Fatty dans les livres de la série " Mystères ", a pour origine un petit garçon dodu, ingénieux [et très amusant que j'ai connu autrefois. Kiki, le perroquet, était un vrai perroquet qui disait des choses ridicules, tout comme celui du livre. La plupart des animaux de mes histoires sont en partie réels ; je les ai connu et aimés. Je n'introduis pas cependant délibérément ces enfants ou ces bêtes dans mes histoires. Je ne dis pas : « Oh! je me servirai de ce garçon si amusant dans mon prochain livre ! » II apparaîtra probablement dans l'un d'eux le jour où je n'y penserai pas et je me dirai : « Eh! bien, voici ce garçon que j'ai vu au bord de la mer, il y a deux ans, et qui avait des oreilles décollées! » Ou peut-être un singe comique fera irruption dans une histoire que je serai en train d'écrire. Je m'arrêterai et m'exclamerai : « Mon petit singe, je vous ai vu il y a bien longtemps avec le joueur d'orgue de barbarie! Vous étiez assis sur l'instrument; votre queue affectueusement enroulée autour du cou de votre maître, vous lui chuchotiez à l'oreille. Et maintenant vous voici, grandeur nature! Et je vous avais oublié! Vous vous étiez caché jusqu'à aujourd'hui dans un coin de ma mémoire! »

En été, j'écris surtout au jardin, ma machine à écrire sur les genoux. Je regarde les poissons rouges sauter dans mes étangs. Ils sont si apprivoisés qu'ils mangent dans ma main et viennent même la caresser quand je n'ai pas de nourriture pour eux. Mes deux chats m'accompagnent, et touchent l'eau de la patte et la secouent, dégoûtés de la savoir humide! Ils sont avec moi, à l'heure présente, gravement étendus, regardant mes doigts, actifs. Ah! l'un vient de faire un bond! Il poursuit un papillon. Maintenant, ils viennent de rentrer à la maison, et les oiseaux du jardin vont recommencer à voler. Nous en avons tant ici, de toutes sortes, même des martins-pêcheurs et un héron aux longues pattes, qui vient parfois de bonne heure, à la rosée, attraper mes poissons rouges! Le martinpêcheur en prend aussi, mais de minuscules. Je sais quand le héron est près de l'étang, car il m'éveille en disant : « Cronc! Cronc! » Les oiseaux construisent des nids partout dans mon jardin, en dépit des chats. Merles, grives, pinsons, mésanges bleues se logent dans les abris construits pour eux. Mésanges charbonnières, moineaux-friquets, gobemouches, que d'oiseaux je vois lorsque je les nourris le matin! La sittelle vient chercher des noisettes sur les coudriers et le grimpereau des bois ne cesse de monter et descendre les troncs et d'en faire le tour. Je pourrais écrire un livre entier sur mes petits visiteurs couverts de plumes, de poils ou d'épines (tel le hérisson qui apparaît toutes les nuits). Ils vivent d'une vie secrète et heureuse dans le jardin des Haies Vertes. Voici une bien longue lettre! Mais j'ai pensé que vous seriez contents de connaître cette Anthologie et son auteur, tout comme je suis heureuse de vous connaître. Nombre d'extraits vous seront familiers puisqu'ils sont en grande partie tirés de livres que vous avez lus. Certaines pages, cependant, sont inédites. Si vous désirez savoir de quels livres proviennent les histoires de cette Anthologie, vous trouverez la liste de mes ouvrages à la fin de ce volume. J'espère que ce recueil vous procurera autant de joie que j'en ai eu à le composer. Et si vous désirez que j'écrive un nouveau roman sur un sujet qui vous tient à cœur, dites-le-moi! Avec toute mon affection et mes meilleurs vœux.

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(Le Clan des Sept — ceux qui ont lu les livres où il en est question le savent bien — est constitué par sept enfants, fondateurs d'une société secrète pour rire. Voici une de leurs aventures, partagée par Moustique, leur épagneul.) Les Sept venaient de faire un pique-nique à la campagne. Moustique, remuant joyeusement la queue, les accompagnait. Il aimait se trouver seul avec Pierre et Jeannette, mais il était plus content encore lorsque les Sept étaient au complet. Il y avait alors toujours quelqu'un pour s'occuper de lui, le caresser ou lui parler. « Je constate avec plaisir que nos paniers sont beaucoup plus légers au retour qu'à l'aller, dit Jeannette, brimbalant le sien... Oh! pardon, Colin. Je ne savais pas que tu étais juste derrière moi. — Tu ferais mieux de laisser Moustique porter ce panier-là, dit Colin. C'est la troisième fois que tu me le lances dans les jambes. — Rentrons-nous à la maison par les champs ou par la ville? demanda Pierre. — Par la ville! » dirent-ils à l'unisson. Ils avaient tous la même idée : « Si nous allions manger des glaces chez le pâtissier? » Aussi prirent-ils le chemin de la ville. C'était jour de marché. Quelle foule dans les rues! Les gens couraient de-ci de-là, chargés de paquets, se hélant, marchant sur la chaussée, si bien que les voitures ne pouvaient avancer.

Les enfants se faufilaient dans la cohue, se perdaient, se retrouvaient. Le panier de Jeannette faisait des siennes et valait des remarques désobligeantes à sa propriétaire. « Faites donc attention! Un peu plus mes bas étaient déchirés ! Des bas tout neufs ! » s'indigna une jeune campagnarde qui avait mis sa robe du dimanche pour venir en ville. « Donne-moi ton panier! ordonna Babette qui s'en coiffa sur-le-champ. Voilà! Au moins il me protégera du soleil... » Pendant ce temps, les garçons poursuivaient un énorme cochon qui venait d'échapper à son propriétaire, gros fermier essoufflé, incapable de rattraper le fuyard à lui seul. L'animal, cerné, dut renoncer à la liberté et rentrer en grognant dans la camionnette. Les enfants furent enchantés de l'incident. « Seigneur! que j'ai chaud! dit Colin, s'épongeant le front en riant. Quelle histoire! C'était une scène à filmer!

« Qui est cet homme ? Le sais-tu ? »

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— Tu as failli te faire écharper par cette vieille dame au chapeau mauve qui prenait le parti au cochon s'exclama, 'Pierre. Il s’en est fallu de peu qu'elle ne te cassât son parapluie sur le dos! Que j'ai ri lorsqu'elle a frappé par malchance le fuyard ! Je lui ai dit que j'allais porter plainte à la Société Protectrice des Animaux! — Partons! Nous sommes trop bousculés ici, gémit Jeannette. Je croyais que nous allions chez le pâtissier...

« Il s'appelle M. Barrière ? » demanda Jeannette ». - Bien sûr! Allons-y! dit Georges, mais allons chez celui de la Grand-Rue, il est bien meilleur! Une bonne glace nous rafraîchira. Cette course au cochon nous a donné chaud. — Une glace, et des gâteaux, corrigea Pierre. J'ai l'estomac dans les talons. — Quoi ? après tout ce que tu as ingurgité à une heure? demanda Babette, moqueuse. Tu as mangé comme quatre, je veux dire

comme sept. Je m'attendais à te voir étouffer à tout instant! — C’est ta faute. Tes sandwiches étaient trop bons. Et tu oublies que, moi, j'ai la malchance d'être pensionnaire... Il faut bien que je me rattrape pendant les vacances! — C'est bon, gave-toi, alors! Si le fait de manger comme un ogre peut t'empêcher de devenir complètement idiot, je t'invite à venir t'empiffrer chez le pâtissier, intervint Colin. Venez tous! J'offre le goûter, ajouta-t-il d'un air triomphant. — Tu as trouvé une mine d'or aujourd'hui? — Oui, en un sens. Ma marraine est venue hier à la maison, répliqua le garçon. Naturellement... — Inutile d'achever ta phrase, mon vieux... Nous avons parfaitement compris! Tu as su l'apitoyer sur l'aspect lamentable de ton portefeuille... Eh bien, puisqu'elle te l'a si bien gonflé, nous acceptons sans scrupule ton invitation. En avant, Clan des Sept! » II y avait foule aussi chez le pâtissier. Ils durent attendre longtemps à la porte avant de pouvoir se faufiler dans la boutique. Toutes les tables étaient occupées par dès campagnardes nullement pressées de regagner leur village. « Tant pis pour les glaces, dit Babette. Achète des gâteaux, Colin, nous les mangerons près d'une fontaine publique. Elle nous rafraîchira mieux que des glaces, ajouta-t-elle sans enthousiasme.

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Les sept enfants descendirent la route au galop; la ligne du chemin de fer s'étendait devant eux.

— Entendu, choisissez tous », dit le garçon d'un ton superbe, fouillant dans la poche de sa veste, à la recherche du portefeuille. Ses compagnons le virent devenir écarlate, puis blême. Il tâta chacune de ses poches, et dit enfin d'une voix étranglée : « Si l'un de vous m'a joué une farce, j'avoue que je la trouve complètement idiote...» Hélas ! Il lui fallut reconnaître vite que ses amis n'étaient pour rien dans la disparition de sa fortune. Et aucun d'eux n'était en fonds ce jour-là. Ils avaient tout juste assez d'argent pour acheter une petite glace de rien du tout... Ils quittèrent la boutique aussi penauds que consternés. « Je parie que cet homme qui t'a bousculé tout à l'heure sur la place était un pickpocket, suggéra Jeannette. Il a détalé à toute allure et a disparu dans la ruelle du Potd'Étain... — Tu as peut-être laissé ton portefeuille dans lé pré du pique-nique ? — Allons voir, dit Pierre, toujours optimiste. — Non, non, je suis sûr que je l'avais tout à l'heure sur la place! — Eh bien, retournons-y, fit Babette. Quelqu'un a pu le trouver et le porter au commissariat... » Ils rebroussèrent chemin, se rendirent au poste de police, mais personne n'avait apporté de portefeuille. « Revenez demain, dit l'agent compatissant. Ou téléphonez. On peut l'apporter plus tard. Qui sait ? »

Les enfants, décontenancés par ce nouveau mystère, retrouvèrent la foule de la place, toujours aussi dense. Ce fut alors que se

produisit l'accident qui leur fit oublier leur mésaventure. Un cycliste descendait rapidement la rue, actionnant son timbre, en homme très pressé, et les gens s'écartaient de son chemin. Pierre eut à peine le temps de faire un saut de côté pour éviter d'être renversé. Il se retourna, indigné : « Pour un peu, il me jetait par terre! » commençait-il, mais il n'eut pas le temps de continuer ses récriminations. L'accident venait de se produire. Patatras ! Le cycliste, heurtant une voiture, avait été projeté sur la route. Une femme poussa un cri perçant. Les passants accoururent. Les enfants eux aussi s'approchèrent en toute hâte. L'homme gisait sur la chaussée, à demi inconscient. Il avait au front une profonde entaille. Un gendarme s'avança. « II allait trop vite! dit une femme. Pour pressé, il l'était! Je ne crois pas qu'il ait vu la voiture. » L'homme s'efforçait de parler. Le gendarme, penché sur lui, tendait l'oreille, intrigué. « II ne cesse de répéter " Barrière ", dit-il. Serait-ce son nom? Quelqu'un le connaît-il? » D'autres curieux s'assemblèrent. Le gendarme les repoussa. « Allons, allons! Circulez! dit-il. Ah! voici un médecin! Allez-vous circuler, vous

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autres gamins? Laissez ce pauvre homme revenir à lui. » Les Sept s'éloignèrent avec les autres enfants. — Eh bien, moi, j'ai l'impression de le connaître, dit Georges, perplexe. J'en suis même sûr. Seulement, je ne peux pas dire qui c'est au juste. - Il me semble aussi l'avoir déjà vu, dit Jacques, fronçant les sourcils. Mais qui donc peut-il être? — N'y pense plus! s'exclama Pam. Cela n'a aucune importance! Il n'est pas en danger. Un médecin et le gendarme s'occupent de lui. Que te faut-il de plus? - J'ai beau faire, dit Georges, je ne me rappelle pas où je l'ai vu. Pourtant, j'ai idée que c'est un employé du chemin de fer... Peut-être un des porteurs de la gare ? - Non! dit Jacques qui les connaissait tous. Ce n'est ni un porteur, ni l'employé du guichet, ni le chef de gare. Malgré tout, je crois que tu as raison. Il travaille certainement au chemin de fer. - Oh! ne vous tourmentez donc pas tant! s'écria Pam. Je ne demande qu'à oublier cet accident. C'était horrible! » Ils reprirent leur route, balançant paniers et sacs. Colin était pensif. Pierre et Colin se mirent à parler du dernier match de football; les trois filles écoutaient. Soudain Georges les interrompit : «Je sais! s'écria-t-il. Je me rappelle qui est cet homme ! Nous ne nous étions pas trompés, c'est bien un employé du chemin de fer! — Il s'appelle M. Barrière? demanda Jeannette. - Non, dit Georges. Il s'appelle Guillaume. C'est le garde-barrière du passage à niveau qui se trouve au tournant de la route de Blainville. — Celui qui n'est pas fait comme les autres? demanda Babette. — Oui. A cause du virage, les barrières sont en travers des voies et on ne les ouvre que lorsqu'un train va passer. A ce moment-là, elles viennent se mettre en travers de la route. — C'est vrai, dit Jacques. Nous avons quelquefois regardé ce M. Guillaume alors qu'il faisait pivoter les grosses barrières de fer.

«Jamais plus je ne pédalerai trop vite, déclara Babette. J'ai compris comment les accidents arrivent. — Qui était cet homme? Le savezvous? demanda Pierre. — Je ne l'ai jamais vu, dit Pam. — Mais alors, s'écria Pierre, qui va les manœuvrer au passage du prochain train? J'espère qu'il y a quelqu'un... Voilà pourquoi M. Guillaume était si pressé, je suppose : il voulait arriver à temps! — Le train de six heures quinze va bientôt passer, dit Colin, et mon père est dedans ! — Retournons vite prévenir le gendarme! s'exclama Jeannette, épouvantée à la pensée que le train heurterait les barrières et pourrait dérailler. — Pas le temps! dit Pierre, regardant sa montre. » Puis, en bon chef, il prit une décision rapide. « Cela peut être grave, dit-il. S'il n'y a personne pour ouvrir les barrières, il y aura sûrement un accident au passage du prochain train. Même si le train ne déraille pas, les barrières seront mises en miettes. Allons, courage! Courons jusqu'à la maisonnette pour voir s'il y a quelqu'un... » Les sept enfants, suivis de Moustique qui courait derrière eux en aboyant furieusement, dévalèrent la route au galop et prirent le tournant. Ils gravirent une petite colline, dégringolèrent le versant. Devant eux s'étendait la ligne de chemin de fer. « Courage! dit Pierre haletant. Nous y sommes presque! Il nous reste quelques minutes avant le passage du train. » II arriva le premier à la maisonnette, située tout près du passage à niveau. Elle était bien jolie, entourée d'un minuscule jardin. Pierre se mit à crier tout en courant : « II y a quelqu'un?... Garde-barri ère!...»

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Jacques réussit le premier à ouvrir la barrière

C'était un gendarme à bicyclette.

Il frappa de grands coups à la porte. Personne ne vint ouvrir. Alors Colin courut jusqu'à la fenêtre et regarda à l'intérieur. « II y a quelqu'un? » cria-t-il à tue-tête. Puis, se retournant : « La maison est vide! ditil. — Je comprends pourquoi M. Guillaume répétait: "Barrière! Barrière!" dit Jeannette. Qu'allons-nous faire? — Ouvrir les barrières nous-mêmes, bien sûr! » dit Pierre, s'efforçant de garder tout son calme.

Il se rendait compte que les trois fillettes étaient nerveuses et inquiètes. Il fallait réagir. Tous devaient reprendre leur sang-froid; tous devaient aider. Les grosses barrières de fer étaient très lourdes. Colin jeta les yeux autour de lui pour voir s'il y avait quelqu'un tout près, capable de les aider. Un homme vigoureux serait le bienvenu! Mais il n'y avait âme qui vive, à part une petite fille qui les dévisageait gravement. « Georges! Jeannette! Venez avec moi à la barrière de droite et aidez-moi à l'ouvrir! cria Pierre. Jacques, va vers l'autre avec Pam, Babette et Colin. Dépêchez-vous! Le train doit arriver dans une minute! »

Les sept enfants s'attaquèrent aux lourdes barrières. Il fallait d'abord faire basculer un grand anneau, en haut du poteau, puis lever un gros loquet de fer dont la tige s’enfonçait en terre, et enfin faire pivoter la barrière sur ses gonds. « J'entends" le train! cria soudain Jeannette. Les rails commencent à trembler. Vite, vite! » Jacques, avec ses trois aides, réussit le premier à déverrouiller sa barrière et à la pousser lentement en travers de la route, dégageant ainsi la voie. Mais, du côté de Pierre, la barrière pivotait mal et le jeune garçon n'arrivait pas à vaincre sa résistance. « Le train arrive! cria Pam à tue-tête. Le train arrive! Va-t-en, Pierre, va-t'en! » Oui, le train arrivait à toute vitesse, sifflant, grondant, menaçant. Tous vinrent au secours de Pierre et, unissant leurs efforts, réussirent à ouvrir la barrière juste à temps. Pam poussa un cri aigu quand le train fila devant eux, en déplaçant l'air. Un chauffeur surpris regarda du haut de la locomotive les enfants placés le long de la voie. Puis le long convoi les dépassa dans un bruit de tonnerre. En un instant, le train avait disparu. Il s'arrêterait bientôt à la gare, quinze cents mètres plus loin. Le père de Colin replierait son journal et descendrait. «Je me demande si papa m'a vu? dit Colin, alors que le train s'éloignait en grondant. — Je crois que je vais m'évanouir », dit soudain Babette. Elle s'assit par terre près d'une barrière. « Oh! que je suis sotte!

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— C'est l'émotion, dit Pierre, dont le cœur battait si fort dans la poitrine qu'il pouvait à peine parler. Ma foi, nous n'avons eu guère de temps. Mais nous avons réussi! » Un cri parvint à leurs oreilles. Ils se retournèrent. C'était le gendarme, à bicyclette, suivi de deux ou trois hommes en voiture. « Hé! là-bas! Que faites-vous sur la voie, les enfants? Les barrières sont-elles fracassées? — Non. Nous avons tout juste réussi à les ouvrir à temps pour le passage du train, répondit Pierre.

« Mous sommes le Clan des Sept. »

- Eh bien, c'est une chance! » dit le gendarme mettant pied à terre au moment où les trois hommes sautaient de la voiture. « Avez-vous pensé aux barrières quand vous avez découvert qui était le blessé? demanda Pierre. - Oui, l'homme a enfin réussi à nous renseigner, dit le gendarme. Je suis parti tout de suite et ces messieurs sont venus dans leur voiture dès qu'ils l'ont pu. Ma parole! Quand j'ai vu foncer le train, j'ai cru tout perdu! Je m'attendais à entendre les barrières craquer, mais non! Le train a passé comme à l'habitude. — Est-ce vraiment vous, les enfants, qui les avez ouvertes? dit l'un des hommes ébahi. Comment y avez-vous pensé? — Nous nous sommes rappelé qui était l'homme, Guillaume le garde-barrière, dit Georges. Alors nous avons pensé au train qui allait passer, et nous avons couru comme des lièvres pour les ouvrir.

- Nous avons tout juste réussi, dit Jacques! je suis trempé de sueur. Elles étaient lourdes, ces barrières! - Je suis tout en eau aussi, dit Babette, toujours assise, mais moins pâle et moins tremblante. - Qui êtes-vous, mes enfants? demanda un autre homme, grand et corpulent, qui les regardait avec curiosité. Vous avez vraiment beaucoup de courage et de sang-froid! Grâce à vous, un grave accident a été évité. - Nous sommes le Clan des Sept, dit Pierre fièrement, montrant son insigne. Toujours prêts à l'ouvrage, à n'importe quel moment.

— Ah! j'ai déjà entendu parler de vous, dit l'homme. Je suis un ingénieur de la compagnie des chemins de fer, et je vous adresse toutes mes félicitations. Sans vous, nous aurions peut-être un déraillement à déplorer. — Je suis joliment content qu'il n'ait pas déraillé, ce train! dit Colin. Mon père était dedans. Quand nous lui raconterons l'histoire ce soir, comme il sera surpris ! — Eh bien, avant de la lui raconter, voulez-vous me rendre un autre service? dit le gros homme en lançant un clin d'œil à ses deux compagnons. — Lequel? demanda Pierre, imaginant quelque nouvelle aventure passionnante. — Aidez-moi à manger quelques glaces! dit l'homme. Vous avez l'air d'avoir bien chaud! Vous avez besoin de vous rafraîchir. Et c'est une bonne méthode que je vous propose, n'est-ce pas? — Oh! oui! dirent-ils tous. » Babette se leva tout de suite. Elle se sentait disposée à manger trois glaces si elles lui étaient offertes ! Les deux hommes qui accompagnaient le fonctionnaire remirent les barrières en place, afin de livrer passage aux piétons et aux voitures. Le gros homme sauta dans sa voiture et invita les enfants à le suivre chez le glacier du bas de la rue. Ils furent bientôt assis tous ensemble, dégustant des glaces si énormes qu'ils avaient peine à en croire leurs yeux. « C'est la plus grosse glace que j'aie eue de ma vie ! s'exclama Pierre. — Vous la méritez bien, mon garçon, dit le gros homme, qui en savourait aussi une.

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Comment diable avez-vous réussi à ouvrir ces barrières à temps? Vous n'aviez que quelques minutes pour parvenir jusqu'au passage à niveau et manœuvrer ces lourdes barrières! Cela tient du prodige! — Oui, vous avez raison, monsieur, répondit Pierre pensif. Je ne sais vraiment pas comment nous nous y sommes pris! Mais le fait est que nous avons réussi! Nous avons eu de la chance!

—- Et sur toute la ligne, dit Colin, qui se mit à rire. Clan des Sept, rendez-vous demain à quatre heures chez le pâtissier de la GrandRue...

Monsieur Papillon s'amuse M. Papillon, petit homme aux oreilles pointues, est une sorte de lutin qui s'en va de par le monde, secourant malheureux et opprim.es. II vit avec un chat fort aimable, Ramonat, son fidele serviteur. Dans cette histoire, il vient en aide à deux fillettes bien embarrassées.

« Nous avons tant entendu parler de vous! Nous savons que vous parcourez le monde pour réparer le mal, aussi avons-nous pense pouvoir compter sur vous. Oh! monsieur Papillon, je vous en prie, venez a notre secours!

M. Papillon était un jour assis auprès du feu, occupe a lire, lorsqu'il entendit frapper a la porte de devant. Ce n'était qu'un petit coup timide : " rat - a - tat - tat... " « Ramonat, dit M. Papillon a son gros chat noir, va voir qui frappe, s'il te plait! » Ramonat se précipita vers la porte et 1'ouvrit. Deux petites filles, passablement effrayées, se tenaient sur le seuil. « Oh! dit 1'une d'elles, en voyant Ramonat, nous sommes certainement chez M. Papillon, car nous savons qu'il a, pour le servir, un chat nomme Ramonat. Vous êtes bien Ramonat, n'est-ce pas? — Je le suis, dit le chat noir. Entrez donc! » Les deux petites franchirent le seuil de la porte et s'essuyèrent très soigneusement les pieds sur le paillasson. Ramonat les introduisit dans la pièce ou se trouvait M. Papillon. Celuici sourit. « Oh! que vous ressemblez au monsieur Papillon de nos histoires! s'exclama 1'une des petites. — J'en suis fort heureux! En fait, je ressemble toujours à moi-même, naturellement! Comment vous appelez-vous ? — Moi, Katie, et elle Patricia. Nous sommes venues vous demander de nous aider, monsieur. »

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M. Papillon, tout comme vous le feriez vousmême si vous étiez dans l'embarras... « Voici l'affaire, dit Katie. Il y a dans notre village deux garçons très méchants et très cruels, monsieur Papillon. Ils lancent des pierres aux chats et aux chiens, dénichent les œufs d'oiseaux, se cachent aux coins des rues, sautent sur nous et... - Et ils frappent aux portes et se sauvent, et ils vont chez le fruitier et lui volent des pommes et des oranges quand il a le dos tourné, dit Patricia. Et, hélas! depuis peu, ils nous guettent, Katie, moi et d'autres petites filles, et ils nous prennent nos poupées! - Et ils ont cassé la mienne, dit Katie, les larmes aux yeux. Ils l'ont jetée sur le trottoir. Aussi sommes-nous venues vous demander votre aide. Nous avons toutes si peur de Tom et de Pierre! - J'espère que vous ne croyez pas que nous vous racontons des histoires, dit Patricia. Nous ne savons que faire ! Et maintenant, ces garçons font peur aux bébés dans leur voiture ; ils les huent en passant. Le pire, c'est que leurs parents pensent qu'ils sont des garçons admirables et ne croient pas un mot de ce qu'on leur dit. Alors, que pouvons-nous faire?»

MOTS CARRÉS SYTLLABIQUES Mon premier est la reproduction, Sérieuse ou frivole, De certains traits ou de quelque action Qui plaît aux yeux et quelquefois console. Mon second offre une institution Où résident parfois des ressources entières, Industrie et commerce et puissances guerrières D'une importante nation. Mais ce n'est pas dans mon troisième Qu'on la peut rencontrer.

- Mais bien sûr », dit M. Papillon. Et s'adressant à son chat : « Ramonât, apporte donc de la citronnade et des biscuits. » Tout en dégustant biscuits et citronnade, les deux petites confièrent leurs ennuis au bon

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Les deux petites contèrent leurs ennuis au bon M. Papillon.

M. Papillon prit un air grave. Pour la troisième fois, il offrit des biscuits. « C'est très sérieux, dit-il. Sérieux pour vous parce que vous avez peur, et aussi pour ces galopins ! En grandissant, ils deviendront de véritables vauriens! Humm! Il faut que je réfléchisse ! — Que ferez-vous? demanda Katie. — Je n'ai pas encore pris de décision, dit M. Papillon. Je songerai à votre problème. Ces parents devraient traiter leurs fils plus sévèrement. Vous le savez, lorsque des enfants deviennent des garnements, c'est généralement la faute de leurs parents! — Oui, nous l'avons remarqué, dit Katie. — Si votre maman est gentille, vous êtes aussi gentille, d'habitude. Et si votre maman

Et pourtant on y voit quand même Des quais, une onde, où vont se mirer Des hauts sommets verts et fleuris Comme en un coin du Paradis. Tous les sujets de ma deuxième Son à coup sûr mon bon premier. Sont à coup sûr mon bon premier. Du bois articulé ou même de l'osier Présentant forme humaine offrira mon troisième

est méchante, vous êtes aussi une vilaine petite fille... Et une maman qui est sotte a de méchants enfants parce qu'ils ne la respectent pas et ne l'écoutent pas! » L'horloge sonna quatre heures. Katie se leva immédiatement. « Nous devons vous quitter, monsieur, ou nous serons en retard pour le goûter et nos mamans s'inquiéteraient. Merci, merci, monsieur Papillon! Vous avez été bien bon de nous écouter et de nous offrir de la limonade et des biscuits! - Oui, merci beaucoup, monsieur, dit Patricia à son tour. — Quelles charmantes mamans vous devez avoir! dit M. Papillon. Mais pourquoi rougissez-vous? Ne m'avez-vous pas dit que les gentilles mamans ont de gentils enfants? Et je m'aperçois que vous êtes toutes deux bien mignonnes. Donc, je sais ce que sont vos mamans! » Les deux fillettes partirent enchantées. Elles avaient confiance en M. Papillon! Celui-ci était bien décidé à mettre fin aux agissements des deux gamins. Il réfléchit longuement et appela Ramonât. «Je pars pour le village qu'habitent les deux petites, lui dit-il. Je vais me rendre invisible ! Je trouverai les deux garnements et leurs parents, et je leur ferai une belle surprise! Je reviendrai dès que j'aurai mené mon œuvre à bien, Ramonât! — Oui, Maître, répondit Ramonât, Je vais tout de suite brosser votre chapeau. Ah ! si seulement il y avait davantage de gens comme vous sur terre, le monde n'en irait que mieux! » M. Papillon s'en fut. Ramonât ne put voir son maître franchir la grille car il s'était déjà rendu invisible. Ah! M. Papillon pouvait voir bien des choses curieuses, puisque personne ne soupçonnait sa présence! Il découvrit bientôt les deux gamins. Cachés derrière un mur, ils attendaient une vieille femme, pistolets à eau en mains. Au moment où la vieille dame contournait le mur, ils lui lancèrent un jet d'eau. L'eau se répandit sur le visage de la vieille femme. Elle en perdit le souffle et laissa choir son panier. Les œufs qu'il contenait se cassèrent et le jaune se répandit sur le trottoir.

(Voir la solution page 203)

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Épouvantés, l'autobus.

les garçons sautèrent de

« Oh! oh! que se passe-t-il? On a tiré sur moi! Oh! que m'est-il arrivé? » gémit la vieille dame, s'asseyant sur le bord du trottoir, la tête entre les mains. M. Papillon s'assura que quelqu'un venait au secours dé la pauvre femme. Il suivit rapidement les deux garnements qui s'étaient sauvés tout de suite en riant. Ils sautèrent dans un autobus. M. Papillon y sauta aussi. Personne, absolument personne ne le vit, bien sûr. Il s'assit juste derrière les gamins. Il attendit le départ de l'autobus, et parla alors d'une voix haute et furieuse. « Quels sont les garçons dans cet autobus qui viennent d'effrayer une vieille dame ? Qui a tiré sur elle avec un pistolet à eau et lui a fait tomber son panier et casser ses œufs? » II se fit un silence. Surpris, les voyageurs regardaient autour d'eux, se demandant qui venait de parler ainsi. Rougissant jusqu'aux oreilles, les enfants osaient à peine respirer. Qui connaissait leur méfait? Était-ce un agent? « Je vois ces gamins, reprit M. Papillon d'une voix haute et sévère. JE LES VOIS... » Epouvantés, les garçons sautèrent de l'autobus. Papillon, toujours invisible, les suivit. « II nous faut maintenant retourner chez nous à pied! grommela l'un des gamins. Qui nous grondait ainsi dans l'autobus? — Bah! qu'est-ce que ça fait? fit l'autre. Allons, Pierre, tirons quelques sonnettes et sauvons-nous! »

M, Papillon escortait Pierre et Tom. Ils allèrent, à pas de loup, jusqu'à une porte et tirèrent violemment la sonnette. Puis ils décampèrent, s'en allèrent jusqu'à une autre porte et agirent de même. M. Papillon, les sourcils froncés, descendit la rue en leur compagnie. Quand les galopins passèrent dans la grand-rue, M. Papillon se remit à crier : « Où sont les deux garçons qui ont tiré les sonnettes et se sont sauvés? Où sont-ils? « Qu'on s'en saisisse et qu'on les punisse ! » Tous les gens sursautèrent en entendant cette voix soudaine surgie de nulle part. Terrifiés, les deux enfants se retournèrent et les gens se mirent à les montrer du doigt: « Voici les deux coupables, regardez donc! Quelqu'un doit les poursuivre! » Les garçons prirent la fuite sans plus attendre. Toujours invisible, M. Papillon les suivit.

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Au tournant de la rue ils rencontrèrent une petite fille avec un chiot. Pierre se jeta sur le petit chien et la petite poussa des cris perçants. « Non ! non ! Ne lui faites pas de mal ! Il est si petit! » Tom s'empara d'une vieille casserole gisant dans un fossé et l'attacha à la queue du chiot épouvanté. L'animal tenta de le mordre et aboya. Pierre le frappa. La voix tonnante de M. Papillon se fit entendre à nouveau. « Où sont ces garçons? Où sont ces petits chenapans? » Pierre et Tom se cramponnèrent l'un à l'autre, pris de frayeur. Encore cette voix! Qui les suivait? Ils laissèrent la petite et le chiot apeuré et descendirent la rue au galop. La petite fille sentit un baiser sur sa joue et une pièce de monnaie fut glissée dans sa main. « Allez acheter des bonbons! » murmura une voix bienveillante à son oreille. Mais elle ne vit personne! M. Papillon suivit les gamins qui entrèrent tous deux dans la même propriété. « Papa et maman sont chez toi, dit Pierre. Nous irons tous ensemble au cinéma ce soir. Alors, je t'accompagne! — Ah! ah! fort bien! » pensa M. Papillon. Lui aussi poussa la grille, contourna la maison et pénétra à l'intérieur par la porte de la cuisine. Les garçons, naturellement, ignoraient sa présence. Ils claquèrent la porte, entrèrent à grand bruit sans s'essuyer les pieds sur le paillasson. Pierre, ricanant, se dirigea vers le gardemanger. Tous deux plongèrent leurs doigts sales dans un pot de confitures et les léchèrent. Puis ils prirent les prunes qui garnissaient une tarte et les mangèrent. « Chut! » fit Tom, clignant de l'œil. Ils entrèrent alors au salon où se trouvaient leurs parents. « Eh! bien, avez-vous été sages aujourd'hui? demanda l'une des mamans. — Oh! oui, dit Tom. Nous avons eu les meilleures notes de toute la classe, et nous sommes rentrés tout droit chez nous, comme vous nous l'aviez dit !

— Qui vient d'aller au garde-manger et a goûté aux confitures et aux prunes de la tarte? dit soudain une grosse voix. Où sont les garçons qui ont agi ainsi ? Ce sont des voleurs, vous dis-je! » II y eut un silence. Les parents se regardaient, tout ébahis. Les gamins devinrent aussi rouges que des tomates. « Qui vient de parler? dit enfin l'un des papas. Quelle voix étrange! Allons-nous-en au cinéma!

«II se passe quelque chose d'étrange! » dit l'un des papas.

Vous avez tous l'air épouvanté! Je suis sûr que nos fils ne dévaliseraient pas le gardemanger! — Mais si! Mais si! N'ai-je pas raison, enfants?» dit la voix sévère. Les garçons, tremblant, restèrent muets. L'un des pères se leva, tout pâle. « Allons, partons ! Il se passe ici quelque chose de bien étrange! Quelqu'un crie-t-il à la fenêtre ou du haut de la cheminée? » Ils sortirent tous et montèrent dans un autobus. M. Papillon les imita. Dès qu'ils furent tous assis, il se remit à crier : « Où sont les garnements qui ont fait peur à la fillette et ont attaché une casserole à la queue de son petit chien ? Où sont-ils ! Qu'on me les amène!» Tom et Pierre se remirent à rougir et à trembler. Tout le monde les dévisageait. Un homme, dans un coin, éleva la voix : « Qui veut connaître ces méchants garçons?

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Ils sont là-bas, sur ces sièges, tremblant de tous leurs membres. Venez les chercher! » D'un bond, les enfants épouvantés quittèrent l'autobus, suivis de leurs parents troublés et intrigués. Ils entrèrent sans dire mot dans la salle de cinéma, mais papas et mamans réfléchissaient. Pourquoi cette voix les suivaitelle? Pourquoi les garçons étaient-ils si rouges ? De quoi avaient-ils honte ? Grands dieux! La voix se trouvait dans la salle! Dès qu'un silence se produisait, la voix résonnait près des enfants et des parents! « Qui a épouvanté la vieille femme en se servant d'un pistolet à eau? « Qui a tiré les sonnettes et s'est enfui? « Qui a fait peur à la petite fille et à son chien ? « Quels parents ignorent les méchants tours de leurs fils? « Qui est allé au garde-manger et... » Pierre se mit à pleurer. Tom pâlit. Bouleversés, les parents ne purent suivre le film. Les uns après les autres, ils se levèrent et sortirent.

- C'est nous! C'est nous! sanglotèrent Pierre et Tom, à demi morts de peur. C'est nous qui agissons ainsi! - Nous ne le ferons plus! Plus jamais! J'y veillerai, dit le père de Tom. - Il faut les fouetter, dit le papa de Pierre. Nous n'avons pas été assez sévères! - Oh! oh! Tom! Pierre! Comment avez-vous pu agir ainsi? gémirent les mamans. - C'est en partie de votre faute, dit la voix. Pourquoi ne surveillez-vous pas mieux vos enfants? C'est moi qui les surveillerai! e dirai à tout le monde ce que sont ces enf... - Non! non! hurla Pierre. Allez-vous-n! Vous me faites peur! Partez! Je m'en vais, dit M. Papillon, gravement. Je m'en vais. Je m'en vais... » Sa voix devenait de plus en plus faible. Puis soudain,

« De quoi s'agit-il ? demanda le père de Tom. D'où vient la voix ? »

QUAND MAMAN REGARDE A SA FENÊTRE

M. Papillon les suivit chez Pierre. Les parents regardèrent leurs fils. « Que se passe-t-il ? D'où vient cette voix? Dit-elle la vérité? — Non, dit Pierre. — Non, fit Tom, baissant la tête. — Qui ment à ses parents ? reprit la voix. Qui guette les petites filles et casse leurs poupées ? Qui jette des pierres aux chats et aux chiens? QUI? QUI? QUI?

De sa fenêtre ma maman Pense me voir tout bonnement. Mais non! Je suis un commandant Sur la passerelle de mon bateau! Elle peut voir un cow-boy, elle se fit terrible : « Mais je reviendrai si vous manquez à votre parole. Oui! JE REVIENDRAI! » II retourna très fatigué dans sa petite maison, auprès de Ramonât.

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« Je crois que tout est arrangé, dit-il à son chat. Mais sait-on jamais? » Ce bon M. Papillon! Il a certainement tout arrangé. Ces garçons — et leurs parents aussi — ont complètement changé. Oh ! Seigneur! J'espère de tout mon cœur que jamais je n'entendrai la grosse voix tonnante de M. Papillon me reprochant une vilaine action! Que j'aurais honte! Et vous aussi, n'est-ce pas, vous seriez bien confus en pareil cas!

A la poursuite de gibier. Elle dit : « Pierrot, viens, mon garçon ! » Mais Pierrot (c'est moi) est en avion, Quel fameux pilote ! Le soir, pourtant, je suis Pierrot, Car il serait vraiment vilain Qu'elle embrassât un chef indien!

( Vous trouverez une autre histoire de M. Papillon à la page 106 de ce livre.)

Chevauchant tout seul, ma foi ! Ou un chef indien emplumé

« Si nous fondions un club ! suggéra Marc à son ami Jacques. Un tout petit, qui comprendrait cinq ou six membres. Ce serait si amusant! — Je ne demande pas mieux. Mais comment nous y prendrons-nous? demanda Jacques.

— Eh bien, nous commencerons par choisir des membres sympathiques! Pas Fred! Il n'est jamais sérieux. Et pas Jeanne! Elle ne cesse de ricaner... — Faut-il que nous ayons des filles ? demanda Jacques. — Eh bien, j'aimerais que Mariette, ma sœur jumelle, fît partie d'un club fondé par

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moi, dit Marc. Elle ne rit pas bêtement, comme tant de filles! Elle est très amusante, et elle ferait volontiers nos insignes... - Oh! ce n'est pas une mauvaise idée, dit Jacques. Nous voici déjà trois. J'aimerais demander à ce vieux Patrick de se joindre à nous. C'est un excellent élève, et qui ne se 'vante jamais! En outre, il est très serviable. Ce serait un bon membre! - Oui, Patrick me plairait beaucoup aussi, dit Marc. Et nous ferions bien d'inviter Catherine, la meilleure amie de Mariette. C'est presque un garçon. Elle grimpe aux arbres et court plus vite que moi. — D'accord. En voici cinq. Qui d'autre? » dit Jacques.

Ils réfléchirent intensément pendant une minute. « Et si nous choisissions Éric ? dit Marc. Je sais bien qu'il boite parce qu'il a eu la poliomyélite. Il ne pourrait faire de longues promenades avec nous, ou grimper aux arbres, mais il a l'esprit vif, et il est si drôle! Choisissons-le donc! — Bien sûr, dit Jacques. On le laisse souvent de côté, aussi je voudrais qu'il fût membre du club. Ça va! Nous sommes six! Il nous faut maintenant demander à chacun son assentiment. » Marc demanda donc à sa sœur Mariette, à Catherine et à Éric ce qu'ils pensaient de leur projet. Mariette fut enchantée. « Un club! Oh! j'ai toujours souhaité en fonder un ou appartenir à l'un d'eux. Ce sera charmant d'avoir Catherine aussi. Je ne voudrais pas m'y inscrire sans elle! Je le sais, dit Marc. Et je ne voudrais pas d'un club sans toi, Mariette! J'invite Éric aussi, et Jacques va en parler à Patrick. Nous serons six. — C'est passionnant! dit Mariette. Ne ferons-nous pas bien les choses ? N'auronsnous pas des insignes et un lieu de réunion, etc. ? — Bien sûr que si!" dit Marc. Nous devrions avoir la première réunion bientôt, choisir un nom pour le club, et prendre des décisions importantes... »

Ils allèrent trouver Catherine, l'invitèrent à se joindre à eux, et elle inclina sa tête aux boucles courtes en signe d'assentiment. Elle eut un large sourire! « Merci. Oui, j'en suis ravie, dit-elle; d'autant plus que Mariette sera un des membres. — Nous pensons avoir une brève réunion après la classe dans le garage aux bicyclettes, après le départ des élèves, dit Marc. D'accord? - D'accord, dirent les filles. » Marc s'en fut trouver Jacques qui était en compagnie de Patrick et d'Éric. Tous deux se déclarèrent enchantés du projet. « Réunion après la classe, cet après-midi, dans le garage aux bicyclettes », dit Marc. Les autres firent « oui » de la tête. Éric était si fier d'avoir été invité qu'il ne put s'empêcher de sourire tout l'après-midi. Comme il boitait, il ne pouvait grimper aux arbres, courir, se livrer à certains jeux, et pourtant ses amis désiraient qu'il devînt membre du cercle! Que sa maman serait contente ! La classe terminée, les six se réunirent pour la première fois dans le garage, vide à cette heure. Ils échangèrent des sourires. « Ce n'est pas une véritable réunion, dit Marc. Il nous faut simplement prendre rapidement quelques décisions importantes. Nous

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Après la classe, les Six se réunirent dans le garage

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Les visages s'éclairèrent immédiatement. Oui. C'est ce qu'il nous faut, dit Marc. Dire que nous n'y avons pas songé, Mariette! D'accord. C'est décidé. Va pour le poulailler. Et maintenant, quand nous réunironsnous? - Demain soir! dit Jacques. A cinq heures et demie. Nous déciderons du règlement. Sapristi! Il faut que je m'en aille! Il est tard. Au revoir, membres du club! Nous n'avons pas encore de mot de passe, mais cela ne tardera pas. Au revoir! » Les Six filèrent à bicyclette, l'esprit tout occupé de cette nouvelle idée. Le lendemain soir, à cinq heures et demie,

Catherine balayait énergiquement le poulailler.

devons tout d'abord avoir un lieu de réunions convenable, où nous puissions être seuls et à l'abri des dérangements. Quelqu'un a-t-il une idée? - Oui! Pourquoi pas mon garage? » suggéra Patrick. Les autres réfléchirent et Jacques secoua la tête. « Non, il conviendrait s'il était vide, mais la voiture de ton père s'y trouve presque toujours, Patrick. Nous pourrions l'endommager et avoir des histoires. Voyons, quelqu’un a-t-il un appentis, une cabane? » Deux enfants en avaient, mais une cabane à outils était toujours fermée à clef et l'autre était en si piteux état que la pluie y pénétrait. Elles ne pouvaient donc pas servir. « Quel casse-tête! dit Marc, se grattant la tête pour activer ses idées. Il nous faut absolument un lieu de réunions! — Dans les bois, peut-être, sous un grand arbre? suggéra Catherine. — Non. Trop de gens s'y promènent, dit Patrick. J'ai trouvé! Ton vieux poulailler, Marc? Celui qui ne sert plus... »

Près de la Fontaine des Fées. Prenez le chemin en lacets Qui vous mène à la Fin du Jour. Vous ferez là un joli tour, Si vous connaissez le chemin. Cette carte, scrutez-la bien : C'est celle du Pays des Fées. En trouverez-vous le chemin Par un beau jour ensoleillé? Parcourez-le en sûreté : Détournez-vous de la demeure Où vit l'Enchanteur à toute heure. Eloignez-vous de la Sorcière. Passez le pays des Lutins! Gardez-vous du Fossé magique. Méfiez-vous du Chemin tragique! Il conduit chez le Magicien... Ne formulez pas un souhait

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la maman de Marc fut surprise de voir tant d'enfants se diriger vers le vieux poulailler. Elle appela Marc et Mariette : « Mes enfants! si vous allez dans ce sale poulailler, pour l'amour de Dieu, balayez-le! Vos vêtements seront dégoûtants! — Oui, maman, cria Marc, tout en souriant d'un large sourire. Je savais ce que dirait maman, et j'y ai déjà mis un vieux balai! Mariette a promis de nettoyer. » Le poulailler n'était pas grand, et certainement poussiéreux. Tous les membres, sauf Mariette, durent attendre dehors tandis qu'elle donnait un vigoureux coup de balai. « Pouah! dit Éric en toussotant. Je vais me mettre à glousser comme une poule

si j'avale un peu plus de poussière! » Ils furent bientôt tous dans la cabane. Il ne s'y trouvait qu'une caisse et un perchoir pour les poules. « Nous apporterons une vieille couverture ou un tapis, dit Catherine, et une caisse ou deux. — Et nous installerons une ou deux planches pour nos accessoires, dit Marc. — Quels accessoires? demanda Éric. — Eh bien, des calepins peut-être, une boîte en fer pour y mettre notre argent, une bouteille d'orangeade et des biscuits! dit Marc, souriant d'une oreille à l'autre. Qui sait ce que nos mamans nous donneront? Elles seront ravies d'être débarrassées de nous pendant des heures de suite... - Que ce sera amusant! dit Catherine. Maintenant, commençons, Marc. - D'accord, dit Marc. La réunion débute. Nous avons plusieurs décisions à prendre : chercher un nom pour notre club, choisir l'insigne, nous le procurer, élire un chef. Nous pouvons commencer par là si vous voulez. Il nous faut un mot de passe, peut-être aussi un signal secret quand nous nous rencontrerons. Il serait bon aussi d'avoir un but. — Qu'est-ce que tu veux dire? demanda Catherine. — Oh! bien, nous discuterons de ce point à l'occasion, dit Marc. Quelqu'un a-t-il une suggestion à faire? - Non. Choisissons notre chef, dit Éric. J'ai apporté des bouts de carton et des crayons pour tous. Commençons! — Bien, dit Mariette. Je craignais d'avoir à aller en chercher à la maison. Passe les cartes, Éric. Tu penses toujours à tout. » Éric distribua les bouts de carton, découpés dans des cartes postales, et les crayons. « Maintenant, écrivez le nom de celui que vous aimeriez avoir pour chef, dit Marc solennel. Et n'oubliez pas qu'il doit être quelqu'un non seulement que vous aimez mais que vous respectez assez pour lui obéir, et le suivre. C'est ce que dit mon père. Un chef doit être aimé, respecté, obéi. Naturellement personne ne votera pour soi-même, c'est entendu. » Bientôt les six enfants gribouillaient sur

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leurs cartes. Ils les plièrent en deux et les tendirent à Éric. « Les ouvrirai-je ? » dit Éric, jetant les yeux autour de lui. Tous approuvèrent. Il ouvrit donc la première et lut à haute voix : « Marc », annonça-t-il. Marc rougit de plaisir. Grâce à Dieu, quelqu'un avait voté pour lui! Ce devait être Mariette, pensa-t-il. Éric déplia une autre carte : — « Marc. Ah! déjà deux votes pour toi, Marc! » II ouvrit une troisième carte : — « Patrick. Deux bulletins pour Marc, un pour Patrick. » II ouvrit les trois autres : tous avaient le même nom inscrit : « Marc ! Marc ! Marc ! Cinq bulletins pour toi, Marc, et un pour Patrick, dit Éric, épanoui. C'est ce que j'espérais. Félicitations ! — Je te remercie d'avoir voté pour moi, Marc, mon vieux, dit Patrick, satisfait. — Comment sais-tu que Marc a voté pour toi? Ça aurait pu être n'importe qui! dit Catherine. — Non. Marc ne pouvait voter pour luimême, aussi a-t-il voté pour Patrick, dit Éric. Ai-je raison, Marc ? — Tout à fait raison, dit Marc, rouge de plaisir. Eh bien, vous avez été chic de voter pour moi! Je tâcherai d'être un bon chef. Et maintenant, choisissons le nom de notre club. Les " Six Quelque chose ". » Les idées jaillirent. Chacun criait avec ardeur : « Le Clan des Six ! hurla Catherine. — Non, trop pareil au Clan des Sept, dit Marc. — Le Club des Six, cria Patrick. — Non, trop pareil au Club des Cinq, dit Marc. Ayons un nom bien à nous. — Pourquoi pas les Six tout court? proposa Éric. - Oui, pourquoi pas ? répondit Marc. Que ceux qui sont d'accord lèvent la main. » Toutes les mains se levèrent. Marc fit un signe d'assentiment. « Fort bien! Je proclame que nous six présents avons fondé un club appelé les Six. » Mariette, ravie, sourit à la ronde. « Marc est déjà un bon chef, annonça-t-elle. Je proclame qu'il est... — Tais-toi, je t'en prie, Mariette, dit Marc. Et nos insignes? Il faudra y inscrire le chiffre 6. Quelqu'un a-t-il une suggestion?»

« Maintenant, écrivez le nom de celui que vous aimeriez avoir pour chef. » Les quatre garçons regardèrent les fillettes avec insistance et elles ne les firent pas attendre. « C'est bon. Nous savons ce que vous avez en tête! dit Mariette. Vous voulez que nous fabriquions tous les insignes? D'accord! - Comment vous y prendrez-vous? demanda Jacques. — C'est facile! dit Catherine. Nous nous procurerons six boutons identiques. Nous découperons des petits bouts d'étoffe, y broderons le chiffre 6 et nous en recouvrirons les boutons; nous coudrons à l'intérieur une petite épingle de sûreté que nous fixerons à nos manteaux. Ne serons-nous pas fiers de porter nos insignes? — Merci beaucoup, dit Marc. Et le

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mot de passe? Quelqu'un a-t-il une idée? - Poulailler! suggéra Éric, en regardant les perchoirs. - Œufs frais pondus! » dit Catherine, et tous se mirent à rire. « Résolu! dit Marc. - Cot! Cot! Codac! » dit Mariette. Il y eut de grands éclats de rire. Le mot de passe fut adopté sans hésitation. « Que penseront les gens quand ils nous entendront murmurer " Cot-cot-codac " ? dit Catherine. — Oh! il ne nous servira que pour entrer au lieu de réunion, dit Marc. A l'avenir, nul ne pourra entrer sans prononcer le mot de passe. Alors ne l'oubliez pas, je vous en prie ! - Choisirons-nous maintenant un signal secret? » s'enquit Patrick, mais Marc regarda sa montre. Il fit non de la tête.

« Je regrette, mais la réunion est terminée. Rendez-vous ici vendredi soir, à cinq heures et demie. Nous discuterons alors du but de notre organisation, de nos entreprises, et au besoin d'un signal secret. Et maintenant, partons! Il est temps de filer si nous voulons faire nos devoirs ce soir! » Ils sortirent tous du poulailler, enchantés et surexcités. «Je suis tellement content que tu sois notre chef, Marc! s'exclama Éric. Tu as le génie de l'organisation! Eh bien, les Six ont leur club et je suis ravi d'être un des membres! » *************************** Je vous dirai plus tard ce que décidèrent les Six à leur seconde réunion. Si vous aussi, entre-temps, avez pris la résolution d'organiser un club, vous saurez comment vous y prendre...

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Les quatre observateurs d'oiseaux CONNAISSEZ-VOUS LA NATURE (1) Jean et Alice habitaient la villa des Noisetiers et Jeanne et Richard étaient leurs voisins. Ils avaient beaucoup d'amitié les uns pour les autres et adoraient sortir ensemble. L'hiver vint et chaque famille dressa la table des oiseaux. La maman de Jean affirmait que c'était la meilleure façon d'apprendre à reconnaître les oiseaux de jardin les plus communs. « Tant que vous n'en connaîtrez pas au moins douze, vous ne pourrez prétendre les aimer, dit-elle. — Je vous poserai une " colle " dans un mois. Vous aurez donc bien des études à faire si vous voulez avoir d'excellentes notes. » Les quatre enfants aplatirent le nez contre les vitres pour voir quels oiseaux fréquentaient la table. « Je crois que je connais tous les oiseaux maintenant, dit enfin Richard. Que votre mère nous pose des colles ! — Parfait, dit Jean qui s'en fut trouver sa mère. — Invite tes amis à venir goûter à la maison cet après-midi », dit-elle. Peu après le goûter, ils firent cercle, et la maman posa les questions. (Tâchez, vous aussi, d'avoir d'excellentes notes.) « Voyons, dit la maman, j-e songe à un petit oiseau brun dont le bec est mince comme celui du rouge-gorge; il a la curieuse habitude de traîner ses ailes; il crie " pip! pip ! " et chante une petite chanson joyeuse. — Le moineau-friquet ! crièrent ensemble Jeanne et Richard. — C'est bien, dit la maman. Maintenant, je pense à un oiseau plus grand, brunâtre aussi, avec des taches d'un brun sombre — telles des taches de rousseur sur la poitrine, et...

— Une grive ! vociférèrent tous les enfants, à la mention des taches de rousseur. — Diable! Vous devinerez les réponses avant que je n'aie posé les questions, si cela continue, dit la maman. Maintenant, voyons... je pense à un oiseau assez bruyant,

qui ne chante pas, mais siffle, bredouille et gargouille. Il a la taille d'une grive, une queue courte, des plumes de toutes couleurs, pourpres, vertes, violettes, bleues... — C'est l'étourneau! dit soudain Alice. — Tu as raison, dit la maman. Maintenant je songe à un très joli, tout petit oiseau, à la tête d'un bleu vif, aux joues blanches, avec une ligne sombre entre les yeux et autour du cou. Ses plumes sont vertes et jaunes et il est un merveilleux... — Acrobate! interrompit Richard. C'est la mésange bleue. Je la connais bien, parce qu'elle vient à notre table des oiseaux et se balance la tête en bas sur la ficelle où sont suspendues les noix. Elle ne cesse de dire " pim-im-im-im-im ".

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— Tu es trop malin, dit la maman. Eh bien, cette fois-ci je songe à un petit oiseau familier, à la belle gorge rouge, et... — Le rouge-gorge ! hurlèrent-ils, si bien que la maman n'acheva point sa phrase. —- Vous m'assourdissez! dit-elle. Je ferais mieux de vous poser une question très difficile. Voyons, il s'agit d'un petit oiseau, très soigné, vêtu de blanc et de noir, à la longue queue qui... — La pie ! dit Jeanne. Mais les autres lui jetèrent un regard de mépris. — Les pies ne viennent pas à la table des oiseaux! Maman parlait d'un petit oiseau, non d'un grand! » La maman continua : « II a une longue queue qu'il ne cesse d'agiter de haut en bas, et il court rapidement sur... — La bergeronnette ! dirent-ils tous en chœur. — Bien sûr! dit la maman. Ta pie m'a fort surprise, Jeanne. Je pensais que tu la connaissais mieux. — Oui, j'ai été bien sotte, avoua la petite. Continuez s'il vous plaît. — Cette fois-ci, il s'agit d'un autre petit oiseau dont le chant est étonnamment fort. A le voir ramper sous les broussailles, vous le prendriez pour une petite souris d'un brun rougeâtre. Il possède un drôle de petit bout de queue relevé... — Le roitelet! Le roitelet! Le roitelet!» cria Jean. Il avait raison. « Eh bien, j'avoue que vous répondez fort bien! dit la mère. Et voyons celui-ci! J'aperçois un joli petit oiseau très soigné qui crie " pinque-pinque ! " à voix haute, et dont le chant est rapide et gai. Il porte un gilet brillant, d'un brun rosé, et lorsqu'il vole vous apercevez des barres blanches à ses ailes... » II y eut un silence. « La mésange charbonnière dit " pinque-pinque ", mais elle n'a pas de gilet rosé, dit Richard. Voyons... Oh! je sais! Le pinson, bien sûr! — C'est juste. Maintenant un petit oiseau brun, bruyant, que nous voyons partout et nous l'entendons pépier et... — Le moineau! crièrent-ils tous. C'est facile ! - Et maintenant, un oiseau à la robe d'un noir luisant, au bec d'or vif dont le chant est...

— Très, très beau! dirent-ils en chœur. Le merle, bien sûr! Vous ne pouvez pas nous prendre au dépourvu! — Deux questions encore, et la colle sera finie, dit la maman. Je songe à un petit oiseau, de la taille d'un moineau — oh ! c'est une jolie créature, au gilet noir brillant, à la tête et au cou noirs, à la queue grise, à la poitrine jaune et au dos d'un vert superbe. Il aime noix et graisses. Il crie " puter, puter, puterpi ", ou " pinque-pinque " et... - La mésange charbonnière! s'écrièrent ensemble Jeanne et Alice. C'est une acrobate aussi, comme la mésange bleue. — Bien répondu, dit la maman. Et le dernier, maintenant. Un oiseau qui ne vient pas à la table des oiseaux, mais qui descend parfois sur la pelouse de grand matin. C'est un grand oiseau brun, avec une petite huppe qu'il peut dresser ou aplatir. » Personne ne répondit. Ce ne pouvait être une grive. Il fallait pourtant deviner la dernière question! « Quelques détails encore, s'il vous plaît, implora Richard. — Généralement, continua la maman, il n'est qu'un petit point, haut dans le ciel, et nous connaissons son chant mieux que luimême. — L!'alouette! cria chacun. Bien sûr! Eh bien, nous les avons tous devinés! - Excellent, vraiment, approuva la maman. Vous avez vingt sur vingt! — Madame, dit Richard d'un ton solennel, j'ai une petite colle pour vous. Je pense à un oiseau, très, très petit. Il a le dos rouge... - Un dos rouge? dirent-ils, intrigués. — Oui, un dos rouge, avec des taches noires, continua Richard; il a six pattes et... — Ne fais, pas l'imbécile, Richard. Qu'est-ce que c'est? questionna Jeanne. — C'est une coccinelle! » dit Richard. Tous lui tombèrent dessus à bras raccourcis. « Allons ! Allons ! dit la maman. Laissez ce pauvre garçon tranquille. Vous allez l'étouffer ! Préparez-vous pour la prochaine " colle " et montrez votre science! »

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UNE NUIT MOUVEMENTÉE Voici un extrait du roman : Le mystère de l'hélicoptère. Quatre enfants, Jacques, Henri, Denise et Lucette, passent ensemble les grandes vacances dans les montagnes du Pays de Galles. Ils partent camper avec Ludovic, vieux berger Gallois. Ils ont des ânes, un perroquet Kiki, et un jeune chevreau Blanchet qui ne quitte jamais Henri.

Quand les campeurs se réveillèrent le lendemain matin, le soleil brillait gaiement dans le ciel. Tout en aidant à préparer le déjeuner, Jacques demanda à Ludovic : « Que s'est-il passé cette nuit? Qu'estce qui vous a si fort effrayé? — Des bruits, répondit Ludovic, comme la veille. — Mais quelle sorte de bruits ? insista Henri. Nous avons eu beau écouter, nous n'avons entendu que le vent qui soufflait.»

Ludovic se mit alors à produire une série de bruits assez terrifiants qui firent sauter Kiki et Blanchet en l'air. Les enfants considérèrent le petit guide avec stupeur. Ne se moquait-il pas d'eux? Mais non, Ludovic leur expliqua encore, avec beaucoup de gestes, que c'est en allant voir si les ânes étaient bien installés pour la nuit qu'il avait entendu ces bruits étranges. « Voilà qui explique pourquoi les bruits en question ne pouvaient s'entendre d'ici,

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commenta Jacques... Ça ressemble à des cris d'animaux sauvages, s'il faut en croire l'imitation qu'en fait Ludovic. - Des animaux sauvages! gémit Lucette, apeurée. Oh ! Jacques, crois-tu qu'il puisse y en avoir par ici? » Jacques sourit et repoussa une mèche rousse qui lui tombait sur le front. Lucette - qui était aussi rousse que son frère — avait un peu pâli et les taches de rousseur de son visage n'en ressortaient que mieux. « Mais non! répondit Jacques de sa voix la plus rassurante. Si tu entends par " animaux sauvages " des lions, des tigres ou des panthères, tu peux dormir sur tes deux oreilles. Mais si, comme Denise, tu considères les couleuvres, les renards et les hérissons comme des bêtes féroces, alors, bien sûr, il faut te méfier.» Lucette respira, soulagée. « Bon, dit-elle. Dans ce cas, je n'ai rien à craindre. Mais ces bruits de Ludovic m'avaient effrayée pour de bon. — Je suppose qu'il a dû faire un mauvais rêve. Il doit prendre peur facilement. » Cela, du moins, était vrai. Ludovic était un petit homme timoré. Il semblait redouter d'aller plus avant. Du doigt, il montra le chemin de retour. Désormais, avec le soleil qui brillait, il paraissait sûr de retrouver le sentier qui les ramènerait à la ferme. Mais les enfants ne l'entendaient pas ainsi. Plus que jamais ils avaient envie de camper dans cette mystérieuse vallée des Papillons. Ludovic céda à contrecœur. Tandis qu'il chargeait les ânes d'un air renfrogné, Jacques consulta la carte du pays. Hélas! la vallée des Papillons n'y était pas marquée. Ce devait être un endroit peu connu, sans désignation officielle peut-être, et auquel les gens de la région avaient donné ce nom poétique... On se remit donc en route. Peut-être la vallée suivante serait-elle celle qu'ils cherchaient... ou encore celle d'après. Ils finiraient bien tout de même par la trouver! Cependant, à la fin de cette nouvelle journée, ils durent s'avouer leur échec. On continuait à n'apercevoir aucun sentier et les montagnes environnantes se ressemblaient toutes. Ce soir-là, les jeunes campeurs tinrent une sorte de conseil de guerre : que convenait-il de faire le jour suivant?

« Si nous continuons, dit Jacques, nous finirons par nous perdre tout à fait. Je ne suis même pas sûr que Ludovic saurait encore nous ramener à la ferme si nous le forcions à s'enfoncer davantage dans cette région désertique. - Tu as raison, soupira Lucette. Il vaut mieux retourner sur nos pas alors qu'il en est temps encore. - Ou nous résigner à camper ici plutôt que dans la vallée des Papillons », suggéra Henri en regardant autour de lui. Les enfants se trouvaient alors sur le flanc d'une montagne abrupte, qu'ils avaient pu gravir jusque-là mais qui, à partir de l'endroit où ils étaient, s'élevait tellement à pic qu'il semblait impossible d'atteindre son sommet.

Ludovic se précipita dans la tente des garçons, leur causant une affreuse émotion. « Quelle étrange montagne! fit remarquer Denise. Elle paraît inaccessible... D'accord, Henri. Campons ici. Ça nous reposera. Il y a une source et de l'herbe. Tant pis pour la vallée des Papillons ». Ludovic déchargea les ânes et les enfants montèrent leurs tentes. Après un bon repas, tous se couchèrent sans traîner. Ils n'en pouvaient plus de fatigue.

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Soudain, au milieu de la nuit, une sorte de grognement réveilla Lucette. Qu'est-ce que cela pouvait être ? Les animaux sauvages que Ludovic avait entendus?... Et puis un long hurlement s'éleva. Les garçons l'avaient entendu aussi. Ils aperçurent soudain Ludovic qui entrait précipitamment dans la tente, aussi effrayé que la nuit précédente. « Lobos! leur cria-t-il. Des loups!... près des ânes! — Voyons, c'est impossible ! répondit Jacques. Il n'y a plus de loups dans les Pyrénées depuis belle lurette. » Cependant, de nouveaux hurlements s'élevaient dans la nuit. Ludovic saisit Jacques par le poignet et l'obligea à sortir de sa tente. Son doigt tremblant désigna une troupe d'animaux qui reniflaient et grondaient, non loin des ânes. Henri avait suivi Jacques et, comme son ami, ne pouvait en croire ses yeux. Ces animaux ressemblaient bien à des loups! Blanchet tremblait autant que Ludovic. Quant à Lucette et à Denise, réveillées elles aussi, elles n'osaient sortir de leur tente et se contentaient de regarder de loin le terrifiant spectacle, qu'éclairait la lune pâle. Le seul être vivant qui ne semblait pas avoir peur était Kiki. Tout au contraire, poussé par sa curiosité naturelle, le perroquet se précipita vers les animaux grondants dont les prunelles vertes lançaient des éclairs. Il se mit à tournoyer au-dessus d'eux en criant : « Essuie-toi les pieds ! Essuie-toi les pieds! » Puis il leur donna sa brillante imitation d'une locomotive sous pression... La nuit s'emplit d'un sifflement terrible. Ce fut au tour des loups de paraître effrayés. D'un même élan, ils firent demi-tour et disparurent dans l'obscurité. Kiki leur cria encore de ne pas oublier de fermer la porte ! « Ils sont partis, constata Jacques, soulagé. Mais ces bêtes sont-elles bien réelles ? Il me semble avoir rêvé! » Bien entendu, les enfants ne purent se rendormir de la nuit. A l'aube, Ludovic se rendit près des ânes qu'il trouva sains et saufs mais plus nerveux que d'habitude. Il les détacha et les conduisit au ruisseau voisin pour les faire boire.

Les loups — si c'étaient vraiment des loups — n'avaient laissé aucune trace de leur passage... Et soudain quelque chose arriva. Ludovic poussa un cri aigu et se cacha la figure dans les mains. Les garçons, retenant leur souffle, crurent apercevoir un mouvement parmi les buissons alentour.

Kiki se mit à tournoyer au-dessus des animaux.

