22071141 Les Dilemmes de l Economie Numerique La Transformation Des Economies Sous l Influence de l Innovation
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Société de la communication, société de l’information, société de la connaissance, depuis trente ans ces qualificatifs mettent l’accent sur les incidences économiques et sociales des technologies d’information et de communication (TIC). L’irruption des TIC dans la société a modifié non seulement les processus de production, mais également les processus de consommation, et donc le quotidien d’une grande partie des habitants de la planète. Leur introduction soulève des interrogations liées à l’ambivalence de leurs effets. En modifiant parfois en profondeur nos mécanismes économiques et sociaux, les TIC suscitent adhésion et répulsion, imposent de nouvelles régulations, de nouveaux apprentissages, de nouvelles façons de vivre, et transforment libertés et solidarités, valeurs et communautés. Fin 2008, la crise financière a montré que l’innovation touche aussi les mécanismes économiques et financiers (modèles d’affaires, outils comptables, instruments financiers, etc.) en diffusant des effets nocifs. Selon leur mode de déploiement, les TIC peuvent apporter ou non des toxicités ou des irradiations économiques et sociales aux effets dévastateurs. Et pourtant, nul ne peut plus se passer de ces technologies qui permettent d'automatiser les traitements informationnels. Comment le progrès des sciences et des techniques peut-il conduire au progrès des économies et des sociétés qui l’adoptent ? Fruit du travail d’une dizaine de contributeurs, parmi les meilleurs chercheurs et spécialistes de l’Institut Télécom, cet ouvrage propose de manière complète et accessible une exploration pas à pas des articulations délicates entre les TIC et le progrès économique. Au travers d’une réflexion éthique sur les TIC, il offre une vision globale des enjeux de la transformation de nos économies : modification des notions de valeur, de propriété, d’innovation, de compétitivité, de matérialité, de croissance, de territoire, de médiation. Lire Les Dilemmes de l’économie numérique, c’est rester vigilant dans la façon d'introduire et d'utiliser les technologies d'information et de communication au service du développement économique et humain.
Ouvrage collectif, sous la direction de Laurent Gille, réalisé en partenariat avec l’Institut Télécom. Laurent Gille est économiste au département Sciences Économiques et Sociales de Télécom ParisTech.
Les dilemmes de l’économie
numérique La transformation des économies sous l’influence de l’innovation
Sous la direction de
Laurent Gille
23,90 € T TC (Prix France)
ISBN 978-2-916571-12-6
fyp
www.fypeditions.com
fyp éditions
éditions
9 782916 571126
Collection innovation
fyp éditions
innovation
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Les dilemmes de l’économie numérique
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Laurent Gille
PlatdeCouvINNO-DilemEco-09-4:Plat de couv INNO
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Copyright © 2009 FYP Éditions Copyright © 2009 Institut Télécom
fyp éditions
Un ouvrage de la collection Innovation www.fypeditions.com Ouvrage collectif sous la direction de Laurent Gille www.institut-telecom.fr
Édition : Florence Devesa Révision : Correcteurs en Limousin Photogravure : IGS Ce livre a été imprimé sur les presses de l’imprimerie Chirat. Cet ouvrage a reçu le soutien du Conseil régional du Limousin et du ministère de la Culture et de la Communication, DRAC du Limousin, avec le concours du Centre régional du livre en Limousin et de l’Association limousine de coopération pour le livre (CRLL - ALCOL).
© 2009, FYP Éditions, Limoges (France) ISBN : 978-2-916571-12-6
Le Code de propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
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numérique La transformation des économies sous l’influence de l’innovation
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Collection Innovation
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Dans la même collection Every[ware] La révolution de l’ubimedia
Adam Greenfield (Traduit de l’américain par Cyril Fiévet) ISBN : 978-2-916571-00-3
Culture d’Univers Jeux en réseau, mondes virtuels, le nouvel âge de la société numérique (Ouvrage collectif coordonné par la Fing et Télécom ParisTech)
Frank Beau ISBN : 978-2-916571-19-5
Technologie & Civilisation 10 questions fondamentales liées aux technologies
David Nye (Traduit de l’américain par Helen Dewdney) ISBN : 978-2-916571-14-0
ProspecTIC [1] Nouvelles technologies, nouvelles pensées ?
Jean-Michel Cornu ISBN : 978-2-916571-03-4
L’Évolution des cultures numériques De la mutation du lien social à l’organisation du travail (Ouvrage collectif en partenariat avec l’Institut Télécom)
Christian Licoppe ISBN : 978-2-916571-13-3
Les Dilemmes de l’économie numérique Les enjeux de la transformation des économies sous l’influence de l’innovation (Ouvrage collectif en partenariat avec l’Institut Télécom)
Laurent Gille ISBN : 978-2-916571-12-6
Les Médias géolocalisés Comprendre les nouveaux espaces numériques
Nicolas Nova ISBN : 978-2-916571-20-1
Objets bavards L’avenir par l’objet
Bruce Sterling ISBN : 978-2-916571-01-0
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Contributeurs Maya Bacache, Institut Télécom, Télécom ParisTech, Département Sciences Économiques et Sociales. Philippe Barbet, CEPN - Université Paris XIII & chercheur associé à Télécom ParisTech, Département Sciences Économiques et Sociales. David Bounie, Institut Télécom, Télécom ParisTech, Département Sciences Économiques et Sociales. Marc Bourreau, Institut Télécom, Télécom ParisTech, Département Sciences Économiques et Sociales. Godefroy Dang Nguyen, Institut Télécom, Télécom Bretagne, Direction Scientifique. Laura Draetta, Institut Télécom, Télécom ParisTech, Département Sciences Économiques et Sociales. Valérie Fernandez, Institut Télécom, Télécom ParisTech, Département Sciences Économiques et Sociales. Fabrice Flipo, Institut Télécom, Télécom École de Management, Département Langues et Sciences Humaines. Abel François, Université de Strasbourg & chercheur associé à Télécom ParisTech, Département Sciences Économiques et Sociales. Michel Gensollen, Institut Télécom, Télécom ParisTech, Département Sciences Économiques et Sociales. Laurent Gille, Institut Télécom, Télécom ParisTech, Département Sciences Économiques et Sociales. Thomas Houy, Institut Télécom, Télécom ParisTech, Département Sciences Économiques et Sociales. Denis Lescop, Institut Télécom, Télécom École de Management, Département Droit, Économie, Finance et Sociologie. Pierre Musso, Institut Télécom, Télécom ParisTech, Département Sciences Économiques et Sociales. Gérard Pogorel, Institut Télécom, Télécom ParisTech, Département Sciences Économiques et Sociales. Laura Recuero-Virto, OCDE & chercheur associé à Télécom ParisTech, Département Sciences Économiques et Sociales. Patrick Waelbroeck, Institut Télécom, Télécom ParisTech, Département Sciences Économiques et Sociales.
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Introduction Laurent Gille
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Chapitre 1 - Croissance et performance
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TIC et compétitivité de l’entreprise Thomas Houy
2
TIC et croissance économique
30
Maya Bacache, Laura Recuero-Virto
3
Écologie de l’infrastructure numérique
38
Fabrice Flipo
4
L’innovation et sa bulle
48
Laurent Gille
5
Compétitivité de l’industrie européenne des TIC
63
Godefroy Dang Nguyen
Chapitre 2 - Les marchés de l’immatériel
73
1
76
Réel / Virtuel Michel Gensollen
2
Les dilemmes de la propriété intellectuelle
86
Laurent Gille
3
Le paradoxe de la longue traîne
93
Patrick Waelbroeck
4
Des systèmes de paiement dématérialisés David Bounie, Abel François
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Sommaire Les dilemmes de l’économie numérique
Chapitre 3 - Concurrence et régulation
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Vers de nouveaux modèles d’affaires et de chaînes de valeur Laurent Gille
2
Le paradoxe de la dispersion des prix en ligne
124
Patrick Waelbroeck
3
TIC et commerce électronique : laboratoires de la libéralisation des échanges et des évolutions des règles d’impositions ?
