02 Couples non mariés limites du legs
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LA PROTECTION DU COUPLE
02 - Couples non mariés : limites du legs en usufruit Intervention d'Alain FAURE, notaire à Colomiers
La loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 a modifié profondément notre droit successoral : il est aujourd’hui possible de transmettre la totalité de son patrimoine à une personne qui ne vient pas à la succession en qualité d’héritier sans que cette transmission puisse être remise en cause1. Hier droit réel, la réserve héréditaire s’apparente aujourd’hui à un simple droit de créance. Une lecture attentive de la loi nous permet de nuancer ce nouveau principe. Le Code Civil garantit encore une réserve en propriété; en témoignent les articles 912 et 917. La réforme de notre droit successoral nous donne aujourd’hui l’occasion de faire un point sur les libéralités en usufruit, outil fréquent de transmission car préservant souvent les intérêts du survivant et ceux des héritiers, notamment les enfants qui recouvreront à terme la pleine propriété des biens successoraux. Si ces libéralités en usufruit ne posent aucune difficulté lorsqu’elles bénéficient au conjoint survivant, il en va bien différemment en présence du concubin survivant2. Ce dernier ne bénéficie ni d’un droit viager au logement, ni d’une vocation légale en usufruit ni d’une quotité disponible spéciale ; il reste soumis aux impératifs du respect de la réserve héréditaire. Nous examinerons dans un premier temps la question de la réductibilité de la libéralité en usufruit puis dans un second temps les modalités de la réduction d’une telle libéralité lorsqu’elle est encourue. I.- La réductibilité de la libéralité en usufruit Dans cette première étape, il s’agira de détecter les libéralités qui portent atteinte à la réserve héréditaire.
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Le principe de la réduction en nature des libéralités garantissait les héritiers réservataires de recevoir une partie en nature des biens de la succession. 2 Pour la présente étude nous nous permettrons de ranger le Pacte civil de solidarité au sein du concubinage.
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On procède à cette détection par le mécanisme de l’imputation qui consiste à comparer le montant des libéralités consenties par le défunt à celui de la quotité disponible de sa succession calculée conformément à l'article 922 du Code civil. Avant même d’exposer les méthodes d’imputation envisageables, il est possible d’affirmer que, dans bien des situations rencontrées par le notaire à l’occasion du règlement d’une succession, une libéralité en usufruit au profit du concubin survivant est réductible. Et il en sera ainsi, quelle que soit la méthode d’imputation retenue : - en cas de legs de l’usufruit de la succession, - ou encore en cas de legs de l’usufruit de la résidence principale lorsqu’elle constitue l’essentiel du patrimoine. La loi du 23 juin 2006 n’a, semble-t-il, pas modifié les règles d’imputation des libéralités démembrées. A. – Méthodes d’imputation des libéralités démembrées Plusieurs techniques sont concevables. 1.- La comparaison de revenus 3: Il est possible pour apprécier le caractère éventuellement excessif d’une libéralité en usufruit de comparer les revenus ; l’excès sera caractérisé dès lors que les revenus donnés sont supérieurs à ceux de la quotité disponible. Une libéralité universelle en usufruit sera par hypothèse excessive car elle porte nécessairement sur les revenus de la réserve. En présence d’une libéralité à titre particulier, il conviendra de comparer les revenus produits par le bien dont l’usufruit est transmis et ceux produits par la quotité disponible. Exemple : M. A est propriétaire d’une maison d’habitation d’une valeur de 300000 € et de divers actifs financiers d’une valeur de 60 000 €. Il décède, laissant deux enfants et sa compagne, légataire de l’usufruit de la maison d’habitation. La masse de calcul de la quotité disponible (MCQD) ressort à 360000 € La réserve globale (RG) s’établit à 240000€ La quotité disponible (QD) à 120000€ Les revenus du bien donné excèderont ici certainement ceux de la quotité disponible. La libéralité sera alors réductible. 2.- L’imputation en « valeur » Il s’agira ici d’imputer la valeur de l’usufruit sur le montant de la quotité disponible. Cette technique présuppose que l’on détermine la valeur du droit d’usufruit objet de la libéralité.
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Cette méthode a parfois été retenue par la jurisprudence pour permettre la mise en œuvre de l’article 917 du code civil, V. Cass.1ère civ., 21 mai 1963, D.1963, somm.113 – 10 janv.1978, JCP N 1978, Prat.6937.