Ludovic poussa un autre cri, écarta les mains de son visage, jeta un coup d'œil épouvanté autour de lui et sauta à califourchon sur un des ânes. Puis, tournant le dos au ruisseau près duquel il se trouvait, il galopa à toute vitesse vers les tentes. « Escaparse ! » cria-t-il aux enfants. Puis il ajouta : « Noir, noir! » Henri, Jacques, Denise et Lucette, réunis en groupe devant la tente des garçons, ne comprirent rien à ce qu'il voulait dire et

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s'imaginèrent que le pauvre homme avait perdu la tête. Là-dessus Ludovic montra aux enfants les ânes qui le suivaient, comme pour leur conseiller de les enfourcher et de partir avec lui. Puis il talonna sa monture et s'éloigna à bride abattue. Pendant un instant, on n'entendit que le bruit des sabots de l'âne qui s'enfuyait. Les autres ânes restèrent un moment indécis et puis, à la grande consternation des enfants, se précipitèrent sur les traces de Ludovic et de sa monture. « Hé, là! s'écria Jacques. Revenez! Revenez! » L'un des ânes fit mine de s'arrêter, mais il se trouva poussé en avant par ceux qui venaient derrière. En un clin d'œil tous disparurent. Les enfants se regardèrent, un peu pâles. Ils se trouvaient dans une situation peu réjouissante. « Ludovic nous a lâchés ! » constata machinalement Henri qui n'en menait pas large. « Et il est parti avec les ânes! souligna Denise. — Qu'allons-nous faire à présent? » gémit Lucette, prête à fondre en larmes. Jacques lui passa son bras autour du cou et la fit asseoir auprès de lui sur l'herbe. « Ne te tourmente pas, Lucette. Nous sommes dans le pétrin, c'est vrai, mais nous nous en tirerons. Nous avons connu des situations pires que celle-là! — Bien sûr, renchérit Denise. Au pis aller nous serons forcés de rester ici quelques jours. Au fond, ça ne change en rien nos projets. — Et au bout de quelques jours ? demanda Lucette. — Eh bien, René viendra nous chercher, affirma Henri qui reprenait confiance. Ludovic doit être parti droit à la ferme. René et maman le forceront à s'expliquer. Il conduira René où nous sommes et nous retournerons sur nos pas avec eux, voilà tout. - C'est heureux que les ânes n'aient pas encore été chargés, constata Denise. Nous avons quantité de provisions... et aussi notre matériel de camping. - Je me demande ce qui a bien pu effrayer Ludovic à ce point! dit Jacques. Quel froussard! — Oui, il faut qu'il ait eu une peur terrible pour décamper ainsi! approuva Henri.

— Avez-vous compris ce qu'il nous a crié? demanda Denise. Je n'ai pu saisir qu'un mot, qu'il a répété deux fois d'ailleurs : " Noir, noir! " — Oui, c'est ce qu'il a dit. Mais noir... quoi? s'inquiéta Lucette. — Il n'a dit que ça : " Noir! "... Si nous descendions jusqu'au ruisseau pour essayer de voir ce qui lui a fait peur? proposa Jacques. — Oh! non, s'écrièrent les filles. — Bon, alors j'irai seul, décida Jacques, Henri restera avec vous... » II s'éloigna aussitôt et les trois autres le suivirent des yeux, en retenant leur souffle... Ils virent Jacques examiner avec soin l'endroit où Ludovic se trouvait au moment où il avait poussé son cri de frayeur. Puis le jeune garçon se tourna vers eux, secoua la tête et leur cria :

Ludovic talonna sa monture et s'éloigna à bride abattue. « II n'y a rien! Rien du tout! Ludovic doit avoir eu des visions! » II revint en courant vers ses compagnons. « Je n'ai vraiment rien remarqué ».

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« Enfin, dit Henri, cette histoire de loups, cette nuit... elle était bien réelle, non? Nous avons vu ces animaux. Nous n'avons pas pu rêver tous les quatre! » Denise était une fille pratique. « Avant tout, dit-elle, déjeunons. Nous nous sentirons mieux après avoir mangé. » Le déjeuner fut assez silencieux. Les enfants mangeaient sans entrain. Kiki lui-même ne parvenait pas à les distraire. La montagne qui les dominait de sa haute masse leur semblait de moins en moins accueillante. « Je n'aime pas beaucoup cette montagne, dit soudain Lucette, exprimant ainsi tout haut ce que les autres pensaient tout bas. — Pourquoi ? demanda Denise. — Je ne sais pas. Elle me déplaît, voilà. J'ai une sorte de pressentiment... » Henri, Jacques et Denise se mirent à rire. Lucette avait souvent ce qu'elle appelait " des pressentiments ", et elle y croyait dur comme fer. Mais cette fois-ci elle n'était pas la seule à trouver étrange l'endroit où ils campaient : rien que cette histoire de loups aurait effrayé de moins braves que les enfants... Ludovic l'avait bien prouvé! Henri, cependant, tenta de réconforter Lucette. « Voyons, voyons, quel pressentiment pourrais-tu bien avoir? Toutes les montagnes se ressemblent. — Sauf qu'il n'y en a pas beaucoup où l'on rencontre des loups! » riposta Lucette. De nouveau, un sentiment de malaise pesa sur les jeunes campeurs. Ils achevèrent de déjeuner, puis Jacques demanda : « Qu'allons-nous faire en fin de compte? Je crois que le plus sage est de nous en tenir à notre décision de tout à l'heure : restons ici jusqu'à ce que René vienne nous chercher. Nous ne pouvons pas essayer de rentrer par nos propres moyens : d'abord parce que nous ne connaissons pas le chemin, ensuite parce que nous ne pourrions pas emporter assez 'de nourriture pour tenir jusqu'au bout. — Oui, approuva Henri. Il est préférable de rester sur place. Je suis sûr que, lorsque Ludovic aura recouvré ses esprits, il sera capable de conduire René jusqu'à nous. Ces montagnards savent retrouver les pistes...

— Mais ce pauvre Ludovic... aura-t-il de quoi manger en route? s'inquiéta Lucette. Il n'a emporté aucune provision. — Nous pouvons lui faire confiance pour se débrouiller! Il se nourrira de baies sauvages! Et puis, à l'allure où il allait, il sera vite arrivé à la ferme, je t'en réponds! » dit Jacques en riant.

Kiki, soudain, se jeta sur le pauvre Blanchet en poussant des cris de rage. Sa boutade dérida ses compagnons. Ils tinrent un conseil de guerre. « Restons ensemble, conseilla Lucette. Avec ces loups, on ne sait jamais. Si l'un de nous s'écartait, ils pourraient le dévorer! — Que tu es donc sotte, Lucette! s'écria Henri. Tout le monde sait bien que les loups sont affamés seulement en hiver! — Tu peux toujours plaisanter, Riquet! répliqua Lucette. N'empêche que... » Elle n'alla pas plus loin. Au même instant une série de faits curieux se déclencha... Cela commença par un bruit sourd, semblable à un fort grondement, qui semblait provenir du cœur de la montagne. Puis le sol trembla un peu. Les quatre enfants sentirent nettement la terre frémir sous eux. Très effrayés, ils se rapprochèrent les uns des autres. Kiki s'envola en criant. Blanchet sauta sur un rocher et y demeura, prêt à bondir.

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Le sol cessa de trembler. Le bruit s'éteignit peu à peu. Puis, soudain, il reprit plus fort, mais toujours assourdi par la grande profondeur où, semblait-il, il prenait naissance. La terre bougea à nouveau. Blanchet parut s'envoler et atterrit sur un autre roc, encore plus haut que le précédent. Le pauvre petit animal était terrifié. Les quatre enfants aussi avaient peur. Lucette, toute pâle, s'accrochait à Jacques et à Henri. Denise, de son côté, se serrait contre son frère. Enfin les étonnants phénomènes cessèrent. Les oiseaux, qui s'étaient arrêtés de chanter, recommencèrent à pépier dans les arbres du voisinage. Blanchet, ses terreurs dissipées, vint en cabriolant retrouver Henri. Kiki regagna sa place favorite, sur l'épaule de son maître. « Diable ! s'écria Henri. Je me demande ce que c'était que ça! On aurait dit un tremblement de terre. Vrai, j'ai eu peur! — Oh! Riquet! gémit Lucette. Cette montagne est peut-être un volcan, tu ne crois pas? — Jamais de la vie ! Il n'y a pas de volcan dans les Pyrénées, affirma Jacques. C'est tout de même curieux... ce grondement et ces secousses du sol ! Je me demande ce qui a pu les provoquer... » Personne ne put lui répondre. En silence, les enfants se levèrent, rangèrent la vaisselle du petit déjeuner après l'avoir lavée, puis allèrent se débarbouiller dans le petit ruisseau. Le vent fraîchit soudain et, en levant la tête, les quatre amis aperçurent de gros nuages noirs qui accouraient dans leur direction. « Nous allons avoir de la pluie! prophétisa Jacques. Et si le vent se met à souffler en tempête, gare à nos tentes ! Elles ne resteront pas longtemps debout. — Si tu crois vraiment que les tentes risquent d'être emportées, répondit Henri, nous ferions peut-être bien de chercher un endroit pour nous abriter : un bouquet d'arbres ou une grotte, par exemple. » Le soleil avait disparu derrière les nuages et il fit soudain très froid. Les enfants n'attendirent pas plus pour se mettre en quête d'un refuge. Les garçons marchaient en tête, escortés par Blanchet qui gambadait à son habitude.

« Écoute, Jacques, dit Henri à voix basse pour n'être pas entendu des filles. Il faudrait trouver une grotte où nous pourrions allumer un feu pendant la nuit. L'idée de ces bêtes qui rôdent autour de nous - - que ce soient des loups ou autre chose — ne me plaît pas beaucoup. • Tu as raison, répondit Jacques. Dans une grotte, nous serions plus à l'abri que n'importe où ailleurs. »

Les enfants allèrent se débarbouiller dans l'eau claire et limpide du petit ruisseau. Tous deux se mirent à fureter dans les anfractuosités rocheuses, à flanc de montagne, mais aucune n'était suffisante pour leur donner asile. De plus, la paroi elle-même était si abrupte qu'on ne pouvait y grimper sans risque. Ah! si les garçons

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avaient eu le pied aussi sûr que Blanchet! « Regarde-le, Jacques ! Il est perché sur ce rocher, au-dessus de nous, et il semble tout à fait à l'aise... Hé! Blanchet! Redescends par ici, veux-tu! » Mais au lieu d'obéir à Henri, le chevreau se contenta de remuer sa petite queue, fit demitour... et disparut brusquement. « Où est-il passé ? murmura Jacques, stupéfait. Ah! le voici qui revient. Henri, il doit y avoir une grotte là-haut, c'est certain, sans quoi Blanchet ne pourrait pas disparaître et reparaître comme ça! » Les deux amis se hissèrent non sans mal jusqu'à l'endroit où les attendait le chevreau et là, ainsi que Jacques l'avait deviné, ils trouvèrent une grotte longue et basse, dont l'ouverture se dissimulait derrière un gros rocher. Des fougères et de la bruyère encadraient l'entrée. Entre le rocher protecteur et cette entrée s'étendait une sorte de plateforme assez spacieuse. « Épatant! s'écria Jacques, ravi. Cet endroit fera parfaitement notre affaire! » Suivi d'Henri, il pénétra à quatre pattes dans la grotte. A l'intérieur, le plafond était assez haut pour qu'on pût y circuler courbé. Cela valait tout de même mieux que de se traîner sur les mains et les genoux. « Nous pourrons allumer notre feu sur la plate-forme devant l'entrée, fit remarquer Henri. Nous devons une fière chandelle à Blanchet, mon vieux Jacques. Sans lui, nous n'aurions jamais trouvé cet abri! » Jacques, cependant, réfléchissait. «Je me demande, dit-il enfin, comment nous allons faire pour monter ici notre matériel. Nous avons déjà eu du mal à y grimper avec les mains libres. — C'est vrai. Ah! si nous avions encore nos ânes. Ces bêtes-là sont comme des chèvres. Même lourdement chargées, elles trouvent partout un point d'appui. » Effectivement, le transport des vivres posait un problème. Les garçons hélèrent Lucette et Denise, et les aidèrent à se hisser jusqu'à eux. « Regardez! dit Jacques. Blanchet a trouvé cette grotte où nous pourrons passer la nuit. Rien ne nous empêche même de l'habiter en

permanence. D'ici, nous verrons très bien si René et Ludovic arrivent. C'est un poste de guet épatant. Et puis, au moins, nous y serons à l'abri des loups... si loups il y a. - C'est une chance ! » se réjouit tout haut Lucette.

Ils trouvèrent une grotte longue et basse, dont l'ouverture se dissimulait derrière un gros rocher. Les quatre enfants avaient visité la grotte et s'apprêtaient à redescendre à leur campement lorsque Kiki parut apercevoir quelque chose au-dessous et s'envola de l'épaule de Jacques en poussant des cris perçants. Blanchet, de son côté, bondit sur ses quatre pattes et parut écouter. « Que se passe-t-il? murmura Lucette, effrayée. Est-ce que les loups reviendraient déjà... en plein jour? » Tous se mirent à écouter, comme Blanchet. Sous les arbres, parmi les buissons, on entendait un animal — ou des animaux — mener grand tapage. « Rentrez dans la grotte, conseilla Jacques à Denise et à Lucette. Et n'en bougez plus. » Les deux filles rampèrent dans l'obscurité

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relative de l'abri et se tinrent coites. Henri et Jacques, tous leurs sens en alerte, s'interrogeaient en vain. De quel animal pouvait-il s'agir? D'après le bruit qu'il faisait, il devait être gros. Tout à coup, Blanchet émit un bêlement et sauta du roc sur lequel il était perché avant qu'Henri ait eu le temps de le retenir. Les garçons le virent disparaître dans les^ buissons au-dessous d'eux... Soudain, un son éclatant parvint à leurs oreilles : " Hi-han! Hi-han! " « Sapristi, c'est un âne! s'écria Jacques. Nos bourricots seraient-ils de retour... et Ludovic avec eux ? » Les deux garçons se laissèrent glisser jusqu’en bas où ils ne tardèrent pas à découvrir ce qu'ils cherchaient : Tout-Doux, l'âne de Denise, se tenait parmi les buissons, apparemment content de retrouver Blanchet. Mais ni Ludovic ni les autres ânes n'étaient là. Henri appela les filles. « Tout-Doux ! Comme tu es gentil d'être venu nous rejoindre! s'exclama Lucette, toute joyeuse. — Ce n'est pas nous mais son ami Blanchet qu'il est venu retrouver, rectifia Henri. Ne te fais pas d'illusions, Lucette... Ces deux-là se sont toujours bien entendus! Regarde comme notre chevreau fait fête à notre âne... et avec quelle tendresse Tout-Doux flaire Blanchet! C'est égal, voilà qui nous arrange. Mon vieux Tout-Doux, tu nous aideras à transporter les affaires dans la grotte.» Tout-Doux était vraiment un gentil petit âne et, s'il était en effet revenu pour voir Blanchet, il parut content aussi de la présence des enfants. Avec docilité, il se laissa charger par les garçons qui le firent ensuite grimper jusqu'à la grotte. Il s'en tira très bien, quoique parfois il éprouvât du mal à franchir un pas difficile. Il fallut deux voyages pour transporter l'essentiel en lieu sûr. « Merci, Tout-Doux, dit Jacques lorsque la corvée fut terminée. A présent, il est temps de nous mettre à table. » II était en effet près de midi. Par bonheur, le vent avait chassé les nuages et le soleil brillait de nouveau dans le ciel dégagé.

Les enfants s'installèrent au bord du ruisseau pour pique-niquer. Blanchet, Kiki et même Tout-Doux eurent leur part du festin. Après le repas, Jacques, Henri, Denise et Lucette flânèrent longtemps au soleil. Puis Jacques conseilla avec sagesse : « Nous devrions ramasser du bois pour cette nuit. Il nous en faudra un gros tas si nous voulons entretenir notre feu jusqu'à l'aube. Faisons des fagots : Tout-Doux se chargera de les monter. - Brave vieux Tout-Doux! » soupira Denise, reconnaissante. Les enfants ramassèrent autant de bois qu'ils purent. Bientôt un stock impressionnant de branchages se trouva prêt à servir sur la corniche située devant l'ouverture de la grotte. Jacques et Henri dressèrent une sorte de bûcher, mais, bien entendu, ils ne l'allumèrent pas encore. Cependant, le soleil déclinait déjà et il ne tarda pas à disparaître derrière les montagnes. Quelques instants encore et ce fut le crépuscule. Alors les enfants se retirèrent dans leur refuge. Ils ne pouvaient s'empêcher de penser aux loups et se rappelaient aussi le cri angoissé de Ludovic : « Noir, noir! » Que pouvait-il donc avoir vu? Dans la journée, les enfants avaient été trop occupés pour penser à tout cela. Mais, avec la nuit, ils sentaient leurs craintes renaître... Blanchet et Kiki ne se firent pas prier pour suivre Henri et Jacques à l'intérieur de la grotte. Il fallut laisser dehors Tout-Doux, trop gros pour y pénétrer. Le petit âne s'installa donc sur la plate-forme, à quelque distance du foyer que les garçons allumèrent. Par bonheur, le bois était sec et de joyeuses petites flammes se mirent à danser dans l'air. « Je suis bien contente d'être ici, déclara Lucette. Je m'y sens en sûreté, avec ce feu qui nous protège. » Les autres pensaient comme elle. Après un dîner qui revigora les quatre enfants et les rendit encore plus optimistes, chacun se glissa dans son sac de couchage et ne tarda pas à s'endormir. Personne n'avait songé à veiller en sentinelle. Aussi, ce qui était à prévoir arriva. Le feu

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déclina, faute de combustible. Henri se réveilla quelques heures plus tard et, voyant le feu presque éteint, se leva pour l'alimenter. Les flammes bondirent à nouveau dans l'air calme. Leur clarté permit au jeune garçon de constater que Tout-Doux était couché, bien tranquille. Tout semblait normal. Henri, cependant, ne se rendormit pas aussitôt. Il s'était recouché, Blanchet blotti contre lui, et regardait les flammes dansantes. Par moments, le vent qui soufflait au-dehors rabattait la fumée dans la grotte et Denise toussa sans s'en rendre compte dans son sommeil. Puis Henri entendit l'âne remuer. Il se redressa sur un coude, attentif à ce qui se passait non loin de lui. Son cœur commença à battre à grands coups... Car voilà qu'il apercevait, au-delà de la zone de lumière, des formes souples et silencieuses qui se glissaient dans sa direction. Que représentaient ces ombres ? Étaient-ce les loups? En tout cas, s'ils ne tentaient pas encore de franchir la barrière de feu, du moins ne semblaient-ils pas en avoir très peur. Et soudain, Henri vit les prunelles vertes et phosphorescentes briller dans les ténèbres. Il ne pouvait plus y avoir de doute. C'étaient bien les loups! Sans doute leur flair les avait-il conduits jusqu'à la grotte où s'étaient réfugiés les jeunes campeurs. Qu'allaient-ils faire maintenant? Ils n'avaient pas attaqué Tout-Doux, ce qui était encore une chance. L'âne ne semblait même pas très effrayé. Il s'agitait seulement avec nervosité. Les ombres silencieuses continuaient à aller et venir au-delà du foyer. Henri n'osait bouger. Il ne pouvait que faire des vœux pour que les loups, tenus en respect par les flammes, abandonnent l'idée d'entrer dans la grotte. C'est ce qui arriva. Au bout d'un moment, les terribles animaux disparurent. Henri poussa un soupir de soulagement Comme il avait eu peur! Et quelle chance qu'il ait pu ranimer le feu à temps...! Il se promit de veiller jusqu'à l'aube pour l'empêcher de s'éteindre. Une heure plus tard, en effet, les flammes

recommencèrent à baisser et Henri se leva pour ajouter du bois. La lune s'était enfin décidée à paraître. Henri contourna le feu, là où il était encore bas, et fit quelques pas en direction de l'âne pour voir si tout allait bien de ce côté-là. Soudain, il entendit du bruit derrière lui. Il se retourna et, à sa grande frayeur, s'aperçut qu'un loup s'était glissé entre lui et la grotte, lui coupant toute retraite. Le loup restait immobile, regardant Henri. Henri, de son côté, pouvait détailler l'énorme bête, bien visible au clair de lune. Il se demandait comment se défendre en cas d'attaque, quand une chose vraiment inattendue arriva : le loup se mit à remuer la queue. Henri n'en revenait pas. L'animal ne lui était pas hostile. Une fois de plus le magnétisme du jeune garçon opérait à la façon d'un charme. Mais sur un loup! C'était tout de même extraordinaire! Après précaution, Henri tendit la main. Malgré ses craintes, il était désireux de savoir ce qui allait arriver. Le loup avança de quelques pas et lui lécha la main. En même temps, il poussa une sorte de petit gémissement. Maintenant, Henri voyait l'animal de tout près. Il avait un pelage sombre, des oreilles pointues et un long museau. Était-ce vraiment un loup ? Le jeune garçon commençait à en douter. Et puis, tout à coup, il sut à quelle sorte de bête il avait affaire. « Ma parole! s'écria-t-il à mi-voix. Tu es un berger allemand! J'aurais bien dû m'en douter plus tôt. Je savais bien qu'il n'y avait pas de loups dans la région! Où sont les autres? Ce sont aussi des bergers, bien sûr! Brave chien! Beau chien! Nous allons être amis, tu veux? » L'énorme berger allemand posa ses pattes de devant sur les épaules d'Henri et lui lécha le visage. Puis il leva la tête et poussa un long hurlement. C'était un cri qui ressemblait assez à celui d'un loup mais, cette fois, Henri savait à quoi s'en tenir. Ce hurlement était un appel aux autres chiens. Tous surgirent aussitôt des buissons qui poussaient en contre-bas de la grotte et s'empressèrent autour du garçon. Constatant

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Tous les chiens surgirent des buissons.

que leur chef le traitait en ami, ils se mirent à leur tour à sauter pour le lécher. Au bruit fait par la meute, Jacques, Denise et Lucette se réveillèrent en sursaut. Ils regardèrent dehors et, à leur grande horreur, aperçurent Henri qui semblait soutenir une lutte contre les loups. « Vite! cria Jacques. Ils attaquent Henri!» Tous trois, sans souci du danger, se précipitèrent au secours de leur ami. Lucette, animée d'un courage admirable, ramassa un bâton et le brandit en s'écriant : « Tiens bon, Riquet! Tu n'es pas blessé, au moins ? - Ça va ! Ça va ! cria Henri en retour. Je ne risque rien. Ces animaux me font fête. Ce ne sont pas des loups mais des bergers allemands! Des chiens, des braves chiens! — Nom d'un... chien! » fut tout ce que Denise, rassurée, trouva à dire tout bas.

Quant à Lucette, elle faillit fondre en larmes sous le choc de l'émotion. « Oh! Riquet, j'ai cru que c'étaient des loups et qu'ils allaient te dévorer! — Tu es bien vaillante d'être ainsi venue à mon secours, déclara Henri, tout attendri en voyant l’inoffensif petit bâton dont Lucette s'était armée pour le défendre. Mais regarde... le chef de file des chiens est devenu mon ami et les autres suivent son exemple... Et ils semblent vous adopter aussi... » C'était vrai. Les chiens paraissaient décidés à ne pas s'éloigner de la nuit. Henri ne savait trop qu'en faire. « Nous ne pouvons pas songer à les faire coucher avec nous dans la grotte. Il n'y aurait plus moyen de respirer! — Je pense bien! s'écria Denise, horrifiée à cette seule pensée. - Alors, sortons nos sacs de couchage et passons le reste de la nuit à la belle étoile, à côté de Tout-Doux. Les chiens nous garderont. Sapristi, ils sont dix. Je me demande ce qu'ils font, à rôder en liberté comme ça. C'est bizarre! » Les enfants couchèrent donc dehors. Les chiens s'allongèrent près d'eux. Celui qui semblait être le chef de la meute s'assit majestueusement tout contre Henri, d'un air qui semblait dire : « Ce garçon est mon ami. Passez au large. » Blanchet, effrayé, se réfugia aux côtés de Jacques. Kiki, lui, préféra aller se percher sur un arbre. Il y avait là beaucoup trop de chiens pour son goût! La lune contempla cette nuit-là un bien curieux spectacle : quatre enfants, un chevreau, un perroquet, un âne et dix chiens réunis !

Mais pourquoi Ludovic avait-il eu si peur? Que faisaient les dix bergers allemands dans la montagne ? Vous pourrez lire le reste de l'histoire dans l'ouvrage complet : Le mystère de l'hélicoptère.

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Le Moulin A vent de Mademoiselle Anna

Un après-midi horrible, venteux, pluvieux. Les trois enfants, maussades, regardaient par la fenêtre de la salle de jeux. « Impossible d'aller jouer dehors », dit Jean, âgé de douze ans. Jeanne, qui en avait dix, répliqua : « Nous avons déjà fait une affreuse promenade. — Je voudrais bien m'amuser, dit Lucie, qui avait huit ans. — A quoi nous amuser ? répondit Jeanne. Ne nous demande pas de jouer au " jeu des familles ", parce que nous n'en avons nulle envie. Ou à la " bataille ", ou à " la vieille fille". Ce sont des jeux stupides, tout juste bons pour les bébés. — Allons demander à maman de venir jouer avec nous, dit Jean. » Ils descendirent trouver leur mère. Elle était fort occupée avec Mlle Anna, leur ancienne gouvernante, qui venait parfois travailler à la maison. « Maman, venez jouer avec nous, dit Lucie. — Oh! mes chéris, c'est impossible, dit la maman.

— Si j'allais les occuper? suggéra Mlle Anna. Cela me ferait plaisir. » Les trois enfants regardèrent Mlle Anna, perplexes. Elle leur paraissait bien vieille! Ils ne croyaient pas qu'elle réussirait à les intéresser. Mlle Anna leur sourit. Que son sourire était charmant! Bien sûr, il ajoutait des rides à son visage et pourtant il le rendait plus jeune et plus gai! « Eh bien! Mademoiselle Anna, si cela ne vous ennuyait pas trop, je vous serais reconnaissante de les accompagner à leur salle de jeux. Vous leur trouverez peut-être une occupation, dit la maman. — Eh bien, venez! » dit Mlle Anna; et elle monta avec les enfants. « Maintenant, ditelle, qu'allons-nous faire? Je fais très bien beaucoup de choses. — Quelle espèce de choses? demanda Jean. — N'importe quoi! Cela m'est égal! dit Mlle Anna, à la surprise des enfants. Dites-moi ce que vous voulez avoir et je vous montrerai à le faire... — Non, faites-nous quelque chose, dit Lucie qui était maladroite. — C'est bien plus amusant de fabriquer soi-même un objet, dit Mlle Anna. Allons, vite! Dites-moi ce que vous aimeriez faire... » Jean, debout près de la fenêtre, vit une enfant qui descendait la rue en courant. Elle avait en main un moulin à vent en papier de couleurs vives, tenu par un bâton et qui tournait au vent tandis qu'elle courait. « Je sais ! cria-t-il. Fabriquons des moulins à vent! Lucie en serait ravie. Tu aimes ces moulins, n'est-ce pas, Lucie, qui tournent et tournent ! — Oh! oui, dit Lucie. Mademoiselle Anna, savez-vous en faire? — C'est très facile, répondit Mlle Anna, Voyons, que nous faut-il ? Du bon papier bien dur, des crayons de couleur, des punaises et des bâtons. — J'irai chercher les bâtons, dit Jean. Je sais où il y en a dans la cabane à outils. Je mets mes bottes et mon imperméable et j'y vais. — Et moi, je vais vous procurer du gros

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papier. Il y en a beaucoup dans nos pupitres. Lucie, cherche des crayons de couleurs et des punaises, dit Jeanne. » Tous les accessoires se trouvèrent bientôt sur la table. « Voyons, dit Mlle Anna, nous n'avons guère de temps avant le goûter. Aussi, faites bien attention! » Elle donna une feuille de gros papier raide à chaque enfant. « Elles ont la bonne dimension, dit-elle. Environ trente centimètres de côté. Êtesvous prêts ? Pliez vos papiers en seize carrés. — Oh! Oh! Mais comment cela? demanda Lucie. — Quel bébé tu es! s'exclama Jean. Comme ceci! Tu plies d'abord ton papier en deux. Et tu le replies en deux. Compris? — Oui, dit Lucie, imitant Jean. » Jeanne agissait de même. « Maintenant, plie-le en deux, et puis encore en deux, de l'autre côté, dit Jean. C'est bien. Ouvre maintenant ta feuille, et tu as seize carrés (Voyez figure 1) Et ensuite, mademoiselle Anna? - Maintenant, un pli en diagonale, d'un angle à l'autre, dit Mlle Anna. Et un autre encore, en partant des deux autres angles. C'est bien! Maintenant, ouvrez le papier! » (Voyez figure 2.) Ils ouvrirent leur papier et regardèrent Mlle Anna. Que fallait-il faire maintenant? « Repliez la rangée supérieure des carrés », dit-elle. Ils lui obéirent. « Maintenant, repliez la rangée droite des carrés. » Ils la replièrent. « Maintenant, il y a une petite difficulté! dit Mlle Anna. Il vous faut tirer le carré supérieur,

en faire une pointe, l'aplatir — comme ceci, regardez ! C'est la première pointe de, notre moulin à vent. » II n'était pas facile de tirer la pointe, mais si vous regardez la figure 3 vous saurez comment vous y prendre. « Maintenant, retournez vos papiers et tirez une autre pointe de la même manière, dit Mlle Anna. Il vous faut d'abord replier les carrés de côté, bien sûr. C'est parfait! Maintenant la troisième pointe et la quatrième! Aplatissez bien toutes les pointes! » Jean se tira fort bien d'affaire. Jeanne, après la première pointe, déclara que c'était facile, mais Lucie s'embrouilla. Mlle Anna dut l'aider. «Voilà comment on tire les pointes, dît-elle. Et aplatissez-les. - Ma parole, voici un joli moulin à vent, dit Jean. Et tout à fait simple à faire, aussi ! Je suppose que nous n'avons plus qu'à les colorier et à les attacher à nos bâtons avec des punaises. - Mais oui, ce sera tout, » dit Mlle Anna. « Mettons nos manteaux et faisons le tour du jardin en courant avec nos moulins, dit Jeanne, désirant se rendre compte si son moulin fonctionnait. Nous avons juste le temps. Mille fois merci, mademoiselle Anna! »

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Un cas embarrassant Cette histoire se passe en Angleterre. Fatty, Larry, Daisy, Pip, Betsy et Foxy le chien, sont les meilleurs amis du monde. Rien ne les enchante autant que de résoudre des énigmes. M. Groddy, le policeman de la localité, les déteste. Ces gamins sont toujours en train de se mêler de ce qui ne les regarde pas ! Voici une de leurs aventures qui vous offrira la clef d'un mystère !

« Allons chez Fatty! dit Larry à Daisy. Peut-être viendra-t-il en promenade avec nous. Il fait bien trop beau pour rester toute la journée à la maison!

Fatty, tout souriant, ouvrit la porte : « Hé ! bonjour! Je pensais bien que c'était vous ! »

— Entendu! dit Daisy, refermant son livre. Si nous allions aussi chercher Pip et Betsy? - Nous passerons chez eux, dit Larry qui s'en alla trouver sa mère. Maman, nous allons nous promener, mais nous serons de retour à l'heure du déjeuner! » Ils se rendirent chez Pip, occupé avec Betsy à nettoyer la cabane aux outils. « Nous allons chez Fatty, dit Larry. Nous nous ennuyons à mourir! Il nous amusera sans doute, car, avec lui, il se passe toujours des choses drôles! — Nous vous suivons, dit Betsy. J'en ai par-dessus la tête de nettoyer cette sale vieille cabane! Maman nous a dit de la ranger, mais nous finirons notre travail au retour. Ne suis-je pas trop malpropre pour sortir ? - Oh si! » dit Daisy, l'époussetant d'une main vigoureuse. La poussière s'envola en d'épais nuages. « Là, c'est mieux! Tu as une marque noire sur la joue. Pas de mouchoir ? Tiens, sers-toi du mien. » Ils partirent tous quatre et se rendirent chez Fatty. Ils sifflèrent sans succès. « II doit être dans la remise », dit Larry. Ils se dirigèrent vers le fond du jardin où l'atelier de Fatty était dissimulé par des arbustes et des arbres. Foxy, le chien, était avec son maître. Il aboya joyeusement en entendant les pas des visiteurs : « Ouah! ouah! ouah!» Fatty, tout souriant, ouvrit la porte. « Hé! bonjour! Je pensais bien que c'était vous! Foxy était fou de joie. Que se passet-il? Rien de sensationnel ? — Rien du tout, Fatty, dit Larry. Nos

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vacances sont ennuyeuses. Il fait si beau! Si nous allions faire un tour? Foxy pourrait venir avec nous. Il a besoin d'une cure d'amaigrissement. - Ouah! aboya Foxy, toujours prêt à aller se promener. - Alors, partons tout de suite! dit Fatty, fermant à clef la porte de son atelier. Je m'ennuie aussi. Il ne s'est rien passé de passionnant pendant ces vacances, et elles se terminent dans huit jours. Je n'ai même pas vu notre ennemi intime. - Qui? Oh! le gros policeman, M. Groddy ! dit Betsy. Il est très occupé, à ce qu'il paraît. Il fait la tournée des propriétaires de chiens. — Des chiens? En quoi nos chiens le concernent-ils ? dit Fatty, surpris. Tu entends, Foxy? Méfie-toi! — Eh bien, les fermiers se plaignent de ce que les chiens pourchassent les moutons et effraient les agneaux, dit Betsy. Aussi

M. Groddy prévient-il tout le monde que les chiens ne doivent pas divaguer. - Foxy a bien trop peur des moutons pour leur chercher chicane! dit Fatty. Il a essayé une seule fois et ce sont les moutons qui l'ont pourchassé ! Je n'ai jamais vu Foxy courir aussi vite! » Ils descendirent la route, Foxy galopant devant, agitant la queue. Une énorme silhouette vêtue de bleu sombre apparut au tournant, montée sur une bicyclette et actionnant le timbre avec vigueur. Foxy aboya joyeusement et se jeta sur la roue de devant. «Attends un peu, toi!» grommela une voix bien connue, et un gros soulier fut lancé vers Foxy. La bicyclette zigzagua. Fatty rappela son chien : « Ici, Foxy! ici! Pardon, monsieur Groddy. Vous avez pris le tournant à une telle vitesse que vous avez épouvanté mon vieux Foxy. — Encore un de ces maudits chiens! dit

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le gros policeman en sautant à bas de son vélo. Je venais justement vous avertir qu'il fallait enfermer votre chien. Les fermiers sont mécontents. Les chiens harcèlent leurs moutons. Je vous préviens que si je vois un chien errant, j'aurai quelques mots à dire à son propriétaire ! — Foxy n'est pas un chien errant. Il nous accompagne, répliqua Fatty. De toute façon, il ne sort jamais seul. — Alors, tenez-le en laisse ! ordonna M. Groddy. — Je n'en ai pas sur moi! » dit Fatty, rejoignant ses camarades. Foxy gronda et M. Groddy remonta précipitamment sur sa bicyclette, décochant un coup de pied au petit chien. C'en fut trop pour Foxy. Il s'attaqua aux chevilles du policeman avec entrain. Le gros homme, descendant la rue tout en lançant des coups de pied en direction de Foxy ne vit pas une camionnette qui franchissait la grille d'une propriété. « Attention à la camionnette ! » cria Fatty. La voiture freina brusquement, et Groddy, effrayé, tomba de sa bicyclette. Foxy, enchanté, sauta sur lui, et Fatty dut le' rattraper par son collier. La camionnette contourna M. Groddy et fila à toute vitesse. Le policeman était trop furieux contre Foxy pour se soucier du véhicule. Betsy prit Foxy dans ses bras et se sauva en courant. Si le policeman allait se saisir du chien et le mettre à la fourrière! Les autres enfants remirent M. Groddy sur pied, et Fatty l'épousseta. « Cette camionnette a failli vous renverser, dit-il. Sortir ainsi d'un portail à toute allure! Et sans corner! Vous auriez pu être tué, monsieur Groddy! Avez-vous vu le numéro de la voiture? — Non, grommela le policeman en remettant son casque. Où est passé ce chien? Je... je... » Mais les enfants avaient filé et laissé M. Groddy remonter sur son vélo, marmottant des imprécations. Le coin tourné, Fatty songea tout à coup qu'il s'était passé quelque chose d'étrange. Il s'arrêta net. « Dites donc, d'où sortait cette camionnette? Les propriétaires de la maison

sont absents, et la maison est fermée! — Oh! c'était une voiture de livraison, sans doute. Et personne n'a répondu, dit Pip. Filons en vitesse, ou M. Groddy nous rattrapera! »

II. VIENS ICI, MINET ! Les cinq enfants se réfugièrent dans un petit chemin et attendirent que M. Groddy, le visage violacé, les eût dépassés. « Dieu merci! il est parti, dit Betsy, qui craignait le gros policeman à la voix tonitruante. Descendons ce sentier et nous ne le reverrons plus.

Ils traversèrent la rivière et débarquèrent. — Très bien, dit Fatty. Nous irons jusqu'à la rivière et nous flânerons au bord de l'eau. » Ils s'en furent donc jusqu'à la rivière et longèrent la berge. L'eau bleue clapotait; la matinée était ensoleillée. Foxy courut joyeusement jusqu'au hangar aux canots pour voir son ami Tom, le batelier. « Hé! bonjour, Foxy! dit Tom. Où est ton maître ? Ah ! vous voici, monsieur Frédéric.

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Voulez-vous une barque ce matin? — Eh bien! ce serait une bonne idée. Traversons la rivière et allons dans le bois, dit Fatty. Je parie qu'il y a des milliers de coucous par ce beau jour de printemps. — Vous pouvez prendre la Belle Impertinente », dit Tom. Les cinq enfants montèrent dans la barque avec Foxy qui courut à l'avant et s'y dressa, telle une figure de proue. Il adorait le canotage. Ils traversèrent la rivière et débarquèrent. Ayant amarré leur bateau, ils se dirigèrent vers la colline boisée, et passèrent devant une grande maison inhabitée, la villa Bellevue. Une pancarte était accrochée à un des piliers du portail ouvert : "A vendre ". « Voyez donc toutes les jonquilles dans le jardin! s'exclama Daisy. Quel spectacle! — Entrons les regarder, dit Betsy. Ma parole, si cette propriété était plus près de la ville, les gens ne manqueraient pas de cueillir ces jonquilles, sachant que la maison est inhabitée et à vendre! » Mais personne n'avait touché aux centaines de fleurs jaunes. Les enfants les admirèrent. Foxy ne pouvait comprendre pourquoi ils restaient là, immobiles, à regarder des fleurs sans intérêt! Il courut explorer seul le domaine, dérangeant un chat endormi au soleil sur l'appui d'une fenêtre. A la vue de Foxy, aboyant sous la fenêtre, l'animal épouvanté poussa de longs miaulements. Foxy bondit; le chat sauta par-dessus lui et se réfugia dans un chêne. Le chien aboyait furieusement au pied de l'arbre, enfonçant ses griffes dans le tronc. Les cinq enfants accoururent. « Foxy! Tu sais qu'on t'a défendu de pourchasser les chats! s'écria Betsy. — Oh! regarde, Fatty, le pauvre minet a grimpé jusqu'en haut de l'arbre! - Eh bien ! espérons qu'il saura en redescendre, dit Fatty. Allons-nous-en! Il quittera son perchoir après notre départ. » Ils partirent, jetant un dernier coup d'œil aux centaines de jonquilles qui bordaient l'allée. Betsy se retourna, espérant que le chat était redescendu, mais elle ne l'aperçut pas. « Si nous passions par ici au retour, pour

voir si le chat est encore dans, l'arbre? proposa-t-elle à Fatty. Il est encore tout petit. Peut-être ne saura-t-il pas redescendre tout seul ou se fera-t-il du mal en tombant. — Mais oui, Betsy, nous repasserons, assura Fatty en souriant.

Le chat fut sur l'arbre en un rien de temps.

Foxy est un imbécile. Il sait qu'il ne peut jamais attraper ni chats, ni lapins, mais il ne cesse de les poursuivre ! Viens ! Allons chercher des primevères dans les bois! » II y en avait des millions sur la colline, et les cinq amis en cueillirent d'énormes bouquets pour la maison. Puis ils retournèrent vers la rivière. « N'oublie pas que nous devons aller voir si le chat est encore dans l'arbre », dit Betsy. Fatty acquiesça d'un signe de tête. Ils franchirent de nouveau le portail de la grande maison vide, longèrent l'allée des jonquilles, et allèrent jusqu'à l'arbre où avait grimpé le chat.

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« Pas le moindre signe de chat, dit Fatty. Il a dû redescendre, Betsy. Allons! Il est temps de rentrer. » Mais au moment où ils repartaient, un son parvint à leurs oreilles : « Mi..a..ou... Mi..a..ou.. !

Larry, habitué aux escalades, n'éprouvait nulle crainte.

- Le chat! dit Daisy. Où est-il? C'était un miaulement de terreur, j'en suis sûre. » Ils levèrent les yeux vers l'arbre, et, soudain, Pip aperçut le minet. « Regardez! le voilà! Sur le toit de la maison, près de cette cheminée! cria-t-il. Vous voyez la branche qui touche le toit? Il doit l'avoir longée et sauté de là sur le toit. Il a peur et n'ose plus redescendre. — Je ferais mieux de monter et de le prendre», dit Fatty déjà prêt à grimper.

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Mais Larry sauta sur une basse branche et bondit dans l'arbre avant lui. Il était excellent grimpeur et fut bientôt tout en haut. Il appela le chat d'une voix caressante : « Minet! Viens, minet! Viens vers moi, et je te descendrai! Minet! Minet! — Mi... a... ou! » fit le chat sans bouger. Il était perché sur le toit, près d'une lucarne, et semblait décidé à y demeurer toute la journée. Larry glissa le long de la branche jusqu'au toit, et Betsy retint son souffle en le voyant prendre pied sur les tuiles. « Attention, Larry! » cria Fatty, inquiet. Mais Larry, habitué aux escalades, n'éprouvait nulle crainte. Il se trouvait maintenant sur le toit, et s'approchait lentement du chat : « Minet! dit-il. Allons, viens ! » II était près de la lucarne, à moins d'un mètre du chat. Il étendit le bras, et le minet effrayé sauta du toit sur la branche, de là sur un mur et disparut. Mais Larry, au lieu de redescendre, s'assit près de la lucarne et jeta un coup d'œil surpris dans la mansarde. « Qu'y a-t-il, Larry ? Descends ! cria Fatty, impatient. Allons! courage! » III. DES TAPIS ! « C'est bon! Je viens! répondit Larry. Quel farceur, ce chat! M'obliger à grimper jusqu'ici pour des prunes! » Se laissant glisser du toit, il descendit de branche en branche à toute vitesse. Daisy et Betsy furent bien soulagées de le voir sain et sauf à leurs côtés. « Que j'ai eu peur pour toi! dit Betsy. Comme tu paraissais loin sur ce toit ! — J'ai vu quelque chose de bien étrange en regardant par la lucarne, dit Larry. La mansarde était pleine de tapis roulés ! Croyezvous que les anciens propriétaires les aient oubliés ? — Des tapis ! s'exclama Fatty, stupéfait. Que veux-tu dire? N'y avait-il pas aussi de vieux meubles, des caisses, l'espèce de fouillis qu'on trouve dans tous les greniers ? — Non, rien que des tapis. Et splendides ! De ceux qu'on appelle persans. Bonnemaman en a un dans son vestibule, et elle dit qu'il a une grande valeur.

« Des tapis! s'exclama Fatty, stupéfait. Que veux-tu dire ? »

— Je suppose que les propriétaires les ont fourrés là en attendant de vendre la maison, dit Daisy. Ils épargneront ainsi les frais d'un garde-meubles. Cela coûte beaucoup d'argent "de mettre des objets de valeur dans un gardemeubles. - Eh bien! s'ils ne vendent pas bientôt leur maison, les mites mangeront certainement leurs tapis, dit Larry. Fatty, si nous parlions de ces tapis au gérant de l'Agence immobilière? Peut-être ont-ils été oubliés? Ce serait bien dommage que les mites s'y mettent ! — Entendu. Nous irons chez le gérant cet après-midi. Nous n'avons pas le temps maintenant.

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Hâtons-nous, où nous serons en retard. C'est ta faute, Foxy! Poursuivre ainsi un chat! — Ouah! ouah! » aboya Foxy sur un ton lamentable. Son maître était-il fâché? Ils descendirent vite jusqu'à la rivière et la traversèrent rapidement. Bientôt, ils couraient tous vers la maison, oubliant l'incident des tapis. Mais Fatty, lui, y songeait. Il y pensait encore pendant le déjeuner, assis en face de sa mère. « A quoi réfléchis-tu si profondément ? demanda-t-elle enfin, lasse de son mutisme. — A des tapis persans, répondit Fatty. — En voilà une idée! s'écria sa mère stupéfaite. — Ils ont une grande valeur, n'est-ce pas ? s'enquit son fils. On ne devrait pas les laisser dans une maison vide, n'est-ce pas? — Bien sûr que non ! dit sa maman, encore plus étonnée. Personne n'ayant un grain de bon sens n'agirait ainsi. Les mites les abîmeraient sans tarder. A quels tapis songestu? — Oh! à ceux dont me parlait Larry, dit vivement Fatty, craignant que sa maman ne lui posât des questions gênantes. — Seigneur! J'ignorais que Larry s'intéressât aux tapis persans! » dit-elle.

Foxy se mit à aboyer rageusement; quelqu'un franchissait la grille à bicyclette.

- A propos, demanda Fatty, n'aurais-tu pas un vieux bout de tapis pour mon atelier, maman? » La maman oublia tout de suite l'intérêt manifesté par son fils pour les tapis persans, et jusqu'à la fin du repas, elle parla longuement des carpettes usagées dont il pourrait disposer. Fatty, surpris, n'avait jamais pensé qu'elle en possédait tant! Le déjeuner achevé, il se rappela qu'il devait passer avec ses camarades à l'Agence immobilière pour avoir des renseignements sur la villa Bellevue. Sachant le nom des propriétaires, il pourrait leur écrire ou leur téléphoner, et résoudre le mystère des tapis. Mais était-ce un mystère? Il allait enfourcher son vélo lorsque Foxy se mit à aboyer rageusement. Quelqu'un franchissait la grille à bicyclette. « C'est M. Groddy! dit Fatty, étonné. Qu'est-ce qu'il veut donc? Il ne vient pas se plaindre de l'attitude de Foxy ce matin, j'espère? » II s'en fut à la rencontre de M. Groddy, n'ayant nulle envie que sa maman entendît les plaintes du gros policeman. Celui-ci sauta à bas de son vélo et lança des imprécations à Foxy. « Va-t'en, sale bête! Tu verras ce qui se passera si je te prends à courir après les moutons! Ça sera ta fin! » Fatty sentit la moutarde lui monter au nez. Pourquoi M. Groddy criait-il toujours et se montrait-il si désagréable? Il siffla Foxy et le fit asseoir près de lui. « Qu'y a-t-il encore, monsieur Groddy? demanda-t-il sèchement. Ne criez pas tant, s'il vous plaît. Maman se repose. — J'ai bonne envie de vous envoyer la note du teinturier, dit M. Groddy. Mon uniforme est tout sali. Regardez ce qui est arrivé quand votre cabot m'a fait tomber ce matin! » II montra une tache qui couvrait presque toute sa manche. « C'est la camionnette qui est la cause de votre chute, dit le garçon. Ce n'est pas Foxy. — Je veux justement vous poser une question au sujet de cette camionnette, dit Groddy, toujours tempêtant. Avez-vous pu lire le numéro?

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- Non. Et vous? J'ai vu le nom du propriétaire, cependant, sur le côté. Mais pourquoi tant d'histoires? Voulez-vous dresser procès-verbal au conducteur parce qu'il a débouché trop vite sur la route? — Ah! ah! Vous avez vu le nom du propriétaire de la voiture, hein ? dit Groddy. Dites-le-moi à l'instant! - Répondez-moi d'abord, dit Fatty. — Eh bien, parfaitement, je veux coffrer ce conducteur, répliqua Groddy, important. Lui et son complice, ils ont enfoncé la porte de la maison, sachant les propriétaires absents, et ils sont partis avec tous les tapis ! Et mieux encore, c'est leur troisième vol! Alors, dites-moi à qui appartient cette camionnette-là? » Le garçon se mit à rire. « C'est celle du boulanger! Vous suivez une mauvaise piste, monsieur Groddy ! Notre boulanger ne volerait pas de tapis! Ah! il s'agit de tapis! Eh bien! voilà une nouvelle des plus intéressantes!»

IV. DE FINS LIMIERS ! Le gros policeman dévisagea Fatty. « Ce n'était pas la camionnette du boulanger, dit-il incrédule. En tout cas, ce n'était pas lui qui conduisait. Je l'aurais reconnu. — Alors, dit le garçon, c'est que le voleur a pris sa camionnette. Je suppose qu'il emprunte un véhicule différent chaque fois qu'il dérobe des tapis chez les gens qu'il sait en voyage. — Il est allé chez Lady Burnet, hier, dit Groddy. Deux domestiques s'y trouvaient; le conducteur leur a dit qu'il venait chercher des tapis à nettoyer, de la part du teinturier, et on les lui a remis. Cette fois, il s'est servi de la camionnette du teinturier. -Il l'avait prise juste devant la boutique, s'il vous plaît! Et on l'a retrouvée vide près de la rivière!» Fatty réfléchit rapidement. Devait-il ou non dire à M. Groddy ce qu'il savait? Lui parler des tapis aperçus dans le grenier de la villa Bellevue? Ce serait mieux peut-être...

« Ce chien-là ne vaut pas mieux que vous ! toujours prêt à entraver la loi!»

Mais il changea d'avis en entendant les paroles suivantes : « Si votre cabot ne m'avait pas attaqué ce matin, j'aurais pu interpeller le conducteur de la camionnette, l'arrêter, reprendre les tapis, et... — Allons donc! Vous ne saviez même pas que le voleur avait emprunté la camionnette. — Je l'aurais deviné, sans votre cabot! Ce chien-là ne vaut pas mieux que vous, toujours prêt à entraver la loi! — Monsieur Groddy, si vous l'aviez demandé gentiment, j'aurais pu vous donner quelques renseignements utiles, mais je n'en ferai rien. Je m'adresserai à l'inspecteur Jenkins. Je crois savoir où trouver le voleur. Au revoir, monsieur Groddy! » Là-dessus, Fatty lui tourna le dos et s'en alla dans son atelier, suivi de Foxy. Le policeman, furieux, le regarda partir. « Je n'en crois pas un mot! hurla-t-il, pas un traître mot! Vous n'aviez même pas entendu parler des tapis! »

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Le garçon ne lui répondit pas. Il se demandait s'il devait aller voir tout de suite son ami l'inspecteur. Non, peut-être pas. Il aurait l'air d'un imbécile si les tapis du grenier de Bellevue n'étaient pas des tapis volés. Le mieux était de se rendre à l'Agence immobilière. Dix minutes plus tard, il filait à bicyclette chercher ses amis. « Daisy, viens donc avec moi. Nous demanderons un renseignement quelconque, et nous aurons l'adresse des propriétaires qui veulent vendre le domaine. » Ils allèrent à l'agence. Fatty, après avoir salué poliment la jeune employée assise derrière un bureau, s'enquit de l'adresse des propriétaires. «Je regrette, dit-elle, mais il y a déjà des acquéreurs pour Bellevue. Ils ont les clefs depuis huit jours, et ils ont téléphoné aujourd'hui, demandant à les garder jusqu'à demain. Ils sont presque décidés à acheter la propriété. Il est donc inutile que je vous donne l'adresse des propriétaires. — Merci », dit Fatty. Il sortit avec Daisy, réfléchissant intensément. « II y a huit jours qu'ils ont les clefs! Ils les gardent jusqu'à demain! Ils vont donc déménager les tapis cette nuit même! Quel toupet ils ont! Ils volent des voitures, pénètrent dans les maisons vides, s'emparent des tapis et les cachent là où ils savent que personne n'ira les chercher, dans une propriété à vendre dont ils ont les clefs! — Comment y introduisent-ils les tapis? demanda Daisy. Traversent-ils le pont en voiture ou se servent-ils d'un bateau? — Voilà la question! dit Fatty, méditatif. Non, pas le pont! On y pourrait remarquer les voitures volées. Ils traversent la rivière. Ils doivent avoir un bateau quelque part, dont ils se servent la nuit. Dis donc, si nous nous promenions le long de la rivière? Nous pourrions peut-être apercevoir leur bateau ? » Ils déclarèrent tous l'idée excellente, aussi longèrent-ils la berge, en compagnie de Foxy. Ils trouvèrent bientôt ce qu'ils cherchaient. « Regardez! Une petite péniche! dit Pip, montrant du doigt une petite crique bien abritée. Et une barque à côté ! Les voleurs ne se serviraient-ils pas de la péniche pour y

remiser les tapis volés, et de la barque pour les transporter la nuit de l'autre côté de la rivière ? - Tu dois avoir raison, Pip, dit Fatty. Si oui, nous devrions trouver des tapis dans la péniche, qui seraient transbordés cette nuit ! » Ils pénétrèrent dans la crique, tentèrent de jeter un coup d'œil par les fenêtres de la péniche appelée Balançoire, Les rideaux des fenêtres cachaient complètement l'intérieur. On ne pouvait rien voir! Les portes étaient solidement cadenassées.

Ils tentèrent de jeter un coup d'œil par les fenêtres de la péniche.

« Rien à faire, dit Pip déçu. On ne voit rien! — Attends! dit soudain Larry. Regarde! Qu'est-ce que c'est que ça? Il montrait du doigt la rambarde qui entourait le pont du bateau. Tous regardèrent et Daisy poussa un petit cri. — Des bouts de laine! Ils ont dû hisser les tapis par-dessus la rambarde! L'un d'eux s'est accroché à un clou et a laissé ces

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brins de laine! C'est la preuve que nous ne nous trompons pas! » Ils remontèrent sur la berge, très excités. Pip montra du doigt un champ, derrière eux. « Des traces de roues, dit-il. Voyez ! Ils ont dû descendre ce sentier là-bas, passer par cette barrière, et traverser le champ jusqu'à la rivière! L'endroit est si désert qu'il n'y avait pas une chance sur cent pour qu'on les aperçoive ! - Allons voir l'inspecteur tout de suite, dit Fatty enchanté. Vite, à la maison ! Je lui téléphonerai. Ma parole! Jamais nous n'aurons résolu un mystère aussi vite! »

— Nous ne voulons pas vous mystifier, dit Fatty de cette voix polie qui exaspérait l’agent.

V. QUELLE SUCCESSION D'AVENTURES ! Les cinq enfants nièrent à bicyclette jusqu'à la ville. Fatty téléphona à la police régionale, mais, hélas ! l'inspecteur était absent. « II ne reviendra que ce soir, lui répondit le policeman de service. S'il s'agit d'une affaire urgente, voyez M. Groddy. » Cette suggestion n'enchanta point les enfants. Ils tinrent conseil : « II n'y a pas de temps à perdre, dit Fatty. Les voleurs décamperont sans doute après ce dernier coup. Rappelez-vous ! Ils ont dit qu'ils rendraient les clefs demain. Ils emporteront leur butin cette nuit à Bellevue, reprendront les tapis cachés dans le grenier, les entasseront probablement dans une voiture de déménagement — encore une voiture " empruntée ", sûrement — et personne n'en entendra plus parler! — Mais nous ne pouvons pas les en empêcher à nous tout seuls, dit gravement Larry. Nous sommes bien obligés d'avertir M. Groddy. » Aussi, bien malgré eux, les cinq enfants se rendirent au poste de police après le goûter, Foxy courant à leur côté. M. Groddy se montra extrêmement surpris de leur visite. « Que voulez-vous? dit-il rudement. Vous venez sans doute me raconter une histoire à dormir debout à propos de ces tapis volés ? Vous savez où ils se trouvent, peut-être ? Je vous préviens tout de suite que je ne me laisserai pas raconter des balivernes ! Je sais que vous avez beaucoup d'imagination !

« Mous jouerons cartes sur table », dit Fatty. Nous jouerons cartes sur table. Oui, nous savons où se trouvent les tapis. Nous savons qui les a volés. Et nous savons que si vous n'agissez pas ce soir même, vous arriverez sans doute trop tard! - Je suis surpris que vous ne racontiez pas tout ça à l'inspecteur, dit le policeman soupçonneux. Cela ne vous ressemble pas

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de venir me trouver ! Je ne suis pas décidé à vous croire, mes petits amis ! — Très bien, dit Fatty, exaspéré. Voici nos renseignements. Faites-en ce que vous en voudrez! Le dernier lot de tapis est caché dans la péniche Balançoire, en amont du pont. Ils seront transbordés cette nuit et emmenés de l'autre côté, sur la colline, dans une propriété dénommée " Bellevue ". Il s'y trouve déjà des douzaines de tapis volés, probablement de grande valeur, entassés dans une mansarde ! Il y a des chances qu'on les emporte cette nuit, ou demain matin au plus tard. — Je n'en crois pas un mot! affirma Groddy. Pas un traître mot! Personne ne pourrait savoir tout ça! Vous voulez me faire marcher, une fois de plus! Et je sais quelque chose, moi, qui prouve que vous vous trompez! — Quoi donc? demanda Fatty, surpris. — Personne n'habite la villa Bellevue, dit Groddy triomphant. Vous avez choisi la mauvaise maison, monsieur le malin! Elle est vide. Et maintenant, débarrassez-moi le plancher, vous autres ! Je ferai mon rapport à l'inspecteur ce soir! Et il vous lavera la tête, vous verrez! Allez, cirrrculez! » Betsy parut épouvantée. Fatty se hâta de faire sortir ses amis, craignant de se mettre en colère s'il restait une seconde de plus. En tous cas, il avait agi de son mieux. Il lui fallait maintenant attendre le soir pour téléphoner à l'inspecteur. Pourvu que ce ne fût pas trop tard! M. Groddy réussit à voir l'inspecteur avant lui. Celui-ci écouta toute l'histoire, ébahi. « Pourquoi Frédéric vous raconterait-il des blagues? demanda-t-il. Il y a peut-être du vrai dans son histoire. Je vais lui téléphoner chez ses parents. » C'est ce qu'il fit. Il écouta Fatty avec le plus grand intérêt. « M. Groddy n'a pas cru un mot de ce que nous lui disions, monsieur, dit le garçon. Mais je suis sûr que nous avons raison! Pouvez-vous envoyer des agents à Bellevue avant qu'il ne soit trop tard ? Je ne serais pas surpris si les voleurs déménageaient cette nuit. - J'y enverrai mes hommes, ne t'inquiète pas, promit l'inspecteur. Mais ne te mêle pas de l'affaire, Frédéric! »

Fatty sourit et raccrocha. Mais si, il se mêlerait de l'affaire, et Larry, et Pip aussi! Mais pas les filles! C'était aux garçons de s'occuper de cette histoire-là et on verrait de quoi ils étaient capables.

A sa terreur, une main vigoureuse agrippa son bras.

Aussi vers huit heures, à la nuit tombante, les trois garçons traversèrent-ils la rivière et se dirigèrent vers Bellevue. Ah! qu'y avait-il donc dans l'allée, près de la porte de service de la maison? Une petite voiture de déménagement! Fatty poussa Larry et Pip dans un bosquet et souhaita que la police arrivât à temps. A sa terreur, une main vigoureuse agrippa son bras de derrière les buissons. Le garçon se raidit, tout glacé. Les voleurs se cachaient donc là ? Une voix siffla à son oreille : «Je t'avais bien dit de ne pas t'en mêler! » Ouf! C'était l'inspecteur aux aguets avec six de ses hommes ! Un large sourire épanouit le visage de Fatty. Et maintenant, qui diable descendait l'avenue, à grands pas lourds?

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« C'est Groddy! chuchota Larry à son oreille. Il s'est dit qu'il ferait tout de même mieux de venir voir sur place... Hé! Fatty, que se passe-til? » Bien des choses se passaient en même temps. Trois hommes portant des ballots apparurent soudain à la porte de service, éclairés par la lumière d'une lampe. Groddy les interpella : « Hé! là-bas! Qu'est-ce que vous faites?» En un clin d'œil, les hommes lâchèrent leurs ballots et sautèrent sur le policeman. Il tomba, hurlant, et fut promptement jeté dans le camion, et les tapis par-dessus. Fatty put entendre ses cris étouffés et furieux. Il surprit un petit rire derrière lui. L'inspecteur s'amusait bien! « Groddy a compris maintenant que vous lui disiez la vérité, Frédéric, chuchota-t-il. Restez tous dans vos buissons, surtout. Nous allons nous occuper de ces gens-là. » II lança un coup de sifflet strident qui fit sursauter Fatty et ses camarades. Puis, tous ensemble, inspecteur et agents se portèrent rapidement vers les voleurs stupéfaits. Il y eut des cris, des coups, mais tout se termina très vite — beaucoup trop vite au goût des garçons! En un rien de temps, les trois hommes furent bouclés dans leur propre camion de déménagement et emmenés au poste de police. L'inspecteur tapota le dos de Fatty. « Beau petit travail, Frédéric, hein? dit-il. Je te remercie! Un peu plus, et nous arrivions trop tard! Puis-je vous reconduire chez vous? La voiture de police est là tout près, sous les arbres, en bas de la route. — Mais vous feriez peut-être mieux d'emmener ce pauvre M. Groddy, dit généreusement Fatty. Il ne doit pas se sentir trop bien après avoir été fourré dans cette voiture sous les ballots de tapis! Il est assis sur le talus, là-bas, tout gémissant! — Il est plus vexé que souffrant, dit l'inspecteur. S'il n'avait vraiment pas cru ce que vous lui avez dit, il n'avait qu'à ne pas venir ici ce soir! Allons, je ferais peut-être mieux de l'emmener... Groddy! Relevezvous! Je vous ferai place dans ma voiture. — Non, merci, monsieur l'inspecteur », dit Groddy, se relevant en chancelant.

Pourquoi, pourquoi donc, n'avait-il pas ajouté foi à ce que lui avait raconté ce gros garçon? Mais aussi, quelle histoire étrange! « Je dois inspecter la maison et la fermer ensuite, monsieur l'inspecteur, dit-il, et aviser les propriétaires. J'ai fort à faire! Ramenez plutôt les enfants! »

Trois hommes apparurent soudain à la porte de service.

Enchantés, Fatty, Larry et Pip revinrent chez eux dans la grande voiture noire de la police. « Encore un mystère résolu, hein, Frédéric? dit l'inspecteur. — Oh! ce n'était pas un bien grand mystère, monsieur, dit Fatty, modeste. Disons tout simplement un cas embarrassant! »

Vous trouverez

une outre histoire de Fatty LA GRANDE FRAYEUR DE M. GRODDY (pages 177 à 181)

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Francis, un grand ami des bêtes, possède quantité d'animaux dans son jardin. Mais son désir a toujours été de posséder un poney. Vous lirez ici comment ce jeune garçon réussit à sauver la vie de l'un d'entre eux.

Une nuit, en s'éveillant, Francis aperçut une étrange lumière dans le ciel. Il bondit hors de son lit et, regardant par la fenêtre, s'aperçut qu'il y avait un violent incendie non loin de là. « II faut que je m'habille, pensa-t-il. Étant scout, je dois proposer mon aide. Je pourrai tout au moins, emplir des seaux d'eau avant l'arrivée des pompiers! » II fut bientôt dehors. Il n'avait réveillé personne chez lui. Sa maman et sa grandmère s'alarmeraient et son papa ne pouvait être d'aucun secours. Rex gémit, car il désirait accompagner son petit maître mais, pour une fois, Francis fit la sourde oreille en passant près du chenil. L'incendie s'était déclaré derrière la fruiterie. Une foule de gens allaient et venaient, criant, s'efforçant d'être de quelque secours.

La pompe à incendie n'était pas encore arrivée. « Les communs où le fruitier garde ses marchandises et le hangar à bicyclettes de ses commis flambent! dit un homme. Comment cet incendie s'est-il déclaré? Le fruitier a été emmené à l'hôpital aujourd'hui et sa femme passe la nuit auprès de lui. Quel malheur ! — Il n'y a donc personne dans la boutique et à l'appartement? questionna une femme. Eh bien, nous devons tâcher de les empêcher de brûler! C'est déjà bien assez triste que les réserves du vieux Miller flambent! Et lui qui est à l'hôpital!» Un homme arriva, traînant un tuyau d'arrosage. Francis courut l'aider. Des gens faisaient la chaîne, se passant des seaux d'eau. Le bouillonnement de l'eau sur les flammes était violent. Une horrible odeur de fumée se répandit et Francis crut étouffer. Il s'éloigna en toussant. Ce fut alors qu'il entendit un son qui lui alla droit au cœur.

