14 Donation de titres en nue-propriété

August 16, 2017 | Author: Icare | Category: Economies, Politics, Government, Finance (General), Business (General)
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DIVERSIFICATION ET SÉPARATION DES PATRIMOINES La société civile

14 - Donation de titres en nue-propriété, mise en réserves et stratégie transmissive Intervention de Marc IWANESKO, notaire à Toulouse

Un arrêt de la Cour de cassation concernant la donation en nue-propriété de titres de société suivie de la mise en réserves des bénéfices sociaux ouvre d’intéressantes perspectives en matière de transmission de patrimoine (Cass. com. 10-2-2009 n° 07-21.806, Cadiou : BPAT 2/09 inf. 65, RJF 5/09 n° 514 ; R. Gentilhomme, Affectation de résultats et distribution de dividendes dans les sociétés à capital démembré : Dr. fisc. 12/09 comm. 252). I - Donation de la nue-propriété de titres de sociétés endettées Afin de limiter l’impact des droits de mutation à titre gratuit, de nombreux contribuables sont tentés de donner la nue-propriété des parts sociales des sociétés civiles immobilières qu’ils auront pu constituer. Le schéma transmissif imaginé est le suivant : les parents constituent une société civile à petit capital intégralement libéré. Ils donnent ensuite la quasi-totalité des parts sociales à leurs enfants tout en en conservant l’usufruit, stipulé réversible au profit du survivant. La société achète ensuite un immeuble, intégralement financé par un emprunt bancaire. Une analyse rapide laisse à penser qu’au décès du survivant des donateurs, l’usufruit s’étant éteint en franchise d’impôt (CGI art. 1133), les enfants seront quittes de leurs obligations fiscales… Il n’en est rien, ainsi que l’exemple suivant permet de s’en convaincre. Exemple : Daniel et Monique constituent une société civile au capital de 1 000 € et donnent la nuepropriété des parts à leurs enfants, Emilie et Rémy. La société achète ensuite un immeuble de rapport pour 1 000 000 €, financé (ainsi que les frais, s’élevant à 63 000 €) à l’aide d’un emprunt amortissable au taux de 4,5 %.

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Le bilan d’ouverture de la société se présente ainsi :

Immeuble Frais d’acquisition Banque

1 000 000 63 000

Capital social Emprunt

1 000 1 063 000

1 000 1 064 000

1 064 000

Au terme de l’emprunt, la société aura remboursé à la banque le principal du prêt (1 063 000 €) et les intérêts (421 700 €). Le taux de rendement de l’immeuble étant de 9 %, le montant total des loyers (indexés à 1,5 %) perçus sur la durée du prêt est de 1 501 392 €. En pratique, le résultat a été systématiquement distribué afin de limiter les efforts de trésorerie des associés destinés à payer l’impôt sur le revenu. Le solde du résultat comptable, soit la somme de 1 062 000 €, restera affecté au compte courant de l’usufruitier, faute de trésorerie disponible. Le bilan de la société au terme de l’emprunt se présente ainsi :

Immeuble Frais d’acquisition

1 000 000

Capital social 63 000 Compte courant

1 063 000

1 000 1 062 000

1 063 000

Si les usufruitiers décèdent le lendemain du remboursement de l’emprunt, la totalité du compte courant figurera à l’actif de leur succession et subira les droits de mutation à titre gratuit. La seule chose qui aura été transmise, c’est la plus-value prise par l’immeuble entre le jour de l’acquisition et celui de la succession. Pour éviter ces conséquences, on a alors songé à mettre le résultat en réserves, ces dernières appartenant au nu-propriétaire. Un auteur y a toutefois vu le risque d’une requalification en donation indirecte (P. Fernoux, Une bombe à retardement : la taxation des donations indirectes : BF 4/99) ; avis totalement partagé par l’administration, faut-il le souligner. La jurisprudence, au demeurant parfaitement orthodoxe au regard du droit des sociétés, a heureusement balayé un tel risque. 2