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Cette valeur sera obtenue par conversion en capital, soit au moyen d’un barème fiscal (article 669 du CGI), soit au moyen d’une évaluation dite « économique » basée sur le flux des revenus futurs actualisés du bien. Exemple : Mêmes données que dans l’exemple précédent. MCQD : 360000 RG : 240000 QD : 120000 Compte tenu de l’âge du bénéficiaire de la libéralité, l’usufruit peut être valorisé à 4/10èmes de la valeur de la pleine propriété, soit 120000€. Cette libéralité s’impute sur la quotité disponible mais ne la dépasse pas. Elle n’est donc pas réductible. 3.- L’imputation en « assiette » Il ne s’agit ici en aucun cas de procéder à une conversion. L’usufruit n’a pas à être valorisé. Il suffit simplement de procéder à une comparaison d’assiette. La libéralité sera excessive dès lors que la valeur du bien soumis à usufruit est supérieure à la valeur de la quotité disponible. Il s’agira simplement d’imputer la valeur du bien (et non du droit démembré) sur l’usufruit de la quotité disponible en présence d’une libéralité profitant au concubin. La quotité disponible sera démembrée pour les besoins de la liquidation successorale. Exemple : Mêmes données que dans l’exemple précédent. MCQD : 360000 RG : 240000 QD : 120000 On va démembrer le secteur d’imputation ici la quotité disponible : la quotité disponible est de 120000 en usufruit. Puis on procède à l’imputation de l’usufruit légué – soit 300000 – sur l’usufruit de 120000. Cette libéralité est excessive à hauteur de 180000 Cette libéralité est donc réductible, sauf à appliquer les dispositions de l’article 917 du code civil si elles se trouvent réunies. B. – Appréciation – solution préconisée L’exemple qui précède démontre que suivant la méthode liquidative choisie, notre légataire bénéficiera pleinement de la libéralité, ou au contraire subira la réduction de cette même libéralité. Dans sa pratique quotidienne, le notaire procède régulièrement à la valorisation de l’usufruit, cette valorisation étant par la suite utilisée à toutes les étapes du règlement de la succession, savoir : détermination de la réserve et de la quotité disponible, imputation des libéralités reçues par le conjoint sur ses droits légaux, opérations de partage et notamment rapport , liquidation fiscale, … Le barème de l’article 669 du CGI, d’utilisation simple, n’est peut-être pas étranger à cette pratique. 3
Cette méthode de valorisation n’est pas critiquable lors de certaines des étapes précitées (par exemple détermination de l’indemnité de rapport à l’occasion d’un partage) Toutefois elle parait inadaptée pour détecter l’atteinte à la réserve et doit être abandonnée. Il en est de même concernant la méthode comparaison des revenus, notamment lorsque le bien dont l’usufruit est légué n’est pas productif de revenus. Ce sera également le cas dans l’hypothèse contraire dans laquelle la majorité des biens successoraux ne produisent pas de revenus. Seule la méthode de l’imputation en assiette respecte la réserve héréditaire (mais aussi la quotité disponible) et permet de déterminer s’il y a ou non atteinte à celle-ci. La réserve héréditaire assure notamment l’intangibilité d’une quotité de droits d’une certaine nature (1/2, 2/3, 3/4 en pleine propriété en présence de descendants en concours avec un concubin) ; «… elle doit être laissée en pleine propriété. Elle ne saurait être servie en nue-propriété seulement, quand bien même la quotité ainsi laissée serait supérieure à celle prévue par la loi en toute propriété. Peu importe qu’évalué en capital, l’usufruit donné ou légué n’excède pas la valeur de la réserve »4. Ainsi à une réserve en propriété correspondent des droits en propriété et non une valeur équivalente à ces droits. Jusqu’à la loi du 23 juin 2006, cette définition de la réserve justifiait ainsi le recours à l’imputation en assiette des libéralités démembrées. La nature de la réserve s'opposait à toute substitution. Notamment « lorsqu'elle protège les héritiers