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Un cheval hennissait, affolé. Un cheval! Où se trouvait-il? Pas dans les hangars, assurément ! Francis courut vers les hommes qui formaient la chaîne. «J'ai entendu un cheval hennir! Y en a-t-il un dans les parages? Vite! Dites-le-moi! - Oh! ça pourrait être Éclair, le petit poney, répondit un homme. Nous n'y pensions plus ! Je suppose que le vieux Miller le loge dans un des appentis. Pauvre petite bête! » Francis s'enfuit au galop, le cœur battant. Il entendit à nouveau un hennissement et courut dans cette direction. Le son semblait parvenir du dernier hangar où les flammes commençaient à en lécher le toit. Francis s'y rendit. Oui, le poney était à l'intérieur. Il entendit un bruit affolé de sabots : l'animal courait en rond dans le hangar, lançant de grands coups de pied contre les parois; il ne cessait de hennir. Le garçon avait pris son bâton de scout. S'apercevant que la porte était cadenassée, il assena de grands coups contre la vieille porte de bois avec son bâton. Des éclats de bois volèrent et Francis en arracha d'autres. Les flammes s'approchaient et l'enfant haletait tout en martelant la porte. Un homme vint à son secours. Comme il était grand et fort, il parvint bientôt à briser la porte. Francis se faufila dans le hangar tandis que l'homme agrandissait la brèche. Il eut vite fait de trouver le poney, l'animal épouvanté se jetant vers lui et manquant le renverser. Francis le saisit fermement par la crinière. Il parla d'une voix apaisante à la pauvre bête. « Tout va bien... Tu es en sûreté avec moi! Allons, viens! ». Il parvint - - jamais il ne sut comment -à faire sortir l'animal par la brèche. Il se cramponnait à la crinière du petit cheval affolé qui avait envie de foncer tout droit, mais était retenu par la crainte de perdre son sauveteur. Francis conduisit le poney loin du lieu de l'incendie et l'obligea à s'arrêter. L'animal tremblait; Francis ne pouvait bien le voir dans l'obscurité. Il se rendait seulement compte que la bête était petite, avec une longue et épaisse crinière.

Il caressa les naseaux veloutés, parla d'une voix basse et douce, proférant des mots dépourvus de sens, mais que le poney semblait comprendre et qui le rassuraient. Soudain, il appuya la tête sur l'épaule de l'enfant et l'y laissa. Francis fut profondément ému. Il lui semblait que le petit cheval venait de lui dire : « C'est bien! Tu es mon ami. J'ai confiance en toi et je t'obéirai! » L'homme qui l'avait aidé à briser la porte s'en vint trouver Francis. « Eh bien, jeune scout! dit-il. Tu as accompli une bien belle action en sauvant ce petit animal terrifié! Comment va-t-il maintenant? — Bien, je crois. Que va-t-il devenir? - Qui sait? dit l'homme. Tous les hangars sont détruits! Même celui où logeait le poney. Nous avons préservé la boutique et le logement pourtant. Pauvre vieux Miller, il n'a pas eu de chance! - Non, quel malheur! Mais qu'allonsnous faire du poney, Monsieur? Si je m'en vais, il se sauvera... - Où pourrait-on le mettre? demanda l'homme, perplexe. Il faudrait l'enfermer pour la nuit. »

Un homme vint l'aider à briser la porte.

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Francis, tout à coup, eut une idée brillante. Les vieilles écuries des Vertes Prairies ! « Je sais ce qu'il faut faire, dit-il à l'homme. J'habite les Vertes Prairies, cette vieille grande maison, vous savez, tout près des nouveaux pâtés de maisons de rapport. Nous y avons de vieilles écuries. Je pourrais installer le poney dans l'une d'elles, pour la nuit! — Excellente idée! dit l'homme. J'avertirai la police qui s'est informée du poney. Un agent viendra vous voir demain à son sujet. » A la faible lueur d'un croissant de lune, Francis emmena le petit poney aux Vertes Prairies. Le cheval le suivit volontiers. Il aimait l'enfant et se fiait à lui. Ses petits sabots résonnaient le long de la route. Ils entrèrent par la grille et s'avancèrent jusqu'aux écuries. « Entre, Éclair! dit Francis. C'est bien! Maintenant, tiens-toi tranquille pendant que je t'attache au poteau. Je ne peux pas te laisser vagabonder, tu sais! Je vais te chercher de la paille. Veux-tu boire ? » Éclair ne demandait pas mieux! Il avait soif et but à longs traits l'eau du seau. Le garçon se demandait ce qu'il pourrait lui donner à manger. Il se souvint alors qu'il y avait des pommes dans le grenier de l'écurie - toutes ratatinées et peu appétissantes -car c'était le mois d'avril. Pourtant, Éclair parut les apprécier. Il en mâchonna quatre avec plaisir et remercia d'un " Hrrrumph " retentissant. Il n'avait pas faim, mais c'était là un régal inattendu en pleine nuit ! Il faisait froid dans les écuries dont les portes restaient toujours ouvertes. Francis alla chercher une vieille couverture et la posa

sur le poney. « Là! dit-il. Reste debout et dors, ou bien couche-toi! A ta guise! Je ne connais pas tes habitudes! » II referma la porte de l'écurie et rentra doucement chez lui. Personne ne s'était réveillé! Francis se déshabillait quand il entendit un bruyant hennissement provenant des écuries éloignées. Éclair n'aimait pas la solitude. Il se rappelait les flammes, la confusion, la chaleur. Il se sentait isolé et inquiet dans ces écuries. Il désirait la présence du garçon. « Voyons ! Je ne peux pas le laisser hennir toute la nuit. Il éveillera tout le monde, songea Francis. Je ferais mieux d'aller le rejoindre. J'aurai besoin d'un tas de couvertures! » II enfila sa culotte, deux chandails, sa longue et épaisse robe de chambre, prit sa courtepointe et alla chercher deux couvertures dans le placard. Il n'aurait sûrement pas froid! Rex l'entendit se glisser le long du sentier et aboya dans son chenil. Allons, bon! Il allait réveiller toute la famille! Francis s'en fut trouver le chien. « Tais-toi, imbécile! C'est moi! Tu veux m'accompagner? C'est bon! Mais n'épouvante pas Éclair! » Ils s'en furent aux écuries. Éclair était étendu sur la paille, tout éveillé. Il hennit en entendant Francis et le flaira. Le garçon se fit un lit de paille auprès de lui, y posa une couverture, et s'y enfonça. Il s'enveloppa de la courtepointe et étendit la seconde couverture sur lui. Rex se coucha sur ses jambes, le réchauffant. Éclair s'installa de l'autre côté, lui communiquant aussi sa chaleur. En fait, Éclair avait si chaud que Francis rejeta sa couverture! Le poney était heureux et paisible. Son ami était auprès de lui. Il était en sûreté. Il y avait bien là aussi un chien, mais comme c'était le compagnon du garçon, il ne protesta point! * Vous serez heureux de savoir que le petit Eclair vécut dans le verger de Francis après son aventure. Francis, son frère et sa sœur, l'aimèrent et en eurent grand soin.

Le poney était heureux et paisible.

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Des fées couraient et voletaient dans le bois autour des digitales. Les fleurs étaient beaucoup plus grandes, et les fées s'arrêtèrent pour les regarder. « Voyez! dit Fleur des Pois, se penchant pour ramasser une clochette de digitale qui gisait sur l'herbe. Ne serait-ce pas un joli doigt de gant? Si nous en cousions cinq ensemble, nous aurions des gants délicieux pour nous autres, petites fées ! Oh ! mettons-nous à la besogne! - Les digitales y trouveraient peut-être à redire, suggéra Perle. Eh bien! nous leur demanderons la permission », répliqua Point d'Alençon. Et, à haute voix, elle s'adressa aux digitales somnolentes. « Digitales, dormez-vous? Écoutez! Pouvonsnous prendre vos clochettes tombées à terre et en faire des gants? — Que nous donnerez-vous en retour? demandèrent les fleurs. — Qu'aimeriez-vous avoir? interrogea Fleur des Pois. — Eh bien! nous voudrions un conseil. Comment pourrions-nous empêcher petits insectes et moucherons de pénétrer dans nos clochettes et de nous dérober notre miel? Nous ne voulons d'autres visiteurs que les bourdons, mais tant de petits insectes viennent voler le miel que nous réservons aux bourdons... — Nous allons réfléchir à ce problème », dirent les fées. Elles surent bientôt ce qu'il fallait faire. « Si vous aviez un petit paillasson de poils à l'entrée de vos clochettes, dit Fleur des Pois, les

moucherons ne pourraient y pénétrer, car les poils leur paraîtraient une forêt touffue! - Quelle bonne idée, dirent les digitales ! Nous allons en installer. Mais peut-être alors les bourdons ne pourront-ils trouver leur chemin jusqu'au cœur de nos clochettes... — Eh bien! ayez de grosses taches de vives couleurs jusqu'au lieu où se trouve votre miel, dirent les fées. Les bourdons les verront et les suivront. Nous avertirons les bourdons. - Merci! » dirent les digitales. Et elles se hâtèrent de faire paillassons velus et sentiers aux taches vives. « Nous allons mesurer vos clochettes. Nous verrons si elles sont assez grandes pour que le corps d'un bourdon puisse y pénétrer », dit Fleur des Pois, déroulant une mesure en ruban. Elle mesura d'abord une clochette, puis un bourdon gros et gras, de ses amis. « II faudrait un tant soit peu élargir vos clochettes », s'écria-t-elle, et les digitales approuvèrent d'un signe de tête. « Merci, dirent-elles. Maintenant notre miel sera en sûreté! Les poils éloigneront les petits insectes, les taches de couleur guideront les bourdons, et ils pourront pénétrer aisément au cœur des fleurs que nous allons élargir... Prenez autant de clochettes tombées qu'il vous plaira, petites fées, et faites-en des gants pour mesdames les fées! » Les digitales s'appellent aussi gants de bergère, vous le savez peut-être? Les fées, qui sont fantasques, ont-elles renoncé à porter cette sorte de gants ? En ont-elles fait cadeau aux fillettes qui gardaient leurs moutons dans ces parages ? Qu'importe! Allez tout de même regarder les digitales au mois de juin.

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Afin de dissiper l'atmosphère lourde de la salle, des danseuses et des chanteuses firent suite à la représentation du prestidigitateur. Puis Iris apparut de nouveau. « Maintenant nous arrivons au dernier numéro de notre spectacle. Probablement le meilleur. Le concours réservé aux enfants. Gomme d'habitude nous donnerons deux prix de dix francs. Un à la fillette ayant • montré le plus de qualités, l'autre au garçon le mieux doué. » A ce moment-là, le clown se précipita sur scène. Il demanda lui aussi à prendre part au concours. Il se disait plus pauvre que les enfants de l'auditoire. Pour montrer ses

talents, il se mit à chanter d'une voix de fausset Au clair de la Lune. On eût dit qu'une douzaine de matous miaulaient éperdument. Pendant que les spectateurs s'esclaffaient, Iris continuait imperturbable : « Vous pouvez faire n'importe quoi, chanter, danser, réciter, jouer du piano, nous raconter des histoires drôles ou même essayer de surpasser M. Miracle. Avancez! Avancez! Qui veut passer le premier? » Deux petites filles et un garçon se présentèrent. Peu après deux nouvelles fillettes suivirent. Roger donna un coup de coude à Toufou. «Eh bien, qu'attends-tu? »

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Mais Toufou se sentait trop nerveux. Il répliqua brutalement à Roger : « Je ne vais pas me rendre ridicule devant cette foule. Tais-toi donc! » Les concurrents se montrèrent très médiocres. Seule, une petite fille, qui dit s'appeler Geneviève, fit quelques pas de danse assez réussis. « Personne d'autre ne veut essayer degagner les dix francs? Voyons, aucun nouveau garçon ne veut tenter sa chance? - Laissez-moi chanter, laissez-moi chanter, mademoiselle, insista le clown. Je peux aussi siffler, si vous aimez mieux. Je n'ai jamais été plus en forme. » II arrondit ses lèvres mais aucun son n'en sortit. Alors prenant un sifflet à roulette dans sa poche, il se mit à souffler avec tant de force que Mlle Iris sursauta. Une nouvelle fois, les spectateurs éclatèrent de rire.

Solennel, banjo.

Toufou tendit les cordes de son

« Un garçon encore, un garçon, et nous décernerons le prix », répéta Mlle Iris. Le clown vint se placer à côté d'elle. Il regarda fixement Toufou avant de pointer son doigt sur lui : « Regardez, Iris. Vous avez là la huitième merveille du monde. Vous le voyez? Ce garçon aux cheveux roux, avec le nez en

trompette et des taches de rousseur. C'est le meilleur joueur de banjo de l'univers. » Dans la salle chacun se démanchait le cou pour essayer de voir Toufou. Celui-ci devint plus rouge que sa tignasse. « Allons, mon enfant, monte! lui cria le clown. Tu semblés plus timide qu'une fillette. Viens nous jouer un air avec ton banjo. Le pianiste t'accompagnera. - Vas-y, Toufou, chuchota Roger. Il faut que tu t'exhibes, les autres garçons étaient épouvantablement mauvais. » Assez embarrassé, Éric se leva et rejoignit le clown. Il se plaça en face de l'auditoire tandis que le clown lui avançait une chaise. « C'est pour y mettre ton pied, lui dit-il. Avec un instrument aussi pesant tu dois avoir besoin d'un point d'appui. Que vas-tu nous jouer? » Toufou, soudain, entra dans la peau de son personnage. Il se mit à rire : « Eh bien, commençons par Sur le pont d'Avignon. Je vais accorder mon banjo », dit-il en pinçant les cordes imaginaires, puis, s'adressant au pianiste : « Prêt? En sourdine, s'il vous plaît! » Et alors, tandis que de sa bouche sortaient des sons qui ressemblaient étrangement à ceux d'un banjo, ses mains s'activaient comme si elles jouaient sur un instrument réel. Le plus étonnant, c'est qu'il tenait parfaitement la mesure et qu'il formait avec le pianiste un duo extraordinaire. L'accord final plaqué, Éric enleva son pied de la chaise et s'inclina profondément devant le public. Un public enthousiaste, qui lui fit un accueil presque plus chaleureux qu'à M. Miracle. « Ne vas-tu pas nous jouer encore un morceau ? demanda le clown. Tu n'as rien d'autre? - Mais si, il se trouve justement que j'ai apporté aussi ma cithare », dit Toufou solennellement. Il déposa à terre son banjo imaginaire pour saisir une non moins imaginaire cithare. « Pour cet instrument, je dois m'asseoir. » Et de nouveau ce fut un numéro d'une exceptionnelle qualité que tout le monde écouta avec ravissement.

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Mlle Dupoivre n'en croyait pas ses oreilles. Elle n'arrivait pas à comprendre comment cet hurluberlu de Toufou pouvait tenir en haleine toute une salle. Quant à Roger et Nelly, ils se sentaient très fiers d'avoir un cousin aussi brillant. Dès que les applaudissements et les bravos se turent, le clown s'avança sur la scène. « Maintenant, mesdames et messieurs, nous allons proclamer les vainqueurs de ce tournoi. Le prix pour les fillettes a été décerné à la petite Geneviève qui a si bien dansé. » Cette annonce fut accueillie avec réserve par le public. « Pour les garçons, le prix va naturellement à notre jeune maestro... » Le reste se perdit dans un tonnerre d'acclamations. Plus rouge que jamais, Éric empocha les dix francs avec satisfaction. Quelle soirée! Jamais il n'aurait cru que sa manie de contrefaire le son de quelques instruments de musique lui vaudrait, un jour, un succès pareil. Et dire qu'à la maison il se faisait traiter d'idiot à cause de cela! Il prit donc le chemin de l'hôtel dans un état de grande surexcitation. « Ne te monte pas trop le coup tout de même, lui dit Roger, craignant que son cousin ne devînt désormais insupportable. Il ne te faut pas oublier que tu ne sais réellement jouer ni du banjo ni de la cithare. Et qu'au piano tu tapes d'un seul doigt. Tu n'es donc pas un vrai musicien. - J'espère que, maintenant, tu ne te mettras pas à faire tes singeries à tout bout de champ. Les pensionnaires n'apprécieraient guère ces exhibitions », ajouta Nelly. Mais Toufou ne prêta aucune attention à ces remarques malveillantes. Une fois dans sa chambre, Toufou ne parvenait pas à s'endormir. Tandis que Roger ronflait paisiblement, lui se tournait et se retournait dans son lit, la tête pleine de projets merveilleux. Il se promettait de s'exercer à jouer quantité d'instruments imaginaires. Il se voyait sur de vastes scènes... à la radio... non, la télévision vaudrait mieux, ainsi les gens pourraient constater qu'il n'avait en réalité ni banjo ni cithare en main.

Toufou retourna chez lui, tout étourdi par son triomphe. Il se prenait pour un vrai musicien. Et le tambour? Il était sûr qu'il pourrait imiter son superbe boum-boum. Il commença à s'exercer tout bas, mais soudain, il ne put y résister : il lança un boum sonore. Et alors quelque chose d'effrayant arriva. En réponse au boum de Toufou, un autre boum retentit. Un peu sourd mais terrifiant celui-là. Toufou s'assit sur son lit, le cœur battant. « Une bombe, pensa-L-il. Impossible. Que je suis bête! Sans doute des expériences à la base sous-marine comme l'autre jour. » II réfléchit un instant et se dit qu'au milieu de la nuit on ne s'amuserait tout de même pas à provoquer des explosions pareilles au risque de réveiller le village entier. Pourtant le bruit ne semblait pas avoir

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inquiété Roger. Il continuait à dormir à poings fermés. Nelly non plus ne paraissait pas remuer dans sa chambre. En revanche, la déflagration avait également alerté Mlle Dupoivre. Mais, comme le bruit ne se renouvela pas, rassurée, elle se rendormit. Eric, lui, ne parvenait pas à trouver le sommeil. Il avait beau s'enfoncer dans les draps, l'instant d'après, il recommençait àgigoter. Soudain, une idée traversa son esprit. Pourquoi ne pas grimper sur le toit par le petit escalier? De là-haut, il pourrait probablement apercevoir ce qui se passait dans la baie interdite. Il se glissa hors du lit et ouvrit la porte avec précaution. Le palier était plongé dans les ténèbres. Personne. Aucun bruit. Le couloir avait l'air désert. Contrairement à ce qui aurait dû se produire, la déflagration n'avait point dérangé la maisonnée. Les bras étendus devant lui, Toufou avançait à tâtons, comme un aveugle. Il finit par sentir sous sa main les marches du petit escalier qu'il se mit à gravir avec précaution. Arrivé en haut, il fit glisser le panneau de la trappe et sortit la tête. Mon Dieu! Là-bas, au milieu de la baie, quelque chose était en train de brûler. Des projecteurs promenaient ça et là leurs pinceaux lumineux. Quelque affreux accident était sans doute arrivé. Pour mieux voir, le gamin grimpa sur le toit. A quatre pattes, il se hissa sur le faîte, tout contre une cheminée encore chaude. Agréable surprise, car de la mer soufflait une brise glaciale. Toufou était bien content de pouvoir se réchauffer un peu. Il grelottait dans son pyjama. A son grand désappointement, il ne voyait toutefois pas beaucoup mieux de là-haut. Il ne pouvait que se livrer à des suppositions sur les causes du sinistre. Un sous-marin avait peutêtre sauté... Bien qu'assez effrayé de se trouver seul en cet endroit en pleine nuit, Toufou décida de prolonger sa veille. Qui sait si une autre explosion n'allait pas se produire? Il se pelotonna de son mieux pour donner le moins de prise possible au froid qui le transperçait. Soudain, ses narines palpitèrent. Une

vague odeur de tabac flottait dans l'air. Ce n'était pas croyable. Qui donc pouvait fumer dans les parages à cette heure insolite? Personne assurément. Et pourtant... et pourtant... En reniflant, le gamin allongea le cou. Un point incandescent brillait à peu près à la place où s'ouvrait la trappe. Une cigarette allumée... C'est donc que quelqu'un avait aussi entendu la déflagration et était venu voir! Éric allait héler l'inconnu pour signaler sa présence. Il se retint à temps. Si jamais Mlle Dupoivre apprenait son escapade, elle serait furieuse et capable de le priver de dessert pendant toute la durée des vacances. Mais qui pouvait bien être cet observateur nocturne ? Toufou avait beau écarquiller les yeux, impossible de l'identifier! Il devinait vaguement une tête qui brusquement disparut. Le gamin, consterné, entendit le bruit mou que faisait l'abattant en se refermant. Juste Ciel! Le pauvre gosse se voyait déjà condamné à passer le reste de la nuit sur ce toit inhospitalier. Et si d'aventure il lui arrivait de s'y assoupir, il ne manquerait pas de rouler jusqu'en bas et de se rompre les os. Rien que d'y penser, son sang se glaçait. En hâte, Toufou se mit à ramper vers la trappe. Il l'avait presque atteinte lorsqu'une fenêtre s'éclaira de l'autre côté d'une courette. Éric s'arrêta net. Qui venait d'allumer ? Probablement le mystérieux fumeur de tout à l'heure qui avait sans doute regagné sa chambre. La curiosité de Toufou fut plus grande que son angoisse. Il décida de découvrir l'identité de cet individu. Il alla en rampant se mettre face au rectangle lumineux placé un peu en contrebas. En dépit des rideaux à moitié tirés, il lui fut ainsi possible d'apercevoir une partie de la pièce. « Sapristi! mais c'est le professeur! faillit-il s'écrier. J'ai bien fait de ne pas me signaler à son attention. Il n'aurait rien eu de plus pressé que de me moucharder auprès de -Mlle Dupoivre. » Après cette constatation, il fallait s'assurer une voie de retraite. Toujours à quatre pattes, il revint sur ses pas en murmurant : « S'ouvrira, s'ouvrira pas... » II en transpirait d'effroi. D'une main tremblante, il

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essaya de soulever ce maudit panneau. Là! avec un énorme soupir de soulagement, le gamin le sentit bouger sous ses doigts. Il eut tôt fait de le repousser complètement pour se glisser à l'intérieur. Après l'avoir refermé soigneusement, il regagna sa chambre silencieusement. Roger dormait toujours. Mais juste au moment où il fermait sa porte, Toufou aperçut un rai de lumière sous celle de M. Miracle.

Il monta l'escalier prudemment. Encore un qui avait entendu l'explosion probablement! Le garçon hésita un instant. Malgré ses griefs, il aurait bien voulu faire un brin de causette avec cet homme intéressant. Réflexion faite, il jugea plus prudent de s'en abstenir. M. Miracle était un être trop étrange, trop sinistre même, pour qu'on se hasardât ainsi seul dans son antre au milieu de la nuit. Dieu sait à quel angoissant tour de passe-passe il serait capable de se livrer... doigt sur le journal. « Quel désastre ! Un de nos plus modernes sous-marins a été

Toufou estima donc préférable dé retourner se coucher. Les émotions qu'il venait d'éprouver l'avaient brisé. Le lendemain matin tout l'hôtel était bouleversé. Les journaux annonçaient avec de gros titres : Une terrible explosion dans la Baie du Mystère. S'agirait-il d'un sabotage ? Nos secrets militaires sont-ils bien gardés ? Les habitants des villages environnants ont failli être projetés hors de leurs, lits. « Quelles balivernes! dit Toufou. C'est à peine si mon sommier a tremblé légèrement. Et toi, tu ne t'es même pas réveillé! Moi, en revanche... — Ah! tu as entendu? l'interrompit avidement Roger. Raconte un peu... Comment ça a fait, en réalité? Eh bien, le bruit a été terrible, épouvantable, répondit promptement Toufou, pour ça, les journaux disent la vérité. Oh! bien sûr, pas au point d'arracher les gens à leurs draps! Tu t'en serais aperçu toi aussi si tu t'étais retrouvé sur le plancher. Mais tout de même... — Alors, qu'as-tu fait? - Je me suis levé et j'ai grimpé sur le toit. Il y avait un feu d'enfer dans la baie. Et des tas de projecteurs qui éclairaient comme en plein jour... - Chut! Pas si fort! Mlle Dupoivre va t'entendre. Elle serait furieuse d'apprendre que tu te promènes la nuit sur les toits. - Bah! Elle ne fait pas attention à nous, et puis elle est trop loin. » Le vieux professeur, lui, en revanche, se trouvait à proximité. Mais puisqu'il était sourd... M. Miracle et le clown étaient aussi dans le voisinage. A la rigueur ces derniers auraient pu saisir quelques bribes de la conversation. Mais il était peu probable qu'ils connussent l'existence de l'escalier dérobé. « Pendant que j'étais là-haut, un autre est monté aussi. Le vieux professeur, à ce qu'il m'a semblé. C'est drôle, quand on y pense, que ce sourd ait entendu l'explosion et toi pas du tout. - C'est la vibration de l'air qui l'aura sans doute réveillé », dit Nelly. Elle posa son anéanti.

Le

spectacle

devait

être

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impressionnant. Pourquoi ne m'as-tu pas appelée, Toufou ? - Il ne faisait pas bon sur le toit. Tu aurais eu peur, riposta son cousin. Il s'agit d'un sabotage, vous ne croyez pas? ajouta-t-il. - Probablement, dit Nelly. J'aurais tout de même cru cette base mieux gardée. - Après tout, c'est peut-être un accident, remarqua Roger. On ne réalise pas d'expériences sans casse. Pensez à celles qu'on fait souvent à l'école. Il y en a qui ratent. - Oui, mais la plupart du temps c'est voulu. Tandis que dans ce cas... » Toufou, pensif, ne termina pas sa phrase. « J'aimerais mieux croire à un accident, reprit-il après un silence. Il est plutôt sinistre de penser que nous sommes entourés d'horribles malfaiteurs. — Est-ce que, par hasard, tu aurais peur d'être encore mêlé à une autre aventure mystérieuse? demanda Roger d'un air assez sardonique. - Peur, moi! Jamais de la vie! J'adore les machinations ténébreuses... » Ce jour-là, les enfants se procurèrent tous les journaux possibles. Mais la presse ne donnait aucun éclaircissement.

Il vit le bout rougeoyant d'une cigarette.

Au contraire. On semblait minimiser l'incident. Le temps se mit à la pluie.

« Quelle triste journée, dit Toufou. Qu'allons-nous faire? Si je vous offrais une séance de banjo? - Ah non! Ça suffit! Tu nous casses les oreilles avec tes éternelles rengaines, grogna Roger. N'est-ce pas, Nelly? » Nelly ne voulait pas vexer son cousin Éric après le brillant succès de celui-ci en public, mais, au fond, elle trouvait aussi qu'on pourrait chercher une autre distraction. « Bon, bon. Alors montons sur le toit voir si ce pauvre sous-marin brûle toujours, proposa Toufou. - Une bonne idée! » s'écrièrent les deux autres. Ils se précipitèrent tous ensemble sur le palier conduisant à l'escalier dérobé. Toufou tourna la poignée de la porte. Celle-ci résista. « Qu'est-ce qui se passe? Elle doit être soudée! » dit-il en tirant de toutes ses forces. Il fit tant et si bien que le bec-de-cane lui resta dans la main. Déséquilibré, le gamin tomba à la renverse sur le malheureux Crac qui se mit à pousser des hurlements. « Espèce d'idiot! Tu n'en fais jamais d'autres! s'écria Roger en colère. - Est-ce ma faute si les choses se détraquent dès que je les touche ? Qu'allonsnous faire, à présent ? demanda Toufou tristement. - Il ne te reste plus qu'à descendre chez Mme Dodu pour lui avouer ton méfait, dit Nelly. Puisque tu as eu le courage de déambuler sur le toit, tu peux bien aussi affronter notre hôtelière. Elle ne te mangera pas! » Bon gré mal gré, Toufou fut obligé d'aller trouver Mme Dodu. Il la découvrit dans son bureau en train d'additionner des colonnes de chiffres. L'arrivée du gamin ne sembla pas la ravir. Celui-ci, assez embarrassé, lui expliqua sa mésaventure. « Pourquoi as-tu tiré si fort? » demanda-telle d'un ton sévère. Sa face massive reposait sur ses cinq mentons. Toufou se sentait tout chétif en face de ce personnage imposant. Il aurait bien voulu, lui aussi, posséder un assortiment de doubles mentons. Quel aplomb ceux-ci ne lui donneraient-ils pas au

vouloir

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Le lendemain., il ri était bruit dans tout V hôtel que de l'explosion.

lieu de cet air de méchant petit garnement qu'il devait sans doute avoir aux yeux de l'hôtelière. « Ma foi, j'ai tiré parce que je ne pouvais pas ouvrir, répondit Toufou. C'est sûrement fermé à clef. - Fermé à clef! Mais elle doit être dans la serrure! s'écria Mme Dodu. - Mais non, justement, elle n'y est pas. J'ai supposé que c'était vous qui l'aviez fait enlever. En attendant, j'ai cassé la poignée de cette porte. Je le regrette, madame. Il me reste encore l'argent gagné hier au music-hall. Vous croyez que cela suffira pour en acheter une autre? — Probablement. Mais va donc demander à Félix s'il n'en aurait pas une vieille de rechange. Il pourra la poser facilement. Puisque tu es là, je tiens à te féliciter pour le prix que tu as gagné hier soir. C'est du banjo que tu jouais ?

- Oui, mais pas vraiment. Le mien est un instrument imaginaire. Quelque chose d'unique au monde », ajouta-t-il en riant. Là-dessus, il se mit en devoir d'improviser une de ses imitations dans un charivari de sons dignes du meilleur jazz. Ce concert déchaîna la gaieté de Mme Dodu. Elle avait une étrange façon de rire, ma foi, fort plaisante, qui semblait venir du plus profond d'elle-même par ondes successives de plus en plus sonores pour atteindre finalement ses bajoues opulentes. Toufou s'arrêta, s'inclina et sourit. « Tu es un drôle de numéro, lui dit-elle lorsque son hilarité se fut un peu calmée. Va vite à la recherche de Félix. Et en sortant, je t'en prie, ne ferme pas trop violemment. La porte pourrait te rester entre les mains. » Son entretien avec Mme Dodu avait réconforté Toufou. Au fond, cette dame valait mieux que son attitude ne le laissait supposer, II trouva Félix à la cuisine en train d'astiquer les cuivres. Comme entrée en matière, Éric lui offrir son aide : « Tu sais, je suis très bon pour ce genre de travail. » Mais l'autre secoua la tête en souriant. « Au fait, as-tu appris que j'ai gagné un prix hier soir ? » poursuivit le gamin. Dès qu'il entendit ces mots, Félix se mit lui aussi à jouer d'un banjo imaginaire. Toufou ne fut pas trop surpris de voir l'imitation de son ami à peine inférieure à la sienne. Sylvain lui avait raconté que ce dernier, au cirque, était de première force dans l'art de cet instrument. Quand il eut fini, Félix laissa tomber ses mains le long de son corps et parut se plonger dans on ne sait quels vagues souvenirs... Toufou le rappela à la réalité : « A propos, il faut que je te dise pourquoi je suis venu te trouver. N'aurais-tu pas en réserve une poignée ? J'ai cassé celle qui ouvre la porte du petit escalier menant au toit. Toit?... » fit Félix. Il réfléchit un instant, puis se pencha et murmura d'une voix rauque : « Attention! Mauvais homme là-haut. Mauvais homme... »

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Toufou recula, effrayé. Félix sourit et hocha le chef. Mais rapidement sa mine changea, se fit grave. « Mauvais, mauvais, mauvais, chuchota-t-il de nouveau. Félix voit, Félix surveille, Félix suit... Mauvais... » Toufou jeta un regard perplexe sur son interlocuteur. Pauvre diable. Il divaguait! Absurde de l'imaginer sous l'aspect d'un policier à la poursuite de quelque redoutable malfaiteur.

Le bouton de porte lui resta dans la main. Mais le jeu l'amusait et il se mit aussitôt au diapason de Félix. Toufou enchaîna donc : «Toufou voit, Toufou surveille, Toufou suit...», déclara-t-il sur le même ton solennel. Les yeux de Félix se mirent à pétiller. Une lueur ironique semblait danser au fond de ses prunelles. Ce que voyant, Toufou lui dit : « Dis donc, nous nous exprimons comme des Peaux-Rouges sur le sentier de la guerre... Pour en revenir à mon affaire, as-tu une poignée de porte, oui ou non ? Je suis un peu pressé. » Oui, Félix en avait une qu'il alla chercher dans l'appentis aux outils. Il monta avec Toufou pour la fixer, ce qu'il fit en un tournemain. Lorsqu'il appuya dessus, la porte refusa encore de s'ouvrir.

« Fermée, dit Toufou. La clef a disparu. Qui a bien pu s'en emparer? Et pourquoi? La nuit dernière, il y a eu un tas d'allées et venues mystérieuses dans ce coin. - C'est vrai? Et qui étaient ces personnes? » demanda une voix derrière lui. Le gamin sursauta et pivota sur lui-même. M. Miracle se tenait sur le palier près de sa porte. Toufou ne manquait pas de présence d'esprit. Il se dit immédiatement que mieux valait garder sa langue dans sa poche. Trop parler cuit... ou nuit... Il se borna à prendre un petit ton dégagé pour répondre : « Oh! personne. Des blagues. Je m'amusais à faire peur à notre bon vieux Félix en lui racontant des histoires. Mais dites-moi, monsieur Miracle, comment avez-vous fait, hier soir, pour deviner tous ces objets? Et surtout les chiffres ? Ça, c'était fort. J'en suis encore tout éberlué. - Les secrets du métier... », jeta l'illusionniste, l'air absent. Puis il demanda : « As-tu entendu l'explosion? - Bien sûr, dit Toufou, et vous? - Moi, pas du tout. » Cette réponse surprit beaucoup le gamin. « Pourtant j'ai vu de la lumière sous votre porte. » Zut ! "Une remarque qu'il n'aurait pas dû faire. Cela lui avait échappé. Et à présent, impossible de rattraper sa gaffe. Toufou se serait donné des gifles. « Ah ! vraiment ? Et que faisais-tu au milieu de la nuit sur le palier? - J'étais sorti à cause de l'explosion, répondit Toufou avec autant d'indifférence que possible. Vraiment, monsieur, vous ne voulez pas m'expliquer comment vous arrivez à lire ces numéros les yeux bandés? » II n'y eut point de réponse. M. Miracle avait disparu, laissant Toufou pantois. Vexé, celui-ci tira la langue à la porte close. Après quoi, il planta là Félix et se retira dans sa chambre. Quelques jours s'écoulèrent paisibles et heureux. Soudain, une rumeur courut dans le pays : des policiers venus de Paris enquêtaient au sujet du sous-marin sinistré. En définitive, il se confirmait qu'il s'agissait bien d'un sabotage. On prétendait que des secrets concernant la base avaient filtré au-dehors.

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On allait même jusqu'à chuchoter qu'un traître se cachait probablement parmi le personnel... Les trois détectives étaient descendus à l'hôtel de La Pomme d'Or. Toufou ne tenait plus dans sa peau. Quelle aventure! Lorsqu’il les croisait, il les contemplait, bouche bée, les yeux ronds. Dieu sait ce qu'ils avaient découvert! Qui étaient les suspects?... On assurait qu'ils avaient interrogé des forains... « Sylvain a toujours prétendu que ses anciens patrons étaient malhonnêtes, dit Roger. Rien d'extraordinaire que d'autre part la police se méfie... » Mme Dodu avait mis une chambre à la disposition de ces messieurs. Un jour, Toufou surprit le professeur sortant de cette pièce. Il semblait fort préoccupé et ne remarqua pas le garçon. « II vient d'être interrogé, songea Toufou qui le suivait du regard tandis que cet homme remontait chez lui. Il est sans doute aussi sur la liste des suspects. Parbleu! Qu'est-ce qu'il faisait sur le toit la nuit de l'incendie? N'auraitil pas fallu le signaler? » Après réflexion, il renonça, mais à regret, à aller le dénoncer. Somme toute, il n'avait pas vu de ses propres yeux le professeur. Rien que le bout incandescent d'une cigarette et puis sa fenêtre éclairée. Pas assez pour l'accuser... Mais Toufou se promit d'ouvrir l'œil... Un autre fait éveilla l'intérêt du gamin. Depuis l'arrivée des policiers, Félix avait disparu. Personne ne savait ce qu'il était devenu. Furieuse, Mme Dodu se lamentait : « II m'a déjà fait ce coup la fois où un gendarme était venu se renseigner au sujet d'un chien perdu. Je me demande pourquoi il a une telle peur des autorités. C'est bien ennuyeux pour moi. S'en aller juste au moment où il m'est le plus nécessaire. Comment me débrouiller avec tant de travail? » Sylvain proposa son aide à condition que M. Miracle fût d'accord. Ce dernier n'y voyait pas d'inconvénient. Il alla même jusqu’à vanter les qualités de son aide aux policiers : « C'est un garçon débrouillard. Il se rend utile de mille façons. Je vous le recommande tout particulièrement.

Félix était dans la cuisine où il astiquait les cuivres lorsque Toufou vint le retrouver et lui proposa son aide.

- Merci, nous en prenons bonne note », dit l'un d'eux. Dès que M. Miracle fut parti, il s'adressa à Sylvain : « J'ai appris que tu as travaillé chez les forains. Je voudrais te poser quelques questions au sujet de tes anciens patrons. » Mais Sylvain ne put que leur faire part de ses impressions. Il leur avait trouvé un air louche. « As-tu vu quelqu'un leur rendre visite? — Certainement. Cependant je n'ai pas entendu ce qu'ils disaient », répondit Sylvain. Il réussit néanmoins à donner une bonne description de deux matelots, venus à plusieurs reprises s'entretenir avec les forains. « Et à présent, tu es au service de M. Miracle. Dis-moi, tu t'entends bien avec lui? — Oui, monsieur. Il est très bon pour moi. Le travail me plaît beaucoup. — Bon, tu peux disposer, jeune homme. » Sylvain monta dans sa chambre. Il habitait maintenant sous les combles de l'hôtel, pas loin des enfants Verdier. Mais il prenait ses repas avec le personnel. Depuis quelque

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temps, pensait Sylvain, tout marchait comme sur des roulettes. Si, en outre, M. Miracle arrivait à avoir des nouvelles de son père, bonheur serait parfait. « La police vient d'interroger Miss Twist, dit Toufou le lendemain matin. Il paraît qu'ils lui ont posé toutes sortes de questions. Elle en a été tout éberluée. Je parie qu'ils n'ont pu rien tirer de raisonnable d'elle, fit Roger. Ce qui est étrange, c'est qu'on ne nous ait pas questionnés, nous. Il est vrai que nous ne savons pas grand-chose. Pourtant Sylvain, lui, a été •se au crible, et il n'en savait pas plus long. - Oh! si, Sylvain a travaillé à la foire »,

répliqua Toufou, puis après un silence : « Je donnerais beaucoup pour savoir où est passé Félix. - A l'heure qu'il est, il doit être à l'autre bout du pays, dit Roger. - Il a pourtant laissé toutes ses affaires ici... Brave Félix. Je l'aimais bien, affirma Toufou. — Moi aussi, j'ai eu une petite entrevue avec ces messieurs, fit soudain Mlle Dupoivre. - Pas possible! s'exclama Toufou. Ils interrogent donc tout le monde ? Vous croyez qu'ils soupçonnent une personne étrangère à la base d'être en rapport avec les saboteurs? - Je ne sais pas, dit Mlle Dupoivre. La police semble suivre une piste. Ce qui l'intéresse surtout, c'est d'apprendre comment les renseignements secrets parviennent à l'extérieur, car chacun est soigneusement fouillé avant de franchir la porte de sortie. De toute manière, je ne crois pas que le coupable se trouve dans cet hôtel. - Ah ! mais si, moi je parie ce que vous voulez que je le connais, affirma Toufou d'un petit air mystérieux. - Ne dis pas de bêtises, Éric, répliqua Mlle Dupoivre. Tu ne sais rien du tout... Oh! bonjour monsieur Miracle, vous avez aussi été interrogé? Voilà Toufou qui prétend en savoir plus long que la police! — Et que savez-vous, jeune homme? demanda M. Miracle avec un étrange sourire en coin. Lequel d'entre nous est l'espion ? — Ceci est mon secret. » ******************* Si cela vous intéresse, sachez que Toufou et Sylvain réussirent à résoudre le mystère de la Base Sous-marine mais après bien des émotions et des aventures fort étranges.

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Faisons un gâteau pour les oiseaux Toinet et Mariette étaient à la campagne, en visite chez leur oncle Jean et leur tante Jeanne qui habitaient une jolie petite maison. Tante Jeanne avait promis aux enfants de leur montrer comment faire un splendide gâteau de maïs pour les oiseaux qu'il faut nourrir en hiver. « Toinet et moi avons nettoyé la table des oiseaux; nous y avons répandu des graines et mis de l'eau fraîche dans la cuvette, dit Mariette. Les oiseaux sont enchantés, mais ils nous ont dit qu'ils aimeraient un gâteau! - Eh bien, vous comprenez parfaitement leur langage! dit tante Jeanne en riant. Alors, venez tous deux et vous ferez leur gâteau de maïs! » Tante Jeanne posa un grand bol sur la table de la cuisine, et tira d'un placard des sacs et des boîtes. Mariette y jeta un coup d'œil. « Qu'y a-t-il dans ces sacs? demanda-t-elle. - De la farine de maïs, répondit la tante, en versant une grosse quantité dans le récipient. Elle est très bon marché et tous les marchands de graines en vendent. Les oiseaux en sont très friands. » Elle ouvrit un autre sac : « Vous savez ce que c'est? dit-elle, secouant les petites semences brunes. - De la graine de chanvre, dit Toinet. Nous en mettons tous les matins sur la table des oiseaux. - Oui, dit tante Jeanne. Et ces petites semences, dures et rondes, qui sont dans cette boîte sont des graines de millet. Les oiseaux qui se nourrissent de graines en sont fous! - Ouvre l'autre boîte, Toinet, s'il te plaît, et nous ajouterons le mélange de graines pour canaris. — Pouvons-nous vous aider à mêler le tout ? » demanda Mariette, regardant le bol. Tante Jeanne y consentit. Les enfants pétrirent alors les divers ingrédients jusqu'à ce qu'ils fussent bien mélangés. Ils aimaient sentir rouler sous leurs doigts les petites graines dures!

« Et maintenant, hachez ces noix, dit tante Jeanne. Ce sont des cacahuètes. Et vous trouverez des noix du Brésil dans le compotier de la salle à manger. Va en chercher sept ou huit, Toinet. » Les enfants furent bientôt tout occupés à hacher les noix avec des petits couteaux de cuisine. Que c'était amusant! Mais il fallait faire bien attention pour ne pas se couper les doigts ! « Maintenant, ajoutez les noix hachées, dit tante Jeanne. Vous les avez coupées bien fines, c'est parfait! » Les noix furent jetées dans le bol. « Que faut-il mettre encore? demanda Mariette. Cela paraît bien bon, n'est-ce pas ? — J'ai de la graisse qui fond sur le feu, dit la tante, la graisse des rôtis de la semaine dernière. Nous la verserons dans notre mélange ! — Oh! laissez-moi la verser », s'écria Toinet. Mais tante Jeanne secoua la tête. « Non, dit-elle, il n'est pas permis aux enfants de toucher à la graisse bouillante. C'est moi qui la verserai. Si je n'avais pas de graisse, je me servirais d'eau bouillante. - Tante Jeanne, permettez-moi d'y mettre quelques raisins de Corinthe, dit soudain Toinet, voyant un sac de ces raisins sur le buffet. Les oiseaux qui sont friands de baies les aimeraient! — Je crois bien ! dit tante Jeanne. Les grives et les merles ne refusent jamais de goûter aux raisins. Eh bien, mets-en

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Quelques uns pendant que je vais chercher la graisse. » Toinet en jeta une bonne quantité, et lui et Mariette tournèrent encore bien le mélange. Enfin, tante Jeanne revint avec le poêlon de graisse bouillante. Elle la versa avec précaution sur le mélange, et l'incorpora à l'aide d'une cuiller en bois. « Là! dit-elle, notre gâteau est achevé! — Allons-nous le mettre au four maintenant? demanda Mariette. — Inutile! dit la tante. C'est un gâteau bien agréable à préparer! Nous allons le mettre dans une toile où il séchera.

Ensuite, je retirerai le linge, et couperai une tranche du gâteau quand vous voudrez en nourrir vos oiseaux. — Mais se gardera-t-il? demanda Mariette. — Tout l'hiver! » dit la tante. Elle prit une vieille nappe à thé et y vida le mélange. Puis elle l'attacha, bien serrée, et dit à Toinet d'aller la suspendre dans la cabane à outils. « Lorsque le gâteau sera sec, vous le retirerez de la toile et vous pourrez l'admirer. — Oh! tante Jeanne, qu'il était facile à faire! s'écria Mariette. N'est-il pas surprenant qu'il n'y ait pas beaucoup plus de gens qui en fassent? C'est si amusant! — C'est parce qu'ils ne savent pas, dit Toinet. Je le dirai à tout le monde, maintenant. Viens, Mariette, nous allons mettre notre gâteau à sécher! Merci beaucoup, tante Jeanne. » Au bout d'un jour ou deux, la toile était complètement sèche et les enfants en retirèrent le gâteau.

« Oh! qu'il est beau! s'écria Mariette. Il est dur et granuleux. Regarde! Il est parsemé de graines et de raisins! — Il a une drôle de forme! dit Toinet. Mais tant pis! — Allons le montrer à tante Jeanne! » Ils le portèrent à leur tante qui leur donna une vieille assiette en émail pour l'y poser. « Maintenant, vous en couperez une tranche pour la table des oiseaux, dit-elle. Mariette, coupe la première! Demain Toinet en coupera une autre. » Mariette en coupa un bon morceau. Qu'il était appétissant ! « J'en mangerais bien une bouchée, dit-elle. — Non, non, dit tout de suite tante Jeanne. Ce n'est pas un gâteau pour enfants! Il est dangereux de goûter à la nourriture des bêtes et des oiseaux. Il peut y avoir des baies dans un gâteau pour oiseaux. J'en mets souvent, et les baies sont souvent nocives! — Mettons notre tranche sur la table des oiseaux », dit Toinet. Ils allèrent au jardin et mirent le morceau au milieu de la table. Puis ils se rendirent à la salle à manger et, postés devant la fenêtre, firent le guet. Tous les oiseaux, sans exception, raffolèrent de leur gâteau! Moineaux et pinsons picorèrent les graines. Les mésanges choisirent les noix hachées. Les merles et les grives s'emparèrent des raisins, et les étourneaux dégustèrent la graisse. Les rougesgorges eux-mêmes vinrent goûter à ce gâteau. Que c'était amusant de les observer tous! «Je crois que notre table a plus d'invités que n'importe laquelle dans tout le pays! » dit Mariette.

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Arabelle veut jouer Shakespeare Cette histoire se passe en Angleterre, au Collège de jeunes filles de Malory. Arabelle est nouvelle venue dans la classe de quatrième. Cette surprenante petite Américaine regarde de très haut ses jeunes compagnes anglaises qu'elle estime des, enfants sans expérience, alors qu'elle se considère comme une grande personne. Aussi lui fait-on la vie assez dure. Il lui arrive souvent des aventures aussi curieuses que ridicules. En voici une. Quelle agitation parmi les élèves lorsqu'elles lurent la note affichée sur le tableau! Miss Peters, le professeur d'anglais, convoquait les élèves pour une répétition de Roméo et Juliette, de Shakespeare. Toute la classe de quatrième devait se rendre à la salle de dessin pour une première lecture des différents rôles. « Zut! » s'exclama Daisy. Elle n'aimait guère Miss Peters qui lui reprochait souvent ses manières affectées. « J'espérais qu'elle ne pensait plus à cette pièce ! Quel temps elle va nous faire perdre! — Pas du tout! dit Arabelle, rayonnante. C'est passionnant de jouer une pièce de théâtre, quand on a du talent, et je n'en manque pas! Dans le rôle de lady Macbeth, je... — Oh! nous le savons! l'interrompit Daphné. Ou nous devrions le savoir. Tu nous l'as assez souvent rabâché! — Je parie que tu te vois déjà jouant un des rôles principaux, dit Alice. Eh bien! tu vas au-devant d'une déception! Enfin, si Arabelle a tant de talent, elle sera Juliette... à condition de parvenir à corriger son accent américain. » Arabelle parut inquiète. « Croyez-vous que je ne pourrai pas avoir un beau rôle à cause de ma façon de parler ? demanda-t-elle. — Ma foi, je ne me représente pas la Juliette de Shakespeare s'exprimant avec un accent américain à couper au couteau! dit Alice. Pourtant, si tu lis très bien le rôle, il te sera peut-être attribué! »

« C'est passionnant de jouer une pièce de théâtre ! » dit Arabelle.

Arabelle était mélancolique depuis quelque temps, mais elle recouvra tout son entrain à la pensée de se révéler une grande étoile dans Roméo et Juliette. Elle prit grand soin de sa petite personne, et passa de longs moments devant sa glace. Elle tenta même de se débarrasser de son accent traînant! Toute la classe s'en amusa. Jusqu'alors, Arabelle ne s'était pas donné la moindre peine pour parler à la manière anglaise et s'était même moquée de l'accent anglais

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qu'elle déclarait ridicule. Maintenant elle harcelait les élèves pour qu'elles lui apprissent à prononcer les mots correctement. Arabelle essayait de parler anglais avec la prononciation britannique, au grand étonnement de Miss Peters. Le professeur était satisfait des efforts faits par son élève pour se maintenir au niveau de la classe, mais s'irritait que la jeune Américaine attachât autant d'importance à sa toilette et à sa coiffure. Elle n'aimait pas non plus cet air de grande personne adopté par Arabelle, ni la supériorité qu'elle affectait envers ses compagnes. Ces petites écolières! semblait-elle penser... «Je vais leur montrer ce que je vaux! se dit Arabelle, étudiant le rôle de Juliette avec une extrême attention. Elles verront que j'ai raison quand j'affirme que je serai un jour une des plus grandes étoiles du cinéma! » Miss Peters se donnait un mal infini pour les représentations scolaires. Chaque, classe jouait à tour de rôle, et les résultats étaient excellents. Les actrices seraient les élèves de quatrième ce trimestre-ci. La pièce serait jouée juste avant les vacances. « Miss Peters choisit-elle les actrices dès la première répétition? demanda Arabelle. — Oh non ! Elle nous fait lire presque tous les rôles plusieurs fois^ et cela pour deux raisons, répondit Hélène. De cette façon, elle trouve celle qui convient pour interpréter chaque personnage; et nous savons bien tous les rôles et notre équipe est ainsi bien meilleure ! — Chic! dit Arabelle. J'ai étudié le rôle de Juliette. Il est délicieux ! Aimerais-tu que je t'en récite quelques vers ? — Je regrette! Il faut que j'aille à l'entraînement de hockey, dit Hélène. Demande donc à Alice, elle est libre à cette heure-ci. » Mais Alice n'avait nul désir d'entendre Arabelle dans le rôle de Juliette. Elle se leva précipitamment. « Excuse-moi, Arabelle, je dois me rendre à une réunion. Mais je suis sûre que tu sera " sublime "! — Je vais t'écouter, Arabelle, dit Daisy, saisissant l'occasion de se faire bien voir par la jeune Américaine. Allons dans une des salles de musique, où personne ne nous dérangera. Je serai ravie de te voir jouer! Je suis sûre que tu as un énorme talent!

Tu dois valoir... euh ! comment s'appelle cette star que tu aimes tant? Ah oui! Lossie Laxton! — Je ne la vaux peut-être pas encore, dit Arabelle ébouriffant ses cheveux à la manière de Lossie. Eh bien, Daisy, allons dans une des salles de musique! » Mais elles étaient toutes occupées; des notes jaillissaient de chacune, sauf de celle du fond. Irène s'y trouvait, déchiffrant une partition avec une attention soutenue. « Dis, Irène, fit Daisy en entrant, est-ce que tu pourrais... ? — Va-t'en! cria Irène, furieuse. Je suis occupée ! - Mais tu n'as pas besoin de piano, voyons! dit Arabelle. Est-ce que tu ne pourrais pas travailler ailleurs ? — Non. Impossible. J'aurai besoin du piano dans un instant. Allez-vous-en! Oser m'interrompre ainsi! » Arabelle fut surprise. Jamais elle n'avait vu Irène aussi exaspérée. Mais Daisy savait qu'Irène ne pouvait supporter d'être dérangée lorsque sa chère musique l'absorbait. « Viens, partons! dit-elle à Arabelle. - Oui, partez! dit Irène, montrant un visage crispé. Vous m'avez interrompue juste au moment où ma composition commençait à prendre tournure! — Eh bien, Irène, il me semble que tu pourrais nous céder la place, si tu t'amuses tout bonnement avec du papier et un crayon, commença Arabelle. Je veux réciter quelques vers de Juliette, et... » Irène alors se mit en rage. Elle lança sa partition, son crayon et son cartable à la tête d'Arabelle. « Tu m'agaces! hurla-t-elle. Je devrais renoncer à mon heure de musique pour que tu puisses jouer la comédie ! Oh oui ! je sais, tu seras une merveilleuse étoile de cinéma, tu paraderas vêtue d'admirables toilettes, tu n'auras que des idées stupides en tête, si encore tu es capable d'en avoir! Mais quelle importance cela a-t-il, en comparaison de la musique! Je te dis que je... » Mais Arabelle et Daisy n'entendirent pas la fin de la phrase. Elles avaient pris la fuite. « Eh bien! fit Arabelle. C'est le comble! Irène est complètement folle!

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Mais non, dit Daisy. Seulement, lorsqu'elle est inspirée, et qu'elle trouve un air, elle est obligée de le transcrire tout de suite. Elle a un tempérament d'artiste, je suppose! - Moi aussi, répliqua promptement Arabelle. Mais je n'ai pas de crises de folie! Je ne l'aurais pas crue capable de se conduire ainsi! - Elle n'y peut rien, dit Daisy. Il ne faut pas la déranger. Tiens, voici Lucie qui sort d'une des salles. » Elles y pénétrèrent; Daisy s'assit, prête à écouter Arabelle pendant des heures afin de lui plaire et de gagner son amitié. La jeune Américaine prit un air langoureux et commença : « Veux-tu donc me quitter? Il n'est pas encore jour. C'était le rossignol et non point l'alouette Dont le chant pénétrait ton oreille craintive, II chante chaque nuit sur notre grenadier; Crois-moi, ô mon amour! C'était le rossignol!»

Daisy avait bien envie de rire, mais elle gardait son sérieux, sachant qu'Arabelle serait très vexée si son amie cédait à cette envie. La jeune Américaine allait et venait, majestueuse, le rideau bleu balayant le parquet, telle une traîne, ses cheveux lui cachant presque complètement un œil. Bessie, une élève de sixième, passa la tête par la porte. Elle était venue faire ses gammes, mais à la vue des deux élèves de quatrième, elle s'enfuit. Entra ensuite Mary-Rose, une élève de troisième, nullement intimidée, mais surprise au plus haut point d'apercevoir Arabelle ainsi accoutrée. « Je viens faire mes exercices, dit-elle promptement. Filez! » Arabelle s'arrêta, indignée. « File toimême, dit-elle. Quel toupet tu as ! Ne vois-tu pas que je répète mon rôle ? Arabelle prit un air langoureux et commença

Daisy écoutait, feignant le ravissement et l'admiration. Elle n'aurait su dire si Arabelle avait une bonne diction ou non, mais qu'importait? Elle était prête à toutes les louanges. « Admirable! dit-elle, lorsque Arabelle s'arrêta enfin pour souffler. Comment as-tu réussi à retenir tant de vers ? Seigneur ! Que tu joues bien ! Et ce rôle te convient à merveille, avec tes cheveux, et tout, et tout! - Vraiment? » dit Arabelle, enchantée. Elle prenait tant de plaisir à jouer un rôle. « Sais-tu ce que je vais faire? Je vais étaler mes cheveux sur mes épaules. Et je m'envelopperai dans ce tapis de table! Non! Il n'est pas assez grand! Le rideau de la fenêtre fera l'affaire. » Au grand amusement de Daisy, Arabelle décrocha le rideau bleu et le drapa au-dessus de sa blouse d'écolière. Elle dénoua ses cheveux brillants et s'en couvrit les épaules. Finalement, elle se para aussi du tapis de table. Ah! maintenant, elle avait vraiment l'impression d'être Juliette! Levant les mains, pathétique, elle récita un autre passage. Elle était un peu ridicule, car tout en s'efforçant de parler avec un accent anglais, elle reprenait constamment son ton traînant.

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rien à faire ici lorsqu'il s'y trouve une élève de troisième! Quant à vous, Arabelle, si je vous y reprends je ferai mon rapport à Miss Grayling ! De pareilles scènes ! Lancer des livres ainsi! » Les élèves ne pouvaient rien dire, car l'économe parlait, parlait avec une folle rapidité. D'une main ferme, elle poussa MaryRose vers le tabouret, chassa Daisy de la pièce comme un petit chien importun, et saisit fermement Arabelle, par l'épaule. « Accompagnez-moi ! Nous verrons si vous avez déchiré le tapis ou le rideau! Si oui, vous resterez dans mon bureau et vous le réparerez! Et je vous surveillerai! Et à propos, si vous ne reprisez pas mieux vos bas, je vous donnerai des leçons! » Furieuse et gênée, la pauvre Arabelle dut suivre l'économe dans le corridor, tâchant de se dépouiller de son rideau et de son tapis. Comme elle eût souhaité relever ses cheveux ! Mais l'économe ne lui en laissa pas le temps! Cette petite Américaine orgueilleuse et maniérée l'avait si souvent exaspérée qu'elle était ravie de lui donner une leçon. Tant mieux si tout le monde la voyait ébouriffée et ridicule!

— Non, dit l'élève. Et si un professeur t'aperçoit emmaillotée dans ce rideau, il y aura du vilain ! Allons ! Filez toutes les deux ! Je suis en retard! » Arabelle décida d'imiter Irène. Elle se saisit du livre de Shakespeare et le lança à la tête de Mary-Rose. Par malheur, l'économe passait alors, et à son habitude, jeta un coup d'œil dans la pièce pour s'assurer que les élèves étudiaient leur piano. Elle resta stupéfaite à la vue d'une petite personne drapée dans un rideau et dans un tapis, les cheveux épars, et qui lançait un livre à la tête d'une élève prête à étudier son morceau de musique. Elle ouvrit la porte d'un coup sec, et les enfants sursautèrent. « Que se passe-t-il? Que faites-vous? Oh! c'est vous, Arabelle? Pourquoi, je me le demande, êtes-vous enveloppée de ce rideau ? Avez-vous perdu la tête? Et vos cheveux! Plus mal coiffée encore qu'à l'ordinaire! MaryRose, faites vos exercices! Daisy, vous n'avez

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Et malheureusement pour Arabelle, elles croisèrent un groupe d'élèves de cinquième qui, toutes surprises, dévisagèrent la pauvrette en s'esclaffant. « Qu'a-t-elle fait? Où l'emmène l'économe? Pourquoi est-elle déguisée ainsi? » demandèrent les petites de douze ans. Arabelle, la pauvre Arabelle les entendit, rougit et chercha des yeux Daisy. Mais, Daisy avait disparu. Elles rencontrèrent " Mam'zelle ", le professeur de français au tournant de l'escalier. Tiens! dit-elle, étonnée. Que se passe-t-il, Arabelle? Vos cheveux! - Oui, je m'occupe d'elle, Mam'zelle », dit l'économe d'un ton ferme. Elle et • Mam'zelle " étaient généralement à couteaux tirés; l'économe ne s'arrêta donc pas pour lui parler, mais elle entraîna Arabelle son bureau à toute allure, laissant •Mam'zelle" ébahie. Heureusement pour Arabelle, le rideau et le tapis n'avaient souffert nul dommage. L'économe fut déçue. Elle recoiffa la petite américaine qui se soumit sans mot dire tant la vivacité et la loquacité de l'économe la stupéfiaient ! L'économe partagea les cheveux d'Arabelle en deux énormes nattes. L'Américaine, qui n'avait jamais été ainsi coiffée, en fut horrifiée. « Voilà! dit enfin l'économe, satisfaite, attachant le bout des tresses avec du cordon bleu. Elle recula. Maintenant, vous voici devenue une élève convenable, Arabelle. Vous avez l'air raisonnable et vous avez fort bonne façon ! Je me demande pourquoi vous avez envie de paraître âgée de vingt ans! » Arabelle se leva, les jambes tremblantes. Elle s'aperçut dans la glace. Quelle horreur! Était-ce vraiment son image qu'elle contemplait? Elle n'avait plus l'air d'une jeune fille! Elle ressemblait à n'importe quelle écolière anglaise! Elle sortit furtivement du bureau de l'économe et courut à son dortoir pour arranger sa coiffure. Elle rencontra Miss Peters qui la dévisagea comme si elle la voyait pour la première fois. Arabelle eut un pâle sourire et tenta de passer sans dire un mot. Elle se saisit du livre et le lança.

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PLOUM LE LIÈVRE Richard et Suzanne aiment tous les animaux. Leur grand ami, Zacky, le bohémien, connaît toutes les bêtes et tous les oiseaux de la région. Il leur présente Ploum, le lièvre.

« Vous voici devenue une élève convenable, Arabelle ! »

« Oh! mais c'est Arabelle! » s'exclama Miss Peters, comme si elle ne pouvait en croire ses yeux. Arabelle l'entendit et fila le long du corridor, implorant tous les saints du Paradis de ne plus rencontrer personne. Daisy était dans le dortoir et elle aussi regarda Arabelle comme si elle voyait un fantôme. « Est-ce l'économe qui t'a coiffée? demandat-elle. Oh! Arabelle, que tu es changée! Tu as l'air d'une vraie collégienne anglaise, maintenant! Je vais dire à tout le monde que l'économe a natté tes cheveux! - Si tu le dis, je ne te parlerai plus jamais! » cria Arabelle d'une voix si furieuse que Daisy prit peur. La jeune Américaine se hâta de défaire ses nattes. « Quel horrible pensionnat! Jamais, je ne pardonnerai à l'économe! »

Richard et Suzanne se promenaient avec leur ami Zacky, le bohémien. Ils pénétrèrent dans un fourré de genêts et d'églantiers. Il s'y trouvait de grosses touffes d'herbe haute où ils trébuchaient. Zacky s'assit sur l'une d'elles et prit son appeau. « Zacky! » dit Suzanne, mais il fronça les sourcils et elle se tut, alarmée par le son de sa propre voix qui résonnait en ce petit coin désert. Elle resta immobile, telle une souris effrayée. Zacky porta à ses lèvres son étrange petit objet. Les enfants s'attendaient à entendre un sifflement mais il en sortit un curieux son, sourd et régulier. " Oont, oont, oont ", disait l'appeau. Zacky s'arrêta quelques secondes, replaça l'instrument entre ses lèvres et le son étrange se fit à nouveau entendre : " Oont, oont ". Il y eut alors un léger bruissement provenant d'épaisses ronces non loin de là. Les enfants retinrent leur souffle et écarquillèrent les yeux. Deux grandes oreilles apparurent, puis deux énormes yeux. Le lièvre! Zacky reprit son appeau. Au même moment, le lièvre sauta du buisson, regarda Zacky et, d'un bond immense, s'installa sur ses genoux. « Ploum! » dit doucement Zacky, de cette voix particulière qu'il réservait aux bêtes et aux oiseaux. « Ainsi, tu habites toujours ces parages? Et comment va ta patte, Ploum? Cours-tu toujours aussi vite? » Le lièvre reproduisit le son même de l'appeau : " Oont ". Les deux enfants respiraient à peine. De leur vie ils n'étaient restés aussi immobiles. Ils n'avaient pas assez d'yeux pour regarder le grand lièvre!

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Qu'il était beau! Le poil du dos était d'un brun rougeâtre; ses longues oreilles avaient l'extrémité noire. Ses yeux immenses examinaient les alentours. Rien d'étonnant qu'il perçut un danger, même éloigné, avec de pareils yeux! Richard remarqua les vigoureuses pattes de derrière de l'animal qui lui permettaient de sauter haut et loin. L'enfant eût aimé caresser le lièvre comme le faisait Zacky. Le bohémien chatouillait la fourrure sous le menton du lièvre qui tendait le cou, prenant plaisir à ces caresses. Et puis, soudain, l'animal disparut! Effrayé, il fit un saut prodigieux et dévala la colline.

forme du long corps d'un lièvre. L'animal avait choisi cette place, s'y était traîné le temps nécessaire pour y creuser une dépression et s'en servait comme de cachette. Les brins d'herbe dissimulaient en partie la " forme ". « II a trouvé un excellent endroit! dit Richard. Et je suppose que la couleur de sa fourrure lui est aussi d'un grand secours, n'estce pas Zacky, lorsqu'il se cache dans les champs ? Croyez-vous que nous pourrons trouver une forme dans ce champ là-bas? - Peut-être, dit Zacky. Allons voir! » Ils en trouvèrent une presque tout de suite dès qu'ils eurent quitté les fourrée de genêts. Ce n'était

« Le voici parti », dit Zacky, rangeant son appeau. « Avez-vous remarqué qu'il saute de côté de temps en temps ? C'est pour brouiller la piste! - Zacky, qu'il est ravissant! dit Richard. Je n'avais jamais vu même un lapin d'aussi près. Parlez-nous de votre ami Ploum! Il ne vit pas dans un terrier comme un lapin, n'est-ce pas? - Oh! non! C'est une créature de plein air, dit Zacky. Il habite les fourrés et les champs. Allons voir si nous pouvons découvrir son gîte près d'ici. On l'appelle une forme. — Et pourquoi ? demanda Suzanne. - Parce que c'est un renfoncement dans le sol qui épouse exactement la forme du corps du lièvre, expliqua Zacky. Tenez! en voici une, mais j'ignore si c'est la forme de mon ami Ploum! » Il leur montra dans les hautes herbes un renfoncement qui avait les dimensions et la

qu'une dépression du sol, mais les enfants qui savaient maintenant ce qu'ils cherchaient, se rendirent bien compte qu'il s'agissait du gîte d'un lièvre. Le contour du corps s'y voyait nettement. « Lorsque la hase - - c'est la femelle du lièvre - - a des petits, dit Zacky, ils ne lui donnent pas trop de soucis ! Ils sont couverts de poils, et leurs yeux sont grands ouverts. Drôles de petites créatures, à demi adultes, dès leur naissance! En un rien de temps, ils quittent leur mère et se font de petites formes bien à eux. Ils y restent étendus toute la journée et attendent que la maman vienne les voir!

