13 La vente à soi même

August 16, 2017 | Author: Icare | Category: Leveraged Buyout, Debt, Loans, Business, Estate (Law)
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DIVERSIFICATION ET SÉPARATION DES PATRIMOINES La société civile

13 - La vente à soi-même Intervention de Thibaut MASSART, professeur à l'Université Paris-Dauphine

Le terme de vente à soi-même a de quoi surprendre les juristes. En effet, le contrat se définit toujours comme une convention à plusieurs (C. civ., art. 1101). La vente, en particulier, est une « convention par laquelle l’un s’oblige à livrer une chose, et l’autre à la payer » (C. civ., art. 1582). Il est dès lors juridiquement impossible de se vendre un bien à soi-même. Cette locution a cependant fait son apparition depuis quelques années avec la création et le développement de constructions juridiques procédant d’une telle intention1. Deux schémas ont émergé. Le premier semble venir d’une pratique anglo-saxonne, connue sous le nom d’Owner Buy Out2. Ce montage est utilisé lorsqu’un dirigeant majoritaire d’une société souhaite obtenir des liquidités tout en conservant le contrôle de sa société. Il lui suffit de créer une société holding dont il devient majoritaire et à qui il vend sa participation majoritaire dans la société d’exploitation. Pour payer le prix, la société Holding emprunte auprès d’un établissement financier. Le dirigeant reçoit ainsi des liquidités tout en conservant le contrôle de sa société. Dans le même esprit, il est également possible de se vendre à soi-même un immeuble. Lorsque le propriétaire d’un immeuble souhaite recueillir de la trésorerie tout en conservant la mainmise sur son bien, il peut créer une société civile immobilière dont il conserve le contrôle. Il lui suffit alors de vendre son immeuble à la SCI qui paie le prix au moyen d’un emprunt bancaire. . Quelle que soit l’opération envisagée, la cession se traduit juridiquement par le transfert d’un élément du patrimoine du cédant vers un autre patrimoine – celui de la société holding ou de la SCI – parfaitement distinct du précédent quel que soit le niveau de participation du cédant dans cette dernière. Il ne s’agit donc pas, selon l’orthodoxie juridique, d’une réelle vente à soi-même puisque l’opération met en relation deux sujets de droit différents.

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B. Pays, De la « vente à soi-même », Droit & Patrimoine, 2004, n°122, p. 44. V. Pintiaux, Tout savoir sur les opérations de LBO, Gualino ed., 2007, p. 45 ; M. Menjucq, Opportunités et limites des nouveaux outils de financements, Petites affiches, 9 avril 2009, n° 71, p. 33 ; C.-E. Prieur, Y. Mondellini et L. Malach, Le financement des opérations de LBO, Journal des sociétés, février 2008, p. 49 et s ; R. Mortier, H. Hovasse et D. Marcheteau, Les LBO, Actes pratiques et ingénierie sociétaire, mai-juin 2008, dossier no 3, p. 3 à 41. 2

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En revanche, il s’agit bien d’une vente et non d’un apport en nature3. La contrepartie du transfert du bloc de contrôle ou de l’immeuble dans le patrimoine de la société holding ou de la SCI réside dans le versement d’un prix et non dans l’octroi de parts sociales. Cette particularité de l’opération doit être mise en avant pour la distinguer de montages similaires telles les opérations à effet de levier dont elle s’inspire. Pour être complet, on soulignera que la vente à soi-même est une opération originale et qu’il convient de ne pas confondre cette expression avec des formules voisines, telles la livraison à soimême d’immeuble ou la location à soi-même. Ces termes concernent des techniques fiscales spécifiques4. Même si les enjeux fiscaux ne sont nullement négligeables dans les opérations de vente à soimême, leur but premier consiste à obtenir des liquidités. Cette finalité est identique que l’immeuble appartienne à une personne physique ou une personne morale. Lorsque l’opération est menée par une personne morale propriétaire d’un immeuble, il s’agit alors d’un mécanisme dit de restructuration. La finalité économique du montage consiste à transformer des actifs immobilisés en liquidité afin que l’actif disponible soit suffisant pour faire face au passif exigible. Il s’agit également d’une opération d’externalisation des actifs immobiliers de l’entreprise qui a pour but de soustraire l’immeuble au risque de l’exploitation. L’immeuble est vendu à une structure ad hoc qui peut être une société civile immobilière, voire une société foncière, une société civile de placement immobilier, ou encore une société d’investissement cotée5. Exceptionnellement, l’immeuble peut être apporté à la société civile, puis les parts sociales sont ensuite vendues aux associés de la société d’exploitation6. Quel que soit le montage, cession directe ou apport-cession, ces associés deviendront, indirectement, propriétaires de l’immeuble sans bourse délier. Le financement sera en effet assuré par une banque et le remboursement de l’emprunt s’effectuera au moyen des loyers perçus de la société d’exploitation. Lorsque l’opération est orchestrée par une personne physique, il s’agit également pour elle d’obtenir de l’argent frais sans procéder à un véritable désinvestissement puisqu’elle conserve un pouvoir, indirect, sur son bien. Si elle souhaite se réserver la jouissance de l’immeuble, la SCI lui concédera un bail ou les statuts de la SCI prévoiront la possibilité pour les associés de jouir gratuitement des actifs sociaux. Si l’immeuble était loué à un tiers, il y aura un changement de 3

Il convient à ce propos de bien distinguer la vente à soi-même de l’opération dite d’apport-cession qui consiste, dans un premier temps à apporter un bien à une société constituée pour l’occasion puis, dans un second temps rapproché du premier, de céder la majorité des titres de la société à un tiers. 4 La livraison à soi-même d’immeuble est un procédé de neutralité fiscal en matière de TVA. Pour traiter de manière identique la personne qui acquiert un immeuble neuf auprès d’un tiers et celle qui en assure elle-même l’édification, il convenait que cette dernière soit assujettie à la TVA sur le prix de revient du bien et qu’elle puisse exercer son droit à déduction. Ainsi, par une fiction fiscale, elle est considérée tout à la fois comme le fournisseur et l’acquéreur du bien (CGI, art. 257, I, 3°). La location à soi-même concerne la situation d’un exploitant qui détient un immeuble dans son patrimoine privé mais se le loue pour les besoins de son exploitation. Au nom du principe de l’unicité du patrimoine, l’Administration fiscale refusait à l’entrepreneur individuel de déduire ce loyer, estimant cette location fictive car consentie à soi-même. Cette approche a été remise en cause par la jurisprudence. L’exploitant imposable dans la catégorie des BIC peut ainsi reprendre dans ses charges les sommes correspondant au loyer pratiqué qui, en contrepartie, est imposable dans la catégorie des revenus fonciers. 5 G. Amoyel et alii, Ingénierie de l’externalisation d’actifs immobiliers d’entreprise, in Ingénierie financière, fiscale et juridique, sous la dir. de Ph. Raimbourg et M. Boizard, Dalloz, p. 772 ; J. Barthélémy, Stratégies d’externalisation, Dunod, 2007 ; G. Amoyel et alii, Immobilier de l’entreprise, Delmas, 2007. 6 L’apport-cession est fiscalement dangereuse car elle présente une finalité exclusivement fiscale permettant d’échapper aux droits d’enregistrement (lire M. Cozian, Abus de droit, apport-cession et apport-donation : la Cour de cassation serait-elle en train de perdre le cap ?, Droit fiscal n° 36, 6 Septembre 2007, 795).