contre des personnes qui ne viennent pas effectivement à la succession en cette qualité, la réserve est en nature et la réduction des libéralités, qui en constitue la sanction, présente le même caractère »5 La jurisprudence avait consacré cette règle dans un arrêt du 19 mars 19916. En l’espèce, le légataire usufruitier était tenu, du fait de la charge grevant le legs litigieux, de verser, à titre de rente viagère, le montant de l'intégralité des fermages produits par le bien légué à l'héritier réservataire. La rétrocession par le légataire de la totalité des revenus produits par le bien dépassait de fait les revenus théoriques de la quotité disponible, ici de moitié en présence d’un enfant. Ainsi l'usufruit légué ne procurait aucun avantage au légataire mais surtout semblait ne rien enlever à l’héritier réservataire. Saisie par l’héritier réservataire d’une action en réduction du legs pour dépassement de la quotité disponible, la Cour d'appel l'a débouté de cette demande L’arrêt de la Cour est toutefois cassé au visa de l’article 913 du code civil qui implique nécessairement « qu'aucune disposition testamentaire ne peut modifier les droits que les héritiers réservataires tiennent de la loi » La recherche de l’existence ou non d’un « équivalent » ne saurait donc être un critère pour « détecter » une atteinte à la réserve La loi nouvelle ne nous semble pas avoir modifié cette règle. 4
M.GRIMALDI, Droit Civil, Successions, Litec 6èmeéd. 2001. G.CHAMPENOIS obs. sous arrêt 19 mars 1991, Defrénois 1992 article 35408-168 6 Cass. 1ère civ, 19 mars 1991 : Bull.civ I, n°99. 5
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Les hésitations qui pourraient être permises portent dorénavant sur les modalités de la réduction en nature ou en valeur en présence de libéralités démembrées7 et non sur le principe de l’imputation en assiette. Et il faut dépasser la contradiction apparente entre l’imputation en assiette et la réduction en valeur, c’est-à-dire dans le premier cas rechercher une éventuelle atteinte à la réserve et dans le second cas réparer l’atteinte à la réserve. D’autres arguments ont été avancés en faveur de l’imputation en assiette. La volonté du disposant tout d’abord ; en effet la conversion peut aboutir à un résultat que n’a pas voulu le disposant, savoir lui interdire de disposer par ailleurs de la nue propriété de la quotité disponible8. L’article 1094-1 du code civil ensuite. Cet article définit la quotité disponible spéciale entre époux en présence de descendants et énonce qu’elle est égale : - soit à la propriété de ce dont il est permis de disposer en faveur d’un étranger, c’està-dire la quotité disponible ordinaire, - soit à un quart des biens en propriété et aux trois quarts des biens en usufruit, - soit encore de la totalité des biens en usufruit seulement. Ainsi la quotité en usufruit est incluse dans celle plus large fixée à ¼ en pleine propriété et ¾ en usufruit. Pourquoi donc le législateur prévoit-il une troisième option ayant pour objet la totalité des biens en usufruit ? Un auteur 9 n’y voit point une redondance et justifie la rédaction de cet article par la volonté du législateur de rejeter, par avance, toute prétention d’une quotité en propriété supérieure au disponible ordinaire dans l’hypothèse où la valeur de la quotité ainsi revendiquée n’excèderait pas la valeur de l’usufruit du tout. Le législateur condamnerait ainsi toute idée de conversion de l’usufruit dès lors que la réserve est en jeu. Exemple Un usufruit peut être évalué à 6/10èmes de la pleine propriété. Cet usufruit dépasse manifestement le quart en pleine propriété. Malgré sa vocation à l’usufruit total, le conjoint ne pourra prétendre, en exigeant la conversion, aux 6/10èmes en pleine propriété. Il ne pourra qu’exiger : - soit le quart en pleine propriété (éventuellement augmenté des trois quart en usufruit), - soit le disponible ordinaire qui peut être supérieur au quart mais, sans dans cette hypothèse, que s’ajoute l’usufruit du surplus.