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- Que j'aimerais en voir un! dit Suzanne avec envie. - Oh! vous les aimeriez! dit Zacky. Ces animaux sont si jolis ! J'en ai attrapé un, une fois, de ces levrauts, et je l'ai nourri au biberon! Je l'ai gardé longtemps. Il gambadait et frétillait comme un agneau ! - Je voudrais bien avoir la même chance ! dit Richard. Où s'en est allé Ploum, dites, Zacky ?

— Il est peut-être bien à des lieues d'ici, répondit le bohémien. Il en fait du chemin avec ses longues pattes et ses bonds! Quand il le veut, il peut faire un saut de quatre mètres cinquante! Rien d'étonnant si le renard renonce à le poursuivre! — Mais le renard ne peut-il le suivre à la piste? demanda Suzanne. — Je vous ai fait remarquer que le lièvre fait des bonds de côté de temps en temps, dit Zacky. Il brouille ainsi la piste et déroute renards et chiens. J'ai vu parfois un lièvre tourner en rond à plusieurs reprises et puis faire un saut de côté et filer. Le chien suit la

piste et tourne, tourne, tournera, jusqu'à ce qu'il ait le vertige espérant toujours attraper le lièvre ! La piste est parfaite, en un cercle, vous comprenez ! - Que c'est malin! s'exclama Richard. Très malin! Le chien, je suppose, ne peut imaginer que le lièvre a fait un bond de côté! Et que fait encore le lièvre? — Eh bien, le vieux Ploum revient parfois sur ses traces! Il s'en va en ligne droite, s'arrête, se retourne et revient en arrière. Puis il bondit de côté et disparaît dans un marais où sa piste se perd! — Je comprends ! Le chien suit la piste, ignore que le gibier poursuivi est revenu en arrière, et reste planté là, se demandant où sa proie a pu disparaître, dit Suzanne. - Écoutez! dit soudain Zacky, les yeux brillants. Nous avons de la chance! Écoutez !» Ils dressèrent l'oreille, immobiles comme des statues. Des sons étranges leur parvinrent, portés par le vent du soir, un mélange de grognements et de sifflements. Richard les reconnut. « Ils ressemblent à ceux de votre appeau,

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dit-il. J'entends ces " oont, oont, oont"! - Oui! Ce sont deux lièvres qui s'ébattent! dit Zacky. Asseyez-vous ! Nous les verrons peut-être. Vous avez entendu l'expression : " Fou comme un lièvre au mois de mars "? Eh bien, vous en verrez, j'espère, agir comme des fous dans un instant! » Ils s'assirent derrière un églantier et, ,à travers les branches, regardèrent le versant herbeux de la colline. Et soudain, deux lièvres apparurent! Suzanne, ébahie, écarquilla les yeux. Ces lièvres étaient assurément fous! Ils ne cessaient de bondir, déjouer à sautemouton, de tourner en rond, de se dresser sur leurs pattes de derrière et de s'élancer l'un sur l'autre. " Oont, oont ", disaient-ils, dansant et batifolant. « Ils jouent à saute-mouton! » pensa Suzanne qui n'osait souffler mot. Cela était plus amusant qu'une représentation de cirque! Et voici qu'un troisième lièvre entrait en scène! Il se joignit au jeu, mais fut fort mal reçu par l'un d'eux qui, se précipitant sur l'intrus, le frappa. En un clin d'œil, les deux adversaires se dressèrent sur leurs pattes de derrière et se livrèrent à un combat de boxe! Les enfants les regardaient, pris de stupeur. Eh! quoi, des lièvres! Boxer! Mais l'un, changeant soudain de tactique, se retourna et assena de vigoureux coups de pattes à son ennemi. Celui-ci s'affala, tout étourdi, puis poussant un cri aigu, se releva, regarda son vainqueur et s'en alla au petit trot. Il n'avait nulle envie de reprendre la lutte ! Richard éclata de rire. Les deux lièvres dressèrent leurs longues oreilles et nièrent à toute allure! Ils descendirent la colline, traversèrent un champ, prompts comme le vent! Qu'ils paraissaient donc grands, tout en courant, les oreilles mouvantes, le corps allongé ! « Oh! Richard, dit Suzanne, furieuse, tu leur as fait peur! - C'est vrai, mais je n'ai pu m'empêcher de rire, avoua Richard, déçu lui aussi. Je n'ai jamais vu un spectacle plus drôle! Mais je ne voulais pas les effrayer!

— Oh! ne regrettez rien, dit Zacky, ils avaient presque terminé leurs ébats. Eh bien, vous avez eu de la chance ce soir d'assister à une pareille représentation! - Oh! je vous en prie, prêtez-moi votre appeau, supplia Suzanne. Je me demande si je pourrais faire venir Ploum! » Zacky essuya son appeau et le lui tendit. Elle le porta à ses lèvres. Il en sortit un son mélancolique : " oont, oont, oont... >: « On dirait que cet instrument crie : Non ! Non! Non! dit Richard. Le lièvre qui a été rossé aurait dû crier " non! non! " au lieu de se mettre à glapir! — Les lièvres blessés ou effrayés poussent des cris aigus ou perçants, dit Zacky. C'est ainsi que j'ai trouvé Ploum un soir. Il était pris au piège et criait comme un enfant qui souffre, pauvre petite bête! — Et qu'avez-vous fait? demanda Suzanne, bien qu'elle devinât la suite de l'histoire. - Je l'ai cherché, trouvé, et emporté dans ma roulotte, dit le bohémien. Sa patte blessée a fort bien guéri, comme vous avez pu en juger par vous-mêmes. C'est un de mes fidèles amis, ce vieux Ploum! Il ne m'a jamais oublié! »

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Dans la première partie de cette histoire, un groupe d'enfants, fort semblables à vousmêmes, ont fondé un club. Dès leur première réunion, ils ont élu un chef, choisi un nom pour leur cercle et un mot de passe. Ils ont aussi décidé de porter un insigne. Vous lirez ici quels buts ils ont résolu de poursuivre lors de leur seconde réunion. Ils résoudront aussi d'autres problèmes, tels que leurs signaux secrets et l'emploi de leur temps libre.

Les six enfants étaient enchantés d'appartenir à un club — enchantés de se réunir, de chuchoter le mot de passe : " Cot-cot-codac ! " Bientôt ils allaient porter leur insigne que les deux fillettes préparaient avec soin. Le vendredi viendrait-il jamais ? Enfin, ce jour tant attendu arriva et, à cinq heures et demie, les Six se retrouvèrent dans le poulailler du jardin de Marc. Que son aspect était changé! Catherine y avait posé un vieux tapis, Marc apporté un tabouret branlant et deux caisses, Patrick une bouteille d'orangeade et deux gobelets en

plastique qu'il mit fièrement sur une planche. Quant à Éric, il exhiba un sac de bonbons à la menthe. « On se sent bien ici chez soi! s'exclama Mariette, examinant le poulailler avec complaisance. Je ferai un rideau pour notre petite fenêtre! » Marc était arrivé le premier, à cinq heures vingt-cinq, afin d'accueillir les membres et leur demander le mot de passe. Il se rendait compte qu'une certaine formalité s'imposait pour éviter que le club ne dégénérât en une réunion où ne s'échangeraient que des paroles sans intérêt. Les Six — telle était son intention — serait un excellent club, respecté de tous, et non ce genre de cercle stupide, dépourvu de règlement, de discussions intelligentes et de but défini. Certes, Marc était un bon chef, et ceux qui l'avaient élu ne l'ignoraient point! « La réunion va commencer maintenant, dit-il, dès que tous se furent installés. Parlons d'abord de nos insignes.» Mariette et Catherine les exhibèrent fièrement. Elles avaient demandé à la maman de Mariette six gros boutons tous semblables, les avaient recouverts de tissu bleu marine, et

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brodé le chiffre 6 en rouge vif. De petites épingles doubles permettaient de les attacher au revers d'une veste. « Mille fois merci, Mariette et Catherine, dit Marc, distribuant les insignes. Ils sont épatants !

Les Six se retrouvèrent dans le poulailler du jardin de Marc. Je suis joliment fier du mien! fit Patrick. Oh! Éric, tu as prononcé notre mot de passe " Cot-cot-codac ", tout à fait comme une poule en me rencontrant dans le couloir de l'école hier! Tu m'as presque fait sauter en l'air! - Allons-nous choisir un signal secret? demanda Jacques. J'en ai trouvé un!

— Qu'est-ce que c'est? dit Mariette. — Le voici ! Il toucha légèrement ses deux épaules de chaque main qu'il laissa retomber tout de suite. Voyons », dit Catherine. Jacques répéta le mouvement d'une façon si rapide et légère qu'on eût dit qu'il enlevait un peu de poussière. « Eh! oui, c'est un bon signal, qui n'attirera pas l'attention des non-initiés! » Tous approuvèrent et Jacques fut ravi de son idée. « Fort bien ! Nous adoptons ce signal alors ! proclama Marc. Un signe de reconnaissance, qui peut se voir de loin. Ne ferions-nous pas bien de décider que, s'il est répété, il signifie que quelque chose d'important s'est produit et que les membres du club doivent tout de suite conférer tous ensemble? - Bonne idée! » s'exclama Catherine qui avait une passion pour les mots de passe, les signaux secrets et toutes les coutumes d'un club. Elle se toucha les épaules trois ou quatre fois de suite, comme si elle avait à se mettre en rapport de toute urgence avec l'un des membres. « Abandonne tes exercices de gymnastique, Catherine ! dit Marc, et chacun de rire aux éclats. Et maintenant, occuponsnous de l'affaire suivante! Quels seront les buts de notre club? Un cercle n'est d'aucune utilité s'il n'a un but bien défini... — Si nous étudiions les oiseaux du lac? suggéra promptement Éric. - Très bonne suggestion, dit Marc immédiatement. Nous nous intéressons tous aux oiseaux. Nous pourrions les observer régulièrement et écrire des articles pour la revue de l'école. Nous signerions ces articles " les Six ". Quelqu'un a-t-il une autre idée? — Ne pourrions-nous recueillir des timbres oblitérés et du papier d'étain pour l'hôpital ? demanda Catherine. L'administration les vend et achète des jouets avec le produit de la vente pour les enfants malades. Mariette et moi nous en occupons déjà, bien sûr, mais si nous apportions tous vieux timbres et papier argenté à chacune de nos réunions, nous en aurions vite d'énormes quantités! — D'accord! » crièrent-ils tous. Marc

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regarda Catherine. « Tu auras cette responsabilité, lui dit-il. Apporte un sac pour le papier d'étain, s'il te plaît, et une boîte en fer pour les timbres oblitérés. Tu les laisseras ici. Nous te donnerons timbres et papier à chaque réunion. Toi et Mariette porterez le sac et la boîte, une fois pleins, au secrétaire de l'hôpital. - Oui, Marc », dirent ensemble les fillettes. Ah! elles auraient bientôt une belle collection ! « Et si nous donnions une représentation théâtrale, ou une fête, payante bien sûr, fit Jacques. Vous vous rappelez que le directeur nous a dit l'autre jour que nous devions gagner de l'argent pour acheter de nouveaux .livres dont la bibliothèque scolaire a grand besoin. » La proposition enchanta tout le monde. « Oh! oui! Nous jouerons une pièce! Le directeur nous y autorisera! Ma parole, nous allons être occupés, maintenant! Mais ne ferions-nous pas bien d'attendre Noël pour donner notre représentation? » Ils discutèrent l'affaire à fond. Marc regardait ses amis, satisfait. Qui aurait pu croire que, dès la seconde réunion, les membres du club montreraient tant d'énergie, d'intelligence et d'intérêt ? Les idées? ! mais il en pleuvait ! Il mit fin à la discussion, après avoir écouté les suggestions de tous. « Si j'ai bien compris, vous souhaitez presque tous jouer la pièce à Noël, dit-il. Nous aurions ainsi de quoi nous occuper le trimestre prochain, quand les soirées seront longues! Eh bien, prenons une décision! Que lèvent la main ceux qui veulent donner la représentation au plus tôt! » Personne ne leva la main ! « La représentation sera-t-elle donnée vers Noël? » dit Marc, souriant. Toutes les mains se levèrent! « C'est .décidé, alors ! Mais que pourrionsnous entreprendre cet été? Une vente de fruits et de légumes de nos jardins? Ou quoi? — Oui! Oui! s'écrièrent ensemble Mariette et Catherine. Une braderie serait une idée merveilleuse! ajouta Mariette. Toutes ces vieilleries se vendent comme des petits pains! Il n'est pas difficile d'aller de porte en porte demander aux gens s'ils veulent se défaire de leurs objets inutiles. Ainsi nous organiserons une vente pour aider... pour aider... qui? quelle œuvre?

Notre pièce nous procurera de l'argent pour la bibliothèque scolaire. Mais celui de la braderie, à quoi servira-t-il? - Quelqu'un a-t-il une idée ? » demanda Marc. Elles jaillirent de toutes parts.

Jacques toucha légèrement ses épaules de chaque main.

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« Pour le Foyer des petits aveugles! Pour les enfants des hôpitaux! Pour acheter une radio au vieux père Cressot, l'aveugle qui s'ennuie tant! Pour... pour... - Cela suffit, dit Marc, levant la main. Que d'excellentes idées! Pourquoi ne les adopterions-nous pas toutes? La braderie terminée, nous ferons nos comptes, et nous pourrons partager le total de nos recettes entre ces diverses œuvres. - Oui, et nous pourrons même gagner encore de l'argent d'une autre façon, dit Catherine. Par exemple, papa m'a promis de me donner un franc par semaine si je lui nettoyais sa bicyclette. Je suis toute prête à donner cette somme pour une de nos œuvres ! — Et moi, je promènerai les deux chiens de la vieille Mme Lucie tous les soirs, dit

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Éric, et je gagnerai un franc cinquante par semaine! - Et moi aussi je pourrai contribuer à nos œuvres en lavant la vaisselle, dit Mariette. Maman me donnera bien un franc à un franc cinquante pour cette besogne! - Et moi, dit fièrement Patrick, si je le veux, je gagnerai quatre francs en lavant la voiture de mon oncle deux fois par semaine ! » Tous découvrirent le moyen de se procurer de l'argent pour des œuvres, et ils se mirent à parler tous à la fois! Marc dut imposer le silence. « II ne doit pas y avoir un club plus animé que le nôtre dans tout le pays! — Je n'aurais jamais cru que c'était si amusant de discuter tous ensemble! dit Mariette, le visage rouge de plaisir. Écoute, Marc! Je pourrais aller à pied à l'école et économiser ainsi le prix d'un billet d'autobus, et... - Mariette! te tairas-tu, voyons! supplia Marc. Toutes vos idées sont excellentes, et je me rends compte que notre club sera très vivant. Mais ne parlons pas trop! Une chose à la fois! Bien sûr, gagnons autant d'argent que nous le pourrons, et utilisons-le au mieux, mais il nous faut un trésorier qui s'occupera de nos finances ! L'un de nous devra récolter l'argent et tenir les comptes. Il est toujours préférable qu'une seule personne soit responsable. - Je propose Éric comme trésorier, s'écria Patrick. Il a la bosse des mathématiques. Personne ne vient à sa cheville quand il s'agit de chiffres! - Oui! Oui! Très bonne idée, approuva Marc. Veux-tu te charger des fonctions de trésorier, Éric ? Nous te procurerons un petit livre de comptes, nous t'apporterons nos gains à chaque réunion, tu inscriras les sommes reçues, feras les comptes, et tu nous feras un rapport. Nous saurons alors exactement ce que nous aurons en caisse et lorsque nous aurons une somme suffisante, nous en disposerons pour l'une de nos œuvres. - Eh bien! observer les oiseaux, ramasser timbres et papier d'étain, nettoyer des vélos, laver la vaisselle, promener des chiens, organiser une braderie et jouer une pièce de théâtre à Noël, si, avec toutes ces occupations,

nous trouvons encore le temps d'aller en classe, ce sera un miracle! dit Éric sérieusement. Bien sûr, Marc, je serai fier d'être le trésorier. Je suivrai tes directives, et je garderai l'argent enfermé dans un tiroir! Je donnerai même un double tour de clef! - J'ai une vieille tirelire chez nous, dit Catherine. Je l'apporterai demain à l'école, et je te la donnerai, Éric. Elle ferme à clef! — Très bien, merci », dit Éric, plus heureux que tous ses amis. Il savait ne pouvoir se joindre à toutes leurs activités, à cause de sa jambe infirme. Mais ils l'avaient choisi, lui avaient confié une importante fonction! Aussi était-il aussi fier que joyeux. La réunion s'acheva par des rires. Mariette courut chercher à la maison quelques autres

«Je n'aurais jamais cru que c'était si amusant de discuter tous ensemble », dit Manette. gobelets et un pot d'orangeade. Sa mère l'appela : « Quelle joyeuse réunion! Mariette, dit-elle. Je vous entendais parler et rire d'ici! Seriezvous contents d'avoir des biscuits?

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J'en ai une boîte toute pleine que j'ai faits moi-même ! - Oh! maman, que tu es gentille, s'écria la petite, enchantée. Oh! maman, que nous avons donc un club sympathique! Si tu savais tout ce que nous projetons! Et Marc est un chef merveilleux! — Eh bien, si vous réalisez vos projets et obtenez de bons résultats, je serai fière de vous, dit la maman. Mais tant de clubs débutent bien, et puis... se disloquent peu à peu... - Oh ! pas avec un chef tel que Marc, dit Mariette fièrement. Tu devrais le voir présider nos réunions, maman! Et maintenant, nous avons même un trésorier! C'est Eric...

parents peuvent être de quelque utilité, ditesle ! Je serais contente de vous aider. Les parents peuvent rendre des services, tu sais, quand il s'agit d'une braderie, par exemple! — Maman, comment as-tu pu deviner notre projet? demanda Mariette, au comble de la surprise. — Oh! je n'ai pu m'empêcher de vous entendre! Vous parliez si haut, répliqua la maman en souriant. Tiens ! Voici les biscuits ! Va-t'en vite! » Mariette retourna au poulailler à toute allure, et bientôt les six enfants grignotaient des biscuits, buvaient de l'orangeade et suçaient des bonbons à la menthe. Marc, les regardant les uns après les autres, se sentit vraiment heureux. « Voici le genre de club qu'il nous fallait, songeait-il. Tous bons amis, intelligents, prêts à travailler à une œuvre commune. Nous ne perdrons pas notre temps! Nous entreprendrons des choses qui en valent la peine! Je suis fier d'être le chef des Six! » Vous avez raison, Marc! Et votre école sera aussi fière de vous tous, et vos amis vous envieront de porter ces brillants insignes, au chiffre 6 brodé en rouge!

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Mariette courut chercher à la maison quelques gobelets et un pot d'orangeade. — Ma parole! Vous avez donc un véritable club! dit la maman. Eh bien, si vos

Je voudrais bien savoir ce qu'auront fait les Six à la fin de l'année ? Combien d'argent auront-ils gagné ? Combien d'oiseaux aurontils dessinés dans leurs albums ? Combien de timbres et de papier d'étain auront-ils ramassés ? Le vieux père Cressot aura-t-il son poste de radio ? Leur braderie sera-t-elle un succès ? Leur pièce recevra-t-elle un accueil enthousiaste ? Qu'en pensez-vous ? Leur club continue de fonctionner très bien. Ils se réunissent une fois par semaine et le livre de comptes d'Éric montre d'impressionnantes recettes ! Rien n'est amusant comme d'être membre d'un club ! Maintenant que vous savez comment en fonder un, pourquoi n'auriez-vous pas aussi le plaisir d'en créer un ?

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« Brou! Qu'il fait froid, dit Jeannot Lapin, jetant un coup d'œil par sa fenêtre. Je vais m'habiller bien chaudement pour aller chercher des carottes dans ma réserve! » II mit donc son écharpe la plus épaisse autour du cou, enfila deux paires de chaussettes, de gros vieux souliers et sortit. Mais lorsqu'il pénétra dans sa réserve, il ouvrit de grands yeux flamboyants de colère. « Quelqu'un est venu cette nuit me dérober une bonne moitié de mes carottes ! Saperlipopette! Je suis sûr que le Compère Ours m'a joué ce tour-là! » Jeannot Lapin examina la neige, espérant y voir les empreintes des grosses pattes de Compère Ours, mais il y avait eu une nouvelle chute de neige ce matin-là qui avait effacé toute trace de pas. « N'importe ! Je suis certain que Compère Ours est le coupable! » songea Jeannot Lapin et, à grands pas, il s'en fut immédiatement à la maison de Compère Ours. Celui-ci fut surpris de voir Jeannot Lapin entrer si hardiment dans son jardin. L'apercevant à sa fenêtre, Jeannot Lapin hurla :

« Tu as volé mes carottes ! Je le sais, Compère Ours ! Je sens l'odeur de ton ragoût de poulet qui mijote dans ta marmite! Et je sais que tu aimes y mettre quelques carottes! — Tu te trompes! gronda l'ours. Je suis dégoûté des carottes! J'ai mis des navets dans la marmite! Va voir dans mon hangar! Il est rempli de navets, et non pas de carottes. » Jeannot Lapin s'en fut au petit hangar et en ouvrit la porte. Assurément, il s'y trouvait des navets ! Jeannot Lapin fouilla dans le tas, mais ne put découvrir une seule carotte! Il retourna au jardin, et quelle fut sa surprise en apercevant quelques navets épars sur la neige! Pourquoi n'avaient-ils pas été recouverts par la neige matinale? « Compère Ours, je sais ce que tu as fait de mes carottes ! cria-t-il, dansant sur la neige, fou de rage. Tu les as volées cette nuit! Et tu es allé chez Compère Renard et tu les as échangées contre ses navets. Mais si, mais si! Voici les navets de Maître Renard, je les reconnais! J'aperçois les empreintes des pattes de Renard se dirigeant

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une belle émotion ! Qu'est-ce qui te prend ? » Jeannot Lapin lui conta sa mésaventure. « Ce voleur de Compère Ours a dérobé mes carottes pendant la nuit et les a troquées contre les navets dont Compère Renard nous a tant parlé, dit-il. — Eh bien, va chercher les carottes! dit Commère Tortue. Vas-y cette nuit, Jeannot Lapin ! — Il verra les traces de mes pattes, dit Jeannot Lapin. Tu ne peux aller nulle part dans la neige sans laisser d'empreintes! — Emporte-moi chez toi, auprès de ton bon feu, et je te dirai comment t'y prendre pour parvenir à tes fins ! Je suis enfouie dans la neige, et je suis glacée! » Jeannot Lapin souleva donc Commère Tortue et la porta chez lui. Ils s'assirent devant un beau feu et parlèrent tout à loisir. -« Écoute-moi, Jeannot Lapin ! dit la vieille tortue qui avait plus d'un tour dans son sac. Mets tes plus gros souliers ; découpe de grands morceaux dans du carton, donne-leur la

vers ton appentis! Tiens! il en a laissé tomber quelques-uns sur la neige! — Tu dis des bêtises », dit Compère Ours, refermant sa fenêtre violemment. Jeannot Lapin était si furieux qu'il longea la route en lançant de grands coups de pattes dans la neige. Il se blessa en heurtant un objet dur et se mit à glapir. Une petite tête sortit de la neige... c'était l'amie de Jeannot Lapin, Commère Tortue ! « Hé! cesse de flanquer des coups de pattes! dit Commère Tortue. Tu m'as donné

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forme d'énormes semelles, et attacheles solidement aux semelles de tes souliers! - Et pourquoi donc? demanda Jeannot Lapin. - Mais alors tes empreintes seront tout aussi grandes que celles de Compère Ours lorsqu'il porte ses grosses bottes! Vois-tu, Jeannot Lapin, tu passeras pour être un ours ! Tu iras reprendre tes carottes dans. l'appentis de Compère Renard, la nuit venue, et il croira que Compère Ours est venu les voler! - Ah! Commère Tortue, que tu as d'esprit ! Tu es joliment maligne, ma parole ! D'accord! Je vais me fabriquer des semelles en carton et, tandis que j'irai reprendre mon bien, tu resteras chez moi à te chauffer et à entretenir le feu! - Entendu! Et je ferai du bouillon. Et nous festoierons grâce à tes carottes », dit Commère Tortue, enchantée. Ce soir-là, donc, Jeannot Lapin chaussa ses plus gros souliers et y attacha les énormes semelles. Quelles immenses empreintes s'apercevaient dans la neige! On eût dit celles de Compère Ours! Il s'en fut chez Compère Renard et tout doux, tout doucement, entra dans l'appentis. Il fourra les carottes dans son sac, mais le renard en avait déjà mangé, aussi le sac n'était-il guère plein. « Eh bien, se dit Jeannot Lapin, j'irai maintenant chez Compère Ours chercher quelques navets! Il me les doit bien. » II gravit la colline qui conduisait au logis de Compère Ours, laissant toujours derrière lui d'énormes empreintes. Parvenu chez son ennemi, il acheva d'emplir son sac avec les navets. Puis il redescendit, épanoui. Quel bon tour il venait de jouer aux deux filous ! Le lendemain matin, Compère Renard verrait sur la neige de grosses empreintes qu'il pourrait suivre jusqu'à la maison de la colline où logeait Compère Ours! Ah! si seulement lui, Jeannot Lapin, pouvait assister avec Commère Tortue à la rencontre des deux larrons! Devant la porte de Compère Renard, Jeannot Lapin se défit des semelles de carton

et rentra chez lui en ayant soin de marcher dans les grosses empreintes, afin de ne laisser nul indice de son passage! Allons! quelle satisfaction il aurait à savourer une bonne soupe aux carottes bien chaude! Commère Tortue rit de bon cœur en entendant son ami lui raconter ses hauts faits. Tous deux émincèrent les carottes et les jetèrent dans le bouillon préparé par Commère Tortue.

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« Hum! Quelle odeur délicieuse, s'exclama l'hôte! Quelle soupe exquise! » Le lendemain matin, Jeannot Lapin s'en fut promener du côté de chez Compère Renard qu'il trouva fou de rage. « Sais-tu ce qui m'arrive? hurla-t-il debout devant son appentis vide. Ce coquin de Compère Ours est venu cette nuit me voler ma provision de carottes! Regarde! Voici l'empreinte de ses énormes pattes! Ah! il ne perd rien pour attendre! Rira bien qui rira le dernier! — Le voici qui descend la colline, dit Jeannot Lapin, se réfugiant d'un bond derrière un arbre. Eh! Ho là là! Je ne l'ai jamais vu si furieux! Ecoute-le donc! Comme il grogne! » Compère Ours dévalait la colline à toute allure, faisant sur la neige des empreintes toutes semblables à celles qu'avait laissées Jeannot Lapin la veille au soir. « Où est Compère Renard ? Où est ce voleur? rageait-il. Ne lui avais-je pas donné mes carottes en échange de ses vieux navets tout moisis? Et le voilà revenu cette nuit me chiper la moitié de mes navets? Ah! quand je l'attraperai! » Compère Renard hurlait lui aussi. « Compère Ours, tu as eu le toupet de venir me dérober mes carottes! Ne t'avais-je pas donné mes navets en échange? Brigand! J'ai vu tes

empreintes! J'ai compris qui était mon voleur. » Là-dessus, ils se jetèrent l'un sur l'autre, tandis que Jeannot Lapin sautait de joie derrière son arbre en les regardant se battre avec tant d'énergie. Pif! Paf! Boum! Brou! « C'est bien fait pour eux, se dit-il. Ah ! ils ne reviendront pas de sitôt me dévaliser! Vasy, Compère Ours. Voici un coup bien assené, Compère Renard! Eh bien, quelle tempête de neige ! C'est à peine si je peux vous voir avec toute cette neige qui tourbillonne autour de moi ! Votre combat fini, je pourrais vous inviter à dîner — mais je n'en ferai rien, J'AI LA MEILLEURE SOUPE AUX CAROTTES DU MONDE!» A ces mots, les combattants cessèrent la lutte. « Une soupe aux carottes? Où diable as-tu trouvé des carottes? s'écria Compère Ours. Ton appentis est vide! — Il est à nouveau bien garni, mais j'y ai mis un bon cadenas maintenant, Compère Ours, hurla Jeannot Lapin. Oh! Oh! Que ma soupe aux carottes est donc DÉLICIEUSE! Au revoir! » Et il s'enfuit à toute allure, faisant gicler la neige, et riant si fort que les petits moineaux s'envolèrent épouvantés. Pauvre Compère Renard ! Pauvre Compère Ours ! Mais certes, ils méritaient une bonne leçon, n'est-ce pas?

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Les Cinq se trouvaient à la villa des Mouettes pour y passer quelques jours de vacances. Filles et garçons se réjouissaient d'être ensemble encore une fois. « II arrive bien rarement que nos vacances coïncident et que nous puissions les passer ensemble ! dit Annie. Et quelle chance que le temps soit si beau au début de novembre! — Quatre jours de liberté! s'exclama Claude. A quoi allons-nous les employer? — Nous prendrons des bains de mer! dirent ensemble François et son frère Mick. — Que dites-vous? s'écria leur tante, horrifiée. Vous baigner en novembre? Avezvous perdu la tête ? Je ne te le permettrai pas, François, entends-tu? — C'est bon ! c'est bon ! répliqua François, souriant d'une oreille à l'autre. Ne te tourmente pas, tante Cécile. — Si nous allions jusqu'au sommet de la colline des Quatre-Vents? proposa Michel. C'est une magnifique promenade! Nous trouverons peut-être encore des mûres et des

noisettes... Rien ne me plaît autant qu'une grande promenade. — Ouah ! » fit Dagobert, mettant une patte sur le genou de Mick. Il entendait toujours avec joie ce mot magique : " Promenade! " « Allons-y! dit Annie. Tante Cécile, si nous faisions un pique-nique? Mais nous allons te donner un surcroît de travail! — Pas du tout, si vous m'aidez, dit sa tante, se levant de son fauteuil. Venez avec moi! Nous tâcherons de vous préparer un déjeuner froid! Mais rappelez-vous que la nuit tombe vite en cette saison. Les Cinq se mirent en route une demi-heure plus tard. François portait un sac à dos contenant sandwiches et gâteaux. Mick avait pris un panier pour rapporter son éventuelle récolte. Sa tante lui avait promis une tarte aux mûres s'il en trouvait. Dagobert ne se tenait pas de joie. Il trottait de-ci de-là, flairant et aboyant. Il découvrit un hérisson roulé en boule dans le creux d'un talus.

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« N'y touche pas ! cria Claude. Tu devrais avoir appris à tes dépens que tu ne dois pas tourmenter les hérissons! Ne le réveille pas! Il a l'intention de dormir tout l'hiver! — Quelle belle journée ! dit Annie. Et au début de novembre encore! Les arbres ont encore leurs feuilles. Et quelles couleurs ! Des rouges, des jaunes, des bruns! Et les hêtres ont l'air d'être en or... — Voici des mûres! dit Michel apercevant un buisson dont les branches traînantes étaient encore chargées de fruits noirs. Goûtez-les! Elles sont douces comme du miel! » A la vue des mûres, les Cinq ralentirent le pas. Les baies étaient énormes et délicieuses!

« N’y touche pas ! » cria Claude. « Elles vous fondent dans la bouche, dit Claude. Tiens, goûte à celle-ci, Dagobert. » Mais Dago, écœuré, cracha la mûre. « Tu as oublié tes bonnes manières, Dagobert », fit Michel. Le chien remua la queue, tout en gambadant joyeusement. Les Cinq se remirent en marche, sans se presser. Ils découvrirent un bouquet de noisetiers et emplirent le panier des noisettes qui jonchaient le sol. Deux écureuils, perchés dans un arbre voisin, manifestèrent leur désapprobation par des cris aigus. Les noisetiers étaient leur domaine! « Vous pouvez bien nous offrir quelques-unes de vos noisettes ! leur cria Annie. Je suis sûre que vous en avez déjà enterré des centaines pour vos provisions d'hiver! »

Ils déjeunèrent au sommet de la colline des Quatre-Vents. Il y soufflait un vent assez fort, aussi s'abritèrent-ils derrière une grosse touffe de genêts. « Nous serons au soleil ici, et nous ne risquerons pas de prendre froid, dit François. Etale la nappe pour le déjeuner, Annie! — Je meurs de faim, déclara Claude. Tu es sûr qu'il n'est qu'une heure, François? Cela m'étonne. — C'est pourtant l'heure qu'indiqué ma montre, répliqua-t-il, prenant un sandwich. Ah! ah! jambon et laitue! C'est ce que je préfère! Va-t'en, Dago! Je ne peux pas déjeuner pendant que tu essaies de grignoter mon sandwich! » La vue était splendide du haut de la colline. Tout en déjeunant, les quatre enfants contemplaient la vallée qui s'étendait à leurs pieds. Une petite ville s'y blottissait douillettement, abritée par la colline. Des fumées montaient paresseusement des cheminées. « Regardez! Voici un train en marche, là-bas, tout là-bas, dit Claude. On dirait un jouet! — Va-t-il s'arrêter à la gare? demanda François. Oui, il s'y arrête. Vraiment, il ressemble à un jouet! — Il repart maintenant en direction de Kernach, je suppose, dit Michel. Y a-t-il encore des sandwiches ? Quoi ? Il n'en reste plus? Quel dommage! Alors, donne-moi un morceau de gâteau, Annie. » Ils bavardèrent, nonchalants, heureux de se retrouver tous ensemble. Dagobert allait de l'un à l'autre, attrapant une friandise ici, un bout de jambon ailleurs. « II me semble apercevoir un autre petit bois de noisetiers, de l'autre côté de la colline, dit Claude. Allons voir si nous y trouvons des noisettes. Il sera temps ensuite de rentrer. Le soleil est bien bas, François! - Oui, et c'est d'autant plus étrange qu'il. n'est guère que deux heures », répondit François regardant le rouge soleil de novembre, à peine au-dessus dé la ligne d'horizon. « Dépêchons-nous! Cherchons encore quelques noisettes et rentrons par ce sentier tortueux des falaises que j'aime tant! » A leur grande joie, ils trouvèrent quantité de noisettes dans le petit bois. Dagobert

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« Flûte ! J'ai dû oublier de la remonter ! » fouillait l'herbe de son nez et rapportait des noisettes dans sa gueule. Il les offrait à Claude. « Merci, Dago, disait Claude. Tu es très malin, mais tu le serais encore plus si tu savais distinguer celles qui sont bonnes de celles qui sont creuses ou véreuses! - Dites donc, s'exclama bientôt Michel, le soleil s'est couché! Il fait presque nuit. François, es-tu sûr que ta montre est bien réglée ? » François regarda sa montre. « Elle marque toujours deux heures! dit-il surpris. Flûte! j'ai dû oublier de la remonter. Elle est complètement arrêtée! - C'est malin, s'écria Michel. Rien d'étonnant à ce que Claude ait trouvé le temps long avant le déjeuner! Nous n'arriverons jamais à la maison avant la nuit, et nous n'avons pas de lampes de poche. - Le sentier de la falaise est dangereux le soir, dit Annie. Nous risquerions de tomber dans la mer. - Partons tout de suite, ordonna François. Je suis désolé! Je n'avais aucune idée que ma montre était détraquée. — Savez-vous ce que nous devrions faire? dit Claude. Si nous descendions le sentier qui conduit à la ville? Là, nous prendrions le train jusqu'à Kernach? Si nous rentrons tard, maman s'inquiétera et téléphonera à la gendarmerie. - Tu as une bonne idée, Claude, dit François. Vite! Descendons le sentier pendant qu'on y voit encore un peu! Il nous mènera tout droit en ville ! » Les Cinq se mirent à courir et arrivèrent en ville à la nuit. Mais qu'importait? Tous

les réverbères étaient allumés. Ils se dirigèrent vers la gare, descendant la grand'rue au petit trot. « Regarde l'affiche du cinéma, dit Annie. On joue Robin des Bois! Mais regarde donc ! - Que se passe-t-il dans la grande salle, de l'autre côté? demanda Claude. Dagobert, ici! Oh! il traverse la route! Ici, Dago! » Mais Dagobert escaladait le perron de l'hôtel de ville. François se mit à rire. . « II y a une exposition canine à la mairie et Dago entend concourir! - Il a senti l'odeur des chiens, dit Claude, agacée. Allons vite le rechercher ou nous manquerons le train. » Les murs de la mairie se paraient d'affiches montrant des chiens de toutes les races. François s'arrêta pour les regarder tandis que Claude se mettait en quête de Dagobert. « II y a là des chiens de grande valeur, ditil. Certains sont superbes! Regarde la photographie de ce caniche blanc! Ah! voici Dago, il a l'oreille basse. Il comprend qu'il n'aurait pas le moindre prix de beauté. Si l'on donnait des prix d'intelligence, ce serait une autre affaire! — C'est cette odeur canine qui lui a donné envie d'aller voir ce qui se passait, dit Claude. Il était furieux qu'on eût refusé de le laisser entrer! - Vite! Partons! J'entends le sifflet du train », dit Michel. Ils galopèrent jusqu'à la gare, heureusement proche. L'employé donnait un coup de sifflet et agitait son drapeau lorsque les enfants se précipitèrent sur le quai. Michel ouvrit la portière du dernier compartiment et ils s'y entassèrent tous, haletants. «Nous l'avons eu de justesse, lança Michel, se laissant tomber sur la banquette. Fais donc attention, Dago! Un peu plus, et tu me jetais par terre! » Les quatre enfants ayant repris leur souffle, examinèrent le compartiment. Il n'était pas vide, comme ils l'avaient cru tout d'abord. Deux autres personnes occupaient les coins près de la fenêtre, un homme et une femme. Ils regardèrent les nouveaux venus d'un air mécontent. « Excusez-nous! dit Annie, s'apercevant

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Ils s'entassèrent dans le compartiment, haletants.

que la femme portait une sorte de paquet enveloppé d'un châle. J'espère que nous n'avons pas réveillé votre bébé! Nous avons eu notre train de justesse! » La femme berça dans ses bras la petite créature invisible, tout en chantonnant, et rajusta le châle, assez malpropre, ainsi que le remarqua Annie. La tête même du bébé était invisible. « Elle va bien? demanda l'homme. Couvrela mieux encore, il fait froid dans ce train. » « Là! là! là! » chantonna la femme, resserrant encore le châle. Les enfants, se désintéressant du groupe, se mirent à bavarder. Dagobert, immobile à côté de Claude, s'ennuyait. Tout à coup il se mit à renifler et se dirigea vers la femme. Il sauta sur la banquette auprès d'elle et lança des coups de patte vers le châle. La femme poussa des cris perçants et l'homme grogna : « En voilà assez! Descends de là! A bas les pattes! Eh! dites donc, les gosses, occupezvous de votre gros chien! Il va donner des convulsions au bébé! — Ici, Dagobert », ordonna Claude, surprise de le voir s'intéresser à un bébé. Le chien gémit, se dirigea vers sa jeune maîtresse sans cesser de regarder la femme. Un petit cri lamentable sortit du châle, et la femme fronça les sourcils. « Là, vous l'avez réveillé », dit-elle, et elle se mit à parler à l'homme d'une voix dure et discordante. Que Dagobert était donc désobéissant! Avant que Claude eût pu intervenir, il sauta

sur la banquette, geignant et lançant des coups de patte à la femme. L'homme bondit de son siège, furieux. « Ne frappez pas mon chien, ne le frappez pas, ou il mordra », cria Claude. Heureusement le train s'arrêtait dans une gare. « Changeons de voiture », dit Annie, ouvrant la portière. Les quatre enfants descendirent, suivis d'un Dagobert récalcitrant. Ils allèrent s'installer dans un wagon de tête. Claude fit les gros yeux à son chien. « Qu'est-ce qui t'a pris, Dago? dit-elle. Jusqu'à présent, les bébés ne t'ont jamais intéressé? Couche-toi et ne bouge plus! » Surpris de la voix mécontente de Claude, Dagobert se faufila sous la banquette et n'en bougea plus. Le train s'arrêta à une petite halte où plusieurs personnes descendirent. « C'est la halte des Genêts, dit Michel, jetant un coup d'œil au-dehors. Tiens! l'homme, la femme et le bébé sont sur le quai! Je n'aimerais pas beaucoup avoir un père et une mère de ce genre-là! - Il fait nuit noire maintenant, dit Claude. Quelle chance que nous ayons pu attraper le train! Maman doit commencer à s'inquiéter... » Qu'il était donc agréable de se retrouver dans le salon confortable de la villa des Mouettes, de dévorer un énorme goûter et de raconter les incidents de la promenade à la mère de Claude qui avait été ravie des noisettes et des mûres. Les enfants parlèrent aussi, bien sûr, des voyageurs désagréables et de l'étrange comportement de Dagobert. « II s'est bien mal conduit aussi avant, dit Annie. Tante Cécile, il y avait une exposition canine à Guennolé, je suppose que Dagobert « C'est la halte des Genêts », dit Michel.

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a lu les affiches et a eu envie de concourir, car il a traversé la rue comme une flèche et s'est précipité dans l'hôtel de ville où avait lieu l'exposition! — Vraiment? dit sa tante en riant. Eh bien! il a peut-être voulu retrouver le merveilleux petit pékinois blanc qui y a été volé aujourd'hui! Mme Charpentier m'a téléphoné tout à l'heure pour m'apprendre la nouvelle. Cela fait toute une histoire! Le petit chien qui vaut une très grosse somme était blotti dans sa corbeille, une seconde après il en avait disparu! Personne n'a été témoin du vol, et bien qu'on ait fouillé la mairie de fond en comble, on n'en a pas trouvé la moindre trace! — Par exemple, en voilà un mystère ! dit Annie. Comment quelqu'un a-t-il pu s'emparer d'un chien sans être vu? — C'est bien facile, riposta Michel. Enveloppe-le dans un manteau ou fourre-le dans un panier à provisions, rabats le couvercle, faufile-toi dans la foule, et personne ne soupçonne rien. - Ou emmitoufle-le dans un châle, fais semblant de porter un bébé, comme celui du train qui se trouvait dans le fichu malpropre, et le tour est joué! dit Annie. Mais dites donc, nous avons pensé qu'il s'agissait d'un bébé! Cela aurait pu être un chien, un chat, ou un singe! Nous n'avons pas vu sa tête! » II y eut un silence. Tous dévisageaient Annie et réfléchissaient. François donna sur la table un grand coup qui fit sursauter toute la famille. « II peut y avoir du vrai dans ce que tu viens de dire, Annie, s'exclama-t-il. Cela vaut la peine d'y penser! Quelqu'un a-t-il aperçu le visage du bébé, ou ses cheveux? Réponds, Annie, tu étais assise tout près de lui. - Non, dit Annie surprise, non! J'ai essayé de l'apercevoir, parce que j'aime bien les bébés, mais le châle lui recouvrait complètement la tête. - J'y pense ! Vous vous rappelez comme Dagobert était intéressé? dit Claude au comble de l'émotion. Il ne prête nullement attention aux tout petits, mais il ne cessait de sauter et de lancer des coups de patte sur le châle! — Et vous rappelez-vous la façon dont le bébé geignait?

C'était plutôt le gémissement d'un chiot que celui d'un enfant! Rien d'étonnant à ce que Dagobert ait été aussi excité! L'odeur qu'il sentait l'avait renseigné! Il savait qu'il s'agissait d'un chien! — Voilà qui est passionnant! dit François, se levant. Si nous allions à la halte des Genêts pour faire une enquête dans ce petit village ? — Non, dit tante Cécile, d'un ton ferme. Je ne le permettrai pas. Il fait noir comme dans un four, dehors, et vous ne passerez pas ces quelques jours de vacances à rechercher des voleurs!

« Tiens! l'homme, la femme et le bébé sont sur le quai!» — Oh ! voyons ! dit François, affreusement déçu. — Téléphone à la gendarmerie! suggéra sa tante. Raconte ton histoire. Les gendarmes découvriront vite la vérité. Ils savent quels gens ont des bébés aux Genêts. — C'est bien », fit François, désolé de renoncer à une aventure. Il se dirigea vers le téléphone, maussade. Quel dommage que tante Cécile leur interdise d'aller aux Genêts ce soir-là! C'eût été si amusant! Les gendarmes manifestèrent un grand intérêt et posèrent de nombreuses questions. François donna toutes les précisions demandées pendant que toute la famille l'écoutait avec la plus grande attention. Enfin il reposa le récepteur et se tourna vers ses auditeurs, ayant repris toute sa gaieté. « Ils ont été très contents de ces renseignements! dit-il. Ils partent pour les Genêts à l'instant dans une voiture de police. Ils nous tiendront au courant. Tante Cécile, nous ne

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pourrons pas aller nous coucher avant de savoir ce qui s'est passé! — Sûrement pas ! s'écrièrent les autres enfants, et Dagobert fut de leur avis, aboyant et sautant frénétiquement. — Très bien, dit tante Cécile en souriant. Quels enfants extraordinaires vous êtes! Vous ne pouvez pas aller en promenade sans qu'il ne vous arrive des aventures! Jouons aux cartes en attendant d'avoir des nouvelles. » Ils y jouèrent donc, mais ils ne cessaient de tendre l'oreille, guettant la sonnerie du téléphone. Ils attendirent en vain. « C'est une fausse piste, je suppose, dit Mick d'un ton lugubre. Nous nous sommes trompés! » Mais soudain Dagobert courut vers la porte en aboyant. « Voici quelqu'un, s'écria Claude. Ecoutez! Une voiture! » Ils dressèrent l'oreille et entendirent une voiture qui s'arrêtait devant la grille. Puis des pas montèrent l'allée, et la sonnette de la porte d'entrée tinta. Claude, d'un bond, quitta le salon et ouvrit la porte. « Ce sont les gendarmes, cria-t-elle. Entrez, entrez donc », dit-elle ensuite aux nouveaux venus. Un brigadier corpulent pénétra dans le vestibule, suivi d'un subordonné qui portait un paquet recouvert d'un châle. Dagobert sauta en gémissant vers son fardeau. « Ce n'était donc pas un bébé! » s'écria Annie. Le gendarme sourit en secouant la tête. Il défit le châle et apparut, profondément endormi, un adorable petit pékinois. « Oh! quel amour! s'écria Annie. Éveilletoi, mon petit chou! - Il a été drogué, dit le gendarme. Je suppose que ses ravisseurs ont eu peur qu'il ne gémisse la nuit et ne les trahisse! — Dites-nous ce qui s'est passé, supplia Michel. A bas les pattes, Dagobert! Claude, ton chien est par trop excité. Il veut jouer avec le pékinois! — Après avoir reçu votre coup de téléphone, dit le brigadier, nous nous sommes rendus à la halte des Genêts.

Il défit le châle. Le porteur nous a informés que quatre personnes étaient descendues du train, dont un couple. La femme portait un bébé. Il nous a donné leur nom et leur adresse : aussi sommesnous allés à leur petite maison... - Ouah!» interrompit Dagobert, essayant une fois de plus d'attraper le minuscule animal; mais personne ne lui prêta la moindre attention. « Nous avons regardé par la fenêtre de derrière, continua le brigadier, et nous avons aussitôt découvert ce que nous cherchions! La femme faisait boire du lait au chien, et elle devait y avoir mis un soporifique, parce que la petite bête s'est endormie tout de suite. — Aussi, nous sommes entrés, dit le second gendarme, souriant à la ronde. Le couple a été si épouvanté qu'il a avoué tout de suite. Ces gens-là avaient reçu de l'argent pour voler le chien. Ils ont donc pris le châle de leur propre bébé; en ont enveloppé un coussin, et ont volé le chien sans la moindre difficulté pendant que le jury attribuait le

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prix des bergers allemands! Ils ont emmailloté le chiot dans le châle, comme vous le pensiez, et sont rentrés chez eux par le train... - Oh! que j'aurais aimé vous accompagner au village! dit François. Savez-vous qui avait donné l'ordre à ces gens-là de voler le petit chien? - Oui! Et nous allons de ce pas aller trouver cette personne! Elle sera bien surprise de nous voir, dit le gros brigadier. Nous avons fait savoir à la propriétaire du pékinois que nous avions retrouvé son chien, mais cette dame a été si bouleversée par toute cette histoire, qu'elle ne se sent pas la force de venir le rechercher ce soir. Alors, nous vous demandons si vous ne voudriez pas le garder cette nuit? — Oui ! oui ! s'écria Claude, enchantée. Oh ! maman, je le prendrai dans ma chambre et Dagobert pourra veiller sur lui. « Nous avons regardé par la fenêtre de derrière. »

— Eh bien, si votre maman ne s'oppose pas à ce que vous ayez deux chiens dans votre chambre, tout est pour le mieux! » dit le brigadier, faisant signe à son subordonné de donner le chien enveloppé dans son châle à une Claude rayonnante de joie. Elle le prit avec précaution et Dago se remit à bondir. « Non, Dago! Attention! dit-elle. Vois donc, ce n'est pas un bébé! » Dagobert regarda le petit pékinois endormi, et très doucement le lécha du bout de sa langue rosé. Mais oui, c'était le minuscule chien qu'il avait senti dans le train, tout enveloppé d'un châle! Dagobert, lui, avait deviné la vérité du premier coup! « Je ne sais pas comment tu t'appelles, dit Mick, caressant la petite tête soyeuse du chiot. Mais j'ai bonne envie de te nommer " Le Rescapé du train de Kernach! " Le malheur, c'est que je ne sais pas traduire ce nom en chinois ! » Les deux gendarmes éclatèrent de rire. « Allons! Bonsoir, Madame! Bonsoir les enfants! dit le brigadier. Mme Charpentier, la propriétaire du chien, viendra le chercher demain matin. Son pékinois a remporté aujourd'hui un premier prix ! Aussi, je suppose qu'elle vous donnera une belle récompense! Bonne nuit! » Les Cinq, bien sûr, ne voulaient point de récompense, niais Dagobert en eut une pour avoir veillé le petit pékinois toute la nuit. Il la porte maintenant autour du cou : c'est le plus beau collier clouté qu'il ait jamais eu de sa vie! Ce bon vieux Dagobert!

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AIDEZ-MOI

M. PAPILLON Voici encore M. Papillon, cet homme si serviable, gui secourt les infortunés et les victimes de l'injustice. Il vient ici à l'aide de Marc Bréan. «Monsieur Papillon! Monsieur! dit Ramonât, le chat, entrant dans la pièce où son maître faisait un petit somme. Auriez-vous l'obligeance de vous réveiller juste une minute? — Eh ? Eh ? Ma parole ! Étais-je endormi ? dit M. Papillon, se réveillant en sursaut. Qu'y a-t-il, Ramonât? Un visiteur? - Eh bien, il y a ici un petit garçon qui paraît avoir besoin de votre aide. Mais il est si timide que je ne comprends rien de ce qu'il dit! Introduis-le », dit M. Papillon. Ramonât sortit de la pièce en courant et s'en fut jusqu'à la grille où se trouvait un petit bonhomme d'environ neuf ans, jetant des coups d'œil inquiets vers la maison. « Entrez, entrez, dit Ramonât. Et tâchez de vous exprimer de façon intelligible, ou vous ferez perdre son temps à mon maître! » L'enfant suivit Ramonât dans la petite maison. Il rougit de plaisir à la vue de M. Papillon. Oui, c'était vraiment M. Papillon, en chair et en os! M. Papillon aux oreilles pointues, aux yeux verts et au large sourire. « Eh ! bonjour, mon garçon, dit M. Papillon. De quoi s'agit-il? Il paraît que tu veux me voir? »

L'enfant fit " oui " de la tête^ mais ne souffla mot. « Assieds-toi, dit M. Papillon, et maintenant, parle-moi de tes ennuis. — S'il... s'il... s'il vous plaît, ai... ai... aidez-m... m... moi, dit le petit, bégayant. - Mais oui, dit M. Papillon. Qu'y a-t-il? Qu'est-ce qui te tourmente? , — G'... c'... c'est que je bé... hé... bégaie, dit le garçon, nerveux. Je ne p... p... peux pas m'en empêcher! Et tout le m... monde se m... moque de moi, et a... alors, je bé... bégaie de plus en plus. Et ma m... m... ma... maman se fâche, et je bé... bé... bégaie sans cesse ! — Ce n'est pas de chance, dit M. Papillon. Mais ne t'énerve pas en ma présence. Tu seras content d'apprendre que je peux te guérir très facilement de ton bégaiement. - Le p... p... pou... pouvez-vous? dit l'enfant abasourdi. Comment t'appelles-tu? dit M. Papillon. Où habites-tu? Je vais t'envoyer un remède très efficace. — Je m'... m'... m'appelle M... M... Marc, B... B... Bréan, dit le garçon, montrant un visage rayonnant. — Un nom bien gênant à prononcer pour une personne qui bégaie, dit M. Papillon, avec un clin d'œil malicieux. Je t'ai dit de ne pas t'énerver avec moi! Respire profondément et redis ton nom, bien lentement! — Marc Bréan, dit le petit. Qu'est-ce que v... v... vous allez m'envoyer, monsieur?

« Eh ! bonjour, mon garçon », dit M. Papillon.

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Il choisit un chiot bien dodu, au poil soyeux, aux oreilles tombantes et aux yeux qui eussent attendri un cœur de pierre ! Ce même soir, M. Papillon porta le petit épagneul chez Marc et le confia à sa maman. Celle-ci avait préparé une petite corbeille ronde et y avait placé une couverture bien douce et bien chaude. Elle était fort reconnaissante Il téléphona à la maman de Marc. — Ah ! une créature vivante ! dit M. Papillon, refermant le carnet où il avait inscrit le nom et l'adresse de Marc. Un être qui voudra comprendre chacune de tes paroles, qui ne se moquera jamais de toi, qui désirera que tu lui parles sans cesse et de façon si intelligible qu'il puisse obéir au moindre de tes ordres. — Est-ce un être magique? demanda Marc, si surpris qu'il oublia de bégayer. — Tu verras, dit M. Papillon, et maintenant, file! Je veux que tu reviennes me voir dans un mois, et que tu me rapportes le présent que je vais te donner, afin que je puisse me rendre compte si tout est pour le mieux! » Marc s'en alla, à la fois ravi et intrigué. Qu'avait voulu dire M. Papillon? Oh! que cet homme était donc bon! Que ses yeux scintillaient ! Que sa voix était joyeuse ! Oui, il était sûr que M. Papillon le guérirait de son bégaiement, sans gronderies, sans moqueries, sans longs exercices. M. Papillon, Marc une fois sorti, téléphona tout de suite à la maman de l'enfant. Elle fut surprise lorsqu'il lui eut dit son nom, et plus encore d'apprendre que Marc était allé le voir. « II se tourmente tant au sujet de son bégaiement, dit M. Papillon. Je puis l'en guérir, si vous m'autorisez à lui envoyer un cadeau. » II lui expliqua quel genre de cadeau il voulait offrir à Marc. La maman promit de le transmettre à son fils immédiatement, bien qu'elle fût incapable de comprendre comment un tel présent pourrait aider Marc à vaincre son bégaiement. M. Papillon s'en fut ensuite à une ferme voisine, et demanda à voir les chiots de Floppy, la belle épagneule dorée. Qu'ils étaient jolis à voir dans leur corbeille, jappant, se tortillant de-ci de-là! M. Papillon désirait vivement en acheter un pour lui-même, mais il savait que Ramonât, son chat, serait furieux.

Maman avait des noix dorées. Elle me donna les coquilles. Je vais en faire des voiliers. J'en aurai toute une flottille !

Des allumettes me suffisent. Les voiles sont de papier blanc. J'ai toute une flotte à présent Grâce à ces coquilles de noix !

Mes bateaux sont dans la cuvette. Je souffle, et voici la tempête ! Ah! si je pouvais embarquer, Et en pleine mer naviguer !

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naissante, mais avec quelle curiosité elle examina les oreilles pointues de M. Papillon, qui apparaissaient sous son chapeau haut de forme! Quel étrange petit bonhomme! Et que son visage était empreint de bonté! « Ce petit chien ne pourra corriger Marc de son bégaiement, bien sûr, dit-elle. Mais que c'est donc gentil de le lui donner! Je crains fort, hélas, que vous ne puissiez vous-même le débarrasser de ce défaut! Nous avons tout essayé, et sans le moindre résultat. - N'importe! Donnez ce chiot à Marc, et dites-lui qu'il s'appelle Bonny! - Oh, mon Dieu! il ne pourra jamais prononcer ce nom-là! dit Mme Bréan. Le « B » est une des lettres qu'il ne parvient pas à dire sans s'y reprendre à plusieurs fois. — Le chien s'appelle Bonny, dit M. Papillon d'un ton ferme. En aucun cas, il ne faut lui choisir un autre nom. Dites à Marc qu'il doit dresser son chien convenablement, ou je reprendrai l'animal à la fin du mois. Il doit lui enseigner le sens de beaucoup d'ordres : Assis ! Couche-toi ! Tais-toi ! A bas les pattes ! Suis-moi ! Je désire que Bonny obéisse à tous ces ordres d'ici un mois. Et je vous prierai de donner cette lettre à Marc. - Oh! monsieur, il ne pourra jamais dire un seul de ces mots sans bégayer, dit Mme Bréan. C'est impossible! » M. Papillon souleva son chapeau, fit ses adieux et partit. Il se demandait que dirait Marc à la vue du chiot. Tout doucement, Mme Bréan monta l'escalier, portant Bonny dans sa corbeille. Le petit animal dormait profondément. Elle posa sans bruit la corbeille dans la chambre de Marc et sortit. L'enfant, lui aussi, était plongé dans le sommeil et ne bougea point. Bonny dormit paisiblement. Mais au milieu de la nuit il s'éveilla, cherchant sa mère. Où était-elle ? Il ne pouvait ni la toucher, ni la flairer. Il se sentit affreusement seul. Il s'assit dans sa corbeille et se mit à geindre. Marc se réveilla tout de suite et se dressa dans son lit. Quel était ce bruit? Il dressa l'oreille, surpris au plus haut point. On eût dit le gémissement d'un chien! Il alluma sa lampe de chevet et, tout de suite, il aperçut le minuscule épagneul assis tristement dans sa corbeille, appelant sa maman. « Oh! dit Marc, je rêve! Il n'y a pas de doute, je rêve! »

II bondit hors du lit et se pencha sur le chiot. Le petit animal se blottit contre lui, geignant encore. Alors Marc vit une grande enveloppe blanche dans la corbeille et s'en saisit. « De la part de M. Papillon, pour Marc », lut-il sur l'enveloppe qu'il se hâta d'ouvrir. « Voici le remède que je te prescris pour ton bégaiement, Marc, disait la note. Il faut que Bonny comprenne nettement chacun des mots que tu prononceras. Il ne bégaie pas! Enseigne-lui tout ce qu'un chien doit savoir. Ta maman te transmettra mes ordres. Avec toute l'affection de M. Papillon. » Marc, ayant lu ce billet, regarda longuement le minuscule chiot. Il le berça dans ses bras, le câlina, et posa le menton sur la tête douce du petit chien. « Bonny, dit-il tendrement. Tu es Bonny. Que ce nom te va bien ! Voici donc le présent de M. Papillon! » Le chiot gémit et se blottit plus près encore de l'enfant. Il éprouvait de l'affection pour ce garçon sympathique, amical et bienveillant. C'était l'espèce d'enfant que tous les chiens aiment. « Je ne peux pas te laisser dormir tout seul dans ta corbeille, cette première nuit, dit Marc. Tu vas coucher avec moi dans mon lit. J'espère que maman ne sera pas fâchée!

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« Tu verras », M. Papillon.

dit

« Oh! permets-moi de la prendre dans mes bras, Marc! »

Je ne le ferai plus jamais! » II caressa encore le petit chien, admirant son poil doux et soyeux et ses belles oreilles. «Je n'ai pas bégayé une seule fois, n'est-ce pas? dit-il. Tu ne m'en voudrais pas, mais tu serais bien étonné si je t'appelais B... b... b... Bonny, dis? Tu aurais même peut-être peur? Tu ne te moqueras pas de moi, tu ne seras pas fâché contre moi! Tu seras mon ami, et je serai le tien. Si seulement je pouvais dire à M. Papillon combien je suis heureux. » Marc était si content le jour suivant qu'il avait peine à cesser de chanter et de siffler. Bonny le suivait comme son ombre. Toute la maisonnée raffolait de la minuscule créature, surtout Janine, la sœur de Marc, véritable garçon manqué. « Oh ! permets-moi de le prendre dans mes bras, Marc, je t'en prie, dit-elle. - N... n... n... non, dit Marc se remettant à bégayer. - Là! tu recommences, dit Janine.

Et pourtant, lorsque tu parles à Bonny, tu parles comme tout le monde! Donc, tu peux t'empêcher de bégayer! — Je ne le p... p... peux pas quand je p... p... parle à des p... p... personnes telles que toi, qui se m... m... moquent de moi, répliqua Marc. Je n'ai pas peur que B... Bonny rie de moi! — Ecoute, Marc. Si tu me prêtes Bonny de temps en temps, je te donnerai ma parole d'honneur de ne plus jamais me moquer de toi, dit Janine. Je ne t'imiterai pas non plus. Plus jamais! — Entendu, alors. G... cela m'aidera à me corriger, dit Marc.

Il racontait à Bonny tout ce qui s'était passé en classe. - Bonny, je te présente ma sœur! Elle t'aimera beaucoup elle aussi ». Chose surprenante, Marc ne bégayait jamais lorsqu'il parlait à Bonny. Il se mit vite à le dresser. Tout d'abord, le garçon se demandait s'il arriverait à prononcer les ordres correctement. Pourrait-il dire : « A bas les pattes ! A bas les pattes! » sans bégayer? Mais il ne se tourmentait pas trop à ce sujet. M. Papillon devait avoir raison, une fois de plus. Marc se rappelait que M. Papillon lui avait recommandé de beaucoup parler au chiot afin que celui-ci comprît toutes les paroles de son petit maître. Aussi, dès son retour de l'école, l'enfant appelait Bonny, l'emmenait dans la salle de jeux, jouait avec lui et lui parlait sans cesse. Il racontait au chien tout ce qui s'était passé en classe. Il lui apprit à jouer à la balle et ne cessait de lui conter par le menu sa visite à M. Papillon. Sa mère l'entendit un jour converser ainsi, et passa la tête par la porte pour écouter.

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Quelle ne fut pas sa surprise! Marc n'avait pas bégayé une seule fois ! Mais lorsque Marc aperçut sa mère, il se mit immédiatement à bredouiller. « Oh ! M... m... maman, tu m'as fait s... sur... sursauter ! — Je le regrette, Marc, dit sa maman. Je t'ai écouté parler à Bonny, et tu n'as pas du tout bégayé! Je lé sais! dit Marc. Mon bégaiement ne l'agacerait pas, mais pourrait le déconcerter. Et puis, quand je suis avec lui, j'oublie que je bégaie! Il est mon ami. Je sais qu'il ne se moquerait pas de moi. Aussi, je n'hésite pas à parler, je n'ai pas peur, et je ne bredouille pas. Maman, il va me guérir! — J'en suis sûre, dit Mme Bréan. M. Papillon avait raison! Continue à bavarder avec Bonny, Marc. Et bientôt, tu seras si habitué à parler normalement que tu n'auras plus peur de bégayer, même quand tu parleras à des inconnus! » Au bout du mois, Marc était certain de sa guérison. Il avait tant parlé à Bonny, lui avait appris à comprendre tant de mots qu'il n'éprouvait nulle crainte et nulle nervosité. Il s'exprimait aussi bien que Janine, avec autant de rapidité et d'assurance. « C'est un véritable miracle, dit Mme Bréan. - Non. Tout simplement du bon sens, répliqua son mari. J'aimerais faire la connaissance de ce M. Papillon! » Mais Marc alla tout seul revoir l'excellent petit homme, accompagné de Bonny. Le chiot savait déjà suivre son maître et était sage comme une image. « Hé! bonjour! Je suis content de te revoir, lui dit M. Papillon. Eh bien, es-tu guéri ? - Oh! tout à fait! Je ne bégaie plus jamais. Dois-je vous montrer comment j'ai dressé Bonny?

« Oh! m... m... maman. Tu m'as fait s... sur... sursauter ! »

M. Papillon regardait avec attention. — Volontiers, car s'il est mal dressé, je le reprendrai! » Marc donna toute espèce d'ordres au petit Bonny : « Assis ! Couché ! Aboie ! Du calme! Suis-moi! Attention!» M. Papillon regardait avec attention et écoutait. Marc se tourna vers lui, le visage rouge et les yeux brillants. « Voilà, monsieur, dit-il. Je puis le garder, n'est-ce pas? J'aime Bonny. Nous sommes bons amis. Il m'a guéri, tout comme vous me l'aviez promis! — C'est très bien, Marc. Bien sûr, tu peux le garder! Tu le mérites. Laisse-le parfois à Janine! — Oui, dit Marc. Elle m'a aidé aussi, car elle ne s'est plus moquée de moi, dès l'instant où je lui ai permis de le cajoler. Je suis bien guéri, n'est-ce pas? — Il n'y a pas le moindre doute! Tu es même bavard, maintenant! Tu ouvriras toi-même la porte, car Ramonât n'aime pas les chiens. Au revoir! — Au revoir, monsieur. Je vous remercie de tout mon cœur! Et je dirai à tout le monde

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qu'il suffit de parler à un chiot pour ne plus jamais bégayer! »

Mademoiselle Anna et les coiffures de Peaux-Rouges Les enfants des voisins possédaient des costumes et des coiffures de PeauxRouges, et même un merveilleux wigwam qui faisait l'envie de Jeannot et de ses sœurs, Lucie et Jeanne. « Ce sont ces coiffures emplumées que je préfère, dit Jeannot. Ne sont-elles pas ravissantes, mademoiselle Anna ? Je me demande si vous sauriez en faire? — Mais bien sûr, dit Mlle Anna. Puisque vous désirez tant en avoir, je vous en ferai. Rien n'est plus facile! — Oh! quelle chance, s'écrièrent les trois enfants. — Ce que je veux, c'est une coiffure de " brave ", dit Jeannot, vous savez, celle qui a des plumes non seulement tout autour de la tête, mais aussi jusqu'au bas du dos! Mais les filles ne peuvent en porter. Elles sont tout bonnement des squaws. Elles ne peuvent avoir que des bandeaux ornés de plumes ! — Ce n'est pas juste, dit Jeanne immédiatement. — Mais si, répliqua Mlle Anna. Seuls les " braves " ont le droit de porter des plumes au dos. Les squaws ne le peuvent, puisqu'elles ne vont pas au combat. Mais j'espère que Jeannot vous prêtera sa coiffure.