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bailleurs. Mais, compte tenu de la transparence fiscale de la SCI (si elle n’a pas opté pour l’IS), les loyers continueront d’être considérés comme des revenus fonciers et taxés comme tels chez le propriétaire initial, devenu associé de la SCI. Ce dernier pourra cependant déduire les intérêts de l’emprunt contracté par la SCI, ce qui représente, à n’en pas douter, un avantage fiscal non négligeable. Même si la vente à soi-même n’a pas une finalité exclusivement fiscale, force est d’admettre que les avantages fiscaux sont tels qu’ils attirent souvent la suspicion de l’Administration. Cette dernière dispose d’ailleurs d’une palette d’outils, avec en tête l’abus de droit, pour remettre en cause le montage. Aussi avant de s’engager dans un tel montage, il convient de bien mesurer ses avantages (1) mais aussi ses risques (2).

1 - Les avantages du montage : le triple effet de levier Comme la vente à soi-même s’inspire des opérations de LBO, transparaît le triple effet de levier, financier (A), juridique (B) et fiscal (C) que l’on retrouve habituellement dans ces montages. Mais ce triple effet comporte des particularités qui doivent être soulignées. A – L’effet de levier financier Selon la théorie financière, le recours au crédit s’impose lorsque le rendement attendu d’un investissement est supérieur au taux d’intérêt exigé par les prêteurs7. L’effet de levier financier provient ainsi d’un recours à l’endettement. La vente à soi-même optimise ce résultat puisque l’opération transforme des capitaux propres en dettes. En effet, le financement de l’immeuble qui était assuré par les fonds personnels du propriétaire, personne physique ou personne morale, se trouve à la suite de l’opération assuré par un emprunt auprès d’un établissement de crédit au niveau de la SCI. Le niveau de la dette pourra même être très élevé puisque le montant du capital social d’une SCI est susceptible d’être purement symbolique. Pour que l’effet de levier se produise, il sera seulement nécessaire que la rentabilité de l’immeuble soit suffisante pour que les loyers assurent le paiement des intérêts de l’emprunt. Cette contrainte pèsera éventuellement sur la fixation du loyer si un bail doit être conclu entre la SCI et l’ancien propriétaire de l’immeuble. L’instigateur du montage pourra même espérer obtenir un taux d’intérêt attractif en raison des garanties offertes au banquier. En effet, la SCI possédera à son actif un élément très sûr, à savoir un immeuble. La situation du prêteur est ainsi beaucoup plus confortable que celle du dispensateur de crédit dans le cadre d’une opération de LBO ordinaire et d’OBO. En effet, dans ces opérations de restructuration, la holding de reprise ne possède à l’actif que des actions ou des parts sociales dont la valeur est particulièrement volatile. Le banquier est alors contraint de chercher des garanties sur les actifs de la société d’exploitation alors que l’article L. 225-216 du Code de commerce affirme qu’une société « ne peut consentir une sûreté en vue de la souscription ou de l’achat de ses propres actions par un tiers ». Dans une vente à soi-même d’immeuble, le banquier obtient une garantie solide sur l’ensemble du patrimoine de son débiteur, composé pour l’essentiel par un immeuble. 7

En réalité, Modigliani et Miller, deux prix Nobel d’économie, ont montré qu’une telle stratégie ne parvient pas, en théorie, à augmenter la valeur de l’actif dans la mesure où le risque (spécialement de faillite) augmente corrélativement avec le niveau de l’emprunt (F. Modigliani et M. Miller, The cost of capital, corporation finance and the theory of investment, The American Economic Review, vol. 48, juin 1958).

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Pour conforter son droit de gage général sur l’actif, le partenaire financier pourra même exiger une hypothèque sur le bien immobilier inscrit au bilan. Cette hypothèque sera généralement prise pour toute la durée du concours financier, majorée d’un an. Soulignons que l’hypothèque ne rend pas plus important le risque de saisie immobilière. Elle offre simplement au banquier un avantage supplémentaire, celui d’être remboursé de façon préférentielle en cas de vente (amiable ou forcée) de l’immeuble. Mieux, si la vente de l’immeuble ne permet pas de désintéresser le prêteur, ce dernier pourra se retourner contre les associés. En effet, dans l’hypothèse où la société ne parviendrait pas à régler ses dettes, les créanciers sociaux pourraient poursuivre les associés sur leurs biens personnels. Une telle garantie doit toutefois est relativisée. Les associés ne sont que des garants, non solidaires, des dettes de la SCI, et les tiers ne peuvent se retourner contre eux qu’après avoir préalablement et vainement attaqué la société. Le banquier aura ainsi tendance à exiger que l’associé principal se porte caution solidaire des dettes de sa société. Fort de toutes ses garanties, le partenaire financier consentira cependant un taux d’intérêt identique à celui de l’achat d’un bien immobilier, c’est-àdire un taux particulièrement intéressant. B – L’effet de levier juridique Dans les opérations ordinaires de LBO, l’effet de levier juridique résulte de la dissociation du pouvoir et de la finance et désigne traditionnellement l’effet démultiplicatif du droit de vote qu’introduit la création d’une société holding. Avec seulement un peu plus de la moitié du capital social ou des droits de vote, l’associé parvient à contrôler la société. Avec une cascade de holdings, l’effet démultiplicatif autorise ainsi un associé sans surface financière et avec un investissement réduit à maintenir sa maîtrise sur son entreprise. Dans l’opération de vente à soi-même, un effet démultiplicatif se produit également, même s’il n’est pas recherché par le propriétaire de l’immeuble. Pour constituer une SCI, il est nécessaire d’avoir au moins deux associés. Par obligation légale, le propriétaire pourrait faire appel à un associé de complaisance qui détiendra une ou deux parts sociales seulement. Mais, l’opération de vente à soi-même peut être également l’occasion d’adopter une stratégie de transmission d’un patrimoine familial. En effet, transmettre un bien immobilier sous forme de parts d’une SCI et de manière fractionnée permet de bénéficier des abattements fiscaux existants en la matière alors que la transmission du même patrimoine immobilier sans constitution d’une telle société ferait l’objet d’une taxation beaucoup plus importante. Rappelons que chaque parent peut transmettre une partie de son patrimoine, de son vivant, à chacun de ses enfants. Une telle donation bénéficie d’un abattement de 156.974 € par enfant (à compter du 1er janvier 2010) par période de 6 ans. La création d’une SCI pour transmettre un patrimoine immobilier permet ainsi d’effectuer des donations successives de parts de la société dans ces limites. La transmission entre vifs ainsi étalée dans le temps est alors totalement exonérée de droits de donation. Pour parvenir à ce résultat, il est également possible de transmettre uniquement la nue-propriété ou l’usufruit des parts sociales. Dans tous ces différents cas de figure, l’ancien propriétaire prendra garde à conserver le contrôle sur la gestion de la SCI. La grande souplesse du régime juridique de cette forme sociale favorise les techniques de conservation du contrôle. Il suffit par exemple que le propriétaire soit désigné gérant statutaire à vie.