130
Philippe Barbet
4
La fracture numérique
139
Laurent Gille
5
Les enjeux de la régulation des infrastructures
147
Marc Bourreau, Denis Lescop, Gérard Pogorel
Chapitre 4 - Territoires et médiation
165
1
168
Critique de la notion de territoire numérique Pierre Musso
2
Les TIC comme artefacts de médiation de la connaissance à l’échelle des territoires
176
Laura Draetta, Valérie Fernandez
3
Innovation et territoires : les pôles de compétitivité
183
Godefroy Dang Nguyen
Bibliographie
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Les dilemmes de l’économie numérique
Introduction Laurent Gille
Le progrès technique scande désormais l’évolution de nos sociétés. Le monde a connu deux révolutions technologiques et industrielles consacrées principalement à la maîtrise de l’énergie : la première au tournant du XIXe siècle a permis la maîtrise de la machine à vapeur (et des moyens de communication associés – chemin de fer, navigation à vapeur) ; la deuxième à la fin du XIXe siècle a assuré la maîtrise du moteur à combustion et des technologies électriques (et des moyens de communication les utilisant – véhicules à combustion, traction électrique). Nous connaissons depuis un demi-siècle une troisième révolution technologique relative au traitement de l’information et de la connaissance, également accompagnée de l’essor de moyens de communication tels qu’internet. Nous allons vraisemblablement vers de nouveaux horizons, du côté de la maîtrise du vivant et des matériaux. L’influence du progrès technique sur la société depuis deux siècles s’avère cruciale. Mais le progrès des sciences et des techniques conduit-il au « progrès » des économies et des sociétés qui l’adoptent ? La notion même de progrès est perçue comme très caractéristique du monde occidental, car elle « place l’avenir dans une position de perpétuelle amélioration ». L’évaluation de ces améliorations dépend évidemment des critères que l’on retiendra, c’est-à-dire de la finalité que nous attendons de l’évolution socio-économique. Il faut alors peut-être renverser la proposition : nos sociétés et nos économies produisent-elles le progrès technique que nous souhaitons ?
L’ambivalence du progrès La technique transforme le monde et surtout notre rapport au monde et, désormais, le rapport des hommes entre eux. Donner une valence à ces transformations (bonnes ou mauvaises) reste délicat : la pensée commune retient de fortes ambivalences dans les effets des techniques, des opportunités et des risques ou même des menaces. Déjà dans l’Antiquité, où les techniques étaient avant tout guerrières, l’essor technique, synonyme de progrès dans l’art de la guerre, appa-
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Chapitre 1 Introduction
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raissait antinomique au progrès de l’humanité. L’Encyclopédie des Lumières de Diderot et de d’Alembert fait place aussi à cette ambiguïté du progrès, où celui-ci oscille entre civilisation et décadence. La conscience populaire développe en permanence une pensée ambiguë sur le progrès, mêlée d’addiction et de dépendance à un confort et une efficacité louables quoique questionnés, dans une fatalité qu’exprime bien l’adage : « on n’arrête pas le progrès ». On vilipende ou on loue les réticences d’adoption, on se classe parmi les technophiles ou les technophobes, on associe parfois volontiers une représentation négative à un usage intensif ou, inversement, le progrès ne laisse pas indifférent. Implicite dans le déplacement du questionnement de la technique à ses usages, il y a l’idée que la technologie est neutre et que c’est dans la façon dont on l’utilise que résident éventuellement les interrogations qu’elle peut soulever. Dans les ambivalences que suscite le progrès, les aspects positifs sont généralement placés en exergue pour minorer les côtés plus questionnables et créer ainsi une représentation positive. Les technologies d’information et de communication n’échappent évidemment pas à ces travers de la représentation du progrès : elles se présentent comme essentielles à la croissance du monde moderne, comme contribuant à une croissance durable et stable, ouvrant l’accès aux connaissances et aux divertissements qu’elles permettent de démultiplier, étendant le domaine des produits physiques aux produits virtuels, instaurant de la concurrence dans l’économie grâce à une meilleure information sur les prix, à une plus grande transparence des marchés, à une réduction des coûts de transaction, etc. Les ingénieurs se sont fréquemment dédouanés des effets négatifs de leurs innovations. Il s’agit ici de mettre en exergue leurs ambiguïtés et de rappeler l’absence fréquente de neutralité de la technologie, notamment sur le plan économique : le développement économique n’est pas « technologiquement neutre » tout comme d’ailleurs le développement social, c’est-à-dire insensible à la nature des technologies introduites. Face à ces ambivalences, nos sociétés seront de plus en plus confrontées à des dilemmes : faut-il choisir d’aller de l’avant ou fautil temporiser l’adoption de telle ou telle technologie ou innovation ? Le dilemme exprime l’idée d’une alternative impossible dans laquelle prendre parti s’impose. L’âne de Buridan, affamé et assoiffé qui se laisse mourir en ne sachant pas choisir entre un picotin d’avoine et un seau d’eau, invite à trancher.
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Les dilemmes de l’économie numérique
Adopter ou récuser une innovation produit de toute façon, quelle que soit l’option retenue, des effets positifs et néfastes à la fois ; trancher est certes nécessaire, mais il faut surtout accompagner et voir comment pallier les défauts de la solution retenue, quelle qu’elle soit. En général, la société a jusqu’à présent choisi l’innovation, tout simplement parce qu’elle ne disposait pas des instruments lui permettant de s’y opposer. La situation évolue peu à peu sous la pression des questions dites éthiques : tant en matière d’énergie (le nucléaire, les biocarburants, etc.) qu’en matière agricole (les OGM) ou en biologie (les cellules souches, etc.), les questions éthiques se font de plus en plus pressantes, introduisant des notions nouvelles comme celles de risque, de liberté, de respect de l‘individu, de principe de précaution, etc. Ce qui est nouveau dans les réflexions prenant place depuis un quart de siècle est le questionnement reliant les technologies à leurs usages. La crise financière de 2008 montre que l’innovation à considérer est aussi celle qui touche aux mécanismes économiques et financiers : les modèles d’affaires, les technologies intellectuelles telles que les moteurs de recherche ou les instruments de fouille de données, les outils comptables, les mécanismes de protection de la propriété, les instruments financiers, bâtis sur des techniques sophistiquées, peuvent porter, selon leur mode de propagation, des toxicités, des virus ou des irradiations économiques (et sociales) aux effets dévastateurs. Mieux vaut alors prévenir que guérir. L’économie, quant à elle, se débat dans une injonction paradoxale éminemment associée au progrès technologique : alors que le monopole de production est considéré comme néfaste au bien-être global, conduisant à un déficit de production lié à un prix élevé, l’innovation schumpétérienne, porteuse d’une croissance issue de l’amélioration de la qualité et de la diversité des produits, génère une rente monopolistique, sorte de mal nécessaire. De ce dilemme, il faut savoir sortir et accompagner l’innovation des régulations qui vont permettre de déterminer et répartir la valeur en conformité aux « valeurs » sociales. Démarche qui génère une opposition potentielle entre innovation et régulation.