— De quoi avons-nous besoin pour fabriquer nos coiffures? demanda Jeannot. Commençons tout de suite ! Oh ! je voudrais porter la mienne sans tarder! - Il nous faut des plumes, naturellement, dit Mlle Anna. Plus elles seront brillantes, mieux cela vaudra. Je me demande si la cuisinière n'en a pas de faisan? Sinon, nous prendrons des plumes de poule, tout simplement, et nous les teindrons! — Oh, j'ai des quantités de plumes de toutes sortes, dit Jeanne joyeuse. J'en fais collection depuis des années et je n'ai jamais pensé qu'elles seraient si utiles! J'en ai de poule, de canard, de faisan, et même de perroquet! La vieille Mlle Bigot avait un perroquet autrefois, et lorsque Jacquot perdait des plumes, elle me les donnait toutes. — C'est parfait, dit Mlle Anna. Va les chercher! » Jeanne revint bientôt avec une admirable collection de plumes de toutes couleurs et de toutes dimensions. « II nous faut d'abord préparer le bandeau », dit Mlle Anna. Elle trouva des morceaux d'étoffe dont elle fit de longues bandes. Puis elle prit le tour de tête de chaque enfant.

( Voir solution page 203)

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« II nous faut plier en deux chacune de ces bandes, dit-elle. Les plumes seront insérées dans le pli et cousues ensuite.

- Eh bien! tu trieras les plumes et les placeras dans les plis, répondit Mlle Anna. Tu mettras les plus grandes sur le devant, naturellement! Choisis des couleurs vives! Les petites et moi les coudrons ensuite. » Jeannot eut vite fait de trier les plumes les plus belles et les plus grandes et de les placer dans le pli de l'étoffe. Mlle Anna et les fillettes les cousirent alors solidement. Et il n'y eut plus qu'à coudre les extrémités de la bande. « Vous devriez décorer vos coiffures de grands points de broderie et de perles de verre! conseilla Mlle Anna. J'ai vu des perles dans ta boîte qui conviendraient admirablement, Jeanne. Va les chercher! Jeannot, trie d'autres plumes qui compléteront ta coiffure. Il t'en faudra beaucoup, car elles doivent descendre jusqu'au bas du dos. » Mlle Anna coupa une autre bande d'étoffe, beaucoup plus longue que les précédentes, où seraient cousues les plumes. Avec quelle adresse elle cousait chaque plume, et avec quel intérêt les enfants la regardaient! Les petites décorèrent leurs coiffures qui furent bientôt tout étincelantes de perles et de points de broderie! Lucie jeta un coup d'œil au-dehors. « Oh! regardez donc! La pluie a cessé! Oh! vite, sortons dans le jardin! Jouons à être des Peaux-Rouges ! Portons nos coiffures ! Comme nos petits voisins vont être jaloux! Nos coiffures sont cent fois plus belles que les leurs! » Ils sortirent tous en courant, ornés de leurs plumes splendides, et en vérité, ils étaient magnifiques! Ils se mirent à hurler et à

— Mais je ne sais pas coudre! dit Jeannot alarmé.

pousser des cris de guerre si féroces que leur maman regarda par sa fenêtre, toute surprise d'entendre pareil vacarme. « Ah! voici donc pourquoi ils ont été si tranquilles tout l'après-midi, se dit-elle. Eh bien! ils se dédommagent maintenant en criant comme de véritables sauvages!»

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(Voir solution page 203)

L'un des ours n'avait pas encore quitté la cage brisée et se contentait de gronder.

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Les ours sont Quatre amis, Lucette, Denise, Jacques et Henri, ont été enlevés d'une maison où ils passaient leurs vacances en compagnie du prince héritier du royaume de Tauri-Hessia. Emmenés dans ce lointain pays en même temps que le prince, ils sont retenus prisonniers dans un sinistre château. Jacques parvient à se sauver, et recueilli par un cirque ambulant il se lie d'amitié avec Pedro, le garçon de piste. Avec son aide, il fait échapper ses amis qui, à leur tour, entrent dans la troupe du « MondialCircus». Jacques constata bien vite que Pedro faisait un compagnon charmant. Ce n'était qu'un garçon de piste, aux manières assez rudes, mais il avait du tact. Comprenant que Jacques ne désirait pas donner de détails sur son séjour en Tauri-Hessia et devinant qu'il devait avoir un secret, il ne lui posa pas des questions. Jacques lui en fut reconnaissant. Le cirque leva le camp dans la soirée. Chemin faisant, il posa des questions à Pedro. A combien de kilomètres était-on de Borken? A qui appartenait le château? Était-il très vieux? Pouvait-on le visiter? « Ce château, expliqua Pedro, ainsi que la ville de Borken et toutes les terres alentour, appartiennent au comte Paritol. Celui-ci vit au château et, ajouta-t-il en riant, il ne permet à personne de le visiter. Je crois que si un imprudent se hasardait seulement à s'arrêter devant la porte il serait fourré en prison avant d'avoir pu dire ouf! — Eh bien, commenta Jacques d'un air sombre, il ne semble guère accueillant, ce comte Paritol! » II songeait que si ses amis avaient été conduits dans la place, ils ne devaient pas être très heureux avec un tel gardien. « Oui, reprit Pedro, le comte est puissant et il a une volonté de fer. Il déteste le roi, qui gouverne sagement et empêche les nobles trop turbulents de s'agiter. Il aimerait bien que ce soit le petit prince Aloysius qui règne. Comme ça, le comte pourrait gouverner en fait le pays. » Décidément, en Tauri-Hessia, tout le

lâchés monde semblait être au courant des ambitions du comte. Au repas du soir la maman de Pedro apprit une triste nouvelle aux deux garçons : Fank, le dresseur d'ours, était malade et le " patron " se montrait très ennuyé. « Pourquoi? s'étonna Jacques. Fank ira peutêtre mieux demain et, en mettant les choses au pire, les ours ne paraîtraient pas, voilà tout! - Les ours sont une des attractions principales! expliqua Pedro. Nous aurons une moins bonne recette si l'on supprime leur numéro. Mais il y a pire : Fank est le seul ici à avoir ses ours en main. Une fois déjà il a été malade et les ours ont refusé de se laisser approcher par quiconque. On n'a pas pu changer leur litière, ils n'ont pas voulu manger, ils se sont battus entre eux et ont menacé de briser leur cage et de prendre la fuite. Fank a dû se traîner hors de son lit pour les calmer. Il a failli en mourir. - Pauvre Fank! Espérons que rien d'aussi terrible n'arrivera cette fois-ci et qu'il guérira vite. — C'est un excellent dompteur et ses bêtes l'adorent, déclara Pedro. Il sait aussi bien dompter les tigres et les lions que les ours. C'est un charmeur d'animaux. J'ai vu une panthère féroce venir lui manger .dans la main ! - Je connais un garçon dans le genre de Fank, dit Jacques en pensant à Henri. Les bêtes l'adorent. - Je suppose qu'il n'a jamais eu affaire à des animaux féroces? questionna Pedro. Il est plus facile d'apprivoiser des chiens, des chats et des souris que des ours ou des tigres. — C'est exact, répondit Jacques. Mon ami ne s'est jamais mesuré avec des animaux de grande taille, mais peut-être réussirait-il aussi à se les attacher... Enfin, je fais des vœux pour que Fank se rétablisse vite!... » Dans la soirée, la représentation eut lieu comme d'habitude, à cela près que, cette fois encore, les ours de Fank ne figuraient pas au programme. La recette s'en trouva considérablement diminuée.

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L'ours mélasse.

léchait

paisiblement

la

Enfin, le spectacle se termina. Après avoir englouti à la hâte le souper que leur servit la mère de Pedro, Jacques et son ami allèrent dans leur caravane attendre les deux acrobates. C'est alors qu'une immense clameur s'éleva au-dehors. « Les ours! Les ours se sont échappés! » Toni arriva en courant. « Fank ne peut pas quitter son lit, expliqua-t-il. Il faut qu'Henri fasse quelque chose. » Bien entendu, Henri n'était pas encore au courant de cette histoire d'ours. Jacques la lui expliqua en quelques mots. « Ce serait une terrible perte pour le cirque, dit-il en conclusion, si l'on n'arrivait pas à mater ces animaux et s'il fallait les tuer. Essaie de les ramener à la raison! » L'un des ours n'avait pas encore quitté la cage brisée et se contentait de gronder. Personne n'osait l'approcher. Les autres rôdaient autour de la caravane du patron, enfermé à l'intérieur. Henri réfléchit rapidement. « Où pourrais-je me procurer de la viande ? demanda-t-il. Ou encore du miel? — Je ne sais pas, dit Pedro, mais il y a un seau de mélasse là-bas. Attends! Je vais le chercher! » Lorsque Henri eut le seau, il se rapprocha un peu des ours qui tournèrent la tête vers lui. Jacques lui cria quelques conseils de prudence et le regarda faire de loin, fasciné. Henri releva ses manches et plongea ses bras jusqu'au coude dans l'épais sirop. Puis il se rapprocha davantage des ours et s'assit par terre, le seau à côté de lui. Il attendit. Les fauves grognèrent un peu plus fort. Les gens du voyage regardaient de tous leurs yeux, prêts à intervenir en cas de nécessité absolue. Soudain, l'un des ours flaira la mélasse, cette friandise que Fank leur donnait parfois. Comme Henri avait pris la précaution d'en répandre un peu autour de lui, l'animal se mit soudain à lécher l'herbe. Son compagnon se précipita pour prendre sa part du régal. Bientôt, les deux ours furent tout près du jeune garçon qui restait strictement immobile. Ils s'arrêtèrent alors et tendirent le

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museau. Henri avança la main avec une lenteur calculée et l'agita de manière que les fauves sentissent bien l'odeur de la mélasse. Puis il se mit à parler, de cette voix spéciale que, prétendait Denise, il prenait toujours pour " charmer les bêtes ". Il s'adressait aux ours d'un ton monotone, envoûtant. Les animaux écoutèrent. Puis ils recommencèrent à grogner, se turent et écoutèrent encore. Henri parlait toujours. Au bout d'un moment, avec l'odeur de la mélasse, la propre odeur d'Henri arriva aux narines des deux plantigrades. Cette odeur leur plut autant que l'autre : c'était celle d'un ami. Alors, le premier ours s'avança soudain et lécha la main d'Henri. L'autre ours se risqua lui aussi et, à son tour, se régala de mélasse. Par une suite de mouvements imperceptibles qui lui prirent un certain temps, Henri se releva alors et, sans cesser de parler, trempa à nouveau ses mains dans la mélasse et les tendit aux ours. Puis, reprenant le seau, il se mit à marcher à reculons, versant à terre au fur et à mesure un peu du sirop parfumé. A mi-chemin de la cage, il s'arrêta, tendit le seau à un ours et, de sa main libre, caressa la tête de l'autre. Un frisson parcourut la foule angoissée. Chacun tremblait pour le courageux garçon. Mais les ours ne réagirent pas. Ils n'avaient plus peur. Ils n'étaient plus en colère. Ils avaient trouvé un ami qui leur permettait de se régaler après leur long jeûne. De son côté, Henri comprenait qu'il tenait la victoire, à condition, bien entendu, que la foule conservât son silence et son immobilité... Il se remit en marche, répandant toujours de la mélasse sur ses pas. Les ours le suivirent, dociles. Arrivé à la cage, Henri poussa le seau à l'intérieur, et les ours se précipitèrent à la suite de la friandise. Celui qui était resté dans la cage cessa de grogner pour participer au régal. Alors Jacques passa deux barres de fer qui se trouvaient là en travers de la porte démolie et s'essuya tranquillement les mains avec son mouchoir. De la foule une vibrante acclamation s'éleva. Les ours le suivirent en se léchant les babines.

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Oui-Oui roulait un jour sur une petite route de campagne lorsque sa voiture fit un bruit étrange et s'arrêta net. « Hélas! que se passe-t-il? » dit Oui-Oui inquiet, sautant à bas de son siège pour voir de quoi il s'agissait. « Tes pneus ne sont pas crevés ! dit-il à sa chère petite voiture. Tu as autant d'essence qu'il te faut! Alors, veux-tu me dire pourquoi tu ne veux pas rouler? — Plop! Plop! » fit la voiture d'un ton lugubre, et elle se tut après avoir poussé un profond soupir. « II va falloir que je te conduise au garage et que je te fasse réparer, dit Oui-Oui. Tu es détraquée, c'est certain! Mais je vais être obligé de te pousser tout le temps, car je ne peux pas espérer le moindre secours sur ce chemin désert! » II se mit donc à pousser son auto, à pousser sans relâche, à grand-peine et tout haletant. «Je souffle comme le moteur d'un camion qui grimpe une forte côte! se disait-il. Misère! Jamais je n'arriverai à te mener jusqu'au garage! » II poussa la voiture jusqu'au tournant du chemin et entendit soudain un bruit. " Hrrrumph! Hrrrumph...! "

« Qu'est-ce donc? dit Oui-Oui, s'arrêtant pour écouter. — Aïe! aïe!... Hrrrumph! A l'aide! - Ma parole, se dit Oui-Oui, c'est un cheval en peine. » II se faufila au travers de la haie. Il n'y avait pas de doute. Un petit cheval de bois hennissait et renâclait dans le champ. « Que t'arrive-t-il ? cria Oui-Oui. — J'ai marché dans la partie marécageuse du champ et regarde! Mes pattes de devant se sont enlisées dans la boue et je ne peux pas les dégager! » Oui-Oui accourut. « Je te délivrerai ! De quel côté dois-je te tirer? — Tire-moi par la queue, dit le cheval. Elle est très solide! Cramponne-toi et tire! Tire! tire plus fort! C'est bon! Mes pattes sortent de la boue! » Oui-Oui tira plus fort encore sur la queue du cheval de bois et, soudain, les pattes de l'animal se dégagèrent complètement de la fondrière et le cheval s'assit brusquement sur Oui-Oui. « Ho! Ho! Ho! cria Oui-Oui. Me voici plat comme une crêpe! Lève-toi, cheval de bois! Ne reste pas ainsi sur moi!

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— Je te demande pardon, dit le cheval, se relevant. Tu as été vraiment bien obligeant! J'ai eu de la chance que tu sois passé en voiture juste au bon moment! - Oui, assurément, dit Oui-Oui.

Mais moi, je n'ai pas eu de chance avec mon auto! Une panne de moteur, je suppose, et maintenant, je dois la pousser jusqu'à Miniville, au pays des Jouets ! Seigneur ! Seigneur ! ce que je serai éreinté! — Pas du tout, dit le cheval de bois. J'ai l'habitude de tirer les voitures! Je tirerai la tienne, si tu veux, jusqu'au garage. Je serai ravi de te rendre service! — Oh merci! merci! dit Oui-Oui. Que j'ai de la chance! Viens! Je prendrai mes cordes et je t'attellerai à l'auto. Comme ce sera drôle! » Et voici maintenant Oui-Oui assis dans sa voiture, et le petit cheval trottant à l'avant, tirant de toutes ses forces! Les passants écarquillaient les yeux à la vue de ce spectacle! « N'ai-je pas de la chance? leur crie OuiOui. J'ai eu une panne, et j'ai trouvé un petit cheval de bois qui est venu à mon secours ! - Oui, tu as de la chance, Oui-Oui, mais tu es toi-même si serviable, et les gens serviables ont toujours de la chance! »

Sampson Low, Marston and Company Ltd. 1955 ,

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UNE BANDE DE JEUNES VAURIENS II s'agit d'une bande déjeunes vauriens. Malheureusement, Bob se laisse entraîner par eux et devient membre de ce groupe. Il y avait au bas de la ville une petite bande de gamins dont le plus jeune avait huit ans et l'aîné quinze. Ils étaient au nombre de quatre, Paul, Jeannot, Fred et Patrice. Ils se réunissaient tous les soirs, et passaient ensemble le samedi et le dimanche. Leur terrain de jeux favori était un îlot de maisons délabrées, condamnées à être démolies. Sous l'une de ces maisons se trouvait une cave. Les garçons la découvrirent un jour par hasard et en furent enchantés. « Mince, alors! Regardez donc! s'écria Paul, examinant l'escalier de pierres. Qu'est-ce que c'est? Un tunnel? Un souterrain? Allons-y jouer aux espions! Quelle belle cachette nous avons ici! » C'en était une excellente, assurément. Au bas de l'escalier se trouvait une petite cave en pierre, très sombre et nauséabonde. Les murs suintaient d'humidité; l'odeur du moisi y régnait. Mais les gamins se souciaient peu de ces inconvénients. C'était une cachette, un endroit où personne ne pourrait jamais les trouver. Jeannot eut l'idée d'en faire leur lieu de réunion habituel et proposa de la meubler. « Nous pourrions nous procurer des caisses, hein? Et chiper un bout de vieux tapis quelque part! Et apporter une bougie. M'man m'en donnera bien une.

Cette cachette procura le plus grand plaisir à la bande. Les enfants apportèrent leurs trésors : un jeu de cartes sale et poisseux, une petite locomotive, des illustrés et un téléphone qui appartenait à Fred, le plus âgé de tous. Il l'avait aperçu dans un magasin de jouets et l'avait dérobé quand la boutique était pleine de clients et que personne n'avait regardé de son côté. Il avait vu, au cinéma, des riches hommes d'affaires dont le bureau était encombré d'appareils téléphoniques, et bien qu'il n'eût jamais téléphoné lui-même, il lui semblait que le téléphone était le signe de la puissance et de la richesse. Il lui fallait avoir un de ces appareils, même si ce n'était qu'un jouet d'enfant! Aussi le jouet était-il installé sur une caisse, et les trois autres garçons retenaient leur souffle, écoutant de toutes leurs oreilles lorsque Fred donnait par téléphone des ordres à des espions ou à des bandits imaginaires. Il imitait alors l'accent américain. Les enfants apportaient parfois dans la cave des provisions qu'ils se partageaient. Ils projetaient aussi des vols dans certains jardins à la saison des fruits, et des farces stupides, comme de frapper aux portes et de s'enfuir à toute vitesse, une fois leur coup fait. Paul était le plus jeune de tous, et son frère Fred, le plus âgé. Jeannot avait onze ans,

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Patrice, si amusant et si rusé, violent, à la voix bruyante, en avait douze. Paul et Fred n'avaient point de père. Ils étaient de véritables sauvages. Leur mère ne se souciait absolument pas d'eux. Ils la traitaient avec insolence, lui volaient de l'argent lorsqu'elle laissait son porte-monnaie à portée de leurs mains et ne faisaient que ce qui leur plaisait. Patrice était orphelin de mère, mais son père ne s'occupait de lui que pour le battre régulièrement « afin de le dresser », disait-il. Aussi l'enfant haïssait-il son père et le fuyait-il. Jeannot, lui, avait père et mère, deux frères et trois sœurs. Mais comme toute la famille vivait dans deux pièces, le garçon s'échappait de chez lui aussi souvent qu'il le pouvait. Ces deux pièces étaient sales, malodorantes et dans un état de perpétuel désordre. Personne n'y pouvait manger, dormir ou lire confortablement. Jeannot détestait son foyer, et bien qu'il aimât sa mère, il ne pouvait supporter ses gémissements et son expression lamentable. Pauvre femme! Elle avait depuis longtemps abandonné tout espoir de trouver un logement suffisant pour sa nombreuse famille et n'avait plus de goût à rien! Que le garçon cherchât ailleurs des satisfactions ne pouvait surprendre. Pour lui, la cave était le Paradis! Aucun de ces enfants n'était intelligent. Patrice était rusé, et rendait des services à la bande, mais il devait agir avec prudence, car lui et ses compagnons craignaient fort les deux agents du quartier et s'esquivaient à leur approche. « Nous sommes " la bande des quatre Terroristes ", annonça Fred un soir. Nous n'avons peur ni des " flics ", ni de personne. Ne l'oubliez pas! — Nous n'avons peur de personne! » répéta Patrice. C'était faux, bien sûr. Ils craignaient leurs instituteurs, les " flics " et quelques commerçants qui les malmenaient parfois, et Patrice éprouvait une véritable terreur de son père. Mais qu'il était agréable de prétendre être intrépide! Ils se sentaient alors tout-puissants, et supérieurs! Fred se saisit du récepteur, et immédiatement ses trois " hommes " se turent respectueusement tout en écoutant avec un extrême intérêt. Fred était vraiment impressionnant lorsqu'il téléphonait.

Bob travaillait beaucoup et fort bien. «Tu es bien le numéro 61045? disait Fred de la voix sèche qu'il réservait pour de semblables occasions. C'est le chef des quatre Terroristes. C'est le chef qui parle. Voici mes ordres. Tu vas prendre cinq hommes et la grosse voiture; tu iras trouver le Balafré et lui obéiras sans répliquer. Alors tu... » Cette conversation durait environ deux minutes. Fred reposait alors le récepteur et disait : « Parfait! Tout est décidé, mes gars! Les hommes sont sur l'affaire! » La bande avait toujours besoin d'argent pour se procurer des provisions et aller au cinéma. Voir un film était leur plus grand plaisir. Être assis confortablement dans une salle bien chauffée, assister à des poursuites et à des tueries, voir des chevaux lancés au galop, des voitures roulant à 130 à l'heure, des aéroplanes s'écrasant au sol, que pouvait-on souhaiter de mieux? Ils n'avaient pas à penser, à se servir de leur cerveau, ils n’avaient qu’à rester assis et ouvrir les yeux…

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Ce fut à cette bande de vauriens que Bob se joignit un soir par hasard. Depuis environ huit jours, sa mère fermait à clef la porte de la maison lorsqu'elle se rendait à son travail, et son fils ne pouvait rentrer au logis avant six heures et demie, heure du retour de la maman. Elle lui laissait une tartine sur un rayon de l'appentis, mais il n'y touchait jamais. «Je ne suis pas un chat, pour qu'elle me traite ainsi! grommelait-il. A son retour je veux un repas convenable, même si elle est trop fatiguée pour le préparer! » II ne savait à quoi passer son temps lorsqu'il revenait de l'école l'après-midi. Les soirées étaient sombres et froides en cette saison de l'année. « Pourquoi n'irais-tu pas chez les Michel? lui disait sa mère. Ils seraient contents de te garder, Dieu sait pourquoi! » Mais Bob avait honte d'avouer qu'il ne pouvait rentrer dans sa propre maison, aussi n'alla-t-il qu'une fois chez ses voisins, lorsqu'ils l'invitèrent à goûter et à les aider à terminer un travail. Il s'acquitta si bien de sa tâche que M. Michel fut émerveillé. « Reviens nous voir, dit-il. Tu es adroit de tes mains. Tu as travaillé deux fois plus vite que le vieux Léon ! Tu seras toujours le bienvenu. Tu m'aideras à terminer ce bateau pour la Noël! »

Presque tous les soirs, Bob errait seul dans la ville. Son sac d'écolier au dos, il flânait dans les rues, sombre, lançant des coups de pied contre les murs. Il regardait les vitrines des boutiques, il s'arrêtait devant les maisons où il voyait des salles de séjour éclairées, et des familles réunies. Cela devenait une obsession : II y avait des gens qui vivaient tous ensemble, pleinement heureux de se retrouver le soir! Un soir où il pleuvait à verse, Bob se trouva dans le bas de la ville. Irait-il chez lui, s'asseoir dans l'appentis, ou se rendrait-il chez les Michel? Non, mille fois non! Il découvrirait bien un abri quelque part! Il parvint à un groupe de maisons en ruines. « Je trouverai un refuge ici », pensa-til. Il escalada un monceau de briques pour chercher quelque coin habitable dans une pièce. Et soudain, il entendit une voix qui semblait monter du sol, juste au-dessous de lui. Une voix sèche, saccadée, lançant des ordres brefs. Bob fut ébahi. « Eh bien! le numéro 678 345...? Le chef te parle. Qu'est-ce que ça signifie? Tu devrais déjà être ici! Nous t'attendons depuis plus d'une heure! As-tu peur d'être sacqué pour avoir raté ton affaire? Tu sais ce qui arrive aux hommes qui ont les foies ? Ou bien tu viens tout de suite, ou attends-toi à des ennuis! Les quatre Terroristes te feront ton affaire! »

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Bob demeura immobile, stupéfait. Que se passait-il? Qui parlait ainsi? Puis il aperçut une faible lumière filtrant au travers du plancher. Il se pencha et aperçut un escalier de pierre qui menait au sous-sol. Il fut passionnément intéressé. Venait-il de découvrir une cachette? Prudemment, il mit le pied sur la première marche, puis il descendit lentement. La pluie tombait à flots et couvrait le bruit de ses pas. Il se trouva enfin devant une cave et ouvrit de grands yeux. Il vit une sorte de petite salle carrée, aux murs suintants. Des caisses étaient posées ça et là, et le sol était couvert d'un tapis moisi. Au centre, en guise de table, se trouvait une grande caisse, sur laquelle s'empilaient des illustrés et une chandelle fichée dans une bouteille de limonade. Sur une autre caisse, trônait le téléphone - - ce jouet dont Fred était si fier ! Quatre gamins étaient assis dans la cave éclairée par une chandelle. Tous lisaient des illustrés. C'était d'ailleurs presque leur seule lecture. Bob demeurait debout, les dévisageant. Que cet endroit lui paraissait confortable, intéressant et surprenant! Patrice leva soudain les yeux et l'aperçut. Il s'écria : « Hé, dites donc! regardez! Qui est ce gamin-là? » Bob eut alors une idée de génie. Il fit un large sourire, et dit : « Je suis le numéro 678 345 ! Vous venez de me téléphoner à l'instant même. Je suis venu faire mon rapport au chef. » Un silence de mort régna dans la cave. Les quatre galopins regardaient Bob, tout surpris de ce qu'il venait de dire. Qui était cet intrus ? Comment connaissait-il leurs affaires ? Venaitil vraiment faire un rapport au chef? Fred se montra à la hauteur de la situation. Il comprit tout de suite quel genre de garçon était Bob; un enfant un peu au-dessus de son propre milieu social, un risque-tout qui ne manquait pas d'esprit. Que de services il pourrait leur rendre! « Entre, numéro 678 345, dit-il. Tu as bien fait de venir. J'allais envoyer quelqu'un te chercher! » Bob pénétra dans la cave, et pour lui faire place Fred ôta le téléphone de la caisse et

invita le nouveau venu à s'asseoir. «Je suppose que tu m'as entendu téléphoner? dit-il. — Oui, dit Bob. Mais je n'y comprenais rien! Je me demandais si tu téléphonais vraiment! » Fred ne répondit point. Il lui arrivait de se persuader qu'il téléphonait à des membres de la bande, et il lui répugnait d'avouer que ce n'était qu'un jeu. Il vivait dans un monde étrange qui n'avait aucun rapport avec la réalité. « II pleut à verse, fit Bob. Est-ce que tu me permets de rester ici un moment? Cet, endroit me plaît! Il est intime. —- On s'y sent chez soi! - Reste aussi longtemps que tu voudras, dit Fred. Maintenant, nous sommes tous copains ici! »

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Voici comment Jean-Jacques Brun l'emporta sur un magicien fort habile appelé M. Parle-Toujours. Ce prodige s'opéra un samedi alors que Jean-Jacques venait de recevoir son argent de poche hebdomadaire. Son père lui donnait un franc par semaine lorsqu'il apportait un excellent bulletin scolaire. Sa mère lui remettait aussi un franc après qu'il eût fait toutes ses commissions sans manifester la moindre mauvaise humeur, et sa grand-mère lui offrait également cinquante

centimes par semaine tout bonnement parce qu'elle lui portait une grande affection. Si bien que ce matin-là il avait trois pièces de monnaie qu'il faisait tinter dans sa poche. Il avait décidé d'aller jusqu'à la ferme, sur l'autre versant de la colline, pour acheter du grain, car il avait trois poules, Blanche, Grisette et Roussette.

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« Je passerai par la forêt, se dit-il. Je me demande si je reverrai cette drôle de petite maison que j'ai aperçue un jour, cachée entre les arbres et que personne ne semble connaître. » II ne réussissait pas à découvrir la chaumière. Mais soudain, il aperçut un homme courant à toute vitesse entre les arbres. Une cape noire et rouge vif flottait autour de lui. « Qui donc peut-il être? se demanda Jacques. Il courut derrière la cape noire et rouge qui se gonflait au vent, tandis que son propriétaire continuait sa course éperdue. Et tout à coup, Jean-Jacques aperçut la chaumière aux six cheminées qu'il avait tant cherchée! La cape noire et rouge disparut à l'intérieur, et une porte se referma en claquant. « Ah! voici la chaumière! Cet homme déguisé en est sûrement le propriétaire, se dit Jacques.

« Eh bien ! entrez ! Mais essuyezvous les pieds ! » Si je croyais aux magiciens et aux sorcières — mais je n y croîs pas — je penserais que cette cape-là appartient à un sorcier! Allons faire une petite visite à ce personnage! » II alla jusqu'à la chaumière, et frappaà grands coups sur la porte. « Qui est là? Qui vient m'importuner ce matin? Allez-vous-en! Je suis très occupé! Je déteste recevoir des visites! Peste des visiteurs! Par tous les dieux, ne restez pas planté ici, mais... » « Quel bavard ! » songea Jean-Jacques. Il frappa à nouveau et cria à tue-tête : « Pourriez-vous me donner un verre d'eau, s'il vous plaît? — Oh! c'est un enfant! hurla une voix de l'intérieur. Eh bien! entre! Mais essuietoi les pieds, s'il te plaît! » La porte s'ouvrit toute grande, un long bras apparut et soudain Jean-Jacques se trouva dans la chaumière. Quelle ne fut pas sa surprise en jetant les yeux autour de lui! « Eh bien! moi qui croyais que c'était une chaumière! Mais cette maison est immense », dit-il. La pièce où il se trouvait était en effet très grande, si grande qu'il s'y trouvait six cheminées, une pour chacun des six murs! « Mais, voyons! comment votre maison peut-elle être si petite vue de l'extérieur, et si grande à l'intérieur? C'est... — Oh! tais-toi! » dit le personnage qui l'avait attiré chez lui. Quel être étrange! Très haut de taille, coiffé d'un bonnet rouge étincelant, il portait encore cette cape noire et rouge éblouissante. Ses mains s'agitaient sans cesse. Ses yeux brillaient comme ceux d'un chat. « Dites donc, monsieur, quels énormes yeux verts vous avez? — Ne parle pas comme si tu étais le Petit Chaperon Rouge s'adressant au loup! dit l'homme aux yeux verts. N'as-tu jamais vu de magicien? Que t'apprend-on à l'école? Et pourquoi veux-tu un verre d'eau? Tu n'as pas soif! Tu n'es qu'un curieux! — Oh! je vous en prie! Cessez de parler pendant une minute, dit JeanJacques inquiet. Laissez-moi vous expliquer! Je voulais seulement...

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— Non, tu n'en veux pas! tu n'en as jamais voulu !

Jean-Jacques lui arracha la baguette des mains. répliqua le magicien. A propos, mon nom est Parle-Toujours! Inutile de me dire le tien. Je le vois écrit dans le calepin que tu as dans ta poche. Jean-Jacques Brun ! En voilà un nom! — Vous ne pouvez sûrement pas lire ce qu'il y a dans le calepin ! dit Jean-Jacques, étonné. Êtes-vous un vrai magicien? Vous livrez-vous à la magie? - Toute la journée! C'est mon passe-temps favori! dit Parle-Toujours. La magie; les charmes, les baguettes magiques sont à mon service! Maintenant j'essaie de fabriquer de l'eau sèche! L'eau, tu le sais, est tellement mouillée! C'est parfait si tu veux te baigner, mais... — Cela me paraît une expérience stupide! interrompit Jean-Jacques.

L'eau est toujours mouillée. Si elle ne l'était pas, ce ne serait pas de l'eau! Et, de toute façon, à quoi pourrait servir de l'eau sèche? — Mais suppose que tu fasses la lessive avec de l'eau déshydratée? s'écria le magicien. Tu n'aurais pas à la suspendre à une corde pour qu'elle séchât, voyons! Pense aussi que tu n'aurais pas à essuyer la vaisselle, ni à te servir de serviette de toilette après avoir lavé tes mains ou ton visage, ou... - Je vous en prie, permettez-moi de dire un mot ! dit Jean-Jacques. J'aime la magie, mais non pas celle qui est stupide!» A ces paroles, le magicien fut si furieux qu'il se saisit d'une baguette scintillante - une baguette magique — et en porta un coup à Jean-Jacques. « Je te changerai en hippopotame, et t'enverrai vivre dans la rivière la plus mouillée du monde! » commença-t-il. Mais JeanJacques lui arracha la baguette des mains. « Je la garde ! dit-il. Combien de souhaits peut-elle réaliser? — Rien qu’un, répondit ne ParleToujours. Pose-la sur une table. Tu es un garçon dangereux! Et pourtant, tu me plais! Aimerais-tu voir quelques-uns de mes tours magiques? - Bien sûr! dit Jean-Jacques, gardant toujours la baguette. Commencez! — Que veux-tu que je fasse? Mais ne t'attends pas à ce que je déchaîne la tempête. J'ai peur du tonnerre et des éclairs! — Entendu. Mais voyez-vous cette théière sur la table? Faites-la voler en l'air et répandre le thé! » Parle-Toujours se mit à chanter à tuetête toute une kyrielle de mots magiques et, tout à coup, la théière s'éleva lentement en l'air, se dirigea vers Jean-Jacques en un arc de cercle et, du goulot, un flot de thé se répandit sur le garçon. « Oh! là là! je ne vous avais pas demandé de m'inonder de thé, protesta Jean-Jacques, s'écartant en toute hâte. Vous êtes méchant! — Pas du tout! J'aurais pu faire en sorte que le thé fût brûlant, dit Parle-Toujours. Il était tout bonnement tiède. Théière, retourne à ta place !

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« II ne manquait plus que cela, s'écria le magicien. Plus de feu! Quel enfant stupide tu es! Vois le résultat de ta demande! Et qu'aimerais-tu me voir faire encore, Jean-Jacques ? — Euh! voyons! Que tous vos feux s'éteignent à la fois! Il fait bien trop chaud dans cette pièce. » Parle-Toujours recommença ses incantations, les mots magiques sortaient de sa bouche avec une rapidité vertigineuse. Et alors, en un clin d'oeil, des flots d'eau se déversèrent sur les six feux qui se mirent à grésiller. Des nuages de fumée noire emplirent la pièce et Jean-Jacques toussa et crut étouffer. «Arrêtez l'eau! Tout de suite!» dit-il entre deux quintes de toux. Parle-Toujours agita les mains de-ci de-là, et d'une voix rauque prononça quelques mots. Lui aussi était sur le point d'étouffer! L'eau disparut, la fumée se dissipa peu à peu et, naturellement, les feux étaient éteints.

La théière s'éleva lentement en l'air.

J'ai envie de te garder ici toute la journée et de t'obliger à rallumer les feux et à les entretenir ! Un petit sot tel que toi ne peut être d'aucune autre utilité! Pourquoi ai-je dit que tu me plaisais? Ce n'est pas vrai! Tu es une petite peste et un... — Oh! cessez de parler! dit Jacques. N'êtes-vous pas assez bon magicien pour rallumer ces feux sans bois? — Non, dit tristement ParleToujours. Je n'ai pas encore appris la leçon qui traite de la " Manière d'allumer du bois mouillé ". Elle se trouve à la fin de mon livre de magie. Et, de toute façon, qui es-tu pour me poser de pareilles questions? Je puis faire mille tours dont tu serais incapable. Ha! ha! ha! — Ha! ha! ha! répliqua JeanJacques. Voulez-vous parier que je saurai faire un tour que vous ignorez? — Vas-y! Montre-le-moi! Si je peux le faire, je suis prêt à... à... — A me donner votre baguette magique, pour que je puisse réaliser un souhait, acheva Jean-Jacques. Ah! vous avez peur de dire oui, parce que vous craignez que je ne connaisse un tour dont vous n'avez jamais entendu parler! — Sottise! Bêtise! Idiot de gamin! Dis-moi de quoi il s'agit, et tu verras si je ne ferai pas ce tour-là à l'instant! s'écria le magicien dont les yeux brillaient comme ceux d'un chat la nuit. — Fort bien. J'ai besoin d'un verre, s'il vous plaît. Ce verre sans pied conviendra parfaitement. » Parle-Toujours alla le chercher et le posa sur la table couverte d'une nappe verte. «Et puis après? ditil. — Il nous faut une pièce de cinquante centimes, et deux autres de un franc, dit Jean-Jacques, tirant l'argent de sa poche. Des pièces de cinq centimes suffiraient, mais je n'en ai pas.

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— Ne te sers pas de ces pièces, dit ParleToujours, d'un ton furieux, elles pourraient être magiques! — Allons donc! Si vous croyez que mon argent est magique, vous êtes bien naïf!

Jean-Jacques tira l'argent de sa poche.

Je ne suis pas magicien, mais écolier! J'ai souvent joué ce tour-là à mes camarades de classe. Je vais maintenant vous le montrer! » II mit sur la table la pièce de cinquante centimes, la recouvrit du verre, posé à l'envers, en ayant soin que la pièce fût bien au centre. Puis il glissa les deux pièces de un franc sous les bords du verre, afin que celui-ci reposât bien en équilibre sur elles. « Là, dit-il. Vous voyez la pièce sous le verre, juste au centre ? Les bords du verre reposent sur les pièces de un franc qui sont à moitié en-dehors, à moitié sous le verre! Maintenant écoutez-moi! Pouvez-vous retirer

la pièce de cinquante centimes sans toucher aux autres pièces ou au verre ? » Parle-Toujours regarda fixement verre et pièces de monnaie. Il se frotta le menton, fronça les sourcils et dit enfin : «Je ne connais pas les mots magiques. Mais je vais réfléchir et je trouverai! - Non, dit Jean-Jacques. Allez-y. Essayez vos incantations ! Nous verrons ce qui arrivera! » Parle-Toujours, agitant les mains, marmotta quelques mots étranges. Lentement, le verre devint vert pomme, mais la pièce ne bougea point. « Hum! hum! dit le magicien. Le charme n'a pas agi. Essayons autre chose! » II prononça d'autres paroles curieuses qui firent frissonner l'enfant. Ces mots magiques pourraient-ils avoir un effet sur la pièce ? Il la regarda; elle restait immobile, mais les pièces de un franc étaient devenues noires! « Votre magie n'est pas bien merveilleuse, dit Jean-Jacques méprisant. - Eh bien! demanda Parle-Toujours d'un ton maussade, de quels mots te sers-tu pour déloger la pièce de cinquante centimes, sans toucher le verre et les autres pièces? Dis-le-moi! — Fort bien ! Tout à votre service ! Je dis tout bonnement : Viens! viens, ma petite pièce, viens donc vers moi! — Je n'en crois rien! Mais j'essaierai! » II agita les mains au-dessus du verre et chanta d'une voix criarde : « Viens, viens, ma petite pièce, viens donc vers moi! » La pièce ne bougea point, elle gisait là, sous le verre devenu vert pomme entre les pièces de un franc noires. Jean-Jacques se mit à rire. « Vous pourriez redonner au verre et aux pièces leur couleur habituelle, dit-il. Je vais vous montrer ce qu'il faut faire. C'est tellement simple ! - Si c'était simple, j'aurais pu le faire! » répliqua Parle-Toujours, faisant la moue. Il marmotta quelques paroles, agita les mains, et le verre redevint transparent, et les pièces brillèrent. « Merci, dit Jean-Jacques. Maintenant, regardez bien! Je vais prononcer mes mots

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magiques et gratter légèrement la nappe avec mon doigt. L'effet est des plus surprenants!»

Il se pencha au-dessus de la table, posa la main tout près du verre sur la nappe et se mit à gratter de l'index. Tout en grattant, il chantonnait : « Viens, viens, ma petite pièce, viens donc vers moi! » Et voici que la pièce bougeait sous le verre, sortait de sous le bord en glissant, passant entre les deux pièces de un franc! Elle se trouvait libérée de sa prison sans que JeanJacques eût touché le verre, ou l'une quelconque des trois pièces! « C'est merveilleux ! dit le magicien ébahi. Inimaginable! Admirable! Où as-tu appris ce tour magique? - Mon grand-père me l'a montré, dit Jean-Jacques. Et beaucoup d'autres encore! Eh bien! il est temps que je parte! Mille mercis pour la baguette magique! » II s'en saisit, mais Parle-Toujours protesta. « Non, non! Attends! Je ne croyais pas que tu pourrais réussir un tour pareil! Non! je ne puis te donner ma baguette. Elle peut encore réaliser un vœu ! Si tu me souhaitais quelque effroyable malheur?... Tu pourrais m'expédier dans la lune, qui sait? Je le pourrais, mais je n'en ferai rien! dit Jean-Jacques. J'ai de la sympathie pour vous, Parle-Toujours ! Mais je vous dirai quel souhait je ferai, si vous voulez. - Oui, dis-le-moi. Je serai plus tranquille, dit le magicien qui paraissait fort tourmenté. - Eh bien! rentré à la maison, j'agiterai la baguette au-dessus de maman et je lui souhaiterai d'avoir une machine à laver, dit Jean-Jacques. Ah! vous souriez! Je pensais bien que vous alliez rire, mais maman rira aussi, et de plaisir! Tout le travail qu'elle a les jours de lessive à laver mon linge sale, celui de mon frère, de ma sœur et de papa! Voilà ce que je ferai de la baguette! Je ne gaspillerai pas son unique souhait pour vous jouer un vilain tour! - Non, non, bien sûr, je comprends ! Mais il n'est pas habituel de se servir d'une pareille baguette pour se procurer une machine à laver!

- Eh bien! il y a un commencement à tout, répliqua Jean-Jacques empochant son argent et serrant bien fort dans sa main la baguette magique. Au revoir, ParleToujours! J'ai passé une charmante matinée! — Moi aussi, dit le magicien. Tu me plais vraiment, Jean-Jacques. Reviens me voir un de ces jours ! Je t'enseignerai quelques tours ! — Ah! vous voulez dire que je pourrais vous en montrer quelques-uns! dit Jean-Jacques en riant. Entendu! Je reviendrai vous voir. En attendant, exercez-vous au tour que je viens de vous apprendre. Et n'oubliez pas les mots magiques! » Là-dessus, il s'en fut avec sa baguette. Quelle belle surprise allait avoir sa maman! Quant au magicien, il s'exerce encore. Vous pourriez l'entendre dire tous les jours: « Viens, viens, ma petite pièce, viens donc vers moi! » Essayez donc aussi, et tous vos amis seront bien surpris!

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« Viens, ma petite pièce, viens donc vers moi! »

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La vie secrète des loutres Au joli mois de mai, que les haies étaient belles! Les feuilles de l'aubépine étaient d'un vert éclatant, les ronces lançaient de-ci de-là leurs branches gracieuses, couvertes déjeunes feuilles tendres, et le lierre sombre luisait au point qu'on l'eût dit verni. Le chêne était maintenant tout feuillu. De tous les arbres, c'est le dernier à montrer ses feuilles délicates qui font songer à des plumes. Les oiseaux qui se nichaient parmi ses branches étaient heureux de s'y abriter. Ils aimaient la douce lumière verte que répandaient ses feuilles s'agitant au vent. Quelle bonne fortune que de posséder un nid dans le chêne en mai! Sur le talus, que de fleurs jouissaient du bon soleil! L'angélique sauvage étalait ses ombelles légères et, dans les fossés humides, les grosses touffes de renoncules levaient la tête vers le soleil. Les primevères dansaient du matin au soir dans les prés. Le coucou lançait son appel toute la journée, et ce cri réjouissait le petit peuple des haies. Au coucher du soleil, lorsque les boutons d'or brillaient encore avec plus d'éclat, l'ombre du chêne était si longue qu'elle atteignait la moitié du champ. S'entendait alors un son étrange, un sifflement clair et léger, tel celui d'un oiseau. Il provenait du grand étang non loin du chêne. Le petit peuple des haies l'entendait et le reconnaissait. La loutre sifflait pour appeler son compagnon. Elle vivait dans l'étang, très profond par endroits et où se trouvaient de gros poissons. Cet étang avait fait partie d'une rivière qui se jetait dans un fleuve voisin, mais ce coin d'eau avait été détourné, si bien que l'étang était tout ce qui restait de la rivière d'antan. Autrefois, dans les temps très anciens, de nombreuses loutres avaient nagé dans cet étang

lorsqu'il faisait encore partie de la rivière; aujourd'hui encore, certaines s'y rendaient, attirées par les aulnes qui le bordaient. Mais elles devaient traverser les champs pour y parvenir. Heureusement, sous les racines des arbres se trouvaient de belles cachettes où les loutres pouvaient se reposer paisiblement, à l'abri de tout regard. Oui vraiment, cet étang était merveilleux! L'automne précédent, deux loutres étaient venues s'y loger. Le petit peuple des haies les connaissait bien, les ayant vues souvent dans l'eau ou sur les berges, mais les oiseaux les ignoraient, car les loutres sont des créatures nocturnes et la plupart des oiseaux dorment la nuit. Seul le hibou était bien renseigné à leur sujet et hululait parfois lorsqu'il entendait les loutres s'appeler en sifflant. Ces créatures étaient couvertes d'une fourrure brun sombre si épaisse que nulle goutte d'eau ne mouillait leur corps bien chaud. Elles étaient grandes, longues d'environ un mètre vingt. Le hérisson, toujours curieux, reniflait souvent les empreintes laissées par les loutres dans la vase, sur la berge de l'étang. Ces empreintes montraient que les loutres avaient des pattes arrondies et palmées. D'admirables nageuses, ces bêtes! Parfois, au coucher du soleil, le rougegorge apercevait deux têtes noires et plates se mouvant à la surface de l'étang. Il savait alors que les loutres étaient éveillées. Il les regardait nager et jouer, tourner en rond, aussi habiles que les poissons! Ces bêtes au corps huileux nageaient en se servant seulement de leurs pattes de devant, leur longue queue aplatie leur tenant lieu de gouvernail. Quel spectacle merveilleux! Les aulnes connaissaient aussi fort bien les loutres qui avaient installé leurs terriers sous

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leurs racines. Ils soupiraient au vent et évoquaient les souvenirs d'antan. La mère loutre ayant découvert un trou profond avait appelé son compagnon pour lui montrer sa trouvaille. Il fallait plonger dans l'eau, et se livrer à une escalade pour pénétrer dans la chambre intérieure, ce qui n'était pas trop aisé, la fosse étant en pente et couverte d'un réseau de racines. Mais la partie supérieure était spacieuse et sèche. « Voilà qui conviendra parfaitement à nos enfants! dit la loutre à son compagnon. Personne ne pourra nous découvrir ici! Et nous serons au large! J'apporterai des joncs, de l'herbe et la fleur violette des grands roseaux pour faire un nid douillet à nos petits! » Et cet hiver-là, pendant une période assez chaude, la mère loutre eut trois rejetons dans ce grand trou noir sous les aulnes. Ils étaient aveugles alors, mais déjà couverts d'une fourrure douce et chaude. La mère, très fière, les léchait avec amour. Le père faisait de même. Quelle bonne odeur avaient ces minuscules loutres, et qu'elles étaient gaies ! « II faut que tu ailles à la pêche, dit la mère à son compagnon. Il fait froid ce soir, et si je laissais nos petits, ils risqueraient de s'enrhumer. Va nous chercher du poisson! J'ai faim! » Le père plongea dans l'étang, ayant soin de protéger ses oreilles courtes et rondes afin que l'eau n'y pût pénétrer. Il se dirigea vers la partie la plus profonde; il savait y trouver de gros poissons, et eut vite fait d'en attraper un. Et vite de retourner au logis ! La mère loutre mordit avidement le poisson, en commençant par le haut et le mangea tout entier, sauf la queue, bien entendu, car dans la famille des loutres il est malséant de manger la queue! Les bébés s'en vinrent flairer les restes, tout joyeux. Quelle affriolante odeur! Les aulnes sentaient souvent les petites loutres escalader leurs racines et ils y prenaient plaisir. Et un soir, juste après le coucher du soleil, lorsque le ciel à l'ouest était encore teinté d'or et de rouge, la mère emmena ses petits pour la première fois dans l'étang. Quelle aventure!

Ils étaient souvent allés jusqu'au bord de l'eau qui clapotait à l'entrée de leur trou. L'un d'eux s'y était même laissé choir et, l'ayant repêché, sa mère l'avait bien grondé et même mordu pour le punir de son imprudence. Mais c'était la première fois qu'ils s'aventuraient tous ensemble hors de leur petit logis sombre sous les racines d'aulne, à la découverte de ce vaste monde!

«Allons! Venez!» dit la loutre à ses enfants. Elle se laissa glisser dans l'eau et, l'un après l'autre, les petits la suivirent. Ils ne sentirent pas le froid, car ils étaient alors pourvus d'épais manteaux. Chacun en possédait deux, l'un de poils courts, et l'autre de fort longs! Tout d'abord ils pataugèrent, se demandant ce qu'ils devaient faire, mais leur mère fut très patiente. Elle les fit remonter à la surface, sachant qu'ils ne pouvaient encore rester longtemps sous l'eau sans perdre le souffle. Puis elle expliqua de quelle manière ils devaient nager. « Servez-vous de votre queue en guise de gouvernail, dit-elle, et de vos pattes de

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devant pour nager. Vos pattes de derrière, laissez-les tout bonnement traîner! » Les jeunes loutres se montrèrent d'abord très maladroites, mais elles n'en furent pas moins enchantées de leur aventure. Que le monde était beau! Elles regardèrent leurs parents nager avec tant de grâce, évoluer dans l'eau avec tant d'aisance! Elles ouvrirent de grands yeux surpris à la vue d'un gros poisson pourchassé et attrapé par leur père, et tremblèrent en voyant leur mère se lancer à la poursuite d'une poule d'eau qui eut tout juste le temps de s'envoler! Tout ce printemps-là, les jeunes loutres eurent bien des leçons à apprendre! Les parents leur enseignèrent à soulever de grosses pierres pour y trouver des écrevisses, à se tortiller et à se retourner rapidement dans l'eau pour se saisir d'un poisson nageant à toute vitesse. Les petits furent conduits dans les champs et découvrirent qu'ils pouvaient aisément courir en se servant de leurs pattes palmées. Ils attrapèrent des grenouilles et devinrent gros et gras. Un soir, le père siffla pour appeler sa compagne et lui dire adieu : « Nos enfants sont grands maintenant. Je vais aller jusqu'à la mer! - Et pourquoi? demanda la mère. - L'étang commence à se dessécher, répondit-il. Si l'été est chaud, il n'y aura plus d'eau du tout! Même le niveau de la rivière baisse et, comme j'ai l'intention de me laisser porter par le courant, il est temps que je parte. Je passerai l'été dans une grotte marine que je connais bien, et où vivent quantités de chauves-souris. A l'automne, je reviendrai auprès de toi... » Le père sortit de l'étang, se secoua tel un chien pour se sécher, et disparut dans les hautes herbes. Il avait pris la direction de la rivière. Le rouge-gorge qui jouit des longs crépuscules d'été le suivit, voltigeant le long de la haie; il le vit pénétrer dans la rivière au cours rapide et se laisser emporter par l'eau, les pattes de devant pressées sous le menton. Sa compagne fut bien navrée du départ du père loutre. Le petit peuple des haies l'entendit souvent siffler et l'appeler en ces tièdes soirées de mai où les lueurs du soleil couchant s'attardaient dans le ciel.

Elle eût tant voulu lui montrer leurs enfants devenus vigoureux; elle eût aimé nager et jouer avec lui pendant ces nuits douces et chaudes! Mais il l'avait quittée... La chaleur vint. L'étang se dessécha. La chambre souterraine, privée d'eau, n'était plus une cachette sûre. Mère loutre en chercha une autre, mais n'en put trouver une assez grande pour loger quatre loutres. « II faut nous séparer, dit-elle à ses enfants. Vous êtes assez grands pour vous débrouiller seuls! Vous savez nager, plonger, pêcher, et marcher pendant des lieues au besoin! Nous vous avons appris, votre père et moi, à éviter les pièges, et aussi à vous laisser porter par le courant de la rivière. Vous avez aussi trouvé de bonnes cachettes. Il est temps maintenant que vous vous tiriez d'affaire tout seuls ! — Mais où iras-tu, demanda la plus petite des loutres ? - Peut-être irai-je jusqu'à la mer, tout comme votre père! On y trouve bien des choses à manger, inconnues par ici! Y a-t-il des poissons? demanda la plus grosse des jeunes loutres, avidement. - Des quantités énormes, répliqua la mère. Je reviendrai à l'automne, peut-être dans ce même étang. Et qui sait? Votre père pourrait m'y rejoindre et jouer encore avec moi comme auparavant. Ah ! remonter les rivières à l'automne est un merveilleux plaisir ! A cette saison-là, les anguilles descendent vers la mer, et il n'est pas meilleure friandise! - Au revoir! » dirent les jeunes loutres, sifflant longuement; et elles s'éloignèrent de leur mère à la nage. L'une traversa les champs, gagna la rivière et disparut. Une autre retourna dans la cachette sous les aulnes et s'y étendit, songeant tristement à sa famille perdue. La troisième découvrit un marais, à une lieue de là, et se logea dans une plantation d'osier. La mère fit tout le tour de l'étang qu'elle connaissait si bien et, sifflant, s'en fut vers la rivière. «Je reviendrai à la fin de l'automne, lançat-elle au rouge-gorge curieux. Nous nous reverrons ! »

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La légende du sapin Les enfants aidaient leur maman à décorer le sapin de Noël. « Maman, demanda Suzanne, qui a inventé l'arbre de Noël? C'est une si bonne idée! — Excellente, dit la maman, coupant de petits bouts de ficelle de couleur qui serviraient à suspendre les cadeaux au sapin. Eh bien ! je ne sais qui a eu cette idée, mais il y a une très jolie légende à ce sujet... - Oh! je t'en prie, raconte-la! dit Anne. — La voici, dit la maman. Il y a bien longtemps, un bûcheron et sa famille étaient assis auprès d'un bon feu, une veille de Noël. Le vent soufflait furieusement au-dehors, et la neige avait rendu la forêt toute blanche. Soudain, quelqu'un frappa à la porte. Chacun leva les yeux, surpris. « — Qui donc peut se trouver dans la forêt à cette heure? dit le bûcheron, fort étonné. Il alla ouvrir la porte. « Dehors, se trouvait un petit enfant, frissonnant, épuisé, affamé. Le bûcheron, ébahi, le prit dans ses bras et le porta dans la pièce bien chauffée. «--Voyez! dit-il. Un petit enfant! Qui peutil être? « -- II faut qu'il passe la nuit chez nous, dit sa femme, tâtant les mains glacées de l'enfant. Nous lui ferons boire du lait très chaud, et nous le coucherons. « — Donnez-lui mon lit, dit Hans, le fils du bûcheron. Je dormirai par terre cette nuit. Que l'enfant dorme dans mon petit lit qui est si douillet! « L'enfant affamé et gelé fut donc nourri, réchauffé et couché dans le lit de Hans. Toute la famille alla dormir, et Hans s'étendit sur le plancher près du feu. « Le matin, en s'éveillant, le bûcheron entendit des sons étranges. On eût dit des voix chantant toutes en chœur. Il réveilla sa femme pour qu'elle entendît cette douce mélodie. « — II me semble écouter le chœur des anges! murmura le bûcheron.

« Alors, il regarda le visage de l'enfant qu'ils avaient reçu la veille, et s'aperçut que son visage brillait d'un éclat surnaturel. C'était l'Enfant Jésus lui-même! « Saisis d'une crainte respectueuse, le bûcheron et sa femme observèrent l'Enfant avec attention. Il sortit, se dirigea vers un sapin, en cassa une branche qu'il enfonça dans le sol. « - - Voyez, dit-Il. Vous avez été bons pour moi; vous m'avez donné chaleur, nourriture et abri. Voici maintenant mon présent. Cet arbre, à la Noël, portera des fruits, et vous serez toujours dans l'abondance. « Et, depuis, l'arbre de Noël brille avec éclat et porte des présents de toute sorte. » La maman se tut et jeta un regard autour d'elle. Tous les enfants écoutaient et oubliaient de décorer leur arbre. « Quelle belle histoire! dit Anne. J'aurais tant aimé recevoir la visite de l'Enfant Jésus! Je lui aurais donné mon lit, et tous mes jouets aussi ! - L'arbre de Noël porte-t-il vraiment des fruits ? demanda Pierre, cherchant à se souvenir. Le nôtre n'en a pas; il n'a que des branches aux aiguilles piquantes! - Oh! tu as certainement vu les cônes des épicéas! s'exclama Suzanne. Mais bien sûr, petit sot! — C'est vrai, dit Pierre. Mais oui! Ils pendent aux branches, n'est-ce pas? - Ceux de l'épicéa, oui, mais pas ceux du sapin argenté, répondit Michel qui avait la passion des arbres. Ceux-là se dressent, au contraire. Tu peux toujours distinguer l'épicéa du sapin argenté, en regardant la cime. L'épicéa a un sommet pointu; celui du sapin argenté forme une touffe. — Oh! je m'en souviendrai, dit Anne. Mais pourquoi notre arbre de Noël n'a-t-il pas de cônes, Michel? J'en serais ravie! Je les argenterais et qu'ils seraient donc jolis! - L'arbre est bien trop jeune, dit Michel, il ne peut avoir déjà des cônes. Si nous le plantons dans le jardin, au bout d'un certain

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nombre d'années, il en aura, bien sûr! Plantons-le! Il a de bonnes racines et se développera bien une fois qu'il sera en plein air. - Alors nous pourrons avoir toujours le même arbre à la Noël, dit Anne. Cela me plairait. J'aime ses feuilles piquantes, dit Pierre. Regarde, Anne, ne dirait-on pas qu'elles ont été peignées, et qu'on leur a fait une raie au milieu? Tu te coiffes de la même manière! » Tous se mirent à rire. Pierre avait raison. On eût dit que chaque petite branche avait une raie au centre des feuilles épaisses, toutes pareilles à des aiguilles! « Le sapin sert à bien d'autres choses qu'à nous procurer un arbre de Noël, dit maman. Son tronc, si droit, s'utilise pour quantité

d'objets qui doivent être tout droits eux aussi. Pourriez-vous m'en nommer quelques-uns ? — Des mâts de navire ! dit Michel promptement. — Des poteaux télégraphiques! ajouta Suzanne. — Des poteaux pour les échafaudages! cria Pierre. — Vous avez énuméré toutes les choses que j'allais dire, fit Anne. Ils ont raison, n'est-ce pas, maman ? —- Absolument, le tronc du sapin sert à tout cela^ dit la maman. Et, autrefois, ses branches résineuses étaient employées comme torches. — Avez-vous remarqué que les racines du sapin sont très superficielles ? demanda Michel tout en attachant à une branche un ornement doré.

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doré. Elles sont souvent au-dessus du sol dans les forêts. Je suppose que les sapins doivent tomber facilement les jours de grosse tempête. — Eh oui ! dit la maman. Et lorsqu'un sapin est ainsi abattu, il en heurte un autre qui tombe à son tour, et ainsi de suite, si bien que la forêt est jonchée d'arbres gisant sur le sol. — Tout comme une rangée de dominos se font tomber les uns les autres, dit Anne se rappelant qu'elle s'était souvent amusée à les mettre en rang, avait poussé le premier domino et, fait ainsi tomber tous les autres d'une seule chiquenaude. — Je vais mettre l'étoile au sommet de l'arbre, maintenant, dit Michel, prenant une chaise. Maman, je suppose que cette étoile représente celle de Bethléem, n'est-ce pas? — Oui. Chaque arbre de Noël devrait avoir la brillante étoile de Bethléem à sa cime, dit maman. — Y a-t-il des centaines et des centaines d'années que l'on décore ainsi le sapin de Noël ? Est-ce une aussi ancienne coutume que celle qui consiste à orner la maison de gui et de houx pour cette fête ? demanda Anne. — Oh! mais non, répondit maman. Il n'y a pas beaucoup plus d'un siècle que le premier arbre de Noël a été introduit en France. Cette tradition nous vient d'Allemagne et elle a été adoptée par bien d'autres

pays ensuite. C'est ce genre d’idée belle et simple qui se répand peu à peu partout. Nous ignorons qui y a d'abord songé, et à quelle époque. Elle peut être très ancienne, mais ce qu'il y a de sûr, c'est que nous autres Français ne décorons les sapins à l'a Noël que depuis le siècle dernier. - Maman, puis-je mettre les petites bougies dans les bougeoirs de Suzanne ? demanda Anne. — Notre arbre n'est-il pas déjà bien joli ? s'écria Suzanne, reculant pour le mieux contempler. Comme tous ces ornements brillent! Les guirlandes argentées luisent, et l'étoile étincelle! Oh! que je serai contente lorsque toutes les bougies seront allumées! » La matinée entière se passa à décorer l'arbre, mais chacune des minutes fut une joie pour tous! La décoration achevée, chaque rameau s'ornait d'une bougie ou d'un présent. La neige artificielle et les guirlandes en papier d'argent donnaient à l'arbre un éclat qui ajoutait à sa beauté. L'étoile étincelait à la cime; au-dessous se trouvait une petite poupée couronnée d'argent, aux ailes d'argent, et ayant en main la baguette magique, également d'argent. Les petits présents destinés aux membres de la maison étaient suspendus, ça et là, enveloppés dans des papiers aux vives couleurs. « Ceux-là sont de " véritables " présents, dit maman, non point de ces cadeaux utiles qui, selon les vieilles croyances, ne devraient jamais se trouver sur l'arbre lui-même. Ne sont suspendus que les jolis présents destinés à faire la joie et le bonheur de chacun. — Oh! qu'il est joli! s'écria Anne, dansant autour de l'arbre. Oui vraiment, il est magnifique, maman ! Je ne serais pas du tout surprise si les arbres du jardin s'approchaient de la fenêtre pour regarder notre sapin de Noël lorsque les bougies seront allumées! — Quelles drôles de choses tu dis!» s'exclama Michel en riant. Mais il n'en pensa pas moins que l'idée d'Anne était charmante, et il se représenta les houx et les ifs, les bouleaux et les chênes se pressant contre les vitres des fenêtres pour contempler leur bel arbre de Noël tout illuminé!

( Voir solution page 203) 141

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M. Létourneau, ce bon 'vieillard, cherche toujours à se rendre utile mais, quoi qu'il fasse, il ne fait jamais que des sottises. Mme Létourneau avait pris soin du chien d'une de ses amies pendant une huitaine de jours. C'était un charmant petit animal, appelé " Gamin ", fort obéissant, qui s'essuyait toujours les pattes sur le paillasson quand il rentrait à la maison, et ne manquait jamais de dire " Houf ! houf ! " quand on lui donnait son dîner. « Je suis vraiment navrée de m'en séparer, dit Mme Létourneau, le caressant avec tendresse. Mon ami, dit-elle à son mari, veuxtu le reconduire chez Mme Dupin? Elle aimerait le reprendre ce matin. — Certainement, ma chère, certainement ! dit M. Létourneau. Partirai-je maintenant? Il passera un autobus d'ici dix minutes. — Mais oui! Prends ton chapeau, et va-t'en! » dit Mme Létourneau. Elle donna un dernier biscuit au chien, un bon coup de brosse, et attacha la laisse à son collier. « Ah ! ah ! ah ! dit-elle, tâtant le collier. Tu as dû engraisser cette semaine, Gamin! Ton collier est trop serré! » Elle défit le collier et assujettit la boucle à un autre cran. Le chien fut enchanté, sachant qu'il pourrait ainsi se libérer du collier! « Bonne petite bête! s'exclama Mme Létourneau. Maintenant, mon ami, dit-elle à son mari, dépêche-toi ou tu manqueras l'autobus! » M. Létourneau alla chercher son chapeau, jeta un coup d'œil à sa montre et se rendit compte qu'il lui restait à peine cinq minutes pour se rendre à l'arrêt de l'autobus. Saisissant la laisse du chien, il dévala l'allée du

jardin, le chien trottant derrière lui. Parvenu à la grille, le pauvre homme découvrit qu'il avait oublié ses lunettes. Il les avait posées sur une table après les avoir nettoyées. Quel ennui ! «Tant pis! Je m'en passerai! se dit-il, toujours courant. Si nous ne nous dépêchons pas, nous manquerons l'autobus! » Mais le chien rencontra bientôt une amie, ravissante petite pékinoise que Gamin trouvait merveilleuse. Elle remua sa queue empanachée, et Gamin remua aussi la sienne. « Arrêtez-vous un instant, et parlons », dit-elle. Gamin se tortilla et réussit à se débarrasser de son collier. Il courut vers la pékinoise et lui lécha joyeusement le bout du nez. Il était tout disposé à' jouer. La pékinoise, stupéfaite, regarda M. Létourneau s'éloigner à la hâte. « N'est-il pas contrarié de s'en aller sans vous? dit-elle. - Je ne lui ai pas demandé la permission de le quitter, répondit Gamin. Dites donc.

Le chien rencontra bientôt une amie.