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L’effet de levier juridique peut encore résulter, pour le propriétaire de l’immeuble, de la mise à l’abri de son bien en cas de recours de ses créanciers. Deux situations doivent être distinguées selon que le propriétaire initial est un particulier ou une société. Lorsqu’il s’agit d’un particulier, la mise en société de l’immeuble empêche les créanciers personnels de l’ancien propriétaire de poursuivre le recouvrement de leurs créances sur les biens de la société, c’est-à-dire sur l’immeuble vendu à la SCI. En effet, seuls figurent dans le patrimoine de l’ancien propriétaire le prix de la vente de l’immeuble et les parts de la SCI. Si l’argent a déjà été réinvesti, les créanciers personnels ne pourront saisir que les parts sociales dont la valeur risque d’être faible en raison de l’endettement massif de la SCI. D’autant que la mise en vente aux enchères des parts sociales de l’associé défaillant est une opération plus délicate et aléatoire que la mise en vente directe de l’immeuble, et ce notamment en raison de l’intuitu personae qui domine dans la SCI. Certains mécanismes légaux empêchent d’ailleurs pratiquement toute saisie des parts8. Lorsque le propriétaire initial est une personne morale, la solution consistant à vendre les biens immobiliers de l’exploitation peut parfois présenter un avantage au-delà d’assurer un afflux de liquidités. Elle peut en effet permettre, dans une optique à long terme, de soustraire l’immeuble aux risques de l’entreprise ou de faciliter une transmission. La vente aura lieu au profit d’une SCI ayant les mêmes associés que la société commerciale. En procédant ainsi, l’immeuble sera même davantage en sécurité puisque la société commerciale ne sera même pas titulaire des parts sociales de la SCI. La société commerciale bénéficiera juste d’un bail, éventuellement qualifié de bail commercial, c’est-à-dire transmissible avec le fonds de commerce. Ensuite, le montage permettra d’accroître la fortune des associés de la société d’exploitation qui conserveront dans leur patrimoine des parts d’une SCI dont la valeur augmentera au fur et à mesure du remboursement de l’emprunt bancaire.

C – L’effet de levier fiscal Dans les opérations ordinaires de LBO, l’effet de levier fiscal réside dans la déductibilité des intérêts d’emprunt ainsi que dans la mise en œuvre de dispositions fiscales favorables telles que les régimes des sociétés mères filiales ou de l’intégration fiscale qui autorise à faire masse de l’ensemble des charges de la holding de reprise et de la cible. De tels régimes spécifiques ne peuvent malheureusement s’appliquer à la vente à soi-même, même lorsqu’elle est réalisée par une personne morale. En effet, la SCI n’est pas l’associée majoritaire de la société commerciale et, inversement, la société d’exploitation n’est normalement pas l’associé majoritaire de la SCI. Les deux sociétés sont seulement des sociétés sœurs ayant les mêmes associés. A fortiori, lorsque la vente à soi-même est le fait d’un particulier, on voit mal comment le régime des sociétés mères filiales ou d’intégration fiscale pourrait s’appliquer. En revanche, le principe de déductibilité des intérêts d’emprunt subsiste dans le cadre des ventes à soi-même. Il s’agit d’un avantage fiscal indéniable puisque, avant l’opération, le financement de l’immeuble était assuré par des fonds propres ou par des emprunts remboursés. Le gain fiscal dépendra du niveau d’endettement de la SCI. MODIGLIANI et MILLER, deux prix Nobel d’économie, ont montré qu’une politique d’endettement maximal s’impose lorsque la fiscalité des 8

C’est par exemple le cas si les statuts comprennent une clause tontinière, qui a pour effet de rendre rétroactivement propriétaire de l’ensemble des parts le seul survivant au sein des membres du pacte, les autres étant censés n’avoir jamais détenu celle-ci. Faute de savoir à qui va revenir ce bien, une procédure de saisie est impossible à engager pendant une longue durée.

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intérêts, en particulier leur déductibilité des bénéfices imposables, procure des économies d’impôt9. Or les règles fiscales françaises sont plutôt favorables à l’endettement10. L’effet de levier fiscal invite ainsi le propriétaire de l’immeuble à emprunter la totalité de la somme nécessaire à l’acquisition et à faire un apport en capital symbolique pour constituer la SCI11. La société aura alors un capital très réduit. Cette conséquence est toutefois indifférente depuis 2004, car le montant du capital social est devenu secondaire pour le calcul des plus-values de cession de parts sociales. Il n’est donc plus nécessaire de fixer le capital de la SCI au maximum. Le régime fiscal de la SCI permet également de déduire toutes les charges relatives à la conservation de l’immeuble. Si l’immeuble a besoin d’être restauré, l’avantage fiscal ne sera pas négligeable. On soulignera aussi que la vente à soi-même peut être particulièrement utile pour les marchands de biens. Lorsque ces derniers ont acquis un immeuble sous le bénéfice de l'engagement de l'article 1115 du CGI, ils sont exonérés des droits et taxes de mutation quand ils prennent l'engagement de revendre le bien dans un délai de cinq ans. Selon l’article précité, les transferts de droits ou de biens dans un patrimoine fiduciaire et les apports purs et simples effectués ne sont pas considérés comme des ventes. On pourrait en déduire, a contrario, que les ventes à soi-même sont, en principe, valides et permettent de satisfaire les exigences de la loi fiscale. Pourtant, l'Administration brandit généralement l'abus de droit et les tribunaux entérinent souvent son analyse, même si les décisions rendues par la Cour de cassation en la matière suscitent certaines interrogations à propos spécialement de leur formulation12. L’ensemble de ces avantages fiscaux ne doit cependant pas masquer certains désagréments. Il est nécessaire de prendre en compte l’ensemble des conséquences fiscales liées à la vente à soi-même, tant chez le vendeur, que chez l’acheteur. Chez le vendeur tout d’abord. La vente peut donner lieu à l’imposition d’une plus-value13. Si le vendeur est un particulier, la plus-value est imposable au taux de 28,10%, ce qui est loin d’être négligeable. Fort heureusement, il existe de nombreuses exonérations, telles les plus-values réalisées à l’occasion de la cession d’une résidence principale ou la cession d’un immeuble dont l’acquisition remonte à plus de 15 ans. Si le vendeur est une entreprise, la cession peut également donner lieu à une plus-value à court terme et/ou à long terme. Cela sera effectivement le cas lorsque le prix dépassera la valeur nette