La numérisation de l’économie On pourrait penser les technologies d’information et de communication indemnes de ces questionnements. Elles ne peuvent l’être. L’influence même de ces techniques sur la société et l’économie apparaît, à bien des égards, plus
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Chapitre 1 Introduction
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structurante, car elles concernent la communication entre les êtres, donc la cohésion sociale, et l’accès et la diffusion de la connaissance, donc le moteur même de l’innovation. De 1960 à l’an 2000, quarante années se sont écoulées au cours desquelles le statut de ces techniques a radicalement changé. Très centralisatrices, fermées et dominantes (la grosse informatique propriétaire d’IBM et les réseaux monopolistiques d’AT&T), ces techniques se sont massivement décentralisées et disséminées grâce à une intelligence et un potentiel de traitement se diffusant dans des objets de plus en plus petits et nombreux, interconnectés et interopérés par des réseaux « aplatis », maillés et agiles (la micro-informatique et le web communautaire). La connaissance et plus largement les contenus ont dès lors explosé, leur production et leur diffusion étant considérablement « libérées » de tout pouvoir de contrôle institutionnel, mais les identités et usages, étant alors inscrits dans un espace numérique, y laissent des traces qui échappent à leurs producteurs : ainsi la problématique du contrôle s’inverse. La question n’est plus le contrôle social à travers le robinet de l’offre que l’innovation a fait exploser, mais à travers les identités et pratiques numériques. On ne peut plus interdire, il faut surveiller. La critique s’est déplacée tout comme l’imaginaire de ces technologies s’est décalé, oscillant entre les promesses et les craintes qu’elles suscitent. Entre les avocats prônant de débrider l’innovation porteuse de tous les espoirs et ceux proposant de la brider – brider sa puissance qui asservirait et contrôlerait l’individu, brider sa richesse qui donnerait à l’individu une liberté dangereuse pour la société, brider son potentiel pour ne pas détruire ce à quoi elle se substitue –, faut-il choisir ? La technologie est ainsi souvent prise en otage dans le rapport de l’individu à la société, car c’est elle qui fait bouger les rapports économiques, sociaux, mais aussi et surtout symboliques, qui disent la place de chacun. La « numérisation » de la société traduit l’irruption des technologies d’information et de communication (TIC) dans les processus non seulement de production mais également de consommation, avec une offre de plus en plus large de biens numériques, voire d’univers numériques, qui ont modifié le quotidien d’une très grande partie des habitants de la planète, par exemple à travers la téléphonie mobile, les jeux en ligne ou désormais les réseaux sociaux. Ces évolutions sont lourdes de conséquences pour de multiples raisons. D’une part, produire des biens et services à partir de ces technologies comme produire des
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biens numériques s’opère dans des conditions relativement différentes (production à coûts fixes importants, fortes externalités, non-rivalité des biens, etc.) qui rendent délicats les traditionnels équilibres de marché et nécessitent une régulation spécifique des marchés. D’autre part, cette mutation conduit à s’interroger sur la nécessaire transformation de certaines façons de voir, notamment en ce qui concerne la propriété, l’innovation, la matérialité ou la dématérialité des biens, la productivité ou la compétitivité, ainsi que la nature du développement économique qui reposent sur l’usage de ressources matérielles sujettes aujourd’hui à des tensions économiques et géopolitiques croissantes en raison de leur épuisement progressif. La numérisation de la société transforme et les processus de production et les produits offerts dans nos économies. Nous listons ici quelques-uns de ces effets qui reviendront dans de nombreux textes de façon récurrente. Introduire des technologies d’information et de communication, c’est notamment accroître la part des coûts fixes (par exemple à travers la mise en place de réseaux ou de systèmes d’information) dans la production, c’est donc développer des rendements d’échelle croissants, au travers desquels le coût des produits tend à décroître avec le volume de production, créant des contextes où les équilibres de marchés sont plus délicats à atteindre. Introduire des technologies d’information et de communication, c’est également favoriser dans le système productif, tant au niveau de la production que de la consommation, de nombreuses externalités ou effets externes, c’est-à-dire des situations où la consommation ou la production d’un agent économique influe positivement ou négativement sur la situation d’un autre agent, sans que ceux-ci soient en aucune façon en transaction directe. Ainsi, tout abonné à un réseau bénéficie de tout nouveau raccordement à ce réseau, directement par les opportunités de communications nouvelles offertes, indirectement du fait d’une meilleure utilisation du réseau. La présence d’externalités sur un marché rend le fonctionnement de ce marché très particulier. Engager la numérisation de l’économie développe ce que l’on nomme aujourd’hui des marchés bifaces, marchés sur lesquels deux clientèles différentes entretiennent des interdépendances marquées, associées notamment à des effets externes. Ainsi, le producteur d’une console de jeu électronique doit disposer de jeux pour attirer sur sa console des joueurs, et doit disposer de joueurs pour attirer des éditeurs de jeux.
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Chapitre 1 Introduction
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Enfin, proposer des biens immatériels transforme la nature de la consommation. La dématérialisation des biens accentue la non-rivalité en consommation et leur numérisation ne facilite pas l’exclusion en consommation. Un bien matériel est généralement détruit lors de sa consommation, et les consommateurs apparaissent alors comme rivaux en consommation. Un bien numérique n’est généralement pas détruit lors de sa consommation, il peut être consommé simultanément par quelqu’un d’autre, ce bien est alors qualifié de non rival. À cette nonrivalité s’ajoute le fait qu’il est difficile d’exclure de la consommation les biens non rivaux, car par ailleurs, ils sont aisément duplicables s’il s’agit notamment de biens numériques. Des biens non rivaux d’exclusion difficile sont dès lors fréquemment voués au piratage, ce qui rend délicate la solvabilité de leur production.
La dialectique du progrès On ne peut donc voir dans le progrès, comme malheureusement l’économie l’a trop souvent postulé, un facteur uniquement exogène. Le progrès technique est fondamentalement un produit social : le progrès ne tombe plus du ciel, il est le résultat de l‘activité sociale, des politiques publiques, de l’inventivité humaine. Le dilemme est de facto résolu par nos sociétés qui non seulement produisent du progrès, mais qui de plus en construisent la représentation et en développent l’imaginaire. Nous n’insisterons pas sur cette dialectique, sauf à en explorer la dimension économique qui va se retrouver dans bon nombre de contributions : le progrès est-il le vecteur d’un certain développement économique ou est-il porté par le développement économique, approprié et diffusé par des organisations ou institutions de progrès ? En d’autres termes, le progrès réside-t-il dans la technologie ou dans les organismes qui le mettent en œuvre ? On retrouve là le débat sur technologie et guerre, technologie et développement durable, technologie et liberté ; la compréhension de cette dialectique est néanmoins essentielle pour éclairer les politiques publiques dans leur dilemme face à l’innovation, soutenir les technologies ou/et soutenir ceux qui savent les traduire en un bénéfice social et économique. Au cœur de ce débat s’insinuent les questions éthiques déjà évoquées. L’économie numérique concerne désormais toute l’économie ; nous avons pris le parti d’illustrer les problématiques évoquées, plutôt que de chercher une exhaustivité illusoire, en abordant successivement plusieurs facettes de ces questions :
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Les dilemmes de l’économie numérique
Comment les technologies de l’information et de la communication contribuent-elles à la croissance et à la performance ? Les marchés de l’immatériel reproduisent-ils les marchés matériels ? L’économie numérique induit-elle plus de concurrence (et donc moins de régulation) ? Quels rôles les territoires jouent-ils quand l’univers technologique brise les distances et crée de nouveaux espaces ? On retrouvera dans chacune de ces parties les ambivalences, les dialectiques soulevées ici, exprimées sur un champ concret. Le lecteur sera sans doute sensible au fait que les thématiques ainsi abordées doivent être croisées et articulées pour être pleinement pertinentes, cette fertilisation croisée des approches étant un des nombreux enjeux de la recherche en ce domaine, y compris avec les enjeux sociaux, au cœur de l’ouvrage sœur, L’Évolution des cultures numériques. Les Dilemmes de l’économie numérique rassemble des contributions de chercheurs appartenant à l’Institut Télécom ou qui lui sont proches. Initialement sollicités à l’occasion du dixième anniversaire de l’Institut Télécom (alors GET), ces articles ont été revus et étendus pour cette publication afin de contribuer à une réflexion éthique sur les technologies d’information et de communication. Il ne s’agit en aucun cas de conclure, mais plutôt d’ouvrir le débat indispensable pour mobiliser les technologies au mieux du développement économique et humain. Nous voudrions ici remercier nos collègues chercheurs qui ont accepté d’exposer non pas l’impact des technologies sur l’activité économique, mais les questionnements que suscite leur introduction en explorant pas à pas les articulations délicates qui se font jour entre les technologies de l’information et de la communication et le progrès économique.
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Chapitre 1
Croissance et performance
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Les dilemmes de l’économie numérique
L’innovation est censée contribuer à la croissance, à la performance et à la compétitivité de l’économie et des agents qui la composent. L’innovation portée par les technologies d’information et de communication (TIC) le fait indéniablement, mais avec une certaine dissipation, propre à tout système physique ou vivant (1). Que ce soit au niveau de l’économie tout entière ou de l’entreprise, l’adoption et l’utilisation des technologies d’information et de communication apparaît désormais étroitement corrélée avec la croissance et la performance, alors que cette contribution était questionnée à la fin des années 80 dans ce que Robert Solow, prix Nobel d’économie, avait nommé le paradoxe de la productivité. Mais corrélation ne signifie pas causalité : est-ce effectivement l’innovation qui induit de la performance ou est-ce la performance qui induit une mobilisation plus importante des technologies d’information et de communication ? Cette interrogation reste largement sans réponse et n’est dès lors peut-être pas la meilleure façon d’aborder la relation des TIC à la performance. Si corrélation il y a, la question n’est-elle pas alors de savoir comment renforcer cette corrélation, mieux connaître les chemins qui y mènent, et savoir accompagner un cercle vertueux d’adoption, c’està-dire de déterminer, à un niveau global, les politiques publiques à soutenir et, à un niveau plus micro, le bon mode d’appropriation des technologies. Les appareils d’observation, les nomenclatures, les instruments de mesure ne sont pas encore à même de livrer les informations nécessaires à une instruction fine de ces questions. L’innovation numérique participe à la croissance sous certaines conditions, compte tenu des caractéristiques particulières de ses biens ou de ses processus de production. L’innovation numérique participe à la performance de la firme là encore sous certaines conditions, notamment en fonction des modèles et pratiques managériales présents dans la firme. Les bienfaits de l’innovation numérique ne sont pas automatiques. Les contributions peuvent être faibles ou fortes, parfois même peut-être négatives. Ce qui n’exclut pas qu’il soit devenu aujourd’hui impossible de s’en passer. On peut également s’interroger sur la qualité de la croissance ou de la performance ainsi obtenues : celles-ci sont-elles durables, sont-elles équitables, sontelles stables ? Force est de reconnaître que, contrairement à un a priori assez généralisé, l’innovation numérique consomme de l’énergie et génère des (1) L’idée de la dissipation est que tout gain s’accompagne d’une contrepartie négative, comme dans une machine thermique. Il suffit par exemple de se rappeler les investissements qui ont été nécessaires pour échapper au bug de l’an 2000 pour apprécier le caractère parfois dissipatif des systèmes d’information.