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Infra .§.II.- A.Voir D. EPAILLY et P.LALANNE, « L’imputation des libéralités en usufruit après la loi du 23 juin 2006 », Cridon Bordeaux Toulouse, Nota-Bene n°130, fiche 525, 9 M.GRIMALDI, Ouvrage précité. 8
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On ne peut que souscrire à cette analyse sous la loi nouvelle, qui a non seulement maintenu la rédaction de l’article 1094-1 du code civil, mais a autorisé au surplus le conjoint à cantonner son émolument (1094-1 2ème alinéa)10. II.- La réduction de la libéralité en usufruit excessive La réduction des libéralités vient sanctionner l’atteinte à la réserve. Des hésitations restent permises quant à l’application du nouveau principe de réduction en valeur posé par l’article 924 du code civil. Quoiqu’il en soit, la loi nouvelle a maintenu le cas de réduction en nature résultant de l’application de l’article 917 du code civil. A.- Les hésitations subsistantes La loi ancienne connaissait bien entendu la réduction en valeur lorsque la libéralité excessive profitait à un héritier. Mais la réduction en nature s’imposait dès que lors que la libéralité était adressée à un non-successible (il s’agissait en effet d’assurer la conservation du bien dans la famille) ou s’il s’agissait d’un legs La sanction – c’est-à-dire la réduction- présentait dans cette hypothèse le même caractère que la réserve. L’article 924 du code civil pose dorénavant le principe de la réduction en valeur et non plus en nature. Et il n’y plus à distinguer ni la personne du gratifié ni la nature de la libéralité excessive La réserve se rétablit désormais au moyen d’une simple somme d’argent. Le législateur a ainsi substitué un droit personnel (une créance, pars bonorum) à un droit réel (pars hereditatis). Mais la loi de 2006 a-t-elle pour autant abandonné totalement l’un des principes fondamentaux de notre droit successoral ? En effet, l’article 924-4 nouveau du code civil restitue lorsqu’il est applicable à la réserve son caractère de droit en nature. Le gratifié peut également exécuter la réduction en nature par dérogation à l’article 924 du code civil.11 Cette subsistance de la réserve en nature ne sera certes pas suffisante face à la lettre de l’article 924 du code civil. Toutefois, en présence d’une libéralité démembrée, l’article 912 nouveau du code civil nous permet d’hésiter. Cet article définit la réserve comme « la part des biens et droits successoraux dont la loi assure la dévolution libre de charges à certains héritiers dits réservataires, s'ils sont appelés à la succession et s'ils l'acceptent ». La loi nouvelle manifeste dans cette définition « un attachement au passé, au moment même où elle le déclare révolu »12 10
Le cantonnement ne permet pas davantage de procéder à une conversion : il s’agit de recevoir moins que ce qu’avait transmis le défunt, et non d’une manière différente. Le légataire ne saurait convertir de l’usufruit pour recevoir de la pleine propriété V. 106ème Congrès des Notaires de France, « Couples, Patrimoine, les défis de la vie à deux » 11 Art 924-1 C.Civ.
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Se pose dès lors la question de savoir si l’usufruit est une charge qui peut être supprimée en nature sur le fondement de ce nouveau texte ? Il paraît en effet difficile de considérer qu’il y a équivalence entre une réserve composée d’un bien en pleine propriété et une réserve composée d’un bien en nue-propriété augmenté d’une somme d’argent visant à compenser l’usufruit, notamment si le nupropriétaire se décidait à vendre le bien. Consacrer par ailleurs la réduction en valeur reviendrait par ailleurs à nier l’existence d’autres modes de sanction de l’atteinte à la réserve13. Or l’atteinte à la réserve peut être susceptible d’autres sanctions que la seule réduction en valeur ; Il est ici permis d’évoquer brièvement : - l’article 1054 du Code civil autorisant le cantonnement de la charge graduelle ou résiduelle sur la quotité disponible, - l’article 1094-3 du Code civil autorisant l’héritier réservataire à demander, à hauteur de sa réserve, l’emploi des fonds soumis à l’usufruit du conjoint survivant pour faire échec au quasi-usufruit, - l’article 1077-1 du Code civil autorisant l’héritier réservataire insuffisamment alloti à « compléter sa réserve » en prélevant avant partage les biens existants de la succession. Enfin, et en faveur de la thèse de la réduction en nature, il y a lieu de rappeler que la loi nouvelle a maintenu les dispositions de l’article 917 du Code civil. Aux termes de cet article, l’héritier réservataire est fondé à exiger sa réserve en propriété, sauf à encourir les rigueurs posées par ce même texte. B.