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F. Modigliani et M. Miller, Corporate income taxes and the cost of capital : a correction, American Economic Review, juin 1963, vol. 53, p. 433. 10 M. Cozian, Sous-capitalisation et fiscalité, RJ com. 2001, p. 244 ; E. Gerbino, Sous-capitalisation, dissimulation de capital et recherche de l'intérêt général : nationalisation ou internationalisation ?, Bull. Joly 2001, § 264 ; J.F. Bulle, LBO et le levier fiscal, Bull. Joly sociétés 1991, p. 375. 11 J. Peyrelevade, "Contrôler sans argent, emprunter sans surface", Banque, 1985, n° 453 ; P. Peyramaure, "La recherche de "l'effet de levier" dans la transmission des entreprises", BRDA 1989/8, p. 2 ; P. Lagayette, "L'intérêt du financement des entreprises par le haut de bilan", Rev. Banque, 1988, p. 268 ; D. Pene, "Va-t-on vers l'apparition d'un effet de levier des fonds propres ?", Rev. Banque 1983, p. 571T. Jacomet, P. Matignon et S. Montet, "L.B.O. : utilisation de l'effet de levier juridique et financier lors d'une acquisition", Bull. Joly 1990, p. 415 ; P. Michaud, "Acquisition, effet de levier et fusion absorption", Gaz. Pal. 3-5 février 1991. 12 Cass. com., 19 déc. 2006, n° 05-17.835, Sté Paradoxe : RJF 2007, n° 766. - Cass. com., 3 avr. 2007, n° 06-10.702, Sté Portimmo : Juris-Data n° 2007-038366 ; Bull. Joly Sociétés 2007, p. 867, note F. Deboissy ; RJF 2007, n° 995. 13 V. Pilarczyk et H. Mroz, Besoins de trésorerie : Refinancer l’entreprise grâce aux actifs immobiliers, Gazette NordPas-de-Calais, 29 janv. 2010.

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comptable. Il faut donc en calculer le coût fiscal, et voir dans quelle mesure la plus-value peut s’imputer sur les éventuels moins-values ou déficits antérieurement réalisés par la société. De son côté, l’acquéreur, c’est-à-dire la SCI doit prendre en compte les frais liés à l’acquisition, constitués essentiellement des taxes et droits d’enregistrement dus au Trésor et collectés par le notaire. Il doit aussi envisager la fiscalité qui s’appliquera aux revenus locatifs futurs tirés de l’immeuble. Les incidences seront différentes suivant que la SCI optera pour l’IR ou pour l’IS. La fiscalité est donc loin d’être neutre dans ce genre de montage et une analyse préalable de toutes les conséquences s’impose avant de se lancer dans l’aventure, d’autant qu’il existe des dangers qui ne doivent pas être sous-estimés.

2 - Les risques du montage Chaque effet de levier comporte des risques. Par exemple, l’effet de levier financier peut se transformer en effet dit de massue lorsque la rentabilité de l’actif devient insuffisante pour assurer le paiement des intérêts de la dette. Un tel schéma peut se produire en cas d’OBO dès l’instant que la société d’exploitation accuse des déficits tels qu’elle se trouve dans l’impossibilité de verser des dividendes à la société holding. Ce risque est cependant négligeable en matière de vente à soimême d’un immeuble. La rentabilité de l’actif est raisonnablement prévisible et seule la défaillance du locataire est susceptible de gripper le financement de l’opération. Or la défaillance du locataire est anticipée par le banquier qui exige l’octroi de sûretés réelles et personnelles pour couvrir ce risque. De ce fait, les écueils des opérations de vente à soi-même d’immeuble concernent essentiellement les aspects juridiques (A) ou fiscaux (B).

- A - Les risques juridiques Comme la vente de l’immeuble à la SCI a pour résultat de soustraire l’immeuble au gage des créanciers du vendeur, il est à craindre que ces derniers n’essayent de remettre en cause le montage. L’une des voies classiques offertes est l’action paulienne par application de l’article 1167 du Code civil. Les créanciers doivent démontrer que la constitution de la SCI a pour but de frauder leurs droits. L’action paulienne est néanmoins délicate à établir pour les créanciers, car il faudrait qu’ils prouvent que la vente de l’immeuble à la SCI est un acte d’appauvrissement du patrimoine de l’ancien propriétaire. Cette situation peut se rencontrer si le bien a été vendu pour un prix très inférieur à sa valeur marchande. Mais la logique du montage s’oppose en principe à une telle sousévaluation dans la mesure où le propriétaire souhaite obtenir le maximum de liquidités. L’appauvrissement peut également résulter de l’évaporation du prix de vente et de la transformation d’un actif aisément saisissable en des parts sociales difficilement appréhendables par les créanciers. Une décision de la 3ème chambre civile de la Cour de cassation en date du 9 février 2010 visait précisément cette hypothèse14. La Haute cour souligne « qu'en cédant leur immeuble à une SCI dont ils étaient les seuls associés…, les époux Bourge avaient permis de faire échapper ce bien aux poursuites de leur créancier en le remplaçant par des fonds plus difficiles à appréhender que représentaient les parts sociales de la SCI, dont la valeur nominale n'était que de 30 euros.. [et qu’ainsi la Cour d’appel] a caractérisé l'existence d'un appauvrissement des

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Cass. 3ème civ., 9 fév. 2010, Droit des sociétés n° 4, Avril 2010, comm. 68, note H. Hovasse.