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Chapitre 1 Croissance et performance
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déchets : le monde virtuel a un gros besoin d’inscription matérielle. Force est également de reconnaître que l’innovation numérique, contrairement là aussi aux a priori de la nouvelle économie, non seulement n’a pas éliminé les cycles, mais a contribué à en créer : la bulle internet en a été une manifestation majeure. Enfin, il est nécessaire que l’économie puisse susciter cette innovation numérique. L’accès à l’innovation constitue en effet un prérequis important pour que ses bénéfices puissent être éventuellement atteints. Doit-on dépendre d’une innovation étrangère ? Doit-on favoriser le développement de l’innovation sur son territoire (et à quel niveau) ? Quels sont les bons modèles qui permettent de générer de l’innovation utile ? Ce sont d’autres questions importantes de ce chapitre et de ceux qui suivent. Quelques éclairages permettront d’illustrer certaines facettes de ces problématiques sans prétendre couvrir toutes les dimensions évoquées. Une question pendante sera considérée plus loin : l’économie numérique produit-elle une économie plus concurrentielle ? La qualité concurrentielle de l’économie numérique semble être la résultante de tendances contradictoires avec, d’un côté, une meilleure information sur les marchés et une baisse sensible des coûts de transaction et, de l’autre, des incitations à la concentration industrielle et à la capture des marchés. Les technologies d’information et de communication influent vraisemblablement sur le rythme de la croissance, mais en transforment la qualité et la nature, et elles déforment les structures de marché. Le bilan de ces évolutions reste encore largement à dresser, mais il est clair que ce progrès est désormais incontournable et qu’il s’agit donc d’accompagner ce mouvement pour l’infléchir dans les directions que la société jugera bénéfiques.
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Chapitre 1 Croissance et performance
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Compétitivité de l’industrie européenne des TIC Godefroy Dang Nguyen
En 1978, le commissaire européen pour les Affaires industrielles, le vicomte Étienne Davignon, lançait ce qui allait devenir l’ossature de la politique industrielle européenne dans les technologies de l’information et de la communication. Cette initiative déboucha sur le programme de recherche précompétitive, Esprit, initié en 1982, puis sur Race (télécommunications) et enfin sur le programme IST, encore en vigueur dans le 7e programme-cadre sous le nom d’ICT (2007-2013). Cette construction institutionnelle originale avait été élaborée pour imiter et répondre au défi japonais et à la suprématie américaine en microélectronique et en informatique. Trente ans après, les choses ont à la fois beaucoup et peu changé. La méthode Davignon (1) continue à être pratiquée au sein de l’Union européenne avec le programme-cadre de R&D, mais son impact sur la compétitivité européenne dans les TIC paraît relativement négligeable. Dans le domaine des semiconducteurs, l’Europe n’a jamais véritablement comblé son retard. Il existe encore un fabricant européen, ST Microelectronics, issu de la fusion entre deux entreprises française et italienne Thomson microélectronique et SGS ATES, surtout présent dans les composants pour cartes à puces et cartes « SIM » des téléphones portables. Mais les activités semi-conducteurs de Siemens (Infineon) et Philips (NXP) ont été vendues à des fonds d’investissement ou introduites en Bourse. Pourtant, l’industrie des semi-conducteurs continue à être le vecteur principal du progrès technique, grâce à la fameuse loi de Moore. En ce sens, les circuits intégrés restent cette technologie générique, source d’innovations complémentaires qui se diffusent dans tous les objets de la vie quotidienne : téléphones et ordinateurs portables mais aussi jouets, appareils photographiques ou électroménagers, automobiles, « puces RFID » (étiquettes électroniques pour (1) Étienne Davignon a contribué à la construction européenne par son rapport sur le rapprochement des politiques étrangères européennes. La méthode dite Davignon repose sur la souplesse, car elle n’impose ni cadre juridique ni obligation contraignante, mais consiste en un simple engagement des gouvernements à se consulter régulièrement.
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la communication sans fil) pour les colis, etc. De plus, la connexion en réseau, via les protocoles IP et internet, démultiplie les capacités de traitement et de stockage de l’information dont nous disposons en permanence. C’est l’informatique « ambiante » ou « pervasive », sur laquelle nous reviendrons. Ceci conduit également à affirmer l’importance des grands réseaux de transport optique, des matériels et logiciels de gestion des flux de trafic, des « plateformes » de traitement distribuées (routeurs, serveurs) ou localisées (terminaux d’extrémité). Que peut faire l’Europe dans ce contexte en profonde évolution ?
Deux trajectoires d’innovation Les structures industrielles qui ont sous-tendu le développement extraordinaire des TIC durant les quarante dernières années ressortissent à deux modèles de référence, dont on peut trouver les esquisses dans les écrits de l’économiste autrichien Schumpeter (1883-1950). Le premier, Schumpeter I, met en évidence le caractère à la fois créatif et destructeur de l’innovation, qui annule et remplace une ou plusieurs technologies existantes. Dans ce modèle, sont mises en avant des barrières à l’entrée réduites, donc un accès aisé aux sources éventuelles d’innovation, aux capitaux pour les financer, à la main-d’œuvre pour les réaliser, aux opportunités de marché pour les valoriser. Elles sont le garant principal d’un progrès technique rapide, mais le moteur de ce progrès reste l’« animal spirit » des individus, dirait un autre économiste du début du xxe siècle, Alfred Marshall (1842-1924). Il s’agit de saisir, grâce à l’innovation, une opportunité de se créer un monopole temporaire, donc des rentes. Et plus ces individus sont nombreux et opportunistes, plus les rentes sont faibles et le progrès technique rapide. Le modèle Schumpeter II est d’une logique sensiblement différente, et correspond à une évolution de la pensée de l’auteur, beaucoup plus pessimiste vers la fin de sa vie. Pour lui, seules les grandes entreprises ont la capacité de mobiliser des ressources importantes pour faire avancer les connaissances technologiques et créer des produits réellement novateurs. Cet effort peut même être relayé par les pouvoirs publics subventionnant et coordonnant ces activités de recherche. Dans ce cas, les rentes d’innovation sont toujours limitées par la durée de validité des produits et services, mais la volonté de préserver ces rentes peut inciter les grandes entreprises à maintenir en permanence cet effort de recherche tout en prévenant l’arrivée de nouveaux concurrents.
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Les grands secteurs innovants, les TIC bien sûr mais aussi la biologie et le secteur pharmaceutique, ont vu coexister les deux modèles Schumpeter I et Schumpeter II. Dans le cadre des TIC, le premier modèle est celui suivant lequel a fonctionné la Silicon Valley durant la période de 1970 à 2000, et qui a caractérisé la bulle internet de 1995 à 2001 : - création continuelle de « start-up » soit par essaimage d’individus issus d’entreprises trop réductrices par rapport à leur capacité d’entreprendre, soit par de jeunes talents fraîchement issus de l’université, - soutien à ces initiatives par des « capitaux-risqueurs » organisés et disposant de moyens financiers suffisants, - mise en place d’un cadre institutionnel favorisant l’initiative des PME (1). C’est en se fondant sur le modèle Schumpeter I que s’est bâti le succès de Texas Instruments, d’Intel, de Microsoft, de Dell, de Cisco, de eBay, d’Amazon ou de Yahoo! Ce modèle est devenu tellement séduisant aux yeux des décideurs publics qu’il a incité bon nombre d’organismes, dont la Commission européenne, l’OCDE, mais aussi des gouvernements, à vouloir en reproduire les conditions d’émergence. En France, la technopole de Sophia Antipolis a été imaginée comme une Silicon Valley azuréenne. En Grande-Bretagne, à Cambridge et Édimbourg, en Allemagne dans la région du Bade-Würtemberg ou autour de Münich, en Finlande dans la région d’Oulu, en Italie autour de Gênes ou de Bari, de petites « Silicon Valleys » ont cherché à éclore. Le modèle Schumpeter II de son côté, fondé sur la recherche dans les grandes entreprises avec ou sans le soutien des pouvoirs publics, fut à son apogée dans les années 60-70. Mais il n’a pas eu, dans le cadre européen ou américain des TIC, un succès important. Les entreprises américaines dominantes dans le secteur durant les années 60 (IBM et ATT au premier chef, mais aussi Hewlett-Packard, NCR, Honeywell, Sperry, GTE, Motorola, Western ElectricLucent, etc.) ont dû subir des restructurations drastiques ou disparaître. Au niveau européen, parmi les douze industriels majeurs qui participaient aux discussions pour la mise en œuvre d’Esprit, il y a trente ans, certains ont quasiment disparu (ICL, Nixdorf, Olivetti, Plessey, GEC-Marconi, Bull, Italtel) tandis que d’autres se sont profondément transformés (Alcatel, Siemens, Philips, Thomson). Aucun n’a survécu en tant que leader mondial ou acteur majeur. (1) Aux États-Unis notamment, le Small Business Act réserve une partie des commandes publiques aux PME, et le Bayh Dole Act autorise les chercheurs universitaires à valoriser individuellement des brevets déposés à l’issue de recherches financées par des fonds publics.