- l’article 917 du Code civil Cet article dispose que « si la disposition par acte entre vifs ou par testament est d'un usufruit ou d'une rente viagère dont la valeur excède la quotité disponible, les héritiers au profit desquels la loi fait une réserve, auront l'option, ou d'exécuter cette disposition, ou de faire l'abandon de la propriété de la quotité disponible. » Il a tout d’abord été donné à ce texte une finalité technique: il s’agit d’éviter la conversion de l’usufruit. En effet, une libéralité viagère consentie à une personne autre que le conjoint devant nécessairement s’imputer sur un disponible en capital, l’article 917 du Code civil donne une solution simplificatrice au problème de l’évaluation en capital d’une libéralité viagère. Ce fondement technique a reçu application en jurisprudence14. Il n’en est pas moins discutable car nous avons précédemment vu que la méthode de la conversion était inadaptée pour détecter une atteinte à la réserve. Un auteur15 a pu ainsi en déduire que ce texte n’a pas été écrit pour éviter une technique qui ne doit pas s’appliquer. La finalité de ce texte reposerait sur un souci d’équité. 12
Voir P. Malaurie, Defrénois 2006, n°38482 Voir D.Epailly, Les Liquidations Successorales après la loi du 23 juin 2006, Cridon Bordeaux Toulouse, collection Brochure n°3, janvier 2010 14 Cass. civ., 10 mars 1873 : D. 1874, 1, 9 Cass. req., 1er juill. 1873 : D. 1874, 1, 17. – CA Versailles, 17 mars 1994 : Juris-Data n° 041994 15 Michel GRIMALDI, Ouvrage précité, 13
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Dans la mesure où la charge viagère est réduite, le réservataire ne doit pas obtenir et sa réserve en pleine propriété et la quotité disponible en nue-propriété. En d’autres termes, il ne peut conserver sa réserve intacte et recueillir au surplus la nue-propriété de la quotité disponible. Ainsi, la sanction de la réserve doit être nuancée quand elle est grevée d’une charge d’usufruit. Le réservataire peut choisir: - soit de recevoir autre chose que sa réserve (c’est-à-dire une réserve en nue-propriété et l’excédent de quotité disponible en nue-propriété); - soit de recevoir sa réserve en pleine propriété et rien d’autre. M. Epally16 précise en outre que ce texte reflète la volonté présumée du défunt : certes la libéralité excède la quotité disponible mais elle satisfait l’ordre public en ce sens où l’hériter réservataire reçoit davantage de quotité disponible. Si le défunt « avait su que le réservataire mettrait son projet en échec en réclamant sa réserve en propriété, on peut légitimement penser qu’il l’aurait privé de l’intégralité du disponible » Ceci exposé, examinons deux situations : - celle où les dispositions de l’article 917 trouveront à s’appliquer, - puis celle où elles ne s’appliqueront pas. 1.- l’article 917 du Code civil est applicable L’application de l’article 917 du Code civil suppose la réunion des conditions suivantes : - la libéralité doit avoir pour objet un droit d’usufruit : La doctrine dominante admet que la libéralité portant sur un droit d'usage et d'habitation devrait entrer dans le champ d'application de ce texte car ce droit n'est qu'un diminutif de l'usufruit. Toutefois, si la Cour de Cassation n’a semble-t-il pas été saisie de la question, il faut relever une décision de la Cour d’Appel de Pau écartant l’application du texte en pareille hypothèse17. - la réserve est fixée en pleine propriété ; cette condition est aujourd’hui obsolète pour les successions ouvertes à compter du 1er janvier 2007. - la libéralité doit être excessive : En l’espèce, la Cour de Cassation a considéré qu’il y a lieu, pour apprécier le caractère excessif, d’utiliser la méthode de comparaison des revenus18 19 Toutefois, l’arrêt du 19 mars 1991 précité autorise les auteurs à penser que cette jurisprudence a été remise en cause et qu’il y a lieu d’appliquer l’imputation en assiette. - la libéralité doit être unique :
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D. Epailly, ouvr.préc. CA Pau, 16 déc. 1981 : Juris-Data n° 04203 18 Cf Cass.1ère civ. 21 mai 1963, D1693, somm.113 ; Cass.1ère civ, 10 janvier 1978, Bull. civ.I, n°14 19 Concernant l’imputation, le recours à la technique de la comparaison semble être propre à la qualification de la libéralité réductible pour l’application de l’article 917 du Code civil, V. W. BABY « La protection du concubin survivant », Defrénois 2009, Lextenso Editions, p 49 et s. 17
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L’existence d’une autre libéralité écarterait l’application de l’article 917 du Code civil20. En effet, dans la mesure où la quotité disponible est affectée par une autre libéralité, l’option prévue par le texte ne paraît plus possible. Il en irait également ainsi en présence de deux libéralités en usufruit réductibles concurremment, le texte n’ayant pas envisagé d’abandonner proportionnellement à chacun des gratifiés en usufruit la quotité disponible. - l’article 917 ne doit pas avoir été mis à l’écart par le disposant : Cet article n’est pas d’ordre public, cette solution étant aujourd’hui bien acquise en jurisprudence21. Les conditions réunies, une option s’ouvre au profit de l’héritier réservataire : - soit il exige sa réserve : dès lors il faut procéder à