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débiteurs et la conscience qu'ils avaient de causer un préjudice à leur créancier »15. Enfin, s'agissant d'un acte à titre onéreux, encore faut-il que soit démontrée la complicité de l'acquéreur dans la fraude. Mais cette condition est évidemment satisfaite dans la vente à soi-même, puisque ce sont les mêmes personnes qui participent au contrat, mais en des qualités juridiques différentes16. Une autre voie est celle de la fictivité de la société civile immobilière. La fictivité se rencontre lorsque de prétendus associés ont constitué une société sans en avoir véritablement l’intention mais uniquement en vue d’utiliser ce sujet de droit apparent comme un paravent17. La fictivité est originairement apparue comme une application de la simulation en droit des sociétés (art. 1321 Code civil)18. Elle a ensuite été greffée sur la théorie de la fraude19. La simulation se place du côté du contrat de société et plus précisément du côté de sa validité, alors que la fraude s’occupe davantage du but poursuivi, de la finalité de l’acte. Il en ressort que la qualification de société fictive suppose la démonstration soit d’une véritable simulation soit d’une fraude à la loi ou aux droits des tiers. Le fait que les associés de la société d’exploitation et de la SCI soient les mêmes, que les dirigeants de ces sociétés soient communs, que leurs sièges sociaux soient identiques, ou encore qu’un contrat de location existe entre les sociétés ne sont que des indices insuffisants20. Il faut démontrer que les associés n’ont pas eu l’intention de s’associer mais qu’ils ont eu recours à une société dans un but autre que celui que l’article 1832 du Code civil assigne à ce groupement, par exemple dans le but de porter atteinte au gage des créanciers sociaux. Selon la jurisprudence, un indice sérieux de cette absence d’affectio societatis peut être rapporté en démontrant le fonctionnement anormal des organes sociaux, c’est-à-dire l’absence d’assemblées régulières des associés21. Pour limiter ce risque de remise en cause du montage, ses promoteurs veilleront ainsi à satisfaire les rituels inhérents à la vie en société civile immobilière. Les dangers d’un recours des créanciers semblent néanmoins plus élevés dans le cadre d’une opération d’externalisation d’actifs immobiliers d’entreprise. En cas de procédure collective de la société commerciale, des dispositions spécifiques permettront aux créanciers d’obtenir plus facilement gain de cause. L’article L. 621-2, alinéa 2 du Code de commerce édicte ainsi un principe qui avaient déjà été mis en lumière par la jurisprudence : « A la demande de l'administrateur, du mandataire judiciaire, du ministère public ou d'office, la procédure ouverte peut être étendue à une ou plusieurs autres personnes en cas de confusion de leur patrimoine avec celui du débiteur ou de fictivité de la personne morale ». Dans ces deux situations, on fait comme si la société commerciale n’avait pas plus de personnalité juridique indépendante de celle de la SCI, et l’on procède à une sorte de fusion des patrimoines des différents protagonistes22. Encore faut-il démontrer que la SCI est fictive ou qu’il existe une confusion de patrimoines entre les sociétés. La loi n’a pas précisé ce qu’il faut 15

On soulignera que la valeur de l’immeuble était de 3 million d’euros et que la valeur nominale d’une part sociale ne permet nullement, à elle seule, de déterminer si l’état d’appauvrissement. 16 H. Hovasse, note précitée. 17 Le terme de « paravent » apparaissait dans les anciens arrêts (Cass. com. 9 mars 1966, Bull. civ. IV, n° 138). 18 P. Didier, Droit commercial, L’entreprise en société, 2ème éd., Thémis, PUF, 1997, p. 165 ; F.-X. Lucas, Restructuration des sociétés en difficultés, in Ingénierie financière, fiscale et juridique, sous la dir. de Ph. Raimbourg et M. Boizard, Dalloz, p.1537. 19 N. Fadel Raad, L’abus de la personnalité morale en droit privé, Biblio droit privé, t. 214, L.G.D.J. 1991, p. 19. 20 Cass ; com. 25 nov. 1997, n° 95-17.864, D. affaires, 1998, p. 76, obs. M. Boizard ; Rev. sociétés 1998, p. 586, note C. Porteron ; Cass ; com. 5 avril 1994, Rev. sociétés 1994, p. 318, note Y. Guyon. 21 CA Paris 21 nov. 1989, Bull Joly sociétés 1990, p. 186, note Ph. Pétel ; CA Douai, 2ème ch., 16 déc. 2004, Bull. Joly sociétés 2005, p. 681, note C. Saint-Alary-Houin ; Cass. com. 19 avril 2005, n° 05-10.094, Bull. Joly sociétés 2005, p. 690, note C. Saint-Alary-Houin. 22 F. Reille, La notion de confusion des patrimoines, cause d’extension des procédures collectives, Biblio de dr. de l’entreprise, 2006.

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entendre par « société fictive », mais la doctrine s’accorde pour admettre qu’il s’agit de la même notion que celle utilisée lorsque l’entreprise n’est pas soumise à une procédure collective23. En revanche, la notion de confusion des patrimoines est spécifique au droit des procédures collectives. La jurisprudence a eu l’occasion de déterminer deux cas dans lesquels il est possible de décider une extension de procédure pour confusion des patrimoines. La première situation est celle de la confusion des comptes, lorsqu’il existe « un désordre généralisé des comptes et un état d’imbrications inextricables entre elles »24 ou encore, dans une configuration qui pourrait s’appliquer à une vente à soi-même, lorsque « les contrats et marchés de travaux intéressants l’immeuble avaient été conclus indifféremment par l’un ou l’autre des dirigeants des deux sociétés pour les mêmes travaux sans que la part revenant à chacune d’elles pût être déterminé »25. La seconde hypothèse concerne l’existence de relations financières anormales entre les sociétés, telles que la vente de l’immeuble à la SCI pour un prix dérisoire ou la conclusion d’un contrat de bail avec un loyer surévalué au détriment de la société d’exploitation26. Il a par exemple été jugé que le fait pour une SCI de gestion d’un bien immobilier exploité par une SARL de s’abstenir pendant plusieurs années de recouvrer les loyers dus par la SARL, alors que la SCI n’avait d’autres ressources que ces loyers et que les perspectives de règlement des dettes de la SCI envers ses créanciers étaient négociées par la SARL, établit l’absence totale d’autonomie financière des deux sociétés et la confusion des patrimoines27. Ces exemples montrent que la question de l’évaluation du bien vendu et du montant des loyers revêt une importance capitale. D’autant que des infractions pénales pourraient alors s’appliquer en cas de distorsions trop flagrantes entre le prix de vente et la valeur marchande de l’immeuble ou entre le loyer pratiqué et la valeur réelle du droit d’usage. Le principal délit est l’abus de biens sociaux. Cette action peut viser le dirigeant d’une société commerciale qui aurait vendu un immeuble à un SCI qu’il contrôle. Deux critiques pourraient lui être adressées. La première se rapporte au prix de vente de l’immeuble. Si ce prix est trop faible ou sous valorisé, il s’agit d’une vente préjudiciable à l’entreprise qui aurait pu espérer un prix plus important pour cet actif. Une telle opération est susceptible de constituer un abus de biens sociaux lorsque la vente a lieu au profit d’une société dans laquelle le dirigeant est intéressé personnellement. Pour réduire ce risque, le chef d’entreprise devra prendre les avis d’experts en immobilier afin d’arbitrer le « juste prix » auquel l’immeuble peut être vendu. On soulignera que si l’immeuble est vendu à un prix excessif, les créanciers de la société commerciale ne pourront rien trouver à y redire. Le créancier principal de la SCI, à savoir le banquier dispensateur de crédit, pourrait en revanche voir d’un mauvais œil une telle opération. Il aura toutefois pris soin de limiter ce risque en exigeant la réalisation d’une évaluation du bien immobilier par un expert indépendant. Le second reproche concerne le montant des loyers que la société d’exploitation devra verser à la SCI. En effet, une fois la vente réalisée, l’immeuble sera donné en location à l’entreprise 23