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Les seules entreprises européennes qui ont su tenir leur rang ou se sont créé un leadership, en suivant le modèle Schumpeter II, sont : - dans le secteur des mobiles, les scandinaves Ericsson et Nokia, qui en 1978 n’appartenaient pas à l’Union européenne ; - dans le domaine des composants, il s’agit de ST Microelectronics. Le modèle Schumpeter II garde de nombreux adeptes. En Asie notamment, des entreprises coréennes comme Samsung ou LG, japonaises comme Toshiba, NEC, Fujitsu, Canon ou Sony sont les emblèmes de ce modèle. Les économies émergentes de l’Inde ou de la Chine semblent également vouloir le promouvoir comme en témoigne le chinois Lenovo, qui a repris la production de micro-ordinateurs d’IBM. Le succès des grandes entreprises asiatiques est appuyé par une politique publique dynamique. Le cas en télécommunications est emblématique depuis quelques années. En Corée, le gouvernement a tout fait pour stimuler la diffusion des accès à haut débit, afin d’offrir des marchés nouveaux à ses industriels. Le Japon a été le premier à lancer des offres commerciales d’accès à très haut débit (> 100 Mbits/s) dans les grandes métropoles, alors qu’en France la seule initiative de la ville de Pau n’a jamais été relayée à un niveau plus étendu avant 2008. Dans le domaine de la téléphonie mobile, les systèmes de troisième et quatrième génération offrent au gouvernement chinois l’occasion d’installer ses industriels dans la concurrence mondiale, alors que le CDMA (technologie de codage et multiplexage numérique) a relancé la compétitivité des entreprises américaines. Il est probable que les gouvernements indien et chinois, qui sont dans une phase de rattrapage de leurs entreprises par rapport à l’état de l’art technologique en électronique, cherchent à s’appuyer sur des structures existantes en voie de consolidation. Il existe aussi en France une tradition, parfois qualifiée de « colbertiste », accordant un soutien public aux groupes industriels par le truchement de « grands programmes » : nucléaire, Airbus, TGV, etc. Malgré la désaffection à l’égard de ce type de politique et compte tenu des limites qu’autorise le cadre européen, les industriels français de l’électronique (notamment les PME) ont proposé, en 2004, que soit lancé un tel programme pour la diffusion du très haut débit : le gouvernement (ou les collectivités) devaient s’engager à équiper une part significative des ménages. Cette proposition n’a pas connu de suite.
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Un cadre nouveau avec Internet Ainsi le modèle Schumpeter I apparaît a priori comme le modèle dominant de développement de l’innovation dans les TIC pour le monde occidental (Amérique du Nord et Europe) tandis que le modèle Schumpeter II semble plutôt préféré en Asie du Sud-Est. D’un autre côté, le Net a permis depuis plus de dix ans, la mise en réseau des individus et des organisations sur une large échelle. Ceci a créé des conditions nouvelles pour le développement de l’innovation, en faisant émerger simultanément des menaces inquiétantes et des opportunités totalement inattendues. Le tout a un impact sur l’efficacité relative de Schumpeter I et Schumpeter II. Les menaces se concentrent sur l’appropriation par un seul acteur de ce que l’on appelle les « effets de réseau ». Ceux-ci font que l’intérêt d’un produit ou d’un service augmente avec le nombre de clients ou d’utilisateurs. Ils structurent de manière prépondérante le déploiement d’internet et des services qui s’y sont construits : web, téléphonie sur IP, commerce et courrier électroniques, etc. Dans ces conditions, la concurrence fait émerger rapidement un leader puisque celui-ci voit l’attractivité de son produit ou service augmenter pour ceux qui ne l’ont pas encore adopté. Du coup, durant la phase préliminaire de concurrence, chaque fournisseur essaie de créer le plus rapidement possible une base de clientèle la plus vaste possible, qu’il pourra successivement valoriser (ou exploiter) une fois qu’il aura atteint une situation monopolistique. L’exemple emblématique est évidemment celui de Microsoft avec sa plateforme Windows, mais eBay ou Google peuvent prétendre à une position équivalente. Le cas Microsoft renvoie aussi au rôle des plateformes logicielles dans la circulation et les traitements de l’information. Elles sont positionnées à plusieurs niveaux : celles de Microsoft sont principalement confinées aux équipements d’extrémité (ordinateurs personnels, organisateurs nomades, consoles de jeux). Il existe d’autres plateformes, comme le web ou les logiciels de routage mettant en œuvre les protocoles TCP/IP, qui se trouvent disséminés au sein même du réseau internet. Néanmoins, ils ne sont pas accaparés par un seul acteur susceptible de capter à son profit une partie substantielle des bénéfices de l’effet réseau. Au niveau des services par contre, les choses sont différentes (que l’on pense à Google, eBay ou Amazon). La brièveté de la phase de concurrence intense (révélée par la bulle internet), précédant une position monopolistique durable pour le « vainqueur », suggère que les effets de réseau ont tendance à renforcer les rentes monopolistiques dès
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que ce vainqueur a émergé. En outre, les stratégies de certaines entreprises consistent à profiter de leur position de monopole sur un segment pour l’étendre à des segments complémentaires. Les menaces provoquées par l’effet de réseau confirmeraient alors le diagnostic pessimiste de Schumpeter : les grandes entreprises maîtrisent et peuvent à l’occasion orienter, voire limiter le rythme d’innovation, pour préserver leurs rentes de monopolisation, comme on a pu le voir au moment du procès à Microsoft. Or la production de logiciels fait l’objet, notamment aux États-Unis, de mesures spécifiques de protection par le brevet (protection de l’idée), par le droit d’auteur (protection de l’expression de l’idée), par le secret commercial (code machine indéchiffrable), par l’obligation contractuelle (licence d’utilisation très restrictive octroyée aux acheteurs – en fait loueurs – de logiciels). Cette quadruple protection offre aux entreprises en place toutes les garanties de préservation des rentes, notamment pour les logiciels de plateforme. Malgré tout, des opportunités inattendues existent et se situent à plusieurs niveaux. D’abord la bulle internet a laissé un héritage. Malgré tous les échecs, l’effervescence a produit une série d’innovations techniques et commerciales importantes : développement de l’ADSL, du Wi-Fi et du Wimax, moteurs de recherche, vente aux enchères, vente à domicile en milieu urbain, transactions électroniques, etc. La plupart de ces innovations ont été réalisées par des petites structures animées par la volonté de « destruction créatrice » dans l’esprit de Schumpeter I. La connexion des utilisateurs a engendré une plus grande coordination dans les usages, donc pour les innovateurs un accès beaucoup plus rapide à la clientèle potentielle. Ceci a augmenté de manière drastique les incitations à innover et influé sur la réduction des barrières à l’entrée. Cette « phase fluide » d’intense concurrence sans « produit de conception dominante », ou phase d’expérimentation et d’exploration, devrait se prolonger dans l’évolution des réseaux eux-mêmes qui, constamment, offrent de nouvelles opportunités. L’ordinateur personnel (PC) est actuellement un modèle dominant (dominant design) pour les terminaux d’extrémité, mais les réseaux ad hoc ou « pervasifs », les « objets intelligents », la capacité de traitement et de stockage personnalisée et portable, l’accès permanent et instantanément reconfigurable à des ressources informatiques « ambiantes » où que l’on se trouve font que ce modèle dominant ne l’est peut-être plus pour très longtemps, et que le téléphone portable, l’organisateur personnel, les consoles de jeu portatives, voire les cartes
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de crédit disposant d’un microprocesseur et de capacités de mémoire pourraient prendre en charge des capacités de traitement de plus en plus avancées. On parle d’« internet des objets ». Les terminaux numériques entrent donc dans une phase d’intense « destruction créatrice ». Une deuxième source d’opportunité est due au rôle des utilisateurs dans la mise en œuvre des innovations. Leurs contributions ont été rien moins que fondamentales : les messageries électroniques, le web, les navigateurs (browsers), certaines plateformes, comme Linux ou Apache ressortissant à la catégorie des logiciels libres, font partie de leurs apports au développement de l’internet. Sans eux, celui-ci n’existerait sans doute pas, ou pas comme cela. C’est encore une fois l’effet de réseau qui a permis l’éclosion de ces innovations, mais désormais les développements peuvent concerner la création de contenus à spectre large. C’est le fameux web 2.0. Par contre, dans cette création destructrice de la part des utilisateurs, il y a peu de risques de monopolisation, puisque la valeur créée est moins « marchandisée » et immédiatement partagée. Menaces et opportunités sont donc l’avers et le revers d’une même médaille, celle des effets de réseau. Ceux-ci, compte tenu de la versatilité des applications suscitées par l’usage des circuits intégrés, permettent d’encourager les initiatives, d’abaisser les barrières à l’entrée de concurrents ou d’utilisateurs innovants, en leur offrant rapidement des opportunités de valorisation. Mais dans le même temps ces effets favorisent aussi, à plus long terme, les stratégies d’extension de rentes de monopoles par des entreprises bien installées. Dans ces conditions, les politiques industrielles visant à maintenir ou restaurer la compétitivité d’entreprises européennes ne peuvent plus s’appuyer sur les réponses institutionnelles élaborées il y a trente ans. Les programmes de R&D précompétitifs semblent avoir montré leurs limites en termes financiers, organisationnels, et de résultat. Les « plans » promouvant la mise en place de grands systèmes comme le GSM ou l’UMTS se heurtent aux difficultés de coordination institutionnelle au sein de l’Union européenne, à la variété et au caractère diffus des enjeux économiques et commerciaux : Quel type de terminal d’extrémité émergera ? Comment seront configurés les réseaux du futur, pervasifs ou à large capacité ? Comment seront gérés les flux de trafic régissant actuellement les protocoles IP ? Les flux montants seront-ils toujours beaucoup plus faibles que les flux descendants ? La production de contenu restera-t-elle toujours une activité individuelle, sur laquelle on peut facilement conférer des droits de propriété ?