une réduction en nature de la libéralité en usufruit. Et le réservataire doit abandonner la nue-propriété quotité disponible. Cette option entraînera donc une situation d’indivision, mettant en échec la protection voulue par le disposant. - soit l’héritier réservataire laisse s’exécuter la libéralité en usufruit et appréhende la nue-propriété de la quotité disponible. Cette option appartient à l’héritier réservataire et à lui seul, et lorsque le défunt laisse plusieurs héritiers réservataires, l’option est divisible, chacun des héritiers se déterminant comme il l’entend. La question s’est posée de savoir si, lorsque les conditions d’applications de l’article 917 du Code civil se trouvent réunies, les héritiers réservataires pouvaient renoncer à exercer l’option. La réponse à cette question dépendra en définitive de la finalité reconnue à l’article 917 du code civil. Soit cet article a, comme évoqué, une finalité technique – éviter toute difficulté de conversion en capital – alors la renonciation unilatérale peut se concevoir dans la mesure où le risque est pour l’héritier. Ce dernier s’expose ainsi à une mauvaise évaluation de la charge d’usufruit donc à une éventuelle atteinte non sanctionnée de sa réserve. La jurisprudence a admis cette renonciation.22 Soit cet article a pour fondement l’équité et la renonciation unilatérale ne nous paraît plus possible, sans l’accord du bénéficiaire de la libéralité dans la mesure où cette renonciation aboutirait à la situation que le texte cherche à éviter. En effet, si l’héritier réservataire était libre de renoncer à ce texte, il cumulerait sa réserve en propriété et le disponible en nue-propriété 2.- l’article 917 du Code civil n’est pas applicable Cette hypothèse recouvre deux situations, la première lorsque les conditions de l’article 917 du Code civil précitées ne se trouvent pas réunies, la seconde lorsque le défunt a volontairement écarté l’article 917 du Code civil qui n’est pas d’ordre public.
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CF Cass. Civ., 19 déc.1882, D.1883, 1, 343 ; Cass.civ, 5 mai 1914, D 1922,2,139 ; Cass.1ère civ., 3 mars 1992, Bull. civ. I, n° 74 21 Req., 1er juill.1873, DP 1874, 1, 26 ; Cass. 1ère civ, 10 janvier 1978 précité 22 Cass. 1ère civ., 22 nov.1954 : Bull.civ.I, n°329
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La conséquence de la non-application de l’article 917 du Code civil est d’entraîner la réduction de la libéralité en viager dépassant le disponible et non de permettre l’exécution intégrale de cette libéralité. Il y a alors lieu de revenir aux règles traditionnelles d’imputation et de réduction, avec les incertitudes évoquées, notamment quant aux modalités de la réduction (réduction en nature ou en valeur c’est-à-dire application de l’article 924 du Code civil – ou bien application de l’article 912 du Code civil et la libération de la charge qui aboutit à une réduction en nature). En toute hypothèse, l’héritier réservataire pourra obtenir la réduction sans devoir consentir le sacrifice de l’abandon de la quotité disponible. Il va ainsi cumuler sa réserve en propriété et le disponible en nue-propriété. La mise à l’écart de l’article 917 du Code civil ne permet donc pas d’être assuré du maintien de l’usufruit. Il est donc délicat pour le notaire de conseiller au défunt de priver ses héritiers réservataires de la faculté offerte par l’article 917 du Code civil, sauf si la jurisprudence venait à fixer définitivement « en valeur » les modalités de réduction des libéralités en usufruit. Conclusion Le legs en usufruit au profit du concubin survivant, en présence d’héritiers réservataires, ne confère donc pas la certitude de pouvoir être exécuté. Cette situation peut surprendre, notamment le concubin survivant en présence de ses propres enfants. Doit-on regretter une différence de traitement des parents dans une situation comparable ? Le 106ème Congrès des Notaires de France a esquissé l’idée d’atteindre l’égalité des parents après que les lois récentes aient réalisé celle des enfants. Il s’agirait de créer une quotité disponible spéciale en usufruit au profit du concubin, en présence de descendants communs, et sur dispositions volontaires. Dans l’attente, il est à noter qu’une solution intermédiaire pourrait venir du régime de l’indivision. En effet, l’article 1873-13 du Code civil offre la possibilité de conclure une convention d’indivision, pacte sur succession future légal, que nous proposons ici de limiter à l’usufruit. Cette convention prévoira que le survivant des indivisaires aura la possibilité de se faire attribuer la quote-part d’usufruit du défunt à hauteur de la quotité disponible et d’acquérir le surplus de cette quote-part à charge d’en tenir compte à la succession. Cette solution qui permet d’assurer la réduction en valeur de l’usufruit excédant la quotité disponible nécessitera toutefois une indivision préalable entre les concubins.
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