F.-X. Lucas, Les filiales en difficulté, Petites Affiches 4 mai 2001, p. 66. Cass. com. 24 oct. 1995, Bull. Joly sociétés 1996, p. 158, note P. Scholer. 25 Cass. com. 12 oct. 1993, Rev. sociétés 1994, p. 327, note B. Saintourens. 26 Cass. com. 31 janv. 1995, Bull. Joly sociétés 1995, p. 439, note Ph. Pétel ; Rev. sociétés 1995, p. 757, note D. Randoux. 27 Cass. com. 14 janv. 2004, n° 00-19.418, Rev. sociétés 2004, p. 948, note B. Saintourens ; Voir également Cass. com., 26 mai 2010, n° 09-66.615, SCI Roussy c/ Roussel ès qual. : Existence de flux financiers anormaux entre une SARL et une SCI en raison, d’une part, du financement excessif par la SARL de travaux excédant largement ses possibilités du moment, et d’autre part, de la passivité inhabituelle et répétée de façon systématique de la SCI à réclamer les loyers impayés. 24

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commerciale ou industrielle. On retrouvera la problématique inverse avec la question de la fixation du loyer. S’il est trop élevé par rapport au marché locatif, il pourra constituer une source de réprobations à l’égard du chef d’entreprise, susceptible d’engager sa responsabilité pénale28. Soulignons que ce risque pénal est faible lorsque l’ancien propriétaire est un particulier, car ce dernier peut fixer en principe le prix qu’il souhaite. Si le prix est sciemment minoré, il ne coure aucun risque pénal, sauf organisation d’insolvabilité qui est un délit pénalement répréhensible (art. L. 654-14 C. com.). A l’inverse si le prix est artificiellement majoré, aucun délit ne pourra lui être reproché en tant que vendeur. En tant que gérant de la société acquéreur, il ne sera pas poursuivi pour abus de biens sociaux puisque ce délit n’existe pas pour les sociétés civiles. Seul un délit d’abus de confiance pourrait éventuellement lui être reproché. Mais ce délit, défini par l’article 314-1 du Code pénal comme « le fait par une personne de détourner, au préjudice d’autrui, des fonds, des valeurs ou un bien quelconque qui lui a été remis et qu’elle a acceptés à charge de les rendre, de les représenter ou d’en faire un usage déterminé » est particulièrement difficile à établir.

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B - Les risques fiscaux

La vente à soi-même court deux risques fiscaux. Le premier concerne l’abus de droit que l’Administration peut toujours tenter d’invoquer. Le second est propre au montage de vente à soimême et vise la remise en cause de la déduction des intérêts d’emprunt. 1 – L’abus de droit L’article 64 du Livre de procédure fiscale, dans sa rédaction actuelle à la suite à la réforme de 2009, représente une arme redoutable entre les mains de l’Administration29. Cette dernière est en effet en droit d’écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d’un abus de droit, « soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décision à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n’avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées, eu égard à sa situation ou ses activités réelles ». Il peut y avoir abus de droit par simulation ou par fraude à la loi. L’hypothèse de la simulation a déjà été analysée à propos des risques juridiques. Nous nous intéresserons donc davantage à l’application de la fraude à la loi30. Il ne fait pas de doute que les opérations d’OBO constituent traditionnellement un terrain propice à l’application de la fraude à la loi. L'article 238 quaterdecies du CGI, créé par la loi du 9 août 2004 en ce qu’il prévoit une exonération à l'IR des plus-values réalisées à l'occasion de la cession d'une branche complète d'activité pour une valeur inférieure à 300 000 euros, a entraîné un effet d’aubaine pour certains « surdoués » de la fiscalité. Avant que le texte ne soit modifié pour éviter ces montages, certains n’ont pas hésité à procéder à des ventes de leurs activités à des structures ad hoc dont ils étaient les associés uniques. Un tel montage permettait d’effacer la plus-value latente. L’Administration brandit alors l’abus de droit par fraude à la loi. Les avis du Comité consultatif

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Cass. crim. 30 sept. 1991, n° 90-83.965, Bull. Joly sociétés, 1992, p. 153, note D. Baraderie. A. Brunet et F. Pasqualini, Abus de droit et droit fiscal : Rev. sociétés 2002, p. 507 s. 30 P. Fernoux, Substance, effets multiples et montage purement artificiel : une approche commune de la fraude à la loi ?, Droit fiscal n° 23, 5 Juin 2008, 358. 29

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pour la répression des abus de droit ont souvent conforté cette position31. Ceux du Comité pour l’abus de droit32 rendus en 2009 sont moins tranchés. Dans les trois affaires soumises au Comité, une seule a été jugée condamnable33. La jurisprudence est également moins tranchée. Dans une décision du 13 août 2009, le tribunal administratif de Nancy se prononça en faveur d’un chirurgien-dentiste qui avait cédé son cabinet libéral à une SELARL dont il était l'associé unique34. L'opération ayant dégagé une plus-value de quelque 100 000 euros, l’Administration lui réclamait l’imposition correspondante. Le tribunal prononça au contraire la décharge des impositions au motif que, en l'absence d'acte de cession, le contribuable n'aurait réalisé aucune plus-value et, par voie de conséquence, n'aurait été soumis à aucune imposition. En effet, pour qu’il y ait abus de droit, il est nécessaire que l’opération se traduise par un gain fiscal, c’est-à-dire une économie d’impôt. Un tel raisonnement peut être appliqué aux ventes à soi-même d’immeubles. Nous avons en effet montré que ces opérations procurent des avantages fiscaux, mais également des charges fiscales nouvelles, si bien qu’il est difficile de faire le tri entre les montages abusifs et les pratiques licites. Deux situations peuvent néanmoins être distinguées. Dans la première, l’immeuble vendu est loué au cédant, associé de la société acquéreur. Cette hypothèse présente un risque fiscal élevé. En effet, en vertu de l’article 15, II, du CGI, « les revenus des logements dont le propriétaire se réserve la jouissance ne sont pas soumis à l’impôt sur le revenu ». En contrepartie de cette exonération, toute déduction de charges dans la catégorie des revenus fonciers au titre des logements concernés est interdite. Lorsque la SCI loue l’immeuble à son associé principal, l’avantage fiscal est en principe nul. En effet, le loyer constitue un bénéfice imposable et les intérêts d’emprunt viennent en déduction de ce bénéfice. Si le loyer est normal, il couvre en principe les intérêts d’emprunt et aucun déficit foncier ne peut être imputé sur le revenu global de l’associé de la SCI. En revanche, si le loyer est minime, la SCI subit un manque à gagner constitutif d’un acte anormal de gestion durement sanctionné. En un pareil cas, l’administration fiscale procède à une double rectification : les bénéfices de l’entreprise sont rehaussés du montant du manque à gagner injustifié, et l’associé est imposé sur le montant des largesses dont il a été gratifié. Si le loyer est conforme à ceux pratiqués sur le marché, les intérêts d’emprunt ne peuvent, à eux seuls, générer un déficit foncier conséquent. Pour parvenir à ce résultat, il faudrait que la SCI réalise des travaux de rénovation de l’immeuble. Le déficit foncier créé au niveau de la SCI se répercute alors sur l’associé qui pourrait, grâce à cette location, déduire de son revenu global le déficit foncier qu’il a lui-même artificiellement créé et bénéficier d’une économie substantielle d’impôt. Malheureusement, l’Administration fiscale veille et condamne systématiquement cette pratique. Le Comité de l’abus de droit fiscal soutient généralement cette position. Dans un avis 31