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Le régime actuel sur la propriété intellectuelle, notamment des logiciels, ne donne-t-il pas une protection excessive à certains grands acteurs, et n’est-il pas susceptible de freiner l’innovation ? Face à ces incertitudes croissantes, trois attitudes contrastées sont possibles : - D’un côté on peut croire aux vertus de Schumpeter I, et on estime que l’évolution technologique actuelle, la place centrale qu’y joue le Net donnent une opportunité formidable d’exploration et d’expérimentation pour de nouveaux entrepreneurs pratiquant la « destruction créatrice ». Simplement, compte tenu du poids croissant pris par la fourniture de contenu, la protection des droits sur leur production doit être renforcée, que ce soit pour des logiciels, des données ou des informations, ceci pour maintenir un haut niveau d’incitation à l’innovation. Les risques de monopolisation dus à l’effet de réseau sont moins importants (car contrôlables) que les opportunités offertes par l’expérimentation dans la « phase fluide », opportunités qui seraient manquées en cas de protection insuffisante. - D’un autre côté, on peut estimer que les grands programmes ont encore un avenir, qu’il convient de les cibler et d’avoir la volonté politique de les mettre en œuvre. Après tout, même si l’Inde ou la Chine ont trois à quatre fois plus d’habitants que l’Europe à Vingt-sept, la demande solvable est comparable, puisque l’Europe est bien plus riche. L’effet de levier de tels programmes le serait donc également. Et si la Chine ou la Corée croient en l’existence et la vertu de cet effet de levier, pourquoi l’Europe n’y croirait-elle pas ? - Enfin la dernière vision peut chercher à tirer parti au maximum des opportunités offertes par le Net : non seulement en tant que vivier pour des explorations et des expérimentations de la part d’entrepreneurs audacieux, mais aussi en tant que creuset pour la production et la distribution collective de connaissances, garant de l’interconnexion, donc d’un bénéfice collectif tiré de l’évolution des réseaux. Pour cela et pour éviter la monopolisation, il faut chercher à maintenir l’accès non discriminatoire aux plateformes logicielles, donc revoir sans doute la législation sur les brevets et les protections juridiques pour les logiciels, soutenir les programmes de développement collectif des plateformes, notamment au cœur des réseaux, par exemple au sein du programme-cadre, et réserver la « destruction créatrice » des innovateurs « Schumpeteriens I » aux terminaux d’extrémité et aux applications spécifiques. Il faut encourager le partage et la mise au point de standards ouverts, et sans doute financer les efforts collaboratifs des
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utilisateurs s’appuyant sur les licences ouvertes que déploient les concepteurs de logiciels libres. Ces efforts auront d’autant plus de chances de porter leurs fruits que ceux-ci, et c’est là le paradoxe, ne seront pas susceptibles d’être appropriés, et n’excluront donc personne.
Pour une politique industrielle d’ouverture Des trois options évoquées ci-dessus, seules les deux premières, qui correspondent respectivement à Schumpeter I et II, ont véritablement été explorées. La troisième est sans doute la plus prometteuse pour une industrie européenne distancée par l’inventivité individuelle américaine et par la capacité coordinatrice et le faible coût de main-d’œuvre des pays asiatiques. En disposant de technologies ouvertes, l’Europe peut espérer créer l’effet de réseau autour de ses propres produits et services. Tel est l’enjeu essentiel auquel elle se trouve confrontée.
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La fracture numérique Laurent Gille
La fracture numérique caractérise l’inégalité d’accès et d’usage des technologies d’information et de communication. Cette inégalité d’accès et d’usage touche les pays développés (par exemple entre zones rurales et urbaines en ce qui concerne l’accès et entre zones d’inégalités socio-économiques en ce qui concerne l’inégalité d’usage), mais touche aussi et surtout les pays en développement dans lesquels tant l’accès que l’usage des TIC s’avèrent bien moins avancés. La fracture numérique entre fréquemment dans le débat public et sert d’argument pour défendre une politique publique de l’accès numérique. Les politiques publiques de l’accès aux réseaux et à la connaissance sont multiples. Il existe tout un ensemble de mesures visant à assurer un accès universel aux réseaux de communication, c’est-à-dire la possibilité pour tous ceux qui le désirent de bénéficier d’un accès minimum à des services de communication à un prix raisonnable. Ces mesures, qui résolvent principalement l’inégalité d’accès aux services de base, présentent généralement deux composantes : une composante géographique liée à une obligation de connecter ceux qui en font la demande pour certains opérateurs, associée à une péréquation géographique des tarifs d’accès, et une composante sociale, gérée différemment, qui permet aux personnes démunies de bénéficier d’une subvention d’accès. Ce service universel concerne avant tout le service des cabines publiques et la connexion aux réseaux téléphoniques filaires. Ni la téléphonie mobile, ni l’accès à internet ne sont actuellement généralement inclus dans le périmètre du service universel. D’autres politiques d’accès existent, par exemple dans le domaine des médias, qui visent avant tout à garantir une pluralité d’information. Les médiathèques publiques, le subventionnement du spectacle vivant, etc. peuvent aussi être considérés comme des politiques d’accès au divertissement et à la connaissance. Mais, aujourd’hui, la question de la fracture numérique est essentiellement centrée sur l’accès et l’usage d’internet : faut-il mettre en place des politiques publiques spécifiques d’accès et d’usage d’internet ?
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La réalité de la fracture numérique ne peut être mise en cause : les disparités d’accès sont nombreuses entre populations, entre générations, entre sexes, entre ethnies, entre langues, et les études les mettant en exergue se multiplient. Statistiquement, un jeune des banlieues accède moins à internet et ses contenus qu’un jeune diplômé de l’enseignement supérieur, un noir américain moins qu’un de ses compatriotes blancs, un rural africain bien moins qu’un urbain africain qui présente une pratique considérablement inférieure à celle d’un urbain européen. Un Slovaque aura bien moins de contenus à consulter qu’un francophone, un ouvrier bien moins de ressources professionnelles à sa disposition qu’un informaticien, un fonctionnaire bien moins d’opportunités d’affaires qu’un jeune free-lance utilisant internet comme levier. Faut-il réduire ces inégalités d’accès et comment ? Faut-il universaliser l’accès aux réseaux numériques ?