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n'est-ce pas comique de voir mon collier courir le long de la route tout seul? » Et, d'un bond, Gamin tourna le coin de la rue et s'amusa bien avec son amie. Quant à M. Létourneau, inconscient de la disparition du chien, il longeait la rue au petit trot, tirant la laisse et le collier vide, sifflotant tout en guettant l'autobus. Lui aussi rencontra un ami, M. Genty, qui , ouvrit de grands yeux à la vue d'un Létourneau traînant un collier de chien. « Où allez-vous? lui cria-t-il. Je rapporte ce mignon petit chien à sa maîtresse, dit M. Létourneau, le visage rayonnant de joie. N'est-ce pas une bonne petite bête, trottinant si gentiment derrière moi ? » M. Genty se demanda si son ami n'avait pas perdu l'esprit, mais il n'eut pas' le temps de formuler sa pensée, parce que M. Létourneau courait de plus belle. M. Genty, regardant le collier courir aussi, éclata de rire. Enfin M. Létourneau parvint juste à temps devant l'arrêt de l'autobus. Il sauta dans le véhicule, toujours tirant laisse et collier. « Installe-toi sous la banquette, mon petit chien, et couche-toi! » dit M. Létourneau, s'efforçant de voir le chien. Il ne put naturellement apercevoir Gamin et se dit que l'animal s'était déjà réfugié sous le siège. « Bonne petite bête », dit-il au collier. Et, s'adressant au receveur : « Donnez-moi, dit-il, un billet pour moi-même et un autre pour mon chien. - Quel chien? demanda le receveur, ébahi. - Vraiment, certaines gens posent des questions stupides ! s'exclama M. Létourneau. Ne reconnaissez-vous pas un chien lorsque vous en voyez un? Imaginiez-vous que j'avais un chat ou un canari en laisse? » Le receveur prit un air offensé. Puis il songea que si vraiment M. Létourneau voulait acheter un billet pour un chien inexistant, cela le regardait! Il lui donna donc deux billets. A l'arrêt suivant, entra une très grosse femme avec un petit chien sous le bras. Elle voulut s'asseoir à côté de M. Létourneau. « Madame, mon chien est sous la banquette, dit-il. Vous feriez mieux de vous installer en face. Nos chiens pourraient se battre. » La grosse femme regarda sous le siège et ne vit point de chien. Elle imagina que M.

Létourneau lui racontait une histoire pour être confortablement installé. Elle s'assit donc en face de lui, lui jetant des regards furieux. M. Létourneau se sentit horriblement gêné. « Je suppose que vous vous croyez intelligent ! » dit-elle d'une voix glacée. Le pauvre homme fut stupéfait. Il ne s'était jamais cru intelligent, et il se demandait pourquoi cette grosse femme l'accusait d'avoir de telles prétentions. Il se sentait de plus en plus gêné, car la femme aux grands yeux noirs continuait à le regarder avec fureur. Il se pencha et se mit à parler à Gamin. Il faisait sombre sous la banquette, et comme M. Létourneau avait oublié ses lunettes, il ne put rien voir. Mais il dit d'une voix douce : « Bon chien-chien! Bon Gamin! Reste couché! » Nul son ne parvint de dessous la banquette, ce qui n'était point surprenant. « Vous vous trouvez bien malin, hein? dit la grosse femme d'une voix méprisante. - Non, madame, non, je n'ai jamais pensé l'être, dit M. Létourneau, qui se leva pour quitter l'autobus, se demandant ce que cette femme pourrait encore bien lui dire. Viens, Gamin, fit-il, viens! — Attention! Il pourrait vous mordre! lui lança la grosse femme. » II sauta de la voiture et, le nez en l'air, poursuivit son chemin. « Hé ! là-bas ! Votre chien est allé poursuivre un chat! » cria un galopin

M. Genty ouvrit de grands yeux à la vue de M. Létourneau traînant le collier de Gamin.

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M. Létourneau cligna les yeux à la vue du collier. « Seigneur! Que les enfants sont donc stupides ce matin ! pensa le pauvre M. Létourneau. Ah ! voici la maison de Mme Dupin ! » II gravit l'allée et heurta le marteau de la porte. Mme Dupin vint ouvrir. « Oh! entrez donc, dit-elle. Je me demandais si vous me rapporteriez mon Gamin chéri aujourd'hui. — Mais oui, le voici! dit M. Létourneau joyeusement, traînant le collier dans le vestibule. Il a été sage comme une image! » II se retourna pour regarder Gamin, mais le vestibule était sombre et il ne vit pas le chien. « II a dû se glisser sous ce coffre, dit-il. — Mais il n'est pas entré avec vous, dit Mme Dupin, intriguée. Tout au moins, je suis sûre de ne pas l'avoir vu! — Il trottait derrière moi, dit M. Létourneau. Il était en laisse! » II tira sur la laisse, et le collier tomba à ses pieds. « Miséricorde! dit-il. Il a réussi à sortir la tête du collier, ce petit coquin ! Eh bien ! il est sous votre coffre, madame. Appelez-le! Il faut que je m'en aille, ou je manquerai l'autobus! Au revoir, Gamin, bon chien! » II descendit au trot l'allée du jardin, tandis que Mme Dupin cherchait en vain son chien. M. Létourneau prit l'autobus et fut bientôt de retour chez lui.

« Eh bien! lui dit sa femme, dès qu'elle lui eut ouvert la porte, où donc as-tu été? Ne t'avais-je pas demandé de rapporter Gamin à Mme Dupin? — Mais c'est ce ,que j'ai , fait, dit M. Létourneau, surpris. Il a été sage comme une image pendant tout le trajet, et je l'ai laissé chez Mme Dupin. Il est allé se fourrer sous le coffre du vestibule! — Ah, bon! Et je suppose qu'il a repris l'autobus pour revenir chez nous avant toi! dit Mme Létourneau, furieuse. Gamin ! viens ici! » Et, à l'intense surprise du pauvre M. Létourneau, Gamin sortit au galop de la cuisine, mit ses pattes de devant sur le ventre de M. Létourneau et tenta de lui lécher le menton ! « Mais je t'ai reconduit chez ta maîtresse, il n'y a qu'un instant, s'écria le pauvre homme, si effaré qu'il se laissa tomber sur une chaise. Il doit y avoir deux Gamin! Il n'y a pas de doute! — Heureusement qu'il n'y a pas deux M. Létourneau, répliqua sa femme, fort grognon. Je vais être obligée de conduire moimême Gamin chez lui ! Et sans collier et sans laisse, encore! Vraiment, mon ami, tu mériterais une correction ! » > Elle paraissait si mécontente que le pauvre M. Létourneau se réfugia dans la cabane à outils et y resta toute la journée. Et il n'a pas encore compris pourquoi, ayant reconduit Gamin chez Mme Dupin, il l'avait retrouvé chez lui à son retour !

A la surprise du pauvre M. Létourneau^ Gamin sortit de la cuisine au galop.

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L'AVALEUR DE FLAMMES Voici une autre histoire des célèbres Cinq, François, Mick, Claude, Annie et le chien Dagobert. Ils passent leurs vacances en voyageant dans une roulotte, et campent maintenant tout près d'un groupe de forains. Une silhouette massive se profila dans le crépuscule. C'était Alfredo, l'avaleur de feu. « Jo, es-tu là? demanda-t-il. Ta tante t'invite à dîner, avec tous tes amis. Venez! » II y eut un silence. Annie regarda François avec appréhension. Allait-il encore faire le fier? Elle espérait que non. « Merci, dit enfin François. Nous acceptons avec plaisir. - C'est gentil de votre part, dit Alfredo. Voulez-vous que je fasse mon numéro pour vous amuser? J'avalerai du feu devant vous! » C'était trop tentant! Tous les enfants se levèrent sans tarder et suivirent le grand Alfredo jusqu'à sa roulotte. « Vous allez réellement avaler du feu pour nous ? demanda Annie. Comment vous y prenez-vous? - Oh! C'est très difficile! dit Alfredo. Je le ferai à la condition que vous me promettiez de ne pas essayer vous-mêmes. Vous ne voulez pas avoir des ampoules dans la bouche, n'est-ce pas? » Maintenant, attendez-moi bien gentiment, je vais chercher mes accessoires, et avaler du feu pour vous !» Quelqu'un d'autre s'assit près d'eux. C'était Buffalo. Il leur sourit. Carmen arriva aussi, puis le dresseur de serpents. Ils prirent place de l'autre côté du feu. Alfredo revint en portant quelques objets dans sa main. « On dirait un cercle de famille! dit-il. Maintenant, regardez, le spectacle commence!» Alfredo s'assit dans l'herbe, à une certaine distance du feu. Il plaça devant lui un petit bol de métal qui sentait l'essence. Puis il éleva en l'air deux objets qu'il montra aux enfants.

« Ce sont ses flambeaux, dit Mme Alfredo, fièrement. Il avale le feu qui en sort. » Alfredo parla à voix basse au dresseur de serpents, et trempa ses deux flambeaux dans le bol. Ils n'étaient pas encore allumés, et ressemblaient, à ce moment-là, à deux cylindres sombres. L'homme-aux-serpents se pencha et prit dans le feu une brindille qui brûlait. Il la lança dans le bol. Immédiatement, l'essence s'enflamma. Alfredo approcha du bol un flambeau, puis l'autre. Ils s'allumèrent aussitôt et jetèrent de hautes flammes. Les yeux d'Alfredo brillaient d'un étrange reflet, tandis qu'il tenait un flambeau dans chaque main. Les cinq enfants regardaient, captivés. Puis Alfredo renversa la tête en arrière, et ouvrit toute grande sa large bouche. Il introduisit dedans l'un des flambeaux allumés, et ferma la bouche dessus. Ses joues devinrent incroyablement rouges, éclairées curieusement par les flammes qui étaient à l'intérieur. Annie poussa un cri étouffé. Claude et les garçons retinrent leur souffle. Seule, Jo regardait sans émotion apparente. Elle avait vu son oncle se livrer à cet exercice bien des fois! Alfredo ouvrit la bouche, et des flammes en jaillirent.

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Avec un flambeau allumé dans chaque main, l'essence brûlant dans le bol, c'était un spectacle extraordinairement impressionnant! Il fit la même chose avec l'autre flambeau, et une fois encore ses joues s'éclairèrent comme une lampe. Puis le feu s'échappa de sa bouche, et les flammes ondulèrent sous la brise du soir. Alfredo ferma la bouche. Il, avala. Puis il regarda autour de lui, ouvrit la bouche pour montrer qu'il n'y avait plus de flammes dedans, et sourit, satisfait. Il aimait son métier. «Alors, qu'en pensez-vous ?» demanda-t-il en rangeant soigneusement ses flambeaux. Le contenu du bol avait cessé de brûler, et seul le feu de camp éclairait encore la scène. « C'est merveilleux, dit François avec admiration. Mais ne vous brûlez-vous pas la bouche ? - Qui, moi? Non, jamais! s'exclama Alfredo en riant. Les premières fois, oui, sans doute, quand j'ai commencé, il y a bien des années. Mais maintenant, non. Ce serait une chose déshonorante pour moi que de me brûler. — Mais... comment faites-vous pour ne pas vous brûler? » demanda Mick, piqué par la curiosité. Alfredo refusa de donner la clef du mystère. « Je sais avaler du feu », annonça Jo d'un air détaché. « Oncle Fredo, prête-moi l'un de tes flambeaux! - Jamais de la vie! rugit Alfredo. Est-ce que tu veux risquer de te transformer en torche vivante? — Non, et cela ne m'arrivera pas, répondit Jo. Je t'ai observé et je sais comment tu t'y prends. J'ai déjà essayé. Tu te vantes! s'écria Claude. — Écoute, dit Alfredo, si tu avales du feu, je te ferai passer l'envie de recommencer. — Non, Alfredo, dit sa femme. C'est à moi que Jo aura affaire si elle n'est pas raisonnable. Écoutez-moi bien tous, et toi surtout, Jo : s'il y a quelqu'un d'autre ici qui avale du feu, ce sera moi, oui, moi, ta femme, Alfredo! - Non, tu n'avaleras pas de feu », dit Alfredo d'une voix forte, mais il craignait visiblement que son exubérante épouse ne passât outre.

Puis Alfredo ouvrit toute grande sa large bouche. Annie poussa soudain un cri de frayeur. Un long corps cylindrique glissait entre elle et François! C'était un des pythons du dresseur de serpents, qui avait suivi son maître. Les enfants, très occupés, ne l'avaient pas remarqué. Jo l'attrapa et ne voulut plus le lâcher. « Laisse-le, dit le dresseur de serpents. Il veut revenir près de moi. — Je voudrais le tenir un moment, dit Jo. Il est si doux et si froid... J'aime les serpents. » La curiosité aida François à surmonter la répulsion qu'il éprouvait, et il posa sa main sur le reptile. Celui-ci était froid, en effet, et très doux au toucher, malgré l'aspect de sa peau écailleuse. François en fut surpris. Le python monta en glissant jusqu'à l'épaule de Jo et ensuite redescendit le long de son dos. « Ne le laisse pas enrouler sa queue autour de toi, avertit le dresseur de serpents. Je te l'ai déjà dit.

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— Je veux le porter autour de mon cou comme une fourrure », dit Jo, et elle tira sur le serpent jusqu'à ce qu'enfin il fût posé selon sa fantaisie. Claude l'observait avec une admiration involontaire. Annie avait préféré mettre quelque distance entre elle et Jo. Les garçons regardaient, fascinés, et leur estime pour la petite gitane en fut augmentée. Un chant très doux, accompagné à la guitare, s'éleva dans la nuit. C'était Carmen, la femme de Buffalo, qui chantait d'une voix contenue une mélodie triste, avec un refrain d'une gaieté inattendue que les saltimbanques reprenaient en chœur. A peu près tout le camp était réuni alors, et il y avait là quelques artistes que les enfants n'avaient encore jamais vus. C'était très amusant d'être assis autour d'un beau feu, d'écouter le chant bohémien qui résonnait étrangement à leurs oreilles, en compagnie d'un avaleur de feu et d'un serpent qui semblait, lui aussi, apprécier la musique! Il abandonna Jo tout à coup et s'approcha de son maître. « Oh! Balthazar », dit le curieux petit homme en laissant le serpent glisser dans ses mains. « Tu aimes la musique, n'est-ce pas? — Regarde-le ! murmura Annie à Claude. Il a de la tendresse pour cet animal-là! Comment peut-on s'attacher à une bête aussi répugnante ?

— Je ne le trouve pas répugnant, répondit Claude. On s'y habitue très vite. » La femme d'Alfredo se leva. « II est temps de partir, dit-elle à l'assemblée. C'est l'heure du dîner. « Alfredo a faim. N'est-ce pas, Alfredo? » Celui-ci approuva. Il replaça la lourde marmite sur le feu, et — tandis que les autres saltimbanques regagnaient leurs roulottes — une si bonne odeur se répandit que les cinq enfants commencèrent à se sentir en appétit. « Où est Dagobert? demanda soudain Claude. — Il s'est sauvé quand il a vu le serpent, dit Jo. Je l'ai vu partir. Dagobert, reviens ! Tout va bien! Dagobert! — Merci, je vais l'appeler moi-même, dit Claude. C'est mon chien! Dagobert! » Dagobert revint, l'oreille basse. Claude le caressa et Jo aussi. Il leur lécha la main à toutes deux. Claude essaya de l'éloigner de Jo. Dagobert témoignait toujours de l'affection à la petite gitane, et ce n'était pas du goût de Claude. Le souper fut très réussi. « Qu'y a-t-il dans la marmite? demanda Mick en acceptant une seconde assiettée. Je n'ai jamais mangé un aussi bon ragoût! - Du poulet, du canard, du bœuf, du lard, du lapin, du lièvre, des oignons, des carottes, des navets..., énuméra la femme d'Alfredo. Je mets dedans tout ce qui me tombe sous la main. Ça cuit et je remue, ça cuit et je remue. Un jour une perdrix tombe dans la marmite, le lendemain c'est un faisan, et... - Tiens ta langue, femme », gronda Alfredo, qui ne tenait pas à ce que les fermiers des environs vinssent poser des questions au sujet de quelques-unes des merveilles contenues dans la marmite. « Merci beaucoup pour cet excellent dîner », dit François, quand il sentit qu'il était temps de se retirer. Il se leva et les ' autres suivirent son exemple. « Et merci d'avoir fait votre numéro pour nous, Alfredo, ajouta Claude. C'était sensationnel ! Nous avons constaté avec plaisir que cet exercice ne vous a pas coupé l'appétit! — Me couper l'appétit? Quelle plaisanterie ! » dit Alfredo.

« Je veux le porter autour de mon cou comme une fourrure », dit Jo.

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II était une fois Quatre Sages qui chevauchaient en pays étranger, accompagnés d'un domestique. La nuit venue, ils mirent pied à terre et ordonnèrent à leur serviteur de leur préparer un abri où dormir. Tandis que s'affairait le domestique, les chevaux, soudain pris de peur, s'enfuirent au galop dans les ténèbres. Les Sages grondèrent l'homme consterné et lui enjoignirent de rattraper les chevaux. « Mais, seigneurs, comment y parviendraije? demanda le serviteur. Il fait nuit noire et j'ignore où ces bêtes s'en sont allées! — Voilà ce que c'est que d'avoir un imbécile pour vous servir! s'écria l'un des Sages. Si vous aviez été aussi savant que nous, chose pareille ne se serait point produite! » A cet instant, il trébucha sur une masse énorme, et demeura pétrifié d'étonnement... C'était un éléphant qui errait à l'aventure! Le Sage tâta le vaste flanc de la bête, puis tenta de la repousser. L'animal ne bougea point. « C'est un immense rocher! s'écria le Sage. Nous y trouverons un abri pour la nuit. » Ses compagnons s'approchèrent. L'un d'eux passa la main sur l'une des pattes rugueuses de l'éléphant et se mit à rire : « Ce n'est pas un rocher, c'est un arbre! Ses branches nous protégeront admirablement... » Le troisième Sage se saisit de la trompe de l'éléphant qui se tortilla dans tous les sens.

« C'est un serpent, hurla-t-il, épouvanté. Comment pouvez-vous croire qu'il s'agisse d'un rocher ou d'un arbre? Vous êtes fous! Eloignons-nous! Je vous affirme que c'est un serpent! » Le quatrième Sage étendit lui aussi la main et rencontra les défenses de l'éléphant. « C'est une vache, déclara-t-il. Je touche ses cornes. Quelle chance! Nous allons pouvoir boire du lait! — Un serpent a-t-il des cornes? grommela le troisième Sage, méprisant. — Je Vous dis que c'est un arbre, dit le second, tâtant à nouveau la patte de l'éléphant. — Mais non! C'est un gigantesque rocher! affirme le premier », donnant de grands coups de poings contre le flanc dur et résistant de l'animal. Là-dessus, ils se mirent à se quereller et à se battre, tandis que le pauvre domestique les regardait, apeuré. « Maîtres! Maîtres! cria-t-il. Vous ne pouvez tous avoir raison, et vous ne pouvez tous vous tromper, étant si savants. Je vais allumer ma lanterne et nous verrons bien de quoi il retourne! — Imbécile », dirent les Sages. Et, une fois de plus, ils soutinrent qu'ils avaient affaire à un rocher, à un arbre, à un serpent et à une vache! Tout tremblant, le domestique alluma sa lanterne, la tint aussi haut qu'il put, et les cinq hommes regardèrent leur découverte. « C'est un éléphant! s'écria le serviteur, tout joyeux. Nous le monterons jusqu'à la ville la plus proche! Mais, maîtres, vous aviez tort tous les quatre! - Je vous dis que c'est un rocher, dit l'un. — Non! un arbre. — Non! un serpent qui se tortille. — Non! une vache à cornes! — Eh bien! je vous laisse à votre sagesse, s'écria le serviteur, montant sur le cou de l'éléphant. Peut-être ne suis-je qu'un imbécile, mais il me semble que nous avons ici un éléphant! Mieux vaut un sot en sûreté qu'un Sage en danger ! Bonne nuit, maîtres ! » Là-dessus, il disparut, et personne n'a jamais su ce qu'il advint des Quatre Sages!

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LE SECRET DE L'ILE VERTE Trois enfants se sont enfuis de chez eux., où ils étaient très malheureux, et, guidés par Jean, un jeune paysan, ils se sont rendus mystérieusement dans une petite île du lac où ils ont l'intention de vivre tous ensemble. Mais il leur faut d'abord construire un abri. En lisant l'histoire vous découvrirez comment ils parviennent à édifier au moyen de jeunes saules, de bruyères et de fougères, une maison solide à l'abri de la pluie et du vent. Le parcours jusqu'à l'île était assez long. Le soleil montait de plus en plus dans le ciel et les jeunes aventuriers avaient de plus en plus chaud. Finalement, Linette désigna quelque chose du doigt, qui se dressait dans l'eau droit devant elle. « L'île déserte! annonça-t-elle. Notre île déserte! » Guy et Jean cessèrent de ramer pour contempler à leur tour l'île secrète. Puis ils empoignèrent à nouveau les rames avec un regain d'énergie et bientôt la petite colonie débarqua sur la plage. Quel plaisir pour les enfants, le lendemain matin, de se réveiller dans leur île ! Jean fut le premier à ouvrir les yeux, arraché en sursaut à ses rêves par les trilles aigus d'un oiseau qui, perché sur un arbre voisin, s'en donnait à cœur joie. Jean sourit et se tourna vers Guy. « Hé ! Guy ! Debout, paresseux ! Le soleil est déjà haut dans le ciel. » Guy se mit sur son séant et se frotta les yeux. Jean les fit se baigner dans le lac.

Quel plaisir pour les enfants, le lendemain matin, de se réveiller dans leur île. Sur le moment, il se demanda où il était. Puis un sourire de satisfaction s'épanouit sur ses lèvres. Il se trouvait sur l'île secrète... Quelle chance! « Nicole ! Linette ! Debout ! cria-t-il à son tour. » Ses deux sœurs se réveillèrent et regardèrent autour d'elles d'un air effaré. Comment étaient-elles là? Où était passée leur chambre? Que signifiaient ces arbres?... Et puis, tout d'un coup, elles se rappelèrent... Bien sûr, c'était là leur logis provisoire sur leur nouveau domaine! Bientôt les quatre enfants furent debout et, pleins d'entrain, se préparèrent à commencer une agréable journée. Tout d'abord, sur les conseils de Jean, ils passèrent leur maillot pour prendre un bain dans le lac. Ce fut une baignade délicieuse bien que l'eau parût un peu froide au premier contact. Après s'être sèches à l'aide d'un morceau de toile - - car ils ne possédaient pas de serviette -- les jeunes Robinsons se sentirent affamés. Mais Jean n'était pas resté inactif. Il avait préparé sa canne à pêche et mis sa ligne à l'eau dès son réveil. Et, pendant qu'il nageait dans le lac, il n'avait cessé de surveiller son bouchon qui, à plusieurs reprises,

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s'était enfoncé sous ses yeux. Et à présent, non sans fierté, il pouvait exhiber quatre beaux poissons. Il n'y avait plus qu'à allumer du feu pour les faire cuire. « Tu n'y songes pas ! se récria Nicole en riant. Manger des poissons au petit déjeuner! Non, non, nous allons les envelopper dans des feuilles et les garder au frais pour le repas de midi. Mais allume tout de même ton feu pour faire chauffer de l'eau! » Guy courut à la source pour y remplir la bouilloire. A son retour, le feu flambait gaiement et Nicole se hâta de délayer du café en poudre et de distribuer des biscuits à chacun. « C'est bien agréable de manger ainsi en plein air, soupira Linette, un instant plus tard, en savourant son café brûlant. — Sans doute, rétorqua sa sœur. Mais ce serait plus agréable encore si nous avions du lait à mettre dans notre café. — C'est vrai! renchérit Jean. Le lait nous manque beaucoup. Mais j'ai une idée dont je vous parlerai plus tard. Pour le moment, je propose que nous nous dépêchions de laver les bols... et puis nous commencerons à construire notre maison.» Tous se hâtèrent de ranger la vaisselle. Puis, à la file indienne, les enfants se glissèrent entre les troncs des saules et débouchèrent dans la petite clairière que Jean leur avait montrée la veille. « Et maintenant, dit celui-ci, je vais vous expliquer comment il faut s'y prendre pour bâtir une jolie cabane... Vous voyez ces jeunes saules... un ici... deux là... et encore deux là... Eh bien, je crois que nous pouvons monter dessus et en courber les branches de manière que les unes et les autres se rejoignent au centre. Nous les entrecroiserons, puis nous les fixerons solidement ensemble. Ce sera la charpente de notre toit. Avec ma hache, j'abattrai quelques autres jeunes saules. Leur tronc et les branches les plus grosses serviront à faire les murs : nous les planterons en terre, entre les six saules utilisés au départ, et nous comblerons les intervalles à l'aide de branches plus petites. Enfin nous boucherons les creux restants avec des fougères et de la bruyère. En fin de compte, nous aurons une jolie maison, avec un toit solide, et des murs à l'épreuve de la pluie et du vent. Qu'en dites-vous? »

« Voici comment je m'y prendrai pour construire la maison », dit Jean. Les trois petits Arnaud avaient écouté avec une extrême attention ce que Jean leur expliquait. C'était presque trop beau pour y croire. Ils n'osaient se réjouir à l'avance et le travail leur paraissait difficile. «Jean! Penses-tu que ce soit aussi facile que cela? s'inquiéta Guy. Tout se présente si bien... ces saules sont espacés comme il faut... et leurs branches supérieures sont touffues et assez rapprochées les unes des autres. — Commençons donc tout de suite! s'impatienta Nicole qui ne tenait plus en place. Je suis sûre que tout va marcher à merveille. — Je vais monter sur ce premier saule et courber ses branches sous mon poids, décida Jean. Vous autres, attrapez les rameaux dès qu'ils arriveront à votre niveau et tenez-les courbés tandis que je monterai sur un second arbre. Quand toutes ces branches seront liées les unes aux autres, nous nous mettrons tout de suite à renforcer le toit. Je vous montrerai comment faire. » Joignant le geste à la parole il se mit à grimper sur le saule le plus rapproché. C'était un jeune arbre, avec un tronc mince,

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Ils abaissèrent les branches des saules. et des branches longues et touffues, faciles à ployer. Guy et ses sœurs n'eurent aucun mal à les attraper et à les retenir. Jean se laissa alors glisser à terre et monta sur un autre. Il répéta l'opération précédente, courbant les branches du haut jusqu'à ce que ses camarades les attrapent. « Attache tous ces rameaux ensemble, Guy! cria-t-il. Nicole, va chercher la corde que j'ai apportée. » Nicole se précipita et revint avec la corde réclamée. Guy s'en servit pour attacher solidement les branches des deux arbres. « Ça commence presque à faire un toit! s'écria Linette, rouge de plaisir. Oh! j'ai envie de m'asseoir dessous. » Elle s'installa sous l'abri de feuillage mais Jean la rappela à l'ordre. « Veux-tu te lever, paresseuse ! Nous avons besoin de toi. Je passe maintenant au troisième arbre. » II répéta une fois de plus la manœuvre. Les branches que Nicole et Linette attrapèrent étaient encore plus touffues que celles déjà en place. Tandis qu'elles les maintenaient courbées, Guy les attacha aux autres. Avec le quatrième arbre, la " charpente " du toit prit tournure. Toute la matinée fut consacrée à cette passionnante besogne. Vers midi, les sommets des six arbres étaient réunis. Jean montra à ses amis comment disposer d'autres branches, coupées, celles-là, afin que le toit fût bien étoffé et étanche.

« Vous comprenez, les branches principales faisant toujours partie de l'arbre continueront à pousser et à s'épaissir. Notre toit en sera d'autant plus solide. N'est-ce pas épatant ? Notre maison ne possède pas encore de murs mais, s'il vient à pleuvoir, nous aurons toujours un abri. — En attendant, je meurs de faim! s'écria Nicole que ce travail au grand air avait mise en appétit. Il est temps que j'aille faire cuire les poissons que tu as attrapés ce matin, Jean! — Nous pourrons y ajouter quatre œufs et des pommes de terre, répondit le jeune garçon. Nous ferons bouillir les œufs à la coque dans une casserole. La même eau pourra servir pour faire cuire nos pommes de terre... à moins que nous ne les mettions sous la cendre. Et, comme dessert, rappelez-vous que j'ai des cerises. - Un vrai festin! s'écria Nicole. Au fond, tous nos repas sont des pique-niques, à présent. N'est-ce pas amusant? » Tout en parlant, les enfants avaient rejoint leur " camp " sur la plage. Nicole prit la direction des opérations. « Guy, va vite chercher de l'eau. Nicole, aide-moi à peler les pommes de terre, veux-tu? Il n'y a pas assez de cendre chaude pour que nous les fassions en robe des champs. » Quelques instants plus tard, le feu pétillait gaiement et les œufs cuisaient dans la casserole. Les poissons étaient déjà prêts... et les enfants s'en régalaient. « C'est à peine s'ils ont un léger goût de fumée! s'écria Linette. Moi je les trouve si bons que je te conseille d'en pêcher d'autres pour ce soir, Jean. » Nicole prit un air soucieux. « Je constate, dit-elle, que nous mangeons comme des ogres. A cette allure, nos provisions ne dureront pas longtemps, j'en ai peur. — C'est un problème auquel j'ai réfléchi, répondit Jean en attaquant son œuf. Je crois que, de temps à autre, il faudra que nous allions à terre pour nous procurer des vivres. Le potager de grand-père pourra nous fournir pas mal de choses. Nous n'avons pas de voisins immédiats à qui laisser nos légumes et, lorsque ma tante emmènera grand-père, elle

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n'ira pas s'encombrer des carottes ou des pommes de terre qui resteront. Nous pourrons donc les prendre sans nuire à personne. D'ailleurs, avant le départ de grand-père, j'irai faire un raid dans le poulailler. Voyez-vous, je possède quelques poules bien à moi et par conséquent je peux en disposer comme je veux. Elles nous donneront des œufs... Et puis... savez-vous que j'ai aussi une vache? -Grand-père me l'avait donnée alors qu'elle n'était encore qu'un petit veau. - Ça, par exemple, c'est de la chance! s'écria Nicole. Ce serait tellement merveilleux si nous pouvions avoir ici une vache et des poules! Cela signifierait du lait frais et des œufs tous les jours. — Mais comment feras-tu pour amener toutes ces bêtes ici? demanda Guy en riant. En tout cas, ton idée est bonne. Toi et moi pourrons aller à terre de nuit et rapporter des provisions. — Ce sera dangereux! gémit Linette. Supposez qu'on vous surprenne? — Oh! nous serons prudents! promit Jean. Bon, voilà notre repas terminé. Vous, les filles, faites la vaisselle et rangez les affaires. Guy et moi retournons au travail. Il faut que notre maison soit terminée le plus tôt possible. » Linette aurait fait volontiers une petite sieste, mais elle n'osa pas protester et se mit à l'ouvrage. Quand Nicole et elle eurent remis en place les plats du déjeuner et renouvelé la provision de branchettes pour le feu du soir, elles coururent rejoindre les garçons. Jean avait déjà fait du bon travail. Il avait abattu de très jeunes saules avec sa hache et en avait coupé les plus longues branches. « Nous allons les planter en terre pour faire les murs de notre maison, annonça-t-il. Où est cette vieille bêche, Guy? Tu n'as pas oublié de l'apporter, au moins? — Non, la voici! répondit Guy. Dois-je faire des trous profonds? - Oui, dit Jean. Assez profonds. » Guy se mit à creuser avec courage, sous le soleil, tandis que les filles s'activaient à dépouiller de leurs feuilles les branches coupées. Tout le monde travailla jusqu'à ce que le soleil commençât à décliner.

Bientôt le feu flambait joyeusement et les œufs bouillaient dans la casserole. La maison n'était pas encore construite — il faudrait plusieurs jours avant qu'elle ne fût terminée — mais elle possédait déjà un toit et une partie des murs. Les enfants pouvaient, dès à présent, se faire une idée de l'aspect général qu'elle aurait une fois finie. Les jeunes constructeurs se sentaient tout fiers d'eux-mêmes. « En voilà assez pour aujourd'hui! décida Jean en s'épongeant le front. Nous sommes tous fatigués. Retournons au camp. Je vais préparer ma ligne et voir si je peux attraper quelques poissons. » Mais si le jeune garçon avait compté sur une friture pour le repas du soir, il fut déçu : rien ne mordit à son hameçon. « Tant pis, déclara Nicole. Il reste du pain, de la laitue, des cerises... - La question du ravitaillement doit être réglée le plus tôt possible, dit Jean d'un air pensif. Nous avons toute l'eau désirable, nous aurons bientôt un abri... mais nous manquons de nourriture et risquons de mourir de faim. Bien sûr, je pourrais attraper des lapins... - Oh ! non, Jean, ne fais pas ça ! supplia Linette. Ils sont si gentils. Ce serait un crime de les tuer. - Je n'y tiens pas plus que ça, avoua Jean. Aussi est-il urgent que je ramène dans l'île mes poules et cette vache dont je vous ai parlé. » Guy, Nicole et Linette regardèrent leur ami d’un air stupéfait. A la rigueur, Jean pouvait ramener des poules, mais quand il avait fait allusion à la vache, ils avaient pensé qu'il plaisantait.

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Jean sourit de leur mine surprise. « Ne vous tracassez donc pas. J'ai mon idée. En attendant, contentons-nous de ce que nous avons ce soir. J'ai faim. Après, nous irons nous coucher. Demain nous nous lèverons tôt pour travailler à notre maison... et je songerai aux problèmes sérieux. » Les jeunes Robinsons, ce soir-là, firent un frugal repas consistant en tartines de margarine et en feuilles de laitue non assaisonnées. Ils se privèrent même de cerises, préférant les réserver pour le lendemain. Après dîner, ils flânèrent un moment au bord du lac, firent leur toilette au bord de l'eau puis gagnèrent leur chambre à coucher en plein air. La fatigue aidant, tous s'endormirent très vite. Le lendemain matin, après le déjeuner matinal, les enfants prirent quelques poissons dans le lac. Étant ainsi assurés d'une bonne friture pour leur repas de midi, ils respirèrent plus à l'aise. Mais comme, par ailleurs, les autres provisions tiraient à leur fin, Jean décida qu'il prendrait son bateau, le soir venu, pour aller à terre voir ce qu'il pourrait rapporter. En attendant, tout le monde se remit avec courage à la construction de la cabane parmi les saules. Jean coupa encore plusieurs jeunes arbres pour faire les murs. Guy se remit à creuser des trous pour y planter les branches. Peu à peu, la cabane prenait forme. Jean montra aux filles comment passer de longues branches de part et d'autre des jeunes saules plantés en terre, de manière à obtenir une sorte de cloison " tissée ", selon son expression. Il leur fit voir aussi comment boucher les fissures à l'aide de bruyère et de mousse. La besogne était facile en soi... mais elle donnait chaud! Guy se rendit un nombre incalculable de fois à la source pour y remplir la bouilloire. L'eau était fraîche et les quatre amis ne se lassaient pas d'en boire avec délice. Pourtant l'ardeur du soleil était tamisée par les branches des arbres alentour. « Allons, nous pouvons être fiers de notre travail, déclara Jean au bout d'un moment. Voyez, j'ai laissé ici un espace dans ce mur. C'est l'endroit où sera plus tard la porte.

Les quatre enfants travaillèrent avec ardeur toute la matinée. Nous en fabriquerons une avec des branches souples entrecroisées et, avec deux bouts de fil de fer, je confectionnerai deux gonds de façon à ce qu'elle puisse s'ouvrir et se fermer. Mais cela n'est pas pressé. » Ce jour-là, les jeunes travailleurs se donnèrent tant de mal qu'ils finirent les quatre murs de la cabane. « Parfait! apprécia Jean en passant en revue le travail des filles. Vous avez fait de la bonne besogne. Presque toutes les fissures sont bouchées. Ça ira comme ça, je suppose. D'ailleurs, avec le temps, nos murs ne feront que devenir plus épais et plus solides. » Guy regarda son camarade d'un air ébahi. « Que veux-tu dire? questionna-t-il. Un ouvrage ne peut s'améliorer tout seul! — Nos murs, si! répondit Jean en riant, les piquets que nous avons plantés en terre pousseront et donneront plus tard des feuilles qui consolideront nos murs. Tu plaisantes! Des piquets ne peuvent pas pousser ! s'écria Guy de plus en plus surpris. - Mais si, je te l'assure... quand ces piquets sont en saule ! déclara Jean. Tu peux très bien couper une branche de saule, la dépouiller de toutes ses feuilles et de tous ses bourgeons et la planter en terre... eh bien, elle poussera et tu t'apercevras que, bien qu'elle n'ait pas de racines, elle donnera naissance à un nouvel arbre : un saule complet! Les saules sont pleins de vie et il est difficile de les tuer! - Si ce que tu dis est vrai, s'écria Nicole

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avec pétulance, notre bois ne cessera de grandir d'un bout de l'année à l'autre! Je trouve sensationnel d'habiter une maison dont les murs et le toit sont vivants... et qui se couvrira de feuilles nouvelles avec le temps! — Comment appellerons-nous notre maison? demanda Linette. -r*; Je propose que nous la baptisions " Le Chalet des Saules ", répondit Jean. C'est un nom qui lui convient tout à fait. — Oui, tu as raison, opina Nicole. Ce nom me plaît. Tout d'ailleurs me plaît ici. Nous vivons une véritable aventure. Rien que nous quatre... sur notre île secrète! — Si seulement nous avions davantage à manger! soupira Guy qui avait faim à toute heure du jour. Le ravitaillement! Voilà le point faible de notre belle aventure! — Ne te tracasse donc pas ! conseilla Jean. Attends ce soir... » Après un dîner des plus frugaux, Jean déclara qu'il attendrait la nuit pour partir en bateau voir ce qu'il pourrait rapporter de la ferme de son grand-père. Quand l'instant fut venu, il prit, avec lui une bougie, la fixa à l'intérieur d'une lanterne, mais ne l'alluma pas tout de suite de crainte d'être aperçu du rivage. « Pour ce soir, dit-il aux autres, il vaut mieux que je parte seul. Attendez-moi ici tout en alimentant le feu... Mais ne le faites pas brûler trop fort pour ne pas trahir notre présence. Une simple lueur suffira. »

Quatre poules avaient pondu !

Nicole, Guy et Linette patientèrent donc en attendant le retour de Jean. Son absence leur parut durer des siècles. Au bout d'un moment, Linette s'enroula dans la vieille couverture et s'endormit. Mais Guy et Nicole restèrent éveillés. Ils virent la lune se lever et nimber le paysage de sa pâle clarté. L'île secrète se para d'une atmosphère mystérieuse. Les arbres projetaient une ombre sur le sol. L'eau du lac venait lécher le sable, noire comme la nuit sur le bord, mais vaguement nacrée au large. Le spectacle était féerique et la douceur de l'air permettait aux enfants de rester immobiles sans avoir froid. Enfin, un bruit d'avirons frappa les oreilles des deux guetteurs. Guy courut vers la crique et aperçut le bateau qui glissait sans à-coup sur l'eau dans sa direction. Il héla Jean. « Ohé! Jean! Arrive droit sur moi. Tout s'est bien passé? - Oui, répondit l'interpellé. Et j'apporte des nouvelles! » Le fond du canot racla le sable et les cailloux. Guy le tira à lui et Jean sauta à terre. Il souriait de toutes ses dents. Nicole rejoignit les deux garçons. «J'ai quelque chose pour vous! annonça l'arrivant. Mets ta main dans le bateau, Nicole. Tâte dans ce sac... » Nicole obéit... et poussa un cri! « Qu'est-ce que c'est? J'ai senti comme un plumage chaud, s'écria-t-elle. - Il y a là-dedans six de mes poules! expliqua Jean. Je les ai trouvées perchées dans une haie et dormant si bien que, lorsque je les ai attrapées, c'est à peine si elles se sont débattues. Je les ai fourrées dans ce sac... A présent, nous aurons des œufs! Et pas de danger que mes poules s'échappent de notre île. Ces bêtes-là n'aiment pas l'eau! — Quelle chance! se réjouit Nicole tout haut. Nous ne risquons plus de mourir de faim à présent. Les œufs, c'est très nourrissant, vous savez! — Que rapportes-tu d'autre?, demanda Guy. — Du blé pour la volaille, et aussi des graines de toutes sortes. Je les ai trouvées dans la remise. Dans la réserve, j'ai pris quelques boîtes de lait et aussi un gros pain

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« Il nous faut achever " le Chalet des Saules " ».

de campagne... et dans le potager j'ai ramassé tout un sac de légumes. Ils ne feront pas défaut à grand-père car il ne pourra pas tout emporter. — Et tu as pensé à cueillir des cerises aussi ! constata Linette qui s'était réveillée et avait commencé à fouiller le bateau. — Oui. Les cerisiers de notre potager croulent sous les fruits. — As-tu vu ton grand-père? s'enquit Nicole. — Oui, dit Jean en souriant. Mais lui ne m'a pas vu! Il se prépare à quitter la ferme pour aller vivre chez ma tante, pas très loin d'ici : à deux kilomètres à peine. Notre petite propriété va être mise en vente, mais les animaux de la ferme, qui en font partie, seront nourris par les voisins jusqu'à ce que la vente en question soit chose faite. Il ne faut pas que je tarde trop si je veux ramener ma vache ici. Je me débrouillerai bien pour y arriver. Après tout, elle pourra faire la traversée à la nage! — Ne dis pas de sottises, Jean, s'esclaffa Linette. C'est impossible, tu le sais bien. — Attends un peu et tu verras, répondit Jean. Et à présent, écoutez mes nouvelles! J'ai entendu grand-père parler avec deux de ses amis et tous se demandaient où nous étions passés. Il paraît que les fermiers des environs ont battu le pays pour nous retrouver. - Oooooh! murmurèrent les trois autres, assez effrayés. Penses-tu que l'on viendra fouiller par ici, Jean?

— C'est bien possible. Qui peut savoir? J'ai toujours peur que la fumée de notre feu ne nous fasse découvrir. Enfin, inutile de nous tracasser avant que le pire ne se produise. — Est-ce que les gendarmes nous cherchent aussi? s'inquiéta Linette. — Bien sûr! Personne n'a abandonné l'espoir de nous retrouver. D'après grand-père, on a regardé partout : dans les granges, dans les meules de paille, dans les fossés. On a même pensé que nous avions pu aller jusqu'à la ville voisine et on a cherché là aussi. Si les gens pouvaient se douter que nous sommes tout près! — Sais-tu si les Durieux sont ennuyés? demanda Nicole. — Très ennuyés, c'est certain. Ils participent activement aux recherches. Ils savent que vos parents leur demanderont des comptes quand ils reviendront. Que diront alors les Durieux pour expliquer votre absence? Ils seront bien obligés d'avouer qu'ils vous rudoyaient et vous faisaient travailler au-delà de vos forces! En tout cas, je suis bien content que grand-père soit sur le départ. La ferme vide, je pourrai y aller de temps en temps sans risquer d'être aperçu. - Où allons-nous mettre tes poules? demanda Guy en aidant son ami à porter le sac des volailles sur la plage. — Nous pourrions les enfermer au Chalet des Saules jusqu'à demain matin, suggéra Jean. Il suffira de boucher l'ouverture de la porte. » L'idée parut bonne aux trois autres et les poules furent transportées dans la maison de feuillage. Les enfants confectionnèrent une fermeture provisoire avec des branches et des brassées de bruyère. Les poules se blottirent dans un coin, terrifiées par ce qui leur arrivait. Elles avaient cessé de se débattre et ne faisaient plus de bruit. « Elles vont se rendormir, annonça Jean, et je ferai volontiers comme elles. Je suis mort de fatigue! » Après s'être régalés de quelques poignées de cerises, les quatre Robinsons allèrent s'étendre sur leur couche de fougères. Ils en avaient fait sécher une telle provision

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dans la journée que ces lits de fortune étaient plus doux encore que la veille. De plus, ils embaumaient. Le lendemain, Nicole se réveilla la première, tirée de son sommeil par un bruit inhabituel. « Mais ce sont les poules! » songea-t-elle. Elle se leva doucement, enjamba les garçons endormis et courut au Chalet des Saules. Elle démolit la porte-barricade et pénétra à l'intérieur. Effrayées, les poules refluèrent en désordre. Alors Nicole poussa un cri de joie... Les poules avaient pondu quatre gros œufs. Nicole ramassa les œufs, reconstruisit la porte provisoire et courut rejoindre les autres qu'elle trouva réveillés. « Regardez ! Tes poules ont pondu, Jean ! A midi, nous ne mourrons pas de faim. Je ferai des œufs et des pommes de terre. » Les enfants prirent un bain dans le lac, puis déjeunèrent. « Et maintenant, dit Jean, n'oublions pas qu'il nous reste à finir le Chalet des Saules, en gros tout au moins. Il faut aussi penser à construire un enclos pour les poules. Nous ne pouvons pas les laisser errer dans l'île tant qu'elles ne seront pas habituées à nous et à leur nouveau poulailler. » Ce poulailler fut la première tâche à laquelle les enfants s'attaquèrent ce matin-là. Ils confectionnèrent une barrière en branches de saules, assez haute pour que les poules ne puissent pas sauter par-dessus, et disposée en forme de quadrilatère. Les poules eurent droit à des perchoirs et à un grand plat d'eau fraîche. Puis Jean leur distribua du grain. « Elles s'habitueront vite, dit-il. Et maintenant, pensons à notre propre maison! » Les quatre Robinsons s'affairèrent si bien toute la journée que, le soir venu, les fissures des murs étaient entièrement bouchées et qu'une porte façonnée avec habileté, et pivotant sur deux gonds en fil de fer, défendait l'entrée de l'abri de feuillage. Les enfants fêtèrent ce beau résultat en faisant, dans la soirée, un repas plus copieux que celui de midi : poissons, pommes de terre, haricots, cerises et chocolat! Un véritable festin !

Jean fixa la bougie à l'intérieur de la lanterne.

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Mademoiselle Anna entra dans la salle de jeux, à la recherche des enfants. Ils s'y trouvaient tous, regardant la fenêtre, lugubres. « Mademoiselle Anna, n'est-ce pas enrageant? Nous voulions faire naviguer nos bateaux sur la rivière, et voici qu'il pleut des hallebardes ! — Oui, c'est bien fâcheux, répondit-elle. Aussi suis-je venue tout exprès pour vous demander ce que vous aimeriez faire cet après-midi ! — Oh! quelque chose de passionnant! Pouvez-vous vraiment fabriquer n'importe quoi, mademoiselle Anna? —- Beaucoup de choses, en tout cas. Qu'aimeriez-vous entreprendre ? — Oh! voyons! Euh!... Oh! j'y suis. Un manège de chevaux de bois, dit Jeannot. Mais un manège qui tourne. Croyez-vous que nous réussirions à en faire ? — Bien sûr, répondit Mlle Anna. Il nous faudra des cercles en carton, des bobines et quelques brochettes à viande. Va demander à la cuisinière si elle peut te donner quelques brochettes en bois, Lucie! Sinon, nous nous débrouillerons avec des tiges de coudrier. »

Lucie revint bientôt avec des brochettes. Jeanne s'était procuré quelques bobines, des petites et des grosses. Jeannot alla voir dans le placard s'il pouvait y trouver des boîtes en carton. Il revint avec quelques boîtes à chocolats rondes que Mlle Anna déclara être « exactement ce qu'il leur fallait ». « Maintenant, dit-elle, vous n'avez qu'à me regarder et à m'imiter. Chacun de nous fera son propre manège. Prenez une grosse bobine, et introduisez votre brochette dans le trou de la bobine. C'est le poteau central de notre manège. » (Voyez la première figure.) Elle distribua ensuite les boîtes rondes. « Découpez une jolie plate-forme, d'environ trente centimètres de diamètre, dit-elle. Le fond de la boîte fera l'affaire! Il aura certainement les dimensions voulues, lorsque vous en aurez retiré les bords. » Ils eurent bientôt tous des cercles en carton devant eux.

« Bien! Et maintenant percez un trou exactement au milieu de votre cercle, dit Mlle Anna. Introduisez le cercle dans la brochette; il doit reposer sur elle. Voilà qui est parfait! Tourne-t-il facilement? Non, le 159

tien est un peu serré, Lucie. Agrandis légèrement le trou! » Bientôt toutes les plates-formes tournaient aisément. « C'est bien! Retirez-les maintenant, car nous devons y installer des animaux, dit Mlle Anna. Nous en découperons dans de vieux livres et nous les collerons au bord du disque! » Ils passèrent vingt minutes à découper des animaux de formes et de couleurs variées et à les coller autour de la plate-forme. « Remettez vos plates-formes sur les brochettes, et qu'elles s'appuient bien sur la bobine, dit Mlle Anna. Ne sont-elles pas déjà bien jolies? Prenez maintenant une bobine plus petite et laissez-la glisser le long de la

brochette, afin qu'elle tienne fermement la plate-forme. » (Voyez la figure ci-dessous.) Et bientôt, toutes les plates-formes étaient en position, avec leurs magnifiques animaux. « Occupons-nous maintenant de notre toit, dit Mlle Anna. Nous pouvons en faire un avec le couvercle d'une boîte, mais il doit être aussi coloré que possible. Découpons une jolie bordure que nous rabattrons ensuite. » Ils colorièrent le toit en se servant de teintes vives et le festonnèrent ensuite. « Placez maintenant le toit sur la brochette, dit Mlle Anna. Il vous faut naturellement faire un trou au centre. S'il ne s'adapte pas très bien, nous le maintiendrons en place à l'aide de colle! » Bientôt, les toits étaient en place et les manèges de chevaux de bois terminés. Qu'ils étaient ravissants ! « Et à présent, faisons-les tourner », dit Mlle Anna, et d'une chiquenaude, elle fit tourner le sien. Il tourna longtemps, et les petits animaux faisaient de même. Jeannot, Jeanne et Lucie imitèrent leur amie. « On dirait de véritables manèges, s'écria Jeanne. Oh! mademoiselle Anna, nous n'avons jamais rien fait de plus joli! Qui aurait pu croire qu'il était aussi facile de fabriquer pareil jouet! »

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Crac l’épagneul Voici un autre extrait de l'ouvrage Le mystère de la roche percée de la série " Mystère Enid Blyton ". Vous y verrez comment Crac, l’épagneul de Toufou, se lie d'amitié avec tous les chiens du voisinage. Les vacances filaient, filaient, pleines d'événements palpitants. Huit jours s'étaient écoulés avant que les enfants aient eu le temps de s'en rendre compte. Huit jours riches en baignades, promenades à pied et en barque, en flâneries délicieuses avec Sylvain et Virginie. Crac aussi avait eu sa part de divertissements variés. Tantôt il creusait fiévreusement des trous dans le sable dont il aspergeait tout le monde, tantôt il courait patauger dans l'eau pour revenir au galop se secouer frénétiquement au beau milieu des Verdier. Il avait aussi une nouvelle manie, plutôt agaçante. Puisque brosses, napperons et autres objets lui avaient été sévèrement interdits, il ramenait tous les chiens qu'il honorait de son amitié. On vit ainsi un étrange basset, aux pattes quasiment invisibles et à l'énorme tête. Il sentait mauvais

et insistait pour s'installer sur les jambes de Roger. Puis ce fut le tour d'un immense bouledogue qui ressemblait vaguement à M. Toby. Il était plus supportable que le basset, mais il bavait sans arrêt. Il paraissait doué d'un naturel fort paisible jusqu'au moment où il crut pouvoir s'approprier un os que Crac rongeait. Alors il poussa un grognement à vous glacer le sang dans les veines. Même Toufou recula, intimidé. La pauvre Virginie, elle, complètement affolée, se réfugia illico sur la tête de son maître. « Va-t'en! cria Mlle Dupoivre d'un ton ferme. C'est l'os de Crac. Va-t'en! » Le monstre saisit tranquillement l'os que Crac, interloqué, avait lâché, et s'éloigna en se dandinant. « Tu n'es qu'un couard ! Même pas capable de défendre ton bien! » s'écria Toufou. Crac baissa le museau et fit le mort. Lorsqu'il vit que personne ne faisait plus attention à lui, il s'éclipsa. Pour revenir peu après, l'air guilleret, accompagné de trois petits fox-terriers tout frétillants et fureteurs en diable. « Assez, Crac! s'exclama Toufou, indigné de cette invasion... Qu'est-ce que c'est que ces manières? Allons, ouste, déguerpissez, vous autres. Non, pas toi, Crac. Toi^ tu restes ici. Je vais de nouveau t'attacher au " transat " de Mlle Dupoivre pour le restant de la journée. — Ah non, merci ! protesta cette dernière. L'autre jour il m'a renversée. Lie-le plutôt à ta cheville. »

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EN ROUTE POUR LE LAC VERT Cet extrait du Club des Cinq et les Saltimbanques vous raconte le départ des célèbres Cinq en vacances. Nestor et Annibal tirent les roulottes. Les voyageurs rencontrent les gens du cirque... Le voyage fut plein de charme. Les enfants s'arrêtaient dans les endroits les plus agréables, admiraient le paysage, se baignaient dans les lacs qu'ils rencontraient sur leur route. Dagobert semblait s'amuser autant que les enfants. Il sympathisait beaucoup avec Annibal, le petit cheval noir. Quelquefois, celui-ci hennissait pour réclamer Dago qui s'empressait d'accourir. Le cheval aimait surtout voir le chien trotter près de lui, dans les cotes. On eût dit que cela lui donnait du courage. Annibal faisait également bon ménage avec Nestor, l'autre cheval. Quand on les dételait, le soir, ils allaient toujours boire ensemble. Parfois, ils s'amusaient à se pousser du museau. « Cela fait déjà quatre jours que nous sommes partis, dit Annie un matin. Jamais nous n'avons été plus heureux! Et puis, nous ne courons pas de grands risques. François s'imagine être le responsable de l'équipe, mais en réalité c'est moi qui veille à tout! Vous ne faites jamais vos lits et je me demande comment vous mangeriez sans moi! Vous vous nourririez uniquement de sandwiches, pour ne pas vous donner la peine de faire la cuisine! - Ne te fâche pas, dit Claude, qui se sentait coupable de laisser la majeure partie du travail à Annie. Je ne me fâche pas, dit Annie. D'ailleurs, ça m'amuse de prendre soin des roulottes. Tu es une gentille petite maîtresse de maison, dit François. Il est certain que, sans toi, tout irait de travers! » Annie rougit de plaisir. Elle versa dans les bols le chocolat crémeux qu'elle venait de préparer pour le petit déjeuner. « Nous ne sommes plus très loin du lac Vert, dit François. Regardons sur la carte quelle distance il nous reste encore à parcourir.»

Soudain, Claude aperçut le lac... Ses eaux étaient d'un vert surprenant. « Nous ne sommes plus très loin du lac Vert, dit François. Regardons sur la carte quelle distance il nous reste encore à parcourir.» Quand toutes les têtes furent penchées sur la carte, François montra du doigt l'endroit où ils se trouvaient, puis le lac Vert, à une vingtaine de kilomètres de là. « Nous y arriverons probablement demain, si la route n'est pas trop dure, dit-il. J'espère que nous y rencontrerons le cirque! — Moi aussi, je l'espère bien! dit Mick. Pancho sera heureux de nous faire connaître tout le monde et de nous montrer ce qu'il y a d'intéressant à voir dans son cirque, j'en suis sûr! Peut-être aussi qu'il nous indiquera un bon emplacement pour camper. — Nous saurons bien le trouver nous-mêmes, dit François d'un ton assuré. De toute façon, je ne tiens pas à être trop près des gens du cirque. Nous nous installerons un peu plus haut dans la montagne. L'air sera plus vif et la vue plus belle. » Les trois autres l'approuvèrent. Pendant ce temps, Annibal cherchait Dagobert. Il le découvrit, couché sous la roulotte de Claude. Dagobert, manifestement, ne voulait pas bouger. Alors Annibal se coucha aussi près de son ami qu'il le put. Le cheval paraissait ennuyé de ne pouvoir se glisser lui aussi sous la roulotte. Les enfants observaient son manège d'un œil amusé.

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«, Dagobert, viens donc avec nous ! appela Claude. Sors de là! » Dagobert s'extirpa de dessous la roulotte, et s'approcha des enfants, l'air quelque peu maussade. « Pas moyen de dormir tranquille! » semblait-il dire. Le petit cheval noir se leva aussi, et suivit Dagobert. Celui-ci se coucha près des enfants. Annibal l'imita. Il s'installa bien près du chien, et lui donna quelques coups de tête amicaux. Dagobert n'appréciait qu'à demi ces marques d'amitié. Pourtant, comme il avait bon caractère, il répondit poliment en donnant à Annibal un grand coup de langue sur le nez. Après quoi il se roula en boule, bien décidé à achever son somme, en dépit de tout le monde. Le jour suivant, les enfants regardèrent se dérouler le paysage, fort joli, avec une impatience grandissante. Ils avaient hâte d'arriver au, lac Vert. Mais la route montait d'une façon presque continue, ce qui fatiguait les chevaux. Dans la soirée, ils parvinrent à un village qui n'était plus qu'à quelques kilomètres du lac Vert. « II est préférable de passer la nuit ici, et d'aller demain matin choisir un endroit convenable pour camper au-dessus du lac, décida François. Nous sommes tous fatigués, surtout Nestor et Annibal! — Oui, mon capitaine! dit Mick. Sortons du village et tâchons de trouver une ferme qui veuille bien nous accueillir. -— Justement, il y en a une, dans ce village, qui est indiquée sur le guide : la ferme du Petit Moulin, dit François. Demande donc où elle se trouve à cette femme qui vient chercher de l'eau à la fontaine! » Dix minutes plus tard, les deux garçons se présentaient à la ferme du Petit Moulin. Une rivière en bordait les terres. Au bord de l'eau se trouvait un vieux moulin délabré, mais pittoresque. Le fermier accorda aux garçons la permission d'installer leurs roulottes dans un pré, en bordure de la rivière. Une jeune fille, rosé et souriante — la fille du fermier — leur vendit des œufs, du lait, de la crème et du lard. Elle leur offrit aussi des framboises de son jardin, à la condition qu'ils les cueillissent euxmêmes. « Merci beaucoup, mademoiselle, dit François. S avez-vous s'il y a un cirque qui campe par ici? Quelque part près du lac Vert?

— Oui, répondit la jeune fille. Il a traversé notre village la semaine dernière. Il vient camper ici tous les ans. Quand la caravane passe, avec les cages des animaux, c'est un événement, dans notre coin, vous pensez! Tout le monde est dehors! Une année, ils sont venus avec des lions. Je les entendais rugir la nuit. Ça me donnait la chair de poule! - Il y a de quoi », murmura Mick rêveur. Les garçons regagnèrent les roulottes, en évoquant les rugissements des lions dans la nuit... Le lendemain matin, les roulottes prirent le chemin du lac Vert. C'était la dernière étape. Ils resteraient là-bas jusqu'à leur retour. Les deux chevaux gravissaient lentement la route montante, aux virages nombreux. Soudain, Claude aperçut le lac...

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Ses eaux étaient d'un vert d'émeraude, surprenant, magnifique. Jamais elle n'avait vu un lac qui eût une si belle couleur! « Oh! s'écria-t-elle. Voici le lac Vert! Comme c'est beau! » François et Mick, dans la roulotte de . tête, restaient muets d'admiration. « Dépêche-toi, François, cria Claude. J'ai hâte de le voir de près! » Ils prirent un chemin de terre, sur la droite, pour descendre au lac. Ils furent cahotés, mais ne songèrent nullement à s'en plaindre. Quand les roulottes furent rangées convenablement au bord du lac, les enfants sautèrent de leur siège et allèrent admirer les eaux scintillantes sous le grand soleil de juillet. « Prenons un bain? proposa Annie.

— Il n'y a pas de pancarte interdisant la baignade, remarqua François. Alors, allons-y! » Tous quatre se précipitèrent dans leurs roulottes, enlevèrent leurs vêtements et mirent leur maillot de bain. Ce fut vite fait! Claude arriva la première au lac, suivie de près par les deux garçons et Annie... L'eau était tiède au bord, et froide au milieu, comme il arrive souvent lorsqu'un lac de montagne est assez profond. Ils en furent surpris, mais réagirent en nageant vigoureusement. Ils s'éclaboussèrent les uns les autres en poussant des cris de sauvages. Quand ils se furent bien ébattus, ils s'étendirent sur le sable fin qui bordait le lac. Le soleil les sécha bien vite. Dès qu'ils eurent trop chaud,

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ils retournèrent dans l'eau, dont la fraîcheur leur fit pousser de joyeuses exclamations. « Quelle chance! Nous pourrons venir nous baigner tous les jours ici! » dit Mick. Dagobert était de la partie, bien entendu, et s'amusait tout autant que les enfants. Il heurtait quelquefois ceux qui nageaient sur le dos. Maladresse ou taquinerie? Claude se le demandait. « Annibal veut venir aussi! s'écria tout à coup François. Regardez-le ! Il va entrer dans l'eau avec sa roulotte si nous ne l'arrêtons pas... >> Tous nagèrent précipitamment -vers le rivage; ils arrivèrent juste à temps pour empêcher Annibal de prendre son bain avec la roulotte. « C'est sa façon à lui de nous faire comprendre qu'il vaut mieux le dételer, dit Claude. Après tout, les chevaux aussi ont bien le droit d'aller se baigner! » Les deux chevaux, libérés, s'empressèrent de boire et de s'ébrouer dans le lac. Pendant ce temps, les enfants s'installaient pour pique-niquer. Tout en dévorant à belles dents, ils firent des projets. « Où peut bien être le cirque? dit Claude. Je ne vois rien autour du lac... » Les enfants regardèrent de tous leurs yeux. Le lac était étroit et allongé. Il avait bien un kilomètre et demi de long. Tout là-bas, à la pointe extrême, le regard d'aigle de Claude

Quand le repas fut terminé ils attelèrent les chevaux et se mirent en route pour le camp du cirque. Quand les enfants approchèrent de l'extrémité du lac, ils virent de nombreuses voitures disposées en un large cercle, et des tentes au milieu. L'éléphant était attaché à un gros arbre. Les chiens couraient en tous sens. Des chevaux trottaient sous l'œil de leur dresseur, non loin du camp. « Ils sont tous là! » s'exclama Mick, ravi. Annie se dressa sur son siège, pour mieux voir. « Par exemple ! On dirait que le chimpanzé est en liberté, dit-elle. Non, quelqu'un le tient en laisse. Je crois que c'est Pancho! — Oui, c'est bien lui, dit François. Le chimpanzé porte un petit short blanc! Comme c'est comique! » Les enfants examinaient tout curieusement. Peu d'hommes et de femmes étaient dehors par ce chaud après-midi. Seuls, le dresseur de chevaux, Pancho et quelques mères de famille qui couraient après leur marmaille indisciplinée avaient renoncé à faire la sieste. Les chiens du cirque aboyèrent bruyamment à l'approche du Club des Cinq. Deux hommes sortirent des voitures et regardèrent les nouveaux arrivants d'un air surpris. Pancho et son chimpanzé s'approchèrent des ' enfants. « Bonjour, Pancho! lui dit François. Tu ne t'attendais pas à nous voir, n'est-ce pas ? » En entendant son nom, Pancho fut bien étonné. Tout d'abord, il ne reconnut pas les enfants. Puis, soudain, il poussa un cri de joie.

finit par distinguer une volute de fumée qui s'élevait dans le ciel... « Le camp doit être dans ce creux, de l'autre côté de la colline qui est en face de nous, dit-elle. Nous irons là-bas et puis nous chercherons un endroit pour nous installer, n'est-ce pas? — Oui, répondit François. Nous aurons le temps de bavarder avec Pancho et ensuite de trouver un bon emplacement pour camper avant la nuit. Je me demande ce que dira Pancho quand il nous verra. — Je suis persuadée qu'il sera content! » dit Annie.