Rapport 2008 du Comité consultatif pour la répression des abus de droit : Dr. fisc. 2009, n° 28, étude 404. Le CCRAD est devenu le comité de l’abus de droit fiscal et a changé de composition au 1er avril 2009. 33 Rapport du Comité de l’abus de droit fiscal 2009, Instr. 12 avr. 2010, BOI 13 L-5-10 : Le Comité a écarté la qualification d’abus de droit en retenant, dans la première affaire que le changement de forme juridique avait été envisagé antérieurement à l’entrée en vigueur du dispositif (L. no 2004-804, 9 août 2004, art. 13). Il a estimé que les cédants poursuivaient, à travers cette transformation de forme de leur exploitation des objectifs autres qu’exclusivement fiscaux, même si le transfert d’activité n’a finalement été opéré qu’après l’entrée en vigueur de la loi. De même dans la dernière affaire, le Comité a relevé que la création de la société s’inscrivait dans un projet de cession de son entreprise en vue de préparer sa retraite et sa succession et avait donc des objectifs autres qu’exclusivement fiscaux (Revue Fiscale Notariale n° 6, Juin 2010, comm. 61). 34 TA Nancy, 1re ch., 13 août 2009, n° 0800196, Droit fiscal n° 50, 10 Décembre 2009, comm. 582, obs. T. Schmitt ; lire également M. Cozian, Vente à soi-même d'un cabinet médical et exonération « Sarkozy » : abus de droit ou effet d'aubaine : Dr. fisc. 2008, n° 11, comm. 204 ; F. Deboissy, Vente à soi-même d'une clientèle libérale pour bénéficier du dispositif « Sarkozy » d'exonération des plus-values : habileté fiscale ou fraude à la loi : Dr. fisc. 2009, n° 14, étude 261. 32

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publié en janvier 201035, le Comité devait se prononcer sur un couple qui avait constitué une SCI. Cette société avait ensuite acquis une villa dans laquelle des travaux de rénovation représentaient 41 % de sa valeur d’acquisition, l’ensemble étant financé par des emprunts bancaires. La villa avait été louée aux époux afin d’y loger leurs enfants. Le Comité a estimé que « la constitution de la SCI et la conclusion d’un contrat de bail avec ses associés avaient pour seul objectif de faire échec aux dispositions du II de l’article 15 du CGI ». Selon ce raisonnement, la création de la SCI n’est pas considérée en soi comme abusive, parce qu’elle peut répondre à un objectif non exclusivement fiscal. En revanche, la conclusion d’un contrat de location avec les associés fait basculer le montage dans l’abus de droit. En effet, en l’absence de loyers, les associés n’auraient pu déduire de déficits fonciers à raison des dispositions de l’article 15, II, du CGI36. La location est considérée comme fictive, ou du moins abusive au plan fiscal même si elle n’est pas contestable civilement. Dans cette affaire, pour faire bonne figure, le Comité a même émis l’avis que l’Administration était fondée à appliquer aux époux la majoration de 80%. Malheureusement pour ces derniers, la jurisprudence est également en faveur de l’Administration37. La situation aurait été quelque peu différente si l’immeuble avait été loué à un tiers. Dans la seconde hypothèse, l’immeuble est loué à un tiers non-associé de la SCI. Le vendeur bénéficie également d’un avantage fiscal puisque les intérêts d’emprunt seront déductibles des revenus perçus par ce dernier en proportion de sa participation dans la société emprunteuse. La vente lui offre donc un nouveau potentiel de charges déductibles, sans baisse corrélative de ses revenus locatifs s’il détient la quasi-totalité des parts de la société acquéreur. Dans cette situation, la question se pose de savoir si, en l’absence de tout élément de fictivité, l’Administration peut invoquer l’abus de droit par fraude à la loi, en considérant que l’opération répond à des préoccupations exclusivement fiscales. On remarquera, comme dans la situation précédente, que la constitution d’une SCI présente de nombreux intérêts, autres que fiscaux, et qu’il semble difficile d’affirmer qu’une telle création n'a pu être inspirée « par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé » (art. 64 LPF). En revanche, le fait de recourir à une vente pour mettre l’immeuble en société, plutôt qu’à son apport à titre pur et simple, pourrait justifier la procédure de répression de l’abus de droit. Toutefois, là encore, les arguments ne manquent pas pour justifier, économiquement ou financièrement, un tel choix. En effet, la vente est le seul moyen pour obtenir des liquidités. Au contraire, si le propriétaire avait fait un apport pur et simple de son immeuble puis avait cédé immédiatement ses parts sociales à un tiers pour obtenir des liquidités, l’Administration fiscale y aurait sans conteste vu un abus de droit38. Lorsque le bien a été précédemment financé au moyen d’un crédit in fine, la vente peut être justifiée par la nécessité de dégager les liquidités requises pour le remboursement du capital emprunté, en l’absence d’autres éléments à l’actif facilement réalisable. La vente peut être encore le moyen de solder un crédit en cours en lui substituant au niveau de la société acquéreur un prêt consenti à un taux moindre.

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BOI 13 L-1-10, Affaire n° 2009-09 concernant M. et Mme C. M. Cozian et F. Deboissy, Précis de fiscalité des entreprises, Litec, 2010, n° 1651, p. 633 : « à la vérité ce n’est pas la constitution de la SCI qui est critiquable car elle peut répondre au souci d’écarter les risques liés à l’indivision ; l’abus de droit réside dans la conclusion du contrat de bail ». 37 CE, 6 déc. 1978, n° 6.803, Sieur X., RJF 1/79, n° 20 ; CE, 4 avr. 1990, n° 66.867, Ministre de l’Économie, des Finances et du Budget c/ M. Arizzoli, RJF 6/90, n° 729 ; CE, 10 nov. 1993, n? 62.445, Gianoli, Dr. fisc. 1994, n° 9, comm. 416. 38 Apport-cession : Cass. com., 31 oct. 2006, n° 1174 F-D, Sté Audit Sud-Est : RJF 2007, n° 240 ; Cass. com., 20 mars 2007, n° 05-20.599 : Juris-Data n° 2007-038111 ; JCP E 2007, 1698, note H. Hovasse ; Dr. sociétés 2007, comm. 124, note J.-L. Pierre ; RJF 2007, n° 993 ; P. Fernoux, Apport de titres à une société soumise à l'IS, cession de titres et abus de droit : Dr. et patrimoine sept. 2004, p. 80 s. ; M. Cozian, Abus de droit, apport-cession et apport-donation : la Cour de cassation serait-elle en train de perdre le cap ?, Dr. fisc. 2007, n° 36, étude 795 36

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Nous le constatons, les arguments sont nombreux et l’Administration éprouvera les pires difficultés à démontrer que la vente à soi-même avait une finalité exclusivement fiscale. L’absence d’avis ou de jurisprudence en la matière accrédite d’ailleurs cette position. Mais l’Administration a développé un raisonnement particulier pour empêcher la déduction des intérêts d’emprunt lors d’opérations de vente à soi-même.