Soutenir les réseaux ou les services ? Le concept de fracture numérique est né avec la bulle internet à la fin des années 90, à un moment où internet semblait submerger le monde. La thématique de la nouvelle économie laissait alors penser que la vie numérique supplanterait la vie ordinaire et qu’internet s’imposerait rapidement comme la plateforme d’échange, d’accès, de transaction quasi universelle. Il était dès lors logique de militer pour que l’accès à internet soit considéré comme un service universel et que des politiques publiques d’alphabétisation numérique soient rapidement mises en place. La situation a quelque peu changé. Le monde réel n’a pas expiré sous la pression du monde numérique même si celui-ci s’impose peu à peu dans toutes les sphères de la vie publique et privée. Le monde numérique offre des avantages incomparables en termes de fonctionnalité et d’accès aux contenus, mais il présente aussi des inconvénients non négligeables, dont certains sont évoqués dans cet ouvrage, mais que nous pouvons lister rapidement ici : Respect précaire de la vie privée à travers le suivi possible des déambulations et échanges sur internet. Accès à des contenus litigieux ou problématiques pour certaines populations ; sphère de non-respect de certains droits (propriété intellectuelle, protection de la vie privée, etc.). Réciproquement, possibilité de blocage d’accès à des contenus litigieux ou problématiques pour certains pouvoirs.
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Faible labellisation des contenus et difficultés à naviguer dans ces contenus pour de nombreuses populations faiblement lettrées. Augmentation massive de pratiques agressives, addictives, intrusives ou délictuelles : du spam aux arnaques commerciales, financières ou d’autre nature. Écologie informationnelle problématique (surcharge cognitive, infobésité, etc.). Sécurité des accès et des données problématique, par exemple en cas de failles de sécurité, d’effondrement du réseau, de pannes des terminaux, etc. Effort d’apprentissage conséquent, à renouveler avec les générations successives des produits, ergonomie non stabilisée, interopérabilité problématique, etc. Internet n’apparaît plus comme la solution universelle d’accès aux contenus et aux services mais comme un canal parmi d’autres, qui va certes s’imposer de façon dominante dans de nombreux cas, mais ne peut prétendre être exempt de toute interrogation et, donc, dont la généralisation pose question. A contrario, internet apporte dans de nombreuses situations une facilité accrue d’accès aux contenus et services, pour un coût fréquemment négligeable ou excessivement bas par rapport aux solutions alternatives, donc une opportunité majeure de développer l’accès aux contenus et services. Face à ces situations paradoxales s’impose vraisemblablement une double nécessité : Favoriser la numérisation des contenus et services, et encourager le développement des interfaces efficaces, stables, simples et sécurisées. Conserver un accès « non numérique » aux contenus et services. La fracture numérique a essentiellement été abordée jusqu’à présent sous l’angle de l’accès, c’est-à-dire principalement de l’accès aux réseaux : à partir du moment où tous pourraient disposer d’un accès large bande peu onéreux, l’idée prévaut que la fracture serait largement résorbée. Accéder à un univers dont les contenus n’offrent aucune utilité ne résout évidemment pas les problèmes. Permettre aux banlieues ou aux Africains d’accéder à internet ne résout en rien la fracture numérique, dès lors que les contenus pertinents sont inaccessibles, pour des raisons culturelles, économiques, sémantiques ou sémiotiques. Ce fut longtemps le cas du téléphone : rien ne sert d’accéder à un numéro d’urgence si aucun service d’urgence ne peut concrètement vous porter secours. Le média ne fait pas le service.
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L’effort ne doit-il pas d’abord être porté sur les contenus ou les services « utiles » avant d’être porté sur les accès ? Si l’usager, où qu’il se trouve, sait, du fait de l’expérience de son voisinage, qu’internet ou tout autre média lui apporte un service, qu’elle que soit sa nature, alors la demande de connexion émergera et il sera temps d’étudier comment la satisfaire. Il sera d’ailleurs alors d’autant plus facile de la satisfaire qu’elle sera massive et générale, car les effets d’échelle et de réseau joueront à plein. Plutôt que d’adresser la question de la fracture numérique sous l’angle de l’accès aux réseaux, adressons-la sous l’angle de la pertinence des contenus offerts : culturels, administratifs, de divertissement, etc. Le contexte africain montre qu’aujourd’hui la demande de connexion à internet n’est aucunement portée par des services à forte utilité sociale (par exemple des besoins éducatifs, de développement rural ou de santé), mais que cette demande est portée principalement par les jeunes (qui forment la partie dominante des populations), pour des applications qui sont utilitées à leurs yeux (messagerie électronique, réseaux sociaux ou réseaux d’échange pair à pair). Dès lors que les services offerts s’avèrent utiles, la demande d’accès se solvabilise. Ne faut-il pas alors placer l’effort de la politique publique sur le contenu, l’ergonomie, l’adaptation des services plutôt que sur l’accès aux réseaux (politique tentée par exemple en Afrique par le Cap-Vert).
Soutenir l’offre ou la demande ? Dans toute politique d’accès universel se pose la question de savoir s’il faut soutenir les usagers (la demande – en la formant ou la subventionnant par exemple) ou soutenir l’offre (les opérateurs – en aidant le déploiement des réseaux par exemple). L’expérience nous montre que lorsqu’une population ressent l’utilité d’un service dans son contexte socio-économique, elle adopte assez facilement ce service à hauteur de sa capacité à le payer, conformément aux principes de base de l’économie. L’exemple le plus manifeste de ce comportement est fourni par la téléphonie mobile. Les services offerts sur les réseaux GSM ont littéralement explosé en l’espace d’une décennie dans les pays développés, et même dans tous les pays en développement, malgré un pouvoir d’achat très faible. Répondant parfaitement aux besoins de communication de populations extrêmement mobiles, en quelques années ces services sont remontés très significativement
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dans l’échelle des besoins et donc des consommations des usagers des pays en développement, passant devant les transports, l’électricité, voire des besoins sociaux primaires, et se situant juste derrière l’eau, besoin premier. Le budget alloué à ces services est devenu conséquent – même s’il reste très faible comparé aux consommations occidentales – par rapport au pouvoir d’achat global de ces populations. Cet exemple montre que lorsqu’un service répond aux besoins d’une population, il se hausse rapidement dans l’échelle des consommations et prend la place que les usagers souhaitent lui donner. Évidemment, il est nécessaire pour cela que le service soit accessible. La téléphonie mobile montre que le déploiement du réseau suit assez vite l’extension des demandes latentes. Dès lors que le marché devient solvable, des opérateurs privés peuvent procéder à l’extension territoriale de leurs réseaux et trouver les formules commerciales qui permettent de jouer sur l’élasticité tarifaire des populations (par exemple en proposant des tarifs très faibles aux heures creuses). Il peut donc exister un cercle vertueux entre une réponse satisfaisante à des attentes fonctionnelles et économiques de populations non équipées et le déploiement d’un accès de plus en plus universel. À tel point qu’aujourd’hui, dans les pays en développement, les politiques « d’accès universel » élaborées dans les années 90 sur les réseaux de téléphonie fixe s’avèrent inefficaces et non appliquées car elles sont court-circuitées par le déploiement bien plus rapide des réseaux mobiles. Il est remarquable de constater combien les zones rurales se trouvent rapidement couvertes dans de nombreux pays africains, dès que leur densité de population dépasse un certain niveau. D’une part parce que le trafic entrant vers ces zones peut amortir des coûts de développement (dont la baisse est extrêmement sensible), d’autre part parce que le trafic sortant de ces zones s’avère non négligeable et prédominant, traduisant l’utilité incontestable de ces services pour les zones concernées. Cette utilité provient de plusieurs phénomènes : La communication électronique vient fréquemment en substitution d’une communication opérée soit par un déplacement, soit par un messager. Son coût est alors mis en regard du coût du déplacement, et la propension à payer s’avère très forte, avec pour corollaire un volume par tête évidemment faible. Sur le plan du fonctionnement de l’appareil productif local, la communication assure une fluidité de l’information sur les prix et l’état des marchés inestimable en termes de coûts de transaction, et simplifie la conclusion des transac-