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Claude s'avança et tendit la main. « C'est vous que j'ai vus la semaine dernière sur la route! Qu'est-ce que vous êtes venus faire par ici? » Dagobert semblait inquiet. Il grondait sourdement. Claude expliqua à Pancho : « C'est la première fois que Dagobert voit un chimpanzé. Crois-tu qu'ils pourront s'entendre ? Je n'en sais rien, dit Pancho. En général, Bimbo aime bien les chiens. Quand même, empêche le tien de montrer les crocs, il pourrait lui arriver malheur! C'est très fort un chimpanzé, tu sais! - Il faudrait que je me mette bien avec Bimbo, dit Claude. S'il consentait à me serrer la main, Dagobert verrait qu'il est mon ami, et il cesserait de gronder. Mais je ne sais pas si ton singe voudra... - Bien sûr que si! s'écria Pancho en riant. S'il n'y a que ça pour arranger les choses... Il est gentil, Bimbo, tu vas voir. Tends-lui la main! » Annie se demandait comment Claude avait l'audace de tendre sa petite main au chimpanzé. Celui-ci prit les doigts de Claude

et les porta à sa bouche, comme pour un cérémonieux baise-main... Seulement, il les mordilla quelque peu, sans faire mal, et Claude se libéra précipitamment. Tout le monde riait. « II est farceur, mais il ne mord pas, ne crains rien », dit Pancho à Claude. Celle-ci, rassurée, se tourna vers son chien. « Dagobert, je te présente Bimbo, dit-elle gravement. C'est un ami. Gentil Bimbo! » Elle flattait l'épaule du chimpanzé pour bien faire comprendre à Dagobert qu'elle aimait Bimbo. Le singe répondit à cette marque d'amitié en lui caressant la tête et en lui tirant une boucle. Dagobert remua la queue. Il semblait hésiter encore. Quelle était donc cette étrange bête que sa maîtresse paraissait tant aimer? Enfin, il fit un pas vers Bimbo, et, se souvenant de ses bonnes manières, lui tendit la patte. Bimbo la saisit et la secoua vigoureusement. Puis il fit deux pas en contournant Dagobert, attrapa la queue du chien et la secoua non moins vigoureusement. Dagobert, désemparé, ne savait que penser d'un tel comportement. Ce n'était pas précisément de son goût. Enfin! puisque Claude

« Tu connais demanda Lou.

ces

gosses-là ? »

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paraissait tenir à ce qu'il fût ami avec cette drôle de bête, mieux valait sans doute ne pas protester. Il se contenta de s'asseoir en ramenant sa queue sous lui. Les enfants riaient aux larmes. Dagobert se consola en voyant arriver Flic et Flac, les deux petits chiens savants qu'il reconnut aussitôt. Eux non plus ne l'avaient pas oublié. , « Tout va bien, constata Pancho. Flic et Flac présenteront Dagobert aux autres chiens du cirque. Nous voilà tranquilles de ce côté-là. Hé! attention à Bimbo! » Le chimpanzé s'était glissé derrière François et introduisait sans se gêner sa main dans la poche du jeune garçon. Pancho, courroucé, lui fit retirer sa main et lui donna une tape. « Vilain singe! Voleur! » lui dit-il. Le chimpanzé se couvrit la face comme s'il était honteux de son geste. Mais les enfants s'aperçurent qu'il regardait à travers ses doigts écartés et que son œil luisait, malicieux. « Quand Bimbo viendra vous voir, méfiezvous toujours de lui. Il aime bien chiper ce qu'il y a dans les poches. Je n'arrive pas à l'en empêcher! Dites-moi, est-ce que ces roulottes sont à vous ? Ce qu'elles sont belles ! - Nous les avons louées, dit Mick. C'est en voyant passer le cirque, avec toutes vos roulottes, que nous avons eu l'idée de nous les procurer pour faire un petit voyage. - Et nous avons eu envie de te retrouver pour que tu nous montres les animaux, ajouta François. J'espère que cela ne t'ennuie pas. — Au contraire, je suis très content, dit Pancho en devenant rouge de plaisir. Ce n'est pas souvent que des enfants comme vous veulent devenir amis avec un pauvre gars comme moi... Je vous montrerai tous nos animaux, les singes, les chiens et les chevaux du cirque! - Oh! merci! crièrent quatre voix. - Hep ! Bimbo ! Veux-tu rester tranquille ! lança Pancho à l'adresse de son singe. Regardez-le taquiner votre chien! Il est insupportable! » Mais Dagobert ne se laissait pas faire. Il semblait même trouver un certain plaisir à déjouer les ruses du singe.

« C'est le comique du cirque, n'est-ce pas, Pancho? dit François. — Oui, il n'arrête pas de faire des blagues de toutes sortes. Quelquefois, il met tout sens dessus dessous... Il faut le voir avec mon oncle Carlos, qui est le meilleur clown de la troupe, je vous l'ai dit. Bimbo, dans son genre, est aussi un bon clown. — Es-tu sûr que ton oncle te permettra de nous montrer tous les animaux? — Je ne lui demanderai pas la permission, dit Pancho. Mais vous serez bien polis avec lui, hein? Il n'est pas commode quand il est en colère ! Il pique des rages terribles ! » Annie fronça le nez. « J'espère qu'il n'est pas là pour le moment, dit-elle en jetant autour d'elle des regards inquiets. — Non. Il est parti se promener je ne sais où, dit Pancho. Il aime à être seul. Il n'a pas beaucoup d'amis dans le cirque, seulement Lou l'acrobate. Tenez, Lou sort en ce moment de sa voiture! » Lou était un grand garçon maigre qui semblait tout désarticulé, avec un visage anguleux, assez laid, et des cheveux noirs frisés. Il s'assit sur les marches de la roulotte, et se mit à lire un journal tout en fumant sa pipe. Les enfants- pensèrent que cet homme et l'oncle de Pancho étaient en effet bien assortis : aussi peu sympathiques l'un que l'autre. « Est-ce que Lou est un bon acrobate ? demanda Annie tout bas. — De premier ordre! répondit Pancho avec une admiration évidente. Il peut escalader n'importe quoi, il monte à un arbre comme un singe... Je l'ai même vu grimper le long de la gouttière d'un grand immeuble comme un chat ! Et il danse sur la corde raide. C'est difficile, ça, vous savez! » Les enfants regardèrent Lou de tous leurs yeux. L'homme sentit leurs regards peser sur lui, tourna la tête vers eux et fronça les sourcils. « Eh bien, pensa François, c'est peut-être un excellent acrobate, mais il n'est guère aimable ! Décidément, il ne me plaît pas plus que l'oncle de Pancho! » Lou se leva et s'avança vers les enfants. Les sourcils toujours froncés, il s'adressa à Pancho :

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« Tu connaisses gosses-là? Qu'est-ce qu'ils viennent faire ici? — Nous sommes venus dire bonjour à Pancho », dit poliment François. Lou jeta un regard irrité sur François, et demanda brusquement : « C'est à vous, ces roulottes? — Oui, répondit François. — Pas mal, apprécia Lou en connaisseur. Il y a bien quelqu'un qui vous accompagne ? — Non. C'est moi le responsable, dit François fièrement. Dagobert s'approcha de Lou, en grondant sourdement. De toute évidence, l'acrobate ne lui plaisait pas. Lou lui envoya un coup de pied. Claude retint Dagobert qui déjà bondissait. « Si vous donnez des coups de pied à mon chien, il vous mordra! cria Claude, furieuse. Maintenant, il vaut mieux que vous évitiez de vous trouver sur son chemin, sinon vous courrez des risques.,. » Lou cracha par terre en signe de mépris. Il dit en s'éloignant : « Vous allez décamper en vitesse! Nous ne voulons pas de gosses ici, pour nous ; causer des embêtements. Et je n'ai pas peur de votre sale cabot! Je sais comment m'y prendre avec les bêtes dangereuses ! — Que voulez-vous dire par là? » demanda Claude. Mais Lou ne se souciait pas de donner des explications. Il monta les marches de sa roulotte et claqua la porte derrière lui. Dagobert se mit à aboyer de sa plus grosse voix, tout en tirant sur son collier que Claude tenait toujours fermement. « Ça y est, vous avez mis Lou en colère, dit Pancho navré. Vous feriez mieux de ne pas rester ici! Et prenez bien garde à votre chien, ou bien il disparaîtra... - Dagobert, disparaître? Si tu te figures que mon chien se laisserait voler par qui que ce soit, tu te trompes ! cria Claude. — Bon, ça va. Je te prévenais seulement. Ce n'est pas la peine de crier. Si on allait voir ce que fait mon singe, qui vient d'entrer dans votre roulotte verte? »

Bimbo avait déniché une boîte de bonbons et se servait généreusement. Dès qu'il vit les enfants, il enfourna une poignée de bonbons dans sa bouche, poussa un grognement et se voila la face. Mais, en même temps qu'il prenait cette attitude confuse, il suçait bruyamment les bonbons. «Bimbo! Voleur! Tu mérites le fouet! s'écria Pancho. — Oh! non, protesta Annie. C'est un polisson, mais il est si amusant! Nous avons beaucoup de bonbons en réserve. Prends-en donc aussi, Pancho. — Merci! » dit Pancho en se servant sans se faire prier. Il sourit largement et ajouta : « C'est chic d'avoir des copains comme vous! N'est-ce pas, Bimbo? » Personne n'eut envie de faire le tour du camp ce jour-là. Lou s'était montré si odieux ! Ce fut Pancho qui visita les roulottes du Club des Cinq. Le jeune saltimbanque ne cacha pas son admiration : « Ce qu'elles sont jolies! Ce qu'on doit être bien dedans. Et il y a l'eau au robinet! formidable! » II ouvrit et ferma le robinet une bonne douzaine de fois et poussait des exclamations de joie en voyant l'eau couler. Il admira les tapis et la vaisselle brillante de propreté. Il sauta sur les couchettes et s'y étendit de tout son long pour s'assurer qu'elles étaient confortables. En somme il se comportait comme un invité exubérant, mais cordial, et le Club des Cinq se plaisait en sa compagnie. Flic et Flac se montraient convenables, obéissants, et fort amusants. C'était des chiens vraiment bien dressés. Bimbo voulut aussi tourner les robinets, puis il défit les lits pour voir ce qu'il y avait sous les draps. Il s'empara d'un pot d'eau et en but le contenu à grand bruit. « Tu te tiens mal, Bimbo, » lui dit Pancho en lui ôtant le pot des mains. Annie se mit à rire. Le chimpanzé l'amusait énormément, et, de son côté, le singe semblait avoir une particulière sympathie pour la fillette. Il la suivait, lui passait la main dans les cheveux, lui parlait à sa façon, en émettant des sons inarticulés mais, de toute évidence, cordiaux. François regarda sa montre et dit :

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« II est quatre heures et demie. Veux-tu goûter avec nous, Pancho? - Oui, ça me ferait plaisir. Je ne goûte pas souvent, avoua Pancho. Ça vous est égal que je ne sois pas aussi bien nippé que vous, ni aussi bien débarbouillé? - Ne t'inquiète pas pour ça, lui dit Mick. - Nous sommes tous contents que tu restes avec nous, dit Annie, ravie. Comme l'air de la montagne nous creuse, nous allons faire des sandwiches au jambon. Tu aimes les sandwiches au jambon, n'est-ce pas Pancho ? — Si je les aime? Bien sûr! Et Bimbo aussi! Faites attention à lui, autrement il les mangera tous! » Ils s'assirent dans la bruyère, à l'ombre de la roulotte. Flic et Flac tinrent compagnie à Dagobert. Bimbo se plaça près d'Annie, et prit de sa main, fort poliment, des morceaux de sandwiches. Pancho mangea plus de sandwiches que tout le monde et parla sans arrêt, la bouche pleine. Il fit rire aux larmes ses nouveaux amis en imitant son oncle dans quelques-unes de ses clowneries. Il se mit la tête en bas, les pieds en l'air, et mangea un sandwich dans cette position, au grand ébahissement de Dagobert. Celui-ci tournait autour, flairant cette tête au ras du sol. Quand ils eurent fait honneur à un pot de confitures, Pancho se leva. « II faut que je m'en aille, maintenant, ditil. C'était un fameux goûter. Merci! — Reviens nous voir! dirent les enfants. —-Je ne demande pas mieux, dit Pancho. Est-ce que vous allez camper ici longtemps? — Non, dit François. Nous voulons nous installer plus haut dans la montagne. Il y fera plus frais. Nous allons passer la nuit ici et nous partirons demain matin. Peut-être pourronsnous visiter ton camp avant notre départ ? — Pas si Lou est dans les parages, dit Pancho. Il vous a dit de décamper; s'il vous voit, il piquera sa crise. Mais si jamais il s'en va de bonne heure demain matin, je viendrai vous le dire et on fera ensemble le tour du camp... — Entendu! » dit François.

Bêtasson n'est pas bien malin « Écoute, Bêtasson, si tu perds encore ton mouchoir, je te fouetterai, lui dit sa maman, d'un ton très mécontent. C'est aujourd'hui mercredi, et tu as déjà perdu quatre mouchoirs cette semaine... - J'en suis bien fâché, m'man, dit Bêtasson. — A quoi cela sert-il, si tu ne te corriges pas ? répliqua sa mère. Si tu étais vraiment fâché, tu ne devrais plus en perdre un seul! — Je n'en perdrai plus, m'man, promit Bêtasson, convaincu. Si je perds celui-ci, fouette-moi, prends tout l'argent que j'ai dans ma tirelire pour acheter des mouchoirs neufs, et envoie-moi me coucher avec un morceau de pain sec en guise de souper! Là! maintenant, tu me croiras quand je te dis que je suis bien fâché et que j'ai l'intention de ne plus jamais perdre mon mouchoir! » Sa maman le regarda longuement. « C'est bon ! Je te crois, Bêtasson, dit-elle. Mais que de punitions tu risques de t'attirer!

Il fit très bien les commissions.

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Elle donna Bêtasson.

une

énorme

épingle

à

Tu feras bien d'être très, très soigneux! Regarde où est ton mouchoir, maintenant ! » Bêtasson regarda son mouchoir, prêt à tomber de sa poche. Il allait l'y remettre, puis changea d'avis et l'en tira. «Je l'épinglerai, m'man, dit-il. Comme ça je ne pourrai pas le perdre! — Eh bien! voici ma plus grosse épingle de sûreté, dit la maman, et elle en donna une énorme à Bêtasson. Epingle. ton mouchoir devant moi! » Solennellement, Bêtasson attacha son mouchoir sur le devant de sa veste et se donna un grand coup sur la poitrine. « Ah, maintenant, tout va bien ! Ne te fais pas de souci, m'man, je ne pourrai pas le perdre, mon mouchoir! » Et il s'en fut chercher le panier à provisions. Sa mère lui cria : « Bêtasson! n'oublie pas de mettre ton chapeau de paille! Le soleil est brûlant aujourd'hui, et si tu sors sans chapeau tu auras encore une congestion! - Entendu, m'man! » répondit Bêtasson en allant chercher dans le placard le panier à provisions. Il le prit et plaça la liste des achats dans le fond du panier. Oh! il allait faire bien attention maintenant! Il prouverait à sa maman qu'elle pouvait se fier à lui! Il descendit la grand'rue, ayant oublié son

chapeau. Le soleil était brûlant. Bêtasson s'avançait avec peine, essoufflé. Il rencontra Mme Lambin qui lui cria : « Bêtasson! A quoi songe ta maman? Elle te laisse sortir sans chapeau! Tu auras encore une insolation ! Aussi sûr que le monde est monde. » Bêtasson porta la main à la tête. Ses cheveux étaient brûlants. Miséricorde! Il avait donc oublié son chapeau! Il serait à nouveau malade et souffrirait d'atroces maux de tête! « Je ne peux pas retourner jusqu'à la maison! C'est trop loin! gémit-il. Que vais-je faire? » Soudain, il eut une idée magnifique! « Voilà, je vais faire des nœuds aux quatre coins de mon grand mouchoir et j'aurai ainsi une casquette! Tout ira bien alors! » II ôta la grande épingle pour retirer son mouchoir, remit l'épingle à sa veste, fit quatre nœuds au mouchoir et eut ainsi une charmante petite casquette qu'il mit sur sa tête brûlante. Ah! comme il se sentait bien! Il s'en fut tout heureux dans diverses boutiques, fier d'être si malin ! Il fit très bien les commissions et rentra chez lui, sûr que sa maman serait très contente de lui. Qui sait ? Elle lui donnerait peut-être même une tranche du gâteau aux fruits qu'elle venait de faire. Au moment où il poussait la porte, il éternua. « Atchoum! Atchoum! » II chercha son mouchoir, mais ne le trouva point. Bêtasson regarda sa veste, déconcerté ! « Voilà que j'ai encore perdu un mouchoir, gémit-il. Mais comment a-t-il pu tomber! Il n'est pas dans ma poche! Mon Dieu! Mon Dieu! Je l'ai perdu! » Sa maman était sortie. Bêtasson se sentit tout triste. Il se souvint de toutes les punitions dont il avait parlé pour le cas où il perdrait ce mouchoir. Il posa les commissions sur la table, et se coupa deux tranches de pain. Il vida : le contenu de sa tirelire sur la table de la cuisine et écrivit un billet laconique: « Pour acheter un nouveau mouchoir. »

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Puis, lentement, il monta jusqu'à sa chambre, se déshabilla et se coucha. Sa maman fut bien surprise à son retour de trouver l'enfant au lit. « Oh! m'man, dit Bêtasson tout en pleurant, j'ai perdu mon mouchoir! Et pourtant il était épingle! J'ai vidé ma tirelire, je me suis couché avec un morceau de pain sec. Maintenant tu vas me fouetter ! — Mais, Bêtasson, dit sa maman intriguée, qu'as-tu donc sur la tête? » Bêtasson porta la main à la tête. Il avait complètement oublié qu'il s'était fait un chapeau de soleil avec son mouchoir! Il l'ôta, le regarda joyeusement, le visage tout rouge. —Oh! m'man, je ne l'avais pas perdu, après tout! Je peux me lever! Je peux reprendre mon argent! J'avais oublié ce que j'avais fait de mon mouchoir! Que j'ai donc été bête! — Lève-toi tout de suite, Bêtasson, dit sa maman en riant. La plus grosse tranche de gâteau que tu aies jamais vue t'attend sur la table de la cuisine... » Certaines gens font des choses bien étranges, n'est-ce pas?

Bêtasson porta la main à la tête...

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Le bon tour de Mam'zelle « Mam'zelle », professeur de français au Collège de Malory, est très crédule. Souvent, ses élèves lui jouent des tours... et l'invitent à leur rendre la pareille. Elle n'a pas encore relevé le défi. Et voilà que l'occasion se présente... Mam'zelle s'assit à son bureau dans la salle des professeurs, et fit part de son projet. Elle allait faire un grand rangement. « II est grand temps! dit sèchement Miss Potts. De ma vie, je n'ai vu un tel ramassis d'objets hétéroclites! — Ah ! vous vous moquez de moi ? répliqua Mam'zelle avec humeur. — Non, je dis simplement ce que je pense. » Mam'zelle haussa les épaules et sortit de son bureau un tas de paperasses. Elles échappèrent à ses mains et se répandirent sur le parquet. Une brochure tomba aux pieds de Miss Potts qui la ramassa et la parcourut avec amusement car la couverture en couleurs représentait un prestidigitateur se livrant à ses tours. « De nouveaux tours — d'anciens tours — des tours à jouer à vos ennemis — des tours à jouer à vos amis », lut-elle à voix haute. Elle lança un regard surpris à Mam'zelle. « A qui avez-vous l'intention de jouer des tours? demanda-t-elle. — Je n'en ai pas l'intention », répondit Mam'zelle en laissant tomber cent autres papiers sur le parquet. « Tiens! voici le programme de la pièce que les élèves de quatrième ont jouée il y a six ans ! — Que vous disais-je? riposta Miss Potts. Vous trouverez probablement les discours prononcés le jour de la fondation du pensionnat au fond de votre bureau ! — Ne me taquinez pas! dit Mam'zelle. Je déteste les taquineries. — Je ne vous taquine pas. Je parle sérieusement. Dites-moi, où vous êtes-vous procuré cette brochure? Regardez-la. Je suis sûre qu'Alicia et Betty y ont trouvé tous les tours qu'elles vous ont joués! »

Mam'zelle prit la brochure et s'absorba dans la lecture. Elle sourit. Elle rit. Elle s'exclama " Tiens! " et " Oh! la la! " une douzaine de fois. Miss Potts se remit au travail. Elle était habituée aux excentricités de Mam'zelle... Celle-ci n'avait jamais rien lu d'aussi captivant! Elle pénétrait dans un monde nouveau, un monde où des machines pouvaient scier les doigts des gens sans leur faire mal, où des cigarettes brûlaient sans être allumées, où taches d'encre et de confitures apparaissaient sur des nappes aux yeux de mamans et de professeurs exaspérés et s'effaçaient sans laisser de traces. Mam'zelle était captivée. Un tour la fit rire aux éclats. « Écoutez, Miss Potts, commença-t-elle. — Non, Mam'zelle, répliqua Miss Potts d'un ton sévère. J'ai vingt-trois devoirs de mathématiques à corriger, d'abominables devoirs, que les élèves de sixième ont eu l'audace de me remettre aujourd'hui, et je ne veux pas écouter votre lecture de farces puériles. » Mam'zelle soupira et retourna à sa brochure. Elle relut les pages qui l'avaient tant intéressée. Deux photographies les illustraient. La première montrait un homme qui souriait en exhibant ses propres dents. La seconde montrait le même homme — pourvu de dents fausses. Et quelles dents! Il avait l'air d'un ogre. Elle relut encore la description : « Ces dents en celluloïd sont très habilement faites et recouvrent complètement les dents de la personne qui les porte, mais elles pointent en avant, changeant complètement l'expression du visage. Le sourire devient étrange et terrifiant.» Mam'zelle étudia les photographies. Elle s'imagina parée de ces dents et répandant la terreur dans le pensionnat. Les élèves l'avaient invitée à leur jouer un tour! Elle avait bien envie de les prendre au mot ! Elle riait tant que tout son corps tremblait !

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Ah! ah! ces petites vilaines qui lui avaient fait tant de farces ! Il était temps que leur pauvre vieille Mam'zelle prît sa revanche! Elle fouilla dans son bureau en désordre et trouva son bloc de papier à lettres. De son écriture penchée, elle écrivit pour demander le râtelier et joignit un chèque à sa commande. Elle était enchantée. Elle ne confierait son secret à personne, pas même à Miss Potts. «Je ne lui dirai rien. Je lui sourirai soudain — comme cela — se dit Mam'zelle, et elle fit un sourire féroce. Elle sursautera d'horreur à la vue de mes dents monstrueuses ! Mam'zelle dut attendre huit jours pour mettre son projet à exécution. Enfin les dents lui parvinrent le jour du match de hockey. Elle fut folle de joie mais le succès dépassa ses espérances. Ah! ces dents! Mam'zelle les essaya tout de suite. On les aurait cru faites sur mesure. Elles recouvraient complètement les siennes, mais elles étaient beaucoup plus longues et saillantes. On ne les voyait pas lorsqu'elle avait la bouche fermée, mais lorsqu'elle souriait, elle prenait un air sinistre, étrange et féroce! Elle-même eut peur en se regardant dans la glace et se cramponna à sa coiffeuse. « Mais je suis un monstre! Je suis véritablement effroyable avec ces dents... » L'après-midi, elle les ajusta avec soin pardessus les siennes et descendit sur le terrain de jeu, chaudement vêtue d'un manteau et d'une écharpe et coiffée d'un turban. Dora, en l'apercevant, lui fit place sur son banc. « Merci », dit Mam'zelle avec son plus aimable sourire. Dora sursauta.1 En un clin d'œil, le professeur de français s'était transformé en vieille sorcière. Mais elle referma la bouche et reprit son aspect habituel. Dora crut avoir rêvé. La petite Lydia, qu'accompagnait Suzanne, eut le bénéfice du second sourire. « Oh ! » s'écrièrent les deux enfants horrifiées. Mam'zelle serra les lèvres. Elle avait bien envie de rire, mais mieux valait pas. Passa Miss Linnie, le professeur de couture. Elle fit un signe de tête à Mam'zelle qui ne put résister à la tentation d'exhiber ses dents.

Miss Linnie stupéfaite hâta le pas. « Me suis-je trompée ? se demanda-t-elle. Ce n'était pas Mam'zelle! Quelles dents affreuses! » Mam'zelle décida de se lever et de marcher. Il faisait trop froid pour rester assise. De plus, elle avait de nouveau envie de rire. Elle comprenait maintenant pourquoi les élèves ne pouvaient réprimer leur gaieté lorsqu'elles lui faisaient quelque farce! Elle longea le terrain de jeu et rencontra Georgina et Clarisse. Elle répondit à leur sourire. Georgina s'arrêta net, comme foudroyée! Clarisse n'avait rien remarqué. « Clarisse! dit- Georgina après avoir fait quelques pas, qu'à donc Mam'zelle aujourd'hui? Elle est horrible! — Horrible? Mais comment? — Ses dents ! Tu n'as pas vu ses dents ? De vrais crocs! » Clarisse fut surprise. « Retournons en arrière, et sourions-lui de nouveau », dit-elle. Mais Mam'zelle, se rendant compte du but de la manœuvre, se contenta d'un signe de tête. L'économe s'avança vers elle. « Mam'zelle, savez-vous où est Gwen? Elle a reprisé sa culotte de gymnastique bleu-marine avec de la laine grise ! Elle sera en retenue cet après-midi ! » Mam'zelle ne put s'empêcher de sourire. L'économe la dévisagea, comme si elle n'en pouvait croire ses yeux! Mam'zelle ferma la bouche et l'économe recula, profondément troublée. « Gwen est là-bas », répondit Mam'zelle d'une voix épaissie par sa 'double rangée- de dents. L'économe, plus effrayée encore, disparut en toute hâte. Mam'zelle la vit échanger quelques mots avec Miss Potts. « Ah! ah! elle lui confie ses impressions, pensa la Française. Miss Potts va venir me regarder. Et je me mettrai à rire. Je le sais. Je rirai sans pouvoir m'arrêter! » Miss Potts s'avança, examina sa collègue de très près et reçut son fameux sourire. Puis Mam'zelle serra les dents, cacha le bas de

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son visage avec l'écharpe, tout en essayant de maîtriser son envie de rire. « Sentez-vous le froid ? demanda Miss Potts, inquiète. Vous — euh! vous n'avez pas mal aux dents, j'espère? » Un bruit des plus étranges sortit de la bouche de Mam'zelle. Elle luttait contre le rire qui l'étouffait, et se sauva en toute hâte tandis que Miss Potts la suivait des yeux avec anxiété. Mam'zelle descendit lentement le terrain de jeux en s'efforçant de reprendre son calme. Une sorte de hoquet lui échappa. Deux élèves de cinquième qui passaient près d'elle se demandèrent si elle n'était pas malade. La pauvre Mam'zelle jugea que la farce avait assez duré et décida de rentrer. Comme elle se dirigeait vers le pensionnat, elle aperçut, à sa profonde horreur, la directrice, Miss Grayling, qui s'avançait vers elle, en compagnie de deux mères d'élèves. « Oh! voici Mam'zelle, dit la directrice de sa voix mélodieuse. Je vous présente Madame Jennings et Madame Petton. » Force fut à Mam'zelle de s'approcher. Elle n'avait plus aucune envie de rire! Sa farce cessait tout à coup d'être drôle. Elle n'avait plus qu'un désir : se débarrasser des monstruosités qui encombraient sa bouche. Mais comment faire ? Elle ne pouvait les cracher dans son mouchoir devant les deux visiteuses. Mme Jennings lui tendit la main. « J'ai si souvent entendu parler de vous, Mam'zelle, et des tours que vous jouent ces petites écervelées! » Mam'zelle tenta de sourire sans ouvrir la bouche. Le résultat fut étrange. Un sourd grognement retentit. Mme Jennings leva des yeux étonnés. Mam'zelle compensa l'absence de sourire par une vigoureuse poignée de mains. Elle se comporta de la même façon envers Mme Petton, maman bavarde, désireuse de savoir si sa fille Thérèse faisait des progrès en français. Tout en parlant, elle ne cessait de sourire et Mam'zelle, incapable de répondre, souffrait mort et passion. Elle se contenta de renouveler le sourd grognement dont elle avait gratifié l'autre maman.

Mam'zelle sourit. Les élèves seconde furent frappées de terreur.

de

La directrice fut surprise. Elle examina Mam'zelle. La voix du professeur de français était pâteuse, comme si elle avait beaucoup trop de dents, se dit-elle, à cent lieues de penser qu'elle avait deviné la vérité. Enfin les mamans prirent congé. Une fois de plus, Mam'zelle donna d'énergiques poignées de mains et dans son soulagement de les voir partir, elle leur octroya un large sourire. Elles eurent tout le temps de contempler les horribles dents. La directrice fut régalée du même spectacle. Elle ouvrit de grands yeux épouvantés. Qu'était-il arrivé à Mam'zelle? S'était-elle fait arracher ses dents? Avait-elle un appareil? Mais quel effroyable dentier! Il lui donnait l'air du loup dans le conte du Petit Chaperon Rouge!

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Les deux mamans détournèrent promptement la tête et partirent en toute hâte avec Miss Grayling. La directrice était si préoccupée de s dents de Mam'zelle qu'elle n'entendait pas un mot de ce que disaient ces dames. Elle résolut de convoquer le professeur de français le soir même et de lui demander une explication. Soulagée de voir les mamans tourner les talons, Mam'zelle ne fit pas attention à un groupe d'élèves de seconde qui retournaient au pensionnat et se trouva au milieu d'elles. « Bonjour, Mam'zelle, dit Gladys. Vous rentrez, vous aussi? » Mam'zelle sourit. Les élèves de seconde furent frappées de terreur. Elles la dévisagèrent, muettes. Les dents avaient légèrement glissé et plus que jamais ressemblaient à des crocs. Mam'zelle avait l'apparence sinistre d'un méchant loup. Elle se rendit compte de leur terreur. Un fou rire la saisit. Elle haleta, s'étrangla, rugit. Elle se jeta sur un banc pour se livrer à son hilarité. Elle se rappelait l'expression de tant de visages. Plus elle y pensait, plus elle riait aux larmes. Les élèves l'entouraient, affolées. Qu'avait donc Mam'zelle? Les dents de celluloïd se détachèrent, tombèrent sur le giron de leur propriétaire, et de là sur l'herbe. Muettes de stupeur, les 'enfants regardaient les dents, puis Mam'zelle, redevenue normale. Elle n'avait plus que ses dents petites et bien rangées. « C'est une farce! dit-elle enfin d'une voix aiguë, s'essuyant les yeux. Ne m'aviez-vous pas invitée à vous en jouer une ? Eh bien ! voilà. Ces dents-là représentent ma farce! Oh ! la ! la ! Laissez-moi rire. Oh ! mes côtes ! mon dos! qu'ils me font mal! » Elle se balançait dans tous les sens en proie à un accès de folle gaieté. Les élèves l'imitaient. Mlle Prougier s'avança, étonnée de voir l'autre professeur de français rire ainsi aux éclats. « De quoi s'agit-il? » dit-elle, le visage grave et réprobateur. Irène montra les dents qui gisaient sur l'herbe. « Mam'zelle nous faisait une farce! ses fausses dents sont tombées et l'ont trahie ! »

Elle rit de plus belle, et les autres élèves firent chorus. Mlle Prougier ne partagea pas la joie générale. « Je ne comprends rien à cette plaisanterie, dit-elle. Des dents sur l'herbe n'ont rien de drôle. Quand de pareils accidents se produisent, il est temps d'aller chez le dentiste!.» Elle s'éloigna. Ses paroles et son visage réprobateur suscitèrent de nouveaux rires. On la vit se diriger vers le bureau de là directrice. Certainement elle allait raconter à Miss Grayling tout ce qu'elle avait vu. Mam'zelle en fut effrayée. Que fallait-il faire? Elle prit la décision d'aller expliquer elle-même pourquoi elle avait décidé de jouer ce bon tour à ses élèves. Miss Grayling comprendrait certainement. En effet, lorsque la directrice apprit, de la bouche de Mam'zelle, comment elle avait acheté ces horribles dents, et à quel point ce changement avait transformé son aspect, elle se mit à rire à son tour sans pouvoir s'arrêter. « Quelle bonne farce vous leur avez jouée là, s'écria-t-elle entre deux crises de fou rire ! — Mais je crois que mesdames les professeurs n'ont pas trouvé la plaisanterie à leur goût! — Au fait, comment cette idée vous est-elle venue ? » Mam'zelle raconta en détails l'histoire de la brochure qu'elle avait retrouvée en rangeant ses papiers, et comment son attention avait été attirée par la publicité pour les fausses dents en celluloïd. L'après-midi fut un triomphe pour Mam'zelle. Le bruit de sa farce se répandit dans tout le pensionnat. Tout le monde lui fit fête..., à l'exception du corps professoral... « Quel manque de dignité! déclara Miss Williams. N'êtes-vous pas de mon avis? — Elle ferait bien de ne pas se livrer trop souvent à ces pitreries! répliqua Miss Potts qui prit la résolution de retirer, à la première occasion, toutes les brochures du bureau de Mam'zelle. » Mais les élèves n'en aimèrent que mieux leur professeur de français, et travaillèrent avec une ardeur accrue. Tout au moins, tel fut l'avis de Mam'zelle!

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Quelle triste journée de novembre! Les quatre enfants étaient réunis auprès du feu. Ils avaient joué et lu et, maintenant, ils s'ennuyaient. « Si nous jouions aux devinettes, proposa Richard. Ta maman voudrait-elle nous poser des questions, Jeannot ? — Je vais voir », dit le garçon qui alla trouver sa mère. Elle arriva bientôt avec son tricot et s'assit près d'eux. « Vous voulez donc jouer aux devinettes ? dit-elle. Le sujet sera les fleurs, mais chacun en décrira une à tour de rôle. Ainsi, je ne serai pas la seule à poser des questions! — Oh! oui! adoptons cette méthode, dit Jeanne. Mais, madame, ne décrivons pas des fleurs trop communes, ce serait trop facile! Choisissons-en que tout le monde devrait connaître. — Fort bien. Nous laisserons de côté boutons d'or, pâquerettes, violettes, primevères, chardons et pissenlits, dit Mme Verdier. Tout le monde les connaît, je suppose. Vais-je commencer? Vous pouvez trouver cette fleur en février ou mars; elle croît en

masses. Elle a huit pétales d'or brillants et... — Le bouton d'or! s'exclama Richard sans réfléchir. - Huit pétales, et le début du printemps ! Et nous avons exclu les boutons d'or! Pourquoi n'écoutes-tu pas, Richard? Je répète : huit pétales d'or brillants et des feuilles en forme de cœur. La ficaire ! bien sûr, dit Alice promptement. C'est mon tour, puisque j'ai deviné. Je songe à une autre fleur jaune, qui ressemble un peu à un petit pissenlit. Elle a une tige écailleuse, et un peu laineuse. — A quoi ressemblent ses feuilles? demanda Jeanne. — Elle n'en a pas! — Mais elle doit en avoir ! s'écria Jeannot. Tu dis des sottises ! — Mais non. Je n'en ai jamais trouvé quand j'ai cueilli la fleur. — Oh! je sais, dit Mme Verdier. Tu veux parler du pas-d'âne, Alice. Les feuilles viennent après la floraison. Tu as bien choisi ta fleur.

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— A votre tour, maman, dit Jeanne. — Eh bien! il s'agit d'une fleur dépourvue de pétales. Et cependant, on pourrait croire qu'elle en possède six ravissants, teintés de rosé ou de violet. Elle danse en avril dans les bois. - C'est drôle! s'exclama Richard. Une fleur sans pétales et qui semble en avoir! Qu'a-t-elle donc? — Des sépales qu'elle retourne pour imiter les pétales. Et elle danse si joliment au vent... — L'anémone des bois! crièrent les fillettes. - L'anémone Sylvie, s'écria Jeannot en même temps. — Vous avez tous raison, dit la maman. A ton tour, Alice. - Ma plante est très ordinaire, dit Alice, rayonnante. Elle fleurit toute l'année. Elle a de minuscules fleurs blanches en haut d'un épi, mais mieux que la fleur, on voit les silicules qui contiennent les graines parce qu'on les trouve tout le long de la tige. - Par exemple! Qu'est-ce que cela peut être? demanda Jeannot, perplexe. Quelle est la forme de cette silicule? — On dirait une petite bourse ou un portefeuille, dit Alice. —> La bourse-à-pasteur, bien sûr, s'écria Jeannot. A mon tour, maintenant! Ma fleur est aussi fort commune. La plante a des fleurs vertes, qui paraissent enfilées sur une mince tige. Vous la trouvez fleurie en février ou mars... - Des fleurs vertes! Veux-tu parler de l'ortie? demande Alice. - Tu te trompes. L'ortie ne fleurit pas en février ou mars, petite sotte! - Oh! je sais, je sais maintenant, s'écria Jeanne. C'est la mercuriale. Et chacun d'applaudir. - Très bien, dit Mme Verdier. C'est certainement une fleur très commune, mais que peu de gens remarquent. A ton tour, Jeanne. - Une fleur d'un bleu vif; quatre petits pétales; un minuscule centre tel un œil blanc. Qu'est-ce que c'est? — La véronique! la véronique! hurla Richard. — Laquelle? demanda Jeanne.

— La germandrée! répliqua-t-il, très fier de lui. Mon tour maintenant ! Je pense à une drôle de plante qui porte capuche verte! Il se trouve une langue dans le centre de la capuche! Ses feuilles ont la forme d'une flèche et ont des taches violettes... — Je sais, dit Mme Verdier. C'est l'arum tacheté... -r- A ton tour, maman! — Je vous présente une jolie petite fleur qui croît le long des haies au printemps. Elle a cinq pétales échancrés, une petite tête délicate pendant d'une tige mince comme un fil. Cette tige est très fragile. » II y eut un silence. Qu'était-ce que cette fleur? Personne ne devinait. « Elle fait songer à une étoile, dit Mme Verdier. — Oh! la stellaire, s'écria Alice. Bien sûr! A mon tour, maintenant. Ma plante a des grappes de fleurs blanches minuscules, à quatre pétales, tout en haut d'une très grande tige... — La bourse-à-pasteur! dit Richard sans réfléchir. — Mais nous l'avons déjà décrite! protesta Alice. — Tu pourrais nous mettre sur la voie, répliqua Richard. Tu ne nous as pas donné assez de détails. — Fort bien. Elle a de grandes feuilles en forme de cœur, et quand tu les écrases, tes mains sentent l'ail. — C'est l'alliaire! s'écria Jeannot. -— Tu as raison. Que vas-tu nous faire deviner maintenant? — Eh bien! je songe à une plante dont les fleurs font penser à de la dentelle, ou de la gaze blanche! Elles sont minuscules et poussent sur des tiges vertes et minces, disposées comme lès baleines d'un parapluie! — Oh ! quelle description, dit Alice. Veux-tu parler de la petite ciguë? — Oui. Tu es astucieuse! — A mon tour, dit Alice, réfléchissant profondément. Ah! j'y suis! Qu'est-ce que cette fleur? Elle porte chapeau vert avant d'éclore, et le rejette ensuite. Elle a quatre pétales soyeux et quantité d'étamines à tête noire...

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— De quelle couleur est-elle ? demanda Jeannot. - Écarlate. Un coquelicot! hurla Richard, assourdissant tout le monde. C'est bon, maintenant, devinez ! Je vous propose un casse-tête chinois. Quelle est la plante qui a des groupes de fleurs ayant la forme de pois de senteur à raies rouges et de petites feuilles à cinq échancrures ? - Cinq? Ce ne peut être une espèce de trèfle, alors, dit Alice, parce que ses feuilles n'en ont que trois... - Quelle est la forme de leur gousse? demanda soudain Mme Verdier. - Eh bien! elles ont un peu la forme d'un pied d'oiseau, dit Richard, en grimaçant. - Oh! Richard, c'est le lotier corniculé! dit la maman. Et tu as raison; les feuilles ont cinq folioles! Tu es bien malin de l'avoir remarqué. Nous avons failli donner notre langue au chat! - C'est à ton tour, maman, dit Alice. - Eh bien! je pense à une plante qui collectionne de petits boutons jaunes! On dirait que quelqu'un a arrache tous les pétales des fleurs, ne laissant que le centre. Les feuilles font un peu songer à celles des fougères. - Parlez-vous de la tanaisie? demanda Jeanne, songeuse. C'est la seule fleur que je connaisse qui réponde à cette description. - Tu as deviné, Jeanne. Propose-nous un problème maintenant. - Ma fleur est jaune aussi, dit la petite, elle est assez jolie et voyante. Ses pétales sont couleur paille; elle a la forme d'une étoile. - Cette description est trop vague, n'est-ce pas, maman, se plaignit Jeannot. Comment deviner? Il y a tant de fleurs jaunes... - Eh bien! je vais vous donner d'autres renseignements. Si vous tenez la feuille à la lumière, vous y verrez partout de petits trous... - Oh! je sais alors, dit Mme Verdier, bien que personne d'autre n'eût deviné. C'est l'herbe de la Saint-Jean ou millepertuis. - Bravo, madame, dit Jeanne! .Personne ne vient à votre cheville!

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— Je songe à une très jolie fleur, dit Mme Verdier. Vous la trouvez en été. Elle est d'un bleu vif, mais vraiment très vif, et ses pétales ont la forme d'une lanière. Sa tige est extrêmement résistante. - La jacinthe des bois, dit Richard qui se fit huer. - Comment serait-ce possible ? Maman a dit " des pétales en forme de lanière et une tige très dure! " — La chicorée sauvage! la chicorée! la chicorée ! chantonna Jeanne qui ne se trompait point. Et maintenant, une bonne devinette pour vous! La plante fleurit en hiver, en grosses inflorescences d'un jaune verdâtre... » Personne rie devina. « Aucune plante ne fleurit en hiver, sûrement, dit Richard. Quelle est la forme de ses feuilles ? — En forme de feuille de lierre », dit Jeanne, sans réfléchir, et tout le monde éclata de rire, et hurla : « Le lierre, naturellement ! — A qui le tour? demanda Richard. Nous avons tous répondu en même temps. — Nous cessons le jeu, dit Mme Verdier. C'est l'heure du goûter. Venez à table, et je vous proposerai une colle sur le goûter! Qu'est-ce qui est blanc et gras, qui reçoit une couche de matière jaune et poisseuse, et...

— Du pain beurré au miel! s'écrièrent les enfants en s'asseyant à table. Que c'est bon! - Eh bien! moi, je vous propose une dernière devinette, dit Richard soudain. Quelque chose de joli, et qui serait très bon à manger. Des yeux couleur de myosotis. Une voix harmonieuse. Un nom qui fait penser aux oiseaux... Qu'est-ce que c'est? - Cela n'a pas de sens, dit Jeannette, étalant du miel sur sa tartine. Joli... bon à manger... des yeux bleus... une voix charmante... - Et son nom fait songer aux oiseaux! Qu'est-ce que c'est, Richard ? - Donnez-vous votre langue au chat? » demanda Richard. Tout le monde répondit " oui ". « Mais c'est la première fois! dit Jeanne. Et attention, Richard! Si c'est une de tes sottes plaisanteries, nous te mettrons à la porte ! — Eh bien! je vais vous dire ce qui est joli, aimable, bon à manger, et tout le reste, dit Richard, souriant d'une oreille à l'autre. C'est Madame Verdier! Et je parie que vous ne me flanquerez pas à la porte pour cette description.» Ils n'en firent rien, naturellement. En fait, Mme Verdier affirma que c'était la plus jolie devinette qui eût été proposée!

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La grande frayeur de Monsieur Groddy Fatty et ses amis sont entrés aux «"Cèdres », propriété qui vient d'être cambriolée, espérant découvrir quelque mystère. Pendant qu'ils se trouvent dans la maison, arrive M. Groddy, le policeman de la localité. Il aperçoit les enfants et se fâche tout rouge. Fatty, qui a des dons de ventriloque, décide de se servir de ce talent pour lui jouer une farce. Fatty avait à peine eu le temps de descendre que lui parvinrent, les furieux éclats de voix de M. Groddy : « Que faites-vous ici? Filez à l'instant! » Foxy se mit à aboyer, et Fatty à rire. Que de fois cette scène s'était déjà jouée! Les amateurs de mystère occupés à fouiner, Groddy les découvrant, leur intimant l'ordre d'avoir à déguerpir, et Foxy protestant avec énergie ! Eh .bien ! Foxy savait se défendre et défendre les siens aussi! Fatty se demanda s'il réussirait à sortir par la porte de devant. Déjà M. Groddy était à la porte de service. « Mettre obstacle à la loi! Fourrer le nez partout! De quoi vous mêlez-vous, je voudrais bien le savoir ! Filez ! - Mais nous sommes des voisins, dit Larry. Ce cambriolage nous intéresse. S'il y a des cambrioleurs dans les parages, j'aimerais me renseigner, pour le cas où il leur prendrait fantaisie de venir nous voler aussi... — Allons donc! fit M. Groddy, incrédule. Des mensonges! De mauvaises excuses pour vous mêler de ce qui ne vous regarde pas! Ce n'était qu'un travail d'amateur! Nul mystère! Rien qui soit digne de vous! Et n'oubliez pas votre chien ou je pourrais me mettre en colère contre lui ! Sale petit cabot ! » Fatty brûlait du désir d'être avec ses amis. Oser appeler Foxy un sale cabot! « Où est le petit gros? demanda Groddy, autoritaire, se rendant compte tout à coup de l'absence de Fatty. Couché avec la grippe,

« Eh bien! allons, gamins! Que faites-vous ici? Filez à r instant ! » j'espère? Tant mieux. Qu'il reste au lit! Espérons qu'il aura une rechute. Allez-vous enfin rappeler ce cabot? » Larry appela Foxy : « Viens ici ! Je peux te trouver des mollets plus appétissants si tu en as envie! » M. Groddy revint à la charge : « Quittez tous ce jardin! Que je vous revoie ici et je ferai mon rapport! Oui, et j'irai voir vos parents, et les vôtres en particulier, monsieur Philippe Hilton ! » Pip se hâta de quitter le jardin de la villa, emmenant Betsy. Il n'avait nulle envie que M. Groddy allât encore se plaindre. Ses parents pourraient prendre le parti du policeman! Larry et Daisy le suivirent, Larry tenant Foxy par le collier. Ils restèrent plantés devant la grille, se demandant ce que Fatty pouvait bien faire! Ce dernier n'avait pas de chance. Il ouvrait la porte de devant au moment précis

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où M. Groddy l'ouvrait de l'extérieur! Le policeman dévisagea Fatty, comme frappé par la foudre. Il ouvrit la bouche toute grande et devint violet. Il avalait sa salive avec peine. « Bonjour, monsieur Groddy, dit Fatty, affable. Entrez donc! Je refermerai la porte. » Le policeman entra, toujours muet. Puis il explosa. « Qu'est-ce que vous faites ici? Ici, dans une maison surveillée par la police? Vous avez envie d'être coffré, je suppose? Découvert dans une propriété privée avec de mauvaises intentions, j'en jurerais! » Fatty recula, car M. Groddy postillonnait dans sa fureur. « J'ai entendu miauler un petit chat, dit-il, toujours poli. Et comme je suis membre de la S.P.A. - - si vous savez ce que c'est — je suis naturellement venu ici pour le chercher. Il est de mon devoir de venir à l'aide d'un animal affamé ou abandonné... — Miaou ! » fit le chaton, sortant obligeamment de dessous le guéridon. Il se dirigea vers Fatty et se frotta contre ses jambes. Puis il regarda M. Groddy, grondant et crachant. Enfin, il fila, telle une flèche vers le premier étage, marmottant des imprécations et des menaces. « Quel comportement intelligent! dit Fatty. J'espère que vous croyez maintenant à l'existence du minet? » M. Groddy fut bien obligé d'y croire. « Emportez-le, dit-il, et filez! J'ai à travailler. Et ne vous mêlez plus de rien, hein? — Vous vous occuperez du chien, n'est-ce pas, monsieur ? dit Fatty. Je ne sais où il se trouve, mais vous l'entendrez sans doute grogner, ce qui vous permettra de mettre la main dessus. - Il n'y a pas de chien ici ! dit M. Groddy, passant devant le garçon. Un grognement à vous glacer le sang s'entendit tout à coup dans la maison. M. Groddy s'arrêta subitement. « Qu'est-ce que c'est que ça? dit-il. D'où ça vient-il? Ça semble venir du sous-sol. Vous avez entendu, aussi, n'est-ce pas, mon garçon? — On aurait dit un chien, répondit Fatty. Quel horrible animal ce doit être! Je m'en vais, monsieur.

Vous vous occuperez du chien! » Je vous laisse maintenant. J'ai fort à faire chez moi. Thème latin, version grecque, j'ai du pain sur la planche ! — Venez m'aider à trouver ce chien, dit M. Groddy qui n'avait plus nulle envie de voir le garçon filer. Deux personnes ne seront peutêtre pas de trop pour l'attraper! Bizarre que je ne l'aie ni vu ni entendu ce matin! » Fatty sourit béatement derrière le large dos de l'agent. Il se demandait s'il devait imiter le cri d'un autre animal. C'était bien utile que d'être ventriloque! « Très bien, monsieur, dit-il. Si vous estimez qu'il est de mon devoir de rester et de vous aider, je m'incline. Je suis toujours prêt à répondre à l'appel du devoir... » M. Groddy lui fut reconnaissant. Il s'avança sur la pointe des pieds dans la petite salle à manger. Fatty suivait. Il poussa soudain un cri qui fit presque tomber le policeman à la renverse. « Regardez ! regardez ! Qu'y a-t-il là-bas ? Attention! » M. Groddy, aussi désireux de sortir que de faire attention, tomba presque sur le garçon en se précipitant hors de la pièce. Fatty se cramponna à lui. « Tout va bien! tout va bien! Je vous ai aperçu dans la glace là-bas, monsieur, et c'était un spectacle si terrible que j'ai cru que quelqu'un nous guettait! Ah! Dieu merci, c'était simplement votre reflet! » M. Groddy, aussi furieux que soulagé, lança un regard noir à son compagnon. « Recommencez un pareil tour, dit-il, et... » II s'arrêta net. Derrière lui, il venait d'entendre un sourd grognement, tel celui d'un cochon. Il se retourna. « Avez-vous entendu? demanda-t-il, haletant. Ce grognement! qu'est-ce que c'était? Il semblait provenir du vestibule. - Oui ! dit Fatty, se cramponnant au bras du policeman qui sursauta. Passez devant, monsieur! J'ai peur... Ah! si j'avais su, je n'aurais pas mis les pieds dans cette maison, non, pas pour tout l'or du monde... » M. Groddy n'était pas plus rassuré. Il se

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dirigea vers le vestibule sur la pointe des pieds et trébucha sur le tapis-brosse. Il battit en retraite dans la salle à manger, heurtant Fatty. Le grognement se fit entendre encore, mais assez loin. « C'est un cochon! dit M. Groddy, pouvant à peine en croire ses oreilles. Le bruit provenait du premier étage cette fois-ci. Pensez-vous que ce soit vraiment un cochon, monsieur Frédéric? » Plus M. Groddy était épouvanté et intrigué, plus il était poli. « Bientôt, il me saluera à chaque fois qu'il m'adressera la parole », se dit le garçon. Il avait une furieuse envie de rire, mais il retenait fermement ce rire qui lui chatouillait la gorge et menaçait d'exploser. « Quel genre d'homme habitait ici, monsieur? demanda-t-il innocemment. Aimaitil les animaux? Il semble avoir eu un chat, un chien et un cochon, en tout cas... Quel étrange personnage! Qui a jamais entendu parler d'un cochon logeant dans une maison ? — Mais comment n'ai-je pas vu le cochon ce matin?

dit le policeman stupéfait. J'ai tout retourné, cherchant des indices partout ! Pourtant, je n'ai vu ni chien ni cochon! Il faudrait peut-être aller au premier étage à la recherche du cochon? - Oui, mais attention! Le chien pourrait se jeter sur vous ! Passez le premier, monsieur Groddy. » M. Groddy n'en avait nulle envie. Il poussa Fatty devant lui et regretta tout de suite ce geste car un grondement féroce s'entendit derrière lui. Fatty se servait fort bien de son nouveau talent. Bientôt un son nouveau ajouta aux tourments de l'infortuné Groddy. Une voix - une voix gémissante — disait : « Ce n'est pas moi qui ai fait cela! Non, non, ce n'est pas moi! Oh! où est donc ma pauvre tante ? » Pétrifié, Groddy écoutait. Il avait l'impression de vivre un cauchemar. Il chuchota à l'oreille du garçon : « II y a un homme ici, quelque part! C'est le bouquet! Il nous faut du secours! Je ne vais pas rester ici avec des chiens, des cochons et un homme qui gémit! Que s'est-il passé ici depuis ma visite ce matin? Vous voulez dire, que s'est-il passé dans cette maison il y a près d'un demi-siècle, monsieur? Des choses épouvantables! Je n'y songeais plus ou, pour rien au monde, je n'aurais mis les pieds dans cette demeure maudite, s'écria le garçon. Je n'y resterai pas une seconde de plus ! » Et il fit mine de s'enfuir. Groddy le rattrapa au moment même où Frédéric tournait le bouton de la porte. « Expliquez-vous, dit l'agent dont le visage rouge tournait au vert. Que s'est-il passé ici autrefois ? » Fatty jeta autour de lui des yeux égarés. « Monsieur Groddy, monsieur Groddy, les revenants peuvent-ils parler? Peuvent-ils rôder en plein jour? Je croyais qu'ils n'apparaissaient qu'à la nuit... Le père d'Hamlet, le fantôme de Banquo, les victimes de Richard III, les... - C'est bon, ça suffit. Vous n'êtes pas à l'école! Gardez ça pour vos cours de littérature et répondez-moi... »

Au même moment Fatty ouvrit la porte.

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Groddy s'avança en trébuchant vers le téléphone et forma un numéro. Le garçon se laissa glisser dans un fauteuil, agité d'un tremblement nerveux. « Tant mieux pour vous si vous ne croyez pas aux fantômes, dit-il enfin d'une voix mourante. Oh ! oh !» Il mit les mains devant les yeux. Groddy se retourna, sursautant. « Je n'ai pas dit que je n'y croyais pas, murmura-t-il, d'une voix qu'il eût voulu mieux assurée. Mais je ne vois pas ce qu'ils ont à faire dans notre histoire... - Vous ne le voyez pas? fit Fatty, incrédule. Oh! c'est vrai, vous n'êtes pas du pays, monsieur, j'oubliais! Il s'est passé des choses épouvantables, aux Cèdres, autrefois. — Quelles choses? Que s'est-il passé? Qu'est-ce que... » Fatty aurait bien voulu le savoir ! « Heu! Heu! dit-il, l'imagination lui faisant défaut. Mon père pourrait vous renseigner.

Il connaît toute l'affaire, bien sûr, mais il n'a jamais voulu nous en parler. Il dit que nous aurions des cauchemars toutes les nuits. Tout ce que je sais, monsieur Groddy, c'est qu'il y a eu des crimes ici. Un innocent a été accusé d'avoir fait disparaître sa tante, et d'avoir commis bien d'autres forfaits ! C'est lui qui revient, vous savez. La maison est hantée! Voilà pourquoi elle est mise en vente si souvent. Personne n'y peut dormir la nuit. Les bruits qu'on y entend! Il y a de quoi devenir fou ! » Au même instant, un tintamarre troubla le silence de la maison, et le pauvre Fatty éprouva une frayeur aussi vive que passagère. Le cri qu'il poussa fit écho à celui de M. Groddy. Le policeman tomba plutôt qu'il ne s'assit, sur une marche de l'escalier. « Par tous les diables ! » dit-il enfin d'une voix défaillante. Il ôta son casque, s'essuya le front avec un vaste mouchoir. Fatty réprima un sourire. Il avait un allié dans la maison! Le chaton avait dû monter au grenier à la poursuite de quelque souris. Quel fatras il y avait sous les combles! Un mouvement brusque de l'animal, et des objets dégringolaient, causant le vacarme... « Votre cambrioleur est revenu, monsieur, montez lui mettre la main au collet », suggéra le garçon. Groddy se remit péniblement sur pied, appuyant à la rampe une main flageolante, et leva les yeux. Ce qu'il vit n'était pas pour lui plaire : Là-haut, deux yeux, verts, phosphorescents, le dévisagèrent, puis disparurent. Il entendit un frôlement. Ce fut tout. Il ne lui en fallut pas davantage pour se convaincre de la réalité des fantômes. « Y a pas de cambrioleurs là-haut, que j'vous dis, articula-t-il lourdement. C'est moi qui vous l'dis... — Mais alors, comment expliquez-vous ce bruit extraordinaire, monsieur Groddy? Justement. C'est extraordinaire. Ça s'explique pas. Ça peut pas s'expliquer. Surtout en plein jour! Ma mère qu'était née à Belfast, elle nous a raconté des histoires pareilles. Mais ça se passait la nuit, jamais à ces heures-ci... » Vacillant, il s'en fut dans la cuisine, but coup sur coup trois verres d'eau, se lava le visage, s'essuya lentement avec son mouchoir a carreaux

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Resté dans l'antichambre, Fatty savourait sa vengeance. Voilà ce que gagnait le policeman à traiter son chien de cabot ! « Nous devons pardonner à ceux qui nous ont offensés, se dit-il, et je lui pardonne tous les vilains tours qu'il m'a joués! Mais quant à oublier ce qu'il a fait à Foxy, il n'en est pas question! Je défends mes amis... » Ayant ainsi rassuré sa conscience, le garçon résolut de poursuivre son petit jeu. Le chien hurla, le cochon grogna, et une voix étouffée venue d'outre-tombe se lamenta. Groddy quitta précipitamment la cuisine, à la recherche d'un réconfort humain. Il vit Fatty appuyé contre le mur, claquant des dents, et roulant des yeux épouvantés. « Restez ici, monsieur Groddy, et je vais chercher du secours, dit Fatty se dirigeant d'un pas ferme vers le vestibule.» Mais M. Groddy se cramponna à lui. « Non, ne me laissez pas seul ici! Ne pouvez-vous pas rester jusqu'à ce que je reçoive du renfort? — Rappelez-vous votre devoir, dit Fatty. Il se passe ici quelque chose d'étrange, et c'est votre devoir d'enquêter. Mais ce n'est pas le mien. Je vais aller chercher de l'aide. Au revoir! » M. Groddy se saisit de lui et ne le lâcha point. A nouveau, la voix se fit entendre : « Ce n'est pas moi qui ai fait cela! Non, non, ce n'est pas moi! Oh! où est donc ma pauvre tante? » Groddy se mit à trembler. « Qu'est-ce qu'il veut dire, avec sa pauvre tante? chuchota-t-il. Allons, partons! Nous sommes dans une maison de fous! Restons ici encore un instant, et nous serons fous à lier. Votre Hamlet, ça ne m'étonne pas qu'il ait perdu la tête, monsieur Frédéric ! — Allons, allons, tâchons de garder notre sang-froid, dit Fatty retenant mal .un fou rire. — Pourquoi ne téléphoneriez-vous pas pour avoir du renfort, monsieur? J'ai aperçu tout à l'heure un appareil dans le vestibule. Vous auriez tout de suite de l'aide. » M. Groddy fut si content de cette suggestion qu'il faillit embrasser le garçon.

Il se précipita sur le téléphone et forma un numéro. Fatty l'entendit parler à un autre policeman. Il sortit alors de la maison sur la pointe des pieds, riant d'entendre la voix lamentable de M. Groddy : « Envoyez quelqu'un ici immédiatement! Il y a un chien féroce dans la maison, et un cochon — oui, j'ai dit un cochon, C-O-C-H-O-N, oui, un COCHON, imbécile ! Et un homme — ou un fantôme — qui gémit et réclame sa pauvre tante — TANTE — Oui, j'ai dit tante.' Êtes-vous sourd, ou quoi? Comment saurais-je pourquoi il la réclame ? Non, je ne suis pas fou, mais je ne tarderai pas à le devenir si vous ne m'envoyez pas d'urgence quelqu'un à cette adresse. Oui, j'ai besoin d'aide. OUI, il y a un chien ici, et un cochon, et une tante. Non, il n'y a pas de tante! Mais un homme qui réclame la sienne.. Oh! j'oubliais! Il y a aussi un petit chat! » II y eut un silence pendant que M. Groddy écoutait quelques remarques à l'autre bout du fil. Puis il recommença à vociférer : « Une autre remarque impertinente, Ken-ton, et je fais un rapport ! Je ne plaisante pas. Venez à l'instant! A L'INSTANT, vous entendez? » Fatty, qui écoutait ces paroles, comprit qu'il lui fallait trouver un endroit où il pourrait rire tout son content. Il contourna la maison sur la pointe des pieds, sachant pouvoir trouver un appentis de ce côté-là. En passant, il vit la fenêtre brisée par où le cambrioleur s'était introduit dans la maison. Il y passa la tête, et lança à l'intérieur un effroyable hurlement. M. Groddy l'entendit, jeta les yeux autour de lui et constata la disparition de Fatty. Il était seul, seul dans cette maison où se passaient des horreurs! C'en fut trop pour lui. Il s'enfuit au galop se rappelant toutes les histoires de fantômes que son irlandaise de mère racontait à voix basse le soir tombé, et ne ralentit que lorsqu'il se trouva au bas de la route. Fatty l'entendit se sauver. Et alors il se mit à rire ! Jamais il n'avait tant ri de sa vie ! Ah! Foxy était bien vengé!

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Oiseaux et fleurs en avril Oncle Méry vit un matin trois enfants surexcités entrer au galop dans son jardin. Il se pencha à la fenêtre et leur fit un signe de la main. « Oncle Méry! Nous avons entendu le coucou chanter! Nous avons entendu le coucou! s'écria Pierre ravi. — Nous l'avons tous entendu en même temps! dit Jean. Quel plaisir c'était de l'entendre à nouveau chanter! - Je l'ai aussi entendu », cria l'oncle. De violents aboiements qui provenaient de la pièce firent comprendre aux enfants que le chien Rip, lui aussi, avait entendu le coucou ! « C'est aujourd'hui samedi. N'allez-vous pas nous emmener en promenade ? demanda Jeannette. Ce matin, ou cet après-midi? »

L'oncle Méry leva les yeux vers le ciel d'avril, bleu et parsemé de nuages. « Ce matin! dit-il. Je voulais travailler, mais comment pourrais-je rester entre quatre murs lorsque trois enfants ravis viennent m'annoncer le retour du coucou? J'ai besoin d'un jour de congé. Dans dix minutes je serai prêt! » Ils furent bientôt tous dehors. Rip gambadait comme un fou sur ses pattes courtes, remuant la queue à une vitesse telle qu'elle devenait presque invisible. Ils longèrent les sentiers familiers; vertes étaient les haies d'aubépine; la délicate stellaire jetait sa broderie sur les talus et la ficaire, aux fleurs dorées, tournait vers le soleil ses étoiles luisantes. Jean ne pouvait marcher. Il sautait, courait, trottait, cabriolait. « Voici le coucou à nouveau, dit Pierre, entendant l'exquise note doublée que portait le vent. Ah! l'été n'est plus loin. J'adore le coucou! Et vous, oncle Méry? — Non, dit l'oncle. Ce n'est pas un de mes favoris, bien que, tout comme toi, j'aime entendre son appel au printemps. Le coucou, vois-tu, mène une vie de paresseux. Il laisse à d'autres oiseaux le soin de construire un nid et d'élever ses petits. — Il ne fait donc pas de nid? demanda Jean, surpris. Je croyais que tous les oiseaux en construisaient! — Pas le coucou ! La femelle pond son œuf dans le nid d'un autre oiseau, après avoir jeté l'œuf qui s'y trouvait afin de faire de la place pour le sien. L'oiseau qui possède le nid ne semble pas remarquer la substitution. Et quand l'oiselet éclot, tout noir et très laid,

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les parents nourriciers l'aiment et l'élèvent comme si c'était leur propre petit. — Que c'est étrange! dit Pierre. Cela n'est pas juste, n'est-ce pas? — Non, dit oncle Méry. Et chose curieuse, en grandissant, le jeune coucou devient beaucoup plus gros que sa mère adoptive qui doit s'installer sur l'épaule de l'oisillon pour lui donner la becquée... » " Coucou! coucou! " Un grand oiseau gris à la poitrine barrée vola au-dessus d'eux et lança son appel. « Le voici! dit oncle Méry. Il vient sans doute de retourner chez nous. Il a passé l'hiver bien loin, en un pays plus chaud où il s'est nourri d'insectes. - Quels autres oiseaux vont nous revenir, bientôt? demanda Jean. Je sais que les hirondelles nous quittent en automne, n'est-ce pas. — Oui, et les martinets, les rossignols, les fauvettes-grisettes, les grands pouillots et bien d'autres. Ecoute! Je crois entendre le pouillot! » Ils restèrent immobiles, à l'écoute. Ils étaient entrés dans un taillis où beaucoup d'oiseaux chantaient. « A quoi ressemble son chant? chuchota Jean. — Il répète sans cesse " zip - zep - zap -zip ", dit l'oncle. Tiens! Ecoute! » Ils entendirent avec joie le chant du pouillot. « Maintenant, je reconnaîtrai toujours sa voix », dit Jean enchanté. Ils laissèrent le taillis et poursuivirent leur route. Rip fourrait la tête dans tous les trous qu'il rencontrait. Soudain l'oncle s'arrêta, leva les yeux, le visage rayonnant de plaisir. A leur tour, les enfants levèrent la tête. Ils virent un oiseau bleu-acier, à la longue queue, au vol rapide, et d'autres du même genre, juchés sur les fils du télégraphe, gazouillant " fite à fite, fite à fite... ". « Les hirondelles! dit l'oncle. Les voici revenues. Quelle joie! » Les enfants éprouvaient la même joie à les voir voler, rapides, dans les airs, si élégantes avec leur longue queue fourchue. D'autres oiseaux volaient avec elles, assez semblables, mais aux reins et à la poitrine blancs, et à la queue plus courte.

« Sont-ce aussi des hirondelles? demanda Jean. — Ces oiseaux appartiennent à la même famille, dit l'oncle. Ce sont des hirondelles de fenêtre. Elles construisent des nids de boue sous le rebord des toits. Les autres, les hirondelles de cheminée, placent leur nid sur les poutres ou les chevrons des granges et des appentis. L'hirondelle de fenêtre aime loger près de nos maisons. Il y a encore une autre espèce d'hirondelle, blanche et brune, qui installe son nid dans le trou d'un talus ou d'une carrière. - Je ne saurai jamais les reconnaître! soupira Jeannette. Mais n'y a-t-il pas un autre oiseau qui ressemble aux hirondelles ? - Eh oui! dit oncle Méry, le martinet! Mais il vient plus tard. Ce n'est pas une hirondelle. Il lui ressemble un peu, à première vue, parce qu'il mène le même genre de vie aérienne et a par conséquent besoin de la même sorte d'ailes et de longue queue. Le martinet n'est point bleu, mais noir-suie. Je vous le montrerai dès son retour. - Que de choses à apprendre ! dit Jeannette. Comment pouvez-vous vous les rappeler toutes, oncle? - C'est parce que j'aime la campagne, que je sais regarder autour de moi et remarquer ce que je vois. En outre, j'ai des livres qui me renseignent. Tu n'as qu'à m'imiter, et quand tu auras mon âge, tu en sauras peut-être dix fois plus que moi ! » Jeannette pensa que ce serait chose impossible.