2 – La remise en cause de la déduction des intérêts d’emprunt Comme l’article 64 LPF s’applique difficilement aux ventes à soi-même lorsque le locataire est un tiers non-associé, l’Administration a élaboré une argumentation originale pour refuser la déduction des intérêts du prêt contracté par la SCI pour acquérir l’immeuble lorsque celui-ci est loué dans la catégorie des revenus fonciers39. Fort heureusement pour les contribuables, cette position peut être combattue. Selon l’Administration, si les sociétés civiles ont la personnalité morale, les sociétés civiles de location d’immeubles seraient dénuées d’une telle personnalité au plan fiscal lorsqu’elles sont soumises à l’IR. En effet, bien que le bénéfice net se détermine au niveau de la société, la charge de l’imposition est en réalité répercutée sur chaque associé en fonction de ses droits dans la structure (CGI, art. 8). Or, le rachat par une SCI de l’immeuble détenu par son principal associé ne permettrait pas à ce dernier l’obtention de « nouveaux » revenus fonciers. Cette approche est vérifiée précisément dans l’hypothèse où l’immeuble est loué à un tiers. Les revenus fonciers déclarés par le vendeur avant et après la vente sont de même montant, voire d’un montant inférieur dans la mesure où la SCI a nécessairement deux associés. Selon l’administration, la faculté de déduction des intérêts des dettes contractées pour l’acquisition de propriétés, offerte par l’article 31, I, 1°, d du CGI, ne trouverait pas à s’appliquer, car l’emprunt n’aurait pas pour finalité l’acquisition d’un revenu mais s’analyserait plutôt comme un prêt à la consommation. Il est vrai que la finalité économique de l’opération consiste à procurer des liquidités au vendeur pour qu’il finance soit de nouveaux projets soit sa consommation personnelle. Pour obtenir ces liquidités, le vendeur aurait pu directement faire un prêt auprès d’un établissement financier. Pour conforter sa position, l’Administration souligne d’ailleurs que selon le régime fiscal applicable aux emprunts substitutifs en matière de revenus fonciers, lorsqu’un nouvel emprunt vient se substituer au précédent, les intérêts y afférents n’ouvrent droit à déduction que dans la limite de ceux qui figuraient sur l’échéancier initial et restant à acquitter. Le raisonnement suivi par l’Administration n’est cependant pas à l’abri des critiques. En premier lieu, l’affirmation selon laquelle la SCI n’aurait pas de personnalité fiscale est contestable. Il est vrai que l’article 1655 ter du CGI indique que certaines sociétés « sont réputées, quelle que soit leur forme juridique, ne pas avoir de personnalité distincte de celle de leurs membres pour l'application des impôts directs, des droits d'enregistrement, de la taxe de publicité foncière ». Mais les sociétés concernées sont celles qui ont « pour unique objet soit la construction ou l'acquisition d'immeubles ou de groupes d'immeubles en vue de leur division par fractions destinées à être attribuées aux associés en propriété ou en jouissance, soit la gestion de ces immeubles ou groupes d'immeubles ainsi divisés, soit la location pour le compte d'un ou plusieurs des membres de la société de tout ou partie des immeubles ou fractions d'immeubles appartenant à chacun de ces membres ». La SCI qui loue l’immeuble à un tiers non-associé n’est pas une société d’attribution et n’est donc pas concernée par cette disposition. En réalité, une telle SCI dispose bien d’une personnalité juridique et d’une personnalité fiscale. Si beaucoup d’auteurs les qualifient 39

B. Pays, article précité.

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de translucides, elles sont en fait semi-transparentes, car seul le paiement de l’impôt incombe directement aux associés40. Par analogie, on soulignera que l’Association d’Avocats à Responsabilité Professionnelle Individuelle est une société en participation, donc, non dotée de la personnalité morale41. Pourtant, la loi précise expressément que l’AARPI est dotée d’une personnalité fiscale, c’est-à-dire d’un patrimoine fiscal propre, distinct de celui des associés, et ceux alors même que les impôts sont payés directement par les associés à raison de leur quote-part des bénéfices sociaux qui leur revient42. La SCI ayant le même régime fiscal d’imposition, on comprendrait mal qu’une telle société soit dépourvue de personnalité fiscale43. Ensuite, la position de l’Administration peut être combattue par l’analyse de l’article 31, I, 1°, d, du CGI. En effet, cette disposition autorise la déduction les intérêts de dettes contractées non seulement pour l’acquisition des immeubles, mais aussi pour leur conservation. Or cette notion ne peut être entendue comme se rapportant au maintien des immeubles dans leur état physique puisque l’article 31, I, 1°, d, vise également la réparation et l’amélioration des propriétés. La conservation doit plutôt s’entendre de la conservation de la propriété de l’immeuble. Ainsi, un bailleur ayant reçu un bien immobilier locatif par donation ou succession peut déduire de ses revenus fonciers les intérêts de l’emprunt contracté pour acquitter les droits de mutation à titre gratuit dus à raison de cette transmission. Dans ces conditions, il est parfaitement envisageable de prétendre que la vente à la SCI dans les conditions envisagées, même si elle ne permet pas au cédant d’accroître ses revenus fonciers, a au moins permis à ce dernier de les conserver44. Bien entendu, le vendeur n’a pas conservé la propriété de l’immeuble. Mais en étant le principal associé de la société acquéreuse, il s’est tout de même réservé, à la fois une certaine main mise sur le bien vendu et la préservation des revenus y afférents. Pour terminer, on soulignera que pour éviter tout risque fiscal, il suffirait que la SCI opte pour l’IS puisque, dans cette situation, la société a nécessairement une personnalité fiscale. L’ensemble du raisonnement développé par l’Administration ne tiendrait plus. L’option pour l’IS présente d’ailleurs d’autres avantages qui sont malheureusement contrebalancés par certains effets négatifs à ne pas sous-estimer45.

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M. Cozian et F. Deboissy, Précis de fiscalité des entreprises, précité, n° 541, p. 213. M. Cozian et Fl. Deboissy, Précis de fiscalité des entreprises, précité, n° 555, p. 222. 42 Article 64 de la loi de finances rectificative pour 2006 qui a modifié l’article 7 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques 43 Contrairement à l’AARPI, le législateur fiscal n’a pas à préciser que la SCI dispose d’un patrimoine fiscal puisque la société est déjà doté d’un patrimoine juridique. 44 En ce sens B. Pays, article précité. 45 M. Cozian et Fl. Deboissy, Précis de fiscalité des entreprises, précité, n° 1659, p. 636. 41

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