II - La Jurisprudence Cadiou et perspectives patrimoniales offertes Affaire Cadiou Une mère constitue une société civile avec ses trois enfants. Elle leur donne ensuite la nuepropriété de la quasi-totalité des titres, chacun des trois enfants détenant en outre une part en pleine propriété. Majoritaire à l'assemblée générale, la mère vote la mise en réserves des bénéfices de la société au cours de plusieurs exercices. L'administration y voit une donation indirecte consentie par l’usufruitière à ses enfants et notifie à ces derniers un rappel de droits d'enregistrement. Voyant leur réclamation rejetée, les donataires saisissent les tribunaux qui prononcent la décharge de l’imposition. Faute pour l’administration de rapporter la preuve de l'intention libérale de la mère, la mise en réserves du résultat social ne peut être qualifiée de donation indirecte (Cass. com. 10-2-2009 n° 07-21.806, précité). Qu’en est-il au regard du droit des libéralités et du droit des sociétés ? Sur le terrain du droit des libéralités La donation entre vifs est l’acte par lequel le donateur se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose donnée en faveur du donataire qui l’accepte (C. civ. art. 894). Une libéralité suppose la conjugaison de deux éléments : - un élément matériel consistant dans l'attribution d'un droit patrimonial au bénéficiaire sans que ce dernier soit tenu de verser une contrepartie équivalente au disposant (J.-Cl. Notarial Formulaire Donation entre vifs fasc. 10 n° 14) ; - un élément intentionnel, c'est-à-dire la volonté du disposant de procurer un avantage au gratifié (notamment, Cass. req. 27-1-1887 : DP 1888 I p. 303). Sans ces deux éléments, il n'y a pas donation (Cass. 1e civ. 20-11-1984 : JCP G 1985 II n° 20571 note M. Dagot). Dans l’affaire Cadiou, l’administration qualifie la mise en réserves des bénéfices de donation indirecte par l’usufruitier au profit des nus-propriétaires. « La donation indirecte est tout acte sincère, qui, sans recourir aux formes normales des donations, aboutit cependant à transporter gratuitement, par la volonté des parties, une valeur d’un patrimoine à l’autre » (Savatier cité par Ponsard : Les donations indirectes en droit civil français Thèse Dijon 1946 p. 20). Sur le terrain du droit des sociétés Confrontons maintenant la définition de la donation indirecte qui vient d’être donnée au droit des sociétés : - « la donation indirecte est tout acte sincère… ». Il n’est pas contesté que la décision de l’assemblée générale est juridiquement valable ; - « …qui, sans recourir aux formes normales des donations… ». La mise en réserves ne revêt pas la forme notariée prescrite par l’article 931 du Code civil ; 3

- « …aboutit cependant à transporter gratuitement, par la volonté des parties,… ». La donation est un contrat qui suppose en l’espèce l’accord de l’usufruitier et du nu-propriétaire. Or, force est ici de constater que l’accord du nu-propriétaire fait défaut, l’affectation du résultat étant l’apanage exclusif de l’usufruitier (Cass. com. 31-3-2004 : Bull. civ. IV n° 70). La résolution étant votée par l’usufruitier, le nu-propriétaire ne l’accepte ni expressément, ni tacitement. Les règles du contrat sociétaire s’imposent à lui. - « …une valeur d’un patrimoine à l’autre ». Autrement dit, l’usufruitier a-t-il transféré au nu-propriétaire un bien lui appartenant ? Ce dernier point mérite que l’on s’y attarde. Nul ne pouvant disposer de plus de droits qu’il n’en possède, l’usufruitier ne peut consentir de donation que de biens lui appartenant. Il faut donc vérifier si l’usufruitier a le pouvoir de disposer des bénéfices de la société. L'usufruitier a le droit de jouir de toute espèce de fruits que produit l'objet dont il a l'usufruit (C. civ. art. 582). Ces fruits peuvent être naturels (produit spontané de la terre, produit et croît des animaux), industriels (obtenus par la culture) ou encore civils (loyers, intérêts des sommes exigibles, arrérages des rentes). Les fruits civils présentent la particularité de s’acquérir jour par jour. Initialement, la jurisprudence considérait que les bénéfices sociaux constituaient des fruits civils dès leur réalisation (Cass. civ. 21-10-1931 : DP 1933 I p. 100 note Cordonnier, S. 1933 I p. 137 note Batiffol). Un auteur, quant à lui, considérait que les bénéfices sociaux ne constituent des fruits civils qu'à compter de leur mise en distribution : « ce n'est pas le bénéfice distribuable qui est fruit, c'est le bénéfice distribué » (Colomer, Réserves de sociétés et régimes matrimoniaux communautaires : Defrénois 1980 art. 32380 n° 13). La chambre commerciale de la Cour de cassation s’est ralliée à cette dernière position dans un arrêt de principe rendu le 23 octobre 1990 : « c'est la décision de l'assemblée générale de distribuer tout ou partie des bénéfices réalisés au cours de l'exercice sous forme de dividendes qui confère à ceux-ci l'existence juridique » (Cass. com. 23-10-1990 : JCP E 1991 II p. 127 note P. Serlooten ; D. 1991 p. 173 note Y. Reinhard). Position confirmée dans l’affaire Cadiou, les Hauts magistrats retenant que « les bénéfices réalisés par une société ne participent de la nature des fruits que lors de leur attribution sous forme de dividendes, lesquels n'ont pas d'existence juridique avant l'approbation des comptes de l'exercice par l'assemblée générale, la constatation par celle-ci de l'existence de sommes distribuables et la détermination de la part qui est attribuée à chaque associé ; […] il s'ensuit qu'avant cette attribution, l'usufruitier des parts sociales n'a pas de droit sur les bénéfices et qu'en participant à l'assemblée générale qui décide de les affecter à un compte de réserve, il ne consent aucune donation au nu-propriétaire » (Cass. com. 10-2-2009 n° 07-21.806, précité).