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tions de façon considérable, en réduisant les délais, en facilitant d’une part la traçabilité de l’exécution de ces transactions et d’autre part les flux financiers relatifs aux transactions. La téléphonie mobile a prouvé son utilité en moins de dix ans. Dès 2000, dans la plupart des pays africains, la pénétration du mobile dépassait celle du fixe. En 2005, les réseaux mobiles surpassaient en chiffre d’affaires les réseaux fixes. En 2010, les réseaux 3G seront largement développés dans le contexte africain, moins de dix ans après leur déploiement dans les réseaux européens. On peut alors s’interroger sur la pénétration médiocre d’internet dans les pays les plus pauvres. Les avocats les plus ardents d’une politique publique visant à lutter contre la fracture numérique mettent en avant l’intérêt que présente internet pour le développement et le déploiement des services sociaux et économiques de base (santé, éducation, agriculture, développement des femmes, services administratifs, etc.). Certes, il existe bien une demande de ce côté-là (les étudiants, les professeurs, les professionnels de la santé, etc.), mais elle est néanmoins limitée par la faiblesse des contenus adaptés à l’environnement de ces pays. Si demande il y a, quand on visite les « cyber » des zones reculées, elle concerne d’abord la messagerie électronique, les échanges de fichiers (musique, vidéo et images), et éventuellement les jeux ou les services d’information alternatifs sur la situation d’un pays ou d’une zone ; des services jugés fréquemment non essentiels au développement économique de ces pays et présentant pour certains des dangers. La fracture est aussi relative à la vision du développement. Internet doit-il contribuer d’abord à permettre d’accéder aux ressources nécessaires au développement socio-économique, à condition que ces ressources soient effectivement disponibles ? Ou internet doit-il d’abord répondre aux attentes individuelles d’une population désormais inscrite dans les mécanismes de marché et sensibilisée aux divertissements et aux instruments d’échange communautaires développés dans les pays occidentaux, notamment pour les jeunes générations ? Il faut aussi admettre que l’accès et l’usage d’internet se trouvent désormais pris dans la représentation symbolique de la société et de ses pratiques. Instrument du savoir, instrument des rapports de pouvoir de la société contemporaine, les populations peuvent récuser ou favoriser l’usage d’internet s’il est marqué idéologiquement. Il peut être rejeté s’il est empreint d’un rapport à l’autorité administrative ou éducative par exemple, ou à l’inverse ses canaux d’information alter-
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natifs permettent de desserrer un contrôle étatique étouffant. D’autres peuvent récuser ou plébisciter les caractéristiques de connectivité permanente désormais en vigueur, qui obligent à une réactivité instantanée, refusant ce qui est jugé comme un nouvel esclavage ou réclamant ce qui est promu comme de nouvelles libertés d’association, d’échange ou d’information. Internet est donc un média qui fait l’objet d’un choix accru. Il est soupesé, comparé, évalué, et in fine, adopté ou récusé individuellement. Le droit à l’accès par la connexion se double aujourd’hui de la demande d’un droit à la déconnexion et d’un droit à l’usage de canaux alternatifs pour échapper aux inconvénients de ce nouveau média. Laisser le choix de connexion à l’usager, c’est militer pour que le soutien public s’exprime plutôt à travers la demande (de ceux qui le souhaitent) plutôt que l’offre. Permettre aux utilisateurs non solvables mais dûment motivés de se raccorder aux réseaux est peut-être préférable, même à un coût élevé, pour assurer la desserte des zones peu denses en usages. Ce qui permet de consolider et d’agréger peu à peu une demande qui solvabilisera le déploiement progressif de réseaux moins onéreux, à condition que les connexions ainsi soutenues soient de nature collective.
Accès collectif ou individuel ? Enfin, une dimension essentielle des problématiques d’accès et d’usage est celle du partage des accès et des usages. Tout média s’est historiquement développé avec un partage de l’accès, du fait que l’individu, ou plus fréquemment le ménage, ne pouvait s’offrir un accès individuel. Ce fut le cas des transports, avec le développement des transports collectifs, urbains (bus, métro, tramways, etc.) et interurbains (cars, trains, etc.), avant l’essor de l’usage individuel de la motorisation privée, et le retour des usages de partage de véhicules (vélos, autos, etc.). Ce fut le cas des médias avec le partage de la radio puis de la télévision, de la cabine publique téléphonique, puis des cybercafés avant le développement d’un usage plus individuel des ces médias et réseaux, y compris au sein des ménages. La raison est bien évidemment d’abord économique : la connexion, l’appareil terminal, les droits d’usage sont plus abordables quand ils sont partagés. Avant l’irruption de la téléphonie mobile, le développement de la téléphonie en Afrique et sur de nombreux autres continents a explosé dès qu’un accès collectif facile a été offert aux populations, sous la
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forme de télécentres opérés par un petit secteur informel privé. Tant que les opérateurs ont souhaité conserver une politique de branchement individuel, ou ont souhaité contrôler par le biais de cabines publiques à cartes l’accès sur leurs réseaux, la demande latente de téléphonie ne s’est guère exprimée. Dès que les opérateurs ont confié à des télécentres ou « callbox » privés le soin de développer une offre publique partagée de téléphonie, la demande a explosé et soutenu le développement des réseaux. Entre 1998 et 2005, avant l’irruption massive du mobile, dans certains pays, plus du quart des lignes et plus du tiers des recettes étaient issus des télécentres. Il est clair que le haut débit ne se développera que sur le même schéma. Ce fut le cas dans les pays développés, quand la généralisation des réseaux Wi-Fi personnels faiblement protégés a permis une connexion partagée conduisant peu à peu à une connexion individuelle. Dans les pays en développement, la demande latente de haut débit pourrait s’avérer bien plus forte qu’on ne la soupçonne actuellement si, d’une part, les contenus utiles (c’est-à-dire ceux pour lesquels il y a une propension à payer) se développent et, d’autre part, des politiques volontaristes de partage des accès haut débit se généralisent. Or, comme ce fut le cas pour le téléphone fixe dans les années 90 (refus de cabines privées), ou pour le téléphone mobile à partir de l’an 2000 (levée lente de l’interdiction de cabines sur les réseaux mobiles), les restrictions au partage de l’accès haut débit ne peuvent que freiner un marché potentiellement important. Certains pays interdisent encore réglementairement, sous la pression d’opérateurs à la courte vue, le partage des accès résidentiels haut débit. Le partage d’accès reste un levier considérable pour la diffusion des services haut débit, probablement le plus efficace et d’un coût quasi nul pour les finances publiques.
Une politique d’accès universel à définir Favoriser l’« alphabétisation » numérique ne passe pas obligatoirement par une politique d’accès universel, c’est-à-dire de subventionnement des opérateurs pour assurer le déploiement de leurs réseaux. Chaque contexte mérite une analyse particulière, mais considérer le développement des services avant celui des réseaux, étudier un soutien à la demande plutôt qu’à l’offre et lever toutes les barrières au partage d’accès devraient être plus systématiquement étudiés de façon alternative.
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Les enjeux de la régulation des infrastructures Marc Bourreau, Denis Lescop, Gérard Pogorel
À partir de l’an 2000, on observe en France et dans le monde une forte croissance des accès haut débit à l’internet. En décembre 2006, le taux de pénétration du haut débit dans les pays de l’OCDE (nombre d’abonnements pour 100 habitants) atteignait près de 17 % (1). Ce marché connaît aussi une forte croissance : celle-ci a été de 26 % dans la même zone entre décembre 2005 et décembre 2006. La France se situe un peu au-dessus de la moyenne des pays de l’OCDE. En décembre 2006, la pénétration du haut débit s’élevait à 20 % et 98 % de la population peut avoir aujourd’hui accès à l’ADSL. Enfin, ce marché se caractérise par un fort degré d’innovation, qu’il s’agisse de l’amélioration rapide de la qualité des services (débits plus élevés) ou de l’introduction de nouveaux services (voix sur IP, télévision par ADSL, etc.). Le développement du marché du haut débit a été porté par une concurrence par les infrastructures (réseaux câblés contre réseaux ADSL) et des mesures d’ouverture des réseaux locaux historiques (2) (le dégroupage de la boucle locale) qui ont permis l’émergence d’une concurrence par les services. Dans les pays industrialisés, les technologies haut débit (HD) les plus utilisées sont aujourd’hui l’ADSL (62 % des connexions) et le câble (29 % des connexions). Alors que le haut débit continue son expansion, dans plusieurs pays des opérateurs ont commencé à installer de nouveaux réseaux d’accès, basés sur une architecture en fibre optique, pour fournir des accès à très haut débit (THD) sur le marché résidentiel (3). En décembre 2006, environ 7 % des accès haut débit dans l’OCDE étaient fournis par un réseau fibre optique. Les pays les plus avancés sont le Japon, la Corée du Sud et les États-Unis (4). (1) Source : OCDE, Broadband Statistics to December 2006. L’accès haut débit est défini comme un accès à internet à 256 kbps minimum. (2) On désigne par réseau local historique le réseau local (ou boucle locale) détenu par l’opérateur historique. (3) La connexion des entreprises, petites ou grandes, en accès très haut débit représente également un enjeu important, mais il s’agit d’une problématique différente (la localisation des entreprises est différente de celles des ménages, avec une concentration dans les zones d’affaires, leurs besoins sont également différents, etc.). (4) Verizon et AT&T déploient des réseaux fibre optique. En 2010, Verizon vise 18 millions de foyers raccordables.
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