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Elle glissa une main dans celle de l'oncle Méry et' se dit que ce serait merveilleux d'en savoir autant que lui et d'être capable d'aimer autant la nature. Elle commençait à comprendre la profonde satisfaction et la joie intense qu'il éprouvait pour tout ce qui touchait à la campagne. Seuls pouvaient le comprendre ceux qui partageaient de tels sentiments, et Jeannette commençait à les partager. Grande aussi était sa joie lorsqu'elle apercevait un tapis de ficaires aux fleurs dorées ou un enchevêtrement de stellaires, blanches étoiles contre un talus vert. Elle serra la main de son oncle. « Quand je vois de pareilles beautés, il me semble que je pourrais écrire un poème à leur louange, murmura-t-elle, et ainsi les garder toujours! » L'oncle Méry baissa les yeux vers elle; ses yeux bruns souriaient compréhensifs. « Tu ressens ce qu'éprouvent les artistes qui désirent peindre, dit-il. Ils voudraient saisir la merveille que leurs yeux ont vue et la tenir prisonnière à jamais dans leur toile. Les poètes tentent de la capturer et de l'enfermer dans des mots, les musiciens dans des sons harmonieux. Jeannette, un pareil sentiment est un don précieux. Il faut le développer. » « Eh bien! il se peut que je sois sotte parfois, songeait Jeannette, mais, si j'étais complètement stupide, oncle Méry ne me parlerait pas ainsi! » Les oiseaux chantaient à tue-tête ce matinlà, bien que beaucoup fussent fort occupés à édifier des nids. Les enfants les virent porter feuilles mortes et brins de mousse dans leur bec. Ils entendirent nombre de chants, et un

tout nouveau pour eux, délicieux et suave. « La fauvette à tête noire, dit l'oncle, dressant l'oreille. Quelles notes claires et étendues! Ce chant est presque aussi beau que celui du merle, si velouté et si ample! Nous avons bien de la chance d'avoir dans notre pays tant d'oiseaux qui chantent! — Oncle Méry, comment s'appelle celuilà, qui ressemble à un moineau ? demanda Pierre, montrant du doigt un petit oiseau qui cherchait des insectes dans un fossé.

— Il ne ressemble pas à un moineau, répliqua Jean promptement. Il est brun aussi, voilà tout! Regarde son bec mince, Pierre! Le moineau a un gros bec disgracieux! Cet oiseau ressemble davantage à un rougegorge. - Jean, je pense parfois que tu es le plus malin de vous trois! Tu as le don d'observation! Cet oiseau est un traîne-buisson, et non un moineau. Regarde son bec, et vous verrez qu'il se nourrit d'insectes et non de graines... » Ils examinèrent l'oiseau vêtu de brun terne. Il agitait ses ailes d'une façon comique. « II les traîne, dit Jean. - D'où son nom, répondit oncle Méry. - Mon oncle! il s'est envolé dans cette haie-là, dit Pierre. Pensez-vous qu'il ait bâti son nid dans l'aubépine? » L'oiseau en sortait en volant. L'oncle se dirigea doucement vers la haie verte, et écarta des brindilles. Il y vit un nid sur lequel un oiseau était posé mais qui, effrayé, s'envola à tire-d'aile. L'oncle fit un signe aux enfants. « Je déteste déranger un oiseau qui couve, dit-il. Mais il faut que vous voyiez un des plus jolis spectacles que peut offrir la gent ailée. Regardez! »

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Les enfants virent dans le nid quatre œufs de traîne-buisson, aussi bleus que le ciel, du bleu le plus vif qui soit, luisant dans le nid brun en forme de coupe. « Oh! c'est exquis! s'exclama Jeannette. Quelle perfection! » Ils partirent pour que la mère pût retourner à ses œufs et continuèrent leur promenade. Un gros bourdon frôla Jeannette, qui retint un cri. Rip, indigné, sursauta, car le bourdon avait presque touché son nez. " Zououououm! " dit l'insqcte, s'envolant au loin. « II a passé l'hiver à dormir dans un trou du talus, dit oncle Méry. N'est-il pas ravissant avec son manteau velouté d'épaisse fourrure ? — Oncle Méry, dit Pierre, nous n'avons pas vu une seule fleur! N'est-ce pas bien étrange ! —- Eh non! dit l'oncle en riant. Nous n'avons regardé que le ciel, à la recherche d'oiseaux! Mais maintenant occupons-nous de la terre! Qui découvrira le premier une nouvelle fleur? » Ce fut Jean, bien sûr. Il semblait remarquer tout! Jeannette, parfois rêveuse, semblait regarder sans voir! Pierre débordait d'ardeur et de vie, mais parce qu'il n'observait rien soigneusement, il se trompait souvent. « Voici une jolie petite fleur », s'écria Jean, en cueillant une près du talus. La fleur était petite, et d'un rosé violet; chacun des pétales était échancré au centre; les feuilles, presque rondes et velues, étaient profondément découpées au bord. « C'est l'un de nos nombreux géraniums sauvages, dit l'oncle, le géranium des bois; communément appelé " bec de grue ". - Mais pourquoi? s'enquit Jean. Je ne vois rien qui ressemble à un bec de grue. — Non, tu ne pourras le voir que lorsque les fruits seront formés. Alors un long bec sort du centre de la fleur, tout à fait un bec de grue! - Et celle-ci, dit Pierre, cueillant une autre fleur, est-ce aussi le géranium des bois? » Jean jeta un coup d'œil à la plante. « Bien sûr que non, dit-il. La fleur est d'un violet rosâtre, mais regarde les feuilles, petit sot! Elles sont très différentes! »

En effet, elles n'étaient point arrondies, mais toutes découpées. On eût dit les doigts d'une main.

«J'ai déjà vu ces feuilles en automne, elles deviennent d'un rouge vif, n'est-ce pas, dit Jean? - C'est juste. Cette fleur est l'herbe à Robert, un autre géranium sauvage. Regarde les deux fleurs de près, Pierre, et tu verras les différences. Vois les pétales échancrés du bec de grue, ses feuilles arrondies, remarque les fleurs plus grandes de l'herbe à Robert et ses feuilles découpées! » Les enfants trouvèrent ensuite bien d'autres fleurs, entre autres l'une que Pierre appelait une ortie jaune, parce qu'elle ressemblait à une ortie. « C'est l'ortie jaune, dit l'oncle; elle

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appartient à la famille des labiées. Ses feuilles ne sont pas aussi dentelées que celles de l'ortie blanche. Voyez la lèvre inférieure? C'est une sorte de plate-forme où peut se poser l'abeille. Regardez la lèvre supérieure. Vous y verrez pistil et étamines, ils sont soigneusement placés là, si bien que lorsque l'abeille cherche le nectar, son dos effleure le pollen. Elle s'envole, toute saupoudrée de ce pollen et le frotte contre le pistil de la prochaine fleur d'ortie jaune qu'elle visite. — Les fleurs sont bien intelligentes, dit Jeannette. Elles s'arrangent pour que les insectes transportent leur pollen! C'est merveilleux! Elles ont un cerveau, elles aussi, et des idées, tout comme nous! Que tout cela est mystérieux! - C'est en effet très mystérieux, dit oncle Méry. Oh ! tenez, voici un coucou ! Moi aussi, je veux me vanter d'avoir découvert le premier une fleur printanière! » Le coucou se balançait au vent, blotti dans la prairie. « Je sais qu'il appartient à la famille des primevères, dit Jeannette, se baissant pour le cueillir. Oh! quelle exquise odeur! Il y en aura des milliers le mois prochain, et nous en cueillerons de gros bouquets pour maman... » Les promeneurs étaient maintenant tout près de la maison, leur tour presque terminé. Rip gambadait en avant mais, tout à coup, il s'arrêta à l'entrée d'un terrier. Sa tête y

disparut et derrière lui un nuage de terre s'éleva. Pierre s'en fut pour le tirer du trou, car Rip, sur le sentier de la découverte, oubliait tout ce qui n'était pas aventure. Se penchant pour se saisir de l'arrière-train du chien, Pierre aperçut de grandes feuilles poussant près du terrier. Il les regarda longuement. « Voyons, quelles sont ces feuilles-là? De grandes feuilles qui font songer à des toiles d'araignée, ayant la forme d'un pied de quadrupède... songeait-il. Ah! j'y suis! Le pasd'âne! se mit-il à crier. — C'est moi qui ai découvert les feuilles de pas-d'âne! • Tu es malin, dit l'oncle, qui paraissait ravi. Te souviens-tu que les fleurs croissent bien avant les feuilles ? Regarde, voici des graines. Je suis content que tu en aies trouvé, Pierre! » Le garçon se sentit tout fier. Lui aussi avait été complimenté par oncle Méry! Ils rentrèrent de fort belle humeur et juste avant qu'une averse d'avril ne vînt inonder toute la campagne. « Notre prochaine promenade aura lieu en mai, dit l'oncle. Et il nous faudra avoir cent yeux car il y aura tant à voir alors! »

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Un petit aquarium Jean n'avait pas assez d'argent pour acheter un véritable aquarium. Aussi, l'oncle Méry lui donna-t-il un grand bocal à conserves, presque aussi large que haut. « Voilà, lui dit-il. Tu peux le transformer en petit aquarium. Nous irons cet après-midi chercher de quoi l'emplir, n'est-ce pas? - Oh, oui ! dit Jean. Je voudrais un véritable petit étang dans mon bocal, mon oncle! Du sable, des cailloux et des algues dans le fond et puis plein de linnées, de dytiques, et même des têtards ! Tu ne peux avoir tout, dit l'oncle. Pour deux raisons. Tout d'abord, ton bocal serait tellement encombré que les bêtes mourraient. Ensuite, tu dois y mettre des créatures qui ne se mangeront pas les unes les autres... Si tu avais un dytique par exemple, il avalerait rond tes têtards... - Oh! quelle horreur! Que pourrais-je mettre dans mon bocal alors, mon oncle ? - Eh bien! ce serait une bonne idée d'y loger des têtards et des planorbes, dit l'oncle. Et une ou deux larves de phrygane, si nous pouvons en trouver. J'attacherai une ficelle autour du col du bocal et nous le plongerons dans l'étang. Les habitants d'un étang ne se portent pas bien s'ils doivent vivre dans l'eau de ville... » Ils partirent donc pour l'étang. Jean avait pris un filet et attrapa une vingtaine de têtards qu'il voulut mettre dans le bocal. Mais l'oncle Méry s'y opposa fermement. « Six ou sept suffiront amplement! Regardeles nager tout autour du bocal, Jean! Et maintenant, procurons-nous des planorbes. » Ils en trouvèrent trois splendides, et l'oncle réussit à prendre trois larves de phryganes, blotties dans leur étrange gaine dure. Il arracha des algues et les mit aussi dans le bocal. « Maintenant, à la maison, dit-il. Tu auras un charmant petit étang, Jean. » De retour au logis, oncle Méry transvasa dans un seau, avec beaucoup de soin, le contenu du bocal.

Lui et Jean mirent alors une couche de sable bien propre au fond du bocal. Ensuite, le garçon alla chercher de tout petits cailloux qu'il lava sous le robinet et posa au-dessus du sable. Et oncle Méry attacha des pierres à l'extrémité des algues afin qu'elles se tinssent droites dans l'eau. « Occupons-nous de l'eau, maintenant, dit-il. Il nous faut la verser très doucement dans le bocal. Jean, place un morceau de gros papier brun au-dessus du sable. Découpe un cercle clans ce papier. Fort bien! là! maintenant l'eau ne déplacera pas le sable, ce qui obscurcirait le bocal pendant que je verserais l'eau. » L'eau fut versée très doucement, et toutes les petites créatures aquatiques entrèrent clans leur nouvelle demeure. Les algues se dressèrent, une fois le cercle de papier ôté; les têtards se tortillèrent gaiement, et les planorbes se mirent à ramper le long des parois. Quant aux larves de phryganes, elles s'en furent explorer le fond de leur minuscule étang. « Oh! c'est charmant! s'écria Jean. Pierre! Jeannette! Venez voir mon étang! N'est-il pas beau? » Naturellement, Jeannette et Pierre souhaitèrent avoir, eux aussi, un aquarium! «Je vous montrerai à en faire, leur dit Jean fièrement. Je sais comment m'y prendre, n'estce pas, oncle Méry? - Je l'espère bien, dit son oncle. N'oublie pas de mettre chaque semaine une pleine tasse d'eau d'étang dans ton aquarium. »

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Fan fan est un petit tambour qui se promène dans le monde avec son chien Oua-Oua et son tambour. Sa tante Clin-d' Œil l'a prié d'aller vendre au marché des ballons aux couleurs vives. Il part donc, avec les ballons et son tambour.

Fanfan s'en fut jusqu'au coin du marché, y trouva le tabouret de tante Clin-d'Œil, posa son tambour devant lui et s'assit, tenant par l'extrémité de leur longue ficelle les ballons qui s'agitaient au vent. Oua-Oua s'installa à ses côtés et Fanfan se mit à chanter : Le vent soufflait, léger, et les ballons allaient et venaient telles des bulles de savon aux couleurs éclatantes! Ils étaient si jolis que les villageois vinrent tout de suite en acheter. « Un ballon, un rouge, s'il vous plaît », dit un petit singe. Regardez ! Il Fa attaché à sa queue, et s'en va, suivi du ballon qui ballotte à la brise! Arrive ensuite Mme Marionnette qui achète aussi des ballons pour ses quatre enfants, enchantés de leur cadeau! Deux ours en peluche s'avancent, bras dessus, bras dessous. Eux aussi se procurent des ballons et après eux arrive une autre cliente, une ravissante poupée! Puis un petit cheval de bois s'en vient au galop et regarde longuement les ballons qui sautillent.

« Qu'ils ont donc l'air bon à manger! dit-il. Puis-je en grignoter un? — Certainement non », dit Fanfan. Mais, hélas! le petit cheval ne peut se retenir d'en grignoter un. Le ballon éclate! Boum! L'animal s'enfuit, terrifié. « Tu me dois de l'argent », hurle Fanfan.

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Mais le petit cheval est bien trop épouvanté pour revenir. Et maintenant, qui donc s'approche? Non, c'est impossible! Ce ne peut être... Mais si! c'est le capitaine Cormoran, le bon vieux capitaine Cormoran, l'ami de Fanfan! Le capitaine ne vit pas Fanfan tout d'abord parce que le petit tambour était presque caché par ses ballons, et il fut bien surpris d'entendre son nom! « Capitaine Cormoran! Hé! Capitaine! — Qui m'appelle? Qui me cherche? hurla le capitaine. - C'est moi, Fanfan, le petit tambour! » Les ballons s'écartèrent, chassés par le vent, et le vieux loup de mer aperçut soudain le visage souriant de Fanfan sous son képi rouge. « Fanfan! Que fais-tu ici ? cria-t-il. Et ne voilà-t-il pas ton chien Oua-Oua aussi! Ah! par exemple! » Et il prit entre ses bras Fanfan, le chien et les ballons. Par miracle les ballons n'éclatèrent pas! « Fanfan, viens prendre une glace! Tu me diras toutes les nouvelles, dit Cormoran, essayant de se dégager des ballons qui le retenaient prisonnier. Viens! Allons, viens donc! - J'en serais ravi, dit Fanfan. Mais que ferais-je de mes ballons, capitaine ? Je ne puis les introduire dans une boutique ! — Laisse-les ici, alors! dit Cormoran. Mets ton tambour sur le tabouret, attache tes ballons à ton tambour ! Les ballons veilleront sur le tambour et le tambour sur les ballons ! — Quelle bonne idée! » dit Fanfan, attachant au tambour les ficelles des ballons. Comme ils s'agitaient au vent, pris du désir de s'envoler! Cormoran, Oua-Oua et Fanfan allèrent chez le glacier, décidés à bavarder longuement. Ah! si vous aviez vu les énormes glaces que commanda le capitaine, et la quantité de biscuits ! Oua-Oua lui-même eut sa glace et autant de biscuits qu'il en put manger. Il ne cessait de remuer la queue. « Parlez-moi de votre maison-bateau, dit Fanfan. J'y pense souvent. Ce n'est qu'un

bateau sens dessus dessous, avec des cheminées et des portes, et des fenêtres! Vous avez bien de la chance de vivre dans une pareille maison, capitaine! — Eh bien! tu sais, je m'y trouve parfois bien seul, dit le capitaine Cormoran. Voilà pourquoi je m'en vais souvent en voyage; je rends visite à des amis. J'allais rentrer chez moi quand je t'ai aperçu au milieu d'un nuage de ballons. Quelle surprise ! Dis-moi ce que tu fais ici, Fanfan? » Tout en dégustant deux autres glaces, Fanfan parla de sa bonne tante Clin-d'Œil qui lui faisait un pâté en croûte tandis qu'il vendait ses ballons. « J'espère qu'ils sont toujours attachés au tambour, ajouta-t-il. Il fait pas mal de vent maintenant... » Eh oui ! le vent était violent, et les ballons s'en donnaient à cœur joie! Ils sautillaient, se trémoussaient, se lançaient des coups les uns aux autres, tandis que deux petites souris mécaniques les regardaient enchantées. Et soudain souffla un vent impétueux. Hou!

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Hou! Hou! Hou! Hou! Il descendit la rue en tourbillonnant et aperçut les ballons ballottant de-ci de-là, au-dessus du gros tambour. Il souffla sur eux, et ils tirèrent sur leurs ficelles de toutes leurs forces. Le vent chantait gaiement tout en soufflant. Mais le vent ne pouvait arracher les ballons, parce que Fanfan avait attaché les

ficelles très solidement. De fort méchante humeur, il n'en souffla que plus rudement, sans cesser de chanter. Les ballons s'agitaient furieusement et leurs ficelles tiraient le tambour tant qu'elles pouvaient. Et le tambour se mit à se trémousser. Puis il fit un petit saut et retomba sur le

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L'AVENTURE DES BERLINGOTS Les membres du Clan des Sept se réunirent un matin après la classe dans la remise de Pierre. « Acceptons-nous l'invitation du vieux professeur Bernard ? demanda Pierre, le chef du Clan, II a proposé que nous allions ce soir chez lui, il a un très beau télescope et il nous montrera la planète Jupiter. Je me demande pourquoi il nous a invités, nous des enfants ? — J'ai déjà vu Jupiter à la télévision, dit Colin, ce n'était pas palpitant! — Ce sera encore plus ennuyeux ce soir, déclara Jacques. Le professeur n'est pas du tout intéressant ! Il parle d'une voix si monotone! Envoyons un mot pour nous excuser. — Si nous refusons tous, ce sera très impoli, protesta Jeannette. Il voulait nous faire plaisir... - Il va pleuvoir, je parie, dit Pam, en regardant le ciel. Les nuages cacheront les planètes. Nous ne verrons rien. — S'il pleut, nous n'irons pas, décréta Pierre. Ce sera un excellent prétexte. Espérons donc qu'il pleuvra à verse! »

« len à voï... », dit-il

Elle montra à Pierre la façon de régler le télescope. Ce souhait ne se réalisa pas. Le ciel était nuageux, mais pas une goutte d'eau ne tomba. Les Sept firent contre mauvaise fortune bon cœur. Ils se retrouvèrent devant la villa du professeur Bernard. Elle s'appelait " La Planète ", ce qui les fit rire. Une domestique les introduisit dans un petit salon et s'en fut à la recherche du vieux professeur. Elle revint la mine déconfite. « Le ciel est si nuageux, annonça-t-elle, que le professeur ne s'attendait pas à votre visite. Il est sorti. Mais Madame dit que si vous êtes très soigneux, vous pourrez vous servir du télescope. Elle vous expliquera comment on le règle. Ah ! la voici qui vient... » Mme Bernard fut charmante. Tout d'abord, elle leur offrit d'énormes berlingots. Puis elle expliqua aux Sept la façon d'ajuster le télescope pour voir différents points du ciel. « Je sais à peu près où se trouve Jupiter, leur dit-elle, si vous le désirez, je réglerai l'instrument; la planète doit être de ce côté, derrière les nuages. Lorsqu'ils se dissiperont, vous pourrez l'apercevoir de temps en temps. » La bouche remplie par les berlingots, aucun des Sept ne pouvait prononcer un seul mot. Pierre fit entendre un grognement poli, espérant que Mme Bernard le traduirait par un remerciement. Lorsqu'elle eut quitté la pièce, ils poussèrent un soupir de soulagement.

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Jacques réussit à transférer son berlingot de l'autre côté de sa bouche et bredouilla. «Quoi... rions... el », dit-il, ce qui signifiait : « Pourquoi regarderions-nous le ciel ? » II ôta son berlingot de sa bouche et expliqua : « A quoi bon regarder un ciel couvert de nuages? dit-il d'une voix nette. Inclinons le télescope légèrement, et regardons le village, les collines et la ferme. Ce serait si amusant ! Être si loin d'eux et les voir comme s'ils étaient à portée de la main, serait vraiment drôle ! — Mais oui, essayons, dit Pierre. Nous savons manœuvrer le télescope. Mais attention, soyons prudents! Cet instrument vaut une fortune! » II y avait une fenêtre spéciale pour le télescope, une immense fenêtre dépourvue de vitres qui partait du plafond et descendait à quelques centimètres du sol. Il suffisait de desserrer une vis et en touchant du doigt le télescope on le dirigeait du côté que l'on voulait. « Regardons la salle des fêtes du village, proposa Jeannette. Il y a bal ce soir; elle est tout illuminée. » Elle avait ôté son berlingot de la bouche pour parler, et le remit vite en place. Pierre, craignant que le télescope ne fût sali par des empreintes poisseuses, tendit un mouchoir propre à Colin pour qu'il pût les effacer. La salle des fêtes paraissait toute proche. On aurait dit qu'elle était dans le jardin. Babette ôta son bonbon de la bouche pour rire plus commodément. « Tiens ! voici Mme Richard, debout sur le seuil de la porte. Et voyez donc! Henri vend des programmes! Il a l'air bien emprunté, le pauvre! — Quel jeu merveilleux! » Ils changèrent la direction de l'instrument. Une foire était installée dans le champ du fermier, à quelque quatre cents mètres de là. « Elle semble si près de nous que j'ai l'impression d'avoir entendu éternuer l'homme du manège ! dit Jeannette. Je vois même JeanLouis et Daniel tendant leurs sous avant de monter sur les chevaux de bois ! » Ils regardèrent longtemps la foire, avec le regret de ne pas profiter de tous ces divertissements.

De petites flammes jaillirent. « Ons... pou... au... ion... », dit Pierre sans retirer son berlingot. Tous comprirent ce qu'il voulait dire, car il tournait l'instrument avec précaution dans une autre direction. La ferme sombre devenait visible. Une seule fenêtre était brillamment éclairée. Les rideaux n'étaient pas tirés. « Cette gentille Mme Charpentier tricote, assise dans son fauteuil, dit Babette, regardant à son tour. — Et M. Charpentier bourre sa pipe, ajouta Colin. Je vois même la couleur de son tabac ! - Ce n'est pas vrai! » protestèrent ses amis, d'une voix étouffée par les berlingots. Puis ce fut au tour de Jacques de regarder. Il examina la ferme, la grange et une meule de foin qui se dressait près du bâtiment. Il poussa soudain une vive exclamation et avala son bonbon. Il faillit s'étrangler, tenta vainement de parler, et montra du doigt le télescope. Surpris, Pierre se pencha pour regarder. Pourquoi Jacques faisait-il tant d'histoires ? Il eut tôt fait de comprendre. Un homme s'approchait de la meule. Un homme frottait des allumettes. De petites flammes jaillissaient

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Une minute plus tard, une voiture amenait les gendarmes.

Pierre les renseigna : « Tout le monde est arrivé! La meule flambe, mais la grange est intacte. Les pompiers inondent la meule maintenant. Miséricorde! Ils ont attrapé l'incendiaire! Non, ce n'est pas lui! Le coupable était petit, avait une barbe et boitait. Ils ont arrêté un innocent! Rien d'étonnant à ce qu'il se débatte! » C'en fut trop pour les autres enfants. Ils sortirent de la pièce au galop. « Nous allons à la ferme! Quelle histoire passionnante! »

dans le foin sec ; elles se propageaient rapidement. Pierre, haletant, avait oublié le pauvre Jacques qui toussait à faire pitié. Son œil était collé à l'instrument. Il coinça son berlingot contre sa joue pour pouvoir s'exprimer nettement. « Un incendie! Un chemineau met le feu à la meule du fermier ! et elle est tout près de la vieille grange ! Voyez cette longue flamme. Colin, téléphone tout de suite au fermier, et ensuite à la gendarmerie! La meule sera bientôt complètement détruite, et la grange brûlera ensuite! » Colin courut téléphoner dans le vestibule. Pierre, l'œil collé au télescope, ne perdait rien du spectacle. L'homme avait fait le tour de la meule, sans doute pour mettre le feu de l'autre côté. Pierre le voyait très nettement. Après avoir téléphoné au fermier, puis à la gendarmerie, Colin revint vite rejoindre ses amis. Pierre suivait tout ce qui se passait à la ferme. Quelle agitation! La porte de la maison s'ouvrait toute grande, le fermier et son fils sortaient en courant. Sa femme suivait, portant des seaux d'eau. Une minute plus tard, une voiture amenait les gendarmes. Les pompiers les suivaient. Quel remue-ménage! Pierre s'exclamait et ses amis pouvaient à grandpeine réprimer leur impatience. « Voyons, Pierre, ôte-toi de là! C'est notre tour maintenant! Que se passe-t-il?»

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Ils se rendirent donc sur les lieux du sinistre et réussirent à voir la fin du drame. La moitié de la meule avait été épargnée par le feu. La grange était sauve. Un homme était aux prises avec deux gendarmes. « Je vous dis que je n'ai pas mis le feu à la meule! » hurlait-il. Jacques alla trouver le brigadier. « Monsieur, je ne crois pas que cet homme, soit coupable, dit-il. L'incendiaire boite. Il est petit et barbu. - Eh! quoi, ce serait Lucas? s'exclama la fermière. Nous l'avons mis à la porte la

Sur les lieux du sinistre ils virent la fin du drame. semaine dernière parce que c'est un voleur! » Les agents libérèrent l'homme. Le brigadier leur donna l'ordre de se rendre à la chaumière de Lucas. Puis il se tourna vers Jacques. « Et maintenant, mes enfants, vous me direz peut-être comment vous êtes au courant de toute cette affaire ? demanda-t-il en souriant. Vous êtes les membres du Clan des Sept, n'est-ce pas ? - Nous avons tout vu, grâce au télescope du professeur Bernard, expliqua Jacques. Pierre est encore là-bas, occupé à regarder... » Mais il se trompait. Dès que Pierre se rendit compte que ses amis étaient partis, il n'eut plus qu'un désir : les rejoindre, et il partit au galop, tout en achevant de sucer son berlingot. « Du bon travail, dit le brigadier, lorsque Pierre lui eut raconté toute l'affaire. Vous avez vu un spectacle autrement passionnant que celui que pouvait vous offrir Jupiter, hein! Ah! on ne sait jamais ce qu'on verra quand on se sert d'un télescope! - Oui, c'était une aventure palpitante, mais très courte, dit Colin. - En effet, approuva Pierre. Elle n'a pas duré plus longtemps que mon berlingot! Une aventure ne pourrait guère être plus brève ! - Brève et bonne, comme le berlingot, dit Jeannette en éclatant de rire. Appelons-la donc " L'Aventure des Berlingots ". C'est un titre excellent! N'êtes-vous pas du même avis ? »

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Tu es trop malin Compère Lapin

Compère Lièvre, étendu dans un champ de blé, se chauffait un jour au soleil lorsqu'il aperçut trois têtes au-dessus de la haie voisine. « Ah! ah! voici Compère Loup, Compère Renard et Compère Ours », se dit-il, s'enfonçant un peu plus dans le blé pour cacher ses longues oreilles. Les épis s'agitaient au vent au-dessus de lui et il se sentait tout à fait en sûreté dans sa cachette. Les trois compères s'avancèrent dans le champ et s'assirent, eux aussi invisibles. Le fermier eût été furieux de les voir dans le blé. Compère Lièvre écoutait de toutes ses oreilles. Que disaient-ils ? Ah ! ils parlaient de ce coquin de Compère Lapin! « Je ne peux plus le supporter, dit Compère Loup. Il s'est lancé sur moi l'autre jour alors que je portais un panier de carottes qui se sont répandues sur la route. Oh ! il a été fort poli, bien sûr, et les a ramassées, mais je n'avais plus que la moitié de mes carottes lorsqu'il a détalé après m'avoir dit adieu!

- On ne peut le quitter des yeux un instant, dit Compère Renard. Ne m'a-t-il pas dit que ma queue se détachait et que je ferais bien d'y veiller! Et cet impertinent m'a même offert une épingle de sûreté pour la retenir ! - Et à moi, il a dit que j'étais tellement gras que je descendrais plus vite la colline en me laissant rouler qu'en marchant! » grogna Compère Ours. Compère Renard ne put s'empêcher de rire, mais il reprit son sérieux en voyant Compère Ours le regarder avec fureur. « Pardon, dit-il. Mais la réflexion était si 'drôle! Je vous vois descendre en rou... - Cela suffit, dit Compère Ours. Nous nous sommes réunis ce matin afin de décider une fois pour toutes de quelle façon nous pourrions nous saisir de Compère Lapin, et non pour nous amuser de ses plaisanteries imbéciles...

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— Oui, oui, bien sûr, répliqua humblement Compère Renard. Quels sont vos projets, Compère Loup? — Nous lui dirons que Messire Lion est à sa poursuite, dit Compère Loup. Nous lui dirons que Messire Lion se fait vieux et qu'il crève de faim, n'a plus que la peau et les os, qu'il se sent très faible et ne souhaite rien tant que de se mettre sous la dent un bon lapin bien gras... — A quoi tout cela rime-t-il? demanda Compère Ours. — Nous dirons à Compère Lapin qu'il ne doit en aucun cas traverser les bois en empruntant son sentier habituel, continua Compère

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Loup, car Messire Lion a l'intention de l'attraper lorsqu'il reviendra chez lui après avoir fait ses emplettes. Compère Lapin devra prendre un autre chemin, traverser le bosquet de noisetiers en longeant le layon là-bas. — Je ne comprends toujours pas la raison de ces recommandations, dit Compère Ours. Il me semble... — Écoute, dit Compère Loup d'un ton si féroce que Compère Ours le regarda épouvanté. Nous irons tous trois dans le sentier des noisetiers — nous y creuserons une fosse — nous la recouvrirons de branchages, et nous attendrons. Il marchera sur les branchages du piège et tombera la tête la première dans la fosse... — Ah! quelle bonne idée tu as là, s'exclama Compère Renard, admiratif. Et je suppose que nous serons cachés derrière les buissons, prêts à nous jeter sur lui? — Non! Nous serons déjà dans la fosse! dit Compère Loup, tout prêts à l'empoigner dès qu'il tombera. Autrement, il ne ferait qu'entrer dans la fosse et en sortir, et détalerait avant que nous n'ayons pu contourner les buissons. Il nous faut Y agripper au moment même où il dégringolera dans le trou. — Oui, oui, excellente idée, approuva Compère Renard. Ce projet me plaît. Eh bien ! si Compère Ours et moi allions maintenant avertir Compère Lapin du danger que représente pour lui Messire Lion? Pendant ce temps, tu pourrais creuser la fosse, Compère Loup... - Non, dit Compère Loup. C'est moi qui vais aller le prévenir, et vous deux, vous creuserez la fosse! Commencez tout de suite, et qu'elle soit assez profonde pour nous tous! Allons, venez! Cela demandera du temps. Je vous montrerai le bon endroit. » Pendant que Compère Loup emmenait ses complices, Compère Lièvre qui était resté tapi dans le champ de blé et avait écouté de. toutes ses oreilles, bondit à la recherche de Compère Lapin. Ah ! il allait le mettre sur ses gardes. Compère Lapin était chez lui lorsque son visiteur se présenta. Il écouta toute l'histoire, puis se mit à rire.

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« Merci, Cousin Lièvre, dit-il. Et maintenant, accompagne-moi chez Messire Lion à l'instant. Et tu seras prêt à certifier que je lui dis la vérité! — Non! non! Je ne veux pas aller dans l'antre de Messire Lion! cria Compère Lièvre, épouvanté. N'es-tu pas fou? — Mais non, je suis seulement malin, dit Compère Lapin. Je suis en ce moment en

très bons termes avec Messire Lion. Ne le sais-tu pas? — Non. Et je ne te crois pas, dit Compère Lièvre. — Mais c'est vrai! protesta Compère Lapin. Quelqu'un avait attaché la queue de Messire Lion à un arbre, alors qu'il dormait. Je passais par hasard de ce côté-là et j'ai compris qu'on lui avait fait une vilaine farce. J'ai réveillé Messire Lion, et lui ai rendu la liberté. Il a été enchanté, et nous sommes maintenant fort bons amis. » Compère Lièvre regarda longuement son cousin. « N'avais-tu pas attaché sa queue, dit-il, et ne l'as-tu détachée ensuite? — Ne pose pas de question embarrassante ! dit Compère Lapin, se levant. Je vais aller trouver Messire Lion à l'instant. Viens avec moi! » Et Compère Lièvre, tremblant de peur, s'en fut avec son cousin vers l'antre du lion. Chemin faisant, Compère Lapin sauta sur la branche épaisse d'un arbre mort et plongea une timbale dans un trou. Des abeilles sauvages voletèrent furieuses autour de lui, car leur nid se trouvait dans cette cavité. Compère Lapin en retira sa timbale pleine de miel! « Un présent pour Messire Lion, dit-il. Il est aussi friand de miel que Compère Ours... Allons! poursuivons notre chemin! » Messire Lion gisait au soleil devant son antre et Compère Lièvre ralentit le pas, suivant de loin son ami. Le Roi des animaux accueillit son visiteur d'autant plus aimablement qu'il sentait l'odeur du miel. « Messire, comment se porte votre queue ? demanda Compère Lapin. Et vous-même, comment allez-vous? On m'a dit que vous étiez à demi mort de faim, aussi vous ai-je apporté un peu de miel pour vous soutenir. Le miel est bon pour les gens sous-alimentés qui n'ont que la peau et les os... — Qui a dit cela ? rugit Messire Lion, se levant et agitant une queue furieuse. La peau et les os! Ai-je l'air de n'avoir que la peau et les os? — Non, non, point du tout, dit Compère Lapin, sincère. Eh! Compère Lièvre,

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approche et répète à Messire Lion ce que les Compères Loup, Ours et Renard disaient de lui! Tu les as entendus! — Ils d... d... d... disaient que vous n'aviez que la p... p... p... peau et les os, bégaya Compère Lièvre tremblant de tous ses membres, et que vous ch... ch... cherchiez Compère Lapin pour le manger, et... — Compère Lapin est un de mes bons amis, hurla Messire Lion. Qu'ont-ils dit d'autre? - Eh bien ! dit Compère Lapin, je suppose qu'ils imaginent que vous n'êtes plus bon à rien, et que, l'oreille basse, vous allez furtivement chercher des noix et des mûres pour vous en nourrir, incapable que vous êtes d'aller à la chasse, pauvre vieux miser... » Messire Lion était si enragé d'entendre ces paroles que sa queue fouettait les buissons, en arrachait des feuilles et déplaçait l'air violemment. Ses rugissements furent tels que les créatures des bois tremblèrent et coururent se cacher. « Compère Loup a-t-il dit autre chose? gronda-t-il, s'adressant à Compère Lièvre. — Ne lui dis pas toutes ces horreurs! dit Compère Lapin à son cousin. Ce pauvre Messire Lion est déjà bien assez furieux. Il irait sans tarder à la poursuite de ces trois coquins ! - J'y cours à l'instant, fit le lion, répondant aux espérances de Compère Lapin. Où se trouvent-ils? — Compère Lièvre, va voir où ils sont! ordonna Compère Lapin. Et reviens nous le dire ! Je servirai de guide à Sa Majesté ! » Compère Lièvre fila comme le vent, tout heureux de s'éloigner du féroce Messire Lion. Il trouva Compère Ours et Renard creusant une fosse déjà bien profonde. Compère Loup les rejoignit, de fort méchante humeur. « II n'y a personne chez Compère Lapin, dit-il. Hé! bonjour, Compère Lièvre! Que faistu par ici? Compère Lapin est-il dans le voisinage ? - Oui! Il va passer bientôt par ici, avec un ami », répondit l'interpellé. Compère Loup éclata de rire alors que Compère Lièvre détalait.

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« Ah ! ah ! Il va passer par ici avec un ami! dit-il. Allons! vous autres, laissez-moi me cacher aussi dans la fosse! Vite! Faites-moi de la place! » Mais il n'y avait pas assez de place pour eux trois, aussi Compère Loup obligea Compère Ours à sortir. « Cache-toi derrière ce buisson-là, et avertis-nous quand Compère Lapin arrivera, dit-il. » Compère Ours sortit du trou comme il put et plaça des branchages sur l'ouverture, pendant que ses complices se tapissaient dans le fond. Compère Lièvre était déjà retourné auprès de Compère Lapin et de Messire Lion. Il cligna de l'œil en direction de son cousin. « Je les ai trouvés, dit-il. Je vais vous montrer le chemin. » II prit les devants, suivi de Compère Lapin; Messire Lion fermait la marche. Ils avaient fait tout juste quelques pas lorsque Compère Lapin se mit à glapir et à boitiller. « Ma patte! dit-il. Oh! ma pauvre patte! Pourrai-je, Messire, monter sur votre dos jusqu'à ce qu'elle cesse de me faire mal? — Certainement », dit Messire Lion, aimablement, songeant au miel qu'il venait de recevoir. Compère Lapin sauta sur le dos de Messire Lion et ils poursuivirent leur route. Compère Lapin improvisa une petite chanson : « Cahin - caha - cahotant, De-ci, de-là, balançant... » Compère Ours, aux aguets derrière un buisson, entendit la chanson et chuchota : « Il vient! Je l'entends chanter! Attention! — Qui l'accompagne? » demanda Compère Loup du fond de la fosse. La réponse le surprit au plus haut point : «Oh! Compère Loup! c'est Messire Lion! — Trêve de sottes plaisanteries ! dit Compère Loup, mécontent. — Il est sur le dos de Messire Lion! hurla Compère Ours, stupéfait autant qu'épouvanté. Il se cramponne à sa crinière ! Il joue avec ses oreilles! » Compère Loup n'en crut pas un mot.

Furieux, il passa la tête entre les brindilles. Tous ses doutes s'évanouirent! Messire Lion descendait le sentier à l'amble, et Compère Lapin, juché sur son dos, chantait à tue-tête ! « Hue! Messire Lion, criait Compère Lapin, voyant pointer les oreilles du loup. Hue! donc! Vous allez rattraper Compère Loup et ses amis sans tarder. » A ce moment, Messire Lion marcha tout droit sur les brindilles qui recouvraient la fosse et tomba sur Compères Loup et Renard affolés.

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Quel remue-ménage s'ensuivit! Compère Loup et Compère Renard tentèrent de sortir. Messire Lion, tout aussi surpris qu'eux-mêmes, se mit à rugir et à lancer des coups de patte de tous côtés. Vlan! Voilà pour Compère Loup. Vlan! vlan! Te voici servi, Compère Renard! Puis Messire Lion aperçut Compère Ours, paralysé par la peur, près d'un buisson tout proche et bondit sur lui. Vlan! vlan! et vlan! Compère Ours tomba sur le dos, roula et s'enfuit au galop. « Vous êtes un lion très courageux! Attaquer trois ennemis à la fois! » s'écria Compère Lapin, rempli d'admiration. (Il s'était réfugié dans un terrier avec son cousin pendant le combat.) Messire Lion rugit avec une force telle que lapin et lièvre épouvantés disparurent au plus profond du terrier. « Je les attraperai tous ! » hurla Messire Lion. Et il fonça dans les bois, fracassant tout sur son passage. Compère Lapin permit à ses oreilles de pointer hors du trou tandis qu'il regardait Messire Lion disparaître, tel un éclair fauve. Le lapin sortit alors du terrier et se lécha les oreilles, mais son cousin était bien trop épouvanté pour le rejoindre. « Eh bien! eh bien! dit Compère Lapin, se dirigeant vers sa demeure, j'espère que ces trois-là ont appris leur leçon! Oser creuser une fosse pour m'attraper! Quelle audace, en vérité! » Lorsqu'il revit plus tard Compères Ours, Loup et Renard, il les dévisagea longuement. « Mais que vous est-il donc arrivé? demanda-t-il. Tu as perdu la moitié d'une oreille, Compère Ours, et ta queue, ta queue, Compère Renard! Elle est des plus étranges! Et tu boites bien bas, Compère Loup! J'espère que mon excellent ami, Messire Lion, n'a rien à faire avec vos accidents? » Et il s'en fut par les bois, chantant une exaspérante chanson! Je préférerais me battre avec un lion qu'avec vous, Compère Lapin! Vous êtes vraiment par trop malin!

SOLUTION DES JEUX 1. Mots carrés syllabiques (page 13). I MA GE MA RI NE GE NE VE

MU SUL MAN

SUL MAN TA NE NE QUIN

2. Mots en losange (page 106). A ILE ALORS ERE S 3. Mots en parallélogramme (page 107). ROSE MODE LAME PATE 4. Mots en losange (page 132). P BAL PAR I S LIS S

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« Papa, dit Robert, nous voulons te demander une faveur'. Nous espérons tant que tu diras oui! — Je ne promets rien avant de savoir ce dont il s'agit, répondit prudemment le papa. — C'est quelque chose de très simple, dit Brigitte. — Oui, quelque chose que tu aimerais faire toi-même, dit Fred. Voilà ! Nous voudrions passer une nuit sur le Rocher des Tempêtes! » Le Rocher des Tempêtes était une minuscule île rocheuse, non loin de la côte. Les trois enfants possédaient un bateau et ramaient souvent seuls. Ils avaient été fréquemment pique-niquer sur le Rocher et le connaissaient de fond en comble. « Et maintenant, vous voulez y passer

une nuit! dit le père. Eh bien1, qu'en pense votre mère? - Elle nous a dit de te demander la permission, fit Robert. Oh, papa! dis oui, je t'en prie! Rien qu'une nuit! Ce serait si amusant d'y camper seuls! — Nous prendrions des couvertures, et tout ce dont nous aurions besoin, dit Brigitte. "Nous choisirions une belle nuit tiède. Ce serait délicieux de dormir là-bas! — Et votre vieux bateau? dit le père. Est-il en bon état? J'ai entendu dire qu'il faisait eau... — Oh! il est en assez bon état, parce que nous pouvons toujours écoper, dit Brigitte. Cela ne nous gêne pas. Et nous savons tous nager d'ailleurs. — Mais je ne pense pas que notre pauvre

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vieux bateau puisse durer encore longtemps, papa. Un neuf coûte cher, n'estce pas? — Très cher, dit son père, ne comptez pas en recevoir un ! Vous vous débrouillerez avec votre vieux baquet. Mais, attention! S'il devient par trop mauvais, il faudra le mettre au rebut. Inutile de courir des risques. — C'est entendu. Mais pouvons-nous passer une nuit sur le Rocher des Tempêtes? demanda Fred. Tu n'as pas répondu à notre question. » Son père sourit. « Fort bien! Allez-y! Emportez des provisions et des couvertures. Tout ira bien. C'est amusant de camper dans une petite île! — Oh! merci, papa! Nous n'avions jamais cru que tu dirais oui.' » Enchantés, les enfants coururent rejoindre leur mère pour lui annoncer la bonne nouvelle. « J'espère que tout ira bien, dit-elle. Vous êtes assez grands pour vous débrouiller tout seuls. Robert a quatorze ans et il est très vigoureux. Ne faites pas de bêtises, surtout! Et assurez-vous que votre vieux baquet tienne bon! » Les enfants se gardèrent d'avouer que leur bateau était vraiment en mauvais état. Il leur fallait écoper sans cesse pour qu'il ne sombrât point! Pourvu qu'il durât le temps de leur expédition! Ils firent leurs préparatifs. Brigitte alla chercher vieilles couvertures et vieux manteaux. Fred demanda des boîtes de conserves à la cuisinière et des bouteilles de limonade. « Ce sera merveilleux d'entendre les vagues clapoter tout le temps autour de nous, dit Robert. Nous serons complètement seuls! » Ils firent leurs adieux et s'embarquèrent. N'avaient-ils rien oublié? Non, sûrement rien! Robert et Fred ramaient tandis que Brigitte ne cessait d'écoper. « Au diable cette voie d'eau! Elle ne cesse de s'agrandir! Je ne crois pas que ce pauvre vieux baquet puisse durer encore longtemps. — Yvon, le pêcheur, affirme qu'il est trop vieux pour qu'on puisse le radouber, dit Robert, ramant avec énergie. Quand tu seras fatiguée d'écoper, Brigitte, tu le diras et je prendrai ta place. Tu n'auras qu'à ramer. »

Des mouettes lançaient des cris perçants autour d'eux. La mer était très calme. A peine une houle légère soulevait-elle parfois l'embarcation. Ils parvinrent enfin au Rocher des Tempêtes, et mirent le bateau à l'abri des vagues dans une crique minuscule. Brigitte prit couvertures et vieux manteaux et les étala sur le sable, entre de hauts rochers. « Nous serons bien protégés ici, dit-elle. Et le sable est doux et chaud. Ne sera-ce pas merveilleux de dormir ici? Et si nous songions au dîner? » Le repas, délicieux, se composait de saumon, d'ananas, de pain frais et de beurre, de chocolat et de limonade. « Cela vaut tous les repas mangés autour d'une table! affirma Fred. Et maintenant, explorons le Rocher, et nous nous baignerons quand nous aurons digéré notre dîner! » Le Rocher des Tempêtes était une étrange petite île. Ce n'était que rochers et baies. Il n'y poussait guère que des ajoncs, mais en abondance! Les oiseaux de mer y venaient et se plaisaient à se reposer sur les rochers les plus élevés tout en contemplant la mer. « Qu'ils sont jolis! dit Brigitte, regardant une grosse mouette atterrir. J'aimerais être une mouette et nager, voler, patauger, glisser, plonger! Quelle belle vie! » Ils se baignèrent et s'étendirent ensuite sur leurs couvertures; le crépuscule tiède était tout rougeoyant. Fred bâilla. « Par exemple, as-tu sommeil? demanda Brigitte. Je n'ai nulle envie de dormir! Je tiens à savourer chaque minute de cette merveilleuse soirée! Restons éveillés encore un bon moment! — Bien sûr, dit Robert, grignotant un doigt de chocolat. Le soleil a disparu maintenant. Il ne reste pas un seul nuage rosé dans le ciel. Mais il fait encore chaud. — Les vagues clapotent si doucement tout autour du Rocher des Tempêtes! » dit Brigitte, d'un ton somnolent. Ils bavardèrent encore un instant, puis Fred bâilla encore, mais cette fois bruyamment. « Je ne peux plus veiller, dit-il. Je le voudrais bien, mais mes yeux ne cessent de se fermer. Je parie que nous dormirons bien

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cette nuit. Rien ne nous troublera que le clapotis des vagues... - C'est bon ! Dors bien alors, dit Brigitte. J'ai sommeil, moi aussi. Je vais regarder fixement cette étoile brillante là-bas, et je verrai combien de temps je pourrai rester éveillée! C'est délicieux d'être seuls ici, ne trouvez-vous pas? Ils furent bientôt endormis tous les trois. Les étoiles scintillaient, la mer clapotait sur les rochers. Nul autre son ne s'entendait. Mais voyons! N'y avait-il pas d'autre son? Robert s'éveillait en sursaut. Il demeura étendu un instant se demandant où il se trouvait. Il était étrange de voir le ciel et non le plafond d'une chambre à coucher ! Puis il se souvint. Bien sûr! Il était dans l'île du Rocher! Il allait se rendormir, quand il entendit à nouveau le son qui l'avait réveillé. C'était un clapotement sonore. Il y en eut un autre et encore un autre. Un rythme régulier! Robert s'assit. Un bruit de rames, non loin du Rocher des Tempêtes ! Puis il entendit des voix, des voix étouffées! Il se raidit, alerté. Un bateau près de l'île, des voix dans la nuit ! Qu'est-ce que cela signifiait? Doucement, Robert éveilla Fred et lui chuchota à l'oreille : « Silence! Un bateau va aborder! » Les garçons s'assirent et écoutèrent, mais le bateau n'accostait pas, après tout! Il contourna l'île et les voix se turent. Le bruit des rames disparut. « Le bateau est du côté du continent maintenant, murmura Robert. Faisons le tour de l'île et voyons si nous pouvons l'apercevoir.

La nuit n'est éclairée que par les étoiles, mais nous pourrons peut-être distinguer quelque chose... » Ils marchèrent sur les rochers avec précaution et parvinrent à l'autre extrémité de la petite île. Ils purent voir une masse sombre à quelque distance. « Ce doit être le bateau ! Mais qui peut se trouver à bord ? Et pourquoi venir là à cette heure de la nuit? - Tout cela est bien mystérieux, dit Robert. Réfléchissons. Où se dirige l'embarcation ? — Vers les falaises rocheuses de la côte, dit Fred, sans doute vers cette partie toujours baignée par la mer que nous n'avons jamais pu explorer à fond. - Il pourrait y avoir là des cavernes, dit Robert. Mais je me demande d'où vient ce bateau. Il semblait venir de la mer, et pourtant il n'a que des rames! —Sais-tu? Je parierais qu'il vient d'un canot à moteur un peu plus loin, dit Fred soudain. Ses propriétaires n'osent pas accoster s'ils se livrent à quelque trafic illégal, car on entendrait le bruit du moteur! Le canot reste donc en mer et la barque vient en cachette avec des marchandises d'une sorte ou d'une autre, provenant sans doute d'un pays étranger. — Veux-tu parler d'articles de contrebande? dit Robert, soudain passionné. Ma parole! Des contrebandiers! — Eh bien! il y en a des tas! Papa et maman en parlent quelquefois... Je te parie tout ce que tu voudras que nous avons entendu des contrebandiers passer ici avec tout un chargement d'objets! Ils se dirigent vers les falaises où ils ont une cachette, ou des complices qui les attendent pour prendre livraison des marchandises! » Robert sifflota. Il regarda vers la terre sombre, tache noire dans la nuit étoilée. « Oui, tu as peut-être raison! Des contrebandiers. Dis donc, que pouvons-nous faire? - Allons réveiller Brigitte, dit Fred. Nous discuterons tous ensemble. » La fillette fut prodigieusement intéressée par la nouvelle. « Vous auriez pu me réveiller plus tôt, protesta-t-elle, indignée. Croyez-vous que le bateau des contrebandiers va repasser?

Les garçons s'assirent et écoutèrent.

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— Je le suppose, dit Robert. Guettons ! » Ils se dirigèrent vers l'autre extrémité de l'île et tentèrent d'apercevoir les falaises éloignées. Soudain Robert poussa une exclamation. « Regardez ! Je suis sûr que je vois une lumière, au pied des falaises! » Ils écarquillèrent les yeux et, bientôt, Brigitte et Fred purent aussi apercevoir une faible lueur. «Je parie que les contrebandiers sont là, avec leurs marchandises », dit Robert. Ils restèrent là longtemps, faisant le guet et discutant. Puis la lumière disparut. L'ouïe perçante de Robert distingua soudain un bruit, et le garçon étreignit Brigitte et Fred, les faisant sursauter. « Ils reviennent! Chut! » Un bruit de rames, un murmure de voix leur parvinrent. Le bateau passa près d'eux dans l'obscurité, tache indistincte sur l'eau. Les enfants osaient à peine respirer. Lorsque le bateau eut disparu, ils se mirent à chuchoter. « Ils ont dû entreposer leurs marchandises dans la caverne ! Dès le lever du jour, nous irons à la découverte de leur cachette! - Chut! Écoutez! Il me semble entendre un bruit de moteur au loin ! Je parie que les contrebandiers filent maintenant! - Je voudrais déjà être au matin! J'ai envie d'aller à la recherche des marchandises de contrebande! » Mais le jour était encore loin de poindre. Il n'était guère que minuit et les enfants se rendormirent. Le matin venu, ils eurent peine à croire qu'un événement s'était produit la nuit. « Mais nous n'avons pas rêvé, dit Brigitte, puisque nous savons tous les trois ce qui s'est passé! Déjeunons, et allons ensuite explorer les falaises. Nous pouvons nous en approcher de très près... » Le déjeuner terminé, ils partirent dans leur vieux bateau. Ils ramèrent vers les hautes falaises dont la mer battait sans cesse les bases, et ils les contournèrent, examinant aussi soigneusement qu'ils le pouvaient chaque anfractuosité. Et ils trouvèrent ce qu'ils cherchaient! Ils aperçurent soudain une brèche et dirigèrent prudemment leur barque de ce côté-là. Une vague les poussa dans une large et curieuse ouverture, et ils se trouvèrent dans une sorte de chenal, entre les falaises escarpées, tout juste assez large pour que le bateau pût y naviguer

Ils tentèrent d'apercevoir les falaises. D'un côté de ce passage, il y avait une grotte, creusée dans la falaise, tout à fait invisible de la mer. « Immobilise le bateau en te suspendant à ce rocher, Fred, et j'irai explorer la caverne », dit Robert. Il sauta du bateau sur un roc et regarda attentivement l'intérieur de la grotte. « Dites donc! Il y en a des tas de choses! Des caisses, des ballots de toutes sortes! Voilà où les contrebandiers emmagasinent leurs marchandises! Je parie que quelqu'un vient les chercher — probablement en bateau dès qu'il n'y a plus de risques à craindre! » II retourna vers le bateau et y sauta. « J'aimerais ouvrir certaines de ces caisses, dit-il, mais je suppose qu'il vaut mieux les

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Les garçons ramaient avec fureur. Et juste avant l'accostage, l'embarcation coula! Ils durent patauger jusqu'au rivage, emportant ce qu'ils purent de leurs affaires. « C'est vraiment de la malchance! dit tristement Robert. J'aimais bien notre vieux bateau. Il est sûrement fichu, maintenant. Allons! Rentrons à la maison et racontons à maman ce qui est arrivé. Elle téléphonera à la police. » Leur mère fut stupéfaite. Quelle aventure ! Elle fut aussi horrifiée d'apprendre que le bateau avait coulé, et fort heureuse de les voir revenir sains et saufs. «J'ai peine à croire à cette histoire de contrebandier, dit-elle. Mais je suppose que je dois tout de même téléphoner à la police. Je vais le faire tout de suite pendant que vous vous changerez. » Un inspecteur de police ne tarda pas à venir. Il écouta l'histoire que lui contaient les enfants avec le plus grand intérêt. «Je pense qu'ils ont vraiment découvertquelque chose, dit-il à leur mère. Nous savons qu'on se livre à la contrebande dans les parages. Mais il est difficile de trouver une piste. Je vais me procurer un bateau et me rendre dans cette grotte. Je pourrais peut-être emprunter le bateau des enfants et ils m'indiqueraient l'endroit exact? — Il a coulé, répondit Fred tristement. Nous n'avons plus de bateau! Nous en sommes tout bouleversés! Yvon, le pêcheur, vous prêtera le sien. Nous vous accompagnerons. » L'inspecteur fut convaincu que les marchandises trouvées dans la caverne étaient des objets passés en fraude. « Des bas de soie! De l'eau-de-vie! Des parfums de toutes sortes! Ma parole! Voici un beau coup de filet! dit-il enchanté. Eh bien! nous déménagerons tout cela cette nuit, quand personne ne pourra nous voir, et nous guetterons les complices des contrebandiers! Quels qu'ils puissent être, ils ne tarderont pas à venir chercher tout cela! Et nous aurons des agents sur le Rocher des Tempêtes, guettant le retour des contrebandiers. » Tout cela était palpitant! Les enfants auraient voulu aller dans l'île avec les policiers, mais l'inspecteur s'y refusa.

« II y a peut-être un danger à courir, dit-il. Un échange de coups de feu, par exemple. Tenez-vous à l'écart ! Je vous dirai tout ce qui se sera passé, n'ayez crainte! » II tint parole et leur raconta une passionnante histoire la semaine suivante : « Nous avons arrêté les hommes qui venaient chercher les marchandises, commença-t-il. Et nous avons aussi pris les contrebandiers. Ils étaient trois! — Les avez-vous pris dans leur bateau? demanda Brigitte. — Nous avons suivi leur barque qui retournait vers la pleine mer, dit l'inspecteur. Un joli canot à moteur les attendait. Nous avons cueilli toute la bande. Ainsi, plus de contrebande à redouter pour l'instant, tout au moins dans notre coin... - Nous avons joliment bien fait de passer une nuit sur le Rocher des Tempêtes! dit Fred. Mais nous avons eu bien de la malchance de perdre notre bateau! — Oh! à votre place, je ne me ferais pas de souci à ce sujet, dit l'inspecteur d'un ton dégagé. Nous voulons vous donner une récompense. Vous la trouverez sur le rivage, si cela vous intéresse. Nous l'avons confiée à Yvon, le pêcheur. » Les enfants galopèrent jusqu'à la plage où ils virent Yvon, souriant. A côté de sa barque, il s'en trouvait une autre, peinte de frais et très élégante. « Bonjour! dit Yvon. Vous êtes venus regarder votre nouveau bateau? Il est chic, hein! Ma parole, vous avez de la chance, vous autres! — Oh! oui! s'écria Brigitte, ravie. Je veux être la première à ramer! Oh! quelle splendeur! Allons, garçons! A l'eau! Nous partons! » Et ils partirent, légèrement bercés par les vagues. Ils allèrent au Rocher des Tempêtes, tirèrent le bateau sur le sable et s'étendirent au soleil. « Bon vieux Rocher des Tempêtes! dit Fred, frappant le sable de ses mains largement ouvertes. Sans lui, nous n'aurions jamais eu ce merveilleux bateau tout neuf! »

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JACQUES LE VOISIN Jérôme avait une bicyclette superbe, mais son voisin Jacques n'en possédait point. De temps en temps sa grande sœur lui permettait de monter sur la sienne, mais il n'en éprouvait guère de plaisir, car ce n'était pas une bicyclette de garçon. Aussi regardait-il toujours par-dessus le mur le vélo de Jérôme et suppliait-il son voisin de le lui prêter. « Non, disait Jérôme qui n'aimait pas partager. Je ne veux pas. Tu l'abîmerais. Mais non, répliquait le garçon. Et je le nettoierais après m'en être servi! — Je ne te le prêterai pas. C'est dit. — Tu es égoïste, disait Jacques. Tu ne partages jamais avec personne! Tu ne m'as même pas laissé une seule fois jouer avec ton ballon de football! » Jacques avait raison. Jérôme était égoïste. Il n'offrait jamais un bonbon. Il se refusait à faire les commissions de sa maman si elle ne le payait pas. Il ne songeait qu'à son propre plaisir. Un samedi où son papa était à la maison, Jérôme s'entendit appeler : «Jérôme! File à bicyclette chez le marchand de journaux. Tu lui diras que mon journal n'est pas encore arrivé!

« Bonjour, monsieur ! Puis-je faire quelque chose pour vous ? »

— Je suis occupé! papa, cria Jérôme. J'irai dans une minute. » Mais il oublia naturellement de rendre ce service à son père. Plus tard, sa maman l'appela, elle aussi : «Jérôme! -Es-tu par ici? Veux-tu aller chez bonne-maman et lui porter un message ? Et chercher la viande au retour? J'ai tant à faire aujourd'hui! — Moi aussi, maman! répliqua Jérôme. Je suis très occupé. Décidément toi et papa, vous me prenez pour un garçon de courses ! » La maman ne répondit rien. Elle était peinée et indignée. Son fils lui parlait ainsi! Mais le papa avait entendu, lui aussi, et, fronçant les sourcils, il alla chez les voisins et demanda s'il pouvait parler à Jacques. Le garçon vint tout de suite. « Bonjour, monsieur! Puis-je faire quelque chose pour vous ? Je vais au village acheter différentes choses pour maman. » M. Leclerc regarda Jacques qui avait en effet un grand panier au bras. « Et comment y vas-tu ? A pied ? - Oui. Je n'ai pas de bicyclette, dit Jacques. Je voudrais bien en avoir une comme celle de Jérôme ! Ce ne serait rien alors d'aller au village et de revenir à la maison!

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te charger de quelques commissions pour nous? Tu pourrais prendre la bicyclette de Jérôme... Il y a un grand panier attaché au guidon et un autre sur le porte-bagages. — Oh! monsieur, est-ce que je peux vraiment m'en servir? dit Jacques. Quelle merveille! Ma parole, ce que je serai fier de monter dessus! Ce sera la première fois! Croyez-vous que Jérôme n'y trouvera pas à redire ? — Cela n'a aucune importance, dit M. Leclerc. Tu peux la prendre, et je te suis très obligé d'être si prêt à nous rendre service. Tiens, tu laisseras ce message chez la grandmère de Jérôme. Tu sais où elle habite ? Je veux mon journal, et voici la liste des commissions. Peux-tu te charger de tout cela? — Mais bien sûr ! Ce n'est pas une affaire, dit Jacques. Je rends bien d'autres services à maman! Avec la bicyclette de Jérôme, je pourrai aller plusieurs fois au village ce matin! Merci mille fois, monsieur! » Jérôme ne vit pas Jacques prendre sa bicyclette. Il ne le vit point non plus partir, enchanté. Il ne sut pas que Jacques descendait fièrement la rue du village, appuyant sur le timbre, ayant le sentiment d'être un personnage. Bientôt, Jérôme se rappela soudain qu'il voulait acheter des bonbons, car il ne lui en restait même pas un.

Jacques partit, enchanté.

« C'est ma bicyclette! Quel toupet! Je ne t'avais pas permis de la prendre! Descends tout de suite! » Il alla chercher sa bicyclette, et ne la trouva point! Le garage était vide. Il chercha partout! « Maman ! ma bicyclette a disparu ! hurlat-il. Et moi qui voulais aller acheter des bonbons! Où peut-elle être? » Personne ne lui répondit. Il courut jusqu'à la grille et regarda dehors. Avait-il, par hasard, laissé sa bicyclette sur le trottoir? Et, soudain, il vit Jacques remonter la rue sur la bicyclette, appuyant sur le timbre. Il pouvait à peine en croire ses yeux! Il s'élança : « C'est ma bicyclette! Quel toupet! Je ne t'avais pas permis de la prendre! Descends tout de suite ! Je le dirai à papa ! — Il le sait, répliqua Jacques en riant. Il m'a dit de la prendre. Jérôme, pris de rage, tenta de se saisir de sa bicyclette. «Donne-la-moi! hurla-t-il. Et gare à toi si tu oses t'en servir encore! Tu me dis des mensonges! » II entendit, derrière lui, une voix sévère : « Jérôme ! C'est moi qui ai dit à Jacques de prendre ta bicyclette. Je t'ai demandé d'aller me faire une commission et tu n'y es pas allé. Ta mère t'a aussi demandé un service et tu lui as répondu impoliment. Mais tu avais l'intention d'aller acheter des bonbons pour toimême. »

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Jérôme se sentit fort inquiet. « Te rappelles-tu ta promesse lorsque nous t'avons offert ta bicyclette? Tu avais juré de faire toujours nos commissions, promptement et joyeusement. Tu n'as pas tenu ton serment. » Jérôme devint fort rouge. Et son voisin entendait les reproches de M. Leclerc! Quelle honte! « Nous ne voulons pas de tes services s'ils sont rendus de mauvais gré, continua le papa. Aussi ai-je demandé à Jacques de faire nos commissions en se servant de ta bicyclette. Il ne demande pas mieux. Je suis sûr qu'il en aura grand soin, n'est-ce pas, Jacques ? — Bien sûr, monsieur, dit le jeune voisin. Mais... heu... peut-être Jérôme voudra-t-il faire vos commissions! - Non, dit M. Leclerc. Il y a des semaines qu'il ne nous rend aucun service. Je n'ai nulle raison de croire qu'il changera. En outre, je veux un messager gai et obligeant, tel que toi, Jacques. C'est un plaisir que de te demander quelque chose, mon garçon... - Laisse-moi me racheter, papa, dit Jérôme à voix basse. - Oh! oui, monsieur, dit Jacques. Après tout, c'est sa bicyclette! Je me rends bien compte de ce qu'il éprouve! Je serai toujours prêt à faire vos commissions s'il s'y refuse. Mais donnez-lui l'occasion de se racheter! — Fort bien. Range la bicyclette maintenant, Jacques, et entre à la maison. Un gâteau au chocolat et de la citronnade t'attendent », dit M. Leclerc. Il n'invita point Jérôme à entrer, et Jérôme ne les suivit pas. Il avait soudain honte. Son père et sa mère avaient dû prêter sa bicyclette à Jacques pour qu'il fît les commissions dont il n'avait pas voulu se charger! Il lui était désagréable de songer qu'un autre garçon tirait ses parents d'embarras. Jacques n'avait qu'à se mêler de ce qui le regardait! Qu'il fît les commissions de sa mère, on ne lui demandait pas plus ! Puis Jérôme s'assit sur le mur qui séparait sa maison de celle de Jacques et réfléchit profondément. Son père avait raison : Jacques était toujours prêt à rendre service avec le sourire.

« Ce que je veux, c'est un messager gai et obligeant, tel que toi, Jacques... » « Allons, pensa Jérôme, essayons toujours de l'imiter! » Jérôme eut l'occasion de se racheter. Vous devriez le voir filer à bicyclette dès que sa mère a besoin de la moindre chose au village! Elle ne peut s'empêcher de sourire. Mais elle a un autre sujet de satisfaction : Jérôme prête toujours son vélo à Jacques quand celui-ci en a envie. Ce n'est que justice d'ailleurs. N'est-ce pas Jacques qui lui a permis de se racheter? Jérôme file à bicyclette dès que sa mère a besoin de la moindre chose au village.

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