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Conséquences pratiques Au regard du droit des sociétés, l'assemblée générale est souveraine dans l’affectation du résultat. Ce dernier peut être mis en réserves ou distribué, indépendamment du fait de savoir s’il existe de la trésorerie. Si la décision de distribuer est prise en l’absence de trésorerie, le compte courant de l’usufruitier sera crédité. Dans les sociétés dont le capital est démembré, un équilibre doit être trouvé entre l’intérêt de l’usufruitier et celui du nu-propriétaire. L’usufruitier doit payer l’impôt sur le revenu à raison du résultat courant réalisé par la société, indépendamment du fait de savoir s’il existe ou non de la trésorerie distribuable. Il semble donc cohérent que l’assemblée générale lui affecte à titre de résultat la trésorerie disponible, le solde étant mis en réserves pour éviter la formation d’un compte courant. Cela peut être un acte de bonne gestion en l’absence ou même en présence de trésorerie. En l’absence de trésorerie La mise en réserves du résultat peut sembler une inutile provocation à l’égard de l’administration fiscale. Des raisons purement juridiques peuvent pourtant fonder une telle décision, par exemple la crainte de l’usufruitier actuel, en cas d’usufruit réversible, que l’usufruitier successif ne demande le remboursement du compte courant lors de l’ouverture de son droit. Exemple : Ariel a donné la nue-propriété des parts de la SCI Yoyo-Baïta à ses enfants, Ada et Inès, et a stipulé un usufruit successif au profit de sa seconde épouse Tatiana. Il détient par ailleurs un compte courant de 1 000 000 € dans cette société qui possède un immeuble d’égale valeur. Ariel décède. Tatiana, ayant besoin d’argent, demande à la société le remboursement du compte courant dont elle a l’usufruit. Faute de trésorerie, cette dernière devra réaliser son seul actif pour faire face à ses obligations. La stratégie de transmission mise en place par Ariel au profit de ses enfants sera déjouée. La mise en réserves du résultat aurait permis d’éviter cet écueil. En présence de trésorerie Le droit des sociétés ou l’intérêt social peuvent conduire à mettre une partie du résultat en réserve. Une réserve légale doit même être constituée dans les SARL et les sociétés par actions. Le prélèvement pour doter cette réserve est de 5 % sur le bénéfice de l’exercice, diminué le cas échéant des pertes antérieures. Cette obligation cesse lorsque le compte de réserve atteint 10 % du capital (C. com. art. L 232-10). Les statuts peuvent prévoir l’existence d’une réserve statutaire. Cette dernière devra alors être dotée avant toute distribution de dividendes et immédiatement après la réserve légale. Ces réserves serviront à faire face aux besoins de l’entreprise, à assurer la stabilité des dividendes ou à réaliser des investissements. Dans les sociétés immobilières, la nécessité d’entretenir les immeubles peut conduire à affecter une partie du résultat à cette fin (E. Tort, Les immeubles de placement : des régimes complexes et différenciés : RF compt. avril 2006 p. 38).

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